Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2006-3455(IT)G

ENTRE :

 

SENTINEL HILL PRODUCTIONS (1999) CORPORATION,

en sa qualité d’associée déterminée

DE LA SOCIÉTÉ EN COMMANDITE SENTINEL HILL 1999 MASTER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

ET

 

Dossier : 2007-329(IT)G

ENTRE :

 

ROBERT STROTHER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Requêtes entendues ensemble le 4 décembre 2007, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge en chef D.G.H. Bowman

 

Comparutions :

 

Avocats des appelants :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

Me David R. Davies

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Robert Carvalho

Me Michael Taylor

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

  L’avocat de l’intimée ayant présenté des requêtes en vue d’obtenir, en vertu de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), une ordonnance radiant au complet 22 paragraphes et une partie d’un autre paragraphe de l’avis d’appel modifié à deux reprises de Sentinel Hill Productions (1999) Corporation, en sa qualité d’associée déterminée de la société en commandite Sentinel Hill 1999 Master;

 

  Et en vue de faire radier 18 paragraphes de l’avis d’appel modifié à deux reprises de Robert Strother;

 

  Les requêtes sont rejetées, la Couronne devant payer les dépens des appelants, et ce, quelle que soit l’issue de la cause.

 

  Un délai de 30 jours, à compter de la date de la présente ordonnance, est accordé aux appelants pour qu’ils déposent des réponses.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19jour de décembre 2007.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2008

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

Référence : 2007CCI742

Date : 20071219

Dossier : 2006-3455(IT)G

ENTRE :

 

SENTINEL HILL PRODUCTIONS (1999) CORPORATION,

en sa qualité d’associée déterminée

DE LA SOCIÉTÉ EN COMMANDITE SENTINEL HILL 1999 MASTER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

ET

 

Dossier : 2007-329(IT)G

ENTRE :

 

ROBERT STROTHER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge en chef Bowman

 

[1]  Dans les présentes requêtes, l’intimée sollicite une ordonnance, en vertu de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), en vue de faire radier au complet 22 paragraphes et une partie d’un autre paragraphe des avis d’appel modifiés à deux reprises de Sentinel Hill Productions (1999) Corporation (« Sentinel Hill ») et 18 paragraphes de l’avis d’appel modifié à deux reprises de Robert Strother.

 

[2]  L’article 53 des Règles est rédigé comme suit :

 

  53. La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

 

  a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

 

  b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

  c) constitue un recours abusif à la Cour.

 

 

[3]  Les paragraphes contestés renferment essentiellement des assertions selon lesquelles les appelants ont conclu certaines opérations se rapportant à des services de production établis au Canada à l’égard de longs métrages et d’émissions de télévision et que, ce faisant, ils se sont fondés sur un certain nombre de décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu rendues par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») à l’égard des placements effectués dans des sociétés en commandite. Pour les besoins des requêtes, je supposerai que les sociétés en commandite constituaient des abris fiscaux selon la définition figurant à l’article 237.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[4]  J’énoncerai en premier lieu les principes qui, selon moi, doivent s’appliquer dans une requête en radiation fondée sur l’article 53 des Règles. La question a été examinée dans de nombreuses décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale. Il n’est pas nécessaire de les citer toutes étant donné que les principes sont bien établis [1] .

 

  a)  Les faits allégués dans l’acte de procédure contesté doivent être considérés comme exacts sous réserve des limites énoncées dans l’arrêt Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 455. Il n’est pas loisible à la partie qui attaque un acte de procédure en vertu de l’article 53 des Règles de contester des assertions de fait.

 

b)  Pour qu’un acte de procédure soit radié, en tout ou en partie, en vertu de l’article 53 des Règles, il doit être évident et manifeste que la position qui est prise n’a aucune chance de succès. Il s’agit d’un critère rigoureux et il faut faire preuve d’énormément de prudence en exerçant le pouvoir conféré en matière de radiation d’un acte de procédure.

 

  c)  Le juge des requêtes doit éviter d’usurper les fonctions du juge du procès en tirant des conclusions de fait ou en se prononçant sur la pertinence. Il faut laisser de telles questions à l’appréciation du juge qui entend la preuve.

 

  d)  C’est l’article 53 des Règles et non l’article 58 qu’il faut appliquer dans le cadre d’une requête en radiation.

 

[5]  Dans un certain nombre de paragraphes, il est allégué que des décisions anticipées ont été obtenues et que les opérations en question étaient conformes à ces décisions. Dans les présentes requêtes, l’avocat de l’intimée cherche à contester ces allégations de fait. Parmi les paragraphes figurant dans l’avis d’appel modifié à deux reprises de Sentinel Hill que l’intimée cherche à faire radier, il y a notamment les paragraphes reproduits ci‑dessous :

 

[traduction] 

4.A.  La société SHEC détient également toutes les actions de Sentinel Hill Productions Corporation et de Sentinel Hill Productions II Corporation. Sentinel Hill Productions Corporation est l’unique commanditée de la société en commandite Sentinel Hill 1998 Master. Sentinel Hill Productions II Corporation est l’unique commanditée de la société en commandite Sentinel Hill 1998‑2 Master.

 

[...]

 

36.  Le 6 octobre 1998 (la « décision du mois d’octobre 1998 ») et le 18 décembre 1998 (la « décision du mois de décembre 1998 »), la Section des décisions de l’ARC a rendu des décisions anticipées ayant force obligatoire en matière d’impôt sur le revenu à l’égard de SHEC en ce qui concerne des opérations qui étaient, sur tous les points importants, identiques à celles que SHEC a conclues à l’égard de l’appelante et de la société de personnes.

 

36.A.  La décision du 6 octobre 1998 se rapportait à des opérations effectuées, entre autres, par SHEC, par sa filiale Sentinel Hill Productions Corporation et par la société en commandite Sentinel Hill 1998 Master.

 

36.B.  La décision du 18 décembre 1998 se rapportait à des opérations effectuées, entre autres, par SHEC, par sa filiale Sentinel Hill Productions Corporation et par la société en commandite Sentinel Hill 1998‑2 Master.

 

36.C.  Les décisions rendues à l’égard de SHEC se rapportaient, entre autres choses, à l’existence d’une société de personnes, au calcul des fractions à risque et à la non‑applicabilité des règles concernant les dépenses à rattacher.

 

36.D.  Selon une pratique bien connue et acceptée de la Section des décisions de l’ARC, en ce qui concerne les décisions rendues à l’égard de promoteurs de sociétés de personnes multiples, une seule décision était rendue, cette décision s’appliquant à toutes les opérations conclues par ce promoteur qui étaient, sur tous les points importants, identiques à celles dont il était question dans la décision.

 

36.E.  La société SHEC a versé des frais à l’ARC à l’égard de chaque décision.

 

37.  Au mois de décembre 1999, l’avocat de SHEC, l’appelante, la société de personnes et les ACS ont entamé des discussions et ont échangé des lettres avec des représentants de la Section des décisions de l’ARC en vue de mettre à jour la décision du mois d’octobre 1998 et la décision du mois de décembre 1998. Ces discussions ont abouti à une autre décision anticipée ayant force obligatoire en matière d’impôt sur le revenu rendue par la Section des décisions de l’ARC le 21 février 2000.

 

38.  La société SHEC, l’appelante, la société de personnes, les ACS et les commanditaires se sont fondés sur la décision du mois d’octobre 1998, sur la décision du mois de décembre 1998 ainsi que sur les discussions préliminaires et sur les lettres échangées au sujet de la décision du mois de février 2000 en effectuant des placements dans les sociétés de personnes et en entreprenant les productions.

 

39.  Le ministre voulait que SHEC, l’appelante, la société de personnes, les ACS et les commanditaires se fondent sur la décision du mois d’octobre 1998, sur la décision du mois de décembre 1998 ainsi que sur les discussions préliminaires et sur les lettres échangées au sujet de la décision du mois de février 2000 en effectuant des placements dans les sociétés de personnes et en entreprenant les productions, et il savait ou aurait dû savoir que ceux‑ci se fonderaient sur ces décisions, discussions et lettres.

 

39.A.  En établissant une nouvelle cotisation, le ministre s’est fondé sur une comparaison des faits énoncés dans les décisions et des faits qu’il avait constatés dans les opérations ici en cause.

 

[...]

 

50.A.  Les décisions de 1999 concernant les ACS et les décisions de 1999 ont été rendues même si les opérations étaient conformes aux décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu, à la pratique, aux lettres et aux discussions mentionnées ci‑dessus aux paragraphes 36 à 39 A, sur lesquelles l’appelante et les commanditaires se sont fondés.

 

[...]

 

58.A.  Les décisions de l’an 2000 concernant les ACS et la décision de l’an 2000 ont été rendues même si l’opération était conforme aux décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu, à la pratique, aux lettres et aux discussions mentionnées ci‑dessus aux paragraphes 36 à 39 A, sur lesquelles l’appelante et les commanditaires se sont fondés.

 

59.  Les questions à trancher dans le présent appel en ce qui concerne la décision de 1999 sont les suivantes :

 

  a)  Le ministre est-il empêché par la préclusion d’invoquer tout ou partie de la décision de 1999, étant donné qu’il avait l’habitude de rendre des décisions anticipées ayant force obligatoire en matière d’impôt sur le revenu à l’égard du groupe Sentinel Hill et d’autres personnes, en particulier en rendant la décision du mois d’octobre 1998, la décision du mois de décembre 1998 et la décision du mois de février 2000?

 

  (a.1)  La décision du 6 octobre 1998, la décision du 18 décembre 1998, la pratique que l’ARC suivait en rendant de telles décisions ainsi que les lettres et discussions y afférentes constituent‑elles une entente obligeant le ministre à établir une cotisation à l’égard de la société de personnes et des commanditaires conformément à cette entente et, dans l’affirmative, le ministre a‑t‑il de fait établi la cotisation conformément à l’entente ainsi établie?

 

[...]

 

60.  Les questions à trancher dans le présent appel en ce qui concerne la décision de l’an 2000 sont les suivantes :

 

  a)  Le ministre est-il empêché par la préclusion d’invoquer tout ou partie de la décision de l’an 2000, étant donné qu’il avait l’habitude de rendre des décisions anticipées ayant force obligatoire en matière d’impôt sur le revenu à l’égard du groupe Sentinel Hill et d’autres personnes, en particulier en rendant la décision du mois d’octobre 1998, la décision du mois de décembre 1998 et la décision du mois de février 2000 et compte tenu des révisions à apporter à la structure recommandées par la Section des décisions de l’ARC en 1998?

 

  (a.1)  La décision du 6 octobre 1998, la décision du 18 décembre 1998, la pratique que l’ARC suivait en rendant de telles décisions ainsi que les lettres et discussions y afférentes constituent‑elles une entente obligeant le ministre à établir une cotisation à l’égard de la société de personnes et des commanditaires conformément à cette entente et, dans l’affirmative, le ministre a‑t‑il de fait établi la cotisation conformément à l’entente ainsi établie?

 

[...]

 

60.A.  Des dépens procureur-client ou d’autres dépens spéciaux devraient‑ils être adjugés à l’appelante par suite de la délivrance des décisions et confirmations de ces décisions ainsi que de la poursuite du présent appel par l’intimée, malgré les décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu et malgré les discussions et lettres mentionnées ci‑dessus aux paragraphes 36 à 39.A, sur lesquelles l’appelante et les commanditaires se sont fondés?

 

[...]

 

62.  L’appelante, ses entités liées et les commanditaires de la société de personnes se sont fondés sur les décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu rendues par la Section des décisions de l’ARC, et ce, à la connaissance du ministre. Par conséquent, le ministre est empêché par la préclusion de rendre la décision de 1999 et la décision de l’an 2000 en violation des décisions.

 

62.A.  Les décisions, pratiques, lettres et discussions mentionnées ci‑dessus aux paragraphes 36 à 39.A constituaient une entente obligeant le ministre à établir une cotisation conformément à cette entente, et le ministre a violé cette entente en rendant la décision de 1999 et la décision de l’an 2000. La décision de 1999 et la décision de l’an 2000, dans la mesure où elles sont incompatibles avec cette entente, devraient être annulées.

 

[...]

 

72.  L’appelante affirme qu’en rendant la décision en question et en poursuivant le présent appel malgré les décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu et malgré les lettres et discussions mentionnées ci‑dessus aux paragraphes 36 à 39.A, l’intimée a agi d’une façon inappropriée et vexatoire, de sorte que des dépens procureur‑client ou d’autres dépens spéciaux devraient être adjugés à l’appelante.

 

[6]  Les paragraphes que l’intimée cherche à faire radier de l’avis d’appel Strother sont similaires. La plupart des paragraphes attaqués par l’intimée renferment des allégations de fait qui doivent être considérées comme exactes pour les besoins de la présente requête. Si l’intimée veut contester les faits allégués, elle ne peut le faire au moyen d’une requête fondée sur l’article 53. Elle doit le faire à l’instruction lorsque le juge qui entendra la preuve pourra se prononcer sur l’exactitude et la pertinence de la preuve présentée à l’appui des allégations ainsi que sur le poids à accorder à cette preuve.

 

[7]  L’intimée cherche à faire radier les paragraphes en question pour le motif qu’il y est fait mention de la doctrine de la préclusion. Il est clair que la préclusion ne peut pas l’emporter sur le droit. L’avocat des appelants, Me Mitchell, en convient et moi aussi.

 

[8]  Me Mitchell cite un passage d’une décision que j’ai rendue il y a un certain nombre d’années dans l’affaire Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029, à la page 1033 :

 

  Il existe une jurisprudence volumineuse sur la question de la préclusion dans les affaires fiscales, et il ne serait pas utile de passer une fois de plus les divers cas en revue. Je tenterai toutefois d’énoncer les principes tels que je les comprends, du moins dans la mesure où ils sont pertinents. La préclusion se présente sous diverses formes – préclusion du fait du comportement, préclusion de chose jugée et préclusion du fait d’acte formaliste. Dans certains cas, il est fait référence à une notion d’« equitable estoppel » (préclusion en equity), expression qui n’est pas nécessairement exacte. Qu’il suffise de dire que le seul type de préclusion qui nous intéresse ici est la préclusion du fait du comportement. Dans l’arrêt Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd., [1970] R.C.S. 932, pp. 939-940, le juge Martland énonce comme suit les facteurs donnant lieu à une préclusion :

 

Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir sont, je pense, les suivants :

 

(1)  Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

 

(2)  Une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite.

 

(3)  Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

 

La préclusion n’est plus simplement une règle de preuve. C’est une règle de droit positif. Lord Denning en parle comme d’un « principe de justice et d’équité ».

 

On dit parfois que la préclusion n’est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n’est pas exacte et semble provenir d’une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d’autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu’elle s’applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s’est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n’a aucune application lorsqu’une interprétation particulière d’une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l’État, que le sujet s’est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l’interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n’est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu’aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n’a aucun rôle à jouer lorsque des questions d’interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

 

Enfin, dans une note de bas de page, à la fin du jugement (p. 1034), il est dit ce qui suit :

 

Je laisse entièrement de côté la question des décisions anticipées, qui représentent une partie importante et nécessaire de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministère du Revenu national considère qu’il est lié par ces décisions. Autant que je sache, aucune décision anticipée qui avait été communiquée à un contribuable et sur laquelle ce dernier s’était fondé n’a jamais été répudiée par le ministre, à l’encontre du contribuable à qui la décision avait été communiquée. Le système s’effondrerait si le ministre agissait de la sorte.

 

[9]  Il appartient au juge du procès de décider de l’existence des éléments factuels donnant lieu à la préclusion.

 

[10]  En ce qui concerne les mots « scandaleux, frivole ou vexatoire », les passages les plus souvent cités (lesquels font autorité) sont les suivants :

 

On trouve dans l=arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980, un excellent énoncé de la juge Wilson sur le critère applicable à la radiation d=une déclaration sous le régime de ces dispositions :

 

… dans l=hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d=action raisonnable? Comme en Angleterre, s=il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d=un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d=action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d=intenter son action. Ce n=est que si l=action est vouée à l=échec parce qu=elle contient un vice fondamental [. . .] que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées . . .

 

Il s=agit là d=un critère rigoureux. Les faits allégués doivent être tenus pour avérés. Ensuite, il faut se demander s=il est « évident et manifeste » que l=action doit être rejetée. Ce n=est que si la déclaration est vouée à l=échec parce qu=elle contient un « vice fondamental » que le demandeur devrait être privé d=un jugement. [Non souligné dans l’original.]

SuccessionOdhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, 2003 CSC 69.

 

[11]  Compte tenu de la jurisprudence portant sur l’article 53 des Règles, je ne vois pas comment il est possible de dire qu’il est évident et manifeste que les arguments et faits avancés dans les avis d’appel modifiés à deux reprises sont visés par les dispositions de cet article. Le règlement des présentes requêtes n’a rien à voir avec la question de savoir si je suis d’avis que les éléments factuels de la préclusion existent ou que les décisions anticipées constituent des ententes. Les appelants devraient être autorisés à avancer de tels arguments à l’instruction compte tenu de la preuve dans son ensemble. Malgré le nombre de décisions portant sur les mots « scandaleux, frivole ou vexatoire ou un recours abusif à la Cour », ces mots ont néanmoins un sens fort, péjoratif, faisant appel aux émotions, et dénotent un acte de procédure qui est manifestement dénué de fondement. L’application de ces mots devrait être réservée aux assertions clairement et manifestement insensées – par exemple, dans la décision William Shawn Davitt v. The Queen, 2001 DTC 702. Lorsque des avocats chevronnés avancent, dans un acte de procédure, une proposition de fait ou de droit qui mérite un examen sérieux de la part du juge du procès, il est pour le moins présomptueux et fort insultant et offensant de contraindre l’avocat à faire face à l’argument selon lequel cette position est dénuée de fondement à un point tel qu’elle ne mérite même pas d’être examinée dans le cadre d’une instruction. Lorsque la Couronne, dès qu’elle voit un argument juridique qu’elle n’aime pas, cherche à le faire radier, la tactique qu’elle emploie est déplorable. Comme je l’ai dit dans la décision Sackman c. The Queen, 2007 CCI 455, c’est ce genre de querelle qui met les litiges fiscaux hors de la portée des personnes ordinaires. Je ne veux pas voir la Cour devenir l’enceinte où l’on se livre à des manœuvres procédurales. Je répéterai ce qui a été dit dans la décision Satin Finish Hardwood Flooring (Ontario) Limited v. The Queen, 96 DTC 1402, à la page 1405 :

 

  Rien ne justifiait la présentation de la requête dont il s’agit en l’espèce, qui n’a aucune utilité dans le contexte du litige. Le temps consacré à ce jeu visant à marquer des points en matière procédurale aurait été mieux utilisé en menant, après le dépôt et la signification d’une réponse, un interrogatoire préalable lors duquel on aurait pu facilement découvrir les éléments de preuve sur lesquels l’appelante s’appuie pour contester la cotisation. Les règles de notre cour, qui visent à faciliter et non à entraver le règlement rapide de différends fiscaux, ne doivent pas servir à des manœuvres procédurales improductives.

 

[12]  La position prise par l’intimée est ambivalente. J’ai demandé à l’avocat s’il disait que les décisions anticipées n’ont pas force obligatoire ou que les appelants ne s’y étaient pas conformés. Il a répondu qu’il avançait ces deux positions. S’il est soutenu que les décisions anticipées ne s’appliquent pas aux appelants ou que leurs dispositions n’ont pas été respectées, il s’agit d’une question factuelle qui contredit les allégations figurant dans les avis d’appel. Cet argument ne peut pas être invoqué dans les présentes requêtes. Il doit faire l’objet d’une décision fondée sur la preuve, rendue à l’instruction. Si l’intimée cherche maintenant à établir que le ministre peut répudier des décisions anticipées après que des contribuables se sont fondés pendant des dizaines et des dizaines d’années sur de telles décisions, cette proposition, qui étonnerait la plupart des avocats praticiens, devrait être examinée dans le cadre d’une instruction complète plutôt que d’une requête préliminaire. Il ne convient certes pas de discuter, dans le cadre de la présente requête préliminaire, des questions complexes découlant de la position remarquable que le ministre a prise. Le processus des décisions, que Revenu Canada a créé et qui a énormément aidé les contribuables à prévoir avec certitude les attributs fiscaux se rattachant à des opérations commerciales, constitue une pierre angulaire fondamentale de l’administration fiscale canadienne. L’idée voulant qu’un juge des requêtes puisse, à la suite d’une heure d’argumentation et en l’absence de preuve, démolir l’une des assises essentielles de notre système est, franchement, épouvantable.

 

[13]  L’ampleur de la question dépasse les limites d’une requête préliminaire et a de fait encore plus d’importance dans le domaine fiscal que tout ce que j’ai vu depuis bien des années [2] .

 

[14]  Les requêtes sont rejetées, la Couronne devant payer les dépens des appelants, et ce, quelle que soit l’issue de la cause.

 

[15]  Un délai de 30 jours, à compter de la date de la présente ordonnance, est accordé aux appelants pour qu’ils déposent des réponses.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19jour de décembre 2007.

 

 

 

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2008

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :  2007CCI742

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :  2006-3455(IT)G

  2007-329(IT)G

 

INTITULÉ :  Sentinel Hill Productions (1999) Corporation et Robert Strother

  c.

  Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 4 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :  L’honorable juge en chef D.G.H. Bowman

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 19 décembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des appelants :

Me Warren J.A. Mitchell, c.r.

Me David R. Davies

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Robert Carvalho

Me Michael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Pour les appelants :

 

  Nom :  Thorsteinssons/Avocats

  Cabinet :  C.P. 49123, 3 Bentall Centre

  27e étage, 595, rue Burrard

  Vancouver (C.-B.) V7H 1J2

 

  Pour l’intimée :  John H. Sims, c.r.

  Sous-procureur général du Canada

  Ottawa, Canada

 

 



[1] Parmi les décisions mentionnées par l’avocat, il y a The Queen v. Enterac Property Corporation, 98 DTC 6202, Niagara Helicopters Ltd. v. The Queen, 2003 DTC 513, page 514; Gauthier v. The Queen, 2006 DTC 3050.

[2]   La question est examinée à fond dans un article paru dans la University of Toronto Faculty of Law Review, vol. 57/numéro 2/printemps 1999. Holding Revenue Canada to its word: Estoppel in Tax Law, Glen Loatzenheiser. Une question similaire a été examinée au Royaume‑Uni dans le Cambridge Law Journal 53(2), juillet 1994, page 273 : The Revenue giveth – the Revenue taketh away.

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