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Dossier : 2009-2398(IT)I

ENTRE :

MARGARET CONNOLLY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 avril 2010 à Ottawa, Canada

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimée :

Me Jack Warren

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des avis de détermination portant sur les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 sont accueillis, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints, et sont déférés au ministre du Revenu national aux fins de l’établissement de nouvelles déterminations et d’un nouveau calcul de la Prestation fiscale canadienne pour enfants de l’appelante, en tenant compte du fait que cette dernière a été le particulier admissible pendant trois mois au cours de la période de six mois ayant pris fin le 31 décembre 2007, et pendant cinq mois au cours de chacune des périodes de douze mois ayant pris fin le 30 juin 2006 et le 30 juin 2007.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2010.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2010.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 231

Date : 20100430

Dossier : 2009-2398(IT)I

ENTRE :

MARGARET CONNOLLY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

La question en litige

[1]     L’appelante interjette appel à l’encontre des avis de détermination portant sur les années de base 2004, 2005 et 2006 et selon lesquels on lui a refusé le droit à la Prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE ») qu’elle a reçue pour ces périodes.

[2]     Par ces avis, on a informé l’appelante qu’elle avait reçu des montants en trop au titre de la PFCE, s’élevant à 2 730 $ pour l’année de base 2004 (pour la période courant de juillet 2005 à juin 2006), à 2 975 $ pour l’année de base 2005 (pour la période courant de juillet 2006 à juin 2007) et à 1 520,06 $ pour l’année de base 2006 (pour la période courant de juillet 2007 à décembre 2007). La PFCE a été versée à l’appelante à l’égard de son fils né en 1993.

[3]     L’appelante et le père du garçon ont divorcé en 1998, à la suite de quoi  le père du garçon a épousé Stephanie B.. Le garçon a continué à vivre avec l’appelante, laquelle a obtenu la garde légale de l’enfant en vertu d’un jugement de la Cour supérieure du Québec ratifiant et intégrant une entente de médiation et aux termes duquel l’enfant [traduction] « doit normalement résider avec la mère[1] ».

[4]     À l’automne 2004, alors qu’il était âgé de onze ans, le garçon a commencé à demeurer chez son père et Stephanie B., à Ottawa, afin d’y fréquenter l’école. La ville dans laquelle il habitait avec sa mère était une petite collectivité rurale du Québec située à environ une heure et demie d’Ottawa. Il a continué à vivre auprès de sa mère les week-ends, au cours de l’été et à diverses autres périodes mentionnées plus loin dans les présents motifs.

[5]     Ce mode de vie auprès des deux parents a perduré tout au long des périodes faisant l’objet des présents appels.

[6]     La décision suivant laquelle l’appelante n’avait pas droit à la PFCE a été prise au motif qu’elle n’était pas le particulier admissible en droit de la recevoir, en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Les appels portent sur cette question, à savoir de trancher si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a correctement décidé que l’appelante n’était pas le « particulier admissible » ayant droit de recevoir la PFCE à l’égard de son fils pour les périodes en cause[2].

Les dispositions légales

[7]     Le terme « particulier admissible » est défini de la manière suivante à l’article 122.6 de la Loi :

 

« particulier admissible » S’agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l’égard d’une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

 

b) elle est la personne — père ou mère de la personne à charge — qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de cette dernière,

 

[…]

 

h) les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne.

 

[8]     Les critères visés à l’alinéa h) qui servent à déterminer lequel des deux parents répond aux conditions de l’alinéa b) sont énoncés de la manière suivante par l’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») :

 

6302. Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

 

a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

 

b) le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

 

c) l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

 

d) l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

 

e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

 

f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

 

g) de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

 

h) l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

 

Les hypothèses retenues par le ministre et les autres circonstances factuelles

[9]     Les faits décrits ci-dessus aux paragraphes 3, 4 et 5 ne sont pas contestés. Ils ont été soit présentés en preuve, soit présumés par le ministre, sans être contredits par l’appelante.

[10]    Les principales hypothèses sont décrites aux alinéas 6e) à 6i) de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), en ces termes :

 

[traduction]

 

e)                  En septembre 2004, l’enfant a emménagé avec son père et sa belle-mère à Ottawa afin de fréquenter l’école à temps plein;

 

f)                    Le 17 octobre 2007, le ministre du Revenu national (ci-après le « ministre ») a reçu une demande de Prestation fiscale canadienne présentée par Stephanie Byrne, dans laquelle elle demande la PFCE depuis le 1er septembre 2004 jusqu’à cette date;

 

g)                  À la suite de cette demande, le ministre a transmis un questionnaire à l’appelante et à Stephanie Byrne;

 

h)                  L’appelante n’a pas renvoyé le questionnaire rempli, tandis que Stephanie Byrne l’a renvoyé en indiquant que l’enfant vivait à temps partiel avec elle et qu’elle se considérait comme la personne assumant principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant au titre des périodes pendant lesquelles il avait vécu avec elle;

 

i)                    Sur le fondement de la demande de PFCE et du questionnaire renvoyé, le ministre a établi les lettres de détermination du 18 janvier 2008 informant l’appelante de la survenance d’un changement relatif aux enfants admissibles et du fait qu’elle avait reçu les paiements suivants en trop :

 

i)          2 730 $ pour l’année de base 2004 et pour la période de juillet 2005 à juin 2006;

 

ii)                   2 975 $ pour l’année de base 2005 et pour la période de juillet 2006 à juin 2007;

 

iii)                  1 520 $ pour l’année de base 2006 et pour la période de juillet 2007 à décembre 2007.

[11]    L’hypothèse figurant à l’alinéa 6h) de la réponse soulève certaines questions et difficultés en matière de définition quant à la qualité de Stephanie B. en tant que particulier admissible. Elle n’est pas un parent biologique de l’enfant à charge visé par le présent appel et ne jouit d’aucune autorité parentale, en vertu du jugement de la Cour supérieure du Québec. Elle prétend avoir été, à temps partiel, la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant pour les périodes au cours desquelles il a vécu avec elle. Ni elle ni le père de l’enfant n’a assisté à l’audience. Bien que l’appelante ait admis, dans son témoignage, que le père puisse prétendre avoir été le principal responsable de l’enfant au cours de certaines périodes, elle n’a rien laissé entendre de tel à l’égard de Stephanie B..

[12]    Les définitions données à l’article 252 de la Loi semblent résoudre les difficultés en matière de définition. Suivant la définition de l’alinéa 252(1)c), l’enfant d’un contribuable comprend l’enfant du conjoint du contribuable et, suivant la définition du sous‑alinéa 252(2)a)i), les termes se rapportant au père ou à la mère d’un contribuable visent la personne « dont le contribuable est l’enfant » (ou, dans un langage plus familier, il ressort essentiellement des deux dispositions lues ensemble que, si je suis un enfant biologique d’une personne, alors le conjoint de cette personne est mon parent, même si le conjoint n’est pas ma mère biologique)[3]. Pourtant, d’après la preuve, force est de conclure que Stephanie B. n’a jamais été un particulier admissible. Les hypothèses du genre de celle posée à l’alinéa 6h) de la réponse n’ont pas vocation à soustraire l’intimée à son obligation de procéder à une véritable évaluation de demandes concurrentes relatives à la PFCE. L’intimée doit se présenter devant la Cour avec davantage que de maigres présomptions de la sorte[4].

[13]    Bien que cette situation soit fort insatisfaisante, le témoignage de l’appelante s’est révélé empreint d’une grande franchise et a mis en évidence la question à trancher : était-elle un particulier admissible? Son témoignage au sujet du fait qu’elle était la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de son fils n’a pas été contredit et, tel qu’indiqué, personne n’a comparu à l’audience pour appuyer la prétention suivant laquelle le père s’occupait de l’enfant, mis à part quelques concessions mineures de l’appelante et le fait qu’elle ait reconnu que le père procurait à l’enfant un endroit où vivre pendant la semaine scolaire afin de fréquenter une meilleure école, comme elle — sa mère responsable qui s’occupait de lui — l’y encourageait.

Le témoignage de l’appelante

[14]    L’appelante et un ami ont témoigné à l’audience. Au vu de ces témoignages, je suis convaincu que l’appelante n’a jamais renoncé à s’occuper de l’enfant.

- Elle amenait son fils au domicile de son père chaque dimanche soir pour qu’il aille à l’école le lendemain ou directement à l’école le lundi matin.

-  Elle a conservé la chambre de son fils au sein de sa maison qu’il habitait pendant les week-ends et les vacances scolaires, notamment les congés du mois de mars, une bonne partie des vacances de Noël et les mois d’été, à compter de la fin des cours en juin, jusqu’à la reprise de ceux-ci au cours du mois de septembre.

-  Même lorsque son enfant à charge était chez son père, l’appelante lui parlait régulièrement, et elle lui apportait un encadrement parental sur tous types de sujets, qu’il soit chez elle ou chez son père.

-  Elle a encadré son éducation informelle dans de nombreux domaines allant des réparations domestiques aux ordinateurs, aux plantations et récoltes et à la cuisine.

-  Elle a assisté aux entrevues avec les professeurs, à sa remise de diplôme de sixième année et aux concerts de l’orchestre de son école.

-  Elle s’occupait de ses soins de santé et était présente à ses côtés aux rendez‑vous médicaux. Au cours de sa septième année, il a manqué les cours en raison d’une opération des végétations adénoïdes. Elle a assisté aux rendez‑vous avec les médecins, elle était présente à l’hôpital lors de l’opération et il a passé sa période de convalescence chez elle à ses côtés.

-  Elle a reconstitué un registre des jours qu’il avait passés avec elle par année civile, soit 45 jours au cours de l’automne 2004, entre la fête du Travail et Noël, 169 jours en 2005, 153 jours en 2006, 165 jours en 2007 et 174 jours en 2008. La moyenne se situe plutôt vers les 45 p. 100 que vers les 40 p. 100.

[15]    Jusqu’à ce que Stephanie B. présente une demande de versement de la PFCE, la mère et le père du garçon avaient convenu que l’appelante demanderait la prestation. Cette entente n’a fait l’objet d’aucun écrit. Lorsque le différend en cause est apparu, le père a accepté dans un premier temps de partager la prestation suivant un rapport à son profit de 60 p. 100 pour 40 p. 100. Cette entente n’a pas non plus été consignée par écrit et il a en fin de compte contrevenu à celle-ci[5]. La Province de Québec, apparemment dans le cadre d’un mécanisme de prestations semblable, a accordé à l’appelante des prestations suivant un rapport de 60 p. 100 pour 40 p. 100 au profit du père. C’est également ce que l’appelante a demandé lors du procès.

Argumentation

[16]    L’avocat de l’intimée a renvoyé à la décision du juge Webb dans Campbell c. La Reine[6]. Dans cette décision, le juge Webb a examiné le paragraphe 122.61(1) de la Loi, en vertu duquel la PFCE est versée mensuellement au parent qui est le particulier admissible au début du mois. L’avocat de l’intimée a mis l’accent sur le toit sous lequel l’enfant vit au début du mois aux fins du critère de « résidence » de l’alinéa a) de la définition de « particulier admissible » donnée à l’article 122.6 et du critère tenant à la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant posé à l’alinéa b). En vertu de ces critères, l’appelante était le « particulier admissible » pour les mois de juillet, août et septembre.

[17]    Apparemment, convaincu aux fins du présent appel que l’appelante était le parent qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant, du moins lorsque l’enfant était avec elle, et que l’enfant était à ses côtés le premier jour des mois d’été, l’avocat de l’intimée a semblé favorable à ce que l’appel soit accueilli dans cette mesure.

[18]    L’appelante a fait valoir son droit à la prestation au motif qu’elle n’avait jamais renoncé à sa responsabilité à titre de principal responsable de l’enfant et qu’elle devait avoir droit à sa part de la PFCE pour les jours pendant lesquels son fils avait effectivement habité sous son toit. Tel qu’indiqué, elle a semblé résignée à arrondir sa part à la proportion de 40 p. 100 accordée par la Province de Québec.

Analyse

[19]    La définition de « particulier admissible » s’attache à la personne qui assume la responsabilité de l’enfant à un moment précis, à savoir le premier jour du mois, et la personne qui assume cette responsabilité à ce moment reçoit l’intégralité de la prestation pour le mois[7]. Il est possible de trancher le présent appel en répondant au sentiment de l’appelante quant à ce qui est « juste », à condition qu’elle ait été un particulier admissible cinq mois par an. Dès lors que la personne à charge admissible vivait avec sa mère le premier jour des mois de juillet, août, septembre et janvier de chaque année, cela donne quatre des cinq mois nécessaires pour obtenir 41,67 p. 100 de la PFCE annuelle. Quant aux huit autres mois, si l’un d’eux commençait par un week-end ou par des vacances, elle était le particulier admissible pendant cinq mois sur douze, au cours de chacune des périodes de douze mois examinées.

[20]    Cela suppose qu’elle ait été la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de son fils au cours des périodes durant lesquelles il a vécu sous son toit. Je n’ai aucun doute quant à conclure que tel a été le cas en l’espèce.

[21]    En fait, d’après les témoignages que j’ai entendus et compte tenu des critères énoncés à l’article 6302 du Règlement, je pourrais tout aussi bien conclure qu’elle n’a jamais renoncé à sa responsabilité à titre de principal responsable de son fils, même lorsque ce dernier vivait sous le toit de son père.

[22]    Cela m’amène à examiner la question de savoir si le toit sous lequel vit l’enfant à un moment donné doit être le critère déterminant pour trancher avec quelle personne l’enfant réside à ce même moment.

[23]    Le texte de l’alinéa a) de la définition de « particulier admissible » exige que le parent réside avec l’enfant le premier jour du mois. Il s’agit d’un critère particulier en ce sens qu’il suppose que le parent, et non l’enfant, aura « l’endroit » dans lequel résider[8]. De quelle manière un parent réside-t-il avec un enfant? Même si je ne cherche pas une réponse métaphysique, il me semble que cette question suggère que le toit sous lequel vit l’enfant à un moment donné ne doit pas forcément être considéré comme déterminant dans tous les cas. En outre, et de manière moins obtuse, je relève que, si le fait de résider avec quelqu’un signifie « vivre ou demeurer avec quelqu’un dans un endroit donné avec une certaine constance, une certaine régularité ou encore d’une manière habituelle[9] », je vois une contradiction immédiate dans le fait de considérer que la structure physique dans laquelle une personne vit à un moment donné a quelque chose à voir avec le lieu où cette personne réside, même à cet instant précis.

[24]    Une décision qui montre que le bon sens commande de ne pas trop s’attacher au toit sous lequel vit l’enfant est Penner v. R.[10]. Dans cette affaire‑là, on a conclu que la grand-mère, qui avait la garde légale de sa petite-fille, était le particulier admissible, en dépit du fait que l’enfant était confié à une autre famille durant l’année scolaire, dès lors qu’elle continuait d’assumer la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant, y compris en ce qui concerne les soins médicaux et son éducation. Dans cette affaire, il y avait une considération d’ordre pratique tenant au fait que la grand-mère était responsable financièrement de l’enfant.

[25]    La décision Campbell illustre également cette tendance à ne pas trop s’attacher au toit sous lequel vit l’enfant. Confronté au problème d’un enfant changeant de résidence toutes les deux semaines, il était difficile de déterminer de quelle manière le critère du particulier admissible s’appliquait au début de chaque mois. La solution pratique a consisté à conclure que l’un et l’autre parent était en alternance le particulier admissible au début de chaque mois.

[26]    La décision Sanderson c. R.[11] en donne un autre exemple. Dans cette affaire‑là, à partir d’une répartition du temps passé dans chaque résidence suivant une proportion d’un tiers pour la mère et de deux tiers pour le père, la Cour a conclu que la mère était admissible chaque troisième mois et que le père était admissible pour les mois intercalaires.

[27]    Pour autant, dans l’affaire qui nous occupe, je ne veux pas dire que, lorsque l’enfant était chez son père, ce dernier ne résidait pas avec lui. Je mets simplement en évidence une autre démarche possible pour déterminer où l’enfant réside (ou si le père réside avec l’enfant) le premier jour du mois. Si l’enfant réside avec sa mère la majeure partie du mois, mais pas le premier jour de celui‑ci, il peut y avoir des situations dans lesquelles le toit sous lequel vit l’enfant à cette date n’est pas déterminant. Clairement, la règle générale impliquerait de conclure que le toit sous lequel vit l’enfant est déterminant, mais on doit permettre des exceptions lorsque les faits et le bon sens appellent une conclusion différente. Je note également que cette approche expansive de la question de savoir où réside une « personne » suppose manifestement qu’une personne puisse résider à différents endroits au même moment.

[28]    À mon sens, en admettant que cette règle générale puisse comporter des exceptions, on facilite de manière raisonnable l’administration des dispositions relatives à la PFCE, en tenant compte de leur objet et des problèmes administratifs découlant de leur application littérale lorsque les circonstances se prêtent à la conclusion qu’il existe deux particuliers admissibles à l’égard du même enfant.

[29]    D’ailleurs, l’Agence du revenu du Canada a adopté, de sa propre initiative, une pratique administrative consistant à accorder le versement de la prestation à chaque parent pendant six mois chaque année, lorsque les circonstances le justifient, dans les cas où l’enfant passe environ la moitié du temps chez chacun des parents[12]. En l’état des choses, la Loi n’est donc pas appliquée suivant le critère rigide du premier jour du mois. De surcroît, étant donné que la législation en question n’a jamais été modifiée malgré les difficultés administratives qui ont abouti, suivant certaines directives de la Cour, à des pratiques qui passent outre l’interprétation littérale de celle-ci, on peut supposer que personne ne s’élèvera contre la formulation d’exceptions sensées à l’interprétation stricte et littérale de l’exigence de résidence avec quelqu’un à un moment donné dont il est question.

[30]    En fait, j’ai tendance à penser que l’on a recours à une interprétation libérale des dispositions à l’étude afin de permettre des résultats mieux adaptés à cette question sensible qui touche les enfants issus de familles désunies. Outre les jugements publiés tels que les décisions Penner, Campbell et Sanderson citées plus haut, je dirais qu’il existe un grand nombre de décisions non publiées qui règlent d’une manière semblable ce genre de situations, dans lesquelles les parents vivent séparés et partagent la responsabilité pour le soin et l’éducation de leur enfant.

[31]    Pour revenir à notre espèce, j’ai indiqué que, pour trouver un cinquième mois au cours duquel l’appelante résidait chez elle avec son enfant, il suffisait qu’au moins un des huit autres mois en question débute par un week-end ou un congé scolaire. Même en concluant qu’il n’est pas justifié en l’espèce de faire exception à la règle générale (à partir de la conclusion que, pour l’un ou plusieurs de ces mois, l’enfant résidait avec sa mère malgré le fait qu’il se trouvait chez son père le premier jour du ou des mois en cause), je suis convaincu que, sur le plan des probabilités, au moins un des huit mois en question a commencé par un week-end ou un congé scolaire. En d’autres termes, je suis convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, sur une période de douze mois, l’appelante remplissait les conditions pour être le particulier admissible au titre de cinq mois au moins, même en faisant une application stricte et littérale du critère de l’alinéa 122.6(1)a) de la Loi relatif à la définition de « particulier admissible ».

[32]    Je ne tire aucune conclusion quant à savoir si le père a été à un moment ou à un autre le principal responsable à l’égard de son fils, même lorsque ce dernier vivait sous son toit. Ce qui m’importe en l’espèce, c’est qu’au moins un parent responsable, l’appelante, qui avait besoin d’un soutien financier pour le soin et l’éducation de l’enfant au cours des périodes où il a vécu avec elle, a été reconnu admissible afin d’éviter un résultat qui mettrait en échec les objectifs des dispositions en cause.


[33]    Par conséquent, les appels sont accueillis pour les motifs énoncés ci-dessus, au motif que l’appelante a été le particulier admissible pendant trois mois au cours de la période de six mois ayant pris fin le 31 décembre 2007, et pendant cinq mois au cours de chacune des périodes de douze mois ayant pris fin le 30 juin 2006 et le 30 juin 2007.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2010.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2010.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 231

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2398(IT)I

 

INTITULÉ :                                       MARGARET CONNOLLY ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 6 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 30 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Jack Warren

 

AVOCATS INSCRITS AU
DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Paragraphes 2 et 3 du jugement no 550-12-018997-980. La garde légale accordée à la mère permettait aux deux parents d’exercer l’autorité parentale conformément au Code civil du Québec.

 

[2] L’appelante a reçu la PFCE pour une période antérieure au cours de laquelle son fils vivait également avec son père afin de fréquenter l’école à temps plein. Cependant, aucune détermination n’a été effectuée en ce qui a trait à cette période, en raison des délais légaux de prescription.

 

[3] Voir également : Poulin v. R., [2007] 5 C.T.C. 2505; Murray v. R., [2007] 5 C.T.C. 2262; Dufour v. R., [2008] 5 C.T.C. 2616.

 

[4] L’intimée n’a pas produit en preuve le questionnaire rempli par Stephanie B.. L’avocat de l’intimée et l’appelante ont porté leur attention sur les rôles respectifs de l’appelante et du père du garçon, qui ont très clairement été les seules personnes sérieusement envisagées à titre de responsables de l’enfant et qui étaient raisonnablement susceptibles de remplir les conditions énoncées par l’article 6302 du Règlement.

 

[5] Même si ces ententes avaient été écrites, elles n’auraient pas aidé l’appelante. Les dispositions en question s’appliquent indépendamment de toute entente, même si je ne vois aucune raison dans une situation comme celle-ci de ne pas accorder un poids considérable à de telles ententes, eussent-elles été conclues, tant du point de vue administratif que dans le cadre de la présente instance.

 

[6] 2010 CCI 67; 2010 CarswellNat 239.

 

[7] Voir le paragraphe 122.61(1) de la Loi, en vertu duquel la prestation est calculée (essentiellement comme un excédent de perception remboursable). La formule prévue par ce paragraphe exige seulement que le particulier admissible soit admissible au début du mois pour lequel le remboursement est calculé. Voir les paragraphes 2 et 3 des motifs du juge Webb dans la décision Campbell et le paragraphe 9 des motifs du juge Strayer dans l’arrêt Matte v. R., 2003 D.T.C. 5075 (C.A.F.).

 

[8] La version anglaise de la disposition est rédigée de la même manière.

 

[9] Voir Lapierre c. R., 2005 CCI 720 au paragraphe 13. Je trouve très utile cette définition du terme « résider ». C’est également la définition utilisée dans la décision Campbell aux paragraphes 15, 35 et 36. Elle permet de conclure qu’une personne réside à différents endroits.

 

[10] [2006] 5 C.T.C. 2372.

 

[11] [2008] CCI 609.

[12] http://www.cra-arc.gc.ca/bnfts/fq_lgblty-fra.html, consulté le 28 avril 2010.

 

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