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Dossiers : 2006-3241(EI) et 2006-3289(CPP)

 

ENTRE :

 

MICHAEL CALUORI S/N CALUORI PROPWERKS,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

KANNAN PAGALAM,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 23 juillet 2007, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge T. O'Connor

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Nathan S. Ganapathi

Avocate de l’intimé :

Me Shannon Walsh, stagiaire en droit

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT MODIFIÉ

          L’appel est accueilli et la décision du ministre en date du 15 septembre 2006 est annulée; les appels concernant les décisions que l’Agence du revenu du Canada a rendues le 18 octobre 2006 à l’égard de la période allant du 25 août 2003 au 30 novembre 2005 et l’appel concernant le Régime de pensions du Canada (2006‑3289(CPP)) sont rejetés, le tout selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

          Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifié sont rendus en substitution du jugement et des motifs du jugement datés du 20 août 2007.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de novembre 2007.

 

 

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mai 2010.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2007CCI490

Date : 20071113

Dossiers : 2006-3241(EI) et 2006-3289(CPP)

ENTRE :

MICHAEL CALUORI S/N CALUORI PROPWERKS,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

KANNAN PAGALAM,

intervenant.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉ

 

Le juge O'Connor

 

[1]   Il s’agit ici de savoir si l’intervenant (« M. Pagalam ») exerçait un emploi auprès de l’appelant (« M. Caluori ») au cours de la période allant du 1er décembre 2005 au 19 janvier 2006 (la « période ») aux termes d’un contrat de louage de services (donnant lieu à une relation employeur‑employé) au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi »).

 

[2]   Voici l’historique de l’affaire. En réponse à une demande visant l’obtention d’une décision de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, la Division des décisions de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a rendu, le 21 avril 2006, une décision portant que M. Pagalam n’exerçait pas un emploi auprès de M. Caluori aux termes d’un contrat de louage de services. Par une lettre datée du 28 juin 2006, M. Pagalam a porté cette décision en appel devant le ministre conformément à l’article 91 de la Loi. Par une lettre datée du 15 septembre 2006, le ministre a décidé que M. Pagalam exerçait un emploi auprès de M. Caluori aux termes d’un contrat de louage de services au cours de la période en question. M. Caluori interjette maintenant appel de cette décision devant la Cour.

 

[3]   Il importe de noter que la Division des décisions de l’ARC a également rendu, le 18 octobre 2006, une décision portant que l’emploi que M. Pagalam exerçait auprès de M. Caluori du 25 août 2003 au 30 novembre 2005 était un emploi assurable. M. Caluori a porté la décision du 18 octobre 2006 en appel devant le ministre, mais le ministre n’a pas encore rendu de décision au sujet de cet appel. Par conséquent, tout appel interjeté devant la Cour de l’impôt à l’égard de la décision du 18 octobre 2006 est prématuré. En outre, bien que M. Caluori ait tenté de porter en appel une décision rendue dans le cadre du Régime de pensions du Canada, le ministre n’a pas encore rendu de décision à cet égard. Par conséquent, cet appel est également prématuré et M. Caluori s’en est désisté. Les appels concernant la décision du 18 octobre 2006 et le Régime de pensions du Canada sont donc rejetés; toutefois, les droits respectifs que les parties peuvent posséder à l’égard de toute décision rendue par le ministre subsistent.

 

Les faits

 

[4]   Certains faits sont exposés dans la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), sous la forme d’assertions ou d’hypothèses, et la substance des faits qui n’ont pas été réfutés est mentionnée ci‑dessous. D’autres faits ont été établis par la preuve orale et écrite et sont également mentionnés ci‑dessous dans la mesure où ils sont pertinents.

 

[5]   Au cours de la période en question, M. Caluori exploitait une entreprise de fabrication d’accessoires pour l’industrie cinématographique. M. Caluori avait embauché M. Pagalam pour s’occuper de la tenue de livres et pour accomplir des tâches administratives. Ils avaient conclu entre eux une entente verbale et ils avaient convenu que M. Pagalam serait rémunéré à l’heure.

 

[6]   M. Caluori exploitait en fait une entreprise à propriétaire unique; il avait commencé à exploiter cette entreprise en 1993. M. Caluori effectuait lui‑même une bonne partie des travaux de fabrication d’accessoires et il retenait de temps en temps les services d’autres fabricants d’accessoires.

 

[7]   M. Caluori n’avait aucun employé à temps plein; il considérait tous les travailleurs, y compris M. Pagalam, comme des entrepreneurs indépendants.

 

[8]   L’entreprise était exploitée depuis des locaux loués, rue Parker, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

[9]   M. Pagalam avait des compétences en tenue de livres ainsi qu’en matière financière et administrative, et ses services avaient été retenus principalement pour qu’il exerce des fonctions dans ces domaines. M. Pagalam fournissait également à l’occasion certains services de nature générale et administrative et il s’occupait parfois de diverses petites tâches comme l’obtention des repas.

 

[10] Au cours de la période en question, M. Pagalam se livrait également à d’autres activités commerciales. Il enseignait l’anglais, langue seconde; il organisait des soirées dansantes pour adolescents et il s’occupait d’une revue appelée « Point Magazine ». Au mois de février 2003, il a fait enregistrer, en Colombie‑Britannique, une entreprise à propriétaire unique appelée AYK Marketing, laquelle était décrite comme étant une agence de mise en marché.

 

[11] Pendant toute la période, M. Pagalam n’avait pas d’heures de travail fixes, mais lorsqu’il y avait beaucoup de travail à accomplir pour les accessoires, on lui ordonnait de commencer à certaines heures.

 

[12] Dans ses fonctions de tenue de livres et dans ses fonctions administratives, M. Pagalam s’occupait de la paie et des feuilles de temps des autres travailleurs ainsi que des siennes, et il établissait des chèques de paie en sa faveur ainsi qu’en faveur de ces travailleurs. M. Pagalam ne recevait pas d’avantages, et aucun congé annuel ne lui était accordé. M. Pagalam avait mentionné à plusieurs reprises à M. Caluori que les relations que celui‑ci entretenait avec les divers travailleurs, y compris avec lui‑même, en leur qualité d’entrepreneurs indépendants, n’étaient pas en règle et qu’il devrait plutôt y avoir une relation employeur‑employé. Toutefois, en s’occupant du paiement des divers salaires, dont le sien, M. Pagalam n’effectuait jamais de retenues au titre des impôts ou des cotisations à l’assurance-emploi ou au Régime de pensions du Canada. Il n’établissait pas de feuillets T4. Son travail consistait également à enregistrer les dépenses engagées par l’entreprise, à créer les factures, à préparer les chèques pour signature et à faire les inscriptions dans les journaux. M. Pagalam effectuait la majeure partie de son travail dans les locaux de l’entreprise (le « studio ») et il en accomplissait également une partie chez lui.

 

[13] M. Caluori et M. Pagalam ne s’entendent pas sur la question de la propriété des instruments de travail comme les ordinateurs, les calculatrices, les fournitures et la papeterie. M. Caluori a affirmé que certaines calculatrices et ainsi de suite étaient fournies par M. Pagalam, et M. Pagalam nie essentiellement la chose. M. Caluori occupait le studio à titre de locataire.

 

[14] M. Caluori n’exerçait pas vraiment de contrôle sur M. Pagalam et il ne le supervisait pas beaucoup. Il indiquait à M. Pagalam ce qu’il fallait faire, mais non la façon de le faire.

 

[15] M. Pagalam facturait périodiquement ses services à l’appelant, habituellement toutes les deux semaines, au taux convenu de 18 $ l’heure, et il préparait les chèques y afférents en même temps qu’il s’occupait du paiement d’autres factures que l’appelant recevait des autres travailleurs et fournisseurs.

 

[16] Le taux horaire de M. Pagalam a par la suite été porté à 20 $ à la demande de celui‑ci.

 

[17] M. Pagalam conservait, dans le studio, des documents indiquant les heures effectuées pour M. Caluori.

 

[18] Le 17 décembre 2005 ou vers cette date, par suite d’un incident survenu avec une travailleuse qui fabriquait des accessoires dans le studio, on a demandé à M. Pagalam de partir et de ne pas revenir tant qu’il ne se conduirait pas d’une façon professionnelle. M. Pagalam n’est retourné au studio qu’au cours de la première semaine du mois de janvier 2006.

 

[19] À son retour, M. Pagalam a révélé qu’il avait augmenté son taux horaire à 25 $ et qu’il facturait M. Caluori à ce taux plus élevé depuis cinq mois, à l’insu de ce dernier. M. Pagalam a tenté de justifier sa conduite, et il a demandé une autre augmentation, soit 40 $ l’heure. M. Pagalam a affirmé qu’il méritait une gratification, bien qu’il n’ait pas été question et qu’il n’ait pas été convenu de partager les bénéfices lors de la conclusion du contrat d’entreprise. M. Caluori a exigé le retour des sommes touchées en trop, mais M. Pagalam a refusé et a quitté les lieux. M. Pagalam a également enlevé le dossier contenant ses propres feuilles de temps. Il n’a fait aucun cas d’une demande écrite de remboursement, au montant de 1 862 $, montant qu’il avait censément versé en trop sur son propre compte, selon M. Caluori.

 

Analyse et décision

 

[20] Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance‑emploi sont les suivantes :

 

[...]

 

« emploi » Le fait d’employer ou l’état d’employé.

 

[...]

 

« emploi assurable » S’entend au sens de l’article 5.

 

[...]

 

5. (1) Sens de « emploi assurable » – Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

            a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

 

[21] Dans les cas de ce genre, il faut examiner la relation dans son ensemble en tenant compte des critères bien connus du contrôle, de la propriété des instruments de travail, de la possibilité de profit et du risque de perte, ainsi que du critère d’intégration (à savoir à qui appartient l’entreprise) et de tout autre facteur pertinent.

 

[22]  En tranchant la question, je ne substitue pas simplement mon opinion à celle du ministre et je dois faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la décision de celui‑ci. Ces principes ont été élaborés par la Cour d’appel fédérale dans divers arrêts. Dans l’arrêt Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, la cour a eu l’occasion d’examiner la question. Au paragraphe 4 des motifs des juges Marceau, Desjardins et Noël, il est dit ce qui suit :

 

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

[23] J’ai conclu que les considérations suivantes sont particulièrement importantes aux fins du règlement de la question :

 

1.    Le contrôle était fort restreint. M. Pagalam pouvait travailler dans les locaux ou chez lui, où il avait un bureau. Il n’y avait pas d’heures de travail fixées en permanence. De plus, M. Pagalam exerçait d’autres activités commerciales au cours de la période en question. Il s’occupait de la tenue de livres et il vérifiait les heures et établissait les chèques de paie des divers travailleurs, y compris les siens, car le travail lié aux accessoires tenait M. Caluori fort occupé.

 

2.    Quant à la propriété des instruments de travail, M. Caluori fournissait les locaux, mais M. Pagalam travaillait en outre dans sa propre résidence. Il existait un désaccord au sujet de la propriété de certains instruments de travail comme les ordinateurs et les calculatrices. De toute façon, la question de la propriété des instruments de travail n’est pas, à mon avis, importante.

 

3.    Au point de vue de l’intégration, les services de M. Pagalam constituaient uniquement un accessoire de l’entreprise de fabrication d’accessoires et ils n’étaient pas essentiels à cette entreprise. Toutefois, ces services étaient nécessaires, comme le sont l’administration interne, la facturation et le paiement de salaires dans toute entreprise. Toutefois, contrairement à un employé régulier normal, M. Pagalam exploitait plusieurs autres entreprises et se livrait à plusieurs autres activités.

 

4.    Le fait que M. Pagalam a tenté de convaincre M. Caluori de changer la nature de la relation que celui‑ci entretenait avec lui et avec d’autres travailleurs pour la transformer en une relation employeur‑employé indique en soi qu’il s’est rendu compte que sa relation était celle d’un entrepreneur indépendant, par opposition à une relation d’employé. M. Pagalam ne voulait peut‑être pas qu’il en soit ainsi, mais telle était l’entente que les parties avaient conclue entre elles.

 

5.    M. Pagalam avait peu de possibilités de faire des profits et il risquait peu de subir des pertes, puisque, en règle générale, il établissait ses propres chèques et qu’il avait augmenté unilatéralement le montant des paiements. M. Pagalam a déclaré qu’étant donné qu’il était considéré comme un entrepreneur, il pouvait fixer ses propres taux, et c’est ce qu’il avait fait.

 

6.    Dans la jurisprudence récente, les tribunaux ont analysé l’importance de l’intention des parties pour ce qui est de la nature de leurs relations; ils ont conclu essentiellement que si l’intention commune était de créer une relation d’entrepreneur indépendant et que les faits pouvaient étayer cette position, même si certains autres faits indiquaient le contraire, il serait tenu compte de l’intention. En l’espèce, l’intention de M. Caluori quant à l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant était claire. M. Pagalam s’y est opposé, mais il a accepté cette position et il l’a de fait invoquée comme excuse pour augmenter unilatéralement sa rétribution. L’intention des parties permet plutôt de conclure à l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant.

 

[24] En conclusion, certains critères vont dans un sens alors que d’autres vont dans l’autre sens, mais je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, M. Pagalam était engagé aux termes d’un contrat d’entreprise, c’est‑à‑dire qu’il était entrepreneur indépendant plutôt qu’employé.

 

[25] En arrivant à cette décision, j’ai trouvé le témoignage de M. Caluori plus crédible que celui de M. Pagalam.

 

[26] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

 

       Le présent jugement modifié et les présents motifs du jugement modifié sont rendus en substitution du jugement et des motifs du jugement datés du 20 août 2007.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de novembre 2007.

 

 

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mai 2010.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI490

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :   2006-3241(EI) et 2006-3289(CPP)

 

INTITULÉ :                                       MICHAEL CALUORI S/N CALUORI PROPWERKS

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

                                                          KANNAN PAGALAM

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 23 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉ :                                       L’honorable juge T. O'Connor

 

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ : Le 13 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Nathan S. Ganapathi

Avocate de l’intimé :

Me Shannon Walsh, stagiaire en droit

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Me Nathan S. Ganapathi

 

                   Cabinet :                         Ganapathi & Company

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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