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Dossier : 2005-1974(IT)G

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Requête entendue le 11 mai 2010, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me A. Christina Tari

 

Avocats de l'intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Craig Maw

 

________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          VU la requête de l'intimée pour que soit rendue une ordonnance :

 

a)       rejetant la requête de l'appelante pour la tenue d'un nouvel interrogatoire préalable et la production d'une nouvelle liste de documents suivant l'article 82 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), comme il est indiqué dans son avis de requête du 3 septembre 2008;

 

b)      inscrivant l'appel au rôle en vue d'une audition sur preuve commune avec les appels Gould c. Sa Majesté la Reine (dossiers numéros 2004‑4449(IT)G et 2006‑2188(IT)G) et Fiorante c. Sa Majesté la Reine (dossier numéro 2005‑3091(IT)G);

 

c)       subsidiairement, inscrivant l'appel au rôle pour audition sans preuve commune;

 

d)      subsidiairement, rejetant l'appel.

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

1.       l'affaire soit inscrite au rôle pour une audience de deux semaines devant la Cour canadienne de l'impôt, 180, rue Queen, 6e étage, Toronto (Ontario), pendant les semaines du 17 et du 24 janvier 2011;

 

2.       la Cour n'entende pas d'autres requêtes se rapportant à la communication des documents ou aux interrogatoires préalables;

 

3.       les dépens de la présente requête suivent l'issue de l'instance;

 

4.       une conférence téléphonique de gestion de l'instance soit tenue avec les parties en octobre 2010, à une date à déterminer.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2013.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 279

Date : 20100521

Dossier : 2005-1974(IT)G

 

ENTRE :

KATHRYN KOSSOW,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge C. Miller

 

[1]             L'intimée a déposé une requête pour que soit rendue une ordonnance :

 

a)       rejetant la requête de l'appelante pour la tenue d'un nouvel interrogatoire préalable et la production d'une nouvelle liste de documents suivant l'article 82 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), comme il est indiqué dans son avis de requête du 3 septembre 2008;

 

b)      inscrivant l'appel au rôle en vue d'une audition sur preuve commune avec les appels Gould c. Sa Majesté la Reine (dossiers numéros 2004‑4449(IT)G et 2006‑2188(IT)G) et Fiorante c. Sa Majesté la Reine (dossier numéro 2005‑3091(IT)G);

 

c)       subsidiairement, inscrivant l'appel au rôle pour audition sans preuve commune;

 

d)      subsidiairement, rejetant l'appel.

 

[2]             Le présent litige, qui porte sur les années 2000, 2001 et 2002, concerne ce que l'intimée appelle un stratagème de dons financés par emprunt, mécanisme par lequel un contribuable emprunte, à des conditions favorables, 80 % des fonds servant à faire un don à la Ideas Canada Foundation (« Ideas »). L'intimée affirme que, compte tenu des circonstances du prêt, il est impossible de conclure que le contribuable a fait un don. Subsidiairement, s'il y a eu un don valide, la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ ») a pour effet de refuser le crédit qui découlerait normalement du don.

 

[3]             L'appelante s'oppose à la requête de l'intimée, en affirmant d'abord qu'elle lui refuserait une communication équitable et intégrale et, ensuite, qu'il serait injuste de lui demander de supporter d'autres coûts dans la présente affaire, en particulier les coûts d'une audience de deux semaines, alors que la Cour d'appel fédérale est saisie d'un appel interjeté contre la décision Maréchaux c. La Reine[1]. Dans la décision Maréchaux, rendue par la juge Woods, la Cour canadienne de l'impôt devait décider si un don est véritable lorsqu'il est fait au moyen de fonds empruntés. Après s'être référée à la définition donnée au terme « don » par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Friedberg c. La Reine[2], la juge Woods est arrivée à la conclusion suivante :

 

[32]      Si la définition susmentionnée est appliquée aux faits de la présente affaire, il est clair que l'appelant n'a pas effectué de don à la fondation puisqu'il obtenait un important avantage en échange du don.

 

[33]      L'avantage découle de l'entente de financement. Le prêt de 80 000 $ ne portant pas intérêt que l'appelant a reçu, auquel vient s'ajouter l'option de vente prévue, constituait un avantage important qui était donné en échange du don. Le financement n'était pas accordé indépendamment du don. Les deux étaient inextricablement liés par les ententes pertinentes.

 

[...]

 

[35]      J'aimerais également faire remarquer que, même en l'absence de l'option de vente, le financement conférait un important avantage. Il est évident en soi qu'un prêt de 20 ans ne portant pas intérêt constitue un avantage économique considérable pour le débiteur. J'aimerais également faire remarquer qu'il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que le dépôt de garantie de 8 000 $ atteigne un montant de près de 80 000 $ en 20 ans. La preuve soumise par M. Johnson le montrait clairement, même si l'on tient compte des divergences d'opinions au sujet de certaines des hypothèses qu'il a émises.

 

[4]             L'avocate de l'appelante, bien que ne se considérant pas comme liée par l'issue de l'affaire Maréchaux, a reconnu que la décision de la Cour d'appel fédérale pourrait avoir une incidence importante sur l'appel de Mme Kossow. De même, l'intimée n'admet pas qu'elle serait liée par la décision future de la Cour d'appel fédérale.

 

[5]             Il est utile de donner un aperçu de l'historique du présent litige. En juin 2005, Mme Kossow a déposé un appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt. Plus d'un millier de contribuables ont fait des dons à Ideas dans des circonstances semblables à celles de Mme Kossow; ils ont donc tous un intérêt dans l'issue de l'appel de Mme Kossow. Ces contribuables sont dispersés dans tout le pays. En novembre 2007, j'ai tenu une conférence téléphonique avec l'avocate de Toronto qui représente Mme Kossow et avec les avocats de Vancouver qui représentent MM. Gould et Fiorante, qui avaient eux aussi interjeté appel relativement à des dons faits à Ideas. J'avais ordonné que l'affaire Kossow soit instruite rapidement et j'avais fixé à la mi‑juin 2008 les dates d'une audience qui allait durer deux semaines. À ce moment‑là, j'étais persuadé que l'affaire Kossow était bien avancée au regard des interrogatoires préalables et des procédures précédant l'audience. Les appels connexes devaient tous attendre l'issue de l'appel de Mme Kossow. En même temps, j'avais ordonné une communication intégrale, conformément à l'article 82 des Règles, avant le 31 janvier 2008.

 

[6]             Un mois avant l'audience, la juge Valerie Miller a ajourné l'audience au 8 septembre 2008, afin que l'appelante puisse déposer, à la mi‑juin, une requête afin que soient radiées certaines parties de la réponse, qu'il soit ordonné à l'intimée de supporter le fardeau de la preuve à propos de certaines hypothèses, qu'il soit ordonné à l'intimée de satisfaire à certains engagements pris lors de l'interrogatoire préalable et de produire une nouvelle liste de documents aux termes de l'article 82 des Règles, et, enfin, que le représentant de l'intimée se soumette à nouveau à des interrogatoires. Ce dernier s'était déjà soumis à deux semaines d'interrogatoire. Par ordonnance du 18 juillet 2008, la juge Valerie Miller avait ordonné à l'intimée de produire des réponses écrites à certaines questions auxquelles elle avait refusé de répondre et de produire certains documents au plus tard le 8 août 2008. Elle avait aussi précisé que l'appelante avait jusqu'au 15 août 2008 pour produire des questions écrites à propos des documents complémentaires, questions auxquelles l'intimée devait répondre, le cas échéant, au plus tard le 29 août 2008. La juge Valerie Miller avait qualifié de « peu importantes » les questions pour lesquelles l'appelante avait obtenu gain de cause dans la requête, et elle avait condamné l'appelante à payer sans délai les dépens à l'intimée.

 

[7]             Par lettre datée du 24 juin 2008, l'intimée a signifié à l'appelante ses réponses écrites à certaines questions admises par l'intimée durant l'audition de la requête. À la suite de l'ordonnance de la juge Valerie Miller, l'intimée a produit près de 200 documents supplémentaires. Conformément à l'ordonnance de la juge Valerie Miller, l'appelante a produit des questions écrites se rapportant à chaque document — bon nombre de ces questions étaient identiques. À titre d'exemple, pour le document 590, les questions 286 à 292, reproduites ci‑dessous, sont représentatives des questions générales posées :

 

[TRADUCTION]

 

[…]

 

286      Quand avez-vous obtenu ce document? Si vous ne connaissez pas la date exacte, a‑t‑il été obtenu avant ou après l'approbation de l'exposé de position?

 

287      De qui tenez‑vous ce document?

 

288      Qui est l'auteur du document?

 

289      Vous‑même ou un membre de votre équipe avez-vous examiné ce document au cours de votre vérification? Dans la négative, pourquoi?

 

290      Vous êtes‑vous fondé sur ce document pour établir l'une ou l'autre des hypothèses de fait énoncées aux paragraphes 9, 10, et 31 à 41 de la réponse, ou à l'annexe « A »?

 

291      Dans l'affirmative, de quelle hypothèse ou de quelles hypothèses s'agit‑il?

 

292      Reconnaissez-vous l'authenticité de ce document?

 

[...]

 

[8]             L'intimée a produit une réponse écrite à chacune des 1546 questions, mais a refusé de répondre aux questions écrites 1424 à 1546 découlant d'engagements, au motif que la juge Valerie Miller n'avait pas ordonné qu'elle y réponde, malgré la requête que lui avait présentée l'appelante.

 

[9]             L'appelante a fait appel de l'ordonnance de la juge Valerie Miller devant la Cour d'appel fédérale et m'a présenté, en août 2008, une requête de suspension de l'audience de septembre. J'ai rejeté la requête. Le 25 août 2008, l'appelante a demandé à la Cour d'appel fédérale de suspendre l'audience qui devait avoir lieu devant la Cour canadienne de l'impôt en septembre, ce à quoi le juge Ryer a consenti, dans les termes suivants : « Dans les circonstances, je suis d'avis que Mme Kossow doit faire sa part pour hâter le dénouement de l'appel devant la Cour. »

 

[10]        Entre‑temps, l'appelante a signifié à l'intimée :

 

a)       un avis de requête daté du 29 août 2008, requête qui devait être présentée à la Cour canadienne de l'impôt le 8 septembre 2008, par laquelle l'appelante demandait une ordonnance radiant certains paragraphes des actes de procédure de l'intimée et, subsidiairement, obligeant l'intimée à supporter le fardeau de la preuve à l'égard de certaines hypothèses de fait énoncées par le ministre;

 

b)      un avis de requête daté du 3 septembre 2008, requête qui devait être présentée à la Cour canadienne de l'impôt le 8 septembre 2008, par laquelle l'appelante demandait une ordonnance obligeant l'intimée à répondre à certaines questions posées par l'appelante lors de l'interrogatoire et l'obligeant aussi à déposer, suivant l'article 82 des Règles, une nouvelle liste de documents, une ordonnance reportant l'audience et une ordonnance imposant la tenue de nouveaux interrogatoires oraux.

 

[11]        Le 16 mars 2009, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel interjeté par l'appelante contre l'ordonnance de la juge Valerie Miller. Le juge Létourneau s'est ainsi exprimé :

 

[25]      En ce qui concerne la requête de l'appelante demandant la poursuite de l'interrogatoire préalable, la juge a fait remarquer que ce dernier avait suffisamment duré. « À un moment donné, écrit‑elle au paragraphe 66 de ses motifs, il faut que l'interrogatoire préalable se termine pour permettre aux parties de se préparer pour l'instruction de l'affaire. Ce moment est arrivé. » Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle était en droit de mettre fin à l'interrogatoire préalable : voir Canada c. Aventis Pharma Inc., 2008 CAF 316.

 

La Cour d'appel fédérale a condamné l'appelante à payer sur‑le‑champ des dépens de 3 000 $ à l'intimée.

 

[12]        Le 15 mai 2009, l'appelante a déposé devant la Cour suprême du Canada une demande d'autorisation de pourvoi contre la décision de la Cour d'appel fédérale. Après avoir examiné l'avis de demande de pourvoi et le mémoire écrit de l'appelante, il me semble qu'elle n'insistait que sur la question du fardeau de la preuve durant l'instruction. Le 17 septembre 2009, la Cour suprême du Canada a refusé la demande d'autorisation de pourvoi. À la Cour canadienne de l'impôt comme à la Cour d'appel fédérale, il avait été décidé que la question du fardeau de la preuve devait être laissée au juge de première instance.

 

[13]        En novembre 2009, l'intimée a communiqué avec l'appelante pour que soit déposée une demande commune de fixation des temps et lieu de l'audience. En décembre, l'avocate de l'appelante lui a répondu que l'affaire n'était pas en état d'être jugée et qu'elle préférait une conférence de gestion de l'instance.

 

[14]        Il est clair que l'intimée est prête pour le déroulement de l'instruction et qu'elle ne voit pas la nécessité d'autres listes de documents ni d'autres interrogatoires. La demande de l'intimée visant ici au rejet de la requête de l'appelante équivaut pour l'intimée à demander qu'il soit mis un terme à la procédure préalable. L'intimée se fonde sur l'article 53 des Règles pour demander le rejet des requêtes de l'appelante, et elle invoque également les propos tenus sur ce point par le juge Létourneau dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale cité plus haut.

 

[15]        J'examinerai d'abord l'article 53 des Règles, pour ensuite considérer l'idée plus générale consistant à mettre tout simplement un terme à la procédure préalable. L'article 53 des Règles est ainsi formulé :

 

53.       La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l'acte ou le document :

 

a) peut compromettre ou retarder l'instruction équitable de l'appel;

 

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

c) constitue un recours abusif à la Cour.

 

Trois éléments de cette disposition permettraient à la Cour de rejeter la requête de l'appelante, sans que celle‑ci ne soit entendue. D'abord, le fait de permettre que la requête de l'appelante soit entendue retarderait‑il l'instruction équitable de l'appel? Étant donné que l'appelante ne souhaite pas aller de l'avant dans sa requête tant que la Cour d'appel fédérale n'aura pas rendu sa décision dans l'affaire Maréchaux, alors évidemment cela retarderait l'instruction. Mais le retard est‑il nécessaire pour assurer une instruction « équitable »? La question du caractère équitable de l'instruction comporte deux aspects. D'abord, l'instruction risque de ne pas être équitable puisque le juge ne pourra pas profiter de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, si l'instruction avait lieu avant que cet arrêt soit rendu. La question serait aisément résolue si le juge prenait l'affaire en délibéré, ou s'il fixait l'instruction à une date suffisamment éloignée pour réduire les chances que la Cour d'appel fédérale n'ait alors pas encore rendu son arrêt. Deuxièmement, l'instruction pourrait ne pas être équitable parce que, selon l'appelante, si elle n'avait pas gain de cause dans sa requête pour la communication d'autres documents et la tenue d'autres interrogatoires, elle n'aurait pas bénéficié d'une communication équitable et intégrale. J'ai demandé à l'avocate de l'appelante de m'éclairer sur cet aspect de l'argument. Quels étaient, selon l'appelante, les documents qu'elle n'avait pas reçus de l'État, en dépit de plusieurs mises à jour de la liste de documents dont parle l'article 82 des Règles pour la communication intégrale de documents? Il me fallait comprendre la portée de ce qui manquait, d'après l'appelante, pour pouvoir juger de la pertinence d'une prolongation du litige, car, comme le résumait le juge Létourneau dans l'arrêt Yacyshyn c. La Reine[3] : « La justice différée est souvent un déni de justice, surtout quand elle est différée sans justification. »

 

[16]        L'avocate de l'appelante a dit que trois éléments dans l'interrogatoire de M. Tringali, le représentant de l'intimée, donnaient à penser qu'il y avait des documents qui auraient dû faire partie des documents communiqués par l'intimée conformément à l'article 82 des Règles, mais qui n'en faisaient pas partie. D'abord, des documents se rapportant à l'évaluation de bronzes coulés dans les mêmes moules que les bronzes en question ici; deuxièmement, des documents qui étaient semblables à des documents déjà produits, et qui selon l'intimée étaient redondants; troisièmement, des photos des bronzes que les fonctionnaires de l'intimée auraient pu voir au centre d'art MacLaren. L'appelante veut aussi pouvoir poursuivre les interrogatoires concernant ces documents, outre la possibilité de faire un autre interrogatoire préalable dépassant les questions et réponses écrites portant sur l'ensemble antérieur de documents produits conformément à l'ordonnance du 18 juillet 2008 de la juge Valerie Miller.

 

[17]        Je ne me prononcerai pas sur le bien‑fondé de la requête de l'appelante pour la communication de ces types de documents et pour un autre interrogatoire préalable, mais ce renseignement m'aide à décider s'il est dans l'intérêt de la justice d'autoriser l'appelante à simplement présenter sa requête au motif que ce serait la seule manière pour elle d'avoir une instruction équitable. Il s'agit là d'un délicat exercice d'équilibre.

 

[18]        D'un côté, au soutien de la position de l'intimée, pour qui l'affaire est maintenant prête pour une instruction équitable et pour qui la requête de l'appelante ne ferait que retarder cette instruction équitable, je vois :

 

-        le passage de huit à dix années depuis les faits à l'origine du litige;

 

-        deux ordonnances antérieures, rendues en 2008, qui inscrivaient l'affaire au rôle parce qu'elle était prête à ce stade pour une instruction équitable;

 

-        la tenue de nombreux interrogatoires et le dépôt de nombreuses déclarations sous serment au cours des trois dernières années;

 

-        le respect de l'ordonnance de la juge Valerie Miller relative à l'interrogatoire préalable par écrit portant sur les documents additionnels communiqués.

 

[19]        De l'autre, au soutien de la position de l'appelante, qui affirme que sa requête ne retardera pas une instruction équitable, je vois :

 

-        la préoccupation de l'appelante, pour qui des réponses écrites portant sur les documents additionnels ne suffisent pas;

 

-        l'admission du représentant de l'intimée, qui reconnaît que certains documents n'ont peut‑être pas été communiqués.

 

[20]        Pour ce qui est du caractère insuffisant des réponses écrites de l'intimée aux questions écrites de l'appelante portant sur les documents additionnels dont la juge Valerie Miller avait ordonné la production, l'appelante affirme que la juge Valerie Miller n'aurait pas rendu une telle ordonnance si elle avait eu connaissance de la portée des documents. Mais elle a bien rendu l'ordonnance, et les parties s'y sont conformées. Ce facteur ne me fait pas pencher en faveur de la position de l'appelante.

 

[21]        Quant à la position de l'appelante selon laquelle il reste des documents à communiquer, j'ai tenu compte de la nature de ces documents et je suis arrivé à la conclusion que, même si la requête de l'appelante était accueillie, la faible importance des nouveaux renseignements qui pourraient en découler ne suffit pas à justifier un retard supplémentaire. Les points soulevés dans la présente affaire sont clairs. Les nombreux documents entourant le programme d'Ideas sont connus des deux parties. Je reconnais qu'il y a un aspect délicat dans une situation comme celle‑ci, où le contribuable n'est qu'un petit rouage d'une grande machine, une machine qu'il connaît à peine et dont les nombreux documents la concernant lui sont pour ainsi dire inaccessibles. Mais c'est là un aspect qu'il revient au juge du procès d'apprécier. Le processus préliminaire touchant la communication de documents et la tenue d'interrogatoires préalables vise à mettre les deux parties sur le même pied pour ce qui est de connaître la thèse qu'elles auront à réfuter. Je crois que les parties en sont rendues là et que tout retard à ce stade reviendrait à retarder une instruction équitable.

 

[22]        L'intimée a aussi soutenu que je pourrais également me fonder sur l'alinéa 53c) des Règles et conclure que la requête de l'appelante devrait être rejetée à titre de recours abusif, puisque l'appelante s'est abstenue de déposer sa requête depuis mars 2009, lorsque fut levée la suspension de l'instance devant la Cour. L'intimée m'a renvoyé à la décision R. c. Special Risks Holdings Inc.[4], où le juge Walsh écrivait ce qui suit :

 

À bon droit, la demanderesse s'oppose à la présente requête. À son avis, cette requête constitue une tentative de dernière minute pour retarder l'instruction de l'action et vise en outre à introduire des documents dont la production soulèverait certainement des objections, qui ne sont probablement pas pertinents, et qui de toute façon n'avaient pas à être produits pour se conformer aux termes précis de l'ordonnance de la Cour d'appel, laquelle ne concerne que les allégations contenues aux paragraphes 13, 15 et 17 de la déclaration. Les règles de la Cour doivent être suivies à la lettre et, à cet égard, la Couronne n'est pas plus avantagée que tout autre plaideur. Même si l'on estime qu'elle pourrait avoir une certaine pertinence, aucune procédure ne peut être admise quand elle a pour but d'introduire des documents que les parties auraient pu produire plusieurs mois auparavant et dont l'admission aurait pour effet de retarder l'instruction de l'action. Par conséquent, et pour ce seul motif, la requête constitue un usage abusif des procédures de la cour et ne peut être accueillie.

 

Il m'est inutile de me fonder sur l'alinéa 53c) des Règles étant donné mes propos concernant l'alinéa 53a), mais le fait que l'appelante n'ait pas, depuis mars 2009, déposé sa requête devant la Cour est troublant. L'appelante tente de se justifier en invoquant sa demande d'autorisation de pourvoi adressée à la Cour suprême du Canada. Je n'accepte pas cette justification. L'appelante n'avait aucune raison d'attendre la décision de la Cour suprême du Canada. Il appartient aux parties de veiller à ce que le litige auquel elles sont parties progresse, et je suis d'avis que l'appelante ne l'a pas fait. Toutefois, je n'irais pas jusqu'à dire, comme le voudrait l'intimée, que le comportement de l'appelante témoigne d'une intention de ne pas porter cette affaire à l'instruction.

 

[23]        Je veux maintenant examiner la question plus générale, celle de la fixation d'une date pour l'instruction et des éventuelles démarches à accomplir pour parvenir à l'instruction. Il y a deux questions importantes à cet égard. D'abord, quelle incidence l'appel Maréchaux devrait‑il avoir sur l'inscription de la présente affaire au rôle? Deuxièmement, devrait‑il être mis fin à la procédure préalable?

 

[24]        L'appel Maréchaux concerne l'effet d'ententes de financement favorables sur l'existence ou non d'un don. Manifestement, c'est un élément important dans la présente affaire. Cependant, la décision découlait d'un ensemble très précis de faits. La présente affaire, qui concerne Ideas, ne porte pas sur le même stratagème que dans l'affaire Maréchaux, même si la question en litige est sans doute la même. La question de savoir s'il y a ou non un don peut comporter de nombreux facteurs (voir mes observations dans une décision récente que j'ai rendue, Coleman c. La Reine[5]). Il est essentiel que le juge du procès examine minutieusement tous ces facteurs, car, même s'il s'agit dans une grande mesure d'un examen objectif, il y aura toujours un élément subjectif. Le juge du procès doit comprendre les aspects très particuliers de ces types de stratagèmes, surtout dans un cas comme celui‑ci, où plus de mille autres contribuables attendent de connaître l'issue du présent appel. Les circonstances de l'affaire doivent être comprises.

 

[25]        Par ailleurs, aucune des parties ne m'a convaincu que le présent litige se résoudrait par l'application de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'appel Maréchaux. Cela n'est pas surprenant, mais cela me convainc absolument qu'il n'est pas nécessaire de différer l'audience. Je reconnais que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale sera fort utile au juge du procès, mais celui‑ci pourra toujours prendre l'affaire en délibéré jusqu'à ce qu'il soit rendu, s'il ne l'a pas alors déjà été.

 

[26]        Finalement, comme l'écrivait le juge Bowie dans la décision Loewen c. La Reine[6] :

 

[24]      [...] la jurisprudence est en évolution constante; les tribunaux de première instance ne sont pas obligés de s'abstenir d'entendre une affaire parce qu'elle comporte une question de droit sur laquelle l'issue d'un appel qui est en cours ailleurs peut avoir une incidence.

 

Je souscris à ces propos.

 

[27]        L'appelante invoque le fait qu'en allant de l'avant, elle devra supporter des coûts inutilement. Vu les longues procédures engagées à ce jour dans la présente affaire, et puisque selon moi cette affaire est de toute manière très susceptible de se rendre à procès, j'accorde peu d'importance à la question des coûts.

 

[28]        La Cour ne peut entendre une instruction de deux semaines qu'à la fin octobre ou en novembre. Me Tari a indiqué qu'elle est en train de fixer le calendrier d'une autre affaire en vue d'une instruction d'une durée de trois semaines en novembre. Cela étant, et puisque l'on attend une décision dans l'appel Maréchaux avant la fin de l'année, le mois de janvier prochain est le moment le plus propice pour une instruction de deux semaines.

 

[29]        Finalement, je passe à la question des étapes restantes avant l'instruction. Je reviens aux propos tenus dans la présente affaire par le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, et repris au paragraphe 11 des présents motifs. Il y a deux ans, j'étais d'avis que l'affaire était prête à être instruite. Il y a eu depuis lors des divulgations additionnelles. Mon opinion n'a pas changé, elle est même plus ferme. De nouveaux retards ne sont tout simplement pas justifiés.

 

[30]        Je sais que l'appelante est d'avis qu'une décision est requise concernant le fardeau de prouver certaines hypothèses. La Cour, ainsi que la Cour d'appel fédérale, ont indiqué qu'il vaut mieux laisser cette question au juge de première instance. En tant que juge responsable de la gestion de l'instance, je voudrais discuter de cet aspect avec les parties à l'automne pour définir la manière dont il convient de procéder devant le juge de première instance, c'est‑à‑dire soit soulever la question le premier jour de l'instruction, soit envisager une conférence préalable avec le juge du procès. Cette question, ainsi que la question des experts, pour laquelle je présume que les parties s'en remettront simplement aux Règles (je crois d'ailleurs que l'intimée a déjà déposé le rapport d'expert), sont les seuls points qui, me semble-t-il, restent à éclaircir avant l'instruction devant avoir lieu en janvier 2011.

 

[31]        Je n'ai pas examiné l'idée d'une instruction qui serait conduite en même temps que celles des affaires Gould et Fiorante, étant donné que l'on ne s'y est pas attardé lors de l'examen de la requête de l'intimée, et je ne vois pas la nécessité de prendre cette voie.

 

[32]        En résumé, le temps est venu de mettre fin aux escarmouches procédurales et de passer à l'instruction. Nous disposons évidemment de règles et de procédures dans notre système pour assurer aux deux parties des règles du jeu équitables dans la conduite d'une instruction. Si l'une des parties croit que l'autre ne respecte pas les règles, alors, oui, elle peut s'adresser à la Cour pour tenter de résoudre l'impasse de sorte que le litige poursuive son cheminement régulier vers une instruction équitable. Mais, néanmoins, la Cour devrait pouvoir dire, en tant qu'arbitre impartial, « assez ». Le temps écoulé, les frais engagés, les nombreuses communications de documents, l'équité, tout cela requiert de mettre un terme à la procédure préalable. Je ne partage pas l'avis de Me Tari pour qui, à ce stade, cela reviendrait à nier un processus équitable. En fixant une date d'instruction pour janvier 2011, j'espère accomplir ce qui suit : garantir la disponibilité des avocats et de la Cour, accorder un délai suffisant jusqu'à la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Maréchaux, réduire le risque de retards par suite de nouvelles requêtes, réduire les coûts supplémentaires autres que ceux de l'instruction et, enfin, offrir une certaine certitude non seulement à Mme Kossow, mais à tous les contribuables ayant un intérêt dans la présente affaire au titre de dons faits à Ideas.

 

[33]        Je fais droit à la requête de l'intimée et j'inscris l'affaire au rôle en vue d'une instruction de deux semaines à Toronto, les semaines du 17 janvier et du 24 janvier 2011. Les dépens de la présente requête suivront l'issue de l'affaire. Je veux aussi organiser avec les parties, en octobre 2010, à une date à déterminer, une conférence téléphonique portant sur la gestion de l'instance. Je m'attends également à ce que les parties soient prêtes pour l'instruction en janvier 2011, et j'espère qu'elles s'accorderont mutuellement les facilités d'un échange raisonnable d'informations, sans autre intervention de la Cour. J'ordonne donc également que la Cour n'entende aucune autre requête se rapportant à des communications de documents ou à des interrogatoires préalables.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de janvier 2013.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2010 CCI 279

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2005-1974(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Kathryn Kossow c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 11 mai 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    L'honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DE L'ORDONNANCE :        Le 21 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

 

Me A. Christina Tari

 

Avocats de l'intimée :

 

Me Arnold H. Bornstein

Me Craig Maw

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :                   A. Christina Tari

                   Cabinet :     Richler and Tari

 

          Pour l'intimée :     Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           2009 CCI 587.

 

[2]           [1991] A.C.F. no 1255 (QL), 92 D.T.C. 6031.

 

[3]           1999 CanLII 7552 (C.A.F.).

 

[4]           [1983] A.C.F. no 1131 (QL).

 

[5]           2010 CCI 109.

 

[6]           2007 CCI 703.

 

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