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Dossiers : 2009-2876(EI)

2009-3352(CPP)

 

ENTRE :

 

PERSUADER COURT AGENTS INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JACQUELINE VAN OVERDIJK,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 23 avril et 2 juin 2010, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Gerald Grupp

 

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

 

Avocat de l’intervenante :

 

Me Jordan M. Smith

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels des décisions prises en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada sont accueillis, et les décisions sont modifiées compte tenu du fait que Mme van Overdijk exerçait auprès de l’appelante un emploi assurable et ouvrant droit à pension au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 18 décembre 2008 seulement.

 

Les parties supporteront leurs propres dépens.

 

 

        Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traduction  


 

 

Référence : 2010 CCI 335

Date : 20100618

Dossiers : 2009-2876(EI)

2009-3352(CPP)

 

ENTRE :

 

 

PERSUADER COURT AGENTS INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JACQUELINE VAN OVERDIJK,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Woods

 

[1]     Persuader Court Services Inc. interjette appel de décisions du ministre du Revenu national portant que Mme Jacqueline van Overdijk exerçait auprès d’elle un emploi assurable et ouvrant droit à pension en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada

 

[2]     Il s’agit de savoir si Mme van Overdijk était employée ou si elle était plutôt entrepreneur indépendant au cours de la période allant du 31 juillet 2006 au 18 décembre 2008, lorsqu’elle fournissait des services à l’appelante à titre d’adjointe administrative.

 

Les faits

 

[3]     Au cours de la période en cause, l’appelante s’occupait de la prestation de services parajuridiques, notamment de représentation devant la cour des petites créances et dans les appels interjetés devant la présente cour sous le régime de la procédure informelle.

 

[4]     Tous les services parajuridiques de l’appelante étaient fournis par son propriétaire, M. Gerald Grupp. Les services administratifs étaient fournis par des adjointes administratives et par une aide‑comptable, qui travaillait à temps partiel.

 

[5]     Au mois de juillet 2006, Mme van Overdijk a été embauchée à temps partiel à titre d’adjointe administrative de M. Grupp qui, à ce moment‑là, avait également à son service une adjointe à plein temps. Mme van Overdijk travaillait selon le besoin, en général une dizaine d’heures par semaine. Étant donné qu’elle était aux études, elle ne pouvait pas travailler le matin.

 

[6]     Vers la fin du mois de novembre 2007, l’autre adjointe administrative a été renvoyée et Mme van Overdijk a assumé le poste de cette dernière et a commencé à travailler à plein temps.

 

[7]     Les heures de bureau de l’appelante ont été modifiées, de 9 h à 17 h, afin de tenir compte des obligations familiales de Mme van Overdijk. Mme van Overdijk se présentait habituellement au travail à 8 h 45 et elle partait peu de temps avant 17 h. Le mardi, elle partait à 15 h 30, mais elle travaillait pendant la pause‑repas.

 

[8]     Cette entente a duré tant que l’appelante n’a pas mis fin à ses activités, au mois de décembre 2008.

 

[9]     M. Grupp avait au départ informé Mme van Overdijk que l’appelante n’effectuerait aucune retenue à la source. Il a également recommandé à Mme van Overdijk de demander conseil à un comptable au sujet de sa situation fiscale.

 

[10]    Mme van Overdijk était rémunérée à l’heure; elle soumettait des factures aux deux semaines pour les heures travaillées. L’appelante a produit en preuve un certain nombre de factures. Dans certaines factures, les services sont décrits comme étant des [traduction] « services contractuels ».

 

[11]    Lorsque l’entente a pris fin, Mme van Overdijk a demandé à l’Agence du revenu du Canada de rendre une décision au sujet de la question de savoir si elle avait droit à des prestations d’assurance‑emploi à titre d’employée de l’appelante. Le ministre a conclu que la relation était une relation employeur‑employé.

 

Analyse

 

[12]    Les principes qui s’appliquent à une cause telle que celle‑ci sont bien connus. La marque d’un entrepreneur indépendant est que la personne est dans les affaires à son compte. L’intention des parties est fort pertinente, mais elle n’est pas déterminante. La Cour d’appel fédérale a décrit comme suit le critère applicable dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, 2006 DTC 6323 :

 

            64    Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

 

[13]    Il s’agit en premier lieu de savoir si les parties s’étaient entendues pour que Mme van Overdijk agisse à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[14]    L’appelante voulait sans aucun doute que Mme van Overdijk agisse à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[15]    L’intention de Mme van Overdijk est moins claire. Elle a témoigné qu’elle tenait pour acquis qu’elle était une employée. Ce témoignage n’a pas réussi à me convaincre.

 

[16]    Mme van Overdijk ne serait pas parfaitement au courant des différences existant, sur le plan juridique, entre un emploi et un travail indépendant, mais elle a accepté une entente qui était clairement différente de la relation employeur‑employé typique étant donné qu’aucune retenue à la source n’était effectuée et qu’elle préparait les factures en se fondant sur le fait qu’elle fournissait des services contractuels. En acceptant cette entente, Mme van Overdijk acceptait implicitement de travailler comme entrepreneur indépendant.

 

[17]    Il reste à savoir si la relation est conforme à l’entente.

 

[18]    La marque d’un entrepreneur indépendant est le fait que la personne en cause est dans les affaires à son compte. Les facteurs habituels dont les tribunaux tiennent compte sont de savoir si le travailleur est assujetti à un contrôle en ce qui concerne la façon dont le travail est effectué, s’il assume un risque de perte et a des chances de réaliser un bénéfice et s’il est propriétaire des instruments de travail.

 

[19]    Compte tenu de la preuve dans son ensemble, j’ai conclu qu’au début, lorsque l’appelante a eu recours à Mme van Overdijk pour qu’elle travaille au bureau à temps partiel, la relation était conforme à l’entente que les parties avaient conclue, à savoir que Mme van Overdijk était embauchée à titre d’entrepreneur indépendant. Toutefois, la relation a changé lorsque Mme van Overdijk a commencé à travailler à temps plein à titre d’unique adjointe administrative de M. Grupp. À compter de ce moment‑là, la relation ne comportait plus de caractéristiques suffisantes pour indiquer qu’il s’agissait d’un travail indépendant conformément à l’entente conclue par les parties.

 

[20]    J’examinerai d’abord la question du travail à temps partiel. Pour ce qui est de cette période, certains faits militent en faveur d’un emploi. L’appelante exerçait probablement un étroit contrôle sur la façon dont le travail était effectué, elle fournissait la plupart des instruments de travail et il y avait peu de chances de bénéfice ou de risques de perte. Toutefois, il s’agissait d’une entente souple, et Mme van Overdijk était probablement largement en mesure de décider de ses heures de travail.

 

[21]    Un autre facteur est le type de travail que Mme van Overdijk effectuait probablement à ce moment‑là. Mme van Overdijk a témoigné qu’elle recevait des instructions de M. Grupp ainsi que de l’adjointe administrative qui travaillait à temps plein. Étant donné qu’elle ne travaillait chaque semaine que pendant quelques heures et qu’elle était nouvelle au bureau, le travail effectué était probablement d’une nature moins générale que celui que l’adjointe à plein temps effectuait et il était probablement davantage axé sur des tâches précises.

 

[22]    Ces facteurs étayent l’entente conclue par les parties, à savoir que Mme van Overdijk agissait comme entrepreneur indépendant. Pour cette période, la relation est conforme à l’entente conclue par les parties et cette entente devrait être respectée.

 

[23]    La situation a changé lorsque Mme van Overdijk a commencé à travailler à plein temps. À ce moment‑là, elle seule aidait M. Grupp dans son travail. Les heures au cours desquelles Mme van Overdijk devait se présenter au travail étaient fixées et elle était sous la direction étroite de M. Grupp lorsqu’il s’agissait de fournir l’aide requise. À ce moment‑là, la relation comportait d’importantes caractéristiques applicables à une relation employeur‑employé traditionnelle et fort peu de caractéristiques propres à un travail indépendant.

 

[24]    M. Grupp a soutenu que Mme van Overdijk avait besoin de peu de supervision. Toutefois, il ne s’agit pas de savoir jusqu’à quel point il fallait assurer la supervision, mais si l’appelante avait la capacité de dicter la façon dont le travail devait être effectué. Dans cette relation, M. Grupp était clairement le « patron » et Mme van Overdijk devait se conformer aux instructions de celui‑ci.

 

[25]    M. Grupp a déclaré qu’il arrivait parfois que Mme van Overdijk ne se présente pas au travail. Mme van Overdijk a témoigné qu’il était à quelques reprises arrivé qu’elle ait à rester chez elle à la dernière minute pour prendre soin d’un enfant malade. Elle a témoigné qu’en pareil cas, elle appelait M. Grupp le plus tôt possible pour l’aviser de la situation. C’est là ce qui se produit régulièrement lorsque des mères travaillent. Cela n’indique pas que Mme van Overdijk était dans les affaires à son compte.

 

[26]    M. Grupp a témoigné que Mme van Overdijk insistait pour se présenter au travail même lorsqu’il n’avait pas besoin de ses services, ce qui donne à entendre que Mme van Overdijk estimait que l’appelante était tenue de lui assurer un travail à plein temps. Cela donne également à entendre que l’appelante acceptait d’employer Mme van Overdijk sur cette base.

 

[27]    M. Grupp a soutenu que Mme van Overdijk avait la possibilité de réaliser un bénéfice puisqu’elle gagnait de l’argent lorsqu’elle signifiait des documents pour des clients de l’appelante et qu’elle se présentait devant les tribunaux lorsque M. Grupp était occupé.

 

[28]    À mon avis, la signification de documents ne faisait pas partie de la relation d’emploi, et cette activité était distincte du travail de Mme van Overdijk en sa qualité d’adjointe administrative. Mme van Overdijk exploitait essentiellement une entreprise fort petite lorsqu’elle signifiait des documents. Cependant, elle exerçait également un emploi à titre d’adjointe administrative.

 

[29]    Quant au fait que Mme van Overdijk se présentait devant les tribunaux, la preuve n’a pas réussi à me convaincre que Mme van Overdijk tirait un bénéfice de cette activité, à part la rémunération horaire qu’elle touchait à titre d’employée.

 

[30]    M. Grupp a également affirmé que Mme van Overdijk aurait pu envoyer quelqu’un d’autre à sa place, à condition qu’il ait eu confiance en cette personne. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, M. Grupp aurait probablement accepté toute personne que Mme van Overdijk choisissait pour la remplacer les rares fois où elle ne pouvait pas se présenter au travail. Si cela s’était produit, et cela ne s’est pas produit, cela ne prouverait pas que Mme van Overdijk exploitait sa propre entreprise. Il se serait agi d’un cas dans lequel Mme van Overdijk aidait l’employeur. Le facteur pertinent est que l’appelante continuait à décider de la personne qui exécutait le travail.

 

[31]    M. Grupp a également témoigné que Mme van Overdijk apportait parfois du travail à la maison en dehors des heures de bureau. Cela n’est arrivé qu’à une ou deux reprises. Il s’agit d’un facteur neutre. Compte tenu de la nature de l’entreprise, il y avait des délais à respecter et Mme van Overdijk faisait preuve de diligence lorsqu’elle aidait M. Grupp à respecter ces délais. Les circonstances ne donnent pas à entendre que cela indique que Mme van Overdijk exploitait sa propre entreprise.

 

[32]    M. Grupp a témoigné que Mme van Overdijk s’absentait souvent à cause de ses obligations familiales. Mme van Overdijk n’était pas d’accord; elle a affirmé que M. Grupp la confondait avec une autre adjointe administrative.

 

[33]    Dans la mesure où la preuve de M. Grupp et celle de Mme van Overdijk étaient contradictoires, je préfère retenir la preuve de Mme van Overdijk. En général, Mme van Overdijk se souvenait des événements pertinents beaucoup mieux que M. Grupp. Toutefois, je tiens également à mentionner que la preuve de ces deux personnes était intéressée et que j’ai considéré leurs témoignages avec circonspection.

 

[34]    L’aide-comptable de l’appelante, Mme Patricia Lepper, a également témoigné pour le compte de l’appelante. Elle a témoigné que Mme van Overdijk n’agissait pas comme une employée et qu’elle exerçait des fonctions précises.

 

[35]    À mon avis, cette preuve est également neutre. J’aimerais en premier lieu faire remarquer que Mme Lepper a semblé se ranger du côté de M. Grupp dans le présent différend parce qu’elle estimait que Mme van Overdijk avait tort de demander des prestations d’emploi compte tenu de l’entente qu’elle avait conclue avec l’appelante. Quoi qu’il en soit, la preuve de Mme Lepper n’était pas du tout aussi détaillée que celle des autres témoins. La conclusion à laquelle elle est arrivée lorsqu’elle a affirmé que Mme van Overdijk n’agissait pas comme une employée peut indiquer que Mme van Overdijk avait des obligations familiales qu’elle devait concilier avec son travail. Cela ne donne pas à entendre que Mme van Overdijk était dans les affaires à son compte. Quant au fait que Mme van Overdijk exerçait des fonctions précises, c’est ce qui se produit pour la plupart des adjointes administratives qui exercent un emploi. Le facteur qui importe est que Mme van Overdijk était tenue d’accomplir les tâches que M. Grupp lui assignait.

 

[36]    Le législateur a prévu que les personnes qui exercent un emploi ont droit à des prestations d’assurance‑emploi. Les personnes qui veulent conclure un contrat sur une autre base doivent veiller à ce que les conditions de travail soient compatibles avec un travail indépendant. Or, cela n’a pas été fait lorsque Mme van Overdijk a commencé à travailler à plein temps.

 

[37]    Pour ces motifs, je conclus que Mme van Overdijk exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension uniquement pendant la période allant du 1er décembre 2007 au 18 décembre 2008. Les appels seront accueillis sur cette base.

 

[38]    Les parties, et notamment Mme van Overdijk, supporteront leurs propres dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traduction


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 335

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-2876(EI)

                                                          2009-3352(CPP)

 

INTITULÉ :                                       PERSUADER COURT AGENTS INC.

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

                                                          JACQUELINE VAN OVERDIJK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :              Les 23 avril et 2 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Gerald Grupp

 

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

 

Avocat de l’intervenante :

 

Me Jordan M. Smith

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Jordan M. Smith

 

                   Cabinet :                         Gowling Lafleur Henderson LLP

                                                          Kitchener (Ontario)

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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