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Dossier : 2009-1638(IT)I

ENTRE :

GO SIMON SUNATORI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 avril 2010 à Ottawa, Canada

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Jack Warren

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007 sont rejetés, sans frais, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

         


Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2010.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’août 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


 

 

Référence : 2010 CCI 346

Date : 20100625

Dossier : 2009-1638(IT)I

ENTRE :

GO SIMON SUNATORI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

Question en litige

 

[1]     L’appelant a déduit de son revenu d’emploi les pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise (« PDTPE »)[1] suivantes dans chacune des années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007 :

 

          a)       pour 2004,   21 831 $[2];

 

          b)      pour 2005,   23 000 $;

 

          c)       pour 2006,   24 000 $;

 

          d)      pour 2007,   25 000 $.

[2]     Les déductions demandées se rapportaient à des dettes que HyperInfo Canada Inc. (la « société ») a contractées envers l’appelant.

 

[3]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l’égard du contribuable pour les années d’imposition 2004 à 2007, et il a refusé la déduction des PDTPE. L’appelant interjette appel des nouvelles cotisations au motif qu’il satisfait aux conditions d’origine législative applicables aux fins de déduire les montants en question.

 

[4]     Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») qui s’appliquent en l’espèce sont libellées ainsi :

 

38 c) [perte déductible au titre d’un placement d’entreprise] la perte déductible au titre d’un placement d’entreprise d’un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien est égale à la moitié de la perte au titre d’un placement d’entreprise que ce contribuable a subie, pour l’année, à la disposition du bien.

 

39(1) Sens de gain en capital et de perte en capital [et de perte au titre d’un placement d’entreprise] – Pour l’application de la présente loi :

                                                            […]

c) une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977 :

 

     (i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique,

                                                        […]

 

50(1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d’une société en faillite Pour l’application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

 

a) un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;

[…]

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l’action à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul, à condition qu’il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l’année, pour que le présent paragraphe s’applique à la créance ou à l’action.

 

[5]     L’unique question en litige dans les présents appels est celle de savoir s’il a été satisfait à la condition énoncée à l’alinéa 50(1)a), aux termes de laquelle le contribuable doit établir que les créances qui lui étaient dues à la fin d’une année en particulier se sont révélées être au cours de l’année des créances irrécouvrables.

 

Faits

[6]     L’appelant était l’unique actionnaire et employé de la société pendant toutes les périodes en cause.

 

[7]     La société est une société de recherche et de développement, et à ce titre, elle mène activement des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE). Constituée en 1989 en vue de créer un logiciel pour accès à des renseignements sur Internet, la société a été assez peu active jusqu’en 1995, année au cours de laquelle elle a commencé à accroître ses activités de RS&DE, pour atteindre son plein régime en 2000. C’est pendant ces années de croissance que l’appelant a commencé à travailler à temps plein pour la société.

 

[8]     L’appelant, qui est ingénieur depuis 1984, est habilité à pratiquer à ce titre par l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario.

 

[9]     La société a eu peu de succès dans l’exploitation commerciale de propriétés intellectuelles développées dans l’espoir de réaliser son plan d’entreprise initial. Un projet de RS&DE prometteur consistant à permettre l’accès à certaines portions de documents textuels (plutôt que de devoir acquérir une publication au complet) a bien atteint l’étape de qualité marchande, mais les recettes en provenant se sont révélées négligeables. Des projets d’imagerie tridimensionnelle ainsi que des projets faisant appel aux connaissances de l’appelant dans le domaine du génie électrique n’ont pas été couronnés d’un succès commercial.

 

[10]    En 2000, la priorité principale de la compagnie est passée de l’autoroute de l’information, pour reprendre les termes de l’appelant, à la conception de projets et à la vente au détail. Il pourrait être utile, à ce moment‑ci, de noter deux choses :

 

-   la pièce A‑2 dresse la liste de plus de 70 brevets accordés ou en instance qui ont mené à six projets de développement de produits et à plusieurs projets de services Internet;

 

-  les pièces A‑7 et A‑10 indiquent que les travaux de recherche et de développement de la société faisaient l’objet d’une vérification minutieuse par l’Agence des douanes et du revenu du Canada (aujourd’hui l’Agence du revenu du Canada, couramment appelée l’« ARC »). Il ne fait aucun doute que les travaux de la société étaient considérés comme étant parfaitement admissibles aux crédits de RS&DE et aux crédits d’impôt à l’investissement connexes sous le régime de la Loi. Plus particulièrement, 85 à 100 % des salaires versés à l’appelant par la société ont été reconnus comme se rapportant à des travaux de recherche admissibles[3].

 

[11]    La société a versé à l’appelant les salaires suivants le 31 décembre de chacune des années en cause :

 

          i)        44 000 $ en 2004;

 

          ii)       46 000 $ en 2005;

 

          iii)      48 000 $ en 2006; 

 

          iv)      50 000 $ en 2007.

 

[12]    Ces salaires étaient versés à l’appelant le 31 décembre de chaque année au moyen d’un chèque. Le même jour, l’appelant remettait à la société un chèque du même montant à titre de prêt. Aucun de ces chèques n’a été à quelque moment que ce soit présenté pour paiement, mais l’appelant estime qu’en bout de ligne, un salaire a été versé et un prêt a été consenti pour le même montant. Le solde payable déclaré est essentiellement une écriture comptable de la dette contractée par la société au titre du prêt que l’appelant lui a consenti. À la date à laquelle ces chèques ont été remis, l’appelant a déterminé, en sa qualité de créancier, que le prêt consenti à la société était une créance irrécouvrable.

 

[13]    L’appelant a fait un choix, dans ses déclarations de revenu pour chacune des années en cause, pour que le paragraphe 50(1) de la Loi s’applique à la créance due à la fin de l’année, ainsi que le prescrit le paragraphe en question.

 

[14]    L’appelant a déclaré dans son témoignage avoir inclus dans son revenu les montants reçus au titre d’un salaire en tant que montants reçus au cours de l’année[4]. L’ARC a tenu pour acquis que les salaires avaient été payés ou à tout le moins que ces dépenses avaient été engagées à des fins de RS&DE, et des crédits d’impôt à l’investissement remboursables ont été accordés à la société sur ce fondement. L’appelant a ajouté que les retenues et les versements au titre de l’assurance‑emploi étaient effectués par la société, comme l’étaient les cotisations au Régime de pensions du Canada. L’avocat de l’intimée n’a contesté aucune de ces affirmations.

 

[15]    En ce qui concerne les activités de la société, l’appelant a indiqué dans son témoignage que cette dernière disposait de ressources financières bien modestes et qu’elle n’avait pour ainsi dire aucun revenu, en dépit des efforts diligents et sincères qu’il a déployés pour le compte de la société. Il soutient que les crédits remboursables qu’il a obtenus sur ses salaires ont constitué la méthode principale de financement de l’entreprise. D’ailleurs, d’après l’appelant, l’ARC a elle‑même encouragé ce mode de financement. L’appelant a cru comprendre que la manière dont il versait les salaires et consentait des prêts donnerait naissance à deux options de planification fiscale (les crédits d’impôt remboursables et la PDTPE). Il a cru comprendre également qu’il s’agissait dans les deux cas de mesures incitatives d’origine législative destinées à encourager et à aider financièrement les activités de RS&DE.

 

[16]    En ce qui concerne la détermination de l’appelant selon laquelle les créances étaient irrécouvrables, il est clair qu’il s’est fondé sur les revenus négligeables de la société pour établir que celle‑ci était insolvable et qu’elle n’avait pas les fonds requis pour rembourser les prêts. Il y a lieu d’ajouter cependant que, bien que les revenus tirés des produits et de la propriété intellectuelle créés par la société aient été symboliques, certains des projets ont atteint un niveau de potentiel d’exploitation commerciale. Ainsi, vers la fin de 2005, la société a réussi à mener à l’étape des ventes commerciales un stylo à bille autorétractable[5]. L’article en question a d’ailleurs été annoncé à l’été de 2006 dans une infopublicité télévisée, qui a coûté à la société environ 35 000 $. L’appelant a indiqué qu’il espérait réaliser des profits de plusieurs millions grâce à ce produit. En prévision d’un tel succès, il a accepté la livraison de 10 000 unités fabriquées en Chine pour la société.

 

[17]    Au nombre des autres produits disponibles pour vente au détail, l’on compte une mangeoire pour oiseaux et un support à épices[6]. Ces produits, comme le stylo, sont en vente en ligne sur le site Web de la société et par l’entremise des sites EBay et Amazon.com.

 

[18]    Il faut noter cependant, si l’on veut mettre les choses en perspective, que les recettes brutes suivantes ont été tirées des ventes de tous les produits et logiciels au cours des années en cause[7] :

 

          a)       2004 – 370 $

 

b)      2005 – 4 117 $

 

c)       2006 – 1 564 $

 

d)      2007 – 900 $.

 

[19]    De toute évidence, donc, l’on ne peut contester le fait que la société ne disposait d’aucun revenu susceptible de financer le remboursement des prêts au moment où ceux‑ci ont été consentis, donc à la date à laquelle l’appelant a déterminé que les créances étaient irrécouvrables.

 

Argument de l’appelant

 

[20]    La thèse de l’appelant est simple. Il a déclaré avoir raisonnablement déterminé à la fin de chaque année que le prêt consenti dans l’année en question, qui représentait des salaires que la société ne pouvait se permettre de payer si ce n’est de la manière qu’il avait privilégiée, était une créance irrécouvrable de la société.

 

[21]    Il ne pouvait conclure à l’existence d’aucune raison de lui refuser la PDTPE pour le seul motif qu’il savait, au moment où il a effectué les avances, que celles‑ci ne pourraient être remboursées à ce moment‑là ou peu de temps après. Les paiements effectués au titre des salaires qui ont permis l’accès à des crédits d’impôt étaient légitimes, comme l’étaient les prêts qui ont donné lieu à la PDTPE. Les paiements et les prêts étaient prévus dans la Loi à titre de mesures incitatives destinées à permettre à la société de mener ses activités de RS&DE. Le coût aux fins de l’impôt, pour l’appelant personnellement, de l’obtention par sa société d’un tel financement incitatif saperait le régime complet des mesures incitatives si ce n’était la déduction d’une PDTPE. Au moment où le prêt serait remboursé, le cas échéant, le montant total de cette rentrée d’argent constituerait un gain en capital. Le résultat net était un report d’impôt visant à permettre les incitatifs financiers que sa société touchait.

 

 

Argument de l’intimée

 

[22]    La thèse de l’intimée est tout aussi simple. L’intimée soutient que l’enthousiasme de l’appelant et les attentes admises qu’il avait pendant toutes les années en question et qu’il a encore aujourd’hui de réaliser des bénéfices sont incompatibles avec sa détermination que ses créances étaient irrécouvrables. Logiquement, le fait de consentir un prêt à une société parce que l’on croit en sa viabilité et en sa profitabilité et de déclarer du même coup n’avoir aucun espoir d’en obtenir le remboursement manque de crédibilité.

 

[23]    L’intimée soutient qu’il n’y a aucune raison de croire que la déduction d’une PDTPE est destinée à aider la société à créer des dépenses admissibles de RS&DE. Cependant, si c’est là la raison pour laquelle l’appelant a déclaré que les avances étaient irrécouvrables, comment peut‑on dire de lui qu’il a personnellement pris en considération, à ce moment‑là, les facteurs pertinents qui doivent être pris en compte aux fins de déterminer de manière honnête et raisonnable si la créance était irrécouvrable?

 

[24]    À l’appui de son argument selon lequel l’appelant ne peut affirmer qu’une société est incapable de rembourser des prêts à la fin d’une année alors qu’il lui prête encore de l’argent, l’intimée invoque la décision Giahinejad v. Her Majesty the Queen[8]. Au paragraphe 8 de cette décision, le juge Mogan en arrive à une conclusion identique :

 

[8]     En ce qui concerne le fait que l’appelante n’a pu recouvrer les prêts en 1997, selon la preuve qui m’a été présentée, je ne pourrais en aucun cas conclure que ces créances, dues à l’appelante par la compagnie à dénomination numérique, constituaient des créances irrécouvrables en 1997. Même le 1er décembre 1997, l’appelante a émis un chèque de 1 830 $ à la compagnie qui a été déposé le 4 décembre. Puis, encore une fois, le 28 décembre, elle a émis un chèque plus important de 2 975 $ qui a été déposé le 29 décembre 1997. Elle investissait toujours l’argent dans la compagnie au cours du dernier mois de l’année et, en fait, au cours des trois ou quatre derniers jours de l’année. Je ne peux conclure, par conséquent, que la compagnie était insolvable ou incapable de rembourser les prêts alors que l’appelante lui prêtait toujours de l’argent à la fin de l’année. Pour ce motif uniquement, l’appel de l’appelante ne peut être admis.                    

 

[25]    L’intimée cite également plusieurs décisions à l’appui de son argument selon lequel le contribuable doit examiner avec soin et sérieux la situation de l’entreprise débitrice ainsi que sa situation financière, puis déterminer de manière honnête et raisonnable qu’une créance est irrécouvrable, avec pragmatisme et professionnalisme[9]. Essentiellement, l’intimée soutient qu’en l’espèce, la détermination selon laquelle les créances étaient irrécouvrables était viciée parce que celles‑ci avaient été créées sans qu’il ne soit tenu compte de leur recouvrement, leur unique objet étant d’obtenir un financement d’entreprise d’une autre source. Il en découle implicitement la prétention que je ne devrais pas considérer le prêt comme étant légitime.

 

Analyse

 

[26]    Je vois plusieurs problèmes dans l’appel en l’espèce. Notamment, je suis quelque peu abasourdi par un scénario étrange qui, en bout de ligne à tout le moins, m’a amené à concéder que l’appelant a réussi à créer une réalité grâce à des transactions qui ne se sont jamais réellement produites, sauf dans un sens juridique obscur. Avant de m’intéresser à cet exploit remarquable et à d’autres questions que les appels soulèvent, je dois régler trois problèmes qui n’en sont pas.

 

[27]    Le premier tient au fait que la déduction d’une PDTPE n’a pas pour objet d’aider à financer des dépenses de RS&DE, contrairement à ce qu’a indiqué l’appelant.

 

[28]    Les déductions de PDTPE sont prévues dans la Loi en tant que mesures destinées à inciter les investisseurs à investir dans de petites entreprises au Canada. Ce qui ne signifie pas qu’elles sont prévues dans la Loi comme étant des moyens de générer un financement gouvernemental supplémentaire pour les dépenses de RS&DE d’une petite entreprise. Absolument aucune disposition de la Loi n’indique cela. De manière plus générale, la déduction y est prévue de façon à permettre aux investisseurs de mieux reconnaître et utiliser des pertes financières presque certaines à un moment où on a raisonnablement déterminé que c’était le cas. Pour la société, le bénéfice tient au financement qu’elle a reçu avant une telle détermination. Les autres bénéfices qu’elle en tire et qui sont le produit de l’utilisation de l’argent ont bien une incidence indirecte sur le bénéfice qu’en tire l’investisseur, mais ce lien n’est pas assez fort pour qu’on puisse affirmer que les dispositions relatives à la déduction d’une PDTPE devraient être interprétées ou appliquées de manière plus ou moins rigoureuse, selon la manière dont la société utilise les fonds.

 

[29]    Quoi qu’il en soit, l’appelant a le droit d’organiser ses affaires et de structurer ses transactions de manière à profiter d’avantages fiscaux offerts par le libellé explicite de la Loi, peu importe que celle‑ci ait ou non prévu l’existence de tels avantages[10].

 

[30]    Le deuxième problème, qui n’en est pas un, concerne la mention par l’avocat de l’intimée de l’existence d’un lien de dépendance entre l’appelant et la société. Le contribuable ne perd pas son droit à une PDTPE du fait de la relation de dépendance qui existe entre les parties s’il est satisfait aux exigences de l’article 50. Ce n’est que s’il n’est pas satisfait à ces exigences que la PDTPE ne pourra être déduite que par les parties sans lien de dépendance qui satisfont aux autres exigences énoncées aux sous‑alinéas 39(1)c)(iii) à (viii) de la Loi, qui définissent la perte au titre d’un placement d’entreprise.

 

[31]    Le dernier faux problème est la question de savoir si l’absence d’intérêt payable sur les prêts rend ceux‑ci inadmissibles au motif qu’ils n’ont pas été consentis dans le but de tirer ou de produire un revenu[11]. L’intimée reconnaît qu’il a été satisfait à cette exigence même si aucun intérêt n’est payable sur les prêts. Elle semble à cet égard se fonder sur la notion que les sommes d’argent ont été avancées dans le but d’aider la société dans sa quête de profit. En sa qualité d’actionnaire unique de la société, le contribuable en tant que prêteur a un lien suffisant avec le revenu de dividendes qu’il pourrait tirer de la société. Il existe de nombreuses décisions qui appuient cette proposition, dont notamment la décision Byram c. R.[12]. Si l’on accepte l’opinion selon laquelle un chèque non encaissé est susceptible de produire un revenu lorsqu’il est remis à la société, l’on accepte par le fait même que le prêt a été consenti pour appuyer la société dans sa quête de profit. Si j’admets que cela devait être l’intention des parties et que mon analyse reconnaîtra l’existence de ces intentions, je ne suis pas obligé cependant de me dire en accord avec l’intimée en ce qui concerne le fait que les prêts ne portent pas intérêt. Il existe d’autres raisons pour lesquelles l’appelant sera de toute façon débouté en l’espèce.

 

[32]    J’en viens donc aux questions difficiles que la présente affaire soulève. Je les examinerai sous des rubriques distinctes.

 

Les prêts ont‑ils été consentis de bonne foi?

[33]    Pour répondre à cette question, il faut établir une distinction entre les conclusions de fait et les conclusions de droit. Il existe un certain nombre de conclusions de fait que j’ai prises en considération, chacune d’elles donnant lieu à des conséquences fiscales différentes[13]. Parmi les différentes conclusions de fait possibles signalées dans la note en bas de page numéro 13, le troisième scénario semble être le seul que je puisse accepter compte tenu de la preuve produite dans la présente affaire.

 

Troisième scénario. L’appelant a accusé réception de l’effet qui lui a été remis à titre de salaire pour l’année comme étant un « paiement ». La société a reconnu de son côté que l’effet que l’appelant lui a remis était un bien ayant une valeur qui devait être considéré comme étant un prêt. Le résultat est le même que si les chèques avaient été encaissés, sauf que les paiements sont effectués en nature. C’est là le résultat souhaité par les parties.

 

[34]    En ce qui concerne la question du salaire dans ce scénario, les effets remis à l’appelant sous la forme d’effets négociables (les « effets au titre d’un salaire en nature ») ont été acceptés par l’appelant comme étant un paiement en contrepartie des services qu’il a fournis dans l’année en question. Il ne souhaitait pas offrir bénévolement ses services, qu’il a évalués comme équivalant aux montants nominaux des effets au titre d’un salaire qu’il a reçus en nature. L’ARC a admis cette valeur aux fins de RS&DE. Chaque année, ces effets au titre d’un salaire en nature ont été traités comme ayant été effectivement réalisés (payés) et, en contrepartie, la société a reconnu l’existence d’une réalisation équivalente (recette) d’une avance que l’appelant lui a consentie. En d’autres termes, en ce qui concerne la question du prêt dans ce scénario, les effets négociables remis à la société par l’appelant ont été considérés comme étant des paiements en nature, et l’on souhaitait qu’ils soient traités comme ayant une valeur et qu’ils soient considérés comme étant des prêts exécutoires. Il n’y a aucune raison de croire que les chèques remis à la société par l’appelant n’avaient aucune valeur. En l’absence d’une preuve contraire, je ne peux que présumer qu’ils seraient honorés. Compte tenu de cette conclusion de fait, je ne peux que conclure en droit qu’ils étaient des prêts consentis de bonne foi.      

 

[35]    Reste tout de même le fait que nous nous retrouvons devant une preuve conflictuelle sur la valeur des divers effets qui ont été échangés. Il est clair que les parties, y compris l’ARC, ont accepté la valeur des effets au titre d’un salaire en nature comme étant leur valeur nominale, même si ces effets n’ont pas été présentés pour paiement. Il n’y a aucune preuve qui vient contredire le témoignage de l’appelant selon lequel des feuillets T4 ont été délivrés pour les mêmes montants, que l’appelant a déclaré ces montants dans son revenu, que les retenues prévues par la loi ont été comptabilisées compte tenu du fait que ces montants ont été versés, et que l’ARC a accepté ces montants comme étant des salaires aux fins d’activités de RS&DE. La preuve conflictuelle se rapporte alors à la valeur des prêts.

 

[36]    Il est difficile, compte tenu de ces faits que je dois accepter comme étant établis de conclure que les prêts en nature en question n’avaient aucune valeur au moment où ils ont été consentis. J’ai déjà indiqué qu’ils avaient effectivement une valeur, ce qui a confirmé la conclusion selon laquelle ils étaient légitimes. L’appelant ne peut donc obtenir gain de cause dans les appels en l’instance que si j’accepte que ses éléments de preuve contradictoires selon lesquels les prêts n’avaient aucune valeur au départ prime sur ce que j’ai reconnu comme étant établi. Je ne peux accepter ce témoignage, non seulement parce qu’il est contraire à la preuve acceptée, mais aussi parce que je ne peux admettre que les prêts dont il est question en l’espèce n’avaient aucune valeur au moment où ils ont été consentis. Au contraire, je reconnais qu’ils avaient une valeur et que l’appelant se trompe lorsqu’il soutient qu’ils n’en avaient aucune. Il a fondé son argument sur les gains de la société et sur une insolvabilité déclarée à un moment donné. Il n’a pas prouvé l’insolvabilité ni ne m’a convaincu de la pertinence de celle‑ci dans le contexte des présents appels.

 

L’appelant a-t-il prouvé l’insolvabilité de la société à la fin de chaque année en cause?

 

[37]    Je ne dispose que du témoignage de l’appelant appuyé par une preuve démontrant l’existence de revenus sans importance selon lequel les prêts ne pouvaient être remboursés. J’admets que le témoignage sur ce qui est évident pourrait être suffisant dans certaines affaires, mais je ne puis dire avec certitude exactement ce qui est évident dans la présente affaire.

 

[38]    L’appelant n’a pas expliqué, par exemple, d’où provenait l’argent qui a servi à régler certaines dépenses, qui étaient manifestement substantielles. La société a acheté 10 000 stylos autorétractables emballés et en a payé la livraison, en plus de consacrer 35 000 $ à une infopublicité. De quoi un bilan ferait‑il état? Je crois qu’il pourrait être raisonnable de supposer qu’à la fin de 2005 à tout le moins, la société avait accès à des fonds lui permettant de rembourser les prêts ou à tout le moins d’atténuer l’impression que la détermination selon laquelle les prêts étaient irrécouvrables a été faite conformément aux exigences de l’article 50[14]. Même la présentation des chèques de prêts non encaissés pour paiement aiderait étant donné qu’ils avaient une valeur.

 

[39]    Il incombe à l’appelante de présenter une preuve pour clarifier ces questions. Les états financiers ou autres documents financiers, ou d’autres preuves de la situation financière de la société, mis à part les revenus, ont dû être pris en considération pour en arriver à la conclusion requise. La preuve confirme que le remboursement des prêts n’a pas été pris en considération et encore moins analysé de cette manière. L’appelant s’est fondé sur des conseils qu’il a reçus et selon lesquels il n’était pas nécessaire de financer effectivement les salaires pour générer des dépenses de RS&DE et obtenir les crédits d’impôt à l’investissement connexes, et donc qu’il ne devait pas nécessairement prendre en compte les possibilités de paiement de la manière normale et requise. En d’autres termes, il est évident à mes yeux qu’il ne s’est même pas penché sur les possibilités de recouvrement présentes ou futures. Il se préoccupait surtout de sa planification fiscale.

 

[40]    Tout cela étant dit, donc, je ne peux conclure que la détermination de l’appelant selon laquelle les créances en question étaient irrécouvrables a été faite comme le prévoit l’article 50 de la Loi.

 

La pertinence de l’insolvabilité à un moment donné

 

[41]    Même si j’étais convaincu que la société était insolvable à la fin de chaque année en question, il ne serait pas satisfait aux exigences énoncées au paragraphe 50(1) de ce seul fait. La pertinence de la solvabilité à un moment donné dépendra en partie, à tout le moins, de la durée du prêt, ce qui dans la présente affaire crée un problème pour l’appelant.

 

[42]    L’appelant n’a pas établi le terme des prêts. En fait, aucun terme n’a été précisé.

 

[43]    Le fait que les prêts n’étaient assortis d’aucun terme précis laisse entrevoir deux conséquences juridiques possibles. Premièrement, l’absence générale de modalités contractuelles régissant les prêts, dont le terme de ceux‑ci, donne à penser qu’il n’existe aucun contrat exécutoire[15]. Toutefois, en l’espèce, une telle conclusion n’est pas justifiée. Comme je l’ai déjà dit, j’admets, dans la présente affaire, que les prêts ont été consentis de bonne foi et que les parties en cause souhaitaient qu’ils soient exécutoires en droit. Deuxièmement, un tribunal pourrait imposer des modalités ainsi que les circonstances l’exigent.

 

[44]    Dans la présente affaire, l’incertitude touchant le terme du prêt ne peut être résolue qu’à un certain moment, compte tenu de ce que seraient les intentions des parties dans les circonstances telles qu’elles existeraient alors. Autrement dit, pour justifier en droit la conclusion qu’un prêt est payable ou non à une date donnée, il faut d’abord déterminer ce que les intentions des parties seraient à ce moment‑là.

 

[45]    C’est à tout le moins la manière la plus probable dont le problème serait réglé dans la présente affaire. Les principes touchant les modalités implicites ont été énoncés dans les arrêts Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal[16] et M.J.B. Entreprises Ltd. c. Construction Défense (1951) Ltée[17]. Compte tenu de ces deux arrêts, les trois manières d’introduire dans un contrat des conditions implicites sont les suivantes[18] : « 1) fondées sur la coutume ou l’usage; 2) en tant que particularités juridiques d’une catégorie ou d’un type particulier de contrats; ou 3) fondée sur l’existence d’une intention présumée des parties lorsque l’introduction de la condition implicite est nécessaire pour donner à un contrat l’efficacité commerciale ou pour permettre de quelque autre manière de satisfaire au critère de l’observateur objectif, et que les parties diraient, si on leur posait la question, qu’elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise »[19].

 

[46]    Clairement, le critère de l’efficacité commerciale et le critère de l’observateur objectif imposent tous deux une conclusion selon laquelle les prêts en question ne seraient pas dus et payables immédiatement, mais qu’ils seraient payables, probablement sur demande, lorsque le débiteur ne pourrait plus raisonnablement s’attendre à obtenir du créancier l’indulgence souhaitée, sur laquelle il comptait. Ce scénario constant de prêts indulgents pourrait bien avoir pour effet de suspendre cette date d’échéance éventuelle pendant quelque temps, mais aussi vague cela puisse‑t‑il paraître, c’est suffisant à mon avis pour conclure que le paiement n’aurait pu être exigé à la date à laquelle il a été effectué. Si le recouvrement des créances en question ne constituait pas une option exécutoire en droit pour le créancier le 31 décembre de chacune des années en cause, à défaut d’un événement accélérateur comme une crise financière ou le refus d’honorer la dette, les créances ne pourraient être reconnues comme étant irrécouvrables que s’il était raisonnable de conclure à ces dates que les perspectives de remboursement à l’avenir n’étaient rien d’autre qu’un faible espoir.

 

[47]    C’est ainsi qu’il faudrait « prouver » qu’une créance non encore échue est irrécouvrable.

 

[48]    Ce volet de l’analyse soulève une question qui demande clarification. Certaines décisions donnent à penser que les considérations relatives au remboursement futur d’une dette ne sont pas pertinentes aux fins de conclure qu’une créance est irrécouvrable à un moment donné.

 

[49]    Bien que j’en arrive à la conclusion qu’une telle proposition se limite aux faits en cause dans ces affaires, je ferai mention de l’une d’entre elles, où, selon ce que d’aucuns soutiennent, on a affirmé expressément que, suivant la règle ordinaire, la date d’échéance n’est pas un facteur déterminant.

 

[50]    Dans l’arrêt Rich c. Canada[20], le juge Rothstein, alors à la Cour d’appel fédérale, s’exprimant pour la majorité, a énuméré les facteurs à prendre en considération, lesquels non seulement n’incluaient pas les perspectives d’avenir, mais en minimisaient expressément l’importance :

 

[13]      Je résumerais ainsi les facteurs qui, à mon sens, devraient en général être pris en compte lorsqu’on veut savoir si une créance est devenue irrécouvrable :

 

            1. l’historique et l’âge de la créance;

 

            2.  la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne‑t‑il un revenu ou essuie‑t‑il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

 

            3. l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures ;

 

            4. l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

 

            5.  les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;  

 

            6.  les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur;

 

7. l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de  créances irrécouvrables.

 

Cette liste n’est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

 

[14]      Les perspectives de la société débitrice peuvent présenter un intérêt dans certains cas, mais les considérations premières seraient en général liées au passé ou au présent. S’il est établi qu’un événement se produira probablement dans l’avenir et que cet événement donne à penser que la créance sera recouvrable lorsqu’il surviendra, alors l’événement en question devra être pris en compte. Si les considérations futures ne sont que des conjectures, elles n’interviendront pas lorsqu’on se demandera si une créance exigible est recouvrable.                                                                          (Non souligné dans l’original.)

 

[51]    Cette décision de minimiser expressément l’importance de la pertinence d’événements futurs relevant de conjectures doit à mon avis être comprise dans le contexte de considérations normales se rapportant au débiteur qui, non seulement est insolvable à un moment donné, mais éprouve de telles difficultés financières que naissent chez le créancier des craintes telles que ce dernier prévoit raisonnablement à la fin de l’année qu’un prêt, même un prêt qui n’est pas exigible, ne sera jamais remboursé. Tels étaient les faits de cette affaire. De même, les conditions économiques générales (le sixième facteur énuméré précédemment) ou l’âge de la créance (le premier facteur énuméré précédemment) sont des facteurs qui peuvent être évalués sous un angle prospectif aux fins d’établir si une dette qui n’est pas exigible alors est une mauvaise créance à un moment donné.

 

[52]    De même, songeons aux commentaires du juge Rothstein, de la Cour d’appel, dans un paragraphe subséquent :

 

[24]      Ici, il s’agit de savoir s’il était honnête et raisonnable pour l’appelant de dire que sa créance était irrécouvrable le 31 décembre 1995. Si des faits avaient donné à entendre qu’un sauvetage ou un refinancement pouvait faciliter le recouvrement d’une partie ou de la totalité du prêt, j’admettrais que l’appelant, avec sa connaissance intime de l’entreprise, eût dû alors montrer qu’il avait au moins tenté certaines démarches proactives avant de déclarer la créance irrécouvrable.

 

[53]    J’estime que la possibilité de refinancement dont il a été question met en cause un événement futur et fait ressortir les faits de l’affaire dont la Cour d’appel était saisie, à savoir, une affaire où, n’eût été le refinancement, le débiteur n’aurait jamais été en mesure de s’acquitter de ses obligations. Dans la présente affaire, la preuve de ce sombre tableau est insuffisante, particulièrement à la lumière du portrait optimiste que l’appelant dresse constamment de l’avenir de la société et étant donné son accès apparent à des fonds, tels que le démontrent le financement des infopublicités et son stock de produits vendables.

 

[54]    De même, dans l’affaire Giahinejad, la perspective d’un recouvrement à l’avenir est implicitement pertinente. Le versement d’avances signifie implicitement la survenance à l’avenir d’un événement positif qui vient contredire une détermination de créance irrécouvrable à la date à laquelle l’avance est consentie. Si l’on adhère à ce raisonnement, un prêt qui ne sera pas exigible avant quelque temps ne peut raisonnablement être reconnu comme étant irrécouvrable aujourd’hui, alors que les perspectives de recouvrement au moment de l’échéance sont prometteuses, ainsi que le démontrent les récents progrès, de même que l’engagement, la motivation et les travaux en cours du débiteur, dont les actions ne montrent aucun signe d’échec imminent de l’entreprise.

 

[55]    Tout cela pour dire que le seul fait pour l’appelant d’avoir été convaincu que les prêts ne seraient pas remboursés à la fin des années en question ne signifie pas nécessairement qu’il était raisonnable de considérer qu’ils étaient des créances irrécouvrables. Si tel était le cas, toutes les situations d’insolvabilité temporaires et à court terme mèneraient à une explosion de revendications de créances irrécouvrables. Or, rien dans le libellé des dispositions en cause ne justifie une telle explosion.

 

[56]    Il ressort également du présent appel, en ce qui concerne le fait que les créances en question n’ont pas été traitées comme étant exigibles, que l’appelant n’était de toute évidence pas prêt, à quelque moment que ce soit dans les années en question, ou même aujourd’hui, à exiger le remboursement des prêts à recouvrer. Bien qu’il ne soit pas essentiel dans tous les cas d’instituer des recours en recouvrement, l’omission de prendre quelque mesure que ce soit pour démontrer que les créances se sont révélées irrécouvrables n’est pas compatible avec quelque exigence que ce soit de démontrer qu’une créance s’est révélée irrécouvrable. Il se peut fort bien qu’il ait fait en sorte et qu’il puisse encore aujourd’hui faire en sorte que la société ferme ses portes et cesse ses activités de manière à lui donner droit à ses pertes, mais cela ne peut pas déterminer l’issue de l’affaire dont je suis saisi. Il doit y avoir à tout le moins une preuve d’une menace imminente que l’appelant n’obtienne jamais le remboursement des prêts ou, comme il a été mentionné précédemment, une preuve de perspectives d’avenir telles que l’on peut raisonnablement prévoir que les possibilités de recouvrement ne représentent qu’un faible espoir. Aucune preuve de cette nature n’existe dans la présente affaire, où une entreprise en exploitation a sans cesse mené des activités dans la quête de profits et, se tournant vers l’avenir à partir de chaque année en question, ne semble pas devoir faire face à quelque crise financière future que ce soit qui indiquerait que les prêts ne seront jamais remboursés.

 

[57]    Je ne peux qu’ajouter en terminant qu’il me semble que l’appelant ait peut‑être mal compris toute proposition de l’ARC selon laquelle les salaires ne doivent pas nécessairement être financés pour donner lieu aux crédits d’impôt à l’investissement remboursables souhaités. C’est la création de la dépense, et non son paiement, qui donne lieu à une dépense de RS&DE qui, elle, permet d’obtenir des crédits remboursables. En d’autres termes, la société doit uniquement avoir créé les dépenses au titre des salaires selon une comptabilité d’exercice pour obtenir des crédits remboursables[21]. Si aucun des effets mentionnés précédemment n’avait été échangé, les crédits paraîtraient avoir été payables à la société sans que l’appelant ne soit tenu de déclarer quelque revenu que ce soit dans l’année au cours de laquelle la société a engagé la dépense, puisque la rémunération obtenue de la société doit être déclarée selon une comptabilité de caisse. L’article 5 de la Loi n’inclut à titre de revenu que les salaires « reçus » au cours de l’année. Il aurait eu droit à un report d’une année en vertu du paragraphe 78(4) de la Loi. La planification fiscale de l’appelant semble donc avoir eu pour effet d’accélérer inutilement une obligation fiscale.

 

[58]    Ainsi que je l’ai indiqué dans les premières lignes de la présente analyse, les faits établis en l’espèce m’ont amené à admettre que l’appelant avait réussi à créer une réalité grâce à des transactions qui, en toute logique, ne se sont jamais véritablement produites. Bien que je doive faire face à la possibilité de conclure que la remise de chèques non présentés pour paiement n’était pas un événement en soi, je m’inspire des commentaires suivants, que le juge  Thurlow a formulé dans l’affaire Donald Applicators Ltd. et al., v. Minister of National Revenue [22], et qui semblent appropriés en l’espèce :

 

            [traduction]

 

[…] le fondement même de l’imposition dont il est interjeté appel est l’hypothèse de la réalité de ces sociétés et du fait qu’elles ont réalisé des bénéfices à l’égard desquels des cotisations ont été établies. L’affaire doit donc être tranchée, en dépit de la nette irréalité de la situation, telle que la preuve l’a démontré, compte tenu du fait que les appelants dans la présente affaire étaient des sociétés qui, en fait, exploitaient une entreprise et qui, de ce fait, ont réalisé les bénéfices en question.

 

[59]    Dans l’état actuel des choses, donc, pour tous ces motifs, les appels doivent être rejetés, sans dépens.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2010.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d’août 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 346

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-1638(IT)I

 

INTITULÉ :                                       GO SIMON SUNATORI ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT  :              L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 25 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Jack Warren

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L’alinéa 3d) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet la déduction de ces montants à condition que la perte soit une PDTPE.

 

[2] L’appelant a aussi déduit une perte en capital de 169 $ pour 2004, mais cette déduction lui a été refusée. Il n’a pas été question de ce montant à l’audience.

[3] Les pièces produites permettent d’établir qu’en 2004 et en 2005, 100 % du salaire de l’appelant était lié à des activités de recherche. En 2008, cette proportion semble avoir été ramenée à 85 % de manière à tenir compte d’autres tâches, comme [traduction] « l’administration, la gestion, la représentation commerciale ou la comptabilité ».

 

[4] Selon la pièce A-5, la société a délivré des feuillets T4 pour les salaires.

[5] La pièce A-3 décrit le stylo comme étant un [traduction] « Stylo à bille autorétractable trois en un MagneScribe TM ». La pointe du stylo sort automatiquement lorsque celui‑ci est détaché d’un pendentif magnétique et se rétracte lorsqu’elle y est remise. Le pendentif est aussi une horloge numérique et un miroir. Les brevets canadiens et américains ont été accordés.

 

[6] La pièce A‑3 décrit la mangeoire à oiseaux comme étant une [traduction] « hyper‑mangeoire » : mangeoire à oiseaux à l’épreuve des rongeurs avec perchoir en forme d’anneaux concentriques et globe transparent. Le support à épices est décrit comme étant le Magic Spicer TM (support à épices magnétique auto‑obturant, pots à épices inclus). L’appelant a déclaré dans son témoignage que trois supports à épices avaient été vendus le jour de l’audience, avant que la Cour ne se réunisse, et qu’il espérait que ce produit remporte du succès. La pièce dresse une liste de plusieurs programmes Internet mis en vente également, allant des manuels d’affaires aux jeux, notamment aux fins de la résolution de casse‑têtes sudoku.

 

[7] Comme en fait état la pièce A-9.

 

[8] [2002] 1 C.T.C. 2141 (C.C.I.).

 

[9] Flexi-Coil Ltd. v. R., 96 D.T.C. 6350 (C.A.F.); Roy c. R, [2004] 2 C.T.C. 2519 (C.C.I.); Netolitzky c. R., 2006 C.C.I. 172, [2006] 3 C.T.C. 2526; Cosentino v. R., [2003] 2 C.T.C. 2447 (C.C.I.).

 

[10] La planification fiscale – le fait d’organiser ses affaires de façon à payer le minimum d’impôt – est un volet légitime et reconnu du droit fiscal canadien. Le principe, qui s’applique encore aujourd’hui, naît de l’affaire IRC v. Duke of Westminster, [1935] All E.R. 259, dans laquelle le lord Tomlin a dit ceci : [traduction] « [...] Tout homme a le droit, s’il le peut, de diriger ses affaires de façon que son assujettissement aux impôts prescrits par les lois soit moindre qu’il ne le serait autrement. S’il réussit à obtenir ce résultat, alors, même si le percepteur ou les autres contribuables n’apprécient guère son ingéniosité, on ne peut pas l’obliger à payer plus d’impôt ». Se reporter aussi aux arrêts Lipson c. R., 2009 C.S.C. 1; Hypothèques Trustco Canada c. R., 2005 C.S.C. 54.

 

[11] Voir le sous-alinéa 40(2)g)(ii).

 

[12] [1999] 2 C.T.C. 149 (C.A.F.). Je reconnais la suffisance du lien entre le prêt et la possibilité de toucher des dividendes dans le contexte des faits tels qu’ils ont été établis. Ainsi que je le mentionnerai plus loin dans les présents motifs (note en bas de page 13), une telle conclusion pourrait ne pas être justifiée dans le cas d’autres scénarios possibles.

 

[13] J’ai examiné plusieurs scénarios possibles, dont ceux qui suivent. Premier scénario. L’appelant remet à la société un chèque (un effet négociable, une lettre de change, une part) qui est le prêt consenti à la société. Cette dernière utilise cette part pour verser à l’appelant son salaire, en la lui retournant en nature. Un prêt à la société est impayé, et les salaires sont payés. Cette situation ne correspond pas exactement au scénario portant sur les deux chèques qui a été mis en preuve, mais elle « va » avec la manière dont tout a été déclaré. Deuxième scénario. Aucun salaire n’a été payé. La créance se rapporte aux salaires impayés. Si l’on examine l’ensemble des transactions intervenues dans la présente affaire, c’est là tout ce qui s’est produit en réalité. Il s’agit d’un scénario auquel l’appelant aurait pu souscrire dans le plus optimiste des cas, puisque le mode qu’il a privilégié a eu pour effet d’accélérer l’impôt payable sur son salaire sans qu’il n’en tire quelque avantage que ce soit. Troisième scénario. L’appelant a accusé réception de l’effet qui lui a été remis à titre de salaire pour l’année comme étant un « paiement ». La société a reconnu de son côté que l’effet que l’appelant lui a remis était un bien ayant une valeur qui devait être considéré comme étant un prêt. Le résultat est le même que si les chèques avaient été encaissés, sauf que les paiements sont effectués en nature. C’est là le résultat souhaité par les parties.

[14] Ainsi, un bilan indiquerait‑il l’existence d’un financement provenant des crédits remboursables ou des apports de capital, ce qui établirait que le témoignage de l’appelant concernant l’insolvabilité, compte tenu des revenus, était trompeur, voire intentionnellement partiel?

 

[15] Surette v. Surette and Sullivan, (1980), 40 N.S.R. (2d) 482 (1re inst. N.‑É.); Cilevitz c. R., 2009 C.C.I. 214.

 

[16] [1987] 1 R.C.S. 711 (C.S.C.).

 

[17] [1999] 1 R.C.S. 619 (C.S.C.).

 

[18] Les modalités dont il est question dans ce passage sont les modalités contractuelles de l’entente autres que la durée de celle‑ci ou son « terme ». 

 

[19] Le critère de l’observateur objectif a été formulé par le juge MacKinnon dans l’affaire Shirlaw v. Southern Foundaries (1926) Ltd., [1939] 2 K.B. 206. Le passage cité est tiré de l’ouvrage HALL, Geoff R., Canadian Contractual Interpretation Law, première édition, Lexis Nexis, p. 125. 

 

[20] 2003 C.A.F. 38.

 

[21] En l’absence en quelque sorte d’un revenu à déclarer, les crédits d’impôt à l’investissement dont la société peut se prévaloir en vertu de l’article 127 (calculés ainsi qu’il est prescrit au paragraphe 127(9) par renvoi aux dépenses de RS&DE admissibles de la société telles qu’elles sont calculées conformément au paragraphe 37(8)) deviendront, de manière générale, dans les situations simples comme ce semble être le cas du présent appel, pleinement remboursables en vertu de l’article 127.1, dans une proportion de 40 % des dépenses de RS&DE. En d’autres termes, il semble que la société toucherait un crédit d’impôt à l’investissement remboursable de 20 000 $ dans le cas où une dépense de salaire pour RS&DE de 50 000 $ est engagée. C’est la création de la dépense, et non le paiement de celle‑ci, qui donne lieu à une dépense de RS&DE ainsi que le prescrit le paragraphe 37(8). Voir Highland Foundry Ltd. v. R., 94 D.T.C. 1725; Ergorecherche & Conseils Inc. v. R., 1997 CarswellNat 2615, et le bulletin IT‑151R5, paragraphe 10. Telle est la situation, même si l’appelant est un employé déterminé de la société au sens du paragraphe 248(1), puisqu’il ne semble pas que les limites énoncées aux paragraphes 37(9) et (9.1) s’appliquent dans la présente affaire.

 

[22] 69 D.T.C. 5122.

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