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Dossier : 2008-1622(IT)G

 

ENTRE :

LA SUCCESSION DU DÉFUNT DONALD MILLS

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 15 février 2010 à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Vincent Dionne

Avocates de l’intimée :

Me Natalie Goulard

Me Susan Shaughnessy

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1999 à 2002 sont rejetés et les dépens sont adjugés à l’intimée. L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi pour l’année d’imposition 2003 est accueilli et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelante a droit à une déduction de 95 765 $ au titre de frais comptables. Chaque partie assumera ses propres dépens en ce qui concerne l’appel interjeté relativement à l’année d’imposition 2003.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d’août 2010.

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2010 CCI 443

Date : 20100826

Dossier : 2008-1622(IT)G

ENTRE :

LA SUCCESSION DU DÉFUNT DONALD MILLS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]              L’appelante, la succession du défunt Donald Mills, interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour les années d’imposition allant de 1999 à 2003, et, plus particulièrement, de la décision du ministre de lui refuser des déductions pour créances irrécouvrables et, pour 2003 seulement, des frais comptables.

 

[2]              À l’audience, les avocats ont avisé la Cour qu’un accord avait été conclu au sujet d’une déduction des frais comptables relativement à l’année d’imposition 2003. La question est abordée à la fin des présents motifs du jugement.

 

[3]              Quant à la question des créances irrécouvrables, les faits peuvent être résumés de la manière suivante : en 2000, le défunt Donald Mills a vendu des actions de sociétés de haute technologie à sa société de portefeuille, et a reçu en retour un billet à ordre de 11 653 000 $. Parce qu’il visait certains objectifs de planification fiscale, le défunt Donald Mills a considéré ce montant comme étant un « dividende réputé » selon l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« la Loi ») et, conformément à la formule prévue pour le calcul de la valeur de ce dividende, il a inclus dans son revenu le montant de 11 222 515 $ conformément à l’alinéa 12(1)j) de la Loi. En 2002, la bulle de la haute technologie avait éclaté et la société débitrice a manqué à son obligation de paiement du billet à ordre. Le défunt Donald Mills a alors demandé la déduction de la partie impayée du billet à ordre, soit 10 588 133 $, à titre de « créance irrécouvrable » en application du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi.

 

[4]              Des renseignements supplémentaires sont fournis aux paragraphes 1 à 11 de l’exposé conjoint des faits partiel déposé à l’audience :

 

          [traduction]

 

1.                  Le 1er mai 2000, le défunt Donald Mills a vendu 21 500 000 actions des actions ordinaires qu’il détenait dans la société 3748278 Canada Inc. à la société 100935 Canada Inc. pour le prix d’achat de 11 653 000 $. À ce moment‑là, M. Mills était l’unique actionnaire (directement ou indirectement) et administrateur de 37742878 Canada Inc. et de 100935 Canada Inc.

 

2.                  La société 100935 Canada Inc. s’est acquittée du prix d’achat des actions en émettant en faveur de M. Mills un billet à ordre et à demande non productif d’intérêts pour un montant de 11 653 000 $.

 

3.                  La société 100935 Canada Inc. a acquis les actions franches et quittes de tout privilège, créance, réclamation, charge, hypothèque, sûreté réelle ou autre engagement.

 

4.                  Au moment de la disposition, il y avait un lien de dépendance entre M. Mills et la société 100935 Canada Inc., et, immédiatement après la disposition, la société 3748278 Canada Inc. a été rattachée à la société 100935 Canada Inc. conformément aux paragraphes 84.1(1) et 186(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

5.                  L’alinéa 84.1(1)b) s’appliquait à la disposition, de sorte que la société 100935 Canada Inc. était réputée avoir payé, et M. Mills était réputé avoir reçu, un dividende de 11 222 515 $ (11 653 000 $ moins le coût des actions). M. Mills a inclus le dividende dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000 conformément à l’alinéa 12(1)j).

 

6.                  Entre les années 2000 et 2002, la société 100935 Canada Inc. a connu une forte dépréciation de la valeur de ses avoirs.

 

7.                  Après la demande de M. Mills d’obtenir paiement du billet à ordre de 11 653 000 $ en octobre 2002, la société 100935 Canada Inc. a transféré certains de ses avoirs à M. Mills en guise de paiement partiel du billet à ordre. À la fin de l’année d’imposition 2002, M. Mills a considéré que le solde impayé du billet à ordre était de 10 588 133 $.

 

8.                  Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2002, M. Mills a demandé, en application de l’alinéa 20(1)p) de la Loi, la déduction d’un montant de 10 588 133 $ représentant le solde impayé du billet à ordre. Du montant total, la somme de 306 590 $ a été appliquée à l’année d’imposition 2002. Le solde inutilisé de la perte autre qu’une perte en capital a été reporté aux années d’imposition 1999 (199 950 $) et 2000 (10 081 593 $), conformément à l’alinéa 111(1)a).

 

9.                  M. Mills n’a exercé aucune activité commerciale au cours des années d’imposition 2000 à 2002, et, plus précisément, il n’était ni commerçant en valeurs mobilières ni prêteur d’argent.

 

10.              Le 4 juillet 2006, une nouvelle cotisation a été établie à l’égard de M. Mills, et la déduction qu’il avait demandée en application de l’alinéa 20(1)p) lui a été refusée.

 

11.              Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2002, M. Mills n’avait pas fait de choix pour que s’applique le paragraphe 50(1) relativement au billet à ordre[1].

[…]

 

[5]              L’intimée a aussi appelé à témoigner André Dulude, le comptable agréé qui avait conseillé le défunt Donald Mills au sujet des transactions en cause dans le présent appel. Lorsqu’il a témoigné, M. Dulude s’est montré franc et bien informé. Personne n’a été appelé à témoigner pour l’appelante.

 

[6]              Les dispositions législatives applicables sont l’alinéa 84.1(1)b), l’alinéa 12(1)j) et le sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi.

 

[7]              L’article 84.1 de la Loi est une disposition anti‑évitement qui vise à prévenir les remboursements de capital en franchise d’impôt qui découleraient du transfert de surplus imposables d’une société à une société rattachée[2]. La disposition s’applique lorsqu’un contribuable dispose d’actions qu’il détient dans une société au bénéfice d’une autre société avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance. L’article 84.1 de la Loi crée une fiction légale au moyen de laquelle la vente d’actions qui, par ailleurs, donnerait lieu à un gain en capital est réputée constituer des dividendes dont le montant est calculé selon la formule suivante :

 

84.1 : Vente d’actions en cas de lien de dépendance.

 

(1) Lorsque, après le 22 mai 1985, un contribuable qui réside au Canada (à l’exclusion d’une société) dispose d’actions qui sont des immobilisations du contribuable — appelées « actions concernées » au présent article — d’une catégorie du capital-actions d’une société qui réside au Canada — appelée « la société en cause » au présent article — en faveur d’une autre société — appelée « acheteur » au présent article — avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance et que, immédiatement après la disposition, la société en cause serait rattachée à l’acheteur, au sens du paragraphe 186(4) si les mentions « société payante » et « société donnée » y étaient respectivement remplacées par « la société en cause » et « acheteur »:

 

[…]

 

b) pour l’application de la présente loi, un dividende, calculé selon la formule suivante, est réputé avoir été versé par l’acheteur au contribuable et reçu par celui-ci au moment de la disposition :

(A + D) - (E + F)

 

A représente le montant correspondant à l’augmentation — conséquence de l’émission des nouvelles actions — du capital versé au titre de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur, calculée sans que le présent article soit appliqué à l’acquisition des actions concernées,

 

D la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toute contrepartie, à l’exclusion des nouvelles actions, reçue de l’acheteur par le contribuable pour les actions concernées,

E le plus élevé des montants suivants :

 

(i) le capital versé au titre des actions concernées immédiatement avant la disposition,

 

(ii) le prix de base rajusté des actions concernées pour le contribuable immédiatement avant la disposition, sous réserve des alinéas (2)a) et a.1),

 

F le total des montants dont chacun représente un montant que l’acheteur doit déduire selon l’alinéa a) dans le calcul du capital versé au titre d’une catégorie d’actions de son capital-actions à cause de l’acquisition des actions concernées.

 

[8]              L’alinéa 12(1)j) de la Loi prévoit qu’il faut inclure dans le revenu des dividendes versés par une société résidant au Canada conformément à la sous‑section h, dont fait partie l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi. Voici la teneur de l’alinéa 12(1)j) de la Loi :

 

ARTICLE 12 : Sommes à inclure dans le revenu.

 

(1)               Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

            […]

 

j) Dividendes versés par les sociétés résidant au Canadales sommes à inclure, en application de la sous-section h, dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année au titre des dividendes versés par une société résidant au Canada sur une action de son capital-actions;

 

[9]              Le sous‑alinéa 20(1)p)(i) autorise la déduction d’une « créance irrécouvrable » tirée d’une entreprise ou d’un bien :

 

SECTION 20 : Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien.

 

(1)        Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

 

[…]

 

p) Créances irrécouvrablesle total des montants suivants :

 

            (i)         les créances du contribuable qu’il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l’année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

 

La position du ministre

 

[10]         Dans la nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelante, le ministre a refusé la déduction d’une créance irrécouvrable au sens du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi eu égard au fait que la perte relative au billet à ordre était une perte imputable au capital[3]. La procédure d’appel s’est toutefois poursuivie sur le fondement selon lequel l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi était applicable à la vente des actions faite par le défunt Donald Mills pour permettre la conversion du produit de la disposition, qui aurait dû constituer un gain en capital, en un revenu tiré d’un bien.

 

[11]         L’avocate de l’intimée invoque l’analyse faite par la Cour d’appel fédérale dans Terrador Investments Ltd. et al c. R.[4], et avance que l’appelante ne pouvait pas, en application des alinéas 84.1(1)b) et 12(1)(j) de la Loi, satisfaire aux critères d’origine législative de façon à obtenir la déduction du solde impayé du billet à ordre en tant que créance irrécouvrable au sens du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi.

 

[12]         Bien que l’affaire Terrador Investments portait aussi sur la déduction d’une créance irrécouvrable, l’opération visée par la demande de déduction faite par le contribuable découle de l’application des paragraphes 93(1) et 113(1) de la Loi. Aux paragraphes 5 à 8 des motifs, le juge Décary a résumé les faits et l’application des dispositions précitées de la manière suivante :

 

[5]        Serin Holdings Ltd. (Serin) et Terrador Investments Ltd. (Terrador) sont des sociétés résidant au Canada. Jusqu’au mois d’avril 1985, Serin possédait la totalité des actions de Serin (U.S.) Holdings Ltd. (Serin (U.S.)). Serin voulait liquider les actifs de Serin (U.S.); pour ce faire, conformément à la législation américaine, elle devait d’abord se départir d’au moins 20 p. 100 des actions de Serin (U.S.). Par conséquent, le 19 avril 1985, Serin a transféré 21 p. 100 des actions de Serin (U.S.) à Terrador et a conservé 79 p. 100 des actions.

 

[6]        Le 24 avril 1985, Serin (U.S.) a été liquidée. Serin (U.S.) a reçu des billets portant intérêt à titre de contrepartie partielle à la suite de la vente de tous ses biens. Au moment de la liquidation, Serin (U.S.) a remis à Serin et à Terrador des billets d’une valeur de 1 661 782 $ US et une somme d’environ 117 000 $ US à titre de produit de la liquidation, proportionnellement aux nombres d’actions que celles-ci possédaient dans la société.

 

[7]        Serin et Terrador ont chacune fait un choix, conformément au paragraphe 93(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu2 [ Note en bas de page 2 : L.C.1970-71-72, ch. 63, tel que modifié.] (« la Loi »), selon lequel une fraction de la part du produit de la disposition découlant de la liquidation à laquelle elles avaient droit serait réputée être un dividende reçu de Serin (U.S.). Le dividende réputé était égal au solde du « compte de surplus exonéré » de Serin (U.S.) au sens de l’article 5907 du Règlement. Au moment de la liquidation, les dividendes réputés ont été inclus dans le calcul du revenu de Serin et de Terrador pour l’année d’imposition 1985 conformément aux exigences du paragraphe 90(1) et de l’alinéa 12(1)k) de la Loi.

 

[8]        Dans le calcul de leurs revenus imposables pour l’année d’imposition 1985, Serin et Terrador ont chacune demandé une déduction conformément au paragraphe 113(1) de la Loi, étant donné que le dividende qui avait été inclus dans leur revenu conformément au paragraphe 90(1) et à l’alinéa 12(1)k) avait été versé à l’aide du « surplus exonéré »de Serin (U.S.).

 

[13]         Lorsque les sociétés Serin et Terrador n’ont pas réussi plus tard à recouvrer le montant total du billet à ordre, elles ont tenté d’obtenir la déduction du solde impayé en tant que créance irrécouvrable en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(i). La Cour d’appel fédérale a rejeté leur demande en se fondant sur les considérations suivantes :

 

[18]      Une fois qu’un contribuable a volontairement choisi, conformément au paragraphe 93(1), de considérer une partie du produit de la disposition composée d’argent comptant et de certains billets à titre de « dividende réputé reçu », la somme en question et les parties des billets en cause perdent leur identité « aux fins de la présente loi ». Lorsque le dividende réputé est inclus dans le revenu du contribuable conformément à l’alinéa 12(1)k ), il est inclus à titre de dividende « payé », et non à titre d’argent comptant ou de montant visé par les billets. Ce n’est qu’à titre de dividende « reçu » qu’il peut par la suite être déduit du revenu imposable du contribuable conformément au paragraphe 113(1).

 

[19]      Étant donné que la Loi prévoit que le « dividende réputé » a été « payé » et « reçu », il ne peut s’agir en même temps d’une « créance douteuse » ou d’une « mauvaise créance ». Ce qui est réputé avoir été payé ne peut pas également être considéré comme étant dû. Le contribuable ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Une fois qu’il a choisi de considérer le produit de la disposition comme un dividende payé plutôt que comme de l’argent comptant et des billets, le produit fait partie du revenu par application de l’alinéa 12(1)k). Le produit de la disposition ne peut pas alors faire partie du revenu du contribuable à titre de provision pour créances douteuses ou à titre de mauvaise créance. Les alinéas 20(1)l) et p) de la Loi ne peuvent pas entrer en ligne de compte parce qu’on ne peut pas dire que les créances visées par les billets n’ont pas été incluses en tant que telles dans le revenu du contribuable.

 

[20]      Il serait non seulement erroné en droit d’assimiler le « dividende réputé » aux billets, mais cela serait aussi erroné en fait. En l’espèce, le produit de la liquidation était composé d’argent comptant et de billets. En faisant son choix, le contribuable a désigné une somme qui était inférieure à la valeur totale du produit. Par conséquent, une fraction indéterminée seulement de l’argent et des billets reçus a été désignée à titre de dividende réputé. Le contribuable a en fin de compte recouvré une partie des montants visés par les billets. Toutefois, étant donné que le contribuable a désigné un montant inférieur à la valeur totale du produit, on ne sait pas trop dans quelle mesure les montants recouvrés se rapportaient aux parties des billets qui étaient des dividendes réputés. Il n’est donc pas possible de soutenir que le dividende réputé et les billets ne constituent qu’une seule et même chose.

 

[14]         En suivant la logique de la décision Terrador Investments, l’avocate de l’intimée a soutenu qu’un montant réputé être, en vertu de la Loi, un « dividende » qui a été « payé à » un contribuable et « reçu par » ce dernier conformément à l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi ne peut pas être également considéré comme ayant été une « créance » au sens du sous­‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi. Pour avoir droit à une déduction au titre de créances irrécouvrables au sens du sous‑alinéa 20(1)p)(i), l’appelante doit être capable de démontrer que le montant inclus dans le revenu du défunt Donald Mills en 2000 constituait une « créance ». L’appelante ne pouvait pas démontrer ce fait, étant donné que le montant qui avait été inclus dans le revenu du défunt Donald Mills en 2000 au titre de l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi était réputé être « un dividende »; et partant, ce montant avait été inclus dans le revenu en vertu de l’alinéa 12(1)j).

 

[15]         Finalement, à l’appui de la position du ministre selon laquelle le billet à ordre et le dividende réputé ne constituent pas, en droit, la même chose, l’avocate de l’intimée a mentionné la formule prévue à l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi, laquelle formule sert à calculer le « dividende réputé », et a avancé que la valeur du billet à ordre n’était qu’un des facteurs pour effectuer le calcul. Elle a ajouté que, même si l’appelante n’avait pas fait jouer l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi et que le produit de la disposition des actions avait été inclus dans le revenu au titre de la sous‑section c, c’est le gain réalisé qui aurait été inclus dans le revenu, et non la valeur du billet à ordre en tant que telle.

 

La position de l’appelante

 

[16]         L’avocat de l’appelante a rejeté ce raisonnement, arguant qu’une distinction en droit et en fait pouvait être faite entre l’arrêt Terrador Investments et l’affaire en cause.

 

[17]         Tout d’abord, a avancé l’avocat de l’appelante, les dispositions pertinentes de chaque affaire s’appliquent de façon très différente : dans Terrador Investments, le dividende réputé découle d’un choix; en l’espèce, le montant en cause constituait obligatoirement un dividende réputé dès que les conditions de l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi étaient remplies.

 

[18]          En outre, à cause de l’application indissociable du paragraphe 93(1) et du paragraphe 113(1), la société Terrador Investments avait déjà reçu une déduction à l’égard du montant pour lequel elle cherchait aussi à obtenir une déduction au titre d’une créance irrécouvrable. En l’espèce, il n’y a pas de risque de double déduction qui pourrait conférer un caractère préjudiciable à la demande de l’appelante à cet égard. En effet, a soutenu l’avocat de l’appelante, le fait d’accepter la position du ministre donnerait lieu à une « injustice », étant donné que le défunt Donald Mills avait inclus dans sa déclaration de revenu un montant qui, en fin de compte, n’a jamais été reçu, et qu’il avait été assujetti à l’impôt relativement à ce montant.

 

[19]         Une dernière et importante distinction, selon l’avocat de l’appelante, réside dans le fait que le défunt Donald Mills avait reçu le billet à ordre en guise de paiement total du prix de vente des actions. Dans Terrador Investments, la Cour d’appel fédérale a souligné que le contribuable avait désigné une somme qui était inférieure à la valeur totale du produit de la liquidation des actions, ce qui avait amené le juge Décary à conclure que « […] une fraction indéterminée seulement de l’argent et des billets reçus a été désignée à titre de dividende réputé[5] », et, par conséquent, il n’était « […] pas possible de soutenir que le dividende réputé et les billets ne constituent qu’une seule et même chose[6] ».

 

[20]         En l’espèce, soutient l’avocat de l’appelante, l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi [traduction] « […] prévoit qu’un dividende égal à la contrepartie reçue a été versé […] est réputé avoir été versé. Et la contrepartie reçue était, évidemment, le billet à ordre[7] ». Il n’est pas contesté que le billet à ordre était la seule contrepartie des actions, et le dividende réputé et le billet à ordre constituaient une « seule et même chose », ce qui permet ainsi d’écarter les difficultés dans les faits que comporte Terrador Investments. Étant donné que le montant total du billet à ordre avait été dûment inclus dans le revenu au titre du paragraphe 12(1)j) de la Loi, et il qu’il n’était pas contesté que la société débitrice avait été en défaut de paiement de quelque 10 000 000 $ du montant total du billet à ordre, le solde impayé aurait dû être déduit en application du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi.

 

Analyse

 

[21]         À mon avis, l’analyse faite dans Terrador Investments est également applicable à la situation de l’appelante.

 

[22]         Je me penche d’abord sur la question du choix. S’il est vrai que l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi n’offre pas la possibilité de faire un choix à l’instar du paragraphe 93(1) de la Loi, la décision du défunt Donald Mills de faire jouer l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi n’était toutefois qu’une question de choix. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’alinéa 84.1(1)b) de la Loi est un outil anti‑évitement qui est généralement invoqué par le ministre pour établir une cotisation relativement à des montants dont une société ayant un lien de dépendance avec le contribuable a été dépouillée. En l’espèce, le défunt Donald Mills a décidé de faire jouer l’alinéa 84.1(1)b) pour produire un revenu de dividendes en vue d’atteindre certains objectifs de planification fiscale, au lieu de tirer profit des dispositions de transfert en franchise d’impôt. M. Dulude a fourni l’explication suivante à ce sujet :

 

          [traduction]

 

[97]      Q. Alors, pourquoi était-il avantageux pour lui de vendre ces actions et de recourir au dividende réputé prévu à l’article 84.1 au lieu tout simplement de les transférer en franchise d’impôt?

 

R.         Je pense que c’est parce qu’il y avait une … la société avait en vue un impôt remboursable, alors une part importante de l’impôt des sociétés avait été versée, et il y avait un montant important de l’impôt des sociétés qu’on appelle « impôt remboursable à un moment ultérieur », et cet impôt est remboursé à la société lorsque cette dernière verse des dividendes à un actionnaire. Alors, il était…il était utile de structurer l’opération de cette manière, de façon à permettre à la société d’obtenir le remboursement que … elle … de l’impôt qu’elle avait déjà versé sur des opérations, des opérations au pair. Et, ainsi, il paierait l’impôt sur les dividendes, mais la société obtiendrait un remboursement de l’impôt payé sur des  opérations au pair, alors[8] […]

 

[23]         Lors du contre‑interrogatoire, M. Dulude a fourni les éclaircissements supplémentaires suivants :

         

          [traduction]

 

[99]      […]

 

Q.        Juste quelques questions. Vous … juste en partant du dernier point, vous dites que M. Mills a inclus le montant du dividende réputé dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000?

 

            R.         Oui, il l’a inclus.

 

[100]    Q.        A-t-il payé la totalité de l’impôt établi sur un tel montant?

 

            R.         Oui, il a payé l’impôt.

 

[101]    Q.        Le concept de [traduction] « participation aux dividendes » que vous mentionnez, ai-je raison de dire qu’il s’agit des paragraphes 129(1) et 129(3) de la Loi? Est‑ce que c’est le mécanisme prévu par ces dispositions?

 

            R.         Oui, je pense.

 

[102]    Q.        Et la partie remboursable qui est … qui peut être obtenue par la société en raison du versement d’un dividende imposable, est-ce que cela … la totalité de l’impôt payé par la société ou juste une partie, comme …

 

            R.         Juste une partie.

 

[103]    Q.        Juste une partie, comme il est prévu par ces dispositions?

 

            R.         Oui.

 


[104]    Q.        Maintenant, dans toutes les transactions que mon collègue a décrites, à part celle qui est en cause devant la Cour, le transfert libre d’impôt qui a été effectué dans les autres transactions réalisées avec les sociétés à numéro sur une base entièrement imposable, est-ce que l’Agence du revenu du Canada a remis le transfert en question d’une manière ou d’une autre?

 

            A.        Non[9].

 

[24]         Bien qu’il soit correct de dire qu’une fois que le défunt Donald Mills a fait jouer l’alinéa 84.1(1)b) en remplissant les critères pertinents prévus par la Loi, l’application de cet alinéa est devenue obligatoire, le défunt Donald Mills n’était pas tenu de recourir à l’alinéa 84.1(1)b). À cet égard, le défunt Donald Mills se trouvait dans la même situation que les contribuables dont il est question dans Terrador Investments, mais une fois que ceux-ci ont fait leur choix au titre du paragraphe 93(1), ils étaient liés de la même manière par le choix qu’ils avaient fait.

 

[25]         Si le défunt Donald Mills n’avait pas choisi de convertir le gain en capital en un dividende réputé, lorsque la société débitrice a été plus tard en défaut de paiement du billet à ordre, la perte aurait pu être reconnue sous le régime des dispositions de la sous‑section c qui traite des gains en capital imposables et des pertes en capital déductibles. Pour des raisons qui lui étaient propres, toutefois, le défunt Donald Mills s’est soustrait à l’application de ce régime en faisant jouer l’alinéa 84.1(1)b). Bien que la solution du défunt Donald Mills ne soit peut‑être pas allée à l’encontre de la Loi, elle a eu pour conséquence d’empêcher l’appelante de recourir aux dispositions conçues pour atténuer les difficultés auxquelles l’appelante a dû faire face plus tard. En pareilles circonstances, qualifier le résultat d’injustice est, avec égards, quelque peu exagéré.

 

[26]         S’agissant maintenant de la dernière observation présentée par l’avocat de l’appelante, il n’est pas entièrement exact de dire que le montant du dividende réputé est « égal » au montant du billet à ordre[10]. L’alinéa 84.1(1)b) prévoit une formule pour calculer le montant du dividende réputé, et une seule des variables de cette formule correspond à « toute contrepartie » reçue de la société acheteuse par le contribuable pour les actions concernées. L’utilisation du mot « toute » laisse entendre que, dans la loi, on ne tient pas compte des formes que peut prendre la contrepartie. En fonction des montants des variables de chaque cas, le dividende pourrait être réputé égal à la contrepartie reçue, mais ce calcul, en soi, n’empêcherait pas que, par le jeu de l’alinéa 84.1(1)b), le gain réalisé soit converti en un « dividende réputé », quel que soit le mode de paiement.

 

[27]         En l’espèce, même l’avocat de l’appelante a reconnu qu’au moyen de cette formule, le montant du billet à ordre qui figurait comme contrepartie sous l’élément « D » a été en quelque sorte réduit par la soustraction du prix de base rajusté sous l’élément « E ». Ainsi, même si j’acceptais la qualification juridique faite par l’avocat de l’appelante relativement au billet à ordre, l’appelante ne serait pas davantage en mesure que les contribuables dont il est question dans Terrador Investments d’établir une correspondance au niveau des faits entre le billet à ordre et le dividende réputé. Mais, en tout état de cause, il ressort de la lecture de Terrador Investments que l’absence d’une concordance des faits était tout simplement complémentaire à l’impossibilité juridique pour un montant d’être à la fois « payé » et « dû », ce qui est, en l’espèce, la difficulté même à laquelle se heurte l’appelante.

 

[28]         Pour reprendre l’analyse du juge Décary, une fois que M. Mills a décidé en connaissance de cause, en vertu de l’alinéa 84.1(1)b), de considérer le billet à ordre reçu en guise de paiement absolu des actions comme un « dividende réputé » qui lui a été versé et qu’il a reçu, le billet à ordre a perdu son identité « aux fins de l’application de la présente Loi ». Ainsi exclu du régime des gains en capital de la Loi, le billet à ordre n’est devenu pertinent que comme un facteur à utiliser dans le calcul de la valeur à attribuer au dividende réputé. Il en découle que c’est, en application de l’alinéa 84.1(1)b), un dividende réputé avoir été entièrement versé, et non une « créance » comme l’exige le sous‑alinéa 20(1)p)(i), qui a été inclus dans le revenu en 2000 au titre de l’alinéa 12(1)j) de Loi. Selon les propos du juge Décary, cité ci‑dessus, « Ce qui est réputé avoir été payé ne peut pas également être considéré comme étant dû ».

 

[29]         L’appelante n’est donc pas en mesure d’établir que le montant impayé du billet à ordre était « une créance exigible » qui lui était due et qui avait été incluse dans le revenu, un élément essentiel de sa demande de déduction au titre du sous‑alinéa 20(1)p)(i). Par conséquent, l’appelante n’a pas droit à une déduction pour créance irrécouvrable au titre de cette disposition et les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition allant de 1999 à 2002 sont rejetés. Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

[30]         En ce qui concerne l’année d’imposition 2003, les avocats ont avisé la Cour au début de l’audience que les parties étaient parvenues à un accord selon lequel l’appelante avait droit à une déduction des frais comptables relativement à l’année d’imposition 2003 de 95 765 $[11], conformément aux paragraphes 12 et 13 de l’exposé conjoint partiel des faits :

 

[traduction]

Frais comptables

 

12.       Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2002, M. Mills a déduit des frais comptables de 133 215 $ et a présenté quatre factures dont voici le détail :

 

 

Date de la facture

 

Description

 

Montant

 

 

Total

 

14 mai 20026

 

- Frais comptables mensuels

(Janvier à avril 2002)

- Établissement des déclarations de revenus pour 2001

- TPS

 

20 000 $

 

8 000 $

 

1 960 $

 

 

 

 

 

 

29 960 $

 

 

28 juin 20027

 

- Frais comptables mensuels

(Novembre 2001 à mai 2002)

- TPS

 

15 000 $

 

1 050 $

 

 

 

 

16 050 $

 

 

4 avril 20038

 

- Planification, recherche

Objet : 20(1)p)

- TPS

 

52 500 $

 

3 675 $

 

 

 

 

56 175 $

 

 


 

 

20 avril 20039

 

- Établissement de la déclaration de revenu pour 2002 pour le compte de M. Mills et de son épouse

- Frais comptables mensuels

(Juin à décembre 2002)

- TPS

 

14 000 $

 

 

 

15 000 $

 

2 030 $

 

 

 

 

 

 

 

 

31 030 $

 

 

GRAND TOTAL :     133 215 $

 

 

                                                     

 

6     Facture du 14 mai 2002, pièce A-5.

7     Facture du 28 juin 2002, pièce A-6.

8     Facture du 4 avril 2003, pièce A-7.

9     Facture du 20 avril 2003, pièce A-8.

 

12.  Dans la nouvelle cotisation établie à l’égard de M. Mills pour son année d’imposition 2002, le ministre a accordé seulement 37 450 $ de la déduction demandée de 133 215 $. Le tableau ci‑après donne le détail de la déduction accordée :

 

 

 

 

Date de la facture

 

 

Description

 

Montant

 

 

Total

 

14 mai 2002

 

- Frais comptables mensuels

(Janvier à avril 2002)

- Établissement de la déclaration de revenu pour 2001

- TPS

 

20 000 $

 

0 $

 

 

1 400 $

 

 

 

 

 

 

 

21 400 $

 

 


 

 

28 juin 2002

 

- Frais comptables mensuels

(Novembre 2001 à mai 2002)

- TPS

 

15 000 $

 

1 050 $

 

 

 

 

16 050 $

 

 

4 avril 2003

 

- Planification, recherche

Objet : 20(1)p)

- TPS

 

0 $

 

0 $

 

 

 

 

0 $

 

 

20 avril 2003

 

- Établissement de la déclaration de revenu pour 2002 pour le compte de M. Mills et de son épouse

- Frais comptables mensuels

(Juin à décembre 2002)

- TPS

 

0 $

 

 

 

0 $

 

0 $

 

 

 

 

 

 

 

 

0 $

 

 

GRAND TOTAL :     37 450 $


[31]         L’appel interjeté relativement à l’année d’imposition 2003 est donc accueilli, et chaque partie assumera ses propres dépens à cet égard.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d’août 2010.

 

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 443

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2008-1622(IT)G

 

INTITULÉ :                                       LA SUCCESSION DU DÉFUNT DONALD MILLS

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 15 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 août 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Vincent Dionne

Avocates de l’intimée :

Me Natalie Goulard

Me Susan Shaughnessy

 

AVOCATS INSCITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Wilfrid Lefebvre

                                                          Vincent Dionne

                           

                          Cabinet :                  Ogilvy Renault

                                                          Montréal, Quebec

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Les notes de bas de page originales ont été supprimées du texte.

 

[2] Desmarais c. Sa Majesté la Reine, 2006 CCI 44. (C.C.I.).

[3] Réponse à l’avis d’appel, hypothèse de fait au paragraphe 15(j).

 

[4] [1999] 3 C.T.C. 520. (C.A.F.).

[5] Précité, au paragraphe 20.

 

[6] Précité.

 

[7] Transcription, à la page 50, lignes 15 à 17, inclusivement.

 

[8] Transcription, à la page 33, lignes 15 à 25 et à la page 34, lignes 1 à 4 inclusivement.

 

[9] Transcription, à la page 34, lignes 11 à 25 et page 35, lignes 1 à 12, inclusivement.

[10] Transcription, à la page 50, ligne 16.

[11] Transcription, de la page 4, lignes 14 à 26 à la page 6, lignes 1 à 13, inclusivement. Voir aussi les paragraphes 12 et 13 de l’exposé conjoint partiel des faits.

 

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