Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2008-3045(IT)G

 

ENTRE :

 

LINDY CRISCHUK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 10 et 11 mai 2010, à Kelowna (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Michael R. Dirk

 

Avocat de l'intimée :

Me David Everett

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          La Cour ordonne que l'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie le 9 octobre 2007 en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu soit rejeté, et les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 18e jour de mai 2010.

 

 

« J. M. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d'août 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 276

Date : 20100518

Dossier : 2008-3045(IT)G

 

ENTRE :

 

LINDY CRISCHUK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Woods

 

[1]     Le présent appel concerne une cotisation de 73 231,73 $ établie à l'égard de Mme Lindy Crischuk relativement à des biens que son mari, M. Kazimierz Crischuk, lui a transférés. La cotisation a été établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]     Monsieur Crischuk a souvent manqué à ses obligations en vertu de la Loi. En 2007, il a été jugé coupable par la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique d'avoir omis de produire des déclarations de revenus pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003.

 

[3]     En outre, l'intimée a présenté des éléments de preuve qui indiquent fortement que M. Crischuk a, de temps à autre, pris des mesures pour frustrer ses créanciers, y compris l'Agence du revenu du Canada. Par exemple, les clients du cabinet comptable de M. Crischuk ont parfois émis des chèques à une église qu'il avait fondée plutôt que directement à lui, en paiement des services de comptabilité qu'il leur avait rendus. Monsieur Crischuk n'est pas le seul signataire autorisé du compte bancaire de l'église. Ces antécédents ne sont pas directement en rapport avec la question dont je suis saisie.

 

[4]     Le 9 octobre 2007, soit le jour où la cotisation dont il est fait appel a été établie à l'égard de l'appelante, M. Crischuk avait, selon la Loi, une dette fiscale non réglée d'au moins 87 392,66 $.

 

Contexte factuel

 

[5]     Les Crischuk vivent à leur adresse actuelle à Kelowna, en Colombie‑Britannique, depuis 1996. La résidence appartient à l'appelante, et lui a appartenu pendant toute la période pertinente.

 

[6]     Monsieur Crischuk a un cabinet comptable situé dans la résidence familiale. Il est le principal soutien de la famille.

 

[7]     Les dépenses du ménage sont principalement supportées par M. Crischuk et sont payées à l'aide de fonds provenant de comptes bancaires conjoints. Selon les éléments de preuve présentés, il semble que les dépôts effectués dans les comptes conjoints sont tout juste suffisants pour couvrir les dépenses de la famille. C'est principalement M. Crischuk qui effectue les dépôts dans ces comptes.

 

[8]     L'appelante a des revenus modestes, qui sont en grande partie déposés dans un compte d'épargne qu'elle détient seule.

 

[9]     L'appelante a obtenu de temps à autre des prêts hypothécaires sur la résidence à Kelowna. Le présent appel concerne trois de ces prêts hypothécaires, à savoir :

 

a)       un prêt hypothécaire de la Banque de Nouvelle‑Écosse (le « prêt hypothécaire de la BNÉ ») de 122 910 $, qui a été utilisé pour l'achat de la résidence. Le prêt hypothécaire avait été obtenu en mars 1996 et remboursé en décembre 2006;

 

b)      un prêt hypothécaire de Mission Creek Mortgage Ltd. (le « prêt hypothécaire de Mission Creek ») de 34 000 $. Il avait été obtenu en décembre 2004 et remboursé en mars 2006;

 

c)       un prêt hypothécaire de Resmor Trust Company (le « prêt hypothécaire de Resmor ») de 252 375 $. Il avait été obtenu en septembre 2006 et n'était pas encore remboursé le 9 octobre 2007, lorsque la cotisation a été établie.

 

[10]    L'appelante était l'unique emprunteuse aux termes de ces prêts hypothécaires. Monsieur Crischuk était garant du prêt hypothécaire de la BNÉ et du prêt hypothécaire de Mission Creek.

 

[11]    Le présent appel concerne aussi des contrats de location de voitures de marque Chrysler, lesquelles voitures étaient enregistrées au nom de l'appelante.

 

[12]    Entre décembre 2000 et avril 2007, M. Crischuk a effectué à l'aide de fonds provenant des comptes conjoints des paiements de 77 176,73 $ de la manière suivante :

 

a)       des paiements à l'égard du prêt hypothécaire de la BNÉ s'élevant à 51 684,78 $;

 

b)      des paiements à l'égard du prêt hypothécaire de Mission Creek s'élevant à 4 995 $;

 

c)       des paiements à l'égard du prêt hypothécaire de Resmor s'élevant à 12 322,49 $[1];

 

d)      des paiements à l'égard des locations de voitures s'élevant à 8 174,56 $.

 

[13]    Comme je l'ai mentionné ci‑dessus, le montant visé par la cotisation établie à l'égard de l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi est de 73 231,73 $. Ce montant équivaut à la différence entre les paiements ci-dessus (77 176,73 $) et le total des dépôts de l'appelante dans les comptes bancaires conjoints (3 945 $). Ces chiffres ne sont pas contestés.

 

Analyse

 

[14]    Le paragraphe 160(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

160(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

 

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s'appliquent :

 

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

 

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[15]    L'intimée soutient que selon l'article 160, les montants totalisant 77 176,73 $ payés par M. Crischuk à l'aide de fonds provenant des comptes bancaires conjoints constituent des transferts de biens à l'appelante et que l'unique contrepartie de cette dernière pour ces transferts est le montant de 3 945 $ représentant les dépôts qu'elle a effectués dans ces comptes.

 

[16]    Au début de l'audience, l'avocat de l'appelante a mentionné que la seule question en litige était de savoir s'il y a eu une contrepartie adéquate pour les transferts effectués.

 

[17]    Plus particulièrement, il soutient qu'une contrepartie complète a été donnée des manières suivantes : (1) le droit légal de l'appelante d'obtenir des aliments de son mari; (2) l'utilisation par M. Crischuk d'une pièce de la maison comme bureau; (3) la fourniture de travaux ménagers par l'appelante.

 

[18]    L'avocat de l'intimée soutient que rien dans ce qui est énoncé ci‑dessus ne devrait être considéré comme une contrepartie pour les transferts de biens. Pour soutenir son argument, l'avocat de l'intimée renvoie notamment aux décisions judiciaires suivantes : Yates c. La Reine, 2009 CAF 50, Logiudice c. La Reine, no 94‑602(IT)G, 29 juillet 1997 (C.C.I.), et Tétrault c. La Reine, 2004 CCI 332.

 

[19]    À mon avis, c'est la position de l'intimée qui est clairement soutenue par les décisions citées ci-dessus, lesquelles règlent la question soulevée par l'appelante.

 

[20]    La décision de la Cour d'appel fédérale dans Yates, qui n'a été rendue qu'après la formation du présent appel, fait autorité en la matière.

 

[21]    La position de l'appelante n'est pas soutenue par la décision Yates, et cette dernière lie la Cour. Je tiens à souligner, toutefois, qu'avant Yates, la position de l'appelante était soutenue, au moins en partie, par plusieurs décisions de la Cour.

 

[22]    La question en litige dans Yates était de savoir si l'obligation de subvenir aux besoins de la famille ou l'usage du foyer conjugal constituaient une contrepartie pour l'application de l'article 160 de la Loi.

 

[23]    Dans Yates, les trois juges ont rejeté catégoriquement de tels arguments en ce qui concerne les couples mariés. Le juge Blais (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit :

 

[67]      [...] Une interprétation basée sur le langage clair du paragraphe 160(1) ne donne pas ouverture à une exception relative au droit de la famille ni à une exception applicable aux dépenses du ménage. Si le législateur avait voulu créer de telles exceptions, il les aurait expressément formulées. Il n'appartient pas à notre Cour d'interpréter la Loi de manière à y intégrer ces exceptions.

 

[24]    Ces motifs sont suffisants pour traiter de l'argument de l'appelante au sujet des obligations en vertu du droit de la famille et de l'usage du foyer conjugal. Quant aux travaux ménagers fournis par l'appelante, on ne m'a renvoyée à aucune décision qui porte particulièrement sur cette question.

 

[25]    Il est possible, j'en conviens, qu'une contrepartie existe entre époux pour l'application de l'article 160 de la Loi (voir Raphael c. La Reine, 2002 CAF 23). Toutefois, les éléments de preuve ne justifient pas, en l'espèce, une telle conclusion en ce qui concerne les travaux ménagers.

 

[26]    Pour que la contrepartie soit prise en considération, elle doit être donnée pour le bien transféré. En l'espèce, les travaux ménagers faits par l'appelante s'apparentent davantage à un don qu'à une contrepartie du bien transféré. À cet égard, je souscris à l'analyse de mon collègue le juge Archambault dans Tétrault, précité.

 

[27]    L'avocat de l'appelante a tenté de distinguer l'espèce de l'affaire Yates en affirmant que dans l'affaire Yates, il n'y avait pas de dépôts dans un compte bancaire conjoint.

 

[28]    Le problème que soulève cet argument est qu'il ne concerne en rien la question de savoir si une contrepartie a été reçue.

 

[29]    Le point que soulève l'avocat de l'appelante semble porter sur la question de savoir s'il y a eu des transferts de biens et non s'il y a eu de contrepartie. Cette question n'a été soulevée ni dans l'avis d'appel ni au début de l'audience lorsque j'ai demandé que l'on confirme les questions en litige.

 

[30]    Quoi qu'il en soit, le fait que c'est M. Crischuk qui effectuait les dépôts dans les comptes bancaires conjoints ne conforte pas l'appelante dans sa position. L'établissement de la cotisation était fondé sur l'hypothèse selon laquelle les transferts de biens avaient été réalisés lorsque M. Crischuk avait effectué les paiements hypothécaires et les paiements de location à partir d'un compte qu'il approvisionnait lui‑même. Il n'a pas été avancé que les transferts de biens avaient été réalisés au moment des dépôts.

 

[31]    Enfin, je tiens à souligner que l'avocat de l'intimée a soulevé plusieurs autres points dans sa plaidoirie et qu'aucun d'eux n'a été contesté par l'appelante. Il n'est donc pas nécessaire que je les analyse dans les présents motifs.

 

[32]    Je tiens à mentionner brièvement que la décision de la Cour d'appel fédérale dans Medland c. La Reine, no A‑18‑97, 25 mai 1998 (C.A.F.), semble soutenir largement la position de l'intimée selon laquelle le paiement des dépenses par M. Crischuk constitue des transferts de biens, du moins dans la mesure révélée par les éléments de preuve dont je dispose.

 

[33]    L'appel est rejeté et les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 18jour de mai 2010.

 

 

« J. M. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d'août 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 276

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3045(IT)G

 

INTITULÉ :                                       LINDY CRISCHUK c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Kelowna (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 10 et 11 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge J. M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Michael R. Dirk

 

 

Avocat de l'intimée :

Me David Everett

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :           Michael R. Dirk    

 

                   Cabinet :      Michael R. Dirk

                                       Kelowna (Colombie‑Britannique)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           La réponse mentionne que les paiements de l'hypothèque de Resmor étaient faits à l'aide de fonds provenant du compte d'épargne de l'appelante. Cette affirmation est inexacte, mais cela importe peu, puisque les éléments de preuve démontrent clairement que ces paiements étaient faits à l'aide de fonds provenant d'un compte conjoint. Ce fait n'a pas été contesté à l'audience.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.