Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2008-2505(IT)G

 

ENTRE :

CARROLL A. SPENCE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de David John Ratcliffe (2008‑2508(IT)G),

les 15 et 16 octobre 2009, à London (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me David Thompson

Avocat de l'intimée :

Me Charles Camirand

____________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

         Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu datées du 6 novembre 2006 relativement aux années d'imposition 2003, 2004 et 2005 de l'appelante sont accueillis avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2010.

 

 

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de décembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2008-2508(IT)G

 

ENTRE :

DAVID JOHN RATCLIFFE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Caroll A. Spence (2008‑2505(IT)G),

les 15 et 16 octobre 2009, à London (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me David Thompson

Avocat de l'intimée :

Me Charles Camirand

____________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

         Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu datées du 6 novembre 2006 relativement aux années d'imposition 2003, 2004 et 2005 de l'appelant sont accueillis avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2010.

 

 

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de décembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 455

Date : 20100901

Dossiers : 2008-2505(IT)G

2008-2508(IT)G

 

ENTRE :

CARROLL A. SPENCE,

DAVID JOHN RATCLIFFE,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]             Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »), datées du 6 novembre 2006 et visant les années d'imposition 2003, 2004 et 2005 des appelants.

 

[2]             Les appels ont été entendus sur preuve commune. Les parties aux appels ont convenu de déposer auprès de la Cour l'exposé conjoint des faits suivant :

 

[TRADUCTION]

 

1.         au cours des années 2003, 2004 et 2005, les appelants ont travaillé comme enseignants à la Montessori House of Children située à London (Ontario) (l'« école »);

 

2.         l'école accueille annuellement environ 400 enfants et leurs familles, grâce au concours de plus de 70 enseignants et autres employés à temps plein et à temps partiel. L'établissement principal de l'école offre des programmes à tous les niveaux depuis le préscolaire jusqu'au cycle intermédiaire, tandis que deux de ses établissements satellites, Westmount South et Whitehills North, offrent d'autres programmes préscolaires;

 

3.         au cours des années 2003, 2004 et 2005, les enfants des appelants étaient inscrits à l'école;

 

4.         les appelants n'ont aucun lien entre eux, et ni l'un ni l'autre n'a de lien de dépendance avec l'école;

 

5.         les appelants ne sont pas des actionnaires de l'école et n'ont aucun droit de propriété dans l'école;

 

6.         l'école a accordé un escompte de 50 % sur les frais de scolarité payés par tous les employés de l'école, dont les appelants, au titre de l'inscription des enfants des employés, dont les enfants des appelants, à l'école;

 

7.         les appelants ont joui des avantages importants liés aux frais de scolarité réduits du fait de leur emploi;

 

8.         l'école a joui d'avantages importants liés au fait que les enfants des appelants l'avaient fréquentée. Cela était avantageux pour elle en ce qui concerne le recrutement de nouveaux élèves par l'école et le maintien des élèves déjà inscrits;

 

9.         l'école a considéré que les avantages dont avaient joui les appelants correspondaient à la différence entre le prix réduit que l'école exigeait des appelants et le coût de la fourniture de ses services d'enseignement selon ses propres calculs;

 

10.       le montant des avantages dont les appelants ont joui selon les calculs de l'école a été inclus dans le revenu des appelants sur les feuillets T4 établis par l'école, et les appelants ont déclaré ce montant dans leurs déclarations de revenus pour les années d'imposition 2003, 2004 et 2005;

 

11.       le coût de la fourniture des services d'enseignement à l'école correspond bien au montant déterminé par l'école;

 

12.       le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard des appelants de manière à majorer le montant de l'avantage imposable pour qu'il corresponde au plein montant de l'escompte (50 % des frais de scolarité exigés des non‑employés)[;]

 

13.       Voici les montants des frais de scolarité habituels, de l'escompte accordé, de l'avantage déclaré et du rajustement de l'avantage imposable selon les nouvelles cotisations établies à l'égard des appelants :

 

Carroll A. Spence

2003

2004

2005

Frais de scolarité habituels

9 400 $

9 800 $

5 250 $

Escompte accordé

4 700 $

4 900 $

2 625 $

Avantage social déclaré

2 772 $

2 654 $

1 023 $

Rajustement de l'avantage imposable

 

1 928 $

 

2 246 $

 

1 602 $

 

 

 

 

David John Ratcliffe

2003

2004

2005

Frais de scolarité habituels

9 400 $

9 800 $

10 050 $

Escompte accordé

4 700 $

4 900 $

5 025 $

Avantage social déclaré

2 772 $

2 654 $

2 271 $

Rajustement de l'avantage imposable

 

1 928 $

 

2 246 $

 

2 754 $

 

14.       La juste valeur marchande de l'escompte, si elle est déterminée par rapport aux frais de scolarité qui seraient payés relativement à un enfant dont le père ou la mère n'était pas employé par l'école, est égale au plein montant de l'escompte.

 

[3]             Le principal point en litige dans les présents appels concerne l'évaluation des avantages sociaux. Comme les appelants ont admis que l'escompte de 50 % sur les frais de scolarité exigés au titre de la fréquentation de l'école par leurs enfants constituait un avantage et que cet avantage était imposable, le seul point en litige concerne la valeur de cet avantage. La valeur de l'avantage correspond‑elle à la juste valeur marchande (« JVM ») de l'escompte, ou à la différence entre le coût pour l'école et le prix payé par les appelants?

 

[4]             En règle générale, toute acquisition importante qui est attribuable à l'emploi et qui confère un avantage économique au contribuable est visée par l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Les avantages sociaux sont imposables peu importe qu'il s'agisse d'avantages pécuniaires ou non pécuniaires. L'escompte sur les frais de scolarité dont il est question en l'espèce est imposable en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

 

6(1) Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi — Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

a) Valeur des avantages — la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants [...]

 

[5]             L'alinéa 6(1)a) de la Loi mentionne la « valeur » de l'avantage plutôt que sa « juste valeur marchande ». La version anglaise de la Loi emploie le mot « value », qui a le même sens que le mot « valeur ». Dans Steen c. La Reine, [1987] 1 C.F. 139, le juge Rouleau de la Section de première instance de la Cour fédérale a examiné en profondeur la question de savoir si le mot « valeur » avait un sens différent de celui de l'expression « juste valeur marchande », et il a conclu que tel n'était pas le cas dans le contexte d'un avantage social découlant d'un régime d'options d'achat d'actions (à la page 150) :

 

Le demandeur a prétendu qu'étant donné qu'ils ont employé à l'alinéa 7(1)a) le mot « valeur » plutôt que l'expression « juste valeur marchande » qui figure dans plusieurs autres dispositions de la Loi, les rédacteurs législatifs voulaient faire une nuance. On a toutefois jugé que, pour la plupart des fins des dispositions de la Loi, le mot « valeur » désigne la « valeur marchande » ou la « juste valeur marchande ». [...]

 

Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale, no A‑664‑86, 10 février 1988, 88 D.T.C. 6171.

 

[6]             Dans le bulletin d'interprétation IT‑470R (Consolidé), « Avantages sociaux des employés », l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») affirme qu'elle se fondra sur la juste valeur marchande pour évaluer les avantages sociaux accordés aux employés sous forme d'escomptes sur des frais de scolarité :

 

20.       Lorsqu'un établissement d'enseignement qui perçoit des frais de scolarité fournit des cours à un employé, au conjoint ou aux enfants de l'employé gratuitement ou à un prix réduit, la juste valeur marchande de l'avantage sera incluse dans le revenu de l'employé.

 

[7]             Bien que les tribunaux approuvent généralement le recours à la méthode de la juste valeur marchande, ils ont aussi pris en compte certains autres facteurs afin de réduire la juste valeur marchande de l'avantage. Voici certains de ces facteurs :

 

-        l'absence ou la perte de jouissance paisible de l'avantage par l'employé (Mommersteeg c. La Reine, no 93‑1804(IT)G, 11 août 1995, 96 D.T.C. 1011 (C.C.I.), Adler c. La Reine, 2007 CCI 272, Rachfalowski c. La Reine, 2008 CCI 258, Philp c. M.R.N., [1970] R.C.É. 496;

 

-        l'atteinte à la vie privée (Schutz c. La Reine, 2008 CCI 523);

 

-        l'absence de marché de détail pour l'avantage (Wisla c. La Reine, no 98‑791(IT)I, 3 décembre 1999, 2000 D.T.C. 3563 (C.C.I.).

 

[8]             Selon la jurisprudence relative aux avantages sociaux, le fait que l'employeur tire aussi un avantage ne constitue généralement pas un facteur qui conduit à réduire la valeur de l'avantage accordé à l'employé. Par contre, lorsqu'il s'agit des avantages conférés aux actionnaires visés au paragraphe 15(1) de la Loi, le législateur prescrit en anglais comme facteur « the amount or value » (le montant ou la valeur) pour déterminer l'avantage à inclure dans le revenu de l'actionnaire, et les tribunaux ont tendance à calculer le montant ou la valeur de l'avantage en fonction du rendement sur le montant que la société a payé (Gillis c. La Reine, 2005 CCI 782, Jarjoura c. La Reine, 2008 CCI 415, et Youngman c. La Reine, no A‑698‑86, 23 avril 1990, 90 D.T.C. 6322 (C.A.F.)).

 

[9]             Dans certains cas, les tribunaux ont conclu qu'un avantage ne devait pas être inclus dans le revenu d'un employé s'il était conféré principalement pour satisfaire un besoin de l'employeur ou pour la commodité de ce dernier (Rachfalowski, précité). En pareilles circonstances, l'avantage accordé à l'employé est accessoire ou secondaire par rapport à la commodité pour l'employeur.

 

[10]         À l'occasion, les tribunaux ont laissé de côté la méthode de la JVM et ont plutôt appliqué la méthode de l'économie de coûts, qui tient compte du coût que l'employé aurait supporté s'il avait dû acheter un avantage comparable (Schroter c. La Reine, 2008 CCI 681, et McGoldrick c. La Reine, 2004 CAF 189 (remarque incidente)). Une autre méthode à laquelle les tribunaux ont recours est celle du coût, qui correspond à la méthode proposée par les appelants, et qui consiste à évaluer l'avantage selon son coût pour l'employeur. Cette méthode a été utilisée par notre Cour dans Detchon c. La Reine, no 92‑460(IT)G, 25 octobre 1995, [1996] 1 C.T.C. 2475, Stauffer c. La Reine, no 2002‑211(IT)I, 17 septembre 2002, 2002 CanLII 999, et Dunlap c. La Reine, no 97‑10(IT)G, 31 août 1998, 98 D.T.C. 2053, et par la Cour de l'Échiquier dans Waffle c. La Reine, [1969] 1 R.C.É. 384.

 

[11]         Les parties reconnaissent qu'il n'y a aucune disposition légale qui précise comment un avantage doit être calculé et que la jurisprudence relative aux avantages sociaux est loin d'être constante. En règle générale, les tribunaux ont eu recours à la méthode de la JVM, parfois en procédant à une réduction, et ils ont eu recours à l'occasion à la méthode du coût. Lorsqu'un employeur doit payer un montant à un tiers avec qui il n'a aucun lien de dépendance, il n'y a aucun écart entre le coût pour l'employeur et la JVM.

 

[12]         Une autre question qui se pose est celle de savoir si la jurisprudence relative aux avantages conférés aux actionnaires est applicable aux fins du calcul d'un avantage social, compte tenu du fait que les dispositions légales qui visent les avantages sociaux mentionnent seulement la « valeur » de l'avantage, tandis que celles qui visent les avantages conférés aux actionnaires prévoient en anglais que c'est le montant ou la valeur de l'avantage qui doit être inclus dans le revenu de l'actionnaire.

 

[13]         Madame Margaret Whitley, directrice de l'école, a témoigné. Elle a brièvement expliqué l'origine du système d'éducation Montessori et en quoi ce système était unique en son genre. Elle a aussi fourni des renseignements concernant les programmes d'enseignement suivis, les documents spécialisés employés, la formation obligatoire des enseignants, le recrutement des élèves et la concurrence à laquelle l'école faisait face dans la région de London. L'école est l'une des plus grandes écoles Montessori au Canada, et elle compte 370 élèves (à temps plein et à temps partiel) et 45 enseignants. L'école n'a aucune affiliation religieuse, n'est pas enregistrée en tant qu'organisme de bienfaisance et ne reçoit pas de subventions gouvernementales.

 

[14]         Madame Whitley a aussi expliqué que les enseignants étaient liés par un contrat écrit avec l'école et qu'ils connaissaient la politique sur les frais de scolarité réduits pour les enfants des employés. Madame Whitley a affirmé en outre que les enseignants n'étaient pas tenus d'inscrire leurs enfants à l'école. Cependant, les frais de scolarité réduits les incitent à le faire, parce que si les enfants d'âge scolaire des enseignants fréquentaient l'école publique ou d'autres écoles, cela nuirait à l'image de l'école et à son recrutement d'élèves.

 

[15]         Selon Mme Whitley, la plupart des enseignants qui ont des enfants âgés de 2 à 6 ans les inscrivent à l'école, mais 20 % d'entre eux n'ont plus les moyens de le faire lorsque leurs enfants atteignent l'âge de sept ans. En tout temps, seulement 50 % des enseignants sont en mesure de continuer à inscrire leurs enfants à l'école, et les enfants des enseignants représentent toujours moins de 10 % de l'ensemble des élèves.

 

[16]         Enfin, Mme Whitley a confirmé que le salaire payé aux enseignants de l'école représentait environ la moitié du salaire des enseignants du système public et qu'aucun salaire additionnel n'était versé aux enseignants qui n'avaient pas d'enfants à l'école.

 

[17]         Monsieur Roger More, de Roger More and Associates, a témoigné à titre de témoin expert. Il a décrit les facteurs que les parents prennent en compte lorsqu'ils choisissent une école pour leurs enfants, à savoir : l'emplacement, la distance, le coût et les expériences d'autres parents, des membres de leur famille, des amis ou des collègues. Il croyait que le risque de rejet était plus élevé à l'école dont il est question en raison de son programme d'enseignement. Les parents s'inquiètent de la façon dont leurs enfants s'adapteront lorsqu'ils passeront au collège au terme du programme et devront subir des épreuves et des examens. Selon M. More, il est très important pour l'école que les enseignants y inscrivent leurs enfants. Pour certains parents, le fait que les enfants d'enseignants ne fréquentent pas l'école constitue un facteur important qui motive leur décision de ne pas y envoyer leurs propres enfants. Aucune statistique ni aucune donnée n'ont été présentées au sujet de l'importance de ce facteur.

 

[18]         Les appelants ont tous deux témoigné. Carroll Spence a affirmé qu'elle enseignait à l'école depuis 16 ans. En plus de ses tâches normales d'enseignante, elle était aussi chargée des séances d'information à l'intention des parents, et elle participait également aux séances d'information à l'intention des parents d'élèves éventuels. Elle a affirmé que les parents lui demandaient souvent si ses enfants étaient inscrits à l'école. David Ratcliffe a expliqué que son fils était inscrit à Casa Little et que le coût équivalait à ce que l'on exigerait normalement pour des services de garderie, mais que le programme d'enseignement était bien meilleur.

 

La décision Detchon

 

[19]         Un examen de la décision Detchon s'impose ici, parce que les faits de cette affaire s'apparentent beaucoup à ceux de l'espèce et parce que la cour a accepté que la méthode du coût soit utilisée pour déterminer la valeur de l'avantage dont jouissaient des enseignants qui avaient fait instruire leurs enfants gratuitement. La décision Detchon a été rendue en 1995 par le juge Rip (aujourd'hui juge en chef de la Cour). L'affaire Detchon était une affaire régie par la procédure générale.

 

[20]         Dans Detchon, les appelants étaient enseignants au Bishop's College School (le « BCS »), une école privée située au Québec et enregistrée comme organisme de bienfaisance. Le BCS avait pour politique d'encourager les enfants d'âge scolaire de ses enseignants à fréquenter le BCS gratuitement. Les enseignants au BCS avaient certaines obligations; ils devaient entre autres vivre sur le campus, se rendre à la chapelle tous les matins, superviser des activités sportives et être disponibles 24 heures par jour, sept jours par semaine. Le fait que les enfants des enseignants soient inscrits ou non au BCS n'avait aucune incidence sur le montant du salaire versé aux enseignants. Les enfants des employés du BCS étaient pleinement intégrés à la population générale de l'école. Ils suivaient les mêmes cours et les mêmes programmes que les enfants pour lesquels des frais de scolarité étaient exigés. En 1985 et en 1986, sur un total d'environ 300 élèves, dont 240 pensionnaires et 60 élèves externes, 14 ou 15 étaient des enfants d'employés du BCS.

 

[21]         Dans Detchon, les appels ont été accueillis et les cotisations ont été déférées au ministre du Revenu national pour nouvelles cotisations en tenant compte du fait que la valeur de l'avantage correspondait au coût moyen par élève au BCS pour chaque année ou à la valeur déterminée par le ministre, selon la moindre de ces deux valeurs.

 

[22]         Les extraits suivants de la décision du juge Rip sont utiles pour comprendre le fondement de cette décision :

 

Il serait exagéré de considérer que seul le BCS bénéficie d'un avantage lorsque les enfants de ses enseignants fréquentent l'école. Il peut être utile, pour l'école, que les enfants de ses enseignants fréquentent le BCS, mais il s'agit néanmoins d'un avantage pour les employés du BCS, de faire profiter leurs enfants d'un produit qui coûte cher sur le marché de l'enseignement.

 

[...]

 

Je souscris à l'avis de Me Lefebvre que l'enseignement gratuit était un avantage aux termes de l'alinéa 6(1)a). L'enseignement gratuit avait pour les appelants une valeur au point de vue matériel ou financier. [...]

 

[...]

 

Je ne souscris pas à l'avis de l'avocat des appelants selon lequel la valeur de l'avantage est le coût additionnel pour le BCS découlant du fait que les enfants des appelants fréquentent l'école. [...]

 

Je ne souscris pas à l'avis de Me Gauthier lorsqu'il dit que la valeur de l'avantage est ce qu'il en coûterait pour se faire instruire ailleurs au Québec. [...]

 

[...]

 

L'employeur n'est pas obligé d'exiger de ses employés, pour un produit ou un service, plus que le coût réel du produit ou du service. L'employeur n'a pas à ajouter l'élément bénéfice et les frais généraux indirects à un produit ou à un service qu'il fournit à ses employés : ABC Steel Buildings Limited et al. v. M.N.R., 74 D.T.C. 1124 (C.R.I.). [...]

 

[23]         L'avocat de l'intimée a soutenu que la Cour n'était pas liée par la décision Detchon parce que celle‑ci se fondait sur une décision de la Commission de révision de l'impôt (ABC Steel Buildings Ltd. c. Ministre du Revenu national, 7 mai 1974, 1974 CarswellNat 284, 74 D.T.C. 1124) traitant des avantages aux actionnaires imposés en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi (aujourd'hui le paragraphe 15(1)).

 

[24]         Les faits de l'affaire ABC Steel Buildings sont résumés au paragraphe 2 de la décision :

 

Thomas P. Murphy (ci‑après appelé « Murphy ») était l'actionnaire majoritaire de l'ABC Steel Buildings Limited (« l'ABC »). Jusqu'au 11 novembre 1968, Murphy était propriétaire d'un édifice qui abritait une usine de fabrication d'acier dans le village de Bolton (Ontario) et il s'occupait de la fabrication et de la construction d'édifices en acier, à titre de seul propriétaire mais en employant deux raisons sociales, « Amalgamated Building Company » et « ABCO Steel ». Le 1er avril 1964, Murphy a fait constituer l'ABC en corporation et il a cédé ladite entreprise à sa nouvelle compagnie; toutefois, il a conservé les droits de propriété sur le terrain et les édifices qu'il a loués à l'ABC. Au cours des années financières 1968 et 1969 de l'ABC, Murphy a fait agrandir son édifice et son usine qu'il a dotés d'une grue extérieure, d'un atelier de feuilles de métal (une annexe à l'atelier de structures métalliques) ainsi que d'un atelier de poutrelles. Les cotisations imposées à l'ABC par l'intimé s'appuyaient sur l'hypothèse selon laquelle Murphy qui, comme je viens de le dire, détenait les titres de propriété sur le terrain et les édifices, n'avait pas complètement remboursé l'ABC de toutes les dépenses qu'elle avait subies en raison desdits travaux d'agrandissement, et l'hypothèse selon laquelle un bénéfice imposable avait donc été attribué à Murphy, au sens de l'article 8(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a en outre imposé une pénalité de 25 % conformément aux dispositions de l'article 56(2) de ladite Loi.

 

[25]         Selon les éléments de preuve retenus dans l'affaire ABC Steel Buildings, en raison de l'utilisation d'acier obtenu à la valeur de récupération, et comme rien n'avait été facturé à titre de coûts indirects ou de profit, les appelants avaient pu construire les agrandissements à un coût correspondant à environ un tiers de ce qu'un client aurait payé.

 

[26]         Monsieur Frost, de la Commission de révision de l'impôt, a fait l'affirmation suivante :

 

[...] Si un contribuable est en mesure d'épargner de l'argent grâce à ses efforts ou encore par l'intermédiaire d'une compagnie qu'il dirige, il ne doit pas être frappé d'un impôt relativement à un bénéfice imputé qui découle de ses efforts personnels visant à limiter ses dépenses aux véritables frais subis. [...]

 

[27]         L'avocat des appelants a soutenu que la décision Detchon représentait l'état du droit parce qu'elle n'avait pas été portée en appel, et que la Cour était tenue de la suivre. Il a cité les décisions suivantes dans lesquelles les tribunaux étaient liés par le principe de stare decisis : Stuart v. Bank of Montreal (1909), 41 R.C.S. 516, Bernier (succession) c. M.R.N., no 87‑1284(IT), 26 mai 1989, 90 D.T.C. 1220 (C.C.I.), Heath c. La Reine, 90 D.T.C. 6009 (C.S. C.‑B.), R. v. Farm World Equipment Ltd., 97 D.T.C. 5360 (B.R. Sask.), et Mourtzis c. La Reine, no 91‑1809(IT)G, 8 avril 1993 (C.C.I.).

 

[28]         Après avoir lu les décisions citées au paragraphe précédent, il me paraît clair, d'après les motifs du juge Rip dans Detchon, que l'évaluation de l'avantage en fonction du coût moyen par élève constituait une méthode d'évaluation appropriée, et qu'il ne s'agissait pas d'une remarque incidente, mais plutôt d'un élément important, sinon de l'élément principal, de la ratio decidendi de la décision.

 

[29]         Nos tribunaux ont reconnu à maintes reprises qu'en droit, un juge n'est pas tenu, en vertu du principe de stare decisis, de suivre la décision d'un autre membre du même tribunal, mais qu'il devrait suivre une telle décision s'il n'a aucune raison valable de ne pas le faire. À cet égard, on n'a invoqué devant moi aucune raison valable de ne pas suivre la décision Detchon. Aucune décision subséquente n'a remis en cause la validité de cette décision, et personne ne m'a démontré que le juge qui l'avait rendue aurait omis de tenir compte d'une décision d'application obligatoire ou d'une loi pertinente.

 

[30]         Dans l'intérêt de la justice, j'estime que je suis tenu de suivre et de confirmer la décision du juge Rip et que seuls les tribunaux supérieurs sont habilités à revenir sur la question de la méthode d'évaluation appropriée.

 

[31]         Comme il n'existe aucune décision d'un tribunal supérieur sur ce point, je rejetterais les appels et je trancherais l'affaire conformément aux conclusions recherchées par l'intimée, compte tenu du fait que les frais de scolarité réduits représentaient un avantage important qui avait été pleinement intégré à la rémunération des enseignants. Les enseignants ont accepté un salaire inférieur en échange d'un avantage social plus important.

 

[32]         Je ne pense pas qu'il ne faille tenir aucun compte de la jurisprudence relative aux avantages conférés aux actionnaires pour déterminer la valeur d'un avantage social, mais un certain degré de prudence s'impose étant donné que les avantages à évaluer sont différents. Le paragraphe 248(1) de la Loi définit comme suit le mot « montant » (en anglais, « amount »), qui constitue, selon le libellé anglais de la Loi, l'élément distinctif en ce qui a trait aux avantages conférés aux actionnaires : « droit ou chose exprimés sous forme d'un montant d'argent, ou valeur du droit ou de la chose exprimée en argent ». « Montant » s'entend de toute chose exprimée sous forme d'argent. Pour cette raison, l'expression « the amount or value » au paragraphe 15(1) de la version anglaise de la Loi semblerait avoir une portée plus large.

 

[33]         Pour les motifs qui précèdent, les appels sont accueillis avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2010.

 

 

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de décembre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :

2010 CCI 455

 

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2008-2505(IT)G

 

2008-2508(IT)G

 

 

INTITULÉS :

Carroll A. Spence c. Sa Majesté la Reine

 

David John Ratcliffe c. Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

London (Ontario)

 

 

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 15 et 16 octobre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Réal Favreau

 

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er septembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me David Thompson

Avocat de l'intimée :

Me Charles Camirand

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

         Pour les appelants :

 

                   Nom :          David Thompson

                   Cabinet :      Advocates LLP

                                     London (Ontario)

 

         Pour l'intimée :      Myles J. Kirvan

                                     Sous‑procureur général du Canada

                                     Ottawa, Canada

 

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