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Dossier : 2005-1126(IT)G

ENTRE :

CLOVERDALE PAINT INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

_______________________________________________________________

Appel entendu les 23 et 24 octobre 2006 et jugement rendu à l’audience le 25 octobre 2006, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Marjorie E. Brown et

Brian J. Wallace

Avocat de l’intimée :

Me Raj Grewal

                                                         

_______________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est admis et la cotisation est renvoyée au Ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l’appelante a le droit de déduire une provision de 4 316 900 $ au titre d’une créance douteuse.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2007.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


 

 

 

Dossier : 2005-1126(IT)G

ENTRE :

CLOVERDALE PAINT INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

_______________________________________________________________

Appel entendu les 23 et 24 octobre 2006 et jugement rendu à l’audience le 25 octobre 2006, à Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Devant : L’honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Marjorie E. Brown et

Brian J. Wallace

Avocat de l’intimée :

Me Raj Grewal

                                                         

_______________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2001 est admis et la cotisation est renvoyée au Ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l’appelante a le droit de déduire une provision de 4 316 900 $ au titre d’une créance douteuse.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2007.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juillet 2008.

 

 

Christian Laroche, LL.B.

juriste‑traducteu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

Référence : 2006CCI628

Date : 20070323

Dossier : 2005-1126(IT)G

 

ENTRE :

CLOVERDALE PAINT INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Avocats de l’appelante : Mes Marjorie E. Brown et Brian J. Wallace

Avocat de l’intimée : Me Raj Grewal

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

(Rendus oralement à l’audience

le 25 octobre 2006 à Vancouver (Colombie‑Britannique).)

 

 

Le juge McArthur

 

[1]     La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national à l’égard de la société Cloverdale Paint Inc. pour l’année d’imposition 2001. Le litige porte sur la question de savoir si l’appelante avait le droit de déduire une provision de 4 316 900 $ au titre d’une créance douteuse pour l’année 2001. L’appelante soutient qu’elle a rempli les exigences énoncées au sous‑alinéa 20(1)l)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et qu’à la fin de 2001 elle ne pouvait recouvrer la créance qu’elle avait sur sa filiale, laquelle correspond à la provision déduite. De plus, elle allègue que le montant de la provision était raisonnable eu égard aux circonstances.

 

[2]     L’avocat de l’intimée a affirmé que l’appelante n’avait pas le droit de déduire une provision puisqu’elle n’avait pas établi que la créance était devenue douteuse au cours de l’année 2001 et, subsidiairement, que les hypothèses qu’avait faites l’appelante en calculant le montant de la créance douteuse ne pouvaient pas justifier la déduction.

 

[3]     La disposition législative la plus pertinente en l’espèce est le sous‑alinéa 20(1)l)(i), qui est rédigé, en partie, ainsi :

 

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

a)         […]

 

l)          la provision égale au total des montants suivants:

 

(i)         un montant raisonnable au titre de créances douteuses incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

(ii)        […]

 

[4]     L’appelante exploite une entreprise de fabrication et de vente de peinture et de produits connexes dans l’Ouest du Canada, laquelle compte environ 50 magasins de détail et, en 2001, elle a affiché un chiffre d’affaires brut de plus de 80 millions de dollars. En revanche, la même année, les ventes réalisées par sa filiale dans six ou sept points de vente ont généré des recettes brutes de 6 à 7 millions de dollars.

 

[5]     En 1994, l’appelante est entrée sur le marché de la vente de peinture des États‑Unis par le truchement d’une filiale à cent pour cent, Cloverdale Paint Corporation (ci‑après « CPC »). Avant d’ouvrir ses propres magasins dans les États de Washington et de l’Oregon, l’appelante a tenté en vain, en 1993, d’acheter des détaillants existants. De 1994 à la fin de l’année 2001, elle a vendu à CPC de la peinture, pour laquelle cette dernière a fait des paiements partiels, de telle sorte que le solde impayé dû à l’appelante à la fin de l’année 2001 était de 6 517 508 $[1].

 

[6]     Pour le compte de l’appelante, deux membres de son conseil d’administration ont témoigné, à savoir Charles Alan Mordy et Robert Mair, de même que l’administrateur des finances interne de l’appelante, Paul Schmidt, CA, et Andrew Clark, un comptable agréé externe de PriceWaterhouseCooper. L’appelante est une société privée appartenant à la famille Vogel. L’intimée n’a cité aucun témoin.

 

[7]     Le premier témoin de l’appelante, M. Mordy, avait travaillé pour le compte de l’appelante à des postes de haute direction depuis, je crois, 1976. Il a témoigné que le conseil d’administration n’était pas indifférent aux pertes continues de CPC, dont il était discuté aux réunions du conseil d’administration trois à cinq fois par année. En 2001, des efforts ont été déployés sans succès pour que soit trouvé un acheteur ou un partenaire de fusion pour CPC. Au centre des préoccupations en 2001 étaient la baisse des affaires accusée dans le domaine de la haute technologie dans la région de Seattle ainsi que l’effet d’une douche froide qu’avaient eu sur l’économie les attentats du 11 septembre. Comme CPC avait atteint le seuil de rentabilité en 2000, celle‑ci a d’abord envisagé une expansion en 2001, mais elle s’est ensuite ravisée plus tard au cours de l’année étant donné qu’une perte considérable était évidente.

 

[8]     Le conseil d’administration de l’appelante a choisi de continuer à financer CPC puisque, dans le cas contraire, la fermeture ou la faillite de cette dernière aurait été nécessaire. M. Mordy a ajouté qu’il s’agissait de la démarche adoptée avec succès auprès de certains débiteurs avec qui l’appelante n’avait aucun lien de dépendance, par exemple Doman, dans lequel cas le montant concerné, d’environ 100 000 $, était sensiblement inférieur à celui en cause. Par nécessité et en raison de considérations pratiques, il n’a pas été tenu compte du délai de paiement de 30 jours et des intérêts de 1½ % par mois courus après cette échéance, qui étaient précisés sur les factures établies pour CPC.

 

[9]     L’avocat de l’intimée a signalé que les procès‑verbaux des réunions des administrateurs de l’appelante tenues en 2001 ne traitaient pas de la baisse des affaires enregistrée dans le domaine de la haute technologie ni des attentats du 11 septembre, et qu’ils ne faisaient pas mention de l’endettement de CPC. Les deux administrateurs, MM. Mordy et Mair, ont affirmé sans réserve que c’était faux puisque, bien que ces questions n’aient pas été incluses dans les procès‑verbaux, il en avait certainement été discuté. J’ajoute foi aux dépositions des quatre témoins tout en gardant à l’esprit que, comme pour la plupart des témoins, ils se remémoraient des événements qui étaient survenus plusieurs années auparavant et que leurs témoignages ont probablement été présentés à la lumière des intérêts actuels de l’appelante.

 

[10]    Le tableau suivant présenté dans la pièce A‑1, à l’onglet 27, est une liste des créances se rapportant à la vente de stock à CPC par l’appelante pendant la période allant de la fin décembre 1993 à la fin décembre 2001 :

 

 

Date

Créances

Objet : Stock

 

Paiement

Solde à la fin de l’année

Solde cumulatif

 

1er mars au 31 déc. 1993

     21 931,74

     11 964,98

       9 966,76

              0

1er jan. au 31 déc. 1994

   238 917,52

              0

   238 917,52

   248 884,28

1er jan. au 31 déc. 1995

1 158 564,42

              0

   115 856,42

1 407 448,48

1er jan. au 31 déc. 1996

2 012 414,14

   269 954,49

1 742 459,65

3 149 908,13

1er jan. au 31 déc. 1997

2 722 806,18

1 104 466,51

1 618 339,67

  4 76 824,78

1er jan. au 31 déc. 1998

2 858 650,32

2 120 885,09

   737 765,23

5 506 013,03

1er jan. au 31 déc. 1999

3 623 881,82

3 541 737,73

     82 144,09

5 588 157,12

1er jan. au 31 déc. 2000

3 833 138,03

3 761 776,77

     71 361,26[2]

5 659 518,38

1er jan. au 31 déc. 2001

3 678 441,16

2 990 452,00

   687 989,16

6 347 507,54[3]

Rajustement convenu au solde cumulatif

170 000,00

 

 

6 517 508,54

 

[11]    Les services d’audit de PriceWaterhouseCooper et, plus précisément, de M. Clark ont été retenus vers le milieu de l’année 2001. L’endettement de CPC a évidemment capté son attention. Lui et M. Schmidt[4] ont établi une analyse (pièce A‑1, onglet 26) et ils ont recommandé la déduction de la provision prévue à l’alinéa 20(1)l), laquelle fait l’objet du présent appel. M. Schmidt a affirmé que, malgré l’optimisme qu’il avait manifesté par le passé, il avait conclu avec M. Clark que, à la fin de l’année 2001, la créance était du moins douteuse et qu’elle devait être reconnue ainsi dans les états financiers établis pour cette année‑là. Les pertes s’étaient accumulées depuis 1994. CPC avait de tels antécédents de pertes qu’il y avait peu d’espoir qu’elle puisse rembourser l’appelante et que CPC ne pouvait pas continuer à exercer ses activités sans financement substantiel de l’appelante. Après un examen attentif réalisé par les deux comptables agréés, la méthode de liquidation servant à évaluer l’actif de CPC a été adoptée, et il a été convenu que la créance douteuse de 4 316 900 $ était raisonnable. Il y avait une divergence d’opinion concernant la méthodologie, mais pas quant au montant. CPC avait payé à l’appelante jusqu’à trois millions de dollars au cours de certaines années pour du stock qui lui avait été vendu par l’appelante, mais il y avait un déficit annuel substantiel, qui totalisait plus de six millions de dollars à la fin de l’année 2001.

 

[12]    Après délibération, en particulier entre les comptables agréés, il a été déterminé que la méthode de liquidation était la mieux adaptée pour le calcul de la provision. L’intimée nie que cette méthode fût appropriée, mais elle n’a proposé aucune méthode de remplacement, affirmant que c’était sur l’appelante que reposait le fardeau de la preuve. Je conclus que celle‑ci s’est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait au moyen des témoignages de MM. Schmidt et Clark et que le fardeau est alors passé à l’intimée d’expliquer, preuve à l’appui, pourquoi la méthode de liquidation n’était pas acceptable ainsi que d’avancer une méthode de rechange. L’intimée ne s’est pas déchargée de ce fardeau.

 

[13]    Comme je l’ai mentionné précédemment, la direction de l’appelante et PriceWaterhouseCooper ne s’entendaient pas sur la méthode à employer pour l’évaluation de l’actif de CPC, mais elles sont toutes deux arrivées au même montant, ou, du moins, à environ le même montant de 2 180 000 $US, indiqué dans la pièce A‑1, à l’onglet 26, qui présente ces calculs. Il est acquis aux débats qu’à la fin de l’année 2001 le solde impayé dû à l’appelante s’élevait à 6 517 508 $. Je suis d’accord avec celle‑ci pour évaluer à 2 180 000 $US l’actif de CPC. Le montant de la provision au titre d’une créance douteuse qu’a déduit l’appelante représente la différence entre la valeur de l’actif net de CPC et le solde impayé dû à l’appelante, lequel écart s’élève à 4 324 898 $. Ce montant représente le manque à gagner calculé qui résulterait le 31 décembre 2001 si CPC liquidait son actif et payait à l’appelante une portion de sa créance. L’intimée n’a présenté aucune preuve contraire. L’alinéa 20(1)l) permet la déduction de montants raisonnables au titre de créances douteuses.

 

[14]    Je suis convaincu que 4 316 900 $ constitue un montant raisonnable eu égard à toutes les circonstances. La question qu’il faut se poser est de savoir s’il s’agit d’une créance douteuse au sens de la Loi. Les deux parties à l’instance ont signalé à l’attention de la Cour l’arrêt The Queen v. Coppley Noyes & Randall Limited[5], qui énonce les facteurs qui doivent être pris en considération dans l’établissement d’une créance douteuse : l’élément chronologique, les antécédents du compte, la situation financière du client et la conjoncture générale dans laquelle se trouve la localité où le débiteur réside ou exerce ses activités commerciales, de même que la situation économique générale. En bref, après l’application de ces facteurs aux faits de la présente affaire, j’arrive aux conclusions suivantes : a) la créance avait augmenté chaque année[6] sur une période de sept ans, b) la cliente, CPC, était évidemment incapable de payer plus de quatre millions de dollars et c) la débitrice exerçait ses activités dans le Nord‑Ouest des É.‑U., où la conjoncture était très mauvaise.

 

[15]    L’appelante a également déduit une provision pour les années 2002 et 2003. Pour l’année 2004, le montant global de la provision a été inclus dans le calcul du revenu de l’appelante après que CPC a fusionné, cette année‑là, avec une société concurrente beaucoup plus importante qu’elle, Rodda Paint Company, qui exerçait ses activités dans le Pacific Northwest. Avant la fusion, CPC vendait de la peinture et des produits connexes par l’entremise de six succursales dans l’État de Washington. Après la transaction, les activités de la société consistaient notamment dans la fabrication et la vente d’une gamme complète de produits de peinture. Si l’appelante avait tenté de recouvrer la créance en cause ou si elle avait cessé le financement de CPC, celle‑ci aurait été obligée de fermer ses six magasins.

 

[16]    L’intimée s’est fondée sur le fait que l’appelante et CPC avaient entre elles un lien de dépendance, ce qui était considéré, je crois, comme étant l’argument le plus solide de l’intimée. L’absence de lien de dépendance n’est pas une nécessité, bien que la transaction avec lien de dépendance doive être examinée attentivement. On se reportera à l’arrêt Rich v. The Queen[7]. Je n’ai aucun doute que CPC était insolvable. L’appelante était partagée sur la question de la poursuite du financement de celle‑ci. M. Mair, un administrateur de l’appelante, souhaitait que cesse le financement. Il estimait que les antécédents de CPC étaient si mauvais qu’il n’y avait aucun espoir de recouvrement après six ou sept années de pertes, bien que, comme il a été mentionné, elle ait réalisé des bénéfices de 9 000 $ en 2000. Cependant, en 2001, elle a subi des pertes de plus de 600 000 $.

 

[17]    Les procès‑verbaux des réunions des administrateurs de l’appelante tenues en 2001 ne reflétaient pas la discussion au sujet des pertes énormes de CPC et des ralentissements économiques. C’est un peu un mystère, mais je n’ai aucun doute qu’il a en été discuté comme une priorité. Pour que je puisse parvenir à une conclusion différente, il me faudrait faire abstraction des témoignages des deux administrateurs dignes de confiance qui ont comparu. Lorsque M. Clark a pour la première fois pris connaissance de la dette considérable de CPC en 2001 et de ses antécédents, il a recommandé à la direction de l’appelante de se prévaloir de la provision pour créances douteuses. Il s’agissait d’une pratique comptable sensée. Il est évident pour l’observateur le moins au fait de la situation que, vu que le montant des factures non payées s’élevait à plus de six millions de dollars et qu’il continuait de croître, sans qu’on puisse en voir la fin, il fallait faire quelque chose.

 

[18]    Les quatre témoins de l’appelante m’ont semblé être des hommes intègres, qui n’avaient pas pris la décision de déduire une provision à la légère. MM. Mordy et Schmidt jouaient un rôle actif dans l’administration de la société. M. Mair était un administrateur externe[8], qui avait une expérience impressionnante à titre d’administrateur de grandes sociétés, et M. Clark est un comptable externe compétent travaillant au sein d’un grand cabinet comptable. En tant que personne étrangère à l’entreprise, il a adopté un point de vue objectif et, conjointement avec M. Schmidt, il a effectué de façon objective et professionnelle la demande de déduction de l’appelante. Pour trancher la question de savoir s’il existait des créances douteuses en l’espèce, la Cour ne doit tenir compte que des renseignements connus avant le 31 décembre 2001.

 

[19]    Je ne vois pas la nécessité de traiter de la nomenclature employée dans les états financiers, ni du fait que M. Schmidt a caractérisé le compte de CPC comme un compte à long terme. Ce qui prime, c’est la situation réelle. L’appelante finançait depuis sept ans une entreprise non rentable. La dette en cause résulte de la vente de stock par l’appelante à CPC. Les ventes portant sur ce stock étaient assujetties aux mêmes conditions que les ventes aux clients de l’appelante, et la dette était une créance client. Bien que je ne croie pas une minute que l’appelante aurait contracté une créance de six millions de dollars auprès d’un client avec lequel elle n’avait aucun lien de dépendance, ce fait ne change pas la véritable nature de la créance.

 

[20]    Les exigences énoncées à l’alinéa 20(1)l) sont les suivantes : a) la créance doit être due au contribuable à la fin de l’année; b) elle doit avoir été incluse ou être considérée comme ayant été incluse dans le revenu du contribuable pour l’année d’imposition ou pour une année d’imposition antérieure; c) le recouvrement de la créance doit être douteux à la fin de l’année d’imposition; d) le montant de la provision doit être raisonnable. Il a été reconnu que les conditions a) et b) avaient été remplies, et, quant à la condition d), j’ai tenu pour avéré que la provision en cause était raisonnable. J’examinerai plus à fond la condition c).

 

[21]    Dans la décision Highfield Corporation Ltd. v. M.N.R.[9], la Commission de révision de l’impôt a affirmé qu’il ne pouvait y avoir aucun espoir raisonnable de recouvrer une créance irrécouvrable, mais que le recouvrement d’une créance douteuse, bien qu’il soit possible, n’est pas assez certain pour justifier que le contribuable paie, à ce moment‑là, de l’impôt à l’égard de cette créance. J’estime que l’appelante a fait tout son possible jusqu’au moment où elle a déduit sa provision. Elle était bien établie et connaissait beaucoup de succès dans l’Ouest du Canada. Elle a envisagé une expansion aux É.‑U. dans la région la plus proche de ses locaux commerciaux situés aux Canada. L’appelante a tenté d’acheter un point de vente de peinture situé dans le Nord‑Ouest des É.‑U., mais sans succès. Elle a fondé sa filiale à partir de zéro en 1994, se rendant compte, j’en suis sûr, que celle‑ci aurait des années difficiles devant elle. L’appelante a vendu du stock de peinture à CPC et a reçu des paiements partiels pendant sept ans, à l’exception de l’année 2000. Elle facturait sa filiale comme elle le faisait pour ses clients avec lesquels elle n’avait aucun lien de dépendance. L’appelante a tenu des registres de façon méticuleuse. À la fin de l’année 2001, comme il y avait une dette de six millions de dollars et que celle‑ci ne cessait d’augmenter, l’appelante a décidé que cela ne pouvait plus continuer. La décision de déduire une provision n’a pas été prise à la légère, et je ne sais pas ce que l’appelante aurait pu faire de plus. La stratégie qu’elle a adoptée quelque peu à contrecœur, consistant à poursuivre le financement en 2002 et en 2003, s’est avérée être la bonne. Elle a pu inclure le montant global de la provision dans son revenu après la fusion réalisée en 2004. En décembre 2001, à titre de créancière, l’appelante a décidé honnêtement et pour des motifs raisonnables que la créance était douteuse. Elle n’a pas tenu compte des intérêts et des dates d’échéance indiqués sur ses factures. Il s’agissait d’une décision pratique puisque CPC ne pouvait pas payer les intérêts ni respecter les délais de paiement. Le fait d’exiger le paiement aurait entrainé la fermeture de la débitrice et sa liquidation.

 

[22]    Comme je l’ai dit précédemment, l’argument de l’intimée est fondé sur le fait que l’appelante et CPC avaient entre elles un lien de dépendance. Dans l’arrêt Rich, le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, a affirmé que :

 

Il peut être utile également dans certains cas de savoir si la relation entre le créancier et le débiteur est ou non une relation de dépendance. Toutefois, la considération première sera l’aptitude du débiteur à rembourser la dette en totalité ou en partie. Une relation de dépendance pourra justifier un examen plus attentif qu’une relation sans lien de dépendance. Mais l’existence d’une relation de dépendance ne permet pas à elle seule, sans plus, d’affirmer que le créancier n’a pas décidé honnêtement et avec raison que la créance était irrécouvrable.

 

Le juge Décary a souscrit à ce raisonnement, mais le juge Evans était dissident. Dans l’affaire Rich, le contribuable a déduit une perte admissible au titre d’un placement d’entreprise et a sollicité une décision établissant qu’il avait une créance irrécouvrable sur son fils. En l’espèce, l’intimée a porté à l’attention de la Cour le commentaire dissident suivant, formulé par le juge Evans dans l’arrêt Rich :

 

Il est admirable que des parents aident leurs enfants à s’établir dans une profession. Cependant, lorsque des parents demandent à d’autres contribuables de les aider à maintenir hors de l’eau l’entreprise défaillante de leur progéniture, et cela en déduisant de leurs propres revenus une partie d’un prêt qu’ils ont classé comme créance irrécouvrable, ils peuvent compter que l’administration fiscale et les tribunaux voudront examiner avec soin la déduction demandée.

 

Le commentaire précité ne s’applique pas à la présente affaire, dans laquelle il n’est pas question d’un père qui aide son fils, mais plutôt d’une société canadienne prospère qui a fait un effort déterminé pour étendre ses activités aux É.‑U.

 

[23]    Pour que le présent appel puisse être rejeté, il faudrait qu’il soit établi que l’alinéa 20(1)l) ne s’applique pas à une transaction avec lien de dépendance. Manifestement, ce n’est pas le cas.

 

[24]    Pour ces motifs, l’appelante a le droit de déduire une provision de 4 316 900 $ au titre d’une créance douteuse pour l’année d’imposition 2001. L’appel est accueilli avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2007.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2008.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


 

 

RÉFÉRENCE :                                            2006CCI628

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :               2005-1126(IT)G

 

INTITULÉ :                                                 Cloverdale Paint Inc.

                                                                   c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                        Les 23 et 24 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS :      L’honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :             Le 23 mars 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Mes Marjorie E. Brown et Brian J. Wallace

Avocat de l’intimée :

Me Raj Grewal

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Noms :                    Mes Marjorie E. Brown et Brian J. Wallace

 

                          Cabinet :                  Lawson Lundell LLP

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Il s’agit d’un montant modifié non contesté remplaçant le montant de 6 347 508 $ indiqué dans les actes de procédure et dans la pièce A‑1, à l’onglet 27.

[2]           L’année finissant le 31 décembre 2000 affiche un déficit de 71 361,26 $. Pourtant, il y a des éléments de preuve indiquant que CPC aurait réalisé des bénéfices de 9 000 $ en 2000. Cette discordance relativement mineure est sans conséquence.

 

[3]           Bien que j’aie accepté le montant modifié de 6 468 489 $ comme étant celui de la créance que devait rembourser CPC à la fin de l’année 2001, il ne correspond pas aux calculs initiaux qui donnent un montant de 6 347 507 $.

[4]           Un comptable agréé employé par l’appelante.

[5]           93 DTC 5508.

 

[6]           À l’exception peut‑être de l’année 2000.

[7]           2003 DTC 5115.

[8]           Comme l’a défini le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Soper v. The Queen, 97 DTC 5407, aux pages 5416 et suivantes.

[9]           82 DTC 1835.

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