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Dossier : 2007-3715(IT)G

 

ENTRE :

WILLIAM CAMPBELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 14 et 15 décembre 2009, à St. John's (Terre‑Neuve)

 

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Bruce S. Russell

Avocat de l'intimée :

Me Stan W. McDonald

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 43819 et est daté du 2 juin 2006, est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2010.

 

 

« Diane Campbell »

Le juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mai 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 100

Date : 20100219

Dossier : 2007-3715(IT)G

 

ENTRE :

WILLIAM CAMPBELL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Campbell

 

[1]     L'appelant porte en appel une nouvelle cotisation établie à son égard en sa qualité d'administrateur d'une société de Terre‑Neuve, Complete Rent‑Alls Limited (« CRL ») en raison de retenues et de versements de l'employeur impayés, des intérêts et des pénalités. Cette nouvelle cotisation est donc fondée sur la responsabilité des administrateurs visée à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

Les faits

 

[2]     L'appelant est un homme d'affaires chevronné et bien informé. Il est aujourd'hui retraité, mais il a travaillé pour des entreprises de location à Terre‑Neuve presque tout au long de sa carrière. En 1966, il a constitué CRL, société qui faisait la vente ainsi que la location d'équipement à des fins résidentielles et industrielles.

 

[3]     L'appelant était l'unique administrateur et actionnaire de CRL, dont il était également président.

 

[4]     Pendant près de 25 ans, soit jusque dans les années 1990, CRL était une société prospère qui comptait plus de 70 employés et qui avait ouvert plusieurs succursales un peu partout à Terre‑Neuve.

 

[5]     Pendant toutes ces années, l'appelant s'occupait essentiellement de la gestion de CRL, mais, lorsque la société a commencé à éprouver des problèmes financiers au début des années 1990, il s'est occupé de tous les aspects de l'entreprise.

 

[6]     CRL a commencé à éprouver des difficultés financières en 1989. Ces difficultés sont surtout associées à une subvention de 486 000 $ que l'Agence de promotion économique du Canada atlantique (« APECA ») a accordée à une nouvelle société, un concurrent de CRL qui venait de lancer une entreprise de location. CRL, de même que d'autres entreprises de location de Terre‑Neuve, se sont vues refuser des subventions similaires au motif que la première subvention, accordée au concurrent, n'aurait pas dû avoir été accordée. Cet événement a continué à avoir une incidence sur les taux de location que CRL pouvait exiger.

 

[7]     En avril 1994, en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, CRL a déposé une proposition concordataire que les créanciers de la société ont acceptée, y compris l'Agence du revenu du Canada (« ARC »). La proposition ayant été acceptée, CRL a pu poursuivre ses activités. Selon les modalités de la proposition, CRL était tenue de payer plus d'un million de dollars à ses créanciers, dont l'ARC. CRL a respecté les modalités de la proposition.

 

[8]     Avant le dépôt de la proposition, et pendant les deux années qui ont suivi son dépôt, CRL s'était pour l'essentiel acquittée de toutes ses obligations en matière de versement. Les difficultés concernant les retenues à la source ont commencé en 1996; CRL avait alors un arriéré de 45 000 $. Au cours de cette année, Stephen Lawlor, le directeur financier de CRL, a fait part à l'appelant des difficultés qu'éprouvait CRL en ce qui concerne le versement des retenues lorsque celles-ci devenaient exigibles. Monsieur Lawlor s'était jusqu'alors occupé d'effectuer ces versements, mais, après avoir été mis au courant du problème, l'appelant s'est attaqué au problème en ce qui concerne autant les versements courants que les versements en retard. Il a continué à s'occuper de ce problème de versement pendant les années visées par l'appel. Le témoignage de l'appelant sur cette question a été corroboré par M. Lawlor.

 

[9]     Au cours de son témoignage, l'appelant a parlé des diverses mesures qu'il avait prises pour faire en sorte que les versements à l'ARC soient à jour. Pour ce faire, l'appelant n'avait cependant pas pu se fier aux registres de l'entreprise, qui avaient été grandement endommagés par des précipitations en 2002 et que des employés avaient par la suite jetés au rebut sans que l'appelant en ait connaissance. L'appelant a déclaré qu'il était toujours resté en contact avec l'ARC, qu'il avait signé des chèques postdatés pour l'arriéré, suggéré des noms de clients auxquels on pourrait signifier des demandes péremptoires, fait augmenter la marge de crédit d'exploitation de la société, consulté des professionnels de l'extérieur, comprimé les dépenses en fermant plusieurs succursales, vendu de l'équipement et réduit le nombre d'employés, qu'il n'avait pas payé d'autres frais généraux et qu'il n'avait reçu aucun salaire de CRL pendant plusieurs années.

 

[10]    Malgré ces efforts, la situation financière de CRL est demeurée précaire et, en définitive, la société a mis fin à ses activités en 1999. L'appelant a continué à être administrateur de CRL jusqu'au 31 décembre 2000; il a témoigné qu'il avait alors donné sa démission au moyen d'une lettre écrite à la main. L'appelant affirme qu'il avait établi une copie manuscrite de cette lettre de démission, même s'il ne s'agissait pas d'une lettre identique, étant donné qu'il n'avait pas de photocopieur à sa disposition. La lettre de démission du 31 décembre 2000 a été mentionnée pour la première fois dans un avis d'opposition daté du 29 août 2006.

 

La position de l'appelant

 

[11]    L'appelant déclare que, puisqu'il a démissionné de son poste d'administrateur de CRL le 31 décembre 2000, comme l'indique sa lettre de démission, il ne peut être tenu responsable à titre d'administrateur, la procédure intentée contre lui ayant été déposée plus de deux ans après sa démission, ce qu'interdit le paragraphe 227.1(4).

 

[12]    L'appelant soutient subsidiairement que, s'il n'a pas cessé d'être administrateur de CRL le 31 décembre 2000, il a néanmoins agi avec le degré de diligence nécessaire pour prévenir le non-versement des retenues à la source à l'ARC.

 

La position de l'intimée

 

[13]    L'appelant a continué à être administrateur de CRL après le 31 décembre 2000, puisque sa lettre de démission n'était pas valable. La cotisation a donc été valablement établie. L'intimée soutient subsidiairement que, si la lettre de démission était valable, l'appelant a continué à être administrateur de fait de CRL après le 31 décembre 2000, jusqu'à la dissolution de la société, le 18 février 2006.

 

[14]    L'intimée soutient en outre que, si l'appelant était administrateur (que ce soit administrateur de droit ou de fait), il ne peut invoquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, étant donné qu'il n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le non-versement des sommes dues qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

Analyse

 

[15]    Pour décider si l'appelant est responsable de l'omission de CRL de verser les retenues à la source conformément au paragraphe 227.1(1), il est nécessaire de répondre à deux sous-questions :

 

a)       L'appelant a‑t‑il cessé d'occuper le poste d'administrateur de CRL le 31 décembre 2000 après avoir convenablement donné sa démission et, dans l'affirmative, est-il par conséquent interdit au ministre du Revenu national (le « ministre ») d'établir une cotisation à l'égard de l'appelant en sa qualité d'administrateur plus de deux après sa démission? S'il a convenablement démissionné, l'appelant a-t-il continué à agir en tant qu'administrateur de fait de CRL après le 31 décembre 2000?

 

b)      L'appelant a-t-il agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté, pour prévenir l'omission de la société d'effectuer les retenues à la source ou de les verser, qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables?

 

A.      L'appelant a-t-il démissionné de CRL le 31 décembre 2000?

 

[16]    Le paragraphe 227.1(4) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

(4) Prescription. L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette société.

 

Selon le paragraphe 227.1(4), si la lettre de démission de l'appelant du 31 décembre 2000 est valable et que ce dernier a cessé d'être administrateur à cette date, l'appelant ne serait pas responsable des versements, puisque la nouvelle cotisation du 2 juin 2006 aurait été établie plus de deux ans après la démission.

 

[17]    L'appelant a témoigné qu'il avait, en décembre 1999, rencontré son comptable, Douglas Kirby, et l'avocat de CRL à l'époque, Me Wayne Myles, qui lui avaient conseillé de démissionner de son poste d'administrateur. Monsieur Kirby a confirmé qu'il avait eu une telle discussion avec l'appelant au cours d'une réunion tenue en 1999 et qu'il lui avait alors conseillé de rédiger une lettre de démission à l'intention de la société et d'aviser le registraire des sociétés. Bien que la question de la validité de cette démission au regard du droit des sociétés ait été soulevée, [TRADUCTION] « nous nous sommes en définitive dit qui ne risque rien n'a rien » (transcription, pages 184 et 185), et on a recommandé à l'appelant de remettre une lettre de démission.

 

[18]    En ce qui a trait à la rédaction de cette lettre, l'appelant se souvenait seulement qu'il tenait une liste des choses à faire, que la rédaction d'une lettre de démission était un des éléments figurant sur cette liste et qu'il a été biffé en décembre 2000. Bien qu'il n'ait produit aucune liste, l'appelant soutient que cet élément aurait été biffé de cette liste en décembre 2000, étant donné qu'il avait rédigé la lettre. Il y avait deux lettres de démission manuscrites distinctes, et il semble que les deux lettres aient à un moment ou à un autre abouti au bureau d'enregistrement des actes de St. John's. L'estampille du courrier à expédier du bureau d'enregistrement figure sur une de ces lettres (onglet 4 de la pièce R‑1). Pendant l'enquête menée par l'ARC en 2006, Christine Ash a trouvé la seconde lettre de démission (onglet 3 de la pièce R-1) dans le dossier de Rent‑Alls Ltd. — qui est une autre société appartenant à l'appelant — se trouvant au bureau d'enregistrement. Ni l'une ni l'autre des copies n'a été correctement classée ou datée au moyen d'un timbre par le bureau d'enregistrement et n'était l'original de ces lettres. Il n'y a donc aucun moyen de déterminer à quelle date ces lettres sont parvenues au bureau d'enregistrement.

 

[19]    On ne saurait sous‑estimer combien il est important qu'un administrateur donne convenablement sa démission. Même s'il incombe à l'administrateur de s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations en matière de versement et même si un manquement à ces obligations entraîne la responsabilité personnelle de l'administrateur, on ne peut intenter une action contre un administrateur plus de deux ans après sa démission, s'il a convenablement démissionné.

 

[20]    La jurisprudence établit clairement qu'un administrateur unique peut donner sa démission en remettant un avis écrit en ce sens à la société. Les lois provinciales régissant les sociétés peuvent par ailleurs prévoir d'autres exigences auxquelles un administrateur doit satisfaire pour que sa démission soit valable.

 

[21]    L'article 177 de la loi de Terre‑Neuve intitulée Corporations Act (Loi sur les sociétés), R.S.N.L. 1990, ch. C‑36, prévoit qu'un administrateur cesse d'occuper son poste lorsqu'il démissionne. L'article 178 de cette loi est ainsi libellé :

 

[TRADUCTION]

 

Démission d'un administrateur

 

178. La démission d'un administrateur prend effet à la date de l'envoi à la société d'un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

 

[22]    Lorsque des contribuables n'avaient pas rigoureusement satisfait aux exigences particulières applicables à la démission d'un administrateur en vertu des lois provinciales régissant les sociétés, les tribunaux ont jugé qu'ils étaient personnellement responsables au motif qu'ils n'avaient pas convenablement démissionné (Zwierschke c. M.R.N., no 89‑1633(IT), 22 novembre 1991 (C.C.I.), et Shepherd c. La Reine, no 2007‑3730(IT)I, 25 avril 2008 (C.C.I.)).

 

[23]    La Corporations Act de Terre‑Neuve ne comporte aucune disposition semblable à celles qui figurent dans la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. B.16, et qui ont été appliquées dans Zwierschke et Shepherd. L'appelant a témoigné qu'après avoir rédigé la lettre de démission, il l'avait conservée dans son dossier personnel. Les lois provinciales régissant les sociétés n'imposaient à l'appelant aucune obligation directe de déposer la lettre de démission au bureau provincial d'enregistrement des sociétés.

 

[24]    Dans l'affaire Hattem c. La Reine, 2008 CCI 32, le juge Lamarre‑Proulx a conclu qu'une démission était valable uniquement s'il était satisfait aux exigences de notification qui s'appliquent lors d'un changement d'administrateur. L'avocat de l'appelant s'est appuyé sur la décision rendue dans l'affaire Netupsky c. La Reine, no 2000‑4608(GST)G, 21 janvier 2002 (C.C.I.), et a fait valoir que les remarques faites dans le jugement Hattem étaient incidentes. L'avocat a soutenu qu'à la lumière du jugement Netupsky, la lettre de démission d'un administrateur ne sera pas invalide du seul fait qu'elle n'a pas été déposée auprès de l'organisme gouvernemental compétent. En particulier, cette obligation ne s'appliquerait pas en l'espèce compte tenu du libellé de l'article 178 de la Corporations Act de Terre‑Neuve.

 

[25]    Dans le jugement Hattem, qui a été rendu en vertu de la Loi sur les compagnies du Québec, L.R.Q., ch. C‑38, la Cour a décidé qu'un document n'était pas valide à l'égard des tiers s'il n'était pas déposé auprès du registraire des entreprises provincial.

 

[26]    La Corporations Act de Terre‑Neuve, qui est pertinente en l'espèce, comporte des dispositions similaires à celles figurant dans la Loi sur les compagnies du Québec. On peut lire les commentaires qui suivent aux paragraphes 31 et 32 du jugement Hattem :

 

31        Si un administrateur démissionne du conseil d'administration d'une société débitrice fiscale et veut que cette démission soit un acte juridique valide à l'égard du Ministre, selon la Loi sur les compagnies du Québec, cet administrateur doit informer le Ministre de sa démission lors des échanges de correspondance relatifs à la dette fiscale de la société et à ceux relatifs à la responsabilité des administrateurs. Je ne crois pas que les lois des autres provinces ainsi que la loi fédérale sur les compagnies soient différentes à cet égard.

 

32        Selon la preuve présentée, il semble que c'était Monsieur Hattem qui discutait avec les agents du Ministre, apparemment pour lui et l'appelante, de la dette de la société. Tel que déjà relaté, quand les agents lui ont mentionné qu'ils envisageaient une cotisation en vertu de l'article 323 de la Loi contre lui, il a fait valoir qu'il avait démissionné comme administrateur. Il leur a fait parvenir copie de la déclaration modificative produite le 19 février 2002 auprès du registraire des entreprises. Les agents ont accepté cet état des choses et l'en ont informé le 21 juillet 2005. Ils ont continué à l'égard de l'appelante. Il faut se souvenir que cette dernière avait signé une procuration à son avocat en date du 2 juin 2005 pour traiter des affaires de la société avec Revenu Québec. La cotisation contre elle est en date du 31 août 2005.

 

[27]    Selon le jugement Hattem, la démission de l'appelant ne serait pas valable puisqu'il a omis d'envoyer un avis au registraire des sociétés. En outre, l'appelant ne se rappelait pas avoir envoyé un tel avis. Bien qu'on ait trouvé une copie de la lettre dans le dossier d'entreprise d'une autre société, Rent‑Alls Ltd., cela ne fait que soulever de nouvelles questions quant à l'authenticité de cette lettre de démission.

 

[28]    Bien que l'envoi de cette lettre au registraire des sociétés puisse ne pas avoir été préjudiciable, ainsi que l'appelant l'a laissé entendre, je suis préoccupée par le fait que, même si elle a été trouvée dans un autre dossier d'entreprise, celui de Rent‑Alls Ltd., la lettre ne comportait pas de timbre d'enregistrement indiquant la date d'enregistrement et le numéro du document. On n'a en définitive produit aucun élément de preuve sur l'importante question de savoir comment la lettre a abouti dans le dossier d'entreprise d'une autre société appartenant à l'appelant.

 

[29]    Dans l'affaire Moll c. La Reine, 2008 CCI 234, le juge V. A. Miller a décidé que la démission de l'administrateur n'était pas valable pour des motifs liés à l'authenticité. Dans cette affaire, le contribuable avait uniquement présenté des photocopies, avait omis d'informer le ministre de sa démission jusqu'à ce que l'appel soit interjeté et avait continué à agir comme administrateur.

 

[30]    Compte tenu du fait qu'il incombe à l'appelant de présenter des éléments de preuve pour étayer l'authenticité de la lettre de démission, je dois conclure qu'il ne l'a pas fait et que, par conséquent, il n'a pas démissionné de son poste d'administrateur de CRL le 31 décembre 2000. Il y avait un certain nombre de contradictions entre la preuve présentée au cours des interrogatoires préalables et le souvenir que l'appelant avait des événements. Lors du contre‑interrogatoire, le témoignage de l'appelant contredisait des déclarations qu'il avait faites au cours de l'interrogatoire préalable en ce qui concerne l'endroit où la lettre de démission avait été rangée et la manière dont la lettre avait été trouvée. La question de savoir si la lettre avait réellement été rédigée le 31 décembre 2000 a également soulevé des doutes. L'appelant n'a jamais informé les tiers créanciers de sa démission et il n'en a avisé l'ARC qu'en août 2006, même si ses intérêts dictaient assurément qu'il valait mieux qu'il communique ce renseignement.

 

[31]    Même si j'avais conclu que l'appelant avait convenablement donné sa démission le 31 décembre 2000, je crois que, comme l'intimée l'a laissé entendre, il est demeuré administrateur de fait de CRL après cette date. Il n'a jamais informé les tiers créanciers ni l'ARC de sa démission. Il n'en a pas informé l'ARC au moment du dépôt, en 2004, de la proposition qui a précédé l'établissement de la cotisation et qui renfermait des questions habituelles telles que celle de savoir s'il avait continué à agir en tant qu'administrateur, pas plus qu'au cours des réunions tenues avec des représentants de l'ARC en 2005.

 

B.      L'appelant a‑t‑il, en tant qu'administrateur de CRL, agi avec la diligence nécessaire pour prévenir les manquements en matière de versement?

 

[32]    Même si j'ai déterminé qu'il était demeuré administrateur de CRL, l'appelant peut se soustraire à la responsabilité qui lui incombe par ailleurs s'il peut se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3). Pour y arriver, il doit démontrer qu'en tant qu'administrateur, il a agi avec la diligence nécessaire au moment où sa responsabilité était engagée ou qu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir l'omission de verser les retenues à la source qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

[33]    Le paragraphe 227.1(3) prévoit ce qui suit :

 

(3) Idem (restrictions relatives à la responsabilité) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

[34]    La question de savoir si l'appelant a établi la défense fondée sur la diligence raisonnable est une question de fait qui doit être tranchée à la lumière de la connaissance, des habiletés et de l'expérience de l'appelant, ainsi que des mesures concrètes qu'il a prises pour prévenir les manquements en matière de versement.

 

[35]    La norme de prudence qui est exigée d'un administrateur qui entend invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable a été établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper c. La Reine, [1998] 1 C.F. 124. Aux paragraphes 40 et 41, la Cour a qualifié la norme de prudence de norme objective subjective :

 

Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

 

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables ». Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective ».

 

[36]    Au paragraphe 44 de l'arrêt Soper, la Cour a cependant formulé l'observation qui suit au sujet de l'application de la norme objective subjective aux administrateurs internes :

 

[...] Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est‑à‑dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

 

[37]    D'après l'arrêt Soper, un administrateur doit également établir que les mesures qui ont été prises visaient à prévenir les manquements en matière de versement et non simplement, après coup, à remédier à un manquement déjà existant.

 

[38]    La Cour d'appel fédérale a ajouté, au paragraphe 23 des motifs du juge Létourneau dans l'arrêt R. c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173, le commentaire qui suit en ce qui concerne la norme de prudence établie dans l'arrêt Soper :

 

[23]      Il est vrai que notre Cour a déclaré dans Soper que « la norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple ». Il ressort toutefois clairement de la lecture de ce jugement que c'est l'application de la norme qui est souple, à cause des connaissances, des facteurs et des circonstances variés et différents qu'il faut apprécier pour déterminer si, dans une situation donnée, un administrateur s'est conformé à la norme de prudence prévue dans la Loi. Le paragraphe 227.1(3) n'établit qu'une seule norme applicable à tous les administrateurs, celle de savoir s'ils ont agi avec le degré de prudence, de diligence et d'habileté requis pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

[39]    Au paragraphe 70 de l'arrêt Procureur général du Canada c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203, la Cour d'appel fédérale a décrit ainsi la question qu'un tribunal doit se poser et à laquelle il doit répondre :

 

[70]      J'estime qu'il est essentiel de ne pas perdre de vue la question qui est au cœur du présent appel, savoir si les administrateurs en l'espèce ont exercé la diligence raisonnable requise pour prévenir le défaut de versement de la compagnie. Il ne s'agit pas nécessairement de la même chose que de se demander s'il était raisonnable de leur part, du point de vue commercial, de continuer à exploiter l'entreprise. Pour être en mesure d'invoquer le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3), il faut normalement qu'ils aient pris des mesures positives qui, si elles aboutissaient, auraient pu prévenir le défaut de versement. Il faut donc examiner si ce qu'ont fait ces administrateurs pour prévenir le défaut satisfait à la norme de soin, de diligence et d'habileté qu'aurait observée une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables.

 

[40]    Dans l'affaire Liddle c. La Reine, 2009 CCI 451, j'ai résumé, aux paragraphes 30 et 32, les mesures concrètes particulières qu'un administrateur pourrait prendre :

 

[30]      En général, les administrateurs doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour s'assurer que les retenues de la société et les autres montants exigibles relatifs aux taxes sont perçus, retenus et ensuite versés adéquatement. Ils devront démontrer qu'ils ont posé des actes précis pour prévenir cette omission. Selon les circonstances, diverses méthodes peuvent être appliquées pour arriver à cette fin, comme créer des comptes distincts pour les retenues à la source, faire en sorte que les administrateurs et les comptables, les agents financiers et les établissements de prêt de la société communiquent régulièrement entre eux et entretiennent des rapports réguliers ainsi que surveiller l'entreprise en obtenant une confirmation périodique que les versements sont effectués. Toutefois, même si la loi n'exige pas que l'une ou l'autre de ces méthodes soient utilisées, il n'en reste pas moins qu'elles peuvent amplement prévenir ce genre d'omission et permettre à l'administrateur de ne pas en être tenu responsable, car elles appuient sa prétention qu'il a agi avec la diligence qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercée.

 

[...]

 

[32]      Cet arrêt confirme que la norme de prudence relative au critère subjectif exige que la Cour examine les antécédents, les connaissances, les habiletés et l'expérience de l'administrateur pour déterminer s'il a agi avec diligence raisonnable. Le critère objectif applicable consiste donc à examiner les antécédents personnels de l'administrateur pour savoir s'il a agi raisonnablement.

 

Après avoir brièvement examiné l'arrêt Soper par rapport à la décision Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, j'ai tiré la conclusion suivante au paragraphe 35 du jugement Liddle :

 

[35]      Manifestement, le critère établi dans Soper a été appliqué par notre Cour depuis l'arrêt Peoples et approuvé par la Cour d'appel fédérale. Il semble que ce soit le critère qu'il convienne d'appliquer en l'espèce. [...]

 

[41]    Pour être en mesure de répondre à la question que la Cour a posée dans l'arrêt McKinnon, à savoir si l'appelant avait exercé la diligence raisonnable requise pour prévenir le défaut de versement de CRL, je dois examiner les actes posés par l'appelant avant que CRL ne manque à ses obligations en matière de versement. Comme je l'ai fait remarquer dans le jugement Liddle, l'obligation de l'administrateur de s'assurer que les versements sont effectués est plus exigeante lorsqu'une société éprouve des difficultés financières.

 

[42]    Jusqu'en 1996, CRL s'était pour l'essentiel acquittée de toutes ses obligations en matière de versement. Pendant près d'un quart de siècle, CRL a été une entreprise florissante partout à Terre‑Neuve et au Labrador. En raison des problèmes économiques que la province a connus, ainsi que de l'importante subvention que l'APECA a accordée à une société concurrente nouvellement constituée, CRL a commencé à éprouver des difficultés financières au début des années 1990. En 1994, CRL a présenté à ses créanciers, notamment l'ARC, une proposition concordataire que ceux‑ci ont jugée acceptable. Par la suite, CRL, exerçant ses activités dans un climat économique difficile, a eu à nouveau de la difficulté à s'acquitter de ses obligations de versement. Le 26 juin 1996, CRL a fait des arrangements avec l'ARC en vue du paiement de l'arriéré de retenues à la source s'élevant à environ 45 000 $; elle a ainsi remis à l'ARC six chèques postdatés. Le 25 juillet 1996, l'appelant a informé l'ARC que la situation de CRL en ce qui concerne les flux de trésorerie l'empêchait d'honorer les chèques remis conformément aux arrangements qui avaient été faits. L'appelant a alors proposé de faire d'autres arrangements informels, CRL s'engageant à payer la somme de 1 000 $ trois fois par mois. Jim Fitzgerald, agent de recouvrement à l'ARC, a accepté cette proposition. L'appelant a témoigné qu'il avait constamment été en contact avec l'ARC, en particulier avec M. Fitzgerald, tout au long de cette période. Il a également témoigné que, pour que CRL puisse honorer certains des chèques qu'elle avait faits, il avait adopté un stratagème lui permettant de s'assurer que les sommes que les clients versaient à CRL soient déposées dans le compte d'entreprise le même jour que celui où le chèque remis à l'ARC serait compensé. Cela permettait de s'assurer que la banque n'ait pas le temps d'empêcher le paiement des chèques remis à l'ARC. L'appelant a témoigné que, jusqu'à ce que la banque mette fin à cette pratique, il cherchait à savoir le temps qu'il allait faire et espérait du mauvais temps, ce qui aurait pour effet de retarder les avions qui transportaient les chèques à une chambre de compensation en Nouvelle‑Écosse, ce qui arrivait en fait souvent dans la province. Cela donnait à CRL un délai de grâce supplémentaire d'un jour pour s'assurer que les chèques remis à l'ARC seraient compensés. Steve Lawlor a confirmé l'existence de cette pratique ainsi que les diverses mesures prises par l'appelant pour faire en sorte que l'ARC soit payée. L'appelant a par ailleurs déclaré qu'il avait aidé l'ARC en proposant que l'on signifie une demande péremptoire à l'un des principaux débiteurs de CRL, probablement Hibernia. L'appelant avait en outre fait en sorte que CRL aide l'ARC à recouvrer directement l'argent que d'autres débiteurs devaient à la société.

 

[43]    L'appelant a témoigné que, parmi les efforts déployés pour accorder la priorité à l'ARC, CRL maintenait un compte distinct (no 106‑2017) pour les retenues à la source, compte qui a été fermé en décembre 2000. Généralement, les fonds étaient déposés dans le compte général de CRL et immédiatement transférés au compte utilisé pour les versements. D'après l'appelant, la banque permettait le transfert de fonds à ce compte uniquement si la société était à jour en ce qui a trait au remboursement du prêt.

 

[44]    En 1995, l'appelant a convaincu le gestionnaire des comptes de la Banque Royale de permettre à la société d'avoir un découvert, pour que celle‑ci puisse remettre les retenues à la source. Plus tard, en 1996, les vérificateurs de la banque ont mis fin à cette pratique et substitué un emprunt garanti au découvert bancaire. La banque a suggéré à CRL de demander des conseils à des comptables professionnels, ce que la société a fait par la suite. CRL n'a toutefois pas été en mesure de continuer à se prévaloir de tels services en raison des frais plus élevés qu'on exigeait d'elle.

 

[45]    Une lettre datée du 28 février 1997 que la Banque Royale a envoyée à CRL, à l'attention de l'appelant (onglet 10 de la pièce A‑1), étayait le témoignage de l'appelant selon lequel il avait tenté d'obtenir du financement supplémentaire pour refinancer CRL. Au cours de cette période, l'appelant a réussi à obtenir de la banque un prêt d'exploitation de 100 000 $.

 

[46]    L'appelant avait également envisagé d'endosser les chèques que les clients de CRL lui remettaient afin de les faire directement parvenir à l'ARC, mais, étant donné que la banque surveillait de près les créances de la société, l'appelant a estimé que la banque mettrait simplement fin à cette pratique si elle était appliquée.

 

[47]    Le 15 octobre 1997 (onglet 13 de la pièce A‑1), la banque a informé CRL qu'elle automatisait le système d'information comptable en ce qui a trait au découvert bancaire et au prêt en souffrance de CRL, ce qui signifiait que les chèques seraient honorés uniquement si le compte était suffisamment approvisionné ou s'il était possible d'emprunter du prêt d'exploitation. Ce changement n'avait pas été prévu et il a rendu plus ardue la tâche de la société de s'acquitter de ses obligations en matière de versement à l'ARC.

 

[48]    Au début de 1998, l'appelant a, pour le compte de CRL, demandé de nouveaux conseils professionnels à Craig Dobbin, maintenant décédé, un homme d'affaires réputé de Terre‑Neuve. Suivant les conseils de M. Dobbin, l'appelant a engagé des discussions avec la société Morgan Capital Limited au sujet d'une réorganisation de CRL, ainsi que d'une société associée, Campbell Development Limited. Bien qu'une lettre d'intention ait été signée le 16 mars 1998 (onglet 23 de la pièce A‑2), l'appelant n'a pas donné suite à ce projet en raison des frais exigés par Morgan Capital Limited pour mener à bien le projet.

 

[49]    Au cours de cette période, l'appelant a investi dans la société plus de 140 000 $ tirés de son épargne personnelle pour verser les sommes dues à l'ARC et rembourser les prêts; il a en outre tenté à plusieurs reprises d'obtenir du financement d'autres sources. L'appelant a également témoigné qu'il avait lui‑même décidé de ne pas toucher de salaire de CRL, là encore pour faire en sorte que la priorité soit accordée au versement des sommes dues à l'ARC. De fait, le nom de l'appelant ne figure sur aucune des feuilles de paie de la société de 1996 (onglet 7 de la pièce A‑1), de 1997 (onglet 15 de la pièce A‑1), de 1998 (onglet 17 de la pièce A‑1) et de 1999 (onglet 23 de la pièce A‑1).

 

[50]    L'appelant a témoigné qu'avant 1999, il n'avait jamais envisagé de liquider CRL, étant donné qu'il avait un plan d'affaires fondé sur les nombreuses années pendant lesquelles il avait exploité CRL avec succès. Ce plan, qui visait à limiter les dépenses, prévoyait notamment que toutes les succursales éloignées de CRL qui étaient disséminées aux quatre coins de la province seraient fusionnées et que l'exploitation de l'entreprise serait assurée par un bureau principal, à St. John's. L'appelant a expliqué que cela aiderait CRL à réduire les coûts, puisque certaines succursales seraient fermées et que le nombre d'employés serait réduit, tout en permettant à la société de continuer à louer du matériel industriel lourd à partir du bureau de St. John's.

 

[51]    L'appelant avait par ailleurs cherché à faire en sorte que les flux de trésorerie permettent à CRL de s'acquitter de ses obligations en matière de versement, en réduisant à nouveau les dépenses internes de la société. Il avait cessé de faire de la publicité, réduit les primes d'assurance en résiliant toutes les polices d'assurance, sauf la police d'assurance responsabilité civile, et acheté des camions à la fin des périodes de location au lieu de suivre la pratique consistant à louer de nouveaux véhicules. Il avait davantage coupé dans les dépenses, toujours pour que CRL puisse s'acquitter de ses obligations en matière de versement, en ne payant pas la taxe d'affaires municipale ni la taxe d'eau pendant un certain temps, jusqu'à ce que l'alimentation en eau soit coupée.

 

[52]    Stephen Lawlor, qui a été directeur financier de CRL jusqu'à son départ en 1999, a corroboré dans une large mesure le témoignage de l'appelant, ainsi que le fait qu'on accordait une grande importance au versement des retenues à la source à l'ARC. Monsieur Lawlor était responsable de ces versements. En 1996, lorsque les problèmes de flux de trésorerie ont surgi, il a immédiatement consulté l'appelant. Il a indiqué que la question des versements et des paiements bancaires était un sujet de discussion constant. Il se rappelait que, lorsque la société disposait de fonds, ceux‑ci étaient affectés au paiement de l'arriéré de retenues à la source. Il a en outre déclaré que l'appelant avait lui-même régulièrement communiqué avec la banque et avec les représentants de l'ARC en ce qui concerne le respect de ces obligations, et il se rappelait que l'appelant avait injecté ses propres fonds dans la société. Lorsqu'on lui a demandé, au cours de l'interrogatoire principal, si on avait accordé une quelconque priorité à l'ARC en ce qui a trait aux paiements dus, voici ce qu'il a répondu :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Eh bien, nous avons toujours accordé la priorité à l'ARC, lorsque nous avions l'argent. Nous lui avons assurément accordé la priorité, de même qu'à la banque.

 

(Transcription, page 175)

 

[53]    À la page 179 de la transcription, M. Lawlor a fourni les explications supplémentaires suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

R.         Bill, c'est‑à‑dire M. Campbell, a en fait essayé de faire tout ce qu'il pouvait à ce moment-là. Emprunter de l'argent, injecter de l'argent dans la société, c'était une lutte constante. Pour aider à rembourser la dette, il fallait parfois faire des choses telles que vendre de l'équipement que nous ne pouvions pas vraiment nous permettre de vendre.

 

[...]

 

R.         C'est une observation d'ordre général : nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir à l'époque pour faire en sorte que l'Agence du revenu du Canada soit payée.

 

[54]    Monsieur Lawlor a témoigné que, lorsqu'il avait quitté CRL en 1999, juste avant que celle-ci ne ferme ses portes, tous les rapports de la société, y compris le T4 sommaire et le T4A sommaire, avaient été remplis et mis à jour (onglet 27 de la pièce A‑1).

 

[55]    L'importance que l'appelant accordait aux obligations en matière de versement des retenues de 1996 à 1999 est devenue encore plus claire lors du bref échange suivant qui a eu lieu au cours du contre-interrogatoire de M. Lawlor :

 

[TRADUCTION]

 

Q.        Oui, Madame le juge. Une seule question, Madame le juge. Vous mentionnez bel et bien que M. Campbell a fait des pieds et des mains pour payer l'ARC et que c'était là une des principales priorités?

 

R.         Oui, c'était bien une des priorités.

 

Q.        Vous avez mentionné que l'autre principale priorité concernait la banque?

 

R.         Oui.

 

Q.        C'est-à-dire rembourser la dette envers la Banque Royale?

 

R.         Oui, c'est exact.

 

Q.        Au quotidien, ces deux priorités étaient-elles à peu près équivalentes?

 

R.         Vous voulez dire lorsque nous en discutions, ou qu'est‑ce que vous —

 

Q.        En ce qui concerne l'affectation des biens, l'affectation des sommes disponibles pour rembourser les dettes.

 

R.         Je me rappelle que je faisais essentiellement affaire avec la banque, tout comme Bill, qui tentait d'accroître notre marge de crédit en vue de rembourser la dette envers l'ARC. Je me souviens de cela. Si vous me demandez si les deux se valaient l'un et l'autre, ou si la même priorité leur était accordée, je vous dirais que, selon moi, la principale priorité était l'ARC, mais, bien entendu, si les gens de la banque ne pouvaient nous aider, cela créait évidemment un problème lorsqu'il était question de rembourser la dette.

 

(Transcription, pages 180 et 181)

 

[56]    Monsieur Lawlor était un témoin à la fois honnête et crédible. Il a cessé de travailler pour CRL il y a plus d'une décennie, et il n'a aucun intérêt personnel en ce qui a trait à l'issue du présent appel. J'accorde un poids considérable à son témoignage, notamment lorsqu'il a été question de la participation et de l'engagement personnels de l'appelant, qui voulait s'assurer que la priorité absolue soit accordée au versement des sommes dues à l'ARC.

 

[57]    La position de l'intimée était que CRL aurait dû être dissoute avant que l'appelant ne décide enfin, au début de 1999, de fermer boutique. Cependant, aucun élément de preuve ne donne à penser que les représentants de l'ARC ne l'aient demandé ou suggéré à l'appelant au cours des années pendant lesquelles il avait continué, pour le compte de CRL, à avoir des discussions régulières et fréquentes avec ces représentants, en particulier l'agent Jim Fitzgerald. Il semble que, tout au long de cette période et à la lumière des nombreux actes posés par l'appelant, l'ARC ait tacitement acquiescé à ces actes. Les analyses a posteriori sont toujours remarquablement exactes, mais je dois me limiter aux faits tels qu'ils se sont déroulés pendant cette période. Je crois que l'acceptation et l'apparente approbation, par l'ARC, des nombreux actes posés et des nombreuses mesures prises par l'appelant étayent le fait que l'ARC estimait que ce dernier agissait comme une personne raisonnablement prudente l'aurait fait dans des circonstances comparables.

 

[58]    Je conclus, compte tenu des faits de l'espèce, que l'appelant a agi comme l'aurait fait une personne prudente et raisonnable dans des circonstances comparables. Au paragraphe 30 de l'arrêt McKinnon, la Cour a répété qu'un administrateur qui cherche à prouver qu'il a agi avec la diligence nécessaire est normalement tenu de prendre certaines mesures concrètes :

 

[...] dès que l'administrateur sait ou devrait savoir que la compagnie ne peut pas faire les versements en souffrance, il doit prendre des mesures concrètes pour prévenir le défaut, par exemple en essayant d'obtenir un accroissement de la marge de crédit ou de parvenir à un arrangement avec la banque pour être en mesure de verser les sommes dues. Des administrateurs ont aussi porté le problème à l'attention de Revenu Canada et essayé de régler les sommes dues en plusieurs versements.

 

(Non souligné dans l'original.)

 

L'appelant a pris toutes les mesures énumérées au paragraphe 28 de l'arrêt McKinnon, mais il a également pris plusieurs autres mesures pour s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations en matière de versement.

 

[59]    Dans la Circulaire d'information IC89‑2R, Responsabilité des administrateurs, l'ARC indique certaines des mesures concrètes qu'un administrateur peut prendre pour prévenir le défaut de versement, notamment : maintenir un compte pour les sommes déduites et les versements, demander régulièrement aux agents financiers de la société de présenter des rapports sur l'état des comptes, obtenir régulièrement la confirmation que les versements ont été faits et chercher à faire augmenter la marge de crédit si la société fait face à des difficultés financières. Là encore, l'appelant a pris la plupart de ces mesures, voire toutes ces mesures, pour s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations en matière de versement.

 

[60]    Il ne faut pas oublier que l'appelant est uniquement tenu de respecter la norme de la personne raisonnablement prudente. Par conséquent, il suffit que les mesures concrètes prises par l'appelant aient été raisonnables; il n'est pas nécessaire qu'elles aient été des solutions infaillibles. Comme l'expliquait le juge Sharlow au paragraphe 32 du jugement Smith c. La Reine, 2001 CAF 84 :

 

[...] La seule obligation d'un administrateur est celle d'agir raisonnablement dans les circonstances. Le fait que ses efforts n'ont pas donné de résultats ne vient pas démontrer qu'il n'a pas agi de façon raisonnable.

 

[61]    Je conclus que l'appelant peut se prévaloir du moyen de défense de la diligence raisonnable prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi. Tout au long de la période en cause, il a lui‑même directement tenté de voir à ce que CRL verse les retenues. Bien que l'appelant ait témoigné plusieurs années après les événements sans pouvoir appuyer ses dires sur les registres de la société, lesquels avaient été jetés au rebut plusieurs années auparavant sans qu'il ait commis de faute à cet égard, son témoignage a été dans une large mesure corroboré par Stephen Lawlor. Le fait que plusieurs des mesures qu'il a prises pour réduire les coûts et ainsi permettre à CRL de s'acquitter de ses obligations n'aient été que partiellement fructueuses ou qu'elles aient été infructueuses ne signifie pas que ce ne sont pas des mesures qu'une personne raisonnablement prudente aurait prises dans des circonstances comparables.

 

[62]    Pour ces motifs, l'appel est accueilli avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2010.

 

 

« Diane Campbell »

Le juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mai 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 100

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3715(IT)G

 

INTITULÉ :                                       William Campbell et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   St. John's (Terre‑Neuve)

 

DATES DE L'AUDIENCE :               Les 14 et 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 février 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Bruce S. Russell

Avocat de l'intimée :

Me Stan W. McDonald

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           Bruce S. Russell

 

                   Cabinet :      McInnes Cooper

                                       Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

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