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Dossier : 2006-331(EI)

ENTRE :

 

CHRISTIAN DESJARDINS & NATHALIE ST-AMOUR

S/N CLINIQUE ST-AMOUR,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

et

 

ANICK JEAN

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 février 2007, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

Christian Desjardins

Avocat de l'intimé :

Me Martin Gentile

Intervenante

Anick Jean

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Grand-Barachois, Nouveau-Brunswick, ce 23e jour d'avril 2007.

 

 

« Sylvio Savoie »

Juge suppléant Savoie


 

 

 

Référence :  2007CCI244

Date : 20070423

Dossier : 2006-331(EI)

ENTRE :

 

CHRISTIAN DESJARDINS & NATHALIE ST-AMOUR

S/N CLINIQUE ST-AMOUR,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

et

 

ANICK JEAN

Intervenante

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Savoie

 

[1]     Cet appel a été entendu à Québec (Québec) le 6 février 2007.

 

[2]     Il porte sur l’assurabilité de l’emploi d’Anick Jean, (la « travailleuse »), lorsqu’au service de l’appelante du 16 décembre 2003 au 22 décembre 2004, (la « période en litige »).

 

[3]     Le 27 septembre 2005, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a informé l’appelante de sa décision selon laquelle la travailleuse occupait un emploi assurable pendant la période en litige car cet emploi était exercé aux termes d’un contrat de louage de services, au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

 

[4]     En rendant sa décision, le ministre s’est appuyé sur les faits présumés suivants :

 

a)         l’appelante a immatriculé une raison sociale le 9 juin 1994; (admis)

 

b)         les deux associés de l’appelante sont Christian Desjardins et Nathalie St-Amour; (admis)

 

c)         durant la période en litige, l’appelante exploitait une clinique traitant des troubles alimentaires comme l’anorexie et la boulimie sous la raison sociale « Clinique St-Amour »; (admis)

 

d)         la clientèle de l’appelante provenait de références de médecin, de CLSC, d’organismes communautaires ou de personnes ayant visité le site Internet de l’appelante; (admis)

 

e)         durant la période en litige, en plus des associés, une réceptionniste, une psychologue et la travailleuse sociale travaillaient à la clinique de l’appelante; (admis)

 

f)          la travailleuse avait terminé son BAC en nutrition en décembre 2003; (admis)

 

g)         l’appelante avait placé une annonce à l’Université Laval pour obtenir les services d’une nutritionniste; (à préciser)

 

h)         le 16 décembre 2003, l’appelante a embauché la travailleuse; (nié)

 

i)          le 16 décembre 2003, la travailleuse a signé un engagement écrit avec l’appelante pour une durée indéterminée; (admis)

 

j)          l’entente prévoyait entre autre, la supervision, le lieu de travail, la rémunération, le remboursement de dépenses, les heures de travail, les vacances, les congés fériés et la durée de l’engagement pour la travailleuse; (nié)

 

k)         lors de la signature, la travailleuse ne connaissait pas la différence entre une employée et un travailleur autonome; (à préciser)

 

l)          la travailleuse était sous la supervision immédiate de Christian Desjardins; (à préciser)

 

m)        les tâches de l’appelante étaient de recevoir en consultation les clients et parfois d’accompagner un client en suivi intensif; (nié)

 

n)         la travailleuse rencontrait les clients de l’appelante à la clinique de l’appelante; (nié)

 

o)         l’appelante établissait les heures de rendez-vous des clients avec la travailleuse; (nié)

 

p)         la travailleuse rendait des services à l’appelante du lundi au samedi, mais la travailleuse se réservait une ou deux journées de congé; (nié)

 

q)         les heures de travail de la travailleuse variaient d’une semaine à l’autre selon les rendez-vous établis par l’appelante; (nié)

 

r)          la travailleuse rédigeait un rapport de consultation par client; (à préciser)

 

s)         l’appelante facturait 80 $ de l’heure aux clients et elle remettait à la travailleuse une rémunération de 20 $; (à préciser)

 

t)          en plus, la travailleuse recevait un montant de 10 $ de l’heure de l’appelante pour le temps d’accompagnement en suivi intensif; (admis)

 

u)         l’appelante était seule responsable de la perception des comptes; (nié)

 

v)         la travailleuse n’émettait pas de factures à l’appelante; (admis)

 

w)        l’appelante payait la travailleuse chaque vendredi par chèque selon les heures travaillées pendant la semaine; (à préciser)

 

x)         la travailleuse ne pouvait pas se faire remplacer dans l’exécution de ses tâches; (à préciser)

 

y)         dans l’exécution de ses tâches, la travailleuse se servait du bureau et des équipements appartenant à l’appelante; (admis)

 

z)         l’appelante remboursait les dépenses de la travailleuse encourues pour les clients tels les repas et les taxis; (nié)

 

aa)       la travailleuse n’avait aucune implication financière avec l’appelante; (admis)

 

bb)       la travailleuse n’avait aucune possibilité de perte financière dans l’exécution de ses tâches pour l’appelante; (nié)

 

cc)       le 20 septembre 2005, Christian Desjardins déclarait à un représentant de l’intimé que la travailleuse n’avait pas à rechercher de clientèle; (à préciser)

 

dd)       la clientèle était celle de l’appelante et non pas celle de l’appelante; (nié)

 

ee)       les tâches de la travailleuse correspondaient aux besoins de l’appelante; (à préciser)

 

ff)         le travailleuse a cessé de travailler chez l’appelante le 22 décembre 2004 et non pas le 16 décembre 2004 à cause d’un congé de maternité. (admis)

 

[5]     La preuve produite par l’appelante vise à établir que la travailleuse s’est jointe à la clinique de celle-ci comme associée. C’est, selon l’appelante, ce que spécifiait l’annonce qu’elle a fait paraître à l’Université Laval, et le contrat d’engagement signé par les parties, la pièce A-1 produite à l’audience.

 

[6]     Puisqu’un bon nombre de faits présumés par le ministre, inspirés de la pièce A-1, ont été niés par l’appelante, il convient d’en reproduire le texte ci-dessous pour les fins de l’analyse de la relation entre les parties.

 

« DE MAIN À MAIN

Lévis, le 16/12/03

 

Clinique St-Amour

1120, boul. de la Rive-Sud, suite 200, CP 11

Lévis, Qc, G6W 5M6

 

OBJET : Confirmation d’engagement à titre d’associé(e)

_____________________________

 

Madame Anick Jean

 

Il nous fait plaisir de confirmer votre engagement à titre d’associé(e) de notre entreprise. Les termes et conditions de votre engagement sont les suivants :

 

Poste occupé : Le poste que vous occuperez au sein de notre entreprise sera celui de diététiste.

 

Principales fonctions et responsabilités : Vos principales fonctions et responsabilités seront les suivantes : Responsable du suivi diététique de la clientèle.

 

Supérieur immédiat : Vous serez sous la responsabilité immédiate de Christian Desjardins qui occupe le poste de coordonnateur, ou de toute autre personne que nous pourrons désigner.

Lieu de travail : Le lieu de votre travail sera à notre bureau de St-Romuald, ou à tout autre lieu requis pour l’exploitation efficace de notre entreprise.

Rémunération : Votre rémunération sera établi à l’acte au montant de vingt (20) dollars par consultation. Ladite rémunération sera payable le vendredi de chaque semaine par chèque.

Remboursement des dépenses : Vous serez remboursé pour toutes les dépenses raisonnables encourues dans le cadre de vos fonctions sur approbation au préalable et sur présentation des pièces justificatives.

Heures de travail : Les heures normales de travail seront de 9 à 18 heures, selon un horaire variable du lundi au samedi. Toutefois, lesdites heures et journées de travail pourront varier selon la nature et l’ampleur de vos tâches et les besoins de notre entreprise.

Vacances : Vous aurez droit annuellement à prendre un nombre de semaines de congé variable selon une bonne entente avec la clinique et en prévenant le coordonnateur à l’avance. Les journées de congés sont à vos frais.

Congés fériés : De plus, vous aurez droit  aux congés fériés habituels.

Engagement de confidentialité : Vous devrez obligatoirement lire, comprendre et signer le document ci-joint, intitulé « Engagement de confidentialité », relativement à toutes les informations et tous les documents qui vous seront divulgués dans le cadre de votre travail au sein de notre société.

Engagement de non-sollicitation de la clientèle : Vous devrez obligatoirement lire, comprendre et signer le document ci-joint, intitulé « Engagement de non-sollicitation de la clientèle ».

Engagement de non-concurrence : Vous devrez obligatoirement lire, comprendre et signer le document ci-joint, intitulé « Engagement de non-concurrence » qui sera en vigueur pendant la durée de votre engagement et pour une période de trois (3) ans suivant la fin de celui-ci.

Début et durée de l’engagement : Votre première journée de travail sera le 16 décembre 2003 et la durée de votre engagement est indéterminée. L’une ou l’autre des parties pourra y mettre fin après avoir donné le préavis prévu par la loi.

 

Si vous êtes d’accord avec les termes et conditions de la présente, vous voudrez bien nous retourner une copie dûment signée de celle-ci, de même que l’engagement de confidentialité et l’engagement de non-concurrence que vous trouverez ci-joint. Au nom de notre entreprise, il nous fait plaisir de vous accueillir au sein de celle-ci. Nous sommes confiants que vous apprécierez votre travail et que vous y trouverez une source de motivation continuelle. Bien entendu, si vous avez quelque question que ce soit, n’hésitez surtout pas à communiquer avec nous. En l’intervalle, nous vous prions d’agréer l’expression de nos sentiments les meilleures.

 

______Christian Desjardins________

___________________________________________________________________

 

J’accepte les termes et conditions ci-haut énoncés.

 

___   16/12/03_____                                       ______Anick Jean______

            (date)                                                   (signature de l’associé(e)) »

 

[7]     Par ailleurs, d’autres documents connexes, attachés à la pièce A-1, serviront à mettre en lumière la vraie nature de l’entente entre les parties. En voici quelques extraits pertinents :

 

 

«                  ENGAGEMENT DE CONFIDENTIALITÉ

 

DE :                 Anick Jean                               (ci-après appelé(e) « l’associé(e) »)

 

ENVERS :      LA CLINIQUE ST-AMOUR (ci-après appelé(e) « la société »)

 

Droit de propriété : L’associé(e) reconnaît que toutes les informations et documents qui lui sont et seront fournis par la société (notamment les listes de clients, listes de prix, procédés, thérapies, pratiques, méthodes, contrats, ententes, logiciels, bases de données et documents de thérapie) sont strictement confidentiels et privilégiés et demeurent la propriété de la société.

…sauf dans le cadre de son travail, ne pas faire ou garder de copie, photocopie, brouillon ou toute autre forme de reproduction de documents ou d’informations tels, sans limiter la généralité de ce qui précède, les informations et documents de thérapie.

 

Absence de licence : Toutes les informations et documents sont et demeurent la propriété exclusive de la société. L’associé(e) n’obtient aucune licence ou tout autre intérêt dans ou sur les informations et documents de par leur divulgation. »

 

 

 

«        ENGAGEMENT DE NON-SOLICITATION DE LA CLIENTÈLE

 

DE :                 Anick Jean                               (ci-après appelé(e) « l’associé(e) »)

 

ENVERS :      LA CLINIQUE ST-AMOUR (ci-après appelé(e) « la société »)

 

L’associé(e) reconnaît que, dans le cadre de son travail, il a obtenu ou obtiendra un accès privilégié à des informations et documents ayant trait aux activités de l’entreprise de la société. L’associé(e) reconnaît aussi que la société a donné ou donnera à l’associé(e) l’opportunité d’acquérir des connaissances et de devenir au courant des pratiques, procédures et méthodes utilisées par la société dans le cours des activités de son entreprise et, plus particulièrement mais sans restreindre la généralité de ce qui précède, dans le cadre de ses relations avec sa clientèle.

 

…ce dernier s’engage à ne pas solliciter, directement ou indirectement, les clients de la société, autrement que dans l’exécution de ses fonctions pour et au bénéfice de la société. Le présent engagement de non-sollicitation de clientèle s’appliquera indépendamment que l’associé(e) sollicite un client de la société ou que ce client sollicite l’associé(e). Un client de la société est défini comme tout acheteur ou locataire des services offerts par la société. »

 

[8]   Pour sa part, la travailleuse a soutenu qu’elle n’a jamais connue la différence entre le statut de travailleur autonome et celui d’employé. Elle ne l’a appris qu’au terme de son emploi, quand son comptable, qui préparait sa déclaration d’impôts, le lui a expliqué.

 

[9]   Par ailleurs, la travailleuse, ainsi que le ministère, ont soutenu que les faits vont à l’encontre du statut d’associé tel que décrit dans le contrat que l’appelante a fait signer à celle-ci.

 

[10] La preuve a révélé que l’horaire de la travailleuse était établi par l’appelante. Bien entendu, celle-ci était consultée quant à sa disponibilité. Mais, le plus souvent, selon la preuve, l’horaire était établi ainsi que le suivi intensif par l’appelante et la travailleuse était consultée entre deux clients et se voyait coincée, se sentant obligée d’accepter cet horaire puisqu’il n’y avait pas d’autre nutritionniste. Cette situation est devenue d’autant plus difficile pour la travailleuse qui avait demandé, en raison de sa grossesse, de ne plus faire de suivi intensif.

 

[11] Il a été établi que la travailleuse rendait ses services à l’appelante sous la supervision immédiate de Christian Desjardins, même si celle-ci détenait un brevet attestant sa formation comme professionnelle de la nutrition. En raison de ces qualifications, l’appelante n’avait pas à dicter à celle-ci la façon d’exercer sa profession. C’était une professionnelle. On n’avait pas à la suivre pas à pas. Mais, selon la preuve, elle devait soumettre des rapports et suivre l’horaire et la procédure établis par l’appelante.

 

[12] La travailleuse offrait ses services comme nutritionniste à l’hôpital, au CHUL, les fins de semaine où elle était payée à l’heure. Cependant, il a été révélé que si cela avait causé des conflits, elle aurait quitté son emploi à l’hôpital.

 

[13] Il est vrai que le contrat décrit la travailleuse comme associée. Mais les faits, en l’espère, ne supportent pas cette notion, puisqu’il a été démontré, entre autres choses, que la travailleuse n’a investi aucun argent dans l’entreprise de l’appelante et n’a pas participé aux profits de celle-ci. Par ailleurs, la travailleuse ne possédait aucun pouvoir décisionnel dans l’entreprise. Les pertes encourues par l’entreprise étaient subies par les deux véritables associés de celle-ci, c’est-à-dire Christian Desjardins et Nathalie St-Amour, cette dernière ayant prêté son nom à l’entreprise. L’entreprise assurait le suivi des comptes recevables. Il a été établi, en outre, que la Clinique St-Amour avait accès aux dossiers de la travailleuse.

 

[14] Le procureur du ministre a invoqué l’application du principe établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 9041-6868 Québec Inc. où le juge Décary s’exprimait comme suit :

 

9          Le contrat sur lequel le ministre se fonde ou qu'une partie cherche à lui opposer est certes un fait juridique que le ministre ne peut ignorer même s'il ne produit pas d'effet à son égard (art. 1440 C.c.Q.; Baudouin et Jobin, Les Obligations, Éditions Yvon Blais 1998, 5e édition, p. 377). Cela n'empêche en rien le ministre, cependant, d'alléguer que dans les faits le contrat n'est pas tel qu'il parait être, qu'il n'a pas été exécuté selon ses termes ou qu'il ne reflète pas la véritable relation qui s'est établie entre les parties. Il est permis au ministre, et à la Cour canadienne de l'impôt après lui, de rechercher cette relation véritable, ainsi que le prévoient les articles 1425 et 1426 du Code Civil du Québec, dans la nature du contrat, dans les circonstances dans lesquelles il a été conclu, dans l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que dans les usages. Et parmi ces circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu se trouve l'intention légitime déclarée des parties, un facteur important retenu par cette Cour dans un bon nombre d'arrêts (voir Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396, para. 119 et 122; A.G. Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., [2004] A.C.F. no 238, 2004 CAF 54; Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 267, 2004 CAF 68; Poulin c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.F. no 141, 2003 CAF 50; Tremblay c. Canada (M.R.N.), [2004] A.C.F. no 802, 2004 CAF 175.

 

[15] L’objet de ce litige se situe donc au niveau de la relation entre les parties, c’est-à-dire, de l’appelante et de la travailleuse, à savoir s’il existait entre elles un contrat de travail, ou, pour utiliser le libellé de la Loi, si la travailleuse occupait un emploi assurable.

 

[16] Au Québec, province régie par les principes du droit civil, le contrat de travail est défini à l’article 2085 du Code civil du Québec, selon lequel

 

Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[17] Le contrat de travail se distingue du contrat d’entreprise ou de service, soit

 

...celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer. (article 2098)

 

L’article 2099 prévoit que :

 

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[18] Ainsi, la subordination ou l’exercice d’un pouvoir de contrôle constitue un facteur plus important, même déterminant, selon le droit québécois. La Loi sur l’assurance-emploi qui est applicable au présent litige, est une loi fédérale. Or, depuis le 1er juin 2001, l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, ch. 1-21, exige que soit appliqué le droit privé de la province d’où provient le litige lorsque des notions de droit privé sont en jeu. Cet article est reproduit ci-dessous :

 

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

 

Le juge Dussault, de cette Cour, dans Lévesque c. Canada ministère du Revenu national – M.R.N.), [2005] A.C.I. no. 183, a écrit :

 

23  Dans l'affaire Sauvageau Pontiac Buick GMC ltée c. Canada, C.C.I., no 95-1642(UI), 25 octobre 1996, [1996] A.C.I. no 1383 (Q.L.), le juge Archambault, en se référant à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Quebec Asbestos Corp. v. Couture, [1929] S.C.R. 166, concluait, eu égard à ces définitions, que l'élément déterminant était la présence ou non d'un lien de subordination. De plus, il y retenait la définition de cette expression énoncée par le juge Pratte dans l'affaire Gallant, précitée. Au paragraphe 12 de sa décision, le juge Archambault s'exprimait dans les termes suivants :

 

12. Il ressort clairement de ces dispositions du C.C.Q. que le lien de subordination demeure la principale distinction entre un contrat d'entreprise (ou de service) et un contrat de travail. Quant à cette notion de lien de subordination, je crois que les commentaires du juge Pratte dans l'affaire Gallant sont toujours applicables :

 

Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

 

[19] Afin de déterminer s’il y a présence ou absence d’un lien de subordination, plusieurs indices peuvent être pris en considération. Ainsi, la juge Monique Fradette de la Cour du Québec dans l’arrêt Seitz c. Entraide populaire de Lanaudière inc., Cour du Québec (chambre civile, no. 705-22-002935-003, le 16 novembre 2001, [2001] J.Q. no. 7635 (Q.L.), établissait une série d’indices pouvant permettre de déterminer s’il y a subordination ou non. Voici ce qu’elle écrivait sur ce point aux paragraphes 60 à 62 de son jugement :

 

60        La jurisprudence exige, pour qu’il y ait un contrat de travail, l’existence d’un droit de surveillance et de direction immédiate. Le simple fait qu’une personne donne des instructions générales sur la manière d’effectuer le travail, ou qu’elle se réserve un droit d’inspection et de supervision sur le travail, ne suffit pas à convertir l’entente en un contrat de travail.

 

61        Une série d’indices développée par la jurisprudence permet au tribunal de déterminer s’il y a présence ou non d’un lien de subordination dans la relation des parties.

 

62        Les indices d’encadrement sont notamment :

 

            - la présence obligatoire à un lieu de travail

            - le respect de l’horaire de travail

            - le contrôle des absences du salarié pour des vacances

            - la remise de rapports d’activité

            - le contrôle de la quantité et de la qualité du travail

            - l’imposition des moyens d’exécution du travail

            - le pouvoir de sanction sur les performances de l’employé

            - les retenues à la source

            - les avantages sociaux

            - le statut du salarié dans ses déclarations de revenus

            - l’exclusivité des services pour l’employeur

 

[20] Il faudrait préciser, toutefois, que la présence de quelques indices appuyant l’une ou l’autre des conclusions, à savoir, s’il existe ou non un lien de subordination, ne justifie pas que ce termine là l’analyse. L’exercice consiste, selon la distinction établie dans le Code civil du Québec, à déterminer la relation globale des parties. Il s’agit donc d’établir dans quelle proportion les indices pouvant mener à la conclusion qu’il existe un lien de subordination sont prédominants par rapport aux autres.

 

[21] Examinons la preuve à la lumière des indices établis par la juge Fradette pour y déceler la relation globale entre les parties et y déterminer la présence ou l’absence d’un lien de subordination.

 

La présence obligatoire à un lieu de travail

 

[22] Les tâches de la travailleuse obligeaient celle-ci à recevoir en consultation les clients et parfois les accompagner en suivi intensif. Ceci se passait à la clinique de l’appelante, où, tel que spécifié dans le contrat, la pièce A-1 :

 

…à toute autre lieu requis pour l’exploitation efficace de notre entreprise.

 

[23] Examinée sous cet indice, la preuve favorise l’existence d’un lien de subordination.

 

Le respect de l'horaire de travail

 

[24] À cet égard, la pièce A-1 prévoit ce qui suit :

 

Heures de travail : Les heures normales de travail seront de 9 à 18 heures, selon un horaire variable du lundi au samedi. Toutefois, lesdites heures et journées de travail pourront varier selon la nature et l’ampleur de vos tâches et les besoins de notre entreprise.»

 

Par ailleurs, l’appelante établissait les heures de rendez-vous des clients avec la travailleuse. Sous cet aspect, la preuve milite en faveur de l’existence d’un lien de subordination.

 

Le contrôle des absences de la travailleuse pour des vacances

 

[25] La travailleuse ne bénéficiait pas de vacances payées. Cependant, elle devait demander la permission pour s’absenter. L’appelante ne lui refusait pas. La travailleuse, une fois enceinte, prenait des journées de repos, avec la permission de l’appelante et avait demandé qu’on ne lui assigne plus de suivis intensifs, ce qui ne lui a pas été souvent accordé.

 

[26] Ici encore, la preuve porte à conclure à l’existence d’un lien de subordination.

 

La remise des rapports d'activités

 

[27] Il a été établi que la travailleuse devait rédiger pour chaque client un rapport de consultation pour l’appelante, et celle-ci avait accès à ses dossiers. Examinés sous cet angle, les faits supportent la présence d’un lien de subordination.

 

Le contrôle de la quantité et de la qualité du travail

 

[28] Il a été prouvé que l’appelante se chargeait de recruter les clients pour des consultations avec la travailleuse. L’appelante n’intervenait pas dans le travail de la travailleuse; elle respectait sa compétence professionnelle dans le domaine de la nutrition. Toutefois, la travailleuse exerçait ses fonctions selon un cadre établi et dirigé par l’appelante. Par ailleurs, elle était sous la direction et la supervision immédiate de monsieur Desjardins. Les faits ont démontré que sous cet indice, il existait un lien de subordination.

 

L'imposition des moyens d'exécution du travail

 

[29] Examinée sous cet indice, la preuve soutient la présence d’un lien de subordination, tel qu’exprimé au paragraphe précédent. Quant aux indices portant sur le pouvoir de sanction sur les performances de l’employée, les retenues à la source et les avantages sociaux, la preuve recueillie supporte davantage l’absence d’un lien de subordination. La preuve n’a pas révélé de quelle façon la travailleuse a décrit son statut de travailleur dans sa déclaration d’impôt.

 

L'exclusivité des services pour l'employeur

 

[30] Il a été établi que la travailleuse ne pouvait pas se faire remplacer dans l’exécution de ses tâches. Il est vrai qu’elle travaillait à l’hôpital les fins de semaine mais c’était pour une autre clientèle. Par ailleurs, la preuve a démontré qu’en cas de conflit, elle aurait abandonné son travail à l’hôpital quoi celui-ci était sans doute autorisé puisque l’appelante semble-t-il, n’a jamais invoqué que la travailleuse aurait manqué à son engagement de non-concurrence qu’elle a signé le même jour que le contrat. Je considère que la preuve, analysée sous cet aspect, semble établir l’existence d’un lien de subordination.

 

[31] À la lumière des indices énumérés ci-haut, je dois conclure que le degré de contrôle dans la relation entre l’appelante et la travailleuse était tel qu’il existait bel et bien un lien de subordination suffisant pour déterminer qu’il existait un contrat de travail plutôt qu’un contrat d’entreprise.

 

[32] L’examen des faits à la lumière du Code civil du Québec et de la jurisprudence nouvelle en matière d’assurabilité et plus précisément sur la notion de contrat de travail n’ont pas supporté la prétention de l’appelante qui visait à établir l’existence d’un contrat d’entreprise. Donc, cette Cour doit conclure que la travailleuse exerçait un emploi assurable auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi et qu’elle occupait donc un emploi assurable pendant la période en litige. Par ailleurs, la preuve décrivant la relation entre l’appelante et la travailleuse supporte la conclusion qu’il existait entre eux un contrat de travail selon les dispositions du Code civil du Québec.

 

[33] En conséquence, l’appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée.

 

Signé à Grand-Barachois, Nouveau-Brunswick, ce 23e jour d'avril 2007.

 

 

 

« Sylvio Savoie »

Juge suppléant Savoie

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI244

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-331(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              CHRISTIAN DESJARDINS & NATHALIE ST-AMOUR S/N CLINIQUE ST-AMOUR ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 6 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable S.J. Savoie, Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 23 avril 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Christian Desjardins

 

 

Avocat de l'intimé :

Me Martin Gentile

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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