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Dossier : 2007-3447(EI)

ENTRE :

EXPERTS ACOUSTIQUE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 janvier 2008, à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Patrick Bernard

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (« Loi ») est accueilli, au motif que monsieur Patrick Bernard, lorsqu'il travaillait pour le compte de la société Experts Acoustique inc., du 1er janvier 2006 au 19 décembre 2006, exerçait un travail aux termes d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi, qui n'est pas assurable en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi. Conséquemment, la décision du ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce  7e jour de février 2008.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : 2008CCI52

Date : 20080207

Dossier : 2007-3447(EI)

 

ENTRE :

EXPERTS ACOUSTIQUE INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une décision relative à l’assurabilité du travail effectué par monsieur Patrick Bernard pour le compte de la société Experts Acoustique inc. lors de la période allant du 1er janvier 2006 au 19 décembre 2006.

 

[2]     Pour prendre sa décision, l’intimé a tenu pour acquis les hypothèses de faits suivantes :

 

5.   Le ministre a déterminé que le travailleur exerçait un emploi auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services, en s’appuyant sur les présomptions de faits suivantes :

 

      a)   l’appelante a été constituée en société le 7 février 1996; (admis)

 

      b)   l’appelante exploitait une entreprise d’installation de cloison sèche, de tuile acoustique et de plafond suspendu; (admis)

 

      c)   l’appelante détenait une licence d’entrepreneur spécialisé de la Régie des bâtiments du Québec; (admis)

 

      d)   l’appelante avait un chiffre d’affaires de 5 543 325 $ à l’exercice financier se terminant le 31 janvier 2006; (admis)

 

      e)   l’appelante avait son bureau d’affaires à Sherbrooke et elle employait entre 15 et 75 employés; (admis)

 

      f)    l’appelante était en exploitation à l’année longue; (admis)

 

      g)   le travailleur rendait des services à l’appelante depuis 10 ans; (admis)

 

      h)   le travailleur était vice-président de l’appelante; (admis)

 

      i)    le travailleur embauchait le personnel et supervisait les quatre employés de bureau, il s’occupait de l’achat des matériaux, il négociait et signait des contrats pour l’appelante; (admis)

 

      j)    le travailleur oeuvrait au bureau de l’appelante; (nié)

 

      k)   le travailleur oeuvrait généralement du lundi au vendredi de 6 h 30 à 17 h; (nié)

 

      l)    le travailleur était rémunéré à chaque semaine par dépôt direct; (admis)

 

      m)  le travailleur avait un salaire de 1 040 $ par semaine; (admis)

 

      n)   la rémunération du travailleur avait été décidée par les quatre actionnaires de l’appelante; (nié)

 

      o)   le travailleur avait quatre semaines de vacances par année; (nié)

 

      p)   l’appelante payait un REER collectif et une assurance-médicament pour ses employés dont le travailleur; (nié)

 

      q)   le travailleur devait aviser l’appelante en cas d’absence; (nié)

 

      r)    l’appelante avait un droit de contrôle sur le travailleur. (nié)

 

6.   L’appelante et le travailleur sont des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu car :

 

            a)     Les actionnaires de l’appelante étaient :

 

Yvan Bernard

52 % des actions

Simon Bernard

16 % des actions

Rémy Bernard

16 % des actions

Le travailleur

16 % des actions

 

(admis)

 

      b)   Yvan Bernard est le père du travailleur et Simon et Rémy sont les frères du travailleur. (admis)

 

      c)   Le travailleur est lié par les liens du sang à un groupe de personnes qui contrôlent l’appelante. (admis)

 

7.   Le ministre a déterminé aussi que l’appelante était réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec le travailleur dans le cadre de son emploi car il a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure que l’appelante et le travailleur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’avait pas eu de lien dépendance, compte tenu des circonstances suivantes :

 

      a)   en 2006, le travailleur recevait une rémunération hebdomadaire identique à son frère Simon et inférieure à celle de Yvan (1 100 $ par semaine); (admis)

 

      b)   la rémunération du travailleur était raisonnable; (nié)

 

      c)   selon les années, l’appelante versait ou non des boni [sic] aux actionnaires et à certains employés, ainsi en 2004, le travailleur n’a pas reçu de boni; (admis)

 

      d)   en 2006, le travailleur a reçu un boni de 65 000 $, son frère Simon (qui a quitté l’entreprise à l’automne 2006) 145 000 $, son frère Rémy 30 000 $ et son père Yvan 45 000 $; (admis)

 

      e)   au cours de la période en litige, Rémy et Simon Bernard étaient contremaîtres de chantier pour l’appelante; (nié)

 

      f)    le boni du travailleur reflétait le poste de responsabilité du travailleur chez l’appelante; (admis)

 

      g)   les modalités d’emploi correspondaient à ce que l’on retrouve chez un employé non lié, le travail effectué sur les lieux de l’appelante, durant les heures d’ouverture de l’entreprise et les responsabilités étaient proportionnelles à l’expérience acquise au fil des ans; (nié)

 

      h)   un lien de subordination existait entre le payeur et le travailleur; (nié)

 

      i)    les modalités d’emploi du travailleur étaient raisonnables; (nié)

 

      j)    le travailleur était au service de l’appelante depuis une dizaine d’années; (admis)

 

      k)   le travailleur oeuvrait à l’année longue pour l’appelante; (admis)

 

      l)    la durée du travail du travailleur était raisonnable; (nié)

 

      m)  le travail du travailleur était nécessaire et important pour la bonne marche de l’entreprise de l’appelante; (admis)

 

      n)   le poste occupé par le travailleur existait depuis 1999 et si le travailleur ne pouvait s’acquitter de ses tâches, l’appelante embaucherait quelqu’un d’autre; (nié)

 

      o)   la nature et l’importance du travail du travailleur étaient raisonnables. (nié)

 

 

[3]     Monsieur Patrick Bernard, actionnaire et personne dont le travail est au cœur du litige, représentait ainsi la société appelante pour qui le travail en question a été effectué. Après avoir été assermenté, il a admis le contenu des alinéas 5)a) à r), 6)a) à c) et 7)a) à o).

 

[4]     Il a expliqué qu’il détenait 16 % du capital-actions de la société. Les autres actionnaires étaient ses frères et son père. Celui-ci détenait 52 % du capital‑actions.

 

[5]     Il a affirmé avoir peu de scolarité et s’être investi dès son jeune âge dans la société familiale avec l’objectif ultime de remplacer son père à titre de véritable décideur.

 

[6]     Il a expliqué que son père était depuis quelques années dans un genre de semi-retraite, délaissant la société de plus en plus et prenant des congés de plus en plus longs.

 

[7]     Un de ses frères exécutait du travail manuel à titre de plâtrier au même titre que les autres employés spécialisés et rémunérés en fonction des barèmes établis par la Commission de la construction du Québec (CCQ).

 

[8]     Son autre frère était, quant à lui, contremaître sur les chantiers et sa rémunération prévoyait une formule de participation aux profits calculée sur le bénéfice réalisé sur les devis et contrats dont il avait la responsabilité. Ce dernier a cependant laissé la société pour aller travailler en Alberta. Quant au père, depuis quelques années, il joue un rôle de conseiller-consultant et s’investit principalement dans la recherche de contrats.

 

[9]     Patrick Bernard a expliqué qu’il prenait seul toutes les décisions dans le cadre des activités de la société. Il signait seul tous les chèques et a indiqué qu’il était totalement autonome. Ainsi, il n'avait pas besoin d'obtenir de permission de qui que ce soit pour s'absenter du travail. Il préparait seul les soumissions et signait seul les contrats.

 

[10]    Quant à sa rémunération, il a soutenu qu’elle n’était pas raisonnable contrairement à ce que prétendait l’intimé, et ce, principalement parce qu’il travaillait de longues heures, y compris les fins de semaine.

 

[11]    Il a expliqué que la société embauchait des employés dont la très grande majorité était rémunérée à partir du barème de la CCQ, et les taux horaires variaient entre 16 $ et 26 $ l’heure.

 

[12]    Or, le salaire de monsieur Patrick Bernard correspondait au salaire le plus élevé versé à un employé de l'appelante pour une semaine normale de travail, soit 40 heures à 26 $ l’heure, totalisant 1 040 $ par semaine.

 

[13]    Finalement, il a expliqué qu’il touchait des bonus en fonction de la performance de la société, mais aussi et surtout en fonction de sa contribution aux résultats obtenus. Interrogé par la Cour, monsieur Patrick Bernard a admis qu’il pouvait faire l’objet de réprimande, voire même être congédié puisqu’il était actionnaire minoritaire.

 

[14]    L’intimé, s’appuyant sur les faits tenus pour acquis, a conclu, d’une part, que le travail de monsieur Patrick Bernard était un travail effectué dans le cadre d’un contrat de louage de services, lequel était, en outre, conforme à celui qu’aurait pu conclure un tiers dans un contexte et des circonstances similaires.

 

[15]    Madame Nathalie Bédard, l’agente des appels, a expliqué ce qui l’avait amenée à conclure que le lien de dépendance n'avait pas eu d'influence sur le travail exécuté par monsieur Bernard. Selon elle, il s’agissait d’un travail normal rémunéré d’une manière raisonnable. Elle a conclu que le fait que monsieur Bernard avisait la secrétaire de ses absences constituait un indice qu’il avait des comptes à rendre à l'appelante d’où sa conclusion qu'il existait un lien de subordination.

 

[16]    Le ministre a également tenu compte du fait que monsieur Patrick Bernard avait déjà reçu des prestations d’assurance-emploi quelques années auparavant. À cet égard, madame Bédard a affirmé avoir demandé à monsieur Bernard si son travail avait été modifié depuis. Ce dernier aurait affirmé qu’il s’agissait sensiblement du même travail.

 

[17]    La conclusion selon laquelle le travail était effectué dans le cadre d’un contrat de louage de services m’apparaît appropriée. Cependant, s’agissait-il d’un contrat de travail particulier façonné par la réalité familiale ou le lien de dépendance?

 

[18]    En cette matière, il est très important de faire certaines distinctions étant donné que certaines conditions de travail peuvent découler du statut d’actionnaire et non du statut de salarié du travailleur. De plus, lorsqu’une personne est actionnaire, il est normal et légitime qu’elle manifeste un zèle, un dynamisme et un intérêt qu’une personne non-actionnaire n’aurait pas, sans pour autant modifier son admissibilité à l’assurabilité. Cette plus-value que génère généralement un actionnaire à l'endroit de la société qui l'embauche n'a strictement rien à voir avec un lien de dépendance, bien que, dans certains cas, cela puisse bonifier ou diminuer cette plus-value.

 

[19]    En l’espèce, le bonus n’était pas payé en fonction du pourcentage d’actions détenues dans la société. Il s’agissait essentiellement d’une récompense pour la contribution au succès de l’entreprise. Le fait que des bonus aient été accordés d’une manière qui n’a rien à voir avec le pourcentage d’actions détenues ajoute à la difficulté de déterminer s’il s’agissait d’un contrat de travail façonné par le lien de dépendance.

 

[20]    Le lien de dépendance a-t-il influencé le contrat de travail au point d’en faire un contrat différent de celui qu’un tiers aurait obtenu dans une situation semblable?

 

[21]    D’abord, il m’apparaît important d’indiquer que l’analyse a été effectuée d’une manière très superficielle. Bien plus, je crois que le fait que monsieur Patrick Bernard a touché des prestations d’assurance-emploi quelques années auparavant a, de toute évidence, orienté l’analyse du dossier.

 

[22]    En effet, prétendre que le salaire était adéquat et raisonnable constitue un manque évident d’objectivité, puisqu’il s’agissait là du salaire que touchaient tous les salariés pour une semaine normale de travail; or, le travail et les responsabilités de monsieur Bernard n’avaient rien de comparable à ceux des autres salariés. Il s’agissait d’un travail plus exigeant en termes d’heures, mais aussi en matière de responsabilités. En outre, son travail était vital quant à la viabilité de l’entreprise.

 

[23]    La question du bonus n’avait rien à voir quant au traitement ou à la rémunération puisque, dans l’hypothèse de résultats désastreux ou négatifs, il n’y aurait manifestement pas eu de bonus. Conséquemment, Patrick Bernard aurait pu se retrouver dans une situation où il aurait reçu le même salaire que plusieurs des autres employés, mais avec une charge de travail considérablement plus lourde.

 

[24]    Un autre élément fort important, sinon déterminant, était le fait qu’il signait seul les chèques émis par la société et signait seul les soumissions et les contrats qui en découlaient. Or, bien que très importantes, ces faits n’ont pas été soulevés lors de l’enquête et de l’analyse de madame Bédard.

 

[25]    À la lumière de la preuve, je crois que la détermination est le fruit d’une analyse incomplète qui a été fortement influencée par des éléments non pertinents (le fait d’avoir déjà été bénéficiaire de l’assurance-emploi) et par des conclusions fort discutables (lien de subordination et salaire raisonnable).

 

[26]    Pour ces motifs, je crois qu’il y a lieu d’annuler la détermination et de conclure que le travail exécuté par monsieur Patrick Bernard a bel et bien été façonné par son statut de personne ayant un lien de dépendance avec l'appelante dans les faits. Patrick Bernard avait le contrôle véritable de la société.

 

[27]    En effet, monsieur Patrick Bernard a au fil des années acquis expérience et expertise au point où il était devenu, lors de la période en question, l’âme dirigeante de l'appelante. Il était devenu autonome comme un propriétaire d’entreprise et, comme il assumait toutes les responsabilités liées à l’administration, il était devenu une personne-clé de l'appelante, faisant de lui une personne inattaquable.

 

[28]    Il s’agissait d’une situation différente de celle souvent répandue dans ce genre d’entreprise où les membres d'une famille se partagent les diverses responsabilités au point où le départ de l’un d'eux ne met pas la survie de l’entreprise en cause. Chacun a des responsabilités qui s'inscrivent dans les diverses composantes de la société. Il y a là une interdépendance qui constitue le fondement de la présence du lien de subordination. En l'espèce, il n'y avait rien de tel, puisque Patrick Bernard était le véritable dirigeant de l'entreprise. Notamment, il signait seul les contrats et les chèques.

 

[29]    Pour toutes ces raisons, je conclus que le travail exécuté par Patrick Bernard doit être exclu des emplois assurables, en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi, au motif qu'il s'agissait d'un travail dont les conditions d'exécution étaient très différentes de celles qu'un tiers, dans une situation semblable, aurait eues.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2008.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI52

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3447(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              EXPERTS ACOUSTIQUE INC. ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 février 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Patrick Bernard

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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