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Dossier : 2008-515(IT)G

ENTRE :

Komutel Inc.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 5 juin 2009, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-François Bertrand

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le

revenu pour l’année se terminant le 31 mars 2005 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints, le tout avec dépens en faveur de l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 2010.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 284

Date : 20100615

Dossier : 2008-515(IT)G

ENTRE :

Komutel Inc.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation ratifiée le 15 novembre 2007. Les questions en litige sont les suivantes :

 

Pour l’année d’imposition 2005, il s’agit de déterminer si le Ministre a correctement ajouté au revenu de l’appelante des revenus additionnels de 100 937 $ à titre de règlement d’une dette commerciale conformément au paragraphe 80(13) de la Loi.

 

Pour l’année d’imposition 2006, il s’agit de déterminer si le Ministre a correctement modifié le crédit d’impôt à l’investissement remboursable à la somme de 39 417 $ conformément au paragraphe 127.1(1) de la Loi.

 

[2]              Pour établir la cotisation dont il est fait appel, l’intimée a tenu pour acquis les faits suivants :

 

a)            La société Groupe Capital Vision inc. (« Capital Vision ») a été constituée en vertu de la partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec, le 7 juillet 2000.

b)            Le président, administrateur et actionnaire de Capital Vision était Benoît Beaudin.

c)            Capital Vision n’a jamais produit de déclaration de revenu.

d)            Richard Poulin était actionnaire de la société 9098-5854 Québec inc. (« 9098-5854 ») constituée le 4 décembre 2000 selon la partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec.

e)            Selon le registre des entreprises, 9098-5854 se spécialise dans le développement de logiciels.

f)              Richard Poulin possédait une technologie fonctionnelle destinée au service à la clientèle sur le web/internet et était à la recherche de partenaires financiers.

g)            Capital Vision avait la volonté et le capital afin d’investir en technologie.

h)            Le 4 avril 2001, Capital Vision, représentée par son président Benoît Beaudin et Richard Poulin, entrepreneur indépendant, signent une entente prévoyant notamment :

i)    un contrat de travail pour Richard Poulin selon les conditions prévues à l’entente;

ii)   un engagement de Capital Vision à créer une entreprise (et à constituer à cette fin une société selon le régime fédéral) dont les actions ordinaires votantes seront détenues à 51% par Capital Vision et à 49% par Richard Poulin et les actions privilégiées non-votantes seront détenues à 49% par Capital Vision et à 51% par Richard Poulin;

iii)   un investissement de 350 000$ par Capital Vision soit :

·        200 000$ en mise de fond pour l’entreprise selon un échéancier allant d’avril à septembre 2001.

·        100 000$ versés à la société à constituer, sous forme d’avance remboursable par les profits.

·        50 000$ versés comptant à Richard Poulin selon des modalités à déterminer.

i)              Le 23 avril 2001, la société B2C Web Support inc. (« B2C ») a été constituée en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (régime fédéral).

j)              Les statuts de B2C prévoient différentes catégories d’actions :

CATÉGORIE

 

« A »

votantes et participantes (sous réserve notamment des droits prioritaires attachés aux autres catégories d’actions) et échangeables contre des actions de catégorie C sous certaines conditions.

« B »

non-votantes et non-participantes

« C »

non-votantes, donnant droit à un dividende en priorité sur les catégories A, D et E, rachetables par la société sur demande du détenteur à certaines conditions pouvant être achetées de gré à gré par la société.

« D »

votantes et donnant droit à un dividende en priorité sur les catégories A et E.

« E »

non-votantes et donnant droit à un dividende en priorité sur la catégorie A, mais après les catégories C et D.

 

k)            Les statuts de B2C prévoient qu’aucune action du capital-actions ne peut-être transférée sans le consentement de la majorité des administrateurs ou de la majorité des actionnaires.

l)              Le livre des minutes de la société, la déclaration d’immatriculation du 16 juillet 2001 et les déclarations annuelles produites pour 2002, 2003, 2004 et 2005 au Registraire des entreprises indiquent que Richard Poulin est l’unique administrateur et actionnaire de B2C.

m)          Selon l’information fournie à « Corporations Canada », Richard Poulin a été également l’unique administrateur et actionnaire de B2C.

n)            Selon les rapports informatisés de l’Agence du revenu du Canada (CORTAX) pour les années d’imposition se terminant le 31 mars 2002, 2003, 2004 et 2005, les déclarations de revenu de B2C mentionnaient que Richard Poulin détenait 100% des actions ordinaires et à partir de l’année 2004, 100% des actions privilégiées.

o)            Le registre des actionnaires de B2C ne fait mention d’aucune émission d’actions non votantes de catégories C ni d’autres actions de catégorie A ou de toute autre catégorie.

p)            Le registre des procès-verbaux de B2C ne contient aucune résolution de l’administrateur relativement à l’émission d’actions de catégorie C ou de toute autre catégorie d’actions.

q)            Aucun certificat d’actions n’a été délivré par B2C.

r)             Les notes complémentaires aux états financiers de B2C terminés le 31 mars 2002 et le 31 mars 2003 indiquent qu’il y a eu 100 actions de catégorie A émises et payées et il y aurait eu 350 000 actions de catégorie C émises.

s)             Sur ces 350 000 actions de catégorie C, 193 532 ont été payées 1$ chacune au 31 mars 2002, et 233 532 ont été payées 1$ chacune au 31 mars 2003.

t)              Sur la feuille FF-1 comparant le capital-actions au 31 mars 2004 avec le capital-action au 31 mars 2003, il est indiqué que 350 000$ actions C (ordinaires) étaient détenues par Richard Poulin au 31 mars 2003.

u)            Le bureau de comptables agréés ayant préparé les états financiers pour les années se terminant le 31mars 2002 et 2003 a mentionné dans l’avis au lecteur qu’il n’avait procédé ni à une vérification ni à un examen du bilan et des états des résultats et déficit et qu’il n’avait pris aucune autre mesure pour s’assurer de l’exactitude et de l’intégralité des renseignements fournis par la direction de B2C.

v)            Les états financiers de B2C pour les exercices terminés le 31 mars 2004 et le 31 mars 2005 n’ont fait l’objet d’aucune vérification externe.

w)          Le 15 mai 2004, Benoît Beaudin, Capital Vision et Fiducie MGT ont donné quittance complète et finale à Richard Poulin, B2C et 9098-5854 Québec inc. en contrepartie d’un montant de 5 000 $ à payer à Benoît Beaudin en cinq versements entre le 15 avril et le 15 août 2005.

x)            Cette quittance visait l’extinction ou l’exécution des obligations des bénéficiaires aux termes de tout projet d’investissement en entente verbale ou écrite entre les parties.

y)            Le 17 octobre 2005, la société B2C a changé son nom pour celui de Komutel inc., l’appelante.

z)             Lors d’une première rencontre avec le vérificateur de l’Agence, le 3 mai 2005, Richard Poulin a indiqué que :

·        250 000 $ on été investis par Capital Vision au cours des trois premières années contre des actions de B2C.

·        5 000 $ ont été versés à Benoît Beaudin pour le rachat des actions détenues par Capital Vision.

aa)         Lors d’une deuxième rencontre avec le vérificateur de l’Agence, le 6 mai 2005, Richard Poulin a indiqué que :

·        Qu’il a racheté pour 5 000 $ les 350 000 actions de catégorie C que Capital Vision détenait dans B2C.

·        Le paiement a été fait à Benoît Beaudin avec un chèque de 5 000 $ émis par B2C.

bb)        Lors d’une troisième rencontre avec le vérificateur de l’Agence, le 16 juin 2005, Richard Poulin a indiqué que :

·        Capital Vision aurait plutôt prêté 350 000$ à B2C.

cc)         Lors d’une quatrième rencontre avec le vérificateur de l’Agence, le 4 octobre 2005, Richard Poulin a indiqué que :

·        Qu’il n’y a eu aucun document signé sur l’investissement de 350 000 $ par Capital Vision, après l’entente initiale du 4 avril 2001 et qu’il ne pouvait confirmer qu’il s’agissait d’un prêt ou de capital-actions.

·        Qu’aucun certificat d’actions n’a été délivré à Capital Vision par B2C.

·        Qu’il ne peut confirmer comment et par qui les 5 000 $ pour la quittance ont été versés à Benoît Beaudin pour mettre fin au partenariat.

dd)        Le 11 janvier 2006, Benoît Beaudin a signé une lettre indiquant que tous les montants investis dans B2C l’ont été en contrepartie de 51% des actions ordinaires et qu’il autorise les autorités de Capital Vision à transférer les certificats d’actions au compte de Richard Poulin en contrepartie du rachat du 15 mai 2004.

ee)         Il n’y a eu aucun transfert de certificats d’actions de quelque catégorie que ce soit entre Capital Vision et Richard Poulin.

ff)            L’immatriculation de Capital Vision a été radiée d’office le 16 juin 2006 par le Registraire des entreprises du Québec.

gg)         Il n’y a eu aucun remboursement du prêt de 350 000 $ à Capital Vision par B2C.

hh)         Les sommes versées par Capital Vision à B2C totalisaient 363 932 $ soit le prêt de 350 000 $ plus une avance de 130 500 $ moins la souscription à recevoir de 116 568 $.

 

[3]              Les faits décrits dans la réponse à l’avis d’appel correspondent sensiblement à ceux révélés par la preuve. Sommairement, la preuve a fait ressortir que messieurs Poulin et Beaudin s’étaient rencontrés dans le cadre d’une démarche pour obtenir du financement.

 

[4]              À la suite de la présentation de son projet, monsieur Poulin s’est dit surpris de l’intérêt et surtout de l’empressement du groupe dirigé par monsieur Beaudin à vouloir y investir un montant de plus de 300 000 $.

 

[5]              Conscient que son incapacité financière l’empêchait de mener seul à bon port son projet, monsieur Poulin a expliqué qu’il ne pouvait pas se permettre d’être trop exigeant quant au contrôle de la société et que, de ce fait, il avait accepté que le contrôle de la société passe entre les mains du groupe de monsieur Beaudin.

 

[6]              Les parties se sont alors entendues par écrit sur la façon de faire et la forme que devraient prendre les apports financiers devant être déboursés. Il s’agissait d’une convention sommaire dont certains éléments pouvaient porter à confusion étant donné l’absence de détails et de précisions sur plusieurs aspects.

 

[7]              Rapidement, monsieur Poulin a perdu ses illusions quant à ses attentes de collaboration avec monsieur Beaudin et son groupe; l’inquiétude a monté d’un cran lorsqu’il a reçu des appels de la part de présumés actionnaires qui avaient des attentes non conformes à la réalité.

 

[8]              Monsieur Poulin est alors devenu de plus en plus inquiet au point de devenir suspect et méfiant à l’endroit de monsieur Beaudin et de son groupe, il craignait de perdre le contrôle de l’entreprise. Monsieur Poulin a ainsi hésité et a reporté à plusieurs reprises la signature du projet de convention relatif au transfert des actions préparé et soumis par monsieur Beaudin.

 

[9]              Dans le contexte de relations devenues plutôt difficiles entre le dirigeant du groupe investisseur et l’initiateur du projet, l’aspect documentaire et réglementaire a été très négligé au point d’être caractérisé par la confusion et l’ambiguïté à un tel point que les intéressés, messieurs Poulin et Beaudin, avaient, selon leurs témoignages, une interprétation fort différente de la situation.

 

[10]         Il s’agissait là du contexte ou de la toile de fond existant au moment de la vérification et de la rédaction de la réponse à l’avis d’appel.

 

[11]         Monsieur Poulin a fait état, lors de son témoignage, de son indiscipline en matière de gestion, de son manque de connaissances, mais aussi de ses problèmes de communication avec monsieur Beaudin. Il a également affirmé que le dossier avait fait l’objet de plusieurs changements de cap étant donné que le développement du projet n’était pas conforme à sa vision première et à ses attentes. Il a répété que des ajustements avaient dû être faits à plusieurs reprises.

 

[12]         En mai 2004, l’entreprise était toujours en phase de développement lorsque les deux hommes décident de rompre leurs liens d’affaires. Monsieur Poulin est toujours aussi méfiant et inquiet, d’autant plus qu’il continue de recevoir des appels de personnes mal renseignées sur le dossier.

 

[13]         Au départ, il est important de se rappeler que l’entente relative à la gestion des mises de fonds ne prévoit pas toutes les modalités de façon claire et précise, surtout celles relatives à la contrepartie des fonds déboursés. Le contenu de l’entente a été reproduit aux alinéas H i) à iii) de la réponse à l’avis d’appel, aux pages 4 et 5.

 

[14]         Même si le cheminement du dossier n’était pas conforme aux attentes, les parties n’ont apporté aucune modification à la convention avant la rupture.

 

[15]         La rupture a été scellée au moyen d’un écrit rédigé comme suit :

QUITTANCE

COMPLÈTE ET FINALE

 

PAR :  Benoît Beaudin, domicilié et résidant au 1558, rue Antoine-Daniel, Boisbriand (Québec) J7G 3B5

 

Groupe Capital Vision Inc. une société dûment constituée ayant son siège social au 1200, boul. Chomedy, Laval (Québec) H7V 3Z3 et ici représentée par son mandataire M. Benoît Beaudin, dûment autorisé aux fins des présentes;

 

Fiducie MGT., 1558, rue Antoine-Daniel, Boisbriand (Québec) J7G 3B5 et ici représentée par le fiduciaire M. Benoît Beaudin, agissant à titre de mandataire dûment autorisé aux fins des présentes; (ci après désignés collectivement le « Créancier »)

 

EN FAVEUR

DE :

 

Richard Poulin, domicilié et résidant au 747, 161e rue, St-Georges de Beauce (Québec) G5Y 7V9

 

B 2 C WEB SUPPORT Inc. (Innocom) une société dûment constituée ayant son siège social au 11505, 1ere avenue, bureau 470 St-Georges de Beauce (Québec) G5Y 7X3 et ici représentée par son mandataire M. Richard Poulin, dûment autorisé aux fins des présentes;

 

90985854 CANADA INC. (Innocom) une société dûment constituée ayant son siège social au 11505, 1ere avenue, bureau 470 St-Georges de Beauce (Québec) G5Y 7X3 et ici représentée par son mandataire M. Richard Poulin, dûment autorisé aux fins des présentes; (Ci-après désignés collectivement le « Bénéficiaire »)

 

MOYENNANT BONNE ET VALABLE CONSIDÉRATION que chacun des soussignés déclare avoir dûment reçue, nous, soussignés, convenons de ce qui suit :

 

Le Créancier, Benoît Beaudin, Groupe Capital Vision Inc. Et Fiducie MGT. Et toute autre entité liée ou apparentée à ces derniers, reconnaissent et confirment par les présentes, l’extinction et/ou l’exécution de toutes et chacune des obligations du Bénéficiaire envers eux aux termes de tout projet d’investissement, entente verbale ou écrite entre les parties et libèrent par les présentes le Bénéficiaire de toutes ses obligations aux termes de aux termes [sic] de tout projet d’investissement ou entente verbale ou écrite entre les parties.

 

PAIEMENT DE LA CONSIDÉRATION

 

La quittance est accordée en considération de ce qui suit :

 

Un montant de, CINQ MILLE DOLLARS (5 000,00), doit être payé et acquitté au moyen de 5 chèques bancaire au nom de Benoit Beaudin, débutant le 15 avril 2005, jusqu’au 15 août 2005.

 

En conséquence, le Créancier, Benoît Beaudin, Groupe Capital Vision Inc. Et Fiducie MGT. et toute autre entité liée ou apparentée à ces derniers, pour bonne et valable considération, donne par les présentes, quittance complète, finale et définitive au Bénéficiaire ou ses administrateurs, dirigeants, actionnaires ou employés, à titre d’administrateur, de dirigeant, actionnaire ou employé autrement de tout droit, créance, action, demande, droit d’action, dommage, réclamation de quelque nature que ce soit, passé, présente ou futur que le Créancier, Benoît Beaudin, Groupe Capital Vision Inc. et Fiducie MGT. et toute autre entité liée ou apparentée à ces derniers, ont ou qu’ils pourraient prétendre avoir contre le Bénéficiaire en rapport avec tous projet d’investissement, investissement, entente verbale ou écrite.

 

La présente constitue une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec.

 

EN FOI DE QUOI, les parties ont signé la présente quittance en date du 15e jour de mai 2004.

 

[16]         Au moment de la vérification, le vérificateur a constaté plusieurs incohérences ambiguïtés; il a conclu que la preuve documentaire était soit incomplète, soit déficiente.

 

[17]         Le registre des procès-verbaux et les états financiers, loin de clarifier la situation, confirment plutôt le fait que la confusion régnait à propos du dossier au point où ni l’appelante ni l’intimée ne pouvaient se fonder sur ces documents pour valider leur position respective établie essentiellement à partir d’interprétations et d’extrapolations.

 

[18]         Étant donné la piètre qualité de la preuve documentaire disponible, l’Agence du revenu a qualifié les apports de capital du groupe de monsieur Beaudin comme étant des prêts plutôt qu’une participation d’actionnaires dans une nouvelle société dirigée par Richard Poulin.

 

[19]         Par conséquent, une cotisation fut établie selon laquelle la perte en litige a été qualifiée de perte découlant d’une remise partielle de prêt plutôt que de perte découlant d’une vente d’actions, l’investisseur ayant accepté une contrepartie de moindre importance que la somme investie.

 

[20]         Ainsi, l’intimée a tenu pour acquis qu’il ne s’agissait pas d’une perte en capital mais plutôt d’une remise de dette générant ainsi un revenu pour le contribuable bénéficiaire, et cela, aux termes de l’article 80 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), le tout ayant en outre des effets directs sur le calcul des crédits d’impôt pour recherche et développement demandés.

 

[21]         D’entrée de jeu, il est important de se rappeler qu’une cotisation doit être établie à partir des faits réels et vérifiables et non pas à partir de scénarios possibles et probables souhaités par le ou les contribuables concernés.

 

[22]         Il s’agit là d’un principe important qu’il faut entériner, sinon, une personne pourrait s’appuyer sur une situation confuse et ambiguë non étayée par une preuve écrite et pouvant mener à diverses interprétations lors de la révélation de faits inconnus au moment de la conclusion de l’opération et ainsi faire un choix plus avantageux sur le plan fiscal. En d’autres termes, une planification fiscale rétroactive n’est évidemment pas acceptable.

 

[23]         Il est donc très risqué, voire périlleux, d’entretenir et ou favoriser l’ambiguïté de manière à pouvoir en tirer un avantage fiscal ultérieurement. En effet, une pareille témérité risque souvent d’aboutir à un résultat plus pénalisant qu’avantageux.

 

[24]         Dans le présent dossier, la preuve est très claire sur un aspect. Plusieurs documents habituels sont manquants tandis que d’autres documents pertinents sont incomplets, ou prêtent à confusion au point où toutes les hypothèses soumises par les parties son plausibles.

 

[25]         L’appelante a d’abord fait témoigner monsieur Beaudin. Ce dernier s’est décrit comme courtier en financement; il a affirmé être convaincu que son entente avec monsieur Poulin prévoyait, entre autres choses, un investissement sous forme d’actions ordinaires dans le capital-actions de la société à être créée par ce dernier. Cette interprétation est d’ailleurs validée par certaines affirmations de monsieur Poulin, notamment quand ce dernier explique que sa situation financière personnelle ne lui permettait pas d’être trop indépendant et exigeant.

 

[26]         Monsieur Beaudin a soutenu avoir appris, depuis peu, que c’est plutôt dans des actions privilégiées que son groupe avait investi. Son témoignage a permis de constater qu’il s’agissait d’un individu un peu mystérieux, dont le comportement avait rendu monsieur Poulin inquiet, voire même un peu méfiant.

 

[27]         Monsieur Poulin, de son côté, a affirmé que la compagnie dirigée par monsieur Beaudin aurait effectivement investi un peu plus que les 350 000$ prévus par l’entente.

 

[28]         Une tranche de 200 000$ aurait été investie sous forme d’actions privilégiées au moyen d’une série de versements ne respectant d’ailleurs pas l’échéancier établi. Il se serait agi là d’une situation temporaire, pour ne pas dire transitoire.

 

[29]         Les actions devaient éventuellement être converties en actions ordinaires, à la suite de la conclusion d’une convention entre actionnaires visant à permettre à monsieur Poulin de conserver le contrôle de la compagnie. La convention n’a jamais été signée pour diverses raisons, dont notamment certaines inquiétudes de monsieur Poulin.

 

[30]         Le prêt de 100 000$ prévu par l’entente n’a pas été versé étant donné les difficultés qu’éprouvait la compagnie; ce montant, tout comme le 50 000$ prévu dans l’entente qui devait servir à payer le salaire de monsieur Poulin, a, selon lui, été investi dans la compagnie également sous forme d’actions privilégiées.

 

[31]         Monsieur Poulin a affirmé avoir dirigé l’entreprise au mieux de ses connaissances qu’il jugeait lui-même déficientes. Il a expliqué avoir toujours été conscient de l’importance de l’apport de monsieur Beaudin et s’être senti redevable envers ce dernier. Cependant, le comportement de monsieur Beaudin et les appels de personnes qui faisaient partie de son groupe d’investissement l’on inquiété.

 

[32]         D’ailleurs, la rupture avec monsieur Beaudin a eu lieu après que monsieur Poulin se soit mis à recevoir des appels téléphoniques de gens prétendant avoir investi d’une manière qui ne correspondait pas totalement avec la réalité. C’est d’ailleurs en partie ce qui aurait motivé le changement de nom de la société depuis.

 

[33]         Monsieur Poulin a aussi expliqué avoir lui-même rédigé le document attestant la rupture définitive avec monsieur Beaudin, en s’inspirant d’un modèle de quittance de prêt, le tout ayant pour effet de le désintéresser moyennant 5 paiements de 1000$.

 

[34]         Seul le vérificateur, Éric Laplante, a témoigné au soutien de la preuve de l’intimée. Son témoignage, mais aussi ses constats, me semblent très bien résumer les faits tenus pour acquis dans la réponse à l’avis d’appel et qui sont reproduits aux pages 4, 5, 6, 7 et 8 des présents motifs de jugement aux paragraphes a) à hh) inclusivement.

 

[35]         Monsieur Laplante dit s’être également appuyé sur le document intitulé « Quittance complète et finale », un document attestant la rupture entre messieurs Poulin et Beaudin; il a insisté sur le fait qu’il n’y avait aucune mention relative à des actions, mais qu’il était plutôt question de « créancier » et de « projets d’investissements ». Il a aussi noté que les états financiers du 31 mars 2003 sont fondés sur des données non vérifiées par le cabinet comptable qui en est l’auteur.

 

[36]         Appelé par l’intimée à expliquer l’incohérence entre les états financiers, qui constatent la présence d’actions privilégiées émises et payées d’une valeur de 156 468$, et les déclarations de revenus indiquant que monsieur Poulin était le seul actionnaire du contribuable, monsieur Laplante a concédé que « c’est le seul point qui faisait mention d’un deuxième actionnaire ».

 

[37]         En contre-interrogatoire, monsieur Laplante a dit n’avoir trouvé aucune trace, dans les états financiers des années 2002 à 2004, du prêt de 100 000$ prévu dans l’entente, de documents attestant l’existence d’un tel prêt, ou de conventions prévoyant le paiement d’intérêts ou de sommes dues à titre d’intérêts, et ce, même s’il reconnaît avoir reçu la collaboration de monsieur Poulin, qui l’avait, à l’époque, renvoyé à son comptable.

 

[38]         Il me semble utile de reproduire une partie d’un des documents importants au centre du présent litige. La convention qui a suivi l’entente relative à la mise de fond se lit comme suit :

« Un investissement total de 350 000.00$ sera effectué selon les termes suivants :

 

-          200 000.00$ en mise de fond pour l’entreprise selon l’échéancier suivant : […]

-          100 000.00$ versé à la compagnie sous forme d’avance remboursable par les profits.

-          50 000.00$ comptant versé à Richard Poulin selon des modalités à déterminer. »

 

[39]         Les premier et troisième engagements sont plutôt mal définis, puisque la forme que doit prendre l’investissement de 200 000$ n’est pas indiquée; quant aux modalités rattachées au versement des 50 000$, il fut convenu que monsieur Poulin personnellement devait en bénéficier et non la compagnie à être créée. Le fait que c’est l’appelante qui a bénéficié d’une telle somme vient appuyer le témoignage de monsieur Poulin que l’entente a été modifiée en cours de route.

 

[40]         L’intimée soulève l’absence de résolutions relatives à l’émission d’actions, mais la thèse qu’elle soutient comporte une admission implicite puisque la nécessité d’une résolution n’est pas une procédure propre ou exclusive à l’émission d’actions; dans l’hypothèse d’un prêt, il eut été également approprié de procéder au moyen d’une résolution. En effet, la société aurait dû accepter le prêt, le prêt étant aussi un contrat découlant d’un échange de consentements.

 

[41]          Les états financiers des 31 mars 2002, 2003 et 2004 ont consigné des sommes de 193 532$, de 233 532$ et de 350 000$, respectivement, en association avec le libellé « émis et payé - actions de catégorie C ». Il ne s’agit certes pas de la meilleure preuve en matière d’émission d’actions; toutefois, il n’est pas exagéré de qualifier de telles informations comme étant tout au moins un début de preuve.

 

[42]         D’une part, il appert que le dossier a cheminé d’une manière différente de ce qui était anticipé; d’autre part, il était expressément prévu dans les engagements financiers que les modalités de traitement des mises de fonds pourraient devoir être précisées ou modifiées étant donné les incertitudes qui régnaient même au moment de la conclusion de la première convention.

 

[43]         Une chose est sûre, ni la convention établissant le partenariat entre monsieur Beaudin et la société à être créée pour mettre en valeur le projet de monsieur Poulin ni l’écrit attestant de sa bonne foi ne sont des modèles de clarté.

 

[44]         Entre le début et la fin de la relation d’affaires entre monsieur Poulin et le groupe dirigé par monsieur Beaudin, la société a produit des états financiers. Bien que ces états financiers n’étayent de façon satisfaisante ni la thèse de l’appelante, ni celle de l’intimée, il est possible d’y trouver tout au moins un indice appuyant la thèse de l’appelante.

 

[45]         Je fais notamment référence à l’absence d’indication d’un prêt. En effet, si les états financiers avaient fait référence à un tel prêt, il est évident que celui-ci aurait laissé une trace documentaire d’autant plus que la période où ces états ont été préparés correspond à la période où les mises de fonds ont été effectuées.

 

[46]         Or, la preuve à ce sujet est strictement inexistante, créant ainsi une sorte de présomption selon laquelle bien que non défini de manière formelle, il n’y avait pas de différend en ce qui concerne l’apport consenti par le groupe de monsieur Beaudin.

 

[47]         L’intimée en est venue à la conclusion qu’il s’agissait d’une remise partielle d’une dette commerciale notamment pour le motif qu’il ne pût s’agir d’actions puisque les formalités requises pour l’émission d’actions étaient inexistantes ou insuffisantes.

 

[48]         En d’autres termes, l’intimée semble alléguer que l’apport n’est qu’un simple prêt puisque les formalités relatives à l’émission d’actions n’ont pas été suivies ou respectées.

 

[49]         S’il s’agit d’un prêt, bien que les formalités requises pour en attester la validité soient moins nombreuses, moins strictes, il devait y avoir un minimum de formalités, notamment celles relatives à la durée, au taux d’intérêt applicable, etc. Or, il n’en est rien.

 

[50]         À cet égard, je rappelle que l’intimée a fait certaines inférences au fait que les parties étaient dirigées par des hommes d’affaires. Est-il plausible que des hommes d’affaires oublient de prévoir la durée ou le taux d’intérêt d’un prêt? Soulever la question fournit la réponse.

 

[51]         L’argument voulant qu’il se soit agi d’une dette commerciale de 350 000 $ du fait qu’il s’agissait d’une entente entre deux sociétés représentées par des hommes d’affaires d’expérience n’ayant aucun lien entre eux n’est pas sérieux et s’explique essentiellement par la recherche à tout prix de motifs justifiant une hypothèse un peu farfelue à sa face même.

 

[52]         Quant au document de quittance, l’intimée y fait uniquement appel pour démontrer le caractère aguerri de monsieur Beaudin en tant qu’homme d’affaires.

 

[53]         L’intimée a soutenu qu’un document de quittance où il est question de « créancier » et de « projet d’investissement », et où il ne serait pas question d’actions, appuierait la thèse de l’octroi d’un prêt à l’appelante. C’est un argument farfelu qui, d’ailleurs, n’a pas été repris à l’étape de la plaidoirie.

 

[54]         Il en est ainsi au niveau des différents engagements quant aux dates prévues et non respectées. Tout engagement de quelque nature qu’il soit peut être modifié si toutes les parties y consentent.

 

[55]         Une modification convenue entre les parties consentantes est tout à fait légitime pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une planification fiscale rétroactive.

 

[56]         Finalement, la préoccupation de Poulin quant aux dangers de perdre le contrôle de la société n’est nullement pertinente puisqu’il existe d’infinies possibilités d’assortir des conditions, des avantages ou des privilèges à des actions et de créer plusieurs catégories d’actions.

 

[57]         Les états financiers des 31 mars 2002, 2003 et 2004 datent respectivement du 12 août 2002, du 9 septembre 2003 et du 9 juillet 2004. Ni la date de leur confection ni leur contenu n’ont été remis en question. Or, les états financiers de 2004, faisant état d’un montant de 350 000$ accompagné de la mention « Émis et payé – actions de catégorie « C » », émanent d’un tiers. Encore là, il ne s’agit pas de la meilleure preuve; par contre, il s’agit là, tout au moins, d’un début de preuve, un indice donnant ouverture à un scénario plus compatible avec la thèse de l’appelante qu’avec celle de l’intimée. De toute manière, ce seul élément est à lui seul plus valable que ceux de l’intimée, qui reposent essentiellement sur l’imagination fertile du vérificateur.

 

[58]         Les états financiers ont été occultés étant donné qu’il s’agissait d’états financiers non vérifiés. Par contre, il n’y a pas eu de preuve voulant qu’ils n’étaient ni fiables ni crédibles.

 

[59]         Or, il n’y a rien dans ces états financiers qui soit de nature à valider la thèse de l’intimée; par contre, ils permettent de mettre en lumière certains indices qui étayent la thèse de l’appelante.

 

[60]         Le vérificateur a donné une grande importance au contenu des conventions au point d’affirmer qu’il considérait avoir reçu 4 versions différentes, laissant entendre qu’à partir de ce moment, il ne croyait plus monsieur Poulin. Or, l’analyse de ce qu’il considère comme des versions différentes, voire contradictoires, ne permet pas de tirer une telle conclusion. Chose certaine, cette analyse ne permet pas d’écarter l’entente de la preuve.

 

[61]         Le témoignage du vérificateur confirme l’impression de confusion que laisse le dossier. D’ailleurs, si l’intention de l’appelante avait été d’entretenir la confusion pour en tirer un avantage, il aurait alors essayé tout au moins de fournir des explications qui pointent dans la direction qu’il souhaitait, or, il n’en fut rien.

 

[62]          Le vérificateur a accordé une grande importance au fait que monsieur Poulin a fourni des versions différentes de la preuve au point de conclure que ce dernier était plus ou moins crédible et qu’il fallait écarter une grande partie de son témoignage.

 

[63]         Ce que le vérificateur considère être des versions contradictoires est plutôt une démonstration de l’ambiguïté de la situation et de la franchise évidente de monsieur Poulin, qui ne savait pas trop lui-même quelle tournure allait prendre le dossier, sa seule préoccupation étant de poursuivre le projet qu’il avait créé et d’en garder le contrôle.

 

[64]         Affirmant que l’existence d’actions privilégiées suggérait la présence d’un autre actionnaire, le vérificateur a affirmé que ces documents étaient les seuls permettant de tirer une telle conclusion. Il avait pourtant remarqué que l’annexe 50 de la déclaration de revenus de 2004 constatait également l’existence de telles actions, bien qu’elles étaient souscrites au nom de monsieur Poulin. Reconnaissant que les 350 000$ ne venaient pas de monsieur Poulin, l’intimée aurait pu y voir là un indice corroborant les états financiers de 2004.

 

[65]         Certes, toute cotisation doit être établie à partir des faits qui existaient au moment de la période visée par la cotisation et non à partir d’hypothèses ou de souhaits qui ne concordent pas avec les faits. Certes, toute planification rétroactive doit être écartée; toute personne doit assumer les conséquences de ses faits et gestes en matière fiscale, ce qui a pour effet souvent de générer des résultats ni désirés ni souhaités par les intéressés. En outre, toute personne qui fait l’objet d’une cotisation a le fardeau de la preuve. De tels énoncés ne doivent cependant pas être utilisés comme seuls fondements pour établir une cotisation. En effet, l’intimée ne peut établir une cotisation à partir de fondements douteux, incertains ou incomplets sous prétexte que l’appelante assume le fardeau de la preuve. Elle doit s’appuyer sur un minimum de justification sur le plan de la raisonnabilité.

 

[66]         En l’espèce, monsieur Poulin a élaboré un projet lié au domaine de l’informatique. Il n’avait pas les moyens qu’il lui fallait pour développer lui-même son projet. L’informatique est un domaine très populaire qui attire les investisseurs. Des exemples d’enrichissement rapide dans le secteur de l’informatique abondent et les nouvelles idées alimentent rapidement les espoirs spéculatifs des investisseurs.

 

[67]         Monsieur Poulin rencontre monsieur Beaudin, qui dirige un groupe d’investisseurs ; il soumet une présentation de son projet et de ses possibilités. Très rapidement, au‑delà de toute attente, il reçoit dans les heures qui suivent une réponse positive qui se manifeste par un engagement formel à investir 350 000 $.

 

[68]         Très heureux et fort surpris, il est cependant conscient qu’il devra désormais s’associer avec d’autres. Il veut mener le projet mais les fonds nécessaires à son cheminement proviennent de tiers. Il évalue la situation, notamment en ce qui concerne le contrôle du projet. Les parties en viennent à une entente écrite dont le contenu est vague mais empreint d’une certaine confiance mutuelle.

 

[69]         Par la suite, les choses progressent d’une manière un peu chaotique et monsieur Poulin perd un peu de ses illusions au point où les parties doivent s’entendre sur la rupture moyennant 5 paiements de 1 000 $, soit 5 000 $ au total, alors que les montants déboursés ont été de l’ordre de 350 000 $.

 

[70]         Quel devait être la contrepartie des 350 000 $ investis? Nous sommes en présence de deux possibilités : un prêt ou un nombre quelconque d’actions auxquelles pouvaient être attachés différents droits.

 

[71]         Il faut se placer dans le contexte de la naissance du projet; il s’agit à ce moment d’une idée à l’étape embryonnaire, possiblement très prometteuse, mais hypothétique et spéculative.

 

[72]         Les investisseurs ne connaissent ni le promoteur, ni l’entreprise, mais veulent de toute évidence participer à ce projet prometteur dans le but de récolter les bénéfices qui en découleront.

 

[73]         Ce scénario suppose de toute évidence l’émission d’un nombre quelconque d’actions auxquelles peuvent être attachés différents droits mais exclut tout scénario de mise de fonds sous forme de prêt, la preuve voulant qu’il s’agisse en l’espèce d’un projet essentiellement spéculatif.

 

[74]         Il ne s’agit pas d’un fonds public visant la création d’emploi et où le rendement de l’investissement n’est pas la priorité; il ne s’agit pas d’une aventure philanthropique; il ne s’agit pas d’un soutien à court terme. Il s’agit essentiellement d’un projet commercial où, d’un côté, il y a des hommes d’affaires qui veulent prendre de gros risques en retour d’un rendement exceptionnel, ce qui n’est évidemment pas le propre d’un prêt dans des circonstances jugées très risquées.

 

[75]         Ce sont là les faits incontournables révélés par la preuve. À ce stade, est-il possible qu’une ou plusieurs personnes intelligentes se soient engagées dans une telle aventure en effectuant un prêt ne prévoyant aucun intérêt ? Cela est d’autant plus douteux qu’il n’y a aucun billet ou document à l’appui d’une telle interprétation. Soulever la question suffit pour conclure sans hésitation que la réponse est négative.

 

[76]         Les mois passent, le projet progresse très lentement et la situation financière est décevante. Serait-il possible que les investisseurs, avec le consentement du promoteur, se soient entendus pour qu’une partie des montants investis soient présentés rétroactivement comme étant un prêt? Encore là, soulever la question nous guide vers la conclusion que des personnes moyennement raisonnables n’auraient pas envisagé un tel scénario à moins de poursuivre un but n’ayant rien à voir avec un quelconque rendement.

 

[77]         Sauf dans le cas des gouvernements et de certaines entités paragouvernementales, j’ai de la difficulté à imaginer qu’un investisseur à la recherche d’un rendement exceptionnel accepterait de consentir un prêt à un débiteur éventuel dont la solidité financière laisse à désirer à moins d’assortir son prêt d’un taux d’intérêt très élevé.

 

[78]         Or, en l’espèce, le projet pouvait être prometteur bien que spéculatif mais il n’était manifestement pas un projet susceptible d’intéresser un prêteur.

 

[79]         Au contraire, il s’agissait d’un projet au stade embryonnaire, certes possiblement prometteur mais sans aucune rentabilité à court, voire même à moyen terme. Or, le groupe dirigé par monsieur Beaudin n’avait rien de charitable ou de philanthropique. Il visait le rendement le plus important et le plus rapide que possible.

 

[80]         S’il s’était agi d’un prêt, il est certain que les prêteurs auraient prévu un taux d’intérêt. Or, il n’y a rien dans la preuve à ce sujet.

 

[81]         L’appelante a soumis une preuve dont seul l’aspect verbal est cohérent; de façon générale en cette matière, il est dans l’ordre des choses de valider et de corroborer les explications verbales au moyen d’une preuve documentaire. Or, la preuve documentaire est déficiente, incomplète et confuse.

 

[82]         Elle n’est pas conforme aux exigences élémentaires et ne respecte carrément pas certaines formalités de constitution d’une société, notamment en ce qui concerne l’émission des actions, la déclaration et les états financiers.

 

[83]         Cette preuve a néanmoins le mérite d’être raisonnable et probable. Une conclusion ne dépend pas exclusivement du nombre de défauts ou de griefs relevés, elle doit avoir un minimum de raisonnabilité.

 

[84]         Devant un tel gâchis documentaire, le vérificateur est devenu manifestement méfiant et a « cherché » à documenter certains éléments pour établir une cotisation.

 

[85]         Aux motifs que la preuve documentaire était de très mauvaise qualité et que les explications recueillies quant au cheminement organisationnel de la société (entente initiale et changement d’idée quant à la nature des actions, différentes versions, etc.) étaient souvent incohérentes, le vérificateur a conclu que la somme en litige était un prêt et que sa conclusion était suffisamment étayée pour justifier la cotisation dont il est fait appel.

 

[86]         Le vérificateur s’est attardé principalement sur le vocabulaire utilisé qui, d’ailleurs ne validait aucunement la conclusion retenue. Il a noté l’insuffisance de preuve écrite, la confusion qui découlait de la preuve écrite disponible et a conclu, avec raison d’ailleurs, à une confusion assez générale dans ce dossier. Il a également soulevé certaines irrégularités dans l’accomplissement des formalités. Cependant, il n’y avait pas assez de faits en preuve pour établir l’existence d’une créance commerciale pouvant enclencher l’application de l’article 80 de la LIR.

 

[87]         Le mot créance a effectivement été utilisé; je ne crois cependant pas que cela soit suffisant pour soutenir la conclusion de l’Agence, d’autant plus qu’une telle évaluation aurait pour effet de contredire tout ce qui se dégage du contexte et de la preuve qui, en l’espèce, est plutôt circonstancielle.

 

[88]         Je ne crois pas qu’il faille récompenser l’incohérence, la déficience et l’insuffisance; généralement, dans ce cas, c’est plutôt le contraire que l’on fait.

 

[89]         En l’espèce, je crois que la preuve est claire quant à un certain nombre d’éléments. Je relève notamment les faits suivants : projet possiblement prometteur – investisseurs manifestant très rapidement de l’intérêt – déroulement chaotique et contraire aux attentes– confusion généralisée – absences, déficiences et irrégularités en ce qui concerne l’émission d’actions. En toile de fond, le principal intéressé est de bonne foi, il croit à son projet et il veut réussir. Ces renseignements se dégagent de la collaboration de monsieur Poulin avec le vérificateur.

 

[90]         En conclusion, je suis d’avis qu’au moyen de la preuve verbale et d’un début de preuve ou de brides d’information qui se dégagent de la preuve documentaire l’appelante a établie par la prépondérance de la preuve  que le capital en litige a été investi sous forme d’actions et non sous forme de prêts, comme le soutient l’Agence.

 

[91]         La thèse de l’intimée s’appuie sur une preuve insuffisante et des hypothèses qui ne passent pas le test de la raisonnabilité. Par conséquent, elles sont exclues.

 

[92]         L’appel est donc accueilli et le dossier sera retourné à l’Agence pour que celle-ci établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que les montants reçus par l’appelante étaient des apports de ses actionnaires et n’étaient pas des prêts. Le tout avec dépens en faveur de l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 2010.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 284

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-515(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Komutel Inc. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec  (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 5 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 15 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-François Bertrand

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Jean-François Bertrand

 

                 Cabinet :                           Tassé Avocats

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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