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Dossier : 2009-533(EI)

 

ENTRE :                                                                                                              

BEATA RICHTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 17 juin 2010 par conférence téléphonique à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Thomas Richter

Avocate de l’intimé :

Me Marie-France Camiré

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

 

         L’appel interjeté à l’encontre de la décision du ministre du Revenu national selon laquelle l’appelante n’exerçait pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi pendant les périodes allant du 9 septembre 2001 au 28 septembre 2001 et du 2 juillet 2002 au 4 octobre 2002 alors qu’elle était au service du gouvernement du Canada, et pendant la période allant du 21 novembre 2001 au 22 juin 2002 alors qu’elle travaillait pour David Weiner, est rejeté sans dépens.


 

 

          Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 19jour de juillet 2010.

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de septembre 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

 

Référence : 2010 CCI 385

Date : 20100719

Dossier : 2009-533(EI)

ENTRE :

BEATA RICHTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]        La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si l’appelante exerçait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi sur l’A‑E ») pendant les périodes allant du 9 septembre 2001 au 28 septembre 2001 et du 2 juillet 2002 au 4 octobre 2002 alors qu’elle était au service du gouvernement du Canada, et pendant la période allant du 21 novembre 2001 au 22 juin 2002 alors qu’elle travaillait pour David Weiner.

 

[2]        L’appelante a quitté la Pologne pour s’établir au Canada au mois de janvier 1993. Elle est devenue citoyenne canadienne au mois d’avril 1996. Elle a épousé son petit ami qui avait auparavant quitté la Pologne pour s’établir au Canada. L’appelante travaillait en Alberta. En 1996, l’appelante et son mari se sont séparés (ils ont divorcé en 1997) et elle a été mise en disponibilité. Étant donné qu’elle était seulement parvenue à trouver du travail à temps partiel, l’appelante a décidé de retourner en Pologne. Elle a rompu ses liens avec le Canada.

 

[3]        Lorsque l’appelante est retournée en Pologne, elle a commencé à travailler à l’ambassade du Canada à Varsovie. En 1999, elle a épousé Thomas Richter, un agent du service extérieur du gouvernement du Canada. Thomas Richter travaillait à l’ambassade du Canada à Varsovie jusqu’à l’été 2000, moment où il a été transféré à l’ambassade à Téhéran, en Iran. En 2001, Thomas Richter a été réaffecté à l’ambassade du Canada à Berlin, en Allemagne. Les périodes d’emploi en cause se situent à l’époque où l’appelante vivait avec Thomas Richter en Allemagne. Ils vivaient dans un appartement à Berlin.

 

[4]        L’emploi assurable est défini à l’article 5 de la Loi sur l’A‑E. Voici en partie la teneur de cet article :

 

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

 

[…]

 

d) un emploi prévu par règlement pris en vertu des paragraphes (4) et (5);

 

[5]        Le paragraphe 5(4) de la Loi sur l’A‑E est ainsi libellé :

 

(4) La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements en vue d’inclure dans les emplois assurables :

 

a) l’emploi exercé entièrement ou partiellement à l’étranger et qui serait un emploi assurable s’il était exercé au Canada;

 

[6]        L’article 5 du Règlement sur l’assurance‑emploi (le « Règlement sur l’A‑E ») prévoit en partie ce qui suit :

 

5.       L’emploi exercé à l’étranger […] est inclus dans les emplois assurables s’il satisfait aux exigences suivantes :

 

          a)      il est exercé par une personne qui réside habituellement au Canada […]

 

[7]        En l’espèce, la question en litige est de savoir si l’appelante résidait habituellement au Canada lorsqu’elle travaillait pendant les périodes en cause, étant donné que son emploi était exercé à l’étranger[1]. C’est sur cette question que se fondent les arguments des deux parties. La Loi sur l’A‑E ne définit pas le terme « réside habituellement ». Il est donc nécessaire d’examiner comment les tribunaux interprètent cette expression.

 

[8]        Dans Thomson v. M.N.R., [1946] C.T.C. 51, le juge Rand de la Cour suprême du Canada a fait les commentaires suivants au sujet des expressions « résidant » et « résidence habituelle »:

 

       [traduction]

 

47        Le temps, l’objet, l’intention, la continuité et les autres circonstances pertinentes sont des éléments d’intensité variable; cela montre que, dans le langage ordinaire, le terme « résident » ne correspond pas à des éléments fixes qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d’en donner une définition précise et applicable à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de différentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d’une même matière. Dans tel cas, on y retrouve certains éléments, dans d’autres, on en trouve d’autres dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.

 

48        L’expression « résident habituel » a un sens restrictif et, alors qu’à première vue elle suppose une prépondérance dans le temps, la jurisprudence relative à la loi anglaise a rejeté ce point de vue. On a jugé qu’il s’agit de résidence selon le mode habituel de vie de l’intéressé, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence habituelle, il faut donc examiner le mode de vie général.

 

[9]        Dans Lapierre c. La Reine, 2005 CCI 720, 2008 DTC 4248, le juge Dussault s’exprimait ainsi :

 

13     Si la résidence est le concept fondamental utilisé aux fins de l’assujettissement à l’impôt sur le revenu en vertu de la Loi, il n’y est cependant pas défini et ce sont les tribunaux qui ont tenté d’en circonscrire les limites. Essentiellement une question de fait, la résidence d’une personne à un endroit donné s’établit par un certain nombre de critères de temps, d’objet, d’intention et de continuité qui n’ont pas nécessairement toujours la même importance et qui peuvent varier selon les circonstances de chaque cas (voir Thomson v. M.N.R., [1946] R.C.S. 209). Toutefois, la résidence implique une certaine constance, une certaine régularité ou encore une certaine permanence selon le mode de vie habituel d’une personne en relation avec un lieu donné et se distingue de ce qu’on peut qualifier de visites ou de séjours à des fins particulières ou de façon sporadiques. Lorsque la Loi pose comme condition de résider avec une autre personne, je ne crois pas qu’il convient d’accorder au verbe résider un sens qui s’écarte du concept de résidence tel qu’il a été élaboré par les tribunaux. Résider avec quelqu’un c’est vivre ou demeurer avec quelqu’un dans un endroit donné avec une certaine constance, une certaine régularité ou encore d’une manière habituelle.

 

[10]   En l’espèce, il y a très peu d’éléments pour soutenir que l’appelante résidait au Canada en 2001 et en 2002. Elle avait rompu les liens qu’elle avait avec le Canada lorsqu’elle est retournée en Pologne en 1996. Après le mariage de l’appelante avec Thomas Richter en Pologne, le couple s’est rendu à Toronto pour la célébration d’une cérémonie civile le 6 novembre 1999. À ce moment là, ils sont restés avec les parents de Thomas Richter pendant près d’une semaine. Ils ont ouvert deux comptes bancaires – un compte en dollars américains et un compte chèques. Le compte chèques a été fermé au mois de décembre 2000 et le compte en dollars américains a été clôturé au début de 2002.

 

[11]   L’appelante avait un permis de conduire de l’Ontario. L’adresse utilisée pour le permis était celle d’une case postale que le ministère des Affaires étrangères mettait à la disposition du personnel du service extérieur.

 

[12]   Au cours de l’été 2000, l’appelante et Thomas Richter sont venus au Canada. Ils voulaient se chercher une maison, mais ils n’ont pas eu suffisamment de temps. Ils n’ont jamais eu de résidence au Canada pendant les périodes en cause.

 

[13]   L’appelante n’a tout simplement pas suffisamment de liens avec le Canada pour que je puisse conclure qu’elle résidait habituellement au Canada pendant les périodes en cause. Plus particulièrement, l’appelante ne pouvait pas être considérée comme résidant habituellement au Canada en 2001 et en 2002, étant donné qu’elle n’avait pas d’endroit où résider au Canada pendant ces années. Elle aurait pu rester au Canada avec les parents de Thomas Richter, mais rien ne permettait de croire qu’il s’agirait d’autre chose que d’un lieu de visite. Il n’y avait aucune indication selon laquelle il s’agirait d’un lieu de résidence.

 

[14]   Le principal argument de l’appelante tient dans l’explication suivante : puisque son mari est diplomate et par conséquent réputé résident du Canada, elle devrait elle aussi être réputée résidente du Canada. Il semble exister une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») selon laquelle Thomas Richter est réputé résident du Canada (l’alinéa 250(1)c)), mais cette disposition ne s’applique que pour les besoins de la LIR (et non pour les besoins de la Loi sur l’A‑E) et ne vise pas les époux. L’alinéa 250(1)e) de la LIR s’appliquait aux époux, mais il a été abrogé et remplacé par une disposition qui pourrait toujours concerner l’appelante. Cette disposition est ainsi libellée :

 

250(1) Pour l’application de la présente loi, une personne est réputée, sous réserve du paragraphe (2), avoir résidé au Canada tout au long d’une année d’imposition si :

 

[…]

 

g) elle avait droit à un moment de l’année, aux termes d’un accord ou d’une convention conclu avec un ou plusieurs pays étrangers et ayant force de loi au Canada, à une exemption de l’impôt sur le revenu payable par ailleurs dans l’un de ces pays au titre du revenu provenant d’une source quelconque (sauf si la totalité ou la presque totalité de son revenu de toutes sources n’était pas ainsi exemptée), du fait qu’à ce moment elle était liée à un particulier (sauf une fiducie) résidant au Canada ou était membre de sa famille.

 

[15]   Toutefois, si la disposition est applicable à l’appelante, elle ne peut être invoquée que pour les besoins de la LIR. La Loi sur l’A‑E ou le Règlement sur l’A‑E ne comportent aucune disposition similaire.

 

[16]   L’appelante n’a été en mesure d’indiquer aucune disposition législative ou aucune jurisprudence pour soutenir la position selon laquelle elle a résidé habituellement au Canada ou devrait être réputée résider habituellement au Canada pour l’application de la Loi sur l’A‑E, simplement parce que son mari est un diplomate qui travaillait à l’ambassade du Canada à Berlin. Les énoncés de politique relatifs aux agents du service extérieur et à leurs familles ne peuvent pas modifier la Loi sur l’A‑E ni la common law.

 

[17]   En conséquence, l’appel de l’appelante est rejeté sans dépens.

 

 

Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 19e jour de juillet 2010.

 

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de septembre 2010.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 385

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-533(EI)

 

INTITULÉ :                                       BEATA RICHTER

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Thomas Richter

Avocate de l’intimé :

Me Marie-France Camiré

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :                 

                                                         

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Même si l’appelante travaillait à l’ambassade du Canada à Berlin, ce lieu ne peut pas être considéré comme faisant partie du Canada. (Renvoi relatif à : Powers of Ottawa (City) and Rockcliff Park, [1943] R.C.S. 208; R. v. Maunder, [1966] 1 C.C.C. 328, 47 C.R. 101 (Cour des magistrats de l’Ontario) – lorsqu’il a été interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Ontario [1965] O.J. No. 349, seules les peines prononcées ont été modifiées).

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