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Dossier : 2009-3401(EI)

ENTRE :

FABIEN MÉNARD,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 mars 2010, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Gilles Savard

Avocate de l'intimé :

Me Marjolaine Breton

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 207

Date : 20100419

Dossier : 2009-3401(EI)

ENTRE :

FABIEN MÉNARD,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une détermination en vertu de laquelle l’intimé a décidé que le travail effectué par monsieur Fabien Ménard (le « travailleur »), du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2007 et du 1er janvier 2008 au 24 février 2009, pour le compte de Transport GMS Ménard Inc. (le « payeur »), satisfait aux exigences d’un contrat de louage de services, et cela, malgré le lien de dépendance qui existait entre les parties.

 

[2]              La détermination de l’intimé était fondée sur les faits suivants énoncés aux paragraphes 5, 6 et 7 de la réponse à l’avis d’appel :

 

a.      le payeur a été constitué en société le 12 décembre 1985; (admis)

 

b.      le payeur exploitait une entreprise de transport de bois au Québec et en Ontario avec des camions « flat bed » soit avec une remorque sans côté; (nié)

 

c.       le payeur possédait 7 camions de dix roues : (nié)

 

d.      durant les périodes en litige, le payeur employait jusqu’à 35 employés; (admis)

 

e.       l’appelant était le gérant du payeur; (nié)

 

f.        les tâches de l’appelant étaient d’obtenir des contrats, engager les employés, faire la répartition des transports, veiller à l’entretien mécanique des camions et dépanner les camionneurs; (nié tel que rédigé)

 

g.       l’appelant travaillait environ 40 heures par semaine pour le payeur; (nié)

 

h.       les camionneurs du payeur travaillaient plus de 40 heures par semaines; (nié tel que rédigé)

 

i.         l’appelant travaillait en plus, environ 25 heures par semaine pour la société Transport Lauri Inc.; (nié)

 

j.        Transport Lauri Inc. était une filiale du payeur, dont le capital actions était détenu entièrement par le payeur; (admis)

 

k.      Le bureau d’affaires du payeur et de Transport Lauri Inc. était situé au même endroit; (admis)

 

l.         l’appelant travaillait au bureau du payeur, dans la cour, au garage ainsi que sur la route selon les besoins; (nié tel que rédigé)

 

m.     l’appelant recevait une rémunération de 790 $ par semaine du payeur et une rémunération de 450 $ par semaine de Transport Lauri Inc.; (admis)

 

n.       l’appelant était rémunéré à chaque semaine; (admis)

 

o.      l’appelant avait une ou deux réunions par année avec les autres actionnaires en plus des téléphones selon les besoins; (nié)

 

p.      les actionnaires recevaient une copie des états financiers mensuels pour suivre l’évolution du payeur; (nié)

 

q.      les décisions importantes du payeur étaient prises par tous les actionnaires; (nié)

 

r.        il n’y avait pas de convention d’actionnaire; (admis)

 

s.       les droits de vote des actionnaires n’étaient pas entravés; (nié)

 

 

6.         L’appelant et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

a)                  les actionnaires du payeur, avec des actions votantes, étaient : (admis)

 

l’appelant

25 %

Guillaume Ménard

25 %

Simon Ménard

25 %

Normand Ménard

25 %

 

b)                  l’appelant est le frère de Guillaume, de Simon et de Norman Ménard; (admis)

 

c)                  l’appelant est lié à un groupe lié qui contrôle le payeur. (admis)

 

7.                  Le ministre a déterminé aussi que l’appelant était réputé ne pas avoir de lien de dépendance avec le payeur dans le cadre de son emploi car il a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure que l’appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’avait pas eu de lien de dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

a)                  l’appelant travaillait à la gestion du payeur et devait s’assurer que tout fonctionnait bien; (nié tel que rédigé)

 

b)                  les tâches de l’appelant étaient essentielles aux activités du payeur; (admis)

 

c)                  il est raisonnable de croire qu’une personne actionnaire et non liée aurait accompli un travail similaire; (nié)

 

d)                  depuis 1997, l’appelant travaillait à temps plein, et ceci à l’année longue; (admis)

 

e)                  l’appelant recevait une rémunération pour ses tâches; (admis)

 

f)                    il est raisonnable de croire qu’une personne non liée aurait travaillé à l’année; (nié)

 

g)                  l’appelant n’avait pas d’horaire fixe; (admis)

 

h)                  un horaire non restrictif se trouve fréquemment pour des postes de gestion; (nié tel que rédigé)

 

i)                    une personne non liée aurait pu avoir les heures de travail de l’appelant; (nié)

 

j)                    les actionnaires décidaient du salaire de l’appelant; (nié)

 

k)                  le salaire de l’appelant de 790 $ par semaine était indexé et augmentait au même rythme que le salaire des employés; (nié)

 

l)                    la rémunération de l’appelant était raisonnable compte tenu de ses tâches de direction. (nié)

 

[3]              Il convient de rappeler que l’intimé a déterminé que cet emploi était assurable puisqu’il n’était pas visé par l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »). En effet, le travailleur et le payeur furent réputés, en vertu de l’alinéa 5(3)b) de la Loi, ne pas avoir de lien de dépendance entre eux dans le cadre de cet emploi, l’intimé étant convaincu qu’il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que le travailleur aurait conclu avec le payeur un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[4]              Le travailleur a témoigné. Je note que monsieur Sylvain Mercier, le comptable interne du payeur, et monsieur Wilbrod Poulin, le vérificateur externe du payeur, ont témoigné à l’appui de la position du travailleur alors que seul monsieur Réginald Côté (l’agent d’assurabilité qui a déterminé que l’emploi du travailleur était assurable au sens de la Loi pour les périodes pertinentes) a témoigné à l’appui de la position de l’intimé.

 

[5]              La Cour d’appel fédérale a défini à plusieurs reprises le rôle confié par la Loi à un juge de la Cour canadienne de l’impôt. Ce rôle ne permet pas à un juge de substituer sa décision discrétionnaire à celle du ministre du Revenu national (le « ministre ») mais il emporte l’obligation de « vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où il sont survenus, et après cette vérification, [. . .] décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable » (voir Légaré c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (QL), au paragraphe 4).

 

Témoignage de monsieur Sylvain Mercier

 

[6]              Monsieur Mercier, à l’emploi du payeur depuis 1999, a essentiellement expliqué lors de son témoignage ce qui suit :

 

i)                   le travailleur était le seul patron du payeur et de sa filiale;

 

ii)                 il n’avait pratiquement jamais rencontré les autres actionnaires du payeur dans le cadre de son emploi et n’avait donc jamais discuté des affaires du payeur avec ces derniers;

 

iii)               il avait uniquement reçu des directives du travailleur;

 

iv)               il avait remis les états financiers mensuels du payeur et de sa filiale uniquement au travailleur.

 

Témoignage de monsieur Wilbrod Poulin

 

[7]              Il ressort essentiellement du témoignage de monsieur Poulin que :

 

i)                   depuis 1975, il est le vérificateur externe et conseiller principal de toutes les entreprises appartenant au travailleur et à ses frères;

 

ii)                 le travailleur, son frère Guillaume et son frère Simon détenaient en parts égales les actions de Les Entreprises Forestières St-Magloire Inc. (« Entreprises FM »);

 

iii)               monsieur Simon Ménard (le frère du travailleur) était à l’emploi d’Entreprises FM à titre de mécanicien;

 

iv)               monsieur Guillaume Ménard (le frère du travailleur) était à l’emploi d’Entreprises FM à titre de président directeur général;

 

v)                 monsieur Normand Ménard (le frère du travailleur) était aussi à l’emploi d’Entreprises FM, mais seulement à titre de chauffeur de camion;

 

vi)               le travailleur pouvait faire ce qu’il voulait dans l’entreprise du payeur et de sa filiale ou prendre toute décision qui lui semblait opportune. À titre d’exemple, monsieur Poulin a expliqué que le payeur avait acquis sa filiale en 2004 au prix de 500 000 $, et ce, à l’initiative du travailleur qui, à sa connaissance, n’avait même pas consulté ses frères pour ce faire. Qui plus est, monsieur Poulin a expliqué que le travailleur et lui‑même avaient négocié et obtenu pour le payeur un prêt bancaire de l’ordre de 450 000 $ pour lui permettre de faire l’acquisition de sa filiale, et ce, sans même avoir obtenu l’assentiment du conseil d’administration du payeur;

 

vii)             à sa connaissance, les actionnaires et les administrateurs du payeur ne se réunissaient que très rarement;

 

viii)           il remettait les états financiers du payeur à Guillaume, le frère du payeur.

 

Témoignage du travailleur

 

[8]              Le travailleur a témoigné que :

 

i)                   il était le président‑directeur général du payeur;

 

ii)                 il n’avait pas d’horaire de travail précis à respecter, mais il travaillait généralement 69 heures par semaine, soit de 8 heures à 20 heures du lundi au vendredi et de 12 heures à 19 heures le samedi. Le travailleur a aussi expliqué qu’il consacrait environ 95 % de son temps au payeur et environ 5 % de son temps à la filiale du payeur;

 

iii)               il pouvait faire ce qu’il voulait dans l’entreprise du payeur et de sa filiale ou prendre toute décision qui lui semblait opportune. À cet égard, le travailleur a expliqué qu’il déterminait son horaire de travail (et pouvait modifier ses heures de travail à sa guise) et qu’il déterminait sa rémunération. Pour illustrer son autonomie dans l’entreprise, le travailleur a expliqué qu’il avait même fait l’acquisition de la filiale du payeur au prix de 500 000 $ et orchestré le financement de cette acquisition avec l’aide de monsieur Wilbrod Poulin, et ce, sans obtenir l’approbation de ses coactionnaires ou coadministrateurs ou sans même les consulter. Tout au plus, le travailleur a admis avoir informé son frère Guillaume de cette démarche. Son frère lui aurait alors posé la question suivante : est-ce que tu as consulté Wilbrod (Poulin)?

 

iv)               la dernière réunion des actionnaires ou des administrateurs du payeur avait été tenue en 2006;

 

v)                 il avait de fréquentes conversations téléphoniques avec son frère Guilaume. À cet égard, le travailleur a expliqué que ces conversations téléphoniques avaient trait à des échanges de services entre le payeur et la société Entreprises FM (dont il détenait le tiers du capital‑actions) qui était gérée par son frère Guillaume.

 

[9]              Je souligne immédiatement que le témoignage du travailleur rapporté aux paragraphes ii) à v) ci-dessus ne me semble tout simplement pas crédible compte tenu des déclarations initiales qu’il a faites à monsieur Côté en date du 24 février 2009 (déclarations réitérées par son frère Guillaume à la même date). En effet, monsieur Côté, dont la crédibilité n’a pas à être mise en doute, a témoigné et a indiqué dans son rapport (voir pièce I‑2) que le travailleur lui avait alors déclaré ce qui suit :

 

i)                    son salaire du travailleur avait été établi par tous les actionnaires du payeur;

 

ii)                   toutes les décisions importantes touchant l’entreprise du payeur étaient prises par les actionnaires du payeur (qui je le rappelle étaient aussi les administrateurs du payeur);

 

iii)                 les quatre actionnaires du payeur qui étaient aussi les administrateurs du payeur se réunissaient une à deux fois par année;

 

iv)                 ils tenaient au besoin des réunions informelles (par téléphone) avec ses frères;

 

v)                  les actionnaires recevaient les états financiers mensuels.

 

J’ajouterai ici que, de toute façon, il me semble invraisemblable qu’un travailleur, même s’il est actionnaire de son entreprise, puisse déterminer son salaire ou prendre des décisions importantes touchant l’entreprise du payeur sans le consentement des autres actionnaires ou administrateurs du payeur. Je suis d’avis qu’en l’espèce, le travailleur informait de façon informelle les autres actionnaires ou administrateurs du payeur des décisions importantes qu’il entendait prendre dans l’entreprise du payeur pour obtenir leur assentiment. Je suis d’avis que le travailleur interprétait le silence de ses frères comme une acceptation tacite des décisions qu’il entendait prendre. Je suis aussi d’avis que les autres actionnaires ou administrateurs n’ont pratiquement jamais, en l’espèce, empêché le travailleur de prendre des décisions importantes dans l’entreprise du payeur tout simplement parce qu’il se fiait sur le bon jugement du travailleur et sur sa bonne gestion qui étaient à la source des bons résultats financiers générés par le payeur.

 

[10]         Par ailleurs, la preuve a révélé que :

 

i)        les chèques tirés sur le compte bancaire du payeur et de sa filiale devaient nécessairement être signés par le travailleur et monsieur Mercier (le directeur des finances du payeur et de sa filiale) pour être validement émis;

 

                                      i.      chacun des actionnaires du payeur avait consenti à ce dernier un prêt de 5 000 $ ne portant pas intérêt lors de la constitution en société de l’entreprise du payeur, prêts qui n’ont toujours pas été remboursés par le payeur;

 

                                    ii.      le travailleur avait consenti au payeur (en plus du prêt de 5 000 $ mentionné ci-dessus) d’autres prêts ne portant pas intérêt, dont un prêt de 50 000 $ en 2004 consenti au payeur pour lui permettre de faire l’acquisition de sa filiale, prêt qui n’a toujours pas été remboursé. À cet égard, je note que les prêts consentis au payeur par le travailleur totalisaient 66 418 $ au 30 septembre 2009;

 

                                  iii.      les obligations du payeur liées à l’utilisation des cartes de crédit avaient été cautionnées par le travailleur.

 

Analyse

 

[11]         La première question à laquelle je devrai répondre est la suivante : est‑ce que le travailleur exerçait un emploi aux termes d’un contrat de louage de services lorsqu’il était au service du payeur?

 

[12]         Quand les tribunaux ont à définir des notions de droit privé québécois aux fins de l’application d’une loi fédérale, telle la Loi sur l’assurance‑emploi, ils doivent se conformer à la règle d’interprétation de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation. Pour déterminer la nature d’un contrat de travail québécois, il faut, tout au moins depuis le 1er juin 2001, se fonder sur les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« Code civil »).

 

[13]         Dans le Code civil, un chapitre distinct porte sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097).

 

[14]         L’article 2085 porte sur le contrat de travail :

 

[. . .] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

[15]         En l’espèce, il me semble évident que le travailleur effectuait du travail pour le payeur, et ce, moyennant une rémunération. Toutefois, le travailleur soutient qu’il n’y avait aucun lien de subordination entre lui et le payeur. En d’autres termes, il soutient que son travail n’était pas supervisé et que, de surcroît, il pouvait faire ce qu’il voulait dans l’entreprise ou prendre toute décision qui lui semblait opportune. La preuve a révélé, certes, que le travailleur avait une grande autonomie dans l’exécution de ses tâches, mais que, pour toute décision importante touchant le payeur et sa filiale, il devait consulter informellement les trois autres actionnaires du payeur qui, je le rappelle, étaient aussi administrateurs de ce dernier. En effet, le travailleur n’a‑t‑il pas déclaré à monsieur Côté lors de la première entrevue téléphonique (en date du 24 février 2009) que son salaire avait été établi par les actionnaires du payeur? Le travailleur n’a‑t‑il pas aussi déclaré lors de cette même entrevue que toutes les décisions importantes étaient prises par tous les actionnaires du payeur? Monsieur Guillaume Ménard n’a‑t‑il pas confirmé enfin à monsieur Côté ces mêmes faits lors d'une entrevue téléphonique tenue aussi le 24 février 2009? Le travailleur, sur qui reposait le fardeau de la preuve, ne m’a tout simplement pas convaincu qu’il n’existait pas de lien de subordination entre lui et le payeur. Par conséquent, je conclus que le travailleur exerçait un emploi aux termes du contrat de louage de services.

 

[16]         La deuxième question à laquelle je devrai répondre est la suivante : est‑ce que la décision rendue par le ministre semble toujours raisonnable compte tenu de la preuve du travailleur? Je rappelle que le ministre devait déterminer s’il était raisonnable de conclure que le travailleur aurait conclu avec le payeur un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance. Il ne s’agit pas de déterminer si les conditions de travail reflètent nécessairement les conditions du marché, quoique généralement cela puisse être une circonstance pertinente dont il faudrait tenir compte. À mon avis, en ce qui concerne la question de savoir si, pour l’application de l’alinéa 5(3)b), le payeur et le travailleur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, il faut tenir compte du fait qu’il s’agit d’un travailleur qui était non seulement un dirigeant du payeur mais aussi un de ses propriétaires. L’alinéa 5(3)b) de la Loi n’indique pas qu’il faut faire abstraction des intérêts financiers que le travailleur détient dans l’entreprise. Par conséquent, nous pouvons construire une hypothèse avec un travailleur détenant 25 % du capital‑actions du payeur avec lequel il n’a aucun lien de dépendance, en plus d’être un des quatre administrateurs du payeur et le dirigeant de ce dernier. La question que devait trancher le ministre pourrait donc être reformulée ainsi : si le travailleur avait détenu le quart des actions du payeur, qu’il avait été administrateur et le seul dirigeant du payeur et qu’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre lui et le payeur, auraient-ils conclu un contrat à peu près semblable?

 

[17]         Il est de connaissance judiciaire que le travailleur, qui est à la fois salarié d’un employeur et propriétaire (comme actionnaire) de cet employeur, adopte des comportements différents de ceux d’un simple salarié. En effet, la rémunération d’un salarié‑actionnaire peut tenir compte du fait que des salaires non versés vont constituer des bénéfices non répartis qui pourraient être déclarés comme dividendes à une date ultérieure. Comme actionnaires, les travailleurs doivent souvent tenir compte des besoins financiers de leur société, notamment si elle a des problèmes de liquidité. C’est ce qui explique probablement que le travailleur a accepté de ne pas recevoir son salaire pendant un mois en 2007.

 

[18]         Est-ce que la décision du ministre semble toujours raisonnable? Est‑ce qu’il était raisonnable pour le ministre de conclure que le travailleur‑actionnaire aurait conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’avait pas eu de lien de dépendance avec le payeur? À mon avis, le travailleur n’a pas réussi à démontrer que la décision du ministre semblait déraisonnable. Il ne s’agit pas d'un cas où la Cour devrait intervenir pour substituer son opinion à celle du ministre. Certes, certaines hypothèses du ministre ont été réfutées lors de l’audience. Toutefois, il restait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si le travailleur n’avait pas eu d’intérêt financier dans le payeur, il n’aurait probablement pas été disponible 24 heures par jour pour répondre aux besoins urgents et il n’aurait probablement pas accepté de consentir des prêts aussi avantageux au payeur. La preuve n’a pas révélé que le payeur a exercé des contraintes sur le travailleur à ces chapitres. Il s’agit encore une fois d’un comportement usuel pour un travailleur qui est aussi actionnaire de son employeur, peu importe qu’il soit lié à ce dernier ou non. Un employé qui est actionnaire de son employeur, qu’il soit lié ou non, se dévoue habituellement pour son employeur plus qu’un simple travailleur ne le ferait, car il est davantage dans son intérêt de le faire. Je le répète, un tel comportement n’a rien d’anormal.

 

[19]         En outre, il est tout à fait usuel pour un cadre important (et d’autant plus usuel s’il est en outre un actionnaire de son employeur) d’avoir une grande autonomie dans l’exécution de ses tâches. À cet égard, le travailleur ne m’a absolument pas convaincu qu’il pouvait faire ce qu’il voulait dans l’entreprise ou prendre toute décision qui lui semblait opportune. La preuve a révélé, certes, que le travailleur avait une grande autonomie dans l’exécution de ses tâches, mais que, pour toute décision importante touchant le payeur et sa filiale, il devait consulter informellement les autres actionnaires et administrateurs, essentiellement pour obtenir leur consentement.

 

[20]         Si le travailleur n’avait travaillé que dix heures par semaine à longueur d’année et qu’il avait reçu une telle rémunération, j’aurais rendu une décision différente. En fait, le travailleur n’a pas démontré qu’un autre travailleur qui est aussi actionnaire du payeur aurait reçu ou accepté une rémunération bien différente de celle reçue par le travailleur, compte tenu de toutes les circonstances. En fait, le travailleur n’a même pas allégué qu’un tiers non lié n’aurait pas accepté une telle rémunération compte tenu de toutes les circonstances.

 

[21]         À mon avis, n’importe quel travailleur détenant 25 % du capital‑actions du payeur aurait conclu un contrat à peu près semblable, et ce, même s’il y avait eu un lien de dépendance entre eux. D’ailleurs, le travailleur n’a‑t‑il pas déclaré à monsieur Côté lors de la première entrevue téléphonique du 24 février 2009 que, s’il travaillait pour une personne non liée, il accepterait les conditions d’emploi qu’il a présentement (voir pièce I‑2, page 7)?

 

[22]         Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2010.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 207

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-3401(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              FABIEN MÉNARD ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 15 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 19 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Gilles Savard

Avocate de l'intimé :

Me Marjolaine Breton

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Gilles Savard

                 Cabinet :                           Québec, Québec

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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