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Dossier : 2009-2595(IT)I

ENTRE :

AXEL HEUBACH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 13 juillet 2010, à Yarmouth (Nouvelle-Écosse).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Melanie Petrunia

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

            L’appel interjeté à l’égard des déterminations faites en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont les avis sont datés du 9 et 20 janvier 2009, relativement aux périodes allant d’octobre 2008 à janvier 2009 et d’août 2008 à décembre 2008 respectivement, est rejeté sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’août 2010.

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2010.

 

 

 

Marie-Christine Gervais


 

 

Référence : 2010 CCI 409

Date : 20100823

Dossier : 2009-2595(IT)I

ENTRE :

AXEL HEUBACH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]               L’appelant, Axel Heubach, a interjeté appel de la détermination par laquelle l’intimée a décidé qu’il n’a pas droit à la totalité ni à une partie de la Prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE ») relativement à ses trois enfants pour aucune période depuis son divorce d’avec leur mère.

 

[2]               Monsieur Heubach et son ex‑épouse assument une sorte de garde partagée à l’égard de leurs enfants. Ces derniers vivent avec lui trois jours par semaine et ils vivent avec leur mère quatre jours par semaine, tous les mois. La législation applicable en matière de PFCE ne prévoit pas le partage de ces prestations mensuelles entre les parents dans une telle situation. M. Heubach invoque les moyens suivants à l’appui de son appel à la Cour :

 

(i)                les dispositions relatives à la PFCE sont inconstitutionnelles dans la mesure où elles établissent une discrimination contre les parents qui jouent un rôle parental auprès de leurs enfants pendant moins de 50 pour 100 du temps;

 

(ii)             il a droit à la totalité de la PFCE ou à une part de celle‑ci établie au prorata parce que c’est lui qui assume principalement la responsabilité pour le soin des enfants lorsqu’ils vivent avec lui, soit plus de 40 pour 100 du temps;

 

(iii)           l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») s’est trompée lorsqu’elle l’a informé, après son enquête, que lui et son ex‑épouse avaient chacun droit à la moitié de la PFCE parce que leurs enfants résidaient avec chacun d’eux et que les deux parents assumaient également la responsabilité pour le soin et l’éducation de ceux‑ci. Il soutient que l’ARC ne devrait donc pas être autorisée à recouvrer les cinq mois de paiements de PFCE qui lui ont été versés pour cette raison.

 

 

I. Question constitutionnelle

 

[3]               La discrimination ou l’injustice dont se plaint M. Heubach en ce qui concerne le droit à la PFCE des parents qui ont la garde partagée de leurs enfants ne peut être assimilée à la discrimination qui est interdite ou restreinte par la Constitution et contre laquelle protège la Charte canadienne des droits et libertés. Ce point a précisément été examiné et rejeté par le juge C. Miller dans la décision Barnett c. La Reine, 2005 CCI 719, 2005 DTC 1692. Je souscris à l’analyse, aux motifs et à la décision du juge C. Miller et j’estime qu’ils s’appliquent en l’espèce.

 

 

II. Droit à la PFCE

 

[4]               La législation en matière de PFCE qui s’appliquait pendant la période en cause et qui s’applique encore aujourd’hui ne prévoit pas le partage ou la répartition au prorata de la PFCE entre les parents qui assument la garde partagée de leurs enfants : voir l’arrêt The Queen v. Marshall et al., 96 DTC 6292, de la Cour d’appel fédérale. La PFCE ne peut être versée qu’à un seul des parents chaque mois. Pour être la personne, père ou mère, admissible à la PFCE pour un mois donné à l’égard de l’enfant, la personne doit répondre aux conditions suivantes selon l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») :

 

(i)                résider avec l’enfant;

 

(ii)             être la personne, père ou mère, qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant.

 

[5]               En outre, l’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») énumère un certain nombre de critères dont il faut tenir compte au moment d’examiner la question du soin et de l’éducation de l’enfant. Ces critères sont reproduits à l’annexe A des présents motifs.

 

[6]               En l’espèce, rien ne justifie la Cour d’envisager que l’un des parents assume principalement la responsabilité pour le soin des enfants au cours de certains mois et que l’autre parent assume cette responsabilité au cours des autres mois de l’année. Rien dans la relation entre les parents et les enfants ne change d’un mois à l’autre. Et rien ne permet à la Cour de considérer que l’un des parents assume principalement la responsabilité pour le soin de certains des enfants et que l’autre parent assume principalement cette responsabilité pour les autres enfants. La relation juridique existant entre les parents et chacun des enfants sont pour l’essentiel les mêmes, ainsi que les conditions de vie de chacun des enfants avec les parents.

 

[7]               Dans la présente affaire, les enfants résident avec chacun des parents à différents moments de la semaine, tous les mois. Chaque parent assume généralement le rôle parental quotidien à l’égard des enfants pour les jours et les nuits de chaque semaine où ils se trouvent chez lui. Les parents assument ce rôle parental de soin, de surveillance et de responsabilité de façon plutôt indépendante l’un de l’autre.

 

[8]               Il ne fait aucun doute que M. Heubach a la responsabilité de s’occuper des maux de tête, des maux de ventre, des douleurs aux oreilles, des coupures, des ecchymoses, des entorses et des bosses dont souffrent les enfants tandis qu’ils habitent avec lui, y compris de veiller à ce qu’ils reçoivent des soins médicaux ou se rendent à l’urgence d’un hôpital, au besoin. De même, lorsque ses enfants sont avec lui, c’est habituellement M. Heubach qui surveille leurs activités quotidiennes et voit à leurs besoins quotidiens, qui veille à leur sécurité pendant le jour et la nuit, qui voit à ce qu’ils se rendent à l’école et à leurs activités prévues, qui veille à ce qu’ils se lavent, se préparent à se mettre au lit et se couchent, puis qu’ils se lèvent à temps pour aller à l’école, etc. Évidemment, la mère des enfants est responsable de toutes ces mêmes tâches lorsque les enfants sont avec elle, soit un peu plus de la moitié du temps.

 

[9]               Dans le cas d’une garde conjointe ou partagée ou lorsque le rôle parental est partagé, il arrive que nombre de critères qui ont trait à la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin des enfants et qui sont énumérés à l’article 6302 du Règlement ne soient pas d’une grande utilité.

 

[10]          Cependant, l’un des critères énumérés dont il faut tenir compte pour décider quel parent assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de l’enfant est « l’existence d’une ordonnance rendue à [l’]égard [de l’enfant] par un tribunal qui est valide dans la juridiction où [l’enfant] réside. » En mars 2008, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a rendu une ordonnance sous le régime de la Divorce Act. Le tribunal a rendu cette ordonnance après avoir entendu la preuve et après que les parties eurent conclu un accord et consenti au prononcé de l’ordonnance. Selon les modalités de l’ordonnance sur consentement :

 

(i)                Monsieur Heubach et son ex‑épouse ont obtenu la [traduction] « garde conjointe » des enfants;

 

(ii)             La mère des enfants devait [traduction] « continuer d’assumer principalement la responsabilité pour le soin des enfants »;

 

(iii)           [traduction] « Le rôle parental joué auprès des enfants » devait être partagé conformément à l’annexe annuelle détaillée, laquelle prévoyait généralement que les enfants vivraient trois jours chaque semaine avec leur père et quatre jours chaque semaine avec leur mère.

 

[11]          En décembre 2008, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a rendu une ordonnance de modification sur consentement afin de prévoir les modalités selon lesquelles M. Heubach serait autorisé à emmener deux de ses enfants en voyage en Allemagne. Suivant l’ordonnance de modification, M. Heubach devait fournir à son ex‑épouse une preuve du voyage prévu et de l’existence d’une couverture médicale, après quoi elle remettrait les passeports des enfants à M. Heubach. L’ordonnance précisait en outre que [traduction] « M. Heubach doit remettre les passeports à [son ex‑épouse] dès leur retour d’Allemagne puisque c’est elle qui assume principalement la responsabilité pour le soin des enfants ».

 

[12]          J’estime très important, d’une part, que la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse ait tenu à préciser que, malgré la garde conjointe et partagée et le rôle parental partagé, la mère des enfants est la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin des enfants et, d’autre part, que les parents aient accepté les modalités de cette ordonnance et aient consenti à son prononcé. L’intention du tribunal et des parents était que la mère des enfants ait, à cet égard tout au moins, la plus grande part de la responsabilité et des droits touchant le soin des enfants. M. Heubach n’allègue pas qu’il y a eu manquement à cette ordonnance et il n’a pas demandé à ce qu’elle soit modifiée.

 

[13]          Bien que ce soit difficile dans les affaires où deux parents, qui participent étroitement à tous les aspects de la vie quotidienne de leurs enfants, ont la garde conjointe des enfants et se partagent le rôle parental, je suis convaincu en l’espèce que la mère des enfants, et non M. Heubach, assumait principalement la responsabilité pour leur soin et leur éducation aux fins de l’admissibilité à la PFCE. Sa plus grande part de responsabilité a été établie non seulement par les modalités énoncées dans les ordonnances du tribunal et le fait que les enfants vivaient avec elle plus de la moitié du temps, mais également par le fait qu’elle assumait une plus grande responsabilité pour les visites périodiques des enfants chez le médecin et le dentiste, qu’elle s’occupait et était responsable dans une plus grande mesure d’inscrire les enfants à des activités et de veiller à ce qu’ils y participent, qu’elle était la principale responsable de la garde‑robe des enfants (à l’exception des vêtements nécessaires pour le retour à l’école), en particulier des manteaux, des bottes et des autres vêtements saisonniers, et que c’était elle qui donnait aux enfants leur allocation mensuelle et les orientait dans la façon de la dépenser.

 

 

III. Détermination de l’ARC voulant que les parents se partagent la PFCE

 

[14]          En réponse à la demande de PFCE faite par M. Heubach après son divorce de son épouse, l’ARC lui a fait parvenir un questionnaire détaillé concernant sa relation avec les enfants. Son ex‑épouse a reçu un questionnaire analogue. En juillet 2008, l’ARC a écrit ce qui suit à M. Heubach :

 

[traduction]

 

Nous avons minutieusement examiné les renseignements que vous et une autre personne nous avez fournis au sujet du soin et de l’éducation de [vos enfants].

 

Nous avons donc déterminé qu’ils résident avec chacun d’entre vous, et que vous participez tous deux également au soin et à l’éducation des enfants. En conséquence, nous avons l’intention d’alterner l’admissibilité à la PFCE […] entre vous deux, tous les six mois,  à compter du 1er août 2008.

 

[15]          Dans sa lettre, l’ARC présente ensuite la grille de rotation de six mois de l’admissibilité à la PFCE. L’ARC a versé la PFCE à M. Heubach conformément aux modalités prévues dans cette lettre, et elle tente maintenant de recouvrer cette somme. L’ex‑épouse de M. Heubach a reçu une lettre identique, ce qui l’a incitée à s’opposer à la perte de la moitié de la PFCE. Son opposition a amené l’ARC à conclure qu’elle était la seule personne, père ou mère, ayant droit à la PFCE, ce qui a donné lieu à l’appel de M. Heubach.

 

[16]          La lettre que l’ARC a envoyée à M. Heubach est consternante. Il ressort sans équivoque de la législation en matière de PFCE édictée par le législateur qu’un seul des parents a droit à cette prestation chaque mois et que, si les responsabilités parentales ne changent pas d’un mois à l’autre, le droit à la prestation ne peut alterner entre les parents. Dans l’arrêt Marshall, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il s’agit là de la seule interprétation justifiable de la législation pertinente. Tout comme la présente cour n’a aucune compétence pour partager la PFCE dans les affaires où les parents ont la garde conjointe et jouent tous deux un rôle parental, l’ARC ne peut avoir la compétence de le faire dans le cadre de l’application de la loi. Même s’il est tout à fait possible qu’elle soit compétente pour appliquer la législation en matière de PFCE afin de permettre le partage de cette prestation entre des parents ayant la garde conjointe lorsque ces derniers y consentent, l’ARC ne peut avoir la compétence d’ordonner une telle mesure de façon unilatérale. L’ARC n’aurait pas dû dire à M. Heubach qu’elle pouvait agir ainsi. Elle devait savoir que, si l’un ou l’autre des parents s’y opposait, elle serait tenue de déterminer que seul l’un d’entre eux était admissible. Compte tenu de la situation, M. Heubach a eu une réaction analogue à celle que l’on aurait pu s’attendre de n’importe quel Canadien raisonnable lorsqu’il s’est dit que l’ARC ne devrait pas être autorisée à recouvrer les sommes qu’elle lui a données.

 

[17]          Malheureusement pour M. Heubach, la Cour n’a aucune compétence pour ordonner à l’ARC de ne pas recouvrer des sommes qui sont dues en application de la loi ou pour conclure que l’ARC est responsable de son apparente mauvaise application de la Loi. D’autres recours ou instances existent pour ce genre de plaintes, notamment le programme d’équité de l’ARC, la Loi sur la gestion des finances publiques et la Cour fédérale. Compte tenu des circonstances, j’espère que l’ARC envisagera sérieusement la possibilité d’exercer, sur le fondement de la simple équité fondamentale, son pouvoir discrétionnaire quant au recouvrement des sommes qu’elle a antérieurement versées à M. Heubach.

 

[18]          L’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’août 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d’octobre 2010.

 

 

 

Marie-Christine Gervais

 


ANNEXE A

 

6302. Critères – Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

 

a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

 

b) le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

 

c) l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

 

d) l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

 

e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

 

f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

 

g) de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

 

h) l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

 

 


RÉFÉRENCE :                                              2010 CCI 409

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :               2009-2595(IT)I

 

INTITULÉ :                                                    Axel Heubach c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Yarmouth (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                         L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                              Le 23 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Melanie Petrunia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

         Pour l’appelant :

 

                                 Nom :                           

 

                                 Cabinet :                       

 

         Pour l’intimée :                                    Myles J. Kirvan

                                                                        Sous-procureur général du Canada

                                                                        Ottawa, Canada

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