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Dossier : 2006-895(EI)

ENTRE :

 

SERGIO CHAVEZ, ROBIN WENTZEL

s/n HABITAT ENVIROSCAPING & PROPERTY MAINTENANCE,

 

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 9 janvier 2007, à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable Lucie Lamarre

 

Comparutions :

Avocat des appelants :

Me Robert McMechan

Avocat de l’intimé :

Me Andrew Miller

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel interjeté en application du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») est accueilli, sans dépens, et la décision du ministre du Revenu national datée du 12 décembre 2005 est modifiée relativement aux 12 travailleurs – Steve Boushey, Remy Clouthier, Carol Clouthier, Gaston Leal, Ramsay Nasrallah, Marc Parenteau, Mario Rivera, Raphael Chavez, Martin Fortier, Tyson Gore, Christopher Levere et Juan Ponce – compte tenu du fait que, pour la période du 1er janvier 2002 au 30 juin 2004, aucun d’entre eux n’exerçait un emploi pour les appelants aux termes d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de février 2007.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juillet 2007

Claude Leclerc, trad. a., LL.L


 

 

 

Dossier : 2006-896(CPP)

ENTRE :

 

SERGIO CHAVEZ, ROBIN WENTZEL

s/n HABITAT ENVIROSCAPING & PROPERTY MAINTENANCE,

 

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 9 janvier 2007, à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable Lucie Lamarre

 

Comparutions :

Avocat des appelants :

Me Robert McMechan

Avocat de l’intimé :

Me Andrew Miller

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel interjeté en application du paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada (le « Régime ») est accueilli et la décision du ministre du Revenu national datée du 12 décembre 2005 est modifiée relativement aux 12 travailleurs – Steve Boushey, Remy Clouthier, Carol Cloutier, Gaston Leal, Ramsay Nasrallah, Marc Parenteau, Mario Rivera, Raphael Chavez, Martin Fortier, Tyson Gore, Christopher Levere et Juan Ponce – compte tenu du fait que, pour la période du 1er janvier 2002 au 30 juin 2004, aucun d’entre eux n’exerçait un emploi ouvrant doit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de février 2007.

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juillet 2007

 

Claude Leclerc, trad. a., LL.L


 

 

 

Référence : 2007CCI23

Date : 20070215

Dossiers : 2006-895(EI)

2006-896(CPP)

ENTRE :

 

SERGIO CHAVEZ, ROBIN WENTZEL

s/n HABITAT ENVIROSCAPING & PROPERTY MAINTENANCE,

 

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») datée du 12 décembre 2005 selon laquelle les 12 travailleurs énumérés ci‑dessous exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension pour les appelants pendant la période du 1er janvier 2002 au 30 juin 2004.

 

1.  Steve Boushey

2.  Remy Clouthier

3.  Carol Cloutier

4.  Gaston Leal

5.  Ramsay Nasrallah

6.  Marc Parenteau

 

7.  Mario Rivera

8.  Raphael Chavez

9.  Martin Fortier

10. Tyson Gore

11. Christopher Levere

12. Juan Ponce

 

[2]     Robin Wentzel et Sergio Chavez sont associés à parts égales dans une entreprise d’aménagement de paysage et d’entretien de biens immobiliers connue sous le nom de Habitat Enviroscaping & Property Maintenance (« Habitat »). Ils ont tous deux témoigné à l’audience. M. Wentzel est titulaire d’une maîtrise en gestion de l’environnement. Il s’est spécialisé dans l’aménagement de paysage écologique et l’entretien de gazon organique. L’entreprise offre également des services d’entretien des biens immobiliers (tonte et coupe du gazon, plantation, taille, nettoyage printanier et automnal, engazonnement) ainsi que des services de déneigement résidentiel et commercial (pièce A‑1, onglet A). M. Wentzel a précisé que lui et son associé confiaient à des sous‑traitants tous les travaux qu’ils n’avaient pas le temps de faire ou qui outrepassaient leurs compétences. Ils passaient des annonces dans les journaux à l’intention de sous‑traitants ou il arrivait parfois qu’ils reçoivent simplement des appels téléphoniques de personnes souhaitant leur offrir leurs services. Pendant l’hiver, ils dressent une liste de personnes intéressées à fournir leurs services et ils les appellent en cas de chute de neige.

 

[3]     Habitat a signé des contrats de sous‑traitance avec certains des travailleurs visés en l’espèce (plusieurs de ces contrats ont été produits sous les cotes A‑2 à A‑6). M. Wentzel a ajouté qu’ils utilisaient comme contrat type un document qu’il avait lui‑même signé lorsqu’il travaillait pour une autre entreprise d’entretien de gazon organique. Les contrats de sous‑traitance avaient une durée d’un an.

 

[4]     M. Wentzel a affirmé que les travaux excédentaires devant être confiés aux travailleurs étaient habituellement consignés sur des demandes de travail qui étaient affichées sur un mur dans le bureau de l’entreprise. Les travailleurs intéressés prenaient l’une ou l’autre des demandes de travail et effectuaient les travaux qui y étaient mentionnés. En général, les travailleurs fournissaient leurs propres outils. Ils pouvaient également louer le matériel de Habitat ou simplement l’emprunter lorsqu’il s’agissait de petits outils. Si un travailleur endommageait du matériel appartenant à Habitat, il était tenu de le faire réparer à ses frais. Chaque travailleur fournissait son propre moyen de transport.

 

[5]     Habitat signait des contrats avec ses clients et fixait le prix facturé à ces derniers (des exemples de contrats de ce genre ont été produits sous la cote A‑1, onglet Q). Lorsqu’elle retenait les services des travailleurs, Habitat négociait leur taux de salaire en fonction du prix facturé au client et de l’expérience du travailleur. Les travailleurs étaient payés par chèque après avoir remis une facture à Habitat (des exemples de factures ont été produits sous la cote A‑1, onglet P). Habitat payait les travailleurs toutes les deux semaines, dans la mesure où ils avaient envoyé leurs factures. Les clients se plaignaient habituellement à Habitat lorsqu’ils n’étaient pas satisfaits des travaux effectués. Habitat demandait alors au travailleur de retourner sur les lieux et de recommencer les travaux à ses frais. Cependant, si le travailleur refusait, c’est Habitat qui assumait le coût de la reprise des travaux. Si j’ai bien compris, les services du travailleur concerné n’étaient plus retenus lorsqu’un tel incident se produisait. Chaque travailleur avait toute latitude pour diriger son entreprise et travailler pour d’autres clients, dans la mesure où ces activités ne l’empêchaient pas de respecter ses engagements envers Habitat. Il pouvait effectuer du travail supplémentaire pour les clients de Habitat pour son propre profit à la condition qu’il ne s’agissse pas de travaux trop importants puisque le travailleur était lié par une clause de non‑concurrence (voir, par exemple, l’article 7 du contrat de sous‑traitance, pièce A‑2).

 

[6]     Le fait d’avoir signé un contrat de sous‑traitance n’obligeait pas le travailleur à travailler pour Habitat. C’est le travailleur qui décidait d’accepter du travail ou non et, lorsqu’il en acceptait, il n’était pas supervisé dans l’exécution de celui‑ci. Il accomplissait les travaux en conformité avec la demande de travail établie par M. Wentzel ou M. Chavez. Chaque travailleur suivait son propre horaire. Les travailleurs décidaient en outre du montant de leur rémunération puisqu’ils choisissaient la somme de travail qu’ils s’engageaient à accomplir. Ils avaient toute liberté pour accepter ou refuser une demande de travail.

 

[7]     Aucun travailleur n’a témoigné devant la Cour. L’avocat des appelants a affirmé que les appelants ne connaissaient plus l’adresse des travailleurs. Cependant, l’examen de l’avis d’appel produit à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC ») le 25 novembre 2004 (pièce A‑1, onglet G), l’examen du questionnaire rempli par le payeur pour chaque travailleur le 1er octobre 2005, à la demande de l’ADRC (pièce A‑1, onglet N), ainsi que l’examen des témoignages de M. Wentzel et de M. Chavez révèlent les renseignements suivants au sujet des travailleurs.

 

[8]     On a retenu les services de Steve Boushey pour faire l’entretien de biens immobiliers et le déneigement. Il a signé un contrat de sous‑traitance (pièce A-2). Selon M. Wentzel, M. Boushey a exploité sa propre entreprise jusqu’en 2005, lorsque Habitat a acheté son matériel. M. Boushey louait à l’occasion du matériel de Habitat. Le coût de location était déduit de la somme qui était facturée à Habitat pour l’exécution des travaux (voir, par exemple, la facture produite sous la cote A‑1, onglet P, page 48). M. Boushey, à sa demande, était payé en son propre nom. Il semble, selon Mme Stephanie Fong, agente des litiges à l’ADRC, que M. Boushey a déclaré qu’il était travailleur indépendant dans sa déclaration de revenus de 2004, mais que son revenu consistait en d’« autres revenus » dans ses déclarations de revenus de 2002 et de 2003. Mme Fong ne savait pas si ces « autres revenus » constituaient des revenus bruts ou nets. Elle a toutefois ajouté pendant son témoignage que M. Boushey a déduit des dépenses d’emploi en 2004.

 

[9]     M. Remy Clouthier, qui travaillait pour Home Depot, se faisait parfois offrir des contrats de pavage et de maçonnerie en pierres par Habitat. Ces contrats étaient négociés pour une durée déterminée ou, à l’occasion, sa rémunération était fixée en fonction du temps travaillé. Il accomplissait les travaux lui‑même à l’aide d’un plan de travail fourni par M. Wentzel. Il lui arrivait également de pelleter la neige au cours de l’hiver. Selon M. Wentzel, il a obtenu un taux beaucoup plus intéressant que celui de M. Boushey parce que son travail était très bien fait et très productif. M. Clouthier fournissait ses propres outils, mais il louait ou empruntait parfois du matériel de Habitat. Il a également signé un contrat de sous‑traitance (pièce A‑3).

 

[10]    Carol Cloutier n’a jamais travaillé pour Habitat. Elle lui a simplement vendu des plantes à une occasion, en juin 2002, pour une somme de 880 $ (pièce A‑1, onglet P, p. 61, onglet N, p. 74 à 76, et onglet G, p. 6).

 

[11]    Les services de Gaston Leal ont été retenus à la demande de son père, voisin de Sergio Chavez. Il était entrepreneur technique et il offrait des services autres que ceux habituellement fournis par Habitat (pièce A‑1, onglet G, p. 7). D’après M. Wentzel, M. Leal était un travailleur intermittent et il appelait pour obtenir du travail quand cela lui convenait. Il n’avait pas besoin de beaucoup de matériel et il fournissait son propre moyen de transport. Il n’a travaillé pour Habitat que pendant une très courte période. La seule facture produite le concernant montre qu’il a demandé 910 $ pour des travaux de maçonnerie en pierres touchant la réparation d’une terrasse (pièce A‑1, onglet P, p. 42).

 

[12]    Ramsay Nasrallah travaillait pour une société de protection contre l’incendie. Il offrait des services de déneigement à Habitat et passait en outre des marchés avec d’autres parties. Habitat lui a offert un contrat de gré à gré selon lequel il devait être payé à la fin des tempêtes de neige pendant l’hiver (voir pièce A‑1, onglet G, p. 7). Il fournissait son propre matériel. Il avait conclu un contrat de sous‑traitance avec Habitat (pièce A‑4).

 

[13]    Marc Parenteau travaillait pour Home Depot et pour une entreprise de pose de couvertures. Lorsqu’il n’était pas occupé, il effectuait pour Habitat certains travaux d’entretien des biens immobiliers, à savoir tondre le gazon (pièce A‑1, onglet N, p. 258). Lui aussi avait conclu un contrat de sous‑traitance (pièce A‑5).

 

[14]    On a retenu les services de Mario Rivera, mécanicien, pour l’entretien des moteurs du matériel léger et du matériel lourd ainsi que des véhicules (pièce A‑1, onglet G, p. 8). M. Rivera exploitait sa propre entreprise et il était propriétaire de ses outils. Il effectuait également des travaux de jardinage pour Habitat. Il avait son propre atelier où il entreposait son matériel d’entretien. Il facturait son travail à forfait ou à l’heure (pièce A‑1, onglet N, p. 91). Il avait également signé un contrat de sous‑traitance (pièce A‑6).

 

[15]    Raphael Chavez est le frère de Sergio Chavez. Il vivait à Montréal et appelait son frère Sergio pour obtenir du travail. Cependant, il n’a pas beaucoup travaillé pour Habitat; il a taillé des haies et fait quelques travaux de jardinage. Il travaillait quand cela lui convenait. (Voir pièce A‑1, onglet G, p. 9, et onglet N, p. 113 à 121.)

 

[16]    Martin Fortier exploitait sa propre entreprise, qu’il souhaitait promouvoir. Il avait conclu des contrats de tonte de gazon avec Habitat; il effectuait ces travaux à son propre rythme et avec son propre matériel. Il avait consenti à tondre seulement un nombre donné de pelouses et il facturait Habitat aux deux semaines. Il n’a jamais accepté d’accomplir d’autres travaux pour Habitat. (Voir pièce A‑1, onglet G, p. 10, et onglet N, p. 241 à 250.)

 

[17]    Tyson Gore était adolescent. Il distribuait occasionnellement des brochures et des dépliants publicitaires pour Habitat. On lui disait dans quel quartier il devait faire la distribution, mais il travaillait à son propre rythme. Il ne présentait pas de factures; il était payé en fonction du nombre de dépliants distribués, comme il avait été convenu entre lui et M. Chavez. (Voir pièce A‑1, onglet G, p. 10, et onglet N, p. 202 et s.)

 

[18]    Christopher Levere s’est adressé à Habitat pour effectuer des travaux d’entretien de biens immobiliers. Il n’a travaillé que pour une très brève période de trois ou quatre semaines à tondre les pelouses. Dans son témoignage, M. Wentzel a mentionné qu’ils avaient reçu un certain nombre de plaintes de la part de clients au sujet du travail de M. Levere et qu’ils avaient dû aller vérifier son travail. M. Levere n’a plus obtenu de travail par la suite. (Voir pièce A‑1, onglet N, p. 215 et s.)

 

[19]    Juan Ponce travaillait pour une entreprise de construction. Il était un maçon compétent et il exécutait des travaux de maçonnerie en pierres pour Habitat. Il accomplissait les travaux lui‑même selon les plans que lui fournissait M. Wentzel. Il a travaillé à trois emplacements différents. Habitat lui a offert davantage de travail, mais il a refusé parce que l’entreprise de construction lui versait une rémunération plus intéressante. (Voir pièce A‑1, onglet G, p. 11, et onglet N, p. 102 et s.)

 

La question en litige

 

[20]    L’intimé met en doute l’intention des parties visées (de retenir les services ou de fournir des services dans le cadre de contrats de sous‑traitance) parce que les travailleurs n’ont pas comparu devant le tribunal pour témoigner et que M. Chavez n’a produit les contrats de sous‑traitance que la veille de l’instruction. Aucun questionnaire n’a été rempli par les travailleurs en cause puisque l’ADRC n’a pas réussi à trouver ces derniers. L’avocat de l’intimé soutient que le témoignage des appelants ne permet pas, à lui seul, d’établir la situation d’emploi des travailleurs.

 

[21]    L’avocat de l’intimé a ensuite analysé les différents critères élaborés par la jurisprudence et il a conclu, compte tenu de sa propre interprétation de la preuve présentée par les appelants, que les travailleurs étaient des employés.

 

L’analyse

 

[22]    Je ne puis souscrire à la conclusion tirée par l’avocat de l’intimé. Il est exact que les travailleurs n’ont pas comparu pour témoigner mais, comme l’a signalé l’avocat des appelants, il n’était pas plus facile pour les appelants de trouver les travailleurs que ce ne l’était pour l’ADRC, qui n’a pas réussi non plus. Il est également vrai que les contrats de sous‑traitance n’ont été fournis à l’ADRC que la veille de l’instruction. Dans son témoignage, M. Chavez a mentionné que ce n’est qu’à ce moment qu’il les a retrouvés. Cependant, il n’y a pas lieu, selon moi, d’accorder un grand poids à ces contrats puisque l’intention qui y est déclarée, examinée dans le contexte factuel approprié, doit de toute façon être considérée comme le reflet des rapports juridiques liant les parties, en l’absence de preuve à l’effet contraire. (Voir les arrêts Royal Winnipeg Ballet c. MRN, 2006 CAF 87, au paragraphe 61, et City Water International Inc. c. MNR, 2006 CAF 350, au paragraphe 28.)

 

[23]    Cela étant, je vais devoir m’appuyer sur la preuve dont je suis saisie et garder en mémoire que je ne dispose que de la version des appelants, et pas de celle des travailleurs.

 

[24]    Je dois dire dès le début que le témoignage de M. Wentzel, le principal témoin, m’a paru fort crédible. Il a témoigné au meilleur de sa connaissance et d’une façon très sincère. Il a expliqué comment l’entreprise fonctionnait et comment les appelants traitaient avec les travailleurs.

 

[25]    Certes, nous ne savons pas quelle était l’intention des travailleurs lorsqu’ils ont contracté avec Habitat. Toutefois, j’estime que les explications offertes par M. Wentzel, conjuguées à la preuve documentaire produite, tendent à établir, selon la prépondérance des probabilités, que les travailleurs ne se considéraient pas eux‑mêmes, ni n’étaient traités, comme des employés de Habitat.

 

[26]    Pour décider si les travailleurs exercent un emploi aux termes d’un contrat d’emploi ou à titre d’entrepreneurs indépendants, il importe de renvoyer à l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, au paragraphe 47, où la Cour suprême du Canada tient les propos suivants :

 

Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[27]    Si je comprends bien, en l’espèce, les travailleurs appelaient pour obtenir du travail et décidaient s’ils acceptaient ou non les travaux précisés sur une demande de travail. La plupart d’entre eux avaient un emploi ailleurs, mais consentaient à travailler aussi pour Habitat. La façon dont ils effectuaient les travaux pour Habitat n’était pas contrôlée. Ils avaient un travail à faire, et Habitat exigeait seulement qu’ils parviennent au résultat souhaité. Les travaux accomplis n’étaient pas supervisés et, s’ils n’étaient pas effectués correctement, le travailleur devait les reprendre à ses frais. Il est vrai que, dans un cas, Habitat a dû refaire les travaux, mais elle a par la suite cessé de proposer du travail au travailleur en cause.

[28]    La Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes dans l’arrêt Livreur Plus Inc. c. Canada (M.R.N.), 2004 CAF 68, au paragraphe 19 :

 

[…] il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser […] Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l’affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), […] « rares sont les donneurs d’ouvrage qui ne s’assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur ».

 

[29]    La plupart du matériel en l’espèce était fourni par les travailleurs. Ils fournissaient leur propre moyen de transport. Habitat fournissait certains outils, mais cela n’a pas pour effet de saper la conclusion voulant que, selon le critère susmentionné, les travailleurs aient été des entrepreneurs indépendants. Dans l’arrêt Precision Gutters Ltd. c. Canada (M.R.N.), 2002 CAF 207, la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit au paragraphe 25 :

 

Il a été jugé que si les instruments de travail appartenaient au travailleur et qu’il était raisonnable que ceux-ci lui appartiennent, ce critère permet de conclure que la personne est un entrepreneur indépendant même si l’employeur présumé fournit des outils spéciaux pour l’entreprise en cause.

 

[30]    Le taux de salaire de chaque travailleur était négocié. Habitat fixait le prix devant être facturé au client et le travailleur demandait à être payé à un taux donné; la rémunération du travailleur se fondait en fin de compte sur ces deux facteurs. Les travailleurs acceptaient le travail selon leur bon vouloir et ils travaillaient selon leur propre horaire, à leur propre rythme.

 

[31]    Tous les éléments exposés plus haut m’incitent à répondre par l’affirmative à la question centrale, telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Sagaz, précité, de savoir si la personne fournissait les services en tant que personne travaillant à son compte. Il s’agit en l’espèce d’une situation où le travailleur avait toute liberté pour accepter ou refuser du travail au cas par cas. Si j’ai bien compris, à l’exception du fait qu’ils communiquaient au travailleur qui acceptait l’offre de travail certaines caractéristiques à respecter au moment de l’accomplissement des travaux, les appelants n’exerçaient aucune influence ni ascendance sur les travailleurs. Il s’agit d’un cas où, tant qu’elle rend les services demandés, la personne fournit ceux‑ci à son propre compte et à son propre rythme. Dans ces circonstances, j’estime difficile d’affirmer que les travailleurs étaient des employés des appelants.

 

[32]    Je dois ajouter qu’en ce qui concerne Carol Cloutier, cette dernière ne travaillait même pas pour les appelants.

 

[33]    Pour toutes ces raisons, les appels sont accueillis, sans dépens, et les décisions du 12 décembre 2005 du ministre du Revenu national sont modifiées compte tenu du fait que les 12 travailleurs n’étaient pas des employés de Habitat pendant la période en cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de février 2007.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juillet 2007

 

Claude Leclerc, trad. a., LL.L

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI23

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :          2006-895(EI); 2006-896(CPP)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SERGIO CHAVEZ, ROBIN WENTZEL

                                                          s/na HABITAT ENVIROSCAPING & PROPERTY MAINTENANCE

                                                          c.

                                                          M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 9 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 février 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Robert McMechan

 

Avocat de l’intimé :

Me Andrew Miller

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                          Nom :                      Me Robert McMechan

                          Ville :                       Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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