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Dossier : 2009-3517(EI)

ENTRE :

SHONN’S MAKEOVERS & SPA,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Shonn’s Makeovers & Spa (2009-3518(CPP)), le 19 mai 2010, à Ottawa, Canada.

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Shawn Bidner

 

Avocate de l’intimé :

Me Natasha Wallace

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en application de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli, et la décision du ministre du Revenu national du 13 août 2009 est annulée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


 

 

 

Dossier : 2009-3518(CPP)

ENTRE :

SHONN’S MAKEOVERS & SPA,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Shonn’s Makeovers & Spa (2009-3517(EI)), le 19 mai 2010, à Ottawa, Canada

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Shawn Bidner

 

Avocate de l’intimé :

Me Natasha Wallace

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté en application du Régime de pensions du Canada est accueilli, et la décision du ministre du Revenu national du 13 août 2009 est annulée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


 

 

 

Référence : 2010 CCI 542

Date : 20101022

Dossiers : 2009-3517(EI)

2009-3518(CPP)

ENTRE :

SHONN’S MAKEOVERS & SPA,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              Les présents appels ont été entendus à Ottawa, en mai. La seule question dont est saisie la Cour dans les présents appels interjetés en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et du Régime de pensions du Canada (le « Régime ») est de savoir si M. William Hall était un employé ou bien un entrepreneur indépendant à son propre compte lorsqu’il travaillait pour Shonn’s Makeovers & Spa, en 2008, en tant qu’artiste en coloration. Ce qui est assez surprenant, et en même temps en révèle beaucoup sur l’époque à laquelle nous vivons, c’est que l’issue des présents appels repose sur le statut entré par M. Hall dans son profil Facebook. Malheureusement, tel est l’état lamentable de la présente instance et des éléments présentés par toutes les parties et tous les témoins.

 

[2]              Shonn’s Makeovers & Spa était un petit salon de coiffure situé rue Rideau, à Ottawa, dont Shawn Bidner était le propriétaire exploitant. M. Hall y a travaillé pendant environ deux ans, soit de la mi‑2006 à la mi‑2008. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a conclu que M. Hall était un employé et a confirmé sa décision à l’étape de l’appel. La Cour est aujourd’hui saisie de l’appel de cette décision.

 

[3]              Dans le domaine des studios d’esthétique et des salons de coiffure, comme dans de nombreux autres secteurs de l’économie canadienne, les travailleurs et les payeurs jouissent d’une importante liberté pour ce qui est de choisir, d’un commun accord, si le travailleur agira en tant qu’employé ou en tant qu’entrepreneur indépendant. Pour autant que le travailleur et le payeur aient les mêmes intentions concernant leur relation, qu’ils s’entendent sur celle‑ci, qu’ils n’agissent pas d’une façon ne concordant pas avec la relation de travail établie et qu’il n’existe aucune restriction légale ou réglementaire pour empêcher la relation établie, le choix qu’ont fait les parties doit être reconnu comme désignant légitimement leur relation contractuelle.

 

[4]              Les critères à examiner pour distinguer un contrat de louage de services (statut d’employé) et un contrat d’entreprise (statut d’entrepreneur indépendant) sont bien établis. Pour trancher la question de savoir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant pour l’application des définitions d’emploi assurable et d’emploi ouvrant droit à pension, il faut établir si la personne exploite réellement une entreprise pour son propre compte. C’est la question qui a été examinée par les tribunaux britanniques dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), décision approuvée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.N.R, [1986] 3 C.F. 553, pour l’application des définitions des termes « emploi assurable » et « emploi ouvrant droit à pension » au Canada, et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983. Pour trancher cette question, on doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et d’un certain nombre de critères ou de lignes directrices utiles, notamment : 1) l’intention des parties; 2) le contrôle exercé sur le travail effectué; 3) la propriété des instruments de travail; 4) la possibilité de profit et le risque de perte; 5) ce qu’on a appelé le critère de l’intégration à l’entreprise, de l’association ou de l’entrepreneur. Il n’existe pas de façon préétablie d’appliquer ces divers facteurs. L’importance et la pertinence de chacun dépendent des faits et des circonstances propres à chaque cas.

 

[5]              L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, [2007] 1 R.C.F. 35, souligne l’importance de tenir compte des facteurs de l’intention des parties et du contrôle pour trancher la question du statut d’un travailleur. Cela concorde avec des arrêts subséquents de la Cour d’appel fédérale dans des causes comme Équipe de ski capitale nationale Outaouais c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CAF 132, Combined Insurance Company of America c. Canada (Ministre du Revenu national), 2007 CAF 60, et City Water International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 350. Les motifs de la Cour dans Vida Wellness Corporation s/n Vida Wellness Spa c. M.R.N., 2006 CCI 534, comportent également un résumé utile de l’importance de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet.

 

[6]              En règle générale, ce qui complique la tâche de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une question concernant le statut d’un travailleur à titre d’employé ou d’entrepreneur indépendant est l’application des critères juridiques ayant trait à l’intention, au contrôle, à la propriété des instruments de travail, à la participation financière, et ainsi de suite, aux faits propres à l’affaire. Cependant, en l’espèce, la Cour a la tâche encore plus ardue, voire presque impossible, d’établir quels sont ces faits.

 

[7]              M. Bidner et son épouse, Mme Trudel, qui travaillait aussi de façon irrégulière au salon et exécutait des tâches administratives et d’écritures pour lesquelles elle n’était ni formée ni payée, ont tous deux témoigné pour l’appelante. M. Hall a témoigné pour l’intimé. Personne de l’ARC n’est venu témoigner. Sur la quasi‑totalité des faits pertinents, les témoignages faits au nom de l’appelante et le témoignage de M. Hall sont contradictoires. Les parties n’ont déposé presque qu’aucune preuve documentaire. La complexité de la tâche est exacerbée par le fait que l’ARC ne s’est pas présentée à l’audience. La Cour ne possède donc presque aucun renseignement sur la façon dont l’ARC est arrivée à sa décision initiale, sur ce qu’elle a examiné lors de l’appel, sur les questions de savoir si des entretiens ont été tenus avec le travailleur et le payeur ou si des questionnaires ont été remplis par ceux‑ci, si M. Hall a déclaré son revenu et, si c’est le cas, s’il l’a déclaré au titre de revenu d’emploi ou bien au titre de revenu d’un travail indépendant, si l’appelante a produit des feuillets T4 et si elle a fait des retenues et, si c’est la cas, quelles retenues ont été effectuées. Les parties auraient dû prévoir que ces renseignements contribueraient à faire pencher la prépondérance des probabilités dans un sens ou dans l’autre, soit en corroborant les faits, soit en mettant la crédibilité en question.

 

[8]              De plus, il y a un dernier élément qui pose problème. M. Hall a été très honnête et franc lorsqu’il a expliqué, à plusieurs reprises, que sa mémoire à court terme n’était pas très bonne en raison des traitements qu’il recevait et que son médecin lui avait recommandé de prendre sa retraite.

 

[9]              Il n’existait aucune entente écrite régissant la relation de travail en cause. M. Bidner a dit qu’il avait été convenu dès le départ que M. Hall travaillerait au salon en tant qu’entrepreneur indépendant pour un montant hebdomadaire fixe et que, lorsqu’il ne serait pas en train de servir les clients de l’appelante, il serait libre de servir ses propres clients, à son propre compte. Selon M. Bidner, il avait été convenu que le montant fixe serait le revenu brut de M. Hall pour son travail, montant duquel devait être déduit le coût des fournitures qu’utilisait M. Hall pour servir ses propres clients, et que ce coût en était effectivement déduit. Dans son témoignage, M. Hall a affirmé que selon ce qu’il avait compris de l’entente, celle‑ci stipulait qu’il serait un employé, que son salaire net serait le montant hebdomadaire fixe et que le salon serait chargé d’établir les montants exacts devant être retenus de son salaire brut et versés à l’ARC afin d’en arriver au salaire net convenu. Tant la version de M. Bidner que celle de M. Hall sont plausibles. Les deux versions ne sont cependant pas compatibles.

 

[10]         Si j’accepte le témoignage de M. Bidner et celui de M. Hall, il n’y avait pas d’intention commune dès le départ concernant le statut de M. Hall, ni en tant qu’employé ni en tant qu’entrepreneur indépendant, parce qu’il a dû y avoir des problèmes de communication entre les deux hommes.

 

[11]         Les témoignages quant au contrôle exercé par M. Bidner sur les heures de travail de M. Hall et sur la façon dont il exécutait son travail étaient également contradictoires sur d’importants aspects, notamment sur la question de savoir si M. Hall était tenu de se présenter au travail chaque matin, peu importe si des clients avaient des rendez-vous ce jour‑là, et sur la question de savoir s’il devait obtenir l’approbation de M. Bidner pour s’absenter afin de participer à des conférences ou à des retraites ou de subir des traitements, ou bien s’il n’avait qu’à aviser M. Bidner de son absence. Il n’est pas question ici d’un simple problème de communication; un des deux témoins, ou bien les deux, ont dû avoir tort. La preuve dont j’ai été saisi ne me permet pas de conclure avec grande certitude quelles étaient les véritables conditions de travail de M. Hall au salon.  

 

[12]         Il n’est contredit dans aucune des versions des faits que M. Bidner était un coiffeur styliste détenant certaines compétences en coloration, mais que c’était M. Hall qui était le spécialiste en coloration et qui avait bien plus d’expérience, de compétences et de talent dans le domaine. Il s’était bâti une bonne réputation dans l’industrie parmi ses collègues et les clients. C’est pour ces raisons que M. Bidner a voulu embaucher M. Hall, en 2006. On ne s’attendait pas à ce que M. Bidner puisse exercer un contrôle sur l’aspect créatif et professionnel du travail de l’expert. Je crois toutefois que, lorsque M. Hall affirme qu’il était tenu de se présenter chaque matin au salon avant l’ouverture, peu importe s’il avait des rendez‑vous pendant la matinée ou même pendant la journée (il semble que la clientèle était entièrement composée de clients par rendez‑vous, étant donné que les prix que demandaient ces spécialistes réputés n’attiraient pas des clients imprévus), cela est un exemple de ses troubles de mémoire. Cette affirmation ne correspond pas du tout à une autre affirmation qu’il a faite voulant qu’il avait acheté un téléphone portable pendant cette période afin de permettre à M. Bidner de communiquer avec lui pendant la journée, étant donné qu’il était libre de partir du salon pendant plusieurs heures consécutives lorsqu’il n’avait pas de rendez‑vous avec des clients. De plus, il me semble bien improbable que, de nos jours, un homme célibataire, expert en coloration, ayant un compte sur le site Facebook, n’ait pas de téléphone portable, mais qu’il s’en soit procuré un afin que son employeur puisse le joindre s’il décidait de sortir du salon pour des raisons personnelles ou pour faire des courses.

 

[13]         Dans son témoignage, M. Bidner a affirmé que M. Hall était libre de fixer des rendez‑vous avec ses propres clients pendant la journée, et que c’était ce qu’il faisait. De plus, M. Bidner a affirmé que lorsque M. Hall servait ses propres clients, il gardait les honoraires et les pourboires qu’il recevait, mais il était tenu sur l’honneur de déclarer son utilisation des fournitures de coloration du salon, et les montants associés aux fournitures utilisées étaient déduits de sa rémunération à la quinzaine. Cela tend à démontrer que M. Hall exerçait un contrôle considérable sur ses propres activités, menées de façon très indépendante, et sert à étayer les avantages financiers et la possibilité de profit pour M. Hall. Toutefois, M. Hall a affirmé que cette situation ne s’était produite qu’avec un seul client, soit lorsqu’il avait troqué des services de son dentiste contre des services de coloration, et que M. Bidner lui avait permis d’utiliser les fournitures de coloration du salon sans aucune contrepartie. Selon M. Hall, tous les autres services de coloration qu’il pouvait offrir à des amis ou à des connaissances étaient fournis ailleurs qu’au salon de M. Bidner.

 

[14]         Les deux versions des faits sont complètement opposées et inconciliables. Aucun des témoins n’a présenté d’éléments de preuve probants par écrit. M. Bidner n’a pas apporté de copie papier du carnet de rendez‑vous informatisé du salon ou de documents bancaires, pas plus que M. Hall n’a apporté de copies des talons de paie établis par le salon qu’il dit avoir reçus avec ses chèques ou de copies de ses états de compte de banque indiquant le dépôt des chèques du salon ou tout autre type de reçu.

 

[15]         Il m’est permis de conclure, compte tenu de la preuve dont je suis saisi concernant la relation de travail quotidienne en ce qui a trait aux aspects généraux du contrôle exercé sur le travail de M. Hall, que les deux versions des faits sont conciliables tant avec une entente de travail qu’avec une entente conclue avec un entrepreneur indépendant. Comme je ne peux établir avec un quelconque degré de certitude la mesure dans laquelle M. Bidner exerçait un contrôle sur le travail de M. Hall, sauf pour ce que j’ai déjà indiqué, l’examen du facteur du contrôle n’est pas très concluant, en l’espèce.

 

[16]         En plus des contradictions inconciliables précitées concernant les dispositions financières et l’importance de la participation financière de M. Hall dans l’ensemble de ses activités de coloration, tant au salon qu’ailleurs, quelques documents inusités, suspects ou inexplicables ont été déposés en preuve. Tous ces documents ont été déposés par l’intimé et étaient entre les mains de l’ARC.

 

[17]         Tout d’abord, pendant deux périodes de paie en juin 2007, M. Hall a été inclus dans la liste de paie de l’entreprise lorsque celle‑ci a confié, pour la première fois, la gestion de sa liste de paie à un fournisseur de services. Après la deuxième période de paie, M. Hall a été supprimé de la liste du service de paie, et les autres employés y sont demeurés pendant les quelques mois au cours desquels l’entreprise a continué d’utiliser les services du fournisseur. Dans leurs témoignages, M. Bidner et Mme Trudel ont tous deux affirmé qu’il s’agissait là d’une erreur fortuite survenue lors de la transition vers le nouveau service de paie, erreur qui a été corrigée dès qu’elle a été décelée. Voilà certainement une explication raisonnable et compréhensible, mais sa véracité ne peut être confirmée ou niée, étant donné l’absence de documents de la part de M. Hall, de M. Bidner ou de l’ARC indiquant si les retenues ont cessé au moment où l’erreur a été décelée ou si elles se sont poursuivies et ont été versées, ou si les montants versés par erreur ont été remboursés ou crédités par l’ARC, et étant donné l’absence d’éléments de preuve de la part du fournisseur de services. Il reste donc l’explication tout à fait raisonnable et plausible de l’appelante concernant les deux talons de paie établis par le fournisseur de services de paie et déposés en preuve.

 

[18]         Ensuite, il y a un feuillet T4 établi à la main par Mme Trudel et déposé en preuve. M. Bidner et Mme Trudel ont témoigné que M. Bidner avait convenu d’établir un feuillet T4 trompeur pour l’année 2006, comme l’avait demandé M. Hall à titre de faveur afin qu’il puisse satisfaire à la demande d’un prêteur ou d’un locateur potentiel. M. Hall affirme qu’il a reçu le T4 dans le cours normal, pendant la saison de la production de déclarations de revenus, et qu’il ne l’avait pas demandé. Les deux explications sont plausibles. Il semble un peu étrange qu’on établisse un feuillet T4 pour le présenter à un locateur ou à un prêteur comme preuve de revenu plutôt que de simplement fournir une lettre confirmant l’emploi et le revenu, même s’il arrive parfois que des créanciers suggèrent qu’une copie d’une déclaration de revenus soit utilisée comme preuve de revenu. Étant donné que l’ARC n’a présenté aucun témoin et aucun document pour confirmer la production et le moment de la production de ce feuillet, et surtout pour indiquer si d’autres feuillets T4 ont été produits après 2006, je ne saurai jamais, avec quelque degré de certitude que ce soit, comment ce feuillet T4 a vu le jour.

 

[19]         Enfin, l’intimé a déposé en preuve une copie de la première page d’un relevé d’emploi établi par Mme Trudel et signé par M. Bidner à la suite du départ de M. Hall. Étant donné qu’on ne m’a présenté que la première page, je ne peux pas établir si les montants qui y figurent concordent avec le témoignage présenté par l’appelante ou par M. Hall quant au montant de la rémunération hebdomadaire de M. Hall. Les témoins se sont cependant entendus sur le fait que la paie de M. Hall était fondée sur un montant rond de 400 $ par semaine, qui a été augmenté à 450 $ par semaine. Cependant, selon M. Hall, ces montants représentaient son salaire net. Son salaire brut, y compris les retenues, serait donc plus élevé, et ne serait probablement pas un chiffre rond. M. Bidner a affirmé que du montant brut de 400 $ ou de 450 $ par semaine, il y avait les déductions normales pour l’utilisation des fournitures de coloration pour les clients de M. Hall. Si une des deux parties avait présenté un chèque de paie, un talon de paie ou un état de compte représentatif, il serait facile d’établir laquelle des deux parties a raison ou de conclure que les deux parties ont tort. Les chiffres qui se trouvent sur le feuillet T4 de 2006 ne correspondent à aucune des deux versions des faits présentées. Le relevé d’emploi partiel ne peut servir à trancher la question, bien qu’un relevé d’emploi complet aurait pu être utile. Quoi qu’il en soit, la seule explication qu’a pu donner M. Bidner au sujet du fait qu’il avait signé et produit le relevé d’emploi est que Mme Trudel l’avait établi par erreur et qu’il l’avait signé sans trop y penser. L’absence de documents produits par l’appelante ainsi que le caractère limité et sélectif des documents présentés par l’intimé me font comprendre qu’il y a beaucoup de choses dont on ne m’a pas fait part.

 

[20]         En ce qui a trait à la propriété et à l’utilisation des locaux, de l’équipement et des fournitures du salon, je me trouve encore devant des témoignages tout à fait contradictoires de la part des deux parties. M. Bidner affirme que l’entente prévoyait que M. Hall recevrait un montant hebdomadaire fixe et qu’il aurait un accès complet au salon pour mener ses activités indépendantes de coloration, du moment que les besoins des clients du salon en matière de coloration étaient servis et que M. Hall remboursait le coût des fournitures du salon qu’il utilisait pour son entreprise indépendante. Selon M. Bidner, M. Hall payait pour l’utilisation du salon et des fournitures. De son côté, M. Hall affirme qu’il n’utilisait pas le salon pour mener ses activités indépendantes de coloration, à une exception près, soit lorsqu’il avait troqué des services avec un client et que M. Bidner lui avait dit qu’il n’avait pas à rembourser le coût des fournitures utilisées dans ces cas‑là.

 

[21]         Les éléments de preuve fournis concernant les dispositions financières ne servent pas à m’aiguiller vers l’une ou vers l’autre des conclusions, soit le statut d’employé ou le statut d’entrepreneur indépendant de M. Hall. Encore une fois, les deux versions des faits concernant les dispositions financières peuvent permettre de conclure que M. Hall était un entrepreneur indépendant ou bien qu’il était un employé, mais qu’il exploitait une entreprise indépendante en parallèle.

 

[22]         Les failles dans la preuve en l’espèce, particulièrement en ce qui a trait aux documents qui sont entre les mains de l’ARC, ne peuvent être comblées par les hypothèses établies par le ministre dans sa réponse à l’avis d’appel. Soit les hypothèses ne portent pas sur les failles, soit les hypothèses ont été contredites par des éléments de preuve. Par exemple, le ministre suppose que la totalité du revenu [traduction] « déclaré » par M. Hall venait de l’appelante. Cela ne permet pas à la Cour de déduire que tout le revenu gagné par M. Hall venait du salon. Un autre exemple est le fait que l’intimé a supposé que les feuillets T4 produits démontraient que l’appelante avait fait toutes les retenues à la source pour toutes les années en cause, du moins pour le travailleur. Comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, les montants indiqués sur l’unique feuillet T4 produit en preuve ne peuvent pas être rapprochés des montants de 400 $ et de 450 $ que les parties reconnaissent avoir été payé ou reçu, que ce montant soit traité comme salaire net ou comme salaire brut.

 

[23]         Il est important de souligner que la raison pour laquelle les hypothèses de fait sur lesquelles se fonde le ministre pour établir une cotisation sont présumées être exactes à moins qu’elles ne soient réfutées est que, normalement, la plupart des faits en cause relèvent de la connaissance particulière du contribuable, et donc que c’est lui, et non l’ARC, qui est en mesure de les établir. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Une bonne partie de l’information qui pourrait corroborer l’une ou l’autre des versions des faits se trouve dans les documents produits auprès de l’ARC ou bien établis par elle.

 

[24]         Il reste donc que le seul élément de preuve pouvant faire pencher la balance vers la conclusion la plus probable est une entrée dans le profil Facebook de M. Hall. Dans l’opposition qu’elle a présentée au chef des appels de l’ARC, l’appelante a inclus une copie papier, datée d’avril 2009, de la page d’information du profil Facebook de M. Hall. Cet élément de preuve se trouve dans le dossier de la Cour depuis novembre dernier, lorsque la direction générale des appels de l’ARC l’a envoyé au greffe de la Cour, comme elle devait le faire.

 

[25]         Lors du contre‑interrogatoire de M. Hall, M. Bidner a souligné à ce dernier le fait qu’il se désignait comme [traduction] « travailleur autonome », d’avril 2006 à aujourd’hui, sur son profil Facebook. M. Hall a répondu que personne n’était tenu de dire la vérité sur Facebook. Cela est exact, ou du moins, si ce ne l’est pas, cela n’a pas vraiment d’importance dans la présente instance devant la Cour. M. Bidner a ensuite demandé à M. Hall pourquoi il avait choisi de ne pas dire la vérité quant à son travail autonome. M. Hall a répondu que c’était pour protéger sa vie privée, de la même façon qu’il n’avait indiqué ni le travail qu’il faisait ni l’endroit où il travaillait. M. Bidner lui a alors souligné le fait qu’il se désignait comme un expert en coloration capillaire, travailleur autonome, d’Ottawa. La Cour a demandé à M. Hall s’il voulait voir une copie du profil Facebook de 2009, et il a répondu que ce n’était pas nécessaire.

 

[26]         À la suite d’une demande de précisions de la Cour, M. Hall a affirmé que tous les autres renseignements, soit son âge, ses préférences, sa ville natale, ses études, ses activités et les groupes auxquels il était inscrit, étaient tous exacts et que la seule chose qu’il avait présentée de façon inexacte dans son profil Facebook était son statut de travailleur autonome. Il a répété que c’était pour des raisons de protection de la vie privée. Il n’a pas pu expliquer de quelle façon le fait d’être employé ou travailleur autonome pouvait avoir un effet sur des questions de vie privée, tant dans Internet qu’ailleurs, surtout qu’il se désignait comme un expert en coloration capillaire d’Ottawa et qu’il utilisait son vrai nom. Dans ses observations, l’avocate de l’intimé n’a pas non plus été en mesure d’établir un scénario hypothétique dans lequel le seul statut d’employé ou de travailleur indépendant pourrait être vu comme donnant lieu à des préoccupations en matière de protection de la vie privée.

 

[27]         Dans son profil Facebook, M. Hall se décrivait comme un expert en coloration capillaire, travailleur autonome. Tout le reste de l’information contenue dans son profil, selon lui, est exact. Il s’agit là de sa propre description, faite de son plein gré, de son statut de travail pendant la période où il travaillait au salon de l’appelante. Cette description a été faite lorsque rien n’en dépendait. Bien que M. Hall affirme maintenant que c’est la seule chose qui était inexacte et trompeuse dans son profil Facebook, il ne peut pas expliquer pourquoi il s’agit là du seul élément de ses renseignements personnels au sujet duquel il a décidé de mentir.

 

[28]         Dans de telles circonstances, je n’accepte pas l’explication de M. Hall voulant qu’il ait choisi de mentir dans son profil Facebook au sujet de la nature de ses activités de coloration capillaire à son propre compte au salon. Au contraire, j’interprète ce choix comme étant une preuve de l’intention de M. Hall, lorsqu’il a commencé à travailler au salon, d’être un entrepreneur indépendant et du fait que c’est ce qu’il croyait, du moins jusqu’au moment où il a entré cette information dans son profil Facebook.

 

[29]         De plus, je conclus que la crédibilité de M. Hall a été minée par ses réponses dans cette série de questions. Cela n’est pas dû au fait qu’il aurait menti dans son profil Facebook. C’est plutôt parce que je ne crois pas qu’il a été honnête lorsqu’il a affirmé avoir menti dans son profil Facebook. Je ne suis certainement pas d’avis que, s’il a bel et bien menti dans Facebook au sujet de son travail autonome, il l’a fait en raison de ses inquiétudes quant à la protection de sa vie privée.  

 

[30]         Pour ces motifs, j’accueillerai les appels en matière d’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada. Un doute subsiste cependant : je ne suis pas certain de tirer la bonne conclusion, mais on ne m’a pas présenté toute l’information dont disposait l’intimé, alors je n’ai pas eu l’occasion de vider la question. Bien que je conclue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Hall n’était pas un employé du salon, je n’ai pas à trancher la question de savoir quels montants il a reçus de son travail, au salon ou ailleurs, d’autres clients et en pourboires. On ne m’a certainement pas donné de raison de croire que les montants énoncés dans les quelques documents et témoignages qui m’ont été présentés sont exacts. 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’octobre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 542

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-3517(EI), 2009-3518(CPP)

 

INTITULÉ :                                       SHONN’S MAKEOVERS & SPA c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 19 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Shawn Bidner

 

Avocate de l’intimé :

Me Natasha Wallace

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                       

 

                     Cabinet :                      

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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