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Dossiers : 2009-1150(EI)

2009-1151(CPP)

ENTRE :

J.R. SAINT & ASSOCIATES

INSURANCE AGENCIES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune

le 15 décembre 2009, à Calgary (Alberta).

 

 Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

 Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gordon D. Beck

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Marla Teeling

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’égard de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre »), datée du 20 mars 2009, de ratifier les cotisations datées du 16 juillet 2008 sont accueillis, et les cotisations en question sont modifiées et déférées au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse des nouvelles cotisations en tenant pour acquis que seuls les paiements à la quinzaine reçus par Nicolas Anstis, Kevin Lundy et Shannon MacDonald dans le cadre du régime de participation des employés aux bénéfices pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 constituaient des revenus et des gains assurables au sens de l’article 82 et de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, et des revenus et de gains ouvrant droit à pension au sens de l’article 12 et de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pension du Canada, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2010.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mai 2010.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 168

Date : 20100323

Dossiers : 2009-1150(EI)

2009-1151(CPP)

ENTRE :

J.R. SAINT & ASSOCIATES

INSURANCE AGENCIES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

Introduction

 

[1]              Le 1er janvier 2006, l’appelante a établi un régime de participation des employés aux bénéfices (le « RPEB ») au profit de Nicolas Anstis, de Kevin Lundy, de Shannon MacDonald et de James Saint, tous des employés de l’appelante (les « employés »). Après l’établissement du RPEB, les salaires des employés ont été réduits à des montants minimes, et le reste de leur rémunération leur était versé au moyen de distributions provenant du RPEB qui étaient financées par l’appelante. L’appelante a reconnu qu’elle avait établi le RPEB afin de ne pas avoir à payer les cotisations exigées par le régime de pension du Canada (le « RPC ») et l’assurance‑emploi (l’« AE ») relativement aux salaires. Pour l’application du RPC et de l’AE, les paiements faits à des employés en vertu d’un régime de participation des employés aux bénéfices sont traités comme des revenus de fiducie.

 

[2]              L’intimé soutient que le RPEB était une frime (l’« argument fondé sur la frime ») parce que l’appelante a fait transiter par le RPEB les salaires dus aux employés afin de tromper le ministre du Revenu national (le « ministre ») en lui faisant croire que les paiements faits aux employés par l’intermédiaire du RPEB constituaient des distributions provenant d’une fiducie. Selon l’intimé, les paiements faits aux employés étaient en fait des salaires qui étaient exigibles par les employés.

 

Questions en litige

 

[3]              En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

 

a)       est-ce que l’appelante a fait une fausse déclaration au sujet des circonstances qui avaient entouré l’établissement et l’administration du RPEB, ce qui, dans l’affirmative, ferait du RPEB une frime pour l’application de Régime de pensions du Canada (le « RPC ») et de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « LAE »)?

 

b)      si le RPEB était une frime, est‑ce que les sommes reçues par les employés en vertu du RPEB constituaient des revenus d’emplois, et donc des revenus ouvrant droit à pension aux fins du RPC et des revenus assurables aux fins de la LAE?

 

[4]              Au début de l’audience, l’intimé a présenté une requête de modification de sa réponse à l’avis d’appel pour abandonner son argument selon lequel le RPEB n’avait pas été dûment établi, créant ainsi une « réponse à l’avis d’appel modifiée ». Par conséquent, la position de l’intimé repose maintenant entièrement sur l’argument fondé sur la frime. J’ai accueilli la requête de modification et j’ai permis aux deux parties de présenter des observations écrites, ce que leurs avocats ont fait.

 

Contexte factuel

 

[5]              Après vérification du RPEB établi par l’appelante, le dossier a été renvoyé aux fins d’examen des documents comptables de l’appelante relativement au compte de fiducie. En se fondant sur les résultats de cet examen, le ministre a conclu que les paiements faits aux employés par l’intermédiaire du RPEB pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 constituaient des revenus et des gains ouvrant droit à pension provenant d’emplois ouvrant droit à pension au sens de l’article 12 et de l’alinéa 6(1)a) du RPC, et des revenus et des rémunérations assurables provenant d’emplois assurables au sens de l’article 82 et de l’alinéa 5(1)a) de la LAE.

 

[6]              Compte tenu de cette décision, le ministre a établi des cotisations à l’égard de l’appelante, lui imposant le paiement des cotisations au RPC, des pénalités et des intérêts suivants :

 

Année

Cotisation

Pénalité

Intérêts

2006

12 972,74 $

1 673,89 $

2 348,00 $

2007

11 340,08 $

1 563,52 $

627,00 $

2008

2 733,90 $

198,64 $

95,00 $

 

 

[7]              Le ministre a aussi établi des cotisations à l’égard de l’appelante pour lui imposer le paiement des cotisations d’AE, des pénalités et des intérêts suivants :

 

Année

Cotisation

Pénalité

Intérêts

2006

4 266,16 $

1 673,89 $

2 348,00 $

2007

4 795,20 $

1 563,52 $

627,00 $

2008

1 252,70 $

198,64 $

95,00 $

 

[8]              Les appels interjetés à l’égard de ces cotisations ont été entendus sur preuve commune.

 

[9]              Au paragraphe 14 de la réponse à l’avis d’appel modifiée, l’intimé a affirmé s’être fondé sur les hypothèses de fait suivantes pour prendre sa décision :

 

          [traduction]

 

a)         l’appelante exploite une entreprise de prestation de services financiers et d’assurance (l’« entreprise »);

 

b)         l’exercice de l’appelante commence le 1er janvier et se termine le 31 décembre;

 

c)         les actionnaires de l’appelante et le pourcentage des actions qu’ils détiennent sont les suivants :

 

2006

·        James Saint                        51 %

·        Fiducie de la famille Saint    49 %

 

2007 à aujourd’hui

·        James Saint                        100 %;

 

d)         James Saint est le président de l’appelante;

 

e)         pendant la période en cause, les travailleurs étaient employés par l’appelante en vertu de contrats de louage de services;

 

f)          les travailleurs occupaient les postes suivants :

 

·        Shannon MacDonald          adjointe administrative

·        Kevin Lundy                       ventes et administration

·        Nicolas Anstis                    conseiller financier;

 

g)         l’appelante avait cinq employés en 2006, cinq en 2007 et quatre en 2008;

 

h)         le 1er janvier 2006, l’appelante a établi une fiducie (la « fiducie ») au moyen d’une convention de fiducie;

 

i)          les fiduciaires de la fiducie sont James Saint, James McIntyre et Daryl Phippan;

 

j)          James McIntyre et Daryl Phippan n’avaient aucun rôle actif dans la gestion des fonds;

 

k)         le revenu net réalisé par la fiducie doit être distribué aux participants avant la fin de l’année suivant une directive écrite du conseil d’administration;

 

l)          conformément aux résolutions de l’appelante, les distributions suivantes ont été faites :

 

·        résolution datée du 23 décembre 2006 – la somme de 386 146,86 $ devait être distribuée de la façon suivante au plus tard le 31 décembre 2006 :

        Shannon MacDonald :        47 026 $

        Kevin Lundy :                     33 369 $

        James Saint :                       233 740 $

        Nicolas Anstis :                   72 010 $

 

·        résolution datée du 23 décembre 2007 – la somme de 386 146,86 $ devait être distribuée de la façon suivante au plus tard le 31 décembre 2007 :

        Shannon MacDonald :        52 979 $

        Kevin Lundy :                     38 646 $

        James Saint :                       0,00 $

        Nicolas Anstis :                   72 110 $

 

m)        selon leurs feuillets T4, les travailleurs ont reçu les revenus d’emplois suivants de l’appelante :

 

 

Nom

2005

2006

2007

Nicolas Anstis

40 499 $

6 153 $

64 356 $

Kevin Lundy

34 384 $

5 000 $

4 500 $

Shannon MacDonald

46 499 $

6 384 $

4 500 $

James Saint

230 000 $

3 975 $

294 406 $

 

n)         en 2006, les travailleurs ont reçu des salaires minimes, allant de 3 975 $ à 6 384 $, moins les déductions faites par l’intermédiaire du système général de paye de l’appelante;

 

o)         en 2007, les travailleurs ont reçu des salaires minimes, allant de 1 500 $ à 4 500 $, moins les déductions faites par l’intermédiaire du système général de paye de l’appelante;

 

p)         les travailleurs ont aussi reçu de l’appelante les revenus supplémentaires suivants :

 

Nom

2006

2007

Nicolas Anstis

124 964 $

72 110 $

Kevin Lundy

33 369 $

38 646 $

Shannon MacDonald

47 026 $

52 979 $

James Saint

280 000 $

0,00 $

Total

485 359 $

163 736,88 $

 

q)         pour 2006, le rapport entre les revenus supplémentaires et les revenus d’emplois indiqués dans les feuillets T4 étaient le suivant :

 

Nom

Revenus d’emploi pour 2006 (T4)

Revenus supplémentaires pour 2006

Pourcentage

Shannon MacDonald

6 384,62 $

47 026,50 $

726,56 %

Kevin Lundy

5 000 $

33 369 $

667,38 %

James Saint

3 975,00 $

280 000 $

7 044,03 %

Nicolas Anstis

6 153,85 $

124 964,37 $

2 030,67 %

 

r)          pour 2006 2007, le rapport entre les revenus supplémentaires et les revenus d’emplois indiqués dans les feuillets T4 étaient le suivant :

 

Nom

Revenus d’emploi pour 2006 2007  (T4)

Revenus supplémentaires pour 2006 2007

Pourcentage

Shannon MacDonald

4 500,00 $

52 979,75 $

1 177,33 %

Kevin Lundy

4 500,00 $

38 646,25 $

858,81 %

James Saint

294 406,00 $

0,00 $

0,00 %

Nicolas Anstis

64 356,76 $

72 110,88 $

112,05 %

 

s)         les paiements mentionnés aux alinéas q) et r) ci‑dessus n’avaient pas été fixés en fonction d’une formule déterminée, et les cotisations avaient été calculées au cas par cas;

 

t)          seuls Nicolas Anstis, Kevin Lundy, Shannon MacDonald et James Saint ont reçu des revenus supplémentaires de l’appelante en 2006 et en 2007;

 

u)         dans ses bilans, l’appelante a déclaré les bénéfices non répartis suivants :

 

2005

1 141 436 $

2006

906 921 $

2007

1 230 669 $

 

v)         dans ses états des résultats, l’appelante a déclaré les bénéfices suivants :

 

2005

229 866 $

2006

371 313 $

2007

492 699 $

 

w)        dans ses états des résultats et ses déclarations de revenus, l’appelante a déclaré que les sommes versées aux employés étaient des salaires;

 

x)         tous les revenus versés aux travailleurs provenaient d’un compte bancaire de la Banque Manuvie portant le numéro 1093656 dont le titulaire était « J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. » (le « compte de J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. »);

 

y)         l’appelante était signataire autorisée du compte de J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd., et elle le gérait;

 

z)         les relevés du compte de J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. font état des transactions suivantes :

 

·        des débits et des crédits de 4 396,11 $ portés au compte toutes les deux semaines pendant la période de 19 mois allant de février 2005 à août 2006,

·        des débits de 4 396,11 $ et des crédits de 5 000 $ portés au compte toutes les deux semaines pendant la période de 19 [sic] mois allant de septembre 2006 à mars 2007,

·        des débits de 3 196,67 $ et des crédits de 5 000 $ portés au compte toutes les deux semaines pendant la période de 7 mois allant d’avril 2007 à octobre 2007,

·        des débits de 3 196,67 $ et des crédits de 3 200 $ portés au compte toutes les deux semaines pendant la période de 7 mois allant de novembre 2007 à mai 2008,

·        à compter de janvier 2007, les crédits de 5 000 $ ont été portés au compte toutes les deux semaines au moyen de virements préautorisés,

·        les crédits provenaient du compte bancaire no 1025234 de la Banque Manuvie, le compte commercial de la société;

 

aa)       en 2006, 2007 et 2008, les débits et les crédits suivants ont été portés au compte bancaire de J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. :

 

Année

Crédits

Débits

2005 2006

479 233,32 $

482 427,18 $

2006 2007

185 000,00 $

161 657,63 $

2007 2008

35 200,00 $

35 163,37 $

 

bb)       aucun des montants portés au crédit du compte de J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. n’a été investi.

 

[10]         James Saint a été le seul témoin à comparaître pour l’appelante. Lors de son témoignage, il a reconnu que le RPEB avait été établi afin de permettre à l’appelante de verser aux employés une partie considérable de leur rémunération sous forme de distributions provenant du RPEB plutôt que sous forme de salaires. Ainsi, en 2006, 2007 et 2008, la plupart des revenus gagnés par les employés de l’appelante n’a pas fait l’objet de retenues au titre de cotisations à l’AE et au RPC. M. Saint a soutenu que le principal facteur dont l’appelante tenait compte pour fixer sa contribution totale au RPEB pour une année était de veiller à ce que les revenus nets déclarés par l’appelante ne dépassent pas le seuil d’admissibilité au taux d’imposition des petites entreprises. La preuve révèle que cela est vrai pour les contributions faites au RPEB puis distribuées à M. Saint, mais elle montre que la situation était différente pour Nicolas Anstis, Kevin Lundy et Shannon MacDonald.  En fait, lorsqu’il a été contre‑interrogé, M. Saint a admis que, pour calculer les sommes versées aux employés à partir du RPEB plutôt que sous forme de salaires, il divisait par 26 la rémunération que les employés auraient normalement reçue pendant l’année[1].

 

[11]         L’avocat de l’appelante a confirmé que M. Saint avait procédé de cette façon pour déterminer les paiements faits à la quinzaine (les « paiements à la quinzaine ») à Nicolas Anstis, à Kevin Lundy et à Shannon MacDonald par l’intermédiaire du RPEB :

 

          [traduction]

 

Me Beck : Pardon. Il n’est pas remis en cause qu’à partir de 2006, après l’établissement du prétendu RPEB, les salaires qui étaient auparavant versés directement aux employés ont commencé à transiter par le RPEB.

 

À mon avis, M. Saint a essentiellement voulu dire que les paiements à la quinzaine étaient calculés en fonction de la rémunération que les employés auraient reçue si le RPEB n’avait pas existé, ou, sinon, de la rémunération qu’ils avaient reçue pendant les années où il n’y avait pas de RPEB[2].

 

Analyse

 

[12]         Du consentement des parties, je peux disposer des appels en tranchant la question de savoir si le RPEB établi par l’appelante était, en tout ou en partie, une frime. Avant d’examiner l’argument fondé sur la frime avancé par l’intimé, il est utile de se pencher sur la définition donnée au terme « régime de participation des employés aux bénéfices » au paragraphe 144(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») :

 

144(1) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

[…]

 

« régime de participation des employés aux bénéfices » À un moment donné, arrangement dans le cadre duquel, à la fois :

 

a) un employeur est tenu de faire des versements – calculés en fonction soit des bénéfices qu’il tire de son entreprise, soit des bénéfices tirés de l’entreprise d’une société avec laquelle il a un lien de dépendance, soit d’une combinaison de ces bénéfices – à un fiduciaire dans le cadre de l’arrangement au profit de ses employés ou de ceux d’une société avec laquelle il a un lien de dépendance;

 

[…]

 

[13]         Pour satisfaire aux exigences établies par cette définition, un arrangement doit répondre à trois conditions :

 

a)       les versements doivent être calculés en fonction des bénéfices que l’employeur tire de son entreprise;

 

b)      les versements doivent être remis à un fiduciaire dans le cadre de l’arrangement;

 

c)       chaque année, le fiduciaire doit répartir entre les employés bénéficiaires de l’arrangement tous les versements qu’il a reçus.

 

[14]         Je tiens maintenant à souligner que l’appelante fonde aussi sa position sur un choix qu’elle a fait en vertu du paragraphe 144(10) de la LIR. Cette disposition, qui prévoit une exemption à la règle voulant que les versements à un RPEB doivent être calculés en fonction des bénéfices, est ainsi rédigée :

 

144(10) Versements sur les bénéfices – Pour l’application du paragraphe (1), lorsque les modalités d’un arrangement en vertu duquel un employeur fait des versements à un fiduciaire prévoient expressément que les versements sont à faire « sur les bénéfices », l’arrangement est réputé, si l’employeur fait un choix en ce sens selon les modalités réglementaires, constituer un arrangement dans le cadre duquel des versements calculés en fonction des bénéfices de l’employeur sont à faire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]         Lorsqu’un choix est dûment fait en vertu du paragraphe 144(10) de la LIR, les modalités de l’arrangement sont réputées satisfaire à l’exigence voulant que les versements doivent être « calculés en fonction des bénéfices » si, par exemple, ces modalités prévoient que des versements réguliers au fiduciaire sont à faire sur les bénéfices de l’employeur. Dans un tel cas, il n’est pas nécessaire que les versements faits au fiduciaire soient calculés au moyen d’une formule.

 

[16]         Il est maintenant temps de se pencher sur le concept de frime en droit fiscal canadien. L’arrêt de la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») dans 2529-1915 Québec Inc. c. Canada[3] est un arrêt de principe à ce sujet. Dans cet arrêt, la CAF a distingué la notion de frime de celle d’abus. La notion d’abus est pertinente à la disposition générale anti‑évitement prévue à l’article 245 de la LIR, mais cette disposition ne s’applique pas en l’espèce. La CAF a conclu que la notion de frime permet de ne pas tenir compte d’une transaction si l’existence d’un élément de tromperie est démontrée :

 

[59]      L’existence d’une frime en droit canadien exige donc en vue des définitions qui précèdent un élément de déception [tromperie] qui se manifeste règle générale par une fausse représentation par les parties de la transaction réelle intervenue entre elles. Dans ces circonstances, les tribunaux retiendront la transaction réelle et mettront de côté celle qui fut représentée comme étant la vraie.

 

[17]         L’appelante soutient que c’est à l’intimé qu’incombe le fardeau de prouver l’existence d’une frime, et qu’il ne lui suffit donc pas de se fonder sur les hypothèses de fait exposées au paragraphe 14 de la réponse à l’avis d’appel modifiée pour soutenir sa position. Selon l’appelante, l’intimé doit établir les fondements factuels de l’existence d’une frime au moyen des éléments de preuve présentés en l’espèce. À cet égard, je suis seulement d’accord avec l’appelante pour ce qui est du paragraphe 14.1, qui a été ajouté par l’intimé au moyen de sa réponse à l’avis d’appel modifiée. L’intimé peut se fonder sur les hypothèses de fait plaidées au paragraphe 14 de sa réponse à l’avis d’appel originale – d’ailleurs, ces hypothèses font aussi partie de la réponse à l’avis d’appel modifiée. Les seules modifications apportées au paragraphe 14 visaient à corriger des coquilles. En fait, certaines de ces hypothèses de fait sont pertinentes par rapport à l’argument fondé sur la frime avancé par l’intimé.

 

[18]         Selon moi, l’acte de fiducie passé pour établir le RPEB contient un certain nombre de présentations erronées des faits. L’article 1 du préambule de l’acte de fiducie est ainsi rédigé :

 

          [traduction]

 

La société souhaite établir un Régime de participation des employés aux bénéfices (le « Régime »), suivant l’article 144 de la Loi de l’impôt sur le revenu, au profit des bénéficiaires admissibles afin de permettre à ceux‑ci de participer aux bénéfices de la société.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]         De même, l’article 2 de l’acte de fiducie définit l’objet du RPEB de la façon suivante :

 

          [traduction]

 

La société verse les éléments d’actif de la fiducie aux fiduciaires, au profit des bénéficiaires admissibles identifiés dans le présent acte de fiducie.

 

[20]         À l’alinéa j) de l’article 1 de l’acte de fiducie, les « bénéfices » sont définis de la sorte :

 

          [traduction]

 

« bénéfices » les revenus nets de la société, calculés conformément aux principes comptables généralement reconnus et qui sont inscrits aux états financiers de la société pour un exercice donné.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]         Selon l’acte de fiducie, les caractéristiques essentielles du RPEB établi par l’appelante sont les suivantes :

 

a)       l’objet du RPEB est de permettre aux employés admissibles de participer aux bénéfices de l’appelante;

 

b)      l’appelante a l’entière discrétion de fixer les versements faits au RPEB, sous réserve d’un versement minimal correspondant à 1 % de ses bénéfices;

 

c)       les versements faits au RPEB doivent être tirés des surplus de l’appelante, au sens donné à ce terme dans l’acte de fiducie.

 

[22]         La preuve révèle que ces principes n’ont pas été respectés dans le cas des versements ayant servi à financer les paiements à la quinzaine faits à Nicolas Anstis, à Kevin Lundy et à Shannon MacDonald (les « employés non-actionnaires ») par l’entremise du RPEB. Avant l’établissement du RPEB, l’appelante devait payer les salaires des employés non‑actionnaires à la quinzaine. La rémunération de Shannon MacDonald et de Kevin Lundy consistait en des salaires fixes et de faibles primes. Nicolas Anstis fournissait des conseils en matière de placement aux clients de l’appelante, et sa rémunération était calculée en fonction d’une formule qui tenait compte de son apport aux revenus de l’appelante. Après l’établissement du RPEB, l’appelante a offert aux employés non‑actionnaires la possibilité de recevoir une partie considérable de leur rémunération au moyen de paiements à la quinzaine provenant du RPEB. Les employés non-actionnaires ont accepté cette offre, et ils ont commencé à recevoir des paiements à la quinzaine du RPEB. Dans ses déclarations fiscales, l’appelante qualifiait ces paiements de distributions provenant d’une fiducie. Pour les périodes en cause, la rémunération des employés non-actionnaires pour leurs services d’emploi correspondait à la somme des paiements à la quinzaine et de leurs salaires annuels minimes. Bien que l’appelante n’ait fait témoigner aucun des employés non‑actionnaires, M. Saint et l’avocat de l’appelante ont reconnu qu’une partie de la rémunération d’emploi des employés non‑actionnaires leur était versée par l’intermédiaire du RPEB[4]. D’autres éléments de preuve corroborent ce fait‑là. Dans les états financiers non vérifiés de l’appelante pour les périodes en cause, les paiements provenant du RPEB sont qualifiés de salaires et d’avantages déductibles dans le calcul des revenus nets de l’appelante à des fins d’établissement d’états financiers. La pièce A‑5 semble être un tableau Excel servant à suivre les paiements faits aux employés par l’intermédiaire du RPEB. Dans ce tableau, le sommaire des paiements porte le titre de [traduction] « Salaires – RPEB ». À l’audience, j’ai demandé à M. Saint si M. Anstis aurait pu réclamer les montants accumulés dans son compte, mais qui n’étaient pas encore exigibles, s’il avait été renvoyé sans motif valable. M. Saint a répondu que M. Anstis aurait eu droit à tous ces montants‑là. Je présume que les autres employés non‑actionnaires auraient eu le même droit. Autrement dit, les indemnités de congés payés et les indemnités de cessation d’emploi auxquelles les employés non‑actionnaires auraient eu droit auraient été calculées en fonction de la somme de leur salaire minime et des paiements à la quinzaine reçus du RPEB. Pour ce qui est de ces paiements, le montant des versements faits au RPEB par l’appelante n’avait rien de discrétionnaire. La preuve démontre que l’appelante devait faire ces versements pour respecter ses obligations envers ses employés. L’appelante aurait pu appeler les employés non‑actionnaires à témoigner au sujet de leur compréhension de la nature des paiements qu’ils recevaient du RPEB. Je tire une conclusion négative du fait que l’appelante n’a pas fait témoigner les employés non‑actionnaires à ce sujet. Contrairement à ce qui est prétendu dans l’acte de fiducie, les paiements à la quinzaine n’auraient pas pu provenir des surplus de l’appelante, car ils représentaient des salaires. Comme le montrent les états financiers non vérifiés de l’appelante, ces paiements pouvaient être déduits dans le calcul des bénéfices de l’appelante. Les bénéfices représentent ce qui reste après déduction des dépenses faites pour produire des revenus.

 

[23]         L’avocat de l’appelante soutient que mon collègue le juge suppléant Porter a considéré un RPEB similaire dans A. Greber Professional Corporation c. M.R.N., 2007 CCI 78, et qu’il est arrivé à une conclusion différente de la mienne. Cependant, dans Greber, le ministre avait admis que le RPEB constituait un arrangement valide et dûment établi, et il n’avait pas invoqué d’argument fondé sur la frime. En l’espèce, le ministre affirme que, dans l’acte de fiducie, l’appelante a fait des présentations erronées des faits pour laisser croire au ministre que les paiements faits par l’intermédiaire du RPEB étaient des distributions provenant d’une fiducie, alors qu’il existait un accord selon lequel ces paiements servaient à rémunérer des services rendus.

 

[24]          Je partage l’interprétation de la preuve avancée par le ministre en ce qui a trait aux paiements à la quinzaine provenant du RPEB. Cependant, la même analyse ne peut pas être appliquée à des paiements forfaitaires, le cas échéant, faits aux employés non‑actionnaires ou aux sommes payées en 2006 à M. Saint par l’intermédiaire du RPEB. À titre d’actionnaire détenant le contrôle de l’appelante, M. Saint peut faire en sorte que la société lui verse des dividendes à l’égard de ses actions ou qu’elle lui verse une rémunération sous la forme de salaires, ce que ne peuvent pas faire les employés non‑actionnaires. Seul M. Saint peut fixer le montant de chaque type de distribution. En tant qu’actionnaire détenant le contrôle et que directeur général de l’appelante, M. Saint n’a pas à conclure de contrat de travail formel pour fixer ses droits comme employé de l’entreprise. Comme M. Saint est l’unique actionnaire de la société, tous les bénéfices accumulés et non distribués de l’appelante s’accumulent indirectement à son profit.

 

[25]         La preuve montre que M. Saint a reçu deux paiements considérables du RPEB au cours de l’exercice 2006. La preuve n’étaye pas la position de l’intimé selon laquelle les salaires dus à M. Saint ont transité par le RPEB. Ce type de paiement correspond davantage au fait que M. Saint a pu participer aux bénéfices de l’appelante au moyen des versements faits au RPEB par l’appelante.

 

Conclusion

 

[26]         Pour tous ces motifs, les cotisations sont déférées au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse des nouvelles cotisations en partant du principe que seuls les paiements à la quinzaine reçus par Nicolas Anstis, Kevin Lundy et Shannon MacDonald dans le cadre du RPEB pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 constituaient des revenus et des gains assurables au sens de l’article 82 et de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, et des revenus et de gains ouvrant droit à pension au sens de l’article 12 et de l’alinéa 6(1)a) du RPC.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2010.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de mai 2010.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2010 CCI 168

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2009-1150(EI), 2009-1151(CPP)

 

INTITULÉ :

J.R. Saint & Associates Insurance Agencies Ltd. c. Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 mars 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gordon D. Beck

 

Avocate de l’intimé :

Me Marla Teeling

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Gordon D. Beck

 

Cabinet :

Henning Byrne

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Transcription de l’audience, page 72, lignes 20 à 24.

[2] Ibid., page 73, lignes 3 à 12.

[3] 2008 CAF 398.

[4] Transcription de l’audience, ligne 9 de la page 51à la ligne 1 de la page 61; page 73, lignes 3 à 12.

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