Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2004-3561(IT)G

2004-3567(IT)G

2004-4573(IT)G

ENTRE :

RONALD ROBERTSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

ET ENTRE :

 

ROGER SAUNDERS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune

les 3, 4, 5, 8, 9 mars et 10 mai 2010, à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat des appelants :

Me J. R. Norman Boudreau

 

Avocats de l’intimée :

Me Gérald L. Chartier

Me Melissa Danish

____________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies au titre de la Loi de 1impôt sur le revenu pour les années dimposition 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003, tels qu’ils se rapportent à chacun des appelants, sont accueillis avec pens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement cijoints.

 

          Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 29e jour d’octobre 2010.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mars 2011.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 552

Date : 20101029

Dossiers : 2004-3561(IT)G

2004-3567(IT)G

2004-4573(IT)G

ENTRE :

RONALD ROBERTSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

ET ENTRE :

 

ROGER SAUNDERS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

Partie 1 : Introduction

 

[1]     Les appelants Ronald Robertson et Roger Saunders sont des Indiens selon la définition figurant à l’article 2 de la Loi sur les Indiens; ils sont membres de la Première nation de Norway House. La Première nation de Norway House a adhéré au Traité no 5, signé en 1875.

 

[2]     En été, les appelants tirent leurs revenus de la pêche; en hiver, ils touchent des prestations d’assurance‑emploi («A-E»). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi les revenus imposables comme suit :

 

Contribuables

1999

2000

2001

2002

2003

Ronald Robertson

  Revenu tiré d’une entreprise

  Prestations d’A-E

 

Roger Saunders

  Revenu tiré d’une entreprise

  Prestations d’A-E

 

 

24 995 $

 

10 690 $

 

 

 

 

25 990 $

 

 9 285 $

 

13 282 $

 

12 580 $

 

17 970 $

 

10 325 $

 

 

11 811 $

 

9 615 $

 

 

 

 

 

 

19 452 $

 

  9 912 $

 

[3]     Les appelants interjettent appel des cotisations ici en cause en invoquant les moyens suivants :

 

1.                 Les revenus (prestations) en cause sont exonérés d’impôt en vertu de l’article 81 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et/ou des dispositions du Traité no 5;

 

2.                 L’application de la Loi porte atteinte à un droit ancestral existant ou modifie un tel droit, en violation du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[4]     Un exposé conjoint partiel des faits (l’« exposé des faits ») a été soumis à la Cour; il est joint à l’annexe 1 des présents motifs. Un résumé des observations des avocats est joint à l’annexe 2.

 

[5]     Les circonstances factuelles concernant chacun des appelants sont dans l’ensemble les mêmes. De fait, les parties ont reconnu, d’une façon générale du moins, que l’issue des présents appels ne dépend pas de quelque différence factuelle qui pourrait exister entre les appelants. Toutefois, je note une différence importante possible : au cours de certaines années visées par les appels, soit les années 2002 et 2003, l’appelant Roger Saunders résidait hors réserve. À la fin des présents motifs, je ferai de brèves remarques au sujet de cette différence, telle qu’elle influe sur les appels.

 

[6]     Les appels ont été entendus sur preuve commune, mais seul M. Robertson a témoigné à l’audience. M. Roger Saunders ne pouvait pas comparaître, et ce, pour des raisons de santé. Les deux parties ont cité deux témoins, et notamment un expert chacune. Un bref aperçu de leurs rapports, de leurs témoignages et de leurs titres de compétences respectifs est joint à l’annexe 3 des présents motifs.

 

[7]     J’aimerais toutefois faire quelques observations générales au sujet de la preuve d’expert. Pour ce faire, il convient de résumer fort brièvement la façon dont les appels ont été présentés. Ce résumé exige de son côté que l’on comprenne la structure des activités de pêche, à Norway House.

 

[8]     Les appelants sont membres de la Norway House Fishermen’s Co-operative (la « coop ») qui, conformément aux dispositions contractuelles qu’elle avait prises avec l’Office de commercialisation du poisson d’eau douce (l’« Office »), s’occupe des relations entre les membres de la coop qui s’adonnent à la pêche et l’Office, qui acquiert le poisson pour le distribuer sur le marché mondial. Il est admis que la coop agit à titre de mandataire de l’Office aux fins de l’achat du poisson des appelants.

 

[9]     Étant donné cette structure, les faits admis dans l’exposé des faits, et le témoignage de M. Robertson, on peut dire que les appelants se livraient à des activités de pêche commerciale à des fins commerciales. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils reconnaissent que leurs activités de pêche faisaient partie du commerce général [aussi désigné dans les présents motifs par le vocable «marché ordinaire»]. En outre, même s’il est reconnu que les appelants étaient des travailleurs autonomes ou qu’ils travaillaient à leur compte et qu’ils faisaient de la pêche commerciale à des fins commerciales, cela ne donne pas nécessairement à entendre que les biens meubles en question, soit les revenus tirés de la pêche, étaient autres que des biens meubles que les appelants possédaient en leur qualité d’Indiens dans la réserve.

 

[10]    Compte tenu de ce contexte, la preuve d’expert était principalement axée sur l’expression d’opinions au sujet de la question de savoir si les activités de pêche des Autochtones dans la réserve, au moment où ceux‑ci ont adhéré au Traité, étaient des activités « commerciales ». L’objectif semble se rapporter dans une certaine mesure à une question constitutionnelle à savoir si les appelants possèdent un droit protégé par la Loi constitutionnelle[1] de pêcher de la façon dont ils le font. Cependant, la détermination de ce droit exige un examen de la nature de l’activité avant le contact avec les Européens et de la suffisance de sa continuité jusqu’à l’heure actuelle. Comme il sera signalé ci‑dessous dans les présents motifs, les rapports des experts ont peu de valeur aux fins du règlement de ces questions.

 

[11]    En outre, toute décision selon laquelle il existe un droit de pêche commerciale reconnu par la Constitution nous amène uniquement à nous demander si l’imposition du revenu tiré de cette activité protégée constitue une atteinte injustifiée à ce droit. Cet aspect de l’analyse constitutionnelle correspond dans une certaine mesure à l’analyse requise en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. De fait, la preuve indiquant que les pratiques de pêche des appelants font partie d’une coutume ancestrale constituera, dans mon analyse, un facteur important lorsqu’il s’agira de me prononcer sur l’application de l’exemption prévue à l’article 87. L’importance de ce facteur découle de l’identification des revenus tirés de la pêche à titre de biens appartenant aux appelants en leur qualité d’Indiens; de plus, ce facteur étaye l’argument des appelants, qui affirment que la commercialité actuelle de l’activité, même si elle relève du commerce général, ne peut pas être un facteur de non‑rattachement lorsque les revenus gagnés font partie du mode de vie coutumier de la Première nation crie de Norway House. En somme, le débat se rapportant à l’étendue du lien entre l’activité en tant qu’activité commerciale contemporaine et la vie dans la réserve, comparativement à l’étendue du lien entre cette activité et la vie économique dans la réserve lors de la signature du Traité et auparavant, est devenu un complément important de l’analyse de l’article 87 dans ce cas-ci. C’est dans ce contexte que les rapports et les témoignages des experts ont une certaine valeur.

 

[12]    Cet aspect de l’analyse m’a amené à conclure que les biens en question, soit les revenus tirés de la pêche, faisaient autant partie intégrante de la vie à Norway House lors de la signature du Traité, qu’ils font encore partie, aujourd’hui, de la vie des gens de la réserve. Cela étant, lorsqu’elle est considérée à la lumière des autres facteurs établissant un lien entre les revenus et la réserve, cette constatation nous amène à conclure qu’il s’agit de biens que les appelants possédaient en leur qualité d’Indiens dans la réserve. La preuve de l’expert des appelants, M. Lytwyn, a été particulièrement utile lorsqu’il s’est agi d’arriver à cette conclusion. Cette preuve étaye la conclusion selon laquelle, en fait, les Autochtones de Norway House tiraient leur gagne‑pain et leur source de revenus de la pêche, qui était importante pour la communauté autochtone, à Norway House, lors de la signature du Traité.

 

[13]    De fait, compte tenu de la preuve d’expert, j’ai fait face à un défi lorsqu’il s’est agi d’examiner le critère du « commerce général » sous un nouvel angle. Comme les présents motifs le donnent à entendre, cette preuve a réussi à me convaincre qu’il fallait conclure que l’on ne saurait dire que les appelants se livrent à une activité qui, dans le contexte de l’application de l’article 87, devrait faire partie du commerce général parce qu’un tiers, l’Office, s’est présenté dans la réserve afin d’acquérir du poisson, de sorte que le gagne‑pain et la source de revenus traditionnels des appelants semblent être liés au marché externe que l’Office a développé. En outre, même si ce lien tend à nuire à une demande de protection fondée sur l’article 87, il ne s’agit que d’un seul facteur à prendre en considération et, comme il sera également conclu dans les présents motifs, il ne s’agit pas d’un facteur auquel j’accorderais beaucoup de poids en l’espèce. Je suis en partie arrivé à cette conclusion en me basant sur la preuve d’une commercialité suffisante des activités de pêche des Autochtones de Norway House, lors de la signature du Traité, permettant d’atténuer la pertinence de ce lien par rapport aux marchés mondiaux contemporains.

 

[14]    C’est donc dans ce contexte que je ferai quelques observations générales au sujet de la preuve d’expert que différents points de vue, quant à ce qui constitue une activité commerciale, ont brouillée. De fait, l’experte de l’intimée est arrivée à sa propre définition, qui éliminerait toute possibilité de conclure à une certaine ressemblance entre l’activité qui est maintenant exercée et celle que les Autochtones de Norway House exerçaient lorsqu’ils ont adhéré au Traité, et auparavant. Il va sans dire que je n’estime pas être lié par ces définitions.

 

[15]    Quoi qu’il en soit, l’expert des appelants a exprimé l’opinion selon laquelle les activités de pêche des ancêtres des appelants, qu’il a appelés les Cris des hautes terres, étaient des activités commerciales lors de la signature du Traité. L’expert s’est en fin de compte fondé sur une définition fort large du mot « commercial », laquelle comprenait non seulement l’échange de poisson contre des marchandises, mais aussi une idée de troc plus étendue, selon laquelle les intéressés s’attendaient mutuellement à ce qu’une contrepartie soit remise pour le poisson que les Cris des hautes terres du district de Norway House fournissaient à la communauté non autochtone qui exploitait (commercialement), à Norway House, un poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

 

[16]    Le rapport du témoin expert de l’intimée était un rapport présenté en contrepreuve. L’experte a de fait conclu que les activités de pêche des ancêtres des appelants, lors de la signature du Traité, n’étaient pas des activités commerciales, qu’elle a définies strictement comme excluant les échanges et le troc, mais son rapport, en tant que contre-preuve, visait à maints égards à souligner d’une façon argumentative l’absence d’éléments de preuve absolus concernant la question de savoir qui pêchait ce poisson, quel était ce poisson, à quel endroit la pêche avait lieu, quelles étaient les modalités d’échange et quelle était la contrepartie. Ainsi, en signalant que l’expert des appelants ne pouvait pas dire avec certitude qu’une opération particulière, sur laquelle il s’était fondé dans son rapport, avait été effectuée par un Autochtone qui résidait de fait à Norway House ou que le poisson qui était échangé provenait d’une zone particulière ou encore que la rémunération reçue par l’Autochtone n’était pas tirée d’un emploi (ce qui dépassait la définition stricte d’une opération « commerciale » donnée par l’experte), l’experte a contesté certains détails concernant les opérations et conclusions factuelles mentionnées dans le rapport. Toutefois, les contestations étaient fondées sur le fait que l’experte imposait à l’expert des appelants, sur le plan de la preuve, une obligation bien plus lourde que ce qui était nécessaire, compte tenu de la nature de l’analyse à laquelle je procédais.

 

[17]    Somme toute, je préfère retenir la preuve du témoin expert des appelants. Son expertise n’est pas mise en question. Même s’il est possible de dire qu’une partie de son rapport présentait certains documents comme des éléments de preuve factuels et qu’il était peutêtre présomptueux de le faire, cela ne réussit pas à me convaincre que son rapport et son témoignage doivent être en bonne partie rejetés. Je crois que le rapport et le témoignage de l’expert dans leur ensemble démontraient une appréciation bien meilleure de ce que j’avais besoin de savoir dans le contexte de mon analyse. La preuve que l’expert a présentée sur ce point était franche, sincère et, somme toute, beaucoup plus crédible que celle du témoin de l’intimée, qui a toujours été fidèle à son rôle accusatoire dans la défense de sa définition stricte du mot « commercial », ce qui, compte tenu du contexte dans lequel je devais examiner sa pertinence, n’était pas utile.

 

[18]    En plus de ces observations générales, une conclusion se rapportant au rapport de M. Lytwyn mérite d’être reconnue d’une façon particulière. Je retiens la preuve de M. Lytwyn lorsqu’il affirme qu’au moment de la signature du Traité, le commerce de l’isinglass, un produit fabriqué à l’aide de la vessie de l’esturgeon, était effectué par les Autochtones de Norway House, ou du moins par les Cris des hautes terres du district de Norway House, à l’aide d’esturgeon récolté dans le district de Norway House. Je conclus également que ce commerce faisait partie du commerce auquel se livrait à ce moment‑là la Compagnie de la Baie d’Hudson, à Norway House, lequel faisait partie du commerce général. Cette conclusion à elle seule pourrait m’amener à accueillir les appels, mais, étant donné la façon dont les parties ont posé la question devant moi, cela ne constitue pas le principal fondement des présents motifs ou de ma conclusion.

 

[19]    Compte tenu de ces renseignements généraux, je diviserai maintenant les présents motifs en quatre autres parties :

 

Partie 2 : Aperçu historique

 

1.                 Avant le Traité : L’interaction des Cris de Norway House et de la Compagnie de la Baie d’Hudson;

 

2.                 Le Traité no 5;

 

3.                 Après le Traité : La fermeture du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et la création de pêches commerciales;

 

4.                 Événements plus récents : Les accords et textes législatifs touchant la Première nation de Norway House.

 

          Partie 3 : Les pratiques de pêche actuelles

 

1.       La preuve présentée par L. Saunders, président de la coop;

 

2.       La preuve présentée par l’appelant Ronald Robertson;

 

 3.      La preuve présentée par David Bergunder, directeur, Opérations sur le terrain, Office de commercialisation du poisson d’eau douce.

 

Partie 4 : Analyse

 

1.                 La Convention sur le transfert des ressources naturelles;

 

     2.       L’article 87 : L’atteinte au droit des appelants en leur qualité d’Indiens; les facteurs de rattachement :

 

i)   le lieu où se déroulent les activités;

ii)  celui qui a retenu les services ou le débiteur;

iii) le commerce général.

3.       La distinction faite d’avec les décisions citées par l’intimée :

 

i)   Southwind c. Canada;

ii)  Bell c. Canada;

iii) Ballantyne c. Canada .

 

4.       Le paragraphe 87(2);

 

5.       L’article 35.

 

Partie 5 : Conclusions

 

 

Partie 2 : Aperçu historique

1. Avant le Traité : L’interaction des Cris de Norway House et de la Compagnie de la Baie d’Hudson

 

[20]    Contrairement à ce qui, selon ce que je suppose, est le cas pour d’autres réserves, Norway House a vu le jour à partir d’un poste de traite non autochtone, à savoir un poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il s’agissait d’un gros poste de transbordement assurant le transport de marchandises vers York Factory, au nord‑est, où les marchandises étaient expédiées par mer en Angleterre. De même, les approvisionnements d’Angleterre destinés aux postes de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans le centre du Canada et à l’ouest arrivaient à York Factory et ils étaient envoyés par eau à Norway House, à l’extrémité nord du lac Winnipeg, près de l’embouchure d’un système de voies d’eau qui permettait l’expédition de marchandises vers et depuis le sud‑est et l’ouest ainsi que le nord, et vers et depuis York Factory.

 

[21]    À part le poste lui‑même, d’une taille relativement petite, il y avait de vastes étendues de terre au nord, à l’est et à l’ouest, qui servaient de territoires de chasse et de pêche aux Cris des hautes terres comme on les appelle. Ces Autochtones chassaient et pêchaient pour assurer leur subsistance dans toute cette région plus vaste que M. Lytwyn a appelée le district de Norway House. Le gouvernement du Manitoba a plus récemment identifié ce district comme étant la zone de gestion des ressources de Norway House[2]. Cette zone englobe les limites des territoires de piégeage des Cris des hautes terres et comprend les zones de pêche ancestrale traditionnelle de la nation d’Autochtones qui est devenue la bande de Norway House.

 

[22]    Étant donné l’importance de Norway House en tant que poste de transbordement, il y a eu dès le début, vers l’année 1796[3], un va‑et‑vient considérable des Cris des hautes terres à Norway House. De fait, les déplacements des Autochtones tendent généralement à effacer, dans une certaine mesure, les distinctions que l’on cherche à faire entre différentes premières nations. Il est difficile de déceler avec précision l’identité des Autochtones qui chassaient et qui pêchaient dans le district de Norway House. M. Lytwyn a décrit les déplacements des Autochtones, la nature non sédentaire de leur mode de vie avant la signature des traités et le métissage qui a pour effet d’effacer les distinctions. Néanmoins, ces déplacements et le métissage ne nous empêchent pas de conclure que les pratiques ancestrales des Cris des hautes terres, comme je les appellerai, qu’ils soient métis ou non, comportaient une certaine interaction avec la Compagnie de la Baie d’Hudson. Cette interaction sera cruciale dans la partie de mon analyse qui est axée sur la nature commerciale des activités de pêche des Autochtones de Norway House au moment où ils ont adhéré au Traité et auparavant.

 

[23]    Les journaux et livres de comptes de la Compagnie de la Baie d’Hudson sont un trésor de documents et de renseignements historiques, mais il n’a pas été possible, même pour les savants témoins experts qui ont témoigné à l’audition des présents appels, de dire avec certitude jusqu’à quel point il y avait du commerce entre la Compagnie et les Cris des hautes terres résidant à Norway House ou les Cris des hautes terres qui vivaient et gagnaient leur vie dans le district de Norway House, sans toutefois résider à Norway House, par opposition au commerce qui était fait avec d’autres premières nations du nord‑est, du sud‑est et de l’ouest, qui se livraient au commerce à Norway House, étant donné le rôle que Norway House avait en tant que poste important de transbordement.

 

[24]    Il suffit ici de dire que, dans son témoignage, M. Lytwyn a affirmé avec véhémence et d’un ton convaincu que les Cris des hautes terres qui chassaient et qui pêchaient dans le district plus étendu de Norway House du moins, district que je considère, comme je l’ai dit, comme étant essentiellement le même que la zone de gestion des ressources de Norway House, faisaient le commerce du poisson à Norway House, au sens commercial du terme, et ce, en grande quantité. Ils faisaient également le commerce de sous‑produits du poisson, comme de l’huile de poisson, et plus particulièrement de l’isinglass, pour lequel il existait un marché en Europe, aux fins de la fabrication d’autres produits tels que la colle.

 

[25]    Mme Lovisek, qui était le témoin expert de l’intimée et dont les services ont été retenus à titre de témoin en contre‑preuve, a exprimé l’opinion selon laquelle les Autochtones qui résidaient à Norway House auraient uniquement aidé les pêcheurs non autochtones que la Compagnie de la Baie d’Hudson employait. Mme Lovisek a également maintenu que la Compagnie de la Baie d’Hudson [traduction] « employait » les Autochtones qui résidaient à cet endroit, et que, à ce titre, ces Autochtones ne pouvaient pas être considérés comme étant engagés dans le commerce au sens commercial du terme, selon la définition stricte qu’elle donnait de cette activité. Quant au commerce de l’isinglass, dans les quantités commerciales établies par M. Lytwyn, Mme Lovisek a maintenu que rien ne montrait qu’il était produit par des Autochtones résidant à Norway House. Selon Mme Lovisek, les quantités indiquées dans les comptes de la Compagnie de la Baie d’Hudson auraient pu passer par Norway House en provenance du sud-est, des régions de la rivière à la Pluie et du lac des Bois, où les documents concernant la production d’isinglass étaient associés à une première nation différente.

 

[26]    Je reviens sur cette différence entre les approches des deux experts, parce qu’elle sert de contexte à l’aperçu historique. Il n’est pas contesté que, lorsqu’il y avait un poste à Norway House, le poisson n’avait jamais eu beaucoup d’importance en tant qu’aliment acquis d’Autochtones, par troc ou autrement. La preuve ne donne pas non plus à entendre que la Compagnie commercialisait le poisson en soi, en tant qu’aliment pour d’autres destinations. L’approvisionnement alimentaire du poste était en général assuré par des pêcheurs non autochtones que la Compagnie employait. Ces pêcheurs s’acquittaient suffisamment bien de leur tâche pour qu’il soit possible de soutenir que le poste ne comptait pas d’une façon générale sur le commerce du poisson avec les Autochtones de Norway House ou d’ailleurs. Mme Lovisek est allée jusqu’à soutenir que les employés non autochtones n’auraient pas compté sur les Autochtones de l’endroit pour que ceux‑ci les aident à trouver les pêcheries locales. Rien ne montre si cette idée est digne de foi, mais je reconnais néanmoins, comme je l’ai dit et comme je crois que M. Lytwyn l’a finalement admis, que la Compagnie de la Baie d’Hudson ne misait probablement pas dans une large mesure sur le commerce avec les Autochtones de Norway House pour se procurer du poisson, à des fins alimentaires ou pour l’exportation. Cela ne veut pas pour autant dire que la Compagnie ne faisait pas de commerce avec les Autochtones de Norway House ou avec les Cris des hautes terres du district de Norway House afin de se procurer du poisson.

 

[27]    De fait, il faut reconnaître que la question dont je suis ici saisi ne porte pas sur le fait que la Compagnie de la Baie d’Hudson comptait sur les Cris des hautes terres. Selon moi, il est plus important de savoir comment la tradition ancestrale de pêche des Cris des hautes terres, laquelle n’est pas niée, influait sur la vie de cette nation avant la signature du Traité. Selon leur point de vue, la pêche faisait‑elle partie intégrante de leur gagne‑pain[4]?

 

[28]    Il faut d’abord se demander combien d’Autochtones vivaient à Norway House. La preuve donne à entendre qu’au cours des années 1820, il y avait cinq familles. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant jusqu’à quel point Norway House avait pris de l’essor en 1875, mais il semble être reconnu qu’il n’y avait qu’un petit groupe de familles[5]. Je retiens également le témoignage de M. Lytwyn lorsqu’il déclare que la Compagnie de la Baie d’Hudson a initialement commencé à employer les Autochtones de Norway House en 1847, pour que ceux‑ci aident les pêcheurs non autochtones. Indépendamment de la nature de l’engagement et de la nature de l’aide fournie, un certain nombre d’Autochtones employés qui vivaient dans une communauté autochtone fort petite, dans un poste non autochtone, tiraient de la pêche une partie, une bonne partie, de leur gagnepain. De fait, il se peut fort bien que, dans les années 1800, les Autochtones de Norway House aient compté sur la pêche pour subvenir à leurs besoins dans une plus large mesure que de nos jours. Néanmoins, à leurs yeux, la participation aux activités de pêche qui assuraient l’alimentation du poste, à Norway House, faisait sans conteste partie intégrante de leur gagnepain.

 

[29]    De plus, je retiens la thèse générale de M. Lytwyn selon laquelle il y aurait inévitablement eu, d’une façon ou d’une autre, des échanges entre les Cris des hautes terres, qui chassaient et pêchaient dans le district de Norway House, et la Compagnie, à savoir de petites opérations de troc, une contrepartie quelconque étant prévue pour le poisson apporté au poste. Dans ce sens, des opérations commerciales étaient conclues en tant que partie intégrante de la vie et du gagnepain des ancêtres des membres actuels de la bande de Norway House.

 

[30]    Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que, même selon l’optique actuelle, les Cris des hautes terres ne s’adonnaient pas à la pêche à grande échelle dans le district de Norway House. De fait, selon un rapport de 1828, des Autochtones apportaient des milliers de poissons d’un barrage situé dans les environs. Il est reconnu que les Autochtones construisaient traditionnellement de tels barrages et y faisaient la pêche et que des prises en quantités commercialement importantes, même selon l’optique actuelle, pouvaient être produites. De telles prises auraient de la valeur pour le poste.

 

[31]    En outre, en retenant cet élément de preuve, j’ai tenu compte de certaines sources externes mentionnées par M. Lytwyn. Certains rapports historiques concernant de vastes pêcheries existant au lac Playgreen, l’un des lacs mêmes situés à brève distance de la réserve où les appelants pêchent de nos jours, ont une certaine influence. Parmi les espèces de poisson qui auraient été abondantes, il y a l’esturgeon, un poisson utilisé non seulement comme aliment, mais aussi pour son huile et pour l’isinglass, qui étaient dans les deux cas des sous‑produits que les Autochtones de la région échangeaient à l’échelle commerciale. De fait, en ce qui concerne le commerce de l’isinglass, M. Lytwyn a noté les comptes commerciaux enregistrés à Norway House de 1813 à 1819, et ensuite de 1831 à 1876, lorsqu’il semble que, compte tenu de la demande qui existait pour le produit, il valait encore une fois la peine pour les Autochtones de produire l’isinglass pour en faire le commerce. Les documents indiquaient les divers postes à partir desquels le commerce était fait. Les comptes, entre les années 1870 et 1873, indiquent près de 600 livres disinglass acquis à Norway House. Selon les estimations, il faut dix esturgeons pour produire une livre d’isinglass, de sorte que 6 000 esturgeons ont été récoltés dans le cadre de cette économie locale[6].

 

2. Le traité no 5

 

[32]    La Première nation de Norway House était, avec la Couronne, signataire du Traité no 5. Ce traité montre que certaines pratiques de pêche de la Nation crie de Norway House étaient reconnues par la Couronne comme un droit qui devait être protégé. Le passage pertinent prévoit ce qui suit :

 

Sa Majesté convient de plus avec les dits Indiens qu’ils auront le droit de se livrer à la chasse et à la pêche dans l’étendue du pays cédé comme décrit ci-haut, sujet à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par son gouvernement du Canada, et excepté telles étendues qui pourront être nécessaires ou requises pour la colonisation, les mines, la coupe du bois ou autres fins par son dit gouvernement du Canada ou par aucun de ses sujets dûment autorisés à cet effet par le dit gouvernement;  

 

Her Majesty further agrees with Her said Indians, that they, the said Indians, shall have right to pursue their avocations of hunting and fishing throughout the tract surrendered as hereinbefore described, subject to such regulations as may from time to time be made by Her Government of Her Docinion of Canada, and saving and excepting such tracts as may, from time to time, be required or taken up for settlement, mining, lumbering or other purposes, by Her said Government of the

Dominion of Canada, or by any of the subjects thereof duly authorized therefore by the said Government.[7]    [Non souligné dans l’original.]                                           

 

[33]    Le rapport que Mme Lovisek a présenté en contre‑preuve renferme des documents qui expliquent que le Traité no 5 visait à fournir des établissements propices à l’adaptation des Autochtones aux nouvelles conditions socio‑économiques qui existaient, notamment par suite du déclin marqué des pêches qui bouleversait énormément la vie des Autochtones, ceux‑ci se présentant comme des pêcheurs de profession et de par leur culture[8].

 

[34]    Le Traité et l’observation de Mme Lovisek semblent former un point de vue qui correspond à celui des membres actuels de la bande de Norway House, soit un point de vue qui refait constamment surface, comme nous le verrons ci‑dessous, dans mon analyse des événements postérieurs à la signature du Traité, à savoir qu’au moment de la signature du Traité, il était sans conteste reconnu, et il est encore reconnu sans conteste, que les Cris de Norway House se livraient à la pêche en tant qu’occupation et aux fins du commerce[9].

 


3.   Après le Traité : La fermeture du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et la création de pêches commerciales

 

[35]    La preuve ne donne pas de détails précis au sujet de la fermeture du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Norway House, ni du moment où cela s’est produit, mais cela semble avoir à peu près coïncidé avec la signature du Traité no 5. À ce moment‑là ou peu de temps après cet événement, Norway House a cessé d’avoir de l’importance pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Les Autochtones locaux, qui n’avaient pas formellement par le passé revendiqué la propriété des terres sur lesquelles le poste était situé, ou était antérieurement situé, ni la propriété de leurs territoires de chasse et de pêche traditionnels, se sont vu accorder, à titre de réserve, la petite parcelle de terre sur laquelle ils vivaient. Bien que les négociations aient inclus des demandes de terres arables, la parcelle accordée était limitée aux terrains sur lesquels, semble‑t‑il, le poste était situé et sur lesquels les Autochtones pouvaient se livrer à leurs occupations reconnues, la chasse et la pêche[10].

 

[36]    Cet octroi restreint du statut de réserve comportait des promesses d’octrois additionnels qui ont depuis lors fait l’objet d’un réexamen. Conformément à un accord avec les gouvernements fédéral et provincial sur lequel je reviendrai bientôt, il est maintenant donné suite à ces promesses et le statut de réserve est sur le point d’être accordé en vue d’inclure une bonne partie des terres qui sont ici en cause.

 

[37]    Avant de traiter de l’expansion des terres de réserve plus d’un siècle après la signature du Traité, il convient de faire de brèves remarques au sujet de la situation à ce momentlà.

 

[38]    Selon certains éléments de preuve, les pêches ont connu un déclin marqué à peu près au moment où le Traité a été signé, mais peu de temps après, au milieu des années 1880, les résidents de Norway House se sont rendu compte qu’ils pouvaient faire du commerce avec les pêcheurs commerciaux venant du sud qui avaient commencé à exploiter la zone nord du lac Winnipeg et les lacs avoisinants en vue de satisfaire à la demande qui existait au sud du lac. Il n’y avait aucune relation structurée entre les pêcheurs autochtones et ces entreprises commerciales, mais même l’experte de la Couronne, Mme Lovisek, a reconnu que cette relation en était une qui, selon sa définition, engageait les pêcheurs de Norway House dans la pêche commerciale. Le fait que les pêcheurs de Norway House pouvaient être considérés, selon leur propre perspective, comme utilisant leur savoir-faire existant et passé ainsi que la connaissance de leurs pêches traditionnelles encore une fois comme moyen de gagner leur vie, n’était pas, selon elle, pertinent. Ce n’était pas ce que les Autochtones faisaient qui lui importait, mais c’était plutôt le contexte commercial créé par ceux qui achetaient leurs prises et par la nature de la relation que les Autochtones entretenaient avec ces acheteurs. Les Autochtones étaient maintenant rémunérés à titre d’entrepreneurs indépendants pour le poisson qu’ils pêchaient et vendaient aux entreprises commerciales qui, de leur côté, commercialisaient le poisson dans le cadre du commerce général, c’est‑à‑dire qu’à son avis, ce n’est que peu de temps après la signature du Traité que les Autochtones de Norway House se sont lancés dans une activité commerciale.

 

4. Événements plus récents : Les accords et textes législatifs touchant la Première nation de Norway House

 

[39]    La série d’événements suivante qui a abouti à la situation actuelle résulte de l’inondation des terres traditionnelles des Autochtones de Norway House, par suite de laquelle une indemnité a été demandée et remise (les « terres de remplacement »), ainsi que du règlement des revendications relatives aux droits fonciers (les « droits fonciers issus des traités » ou les « terres visées par des DFIT »). Par suite de ces revendications, des accords ont été conclus, lesquels ont donné lieu, entre autres choses, à la promesse de nouvelles terres de réserve et à la reconnaissance de la zone de gestion de ressources de Norway House dont il a déjà été fait mention dans les présents motifs (la « zone de gestion des ressources »).

 

[40]    Ces accords se rapportent à des zones qui sont pertinentes lorsqu’il s’agit de savoir, aux fins de l’analyse requise, si les activités de pêche des appelants ont lieu dans la réserve ou si elles se rattachent suffisamment à la réserve pour être pertinentes. Dans ce cas‑ci, les activités de pêche qui ne sont pas exercées dans la réserve sont effectuées dans la zone de gestion des ressources et, plus particulièrement, principalement sur les terres et dans les eaux adjacentes aux terres qui font partie des terres de remplacement ou des terres visées par des DFIT affectées au statut de réserve.

 

[41]    Le meilleur aperçu en ce qui concerne ces zones est donné dans la pièce A‑4. La zone de gestion des ressources englobe les terres de remplacement et les terres visées par des DFIT; elle est définie et décrite dans ce qui est appelé : « Accord de mise en œuvre principal » (l’« AMOP »). Il s’agit d’un accord entre le Canada, le Manitoba, la Nation crie de Norway House et la Régie de l’hydro-électricité du Manitoba (l’« Hydro »)[11].

 

[42]    L’AMOP visait à régler les questions mentionnées dans la Convention sur l’inondation des terres du Nord du Manitoba (la « CSTNM ») signée en 1977, qui étaient demeurées en suspens[12]. Ce faisant, l’AMOP incorpore le transfert de terres provinciales au Canada en vue de permettre la création de réserves, c’est‑à‑dire qu’il identifie des parcelles de terre précises mises de côté, dans le cadre de l’indemnisation globale, pour faire partie de la réserve de Norway House. Bien qu’il n’en soit pas question dans l’AMOP, il est reconnu que la zone de gestion des ressources englobe les parcelles de terre additionnelles précises indiquées dans la pièce A‑4, lesquelles sont également mises de côté pour faire partie de la réserve de Norway House, compte tenu des obligations incombant à la Couronne fédérale en raison des droits issus du Traité, tels qu’ils sont reconnus dans un document appelé l’Entente-cadre sur les droits fonciers issus de traités[13].

 

[43]    L’annexe 5.1 de l’AMOP renferme une carte de cette zone de ressources. La zone comprend les rivières et les lacs ainsi que les nouvelles « terres de réserve »[14]. En vertu de l’article 5.5.3 de l’AMOP, le Manitoba s’engage à accorder un droit prioritaire aux Cris de Norway House sur les ressources fauniques qui constituent une source d’approvisionnement alimentaire, ou une source de revenus, en nature ou autres, faisant partie de la zone de gestion des ressources. Les ressources visées par l’accord comprennent le poisson[15]. Les circonstances entourant l’élaboration de l’AMOP confirment l’idée selon laquelle la question des droits de pêche historiques était cruciale pour la communauté de Norway House dans le cadre de la négociation de l’accord[16].

 

[44]    Il convient de noter le processus de sélection des terres de remplacement et des terres visées par des DFIT.

 

[45]    Les zones qui devaient être désignées en tant que terres de remplacement ont été proposées par la province sur consultation de l’Hydro et devaient être acceptées par la Nation crie de Norway House comme des terres de remplacement adéquates[17]. La communauté devait ensuite demander que les terres soient mises de côté en tant que terres de réserve. Le Canada était obligé de déployer des efforts raisonnables en vue de faire droit à la demande, et ce, dans un délai de douze mois. En prévision du transfert des terres, le Manitoba s’engageait à ne pas disposer des terres qui englobaient les terres de remplacement et à accorder à la Nation crie de Norway House un permis d’utilisation des terres à des conditions qui convenaient à la communauté.

 

[46]    Les zones désignées comme étant des terres visées par des DFIT avaient une superficie totale de 106 434 acres et, selon le témoignage de M. L. Saunders, un témoin cité par les appelants que je présenterai ci‑dessous, elles étaient considérées comme faisant partie du territoire traditionnel des communautés. M. Saunders a décrit le processus, dans lequel il était personnellement en cause, par lequel la communauté de Norway House participait au choix des terres en question. Selon le témoignage non contredit de M. Saunders, le choix des terres était fait de façon à répondre aux besoins de développement économique, social et communautaire, et les terres ont été choisies au motif qu’elles avaient une importance historique pour la Nation crie de Norway House, notamment en tant que terres traditionnellement utilisées pour la pêche[18].

 

[47]    La Loi sur la mise en œuvre de mesures concernant le règlement de revendications au Manitoba (la « Loi sur les revendications »)[19], qui a reçu la sanction royale en l’an 2000, reconnaît les ententes susmentionnées. La partie I de la Loi sur les revendications se rapporte à l’AMOP et prévoit que les Cris de Norway House exerceront un contrôle sur les fonds et sur les terres qui leur sont accordés en vertu de l’AMOP. La partie II de la Loi sur les revendications porte sur l’expansion des terres de réserve telle qu’elle était prévue en vertu de l’Entente-cadre sur les droits fonciers issus des traités.

 

[48]    La dernière participation gouvernementale qu’il faut mentionner se rapporte à la Convention sur le transfert des ressources naturelles du Manitoba[20].

 

[49]    La Convention sur le transfert des ressources naturelles du Manitoba (la « CTRNM ») visait à transférer de la Couronne fédérale à la province du Manitoba certains droits relatifs à la gestion des ressources. La disposition de la CTRNM qui se rapporte aux droits de pêche des Cris de Norway House figure comme suit au paragraphe 13 :

 

13.   Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leur support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès.

 

Partie 3 : Les pratiques de pêche actuelles

          1. La preuve présentée par M. L. Saunders, président de la coop

[50]    Les témoignages de l’appelant et de M. L. Saunders reflètent tous deux le sentiment de fierté et de respect que la communauté éprouve envers ses pêcheurs et à l’égard de l’occupation à laquelle ceux‑ci se consacrent.

 

[51]    Il semble que cette fierté découle de la conviction propre de la communauté que la pêche fait partie du patrimoine communautaire, patrimoine que la communauté veut à tout prix conserver et qu’elle semble avoir tant besoin de protéger.

 

[52]    Il semble ressortir clairement de la preuve et des décisions que le Canada appuie ce besoin; de fait, l’honneur de la Couronne semble exiger la reconnaissance de ce patrimoine.

 

[53]    Il est clair que les pêcheurs de cette communauté subviennent aux besoins de leurs familles en se consacrant à leur occupation, comme leurs ancêtres le faisaient déjà 140 ans auparavant lorsque la petite communauté des pêcheurs de Norway House aidait la Compagnie de la Baie d’Hudson et les pêcheurs non autochtones que cette compagnie employait.

 

[54]    De plus, la poursuite de cette occupation a encore de nos jours un rôle important pour la communauté de Norway House. La communauté est composée d’environ 5 000 personnes[21] et 52 personnes seulement sont membres de la coop et gagnent leur vie en pêchant, mais il y a environ 160 autres employés de la coop, membres de la bande et vivant dans la réserve, qui travaillent en diverses qualités pour cette entreprise locale en travaillant notamment aux postes d’emballage[22]. Les postes d’emballage sont situés hors réserve, près des camps de pêche et de la réserve, mais ils sont dans les deux cas situés sur des terres désignées à titre de réserve future.

 

[55]    Quant à l’importance de cette entreprise, j’ai conclu que M. L. Saunders était un témoin crédible bien informé. Il est, depuis le mois de janvier 2009, président de la coop. Avant l’année 2002, il avait également occupé cette charge pour deux mandats et demi d’une durée de trois ans chacun. Il a démissionné en 2002 afin de devenir conseiller de la bande pour la Nation crie de Norway House. Il était notamment responsable du portefeuille environnemental et s’occupait du choix des terres au titre du processus des droits fonciers issus des traités.

 

[56]    M. Saunders n’est pas un expert en ce qui concerne l’histoire des Autochtones de Norway House, mais il a donné, selon moi, une idée exacte de ce que cette communauté croit et estime refléter réellement son histoire, à savoir que Norway House est une communauté possédant une riche culture traditionnelle dont la pêche fait partie. En outre, le témoignage de M. Saunders indiquait clairement l’importance économique de la pêche pour l’économie locale actuelle.

 

[57]    De fait, M. Saunders s’est empressé de faire remarquer que la pêche était le secteur de l’économie le plus important, sinon le seul, dans la réserve, à part les fiducies et fonds fédéraux qui avaient été établis pour assurer le soutien des écoles et d’autres programmes. La chasse ne s’est pas avérée être une solution de rechange économique viable.

 

[58]    M. Saunders a déclaré que la coop agissait comme représentante des pêcheurs de la bande et assurait à la réserve une place dans l’industrie. La coop représente les pêcheurs, en veillant à ce que ceux‑ci soient traités honnêtement et équitablement. Je retiens ce témoignage. La coop a sans aucun doute un rôle allant bien au‑delà de celui de mandataire ou d’intermédiaire entre les pêcheurs et l’Office. De fait, son rôle principal consistait à représenter les pêcheurs de la communauté. La coop faisait crédit aux pêcheurs, que ce soit pour financer leurs bateaux et équipements de pêche ou pour leurs besoins personnels et les articles qu’il leur fallait à la maison. La coop obtenait les quotas de pêche et elle était chargée de répartir ces quotas entre ses membres. Sur ce point, le témoignage de M. Saunders était clair; la coop a été créée afin d’aider les pêcheurs. Comme M. Saunders l’a dit : [traduction] « Nos pêcheurs sont bien traités. »

 

[59]    Comme il en a déjà été fait mention, M. Saunders a également témoigné au sujet de la façon dont sa communauté interprétait le contexte des négociations relatives aux droits fonciers issus des traités. Ces négociations devaient porter sur les promesses non remplies qui avaient été faites dans les traités en ce qui concerne l’octroi de terres supplémentaires. De nouveaux territoires de réserve ont été établis et acceptés au motif que, comme la zone de gestion des ressources, il s’agissait de secteurs fauniques et halieutiques qui avaient traditionnellement été mis à la disposition de la Nation crie de Norway House et utilisés par celle‑ci comme source d’aliments et de revenu. C’est ce qu’indique également l’article 5 de l’AMOP à l’égard des terres de remplacement.

 

[60]    Selon le témoignage de M. L. Saunders, les emplacements des nouveaux territoires de réserve comprennent les sites de camps traditionnels que les membres de la coop utilisent encore comme tels de nos jours et comprennent les zones dans lesquelles sont situés les postes d’emballage du poisson de la coop[23]. Ces territoires font tous partie de la zone de gestion des ressources que M. Saunders a décrite comme une zone qui devait englober les territoires de piégeage sur les terrains de chasse traditionnels et renfermait ou entourait également les terrains de pêche ancestraux traditionnels[24]. En outre, M. Saunders a témoigné que l’on avait achevé de faire tout ce que la bande devait faire aux fins de l’identification des terres de réserve future aux termes de la Convention sur l’inondation des terres du Nord du Manitoba et des droits fonciers issus des traités. Il a déclaré qu’il s’agissait en principe de terres de réserve et que l’on avait uniquement tardé à leur accorder le statut de réserve à cause des servitudes et des emprises dont l’Hydro avait besoin pour les lignes de transmission. La Couronne n’a pas contesté ce témoignage non corroboré, sauf pour signaler que les territoires désignés ne formaient pas encore une réserve et qu’il n’existait, à l’égard de ces territoires, aucun statut reconnu donnant à entendre qu’ils devaient en principe être considérés comme faisant partie d’une réserve.

 

[61]    M. Saunders a néanmoins maintenu que l’article 15.1 de la Convention sur l’inondation des terres du Nord du Manitoba justifiait le traitement de ces territoires et de ces emplacements en tant que réserve, le Manitoba s’étant engagé à accorder à la Nation crie de Norway House, selon sa politique, des droits prioritaires à l’égard des ressources fauniques de la région de Norway House traditionnellement mises à la disposition de la Nation crie de Norway House et utilisées par celle‑ci comme source d’approvisionnement alimentaire et comme source de revenus, en nature ou autres. Cette disposition est libellée comme suit :

 

[traduction]

 

15.1 Le Manitoba s’engage à accorder aux résidents des réserves un droit prioritaire sur toutes les ressources fauniques dans leurs territoires de piégeage ainsi que dans les rivières et les lacs qui étaient traditionnellement mis à leur disposition et qu’ils utilisaient comme source d’approvisionnement et comme source de revenus, en nature ou autres (la « zone des ressources »)[25].

 

[62]    M. L. Saunders reconnaîtrait que, pour devenir des réserves, les terres désignées à titre de réserve future doivent faire l’objet d’un acte officiel du gouvernement, mais j’ai eu l’impression que la nature officieuse et légaliste de l’analyse suscitait un mécontentement réel et qu’elle était considérée comme trahissant l’esprit des engagements qui donnaient lieu à la désignation de ces terres à titre de réserve future. L’engagement consistait à remettre à la communauté, par suite des droits issus des traités ou à titre de dédommagement, les terres qui faisaient partie du patrimoine traditionnel des Autochtones de Norway House; ces terres devraient être reconnues comme telles, du moins en principe, et traitées en conséquence. Si l’Agence du revenu du Canada l’avait fait, il semble peu probable, selon moi du moins, que les cotisations qui sont ici en litige auraient été établies.

 

[63]    En fait, si la plupart des camps et les deux postes d’emballage étaient situés dans la réserve, indépendamment de l’importance historique de ces sites pour les activités de pêche traditionnelles, le lien existant entre ce territoire de réserve plus étendu et l’activité générant un revenu serait tel qu’il éviterait toute question concernant l’application appropriée de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

         

2. La preuve présentée par l’appelant Ronald Robertson

 

[64]    L’appelant Robertson reconnaît qu’il pêche commercialement et il sait qu’il est lié à une chaîne commerciale qui commercialise sa prise dans le cadre de ce que nous avons appelé le commerce général. Néanmoins, il ne croit pas être un homme d’affaires qui exploite une entreprise. Il est intéressant de noter que je pourrais décrire ce qu’il fait, selon moi, pour gagner sa vie comme son occupation et sa vocation.

 

[65]    Dans l’exposé des faits, il est fait mention des activités de pêche de l’appelant, mais j’examinerai le témoignage que celui‑ci a présenté au sujet de ses pratiques de pêche.

 

[66]    Comme il en a été fait mention, bien qu’il ait été convenu dans l’exposé des faits que l’appelant exploitait une entreprise, l’opinion que je me suis faite du témoignage de l’appelant dans son ensemble est que celui‑ci ne se considère pas comme un homme d’affaires. Un quota de pêche lui est assigné par la coop; il pêche, il livre sa prise et la coop lui remet un chèque pour le poisson qu’il livre.

 

[67]    Les seuls liens que M. Robertson voit avec l’Office sont les suivants : il sait que l’Office fixe le prix du poisson, qu’il établit certaines normes de préparation et d’apprêtage du poisson et qu’à la fin de l’année, il lui verse directement un paiement final représentant sa part de quelque chose de supplémentaire. M. Robertson ne savait pas ce sur quoi ce paiement était basé et ne connaissait pas la nature des dispositions que la coop avait prises avec l’Office.

 

[68]    Le lien que M. Robertson avait avec la coop dans la réserve, selon sa perspective, faisait partie intégrante de l’activité dans laquelle il était engagé. De fait, c’était le début et la fin du monde commercial de M. Robertson. La coop lui assignait son quota et le rémunérait et, de plus, elle lui fournissait des équipements de pêche, comme des filets et ainsi de suite, ainsi que de la glace, qui était offerte aux postes d’emballage, et d’autre matériel comme des cuves pour emballer le poisson et des gants. De fait, comme il en a déjà été fait mention, les fournitures offertes par la coop n’étaient pas limitées à celles qui servaient aux activités de pêche de M. Robertson.

 

[69]    De fait, selon le témoignage de M. Robertson, il est évident que la coop gère les affaires financières personnelles de ses pêcheurs sur la base du revenu prévu que le pêcheur doit gagner. La coop fournissait presque tout, y compris une ligne de crédit pour l’achat d’un bateau et des commandes d’achat de produits alimentaires dans les épiceries. La rémunération d’un pêcheur particulier était imputée aux obligations de celui‑ci, en ce qui concerne les fournitures, les commandes d’achat dans les épiceries, les prêts, les lignes de crédit et ainsi de suite.

 

[70]    Si les activités de pêche de M. Robertson en tant que telles sont examinées plus à fond, les liens avec la réserve sont évidents. Le port d’attache de M. Robertson, ou son quai, est situé dans la réserve, à côté de sa résidence. M. Robertson y conserve et y entrepose son matériel. Il faut à M. Robertson une dizaine de minutes pour se rendre en bateau à la coop, qui est également située dans la réserve, et une quarantaine de minutes de plus pour se rendre en bateau à ses sites de camp, en dehors de la réserve. M. Robertson reste dans ses principaux camps quatre ou cinq jours à la fois ou même plus et, sauf lorsque le temps l’en empêche, il se rend en bateau au moins une fois par jour à un poste d’emballage, à une autre vingtaine de minutes de là, tous ces endroits étant situés dans un rayon très petit de la réserve et bien à l’intérieur de la zone de gestion des ressources. Toutes les parcelles de terre, dans les zones où M. Robertson travaille, sauf une, font partie de la réserve ou font partie de terres affectées à des terres de réserve.

 

[71]    Je remarque également que M. Robertson, comme c’est le cas pour chaque pêcheur de la coop, avait de temps en temps recours à des assistants qu’il choisissait lui‑même. Les assistants étaient rémunérés par la coop, dans la réserve, et les montants ainsi payés étaient déduits de la rémunération de M. Robertson. Il s’agit simplement d’un autre exemple indiquant jusqu’à quel point la coop faisait partie intégrante des activités de pêche des pêcheurs, soit un rôle bien plus actif que celui qu’elle avait en tant que mandataire de l’Office.

 

3. La preuve présentée par David Bergunder, directeur, Opérations sur le terrain, Office de commercialisation du poisson d’eau douce

 

[72]    L’intimée a cité M. Bergunder en vue de témoigner au sujet de la façon dont l’Office conçoit les dispositions prises avec la coop et avec les appelants. M. Bergunder travaille pour l’Office depuis un peu plus de 30 ans; à l’heure actuelle, il est directeur, Opérations sur le terrain, au lac Winnipeg. Il assure la liaison entre l’Office, ses mandataires, comme la coop, et les pêcheurs.

 

[73]    M. Bergunder a expliqué qu’en vertu de la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce[26], l’Office, une société d’État, est tenu d’acheter tout le poisson pêché légalement qui lui est offert dans son secteur d’exploitation. Toutefois, un pêcheur commercial titulaire d’une licence peut vendre son poisson à n’importe qui dans la province. L’Office veille à ce que les pêcheurs puissent pêcher et gagner un revenu.

 

[74]    Dans le cadre de son exploitation, l’Office prend des dispositions contractuelles formelles avec un certain nombre de mandataires. Dans le cas de Norway House, il existe un contrat entre l’Office et la coop.

 

[75]    Aux termes du contrat, la coop est rétribuée lorsqu’elle achète le poisson pour le compte de l’Office. Cette rétribution couvre les services que la coop fournit, comme l’emballage et l’administration. Le prix du poisson est fixé au début de l’année, à 85 p. 100 du montant qui, selon les prévisions de l’Office, sera la valeur marchande. Si, à la fin de l’exercice, il reste de l’argent, cet argent est partagé entre les pêcheurs en tant que paiement final.

 

[76]    La coop fournit apparemment à l’Office un certain nombre de services. Lorsque les pêcheurs apportent le poisson au poste d’emballage, le personnel de la coop classe et trie le poisson par espèce et par taille. Le personnel veille également à ce que le poisson corresponde aux normes de qualité établies par l’Office.

 

[77]    Le poisson est habituellement livré à Winnipeg dans les 24 à 48 heures qui suivent le moment où il sort de l’eau. Le poisson est chargé sur une barge, au poste d’emballage, et il est ensuite transporté par camion vers le sud depuis Norway House. Un chargement, qui pourrait comprendre d’autres prises ramassées en cours de route, peut comprendre de 25 à 30 conteneurs renfermant environ 1 200 kilogrammes de poisson, d’une valeur d’environ 80 000 $.

 

[78]    Chaque pêcheur qui apporte du poisson se voit remettre, au poste d’emballage, un reçu (le « RQP » ou rapport quotidien des prises), lequel indique la quantité et le type de poisson qu’il a apporté ce jour‑là. Une fois par semaine, le poste envoie ses copies de RQP au bureau de la coop, à Norway House. Il faut ensuite deux ou trois jours pour que le bureau inscrive ces renseignements dans son logiciel d’achat de poisson et qu’il envoie un courriel à l’Office. De son côté, l’Office envoie par courriel à la coop un billet d’achat de poisson (les « BAP ») indiquant le montant global que chaque pêcheur recevra pour le poisson cette semaine‑là.

 

[79]    L’Office vérifie 5 p. 100 des livraisons pour la qualité. Si le poisson n’est pas conforme à la norme, l’Office effectue un débit compensatoire. L’Office vérifie également s’il y a un écart de plus de 1 p. 100 entre la quantité indiquée dans la facture d’expédition et la quantité réellement reçue. L’Office paie la coop uniquement pour le poisson réellement reçu[27]. S’il y a un écart, l’Office opère une réduction sur les frais d’administration payables à la coop. Le non‑paiement pourrait également donner à entendre que la coop n’est pas l’agent réceptionnaire de l’Office, en ce sens que la coop n’est pas payée pour le poisson qu’elle reçoit des pêcheurs au nom de son mandant. Les écarts ne sont pas imputés aux pêcheurs, c’est‑à‑dire que les pêcheurs sont rémunérés selon les RQP qu’ils ont obtenus aux postes d’emballage[28].

 

[80]    L’Office verse chaque semaine un paiement à la coop; la coop prend la part qui lui revient et distribue le reste aux pêcheurs.

 

[81]    L’Office peut accorder à la coop une ligne de crédit, jusqu’à un maximum de 50 000 $, dans le cadre du mandat que la coop a de fournir aux pêcheurs le crédit nécessaire. Il incombe à la coop de partager les montants entre les pêcheurs comme elle le juge bon[29]. L’Office et la coop s’entendent ensuite sur un programme de remboursement. L’Office soustrait tout montant que la coop lui doit, tout en veillant à ce que la coop ait suffisamment d’argent pour assurer son exploitation.

 

[82]    M. Bergunder contrôle le grand livre (le « GL ») de la coop, lequel résume toutes les opérations que la coop a effectuées au cours de la semaine. Le GL indique tous les achats effectués auprès des pêcheurs, ainsi que les montants qui doivent être payés pour le poisson. L’Office utilise le GL afin d’assurer la surveillance des fonds, en veillant à ce que la coop ait toujours suffisamment d’argent pour payer les pêcheurs.

 

[83]    L’Office effectue ses opérations dans un seul compte appartenant à la coop. L’Office effectue les virements directement dans ce compte. Une fois l’an, dans le cadre d’un examen annuel, la coop remet à l’Office un état de compte vérifié[30].

 

[84]    M. Bergunder a admis que, même si l’argent envoyé à la coop, déduction faite des frais qui lui sont payables, était uniquement destiné aux pêcheurs, les fonds étaient réunis dans un seul compte.

 

[85]    Lorsqu’on lui a demandé si les pêcheurs pouvaient conclure une autre entente avec la coop au sujet de leur rémunération, M. Bergunder s’est fondé sur le mandat pour affirmer avec insistance que la rémunération hebdomadaire était l’une des conditions du contrat. Toutefois, il a reconnu qu’étant donné que la coop appartenait aux pêcheurs, il s’agissait d’un type différent de mandat. Cela semble reconnaître que la coop pouvait effectuer des paiements, si elle le jugeait nécessaire, pour le bien-être de ses membres.

 

Partie 4 : Analyse

1. La Convention sur le transfert des ressources naturelles

[86]    L’intimée soutient que la CTRN montre que les droits de pêche commerciale de la Nation crie de Norway House ont été éteints, de sorte que les appelants ne peuvent plus invoquer ces droits pour affirmer qu’ils sont exonérés d’impôt[31]. Toutefois, la question de l’octroi ou de la restriction des droits, en vertu de la CTRN, a peu d’importance dans la présente analyse, et ce, pour deux raisons : en premier lieu, l’exonération d’impôt en question n’est pas demandée en vertu des droits issus du Traité no 5; en second lieu, la CTRN est un accord entre la Couronne et le Manitoba, qui influe peu sur l’analyse de l’article 87.

 

[87]    La jurisprudence établit clairement que les restrictions imposées par la CTRN se rapportent entièrement aux pratiques de chasse et de pêche commerciales qui ont à un moment donné été promises en vertu du Traité. Toutefois, la protection demandée dans les présents appels se rapporte à des biens que les Indiens possèdent en leur qualité d’Indiens dans une réserve, visant à permettre de conserver le mode de vie traditionnel de la Nation crie de Norway House. Cette protection n’est pas limitée aux activités qui sont protégées par le Traité no 5, c’est‑à‑dire qu’une exonération d’impôt peut à juste titre être invoquée pour les activités de pêche, et ce, peu importe que ce droit ait été accordé en vertu du Traité et peu importe qu’il se soit par la suite éteint.

 

[88]    En outre, la CTRN établit peut‑être certaines restrictions à l’égard des pratiques autochtones, mais il s’agit d’un accord conclu entre la Couronne fédérale et le Manitoba. Il a été jugé que la CTRN impose à la province des obligations et des restrictions qui ne correspondent pas nécessairement aux obligations de la Couronne fédérale et qui ne doivent pas nuire à ces obligations. Dans l’arrêt Daniels v. White[32], la Cour suprême du Canada a confirmé la chose (page 542) :

 

[traduction]

 

Il faut également tenir compte du fait qu’une entente ne doit pas être interprétée comme s’appliquant à une chose qui n’est pas visée par sa portée, telle qu’elle est énoncée, à moins d’une intention contraire évidente. En l’espèce, il est déclaré dans le préambule que l’objet de l’entente est de mettre la province sur un pied d’égalité avec les autres provinces pour ce qui est de l’administration et du contrôle de ses ressources naturelles. Il est tout à fait conforme à cet objet déclaré de prévoir que les lois provinciales concernant l’utilisation de certaines ressources, à savoir le poisson et le gibier, s’appliquent aux Indiens, sous réserve d’une restriction dont l’effet est d’assurer l’exécution des obligations que le Canada a à cet égard envers les Indiens aux termes d’un traité. [...]

 

[89]    La CTRN porte sur les dispositions que la Couronne fédérale et l’administration provinciale ont prises en matière de gestion des ressources. Elle ne peut pas être interprétée comme reflétant des négociations entre la Couronne et la Nation crie de Norway House se rapportant aux droits des Indiens en leur qualité d’Indiens aux fins d’une exonération d’impôt. La CTRN ne devrait pas se voir accorder beaucoup de poids dans ce cas‑ci.

 

2. L’article 87 : L’atteinte aux droits des appelants en leur qualité d’Indiens; les facteurs de rattachement

 

[90]    L’article 87 de la Loi sur les Indiens prévoit ce qui suit :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (l)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

           

 

[91]    Pour décider, en vertu de l’alinéa 87(1)b), si les pêcheurs cris de Norway House ont droit à une exonération d’impôt sur le revenu de pêche, il faut examiner les facteurs à appliquer pour savoir si ce revenu, soit le bien meuble en question, appartenait à un Indien en sa qualité d’Indien dans la réserve. Il serait possible de considérer que deux critères sont en cause, mais l’analyse qui permet de trancher la question est celle qui met l’accent sur les facteurs qui rattachent le bien à la réserve d’une façon utile. La Cour suprême du Canada a parlé des facteurs de rattachement dans l’arrêt Williams c. Canada[33] (paragraphe 37) :

 

[...] Il faut d’abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents.  On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d’identifier l’emplacement du bien, en tenant compte de trois choses:  (1) l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l’imposition de ce bien.  Il s’agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l’imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l’Indien à titre d’Indien sur une réserve.

[Non souligné dans l’original.]

 

[92]    Il faut donc répondre à la question de savoir si un impôt sur le revenu de pêche des pêcheurs cris de Norway House constitue une atteinte au droit à ce revenu, que les appelants ont gagné en leur qualité d’Indiens dans la réserve. C’est le point de départ d’une approche téléologique à l’application de l’article 87 que la Cour suprême a recommandée dans l’arrêt Williams (paragraphe 35) :

 

[...] il serait dangereux de soupeser les facteurs de rattachement de manière abstraite, indépendamment de l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens.  Un facteur de rattachement n’est pertinent que dans la mesure où il identifie l’emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens

 

[93]    Un autre facteur téléologique vient s’ajouter à ce point de départ, aux fins du règlement de la question en litige, qui se rapporte au mode de vie traditionnel des Autochtones dans une réserve. Dans l’arrêt Recalma v. Canada[34], la Cour d’appel fédérale a décrit cette partie de l’analyse :

 

    En évaluant les différents facteurs pertinents, la Cour doit décider de l’endroit où il est « le plus logique » de situer les biens meubles afin d’éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu’Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones. Dans l’évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l’activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c’est-à-dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s’il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire ».

 

[94]    De même, dans l’arrêt Clarke v. The Minister of National Revenue[35], la Cour d’appel fédérale a expliqué que le critère du situs, appliqué à l’article 87, est rendu arbitraire s’il n’est pas tenu compte d’une façon suffisante et utile du mode de vie traditionnel, tel qu’il se rapporte aux droits des Indiens en leur qualité d’Indiens. Au paragraphe 12, le juge Linden a dit ce qui suit :

 

12   [...] À moins que l’objet de la disposition législative qui impose l’exigence du situs ne dicte le choix des critères servant à déterminer le situs des biens, il n’existe tout simplement aucune raison logique de choisir un critère plutôt qu’un autre. Il faut donc commencer l’analyse par un examen du but poursuivi par le législateur quand il a édicté l’article 87 de la Loi sur les Indiens[36].

 

[95]    La dernière question à laquelle il faut répondre dans les présents appels est de savoir si un impôt sur le revenu de pêche des pêcheurs cris de Norway House constitue une atteinte au droit à ce revenu, gagné par les appelants en leur qualité d’Indiens dans la réserve, de façon à miner la protection fiscale accordée par l’article 87 à l’égard d’un mode de vie traditionnel en tant que partie intégrante de la vie dans une réserve.

 

[96]    L’exigence à prendre en considération, et à soupeser, soit un mode de vie traditionnel, permet un examen utile de la question de savoir si le bien ou le droit en question se rapporte au droit d’un Indien en sa qualité d’Indien. L’exigence voulant que l’on se demande si le bien ou le droit en question fait partie intégrante de la vie dans une réserve permet un examen utile de la question de savoir si ce bien ou ce droit se rapporte au droit d’un Indien en sa qualité d’Indien, et si un bien ou un droit qui n’est pas situé dans une réserve doit être considéré comme étant situé dans la réserve pour l’application de l’article 87.

 

[97]    Cette approche analytique dictera en fin de compte le point de vue des tribunaux en ce qui concerne les facteurs de rattachement pertinents aux fins de la détermination du situs du revenu. Depuis l’arrêt Williams, la liste des facteurs de rattachement qui ont été pris en considération a pris de l’ampleur selon ce qu’exigeaient les faits des diverses affaires dont les tribunaux étaient saisis. Toutefois, les facteurs à prendre en considération et le poids à accorder à chacun ne peuvent pas être énoncés strictement. Il faut les appliquer de façon à répondre du mieux possible à la question de savoir si l’imposition du bien en question constitue une atteinte au droit de l’Indien en sa qualité d’Indien dans une réserve.

 

[98]   Dans l’arrêt Southwind v. Canada[37], la Cour d’appel fédérale (dans le contexte de l’emploi) a proposé une liste passablement longue de facteurs qui pourraient être pris en considération. J’ai adapté l’énoncé des facteurs, de façon qu’ils se prêtent à la présente affaire, qui ne se rapporte pas à un emploi :

 

i)                   le lieu où se déroulent les activités de l’entreprise;

ii)                 le lieu où se situent les clients (débiteurs) de l’entreprise;

iii)               le lieu où sont prises les décisions touchant l’entreprise;

iv)               le type d’entreprise et la nature du travail;

v)                 le lieu du paiement;

vi)               la mesure dans laquelle l’entreprise participe au commerce général;

vii)             le lieu de l’établissement stable de l’entreprise ainsi que le lieu où sont conservés les livres et registres;

viii)           la résidence du propriétaire de l’entreprise.

 

[99]    Les facteurs sur lesquels l’intimée se fonde se rapportent principalement au fait que les activités de pêche ont lieu hors réserve; au fait que la personne qui a commandé le travail, ou le client, est l’Office, une entreprise non autochtone hors réserve qui paie les appelants pour le poisson que ceux‑ci livrent; et à la question de savoir jusqu’à quel point l’activité fait partie du commerce général.

 

[100]  J’examinerai surtout ces facteurs, étant donné qu’il se peut bien qu’ils soient déterminants, mais je dois dire que, même si les incidences de ces facteurs particuliers, considérés isolément, permettaient de conclure que l’article 87 ne protège pas les appelants contre l’imposition, cela ne m’empêcherait pas nécessairement d’appliquer la protection relative à l’exemption d’impôt prévue par cette disposition en me basant sur d’autres facteurs pertinents qu’il faut reconnaître et appliquer dans ce cas‑ci.

 

[101]  Ces autres facteurs comprennent la relation existant entre les appelants et la coop, une entreprise véritable située dans la réserve, relation qui influe sur la façon dont les appelants exécutaient le travail, ainsi que le lien historique, culturel et économique entre les activités et la réserve, lequel influe sur la nature du travail exécuté. Ces facteurs à eux seuls créent un lien convaincant avec la réserve.

 

[102]  Néanmoins, le meilleur point de départ de l’analyse consiste, comme je l’ai dit, à examiner les facteurs de rattachement pertinents sur lesquels l’intimée se fonde le plus. Je les examinerai sous trois titres :

 

i)   le lieu où se déroulent les activités;

ii)  la personne qui a retenu les services ou le débiteur;

iii) le commerce général.

 

          i)   Le lieu où se déroulent les activités

 

[103]  Le fait que presque tout le travail est accompli dans des endroits situés en dehors de la réserve n’est pas en soi déterminant. Dans l’arrêt Nowegijick c. R.[38], il a été conclu à l’exonération d’impôt du revenu gagné par un membre de la bande indienne de Gull Bay (Ontario) à l’égard du travail fait à dix milles de la réserve pour une entreprise forestière dont les administrateurs, les membres et les employés vivaient tous dans la réserve et étaient des Indiens inscrits. Le fait que les grumes étaient peut‑être vendues sur des marchés, en dehors de la réserve, n’a jamais été en litige, non plus que le fait qu’il n’existait aucun lien historique apparent entre le site d’exploitation forestière et la vie dans la réserve. Dans l’affaire Clarke, le travail était exécuté près de la réserve, mais non dans la réserve, dans un hôpital qui avait d’étroits liens historiques et culturels avec la réserve et avec la bande. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’emplacement précis de l’hôpital était un facteur moins important que l’importance historique de l’hôpital dans la vie de la bande. Dans cette affaire‑là, l’activité, plutôt que le site, avait une importance historique pour la bande (quoique non historique au sens d’une activité traditionnelle au moment de la signature d’un traité).

 

[104]  Dans ces affaires‑là, le lien socio‑économique entre ces emplacements hors réserve et la réserve, ainsi qu’avec les vies d’un groupe plus étendu de membres de la bande et avec la communauté de la réserve dans son ensemble, étaient les facteurs de rattachement importants. Il en est également de même en l’espèce. Le lien supplémentaire de l’importance historique de l’activité pour la réserve et le lien historique des emplacements hors réserve avec la réserve (comme le montre leur inclusion à titre de réserve future et les motifs pour lesquels ils sont ainsi inclus) renforcent encore plus, en l’espèce, la conclusion voulant que les droits relatifs au revenu tiré de ces activités soient ceux d’Indiens en leur qualité d’Indiens dans la réserve.

 

[105]  En outre, il semble au départ beaucoup trop restrictif de considérer, dans ce cas‑ci, les sites de réserve future comme étant hors réserve pour l’application de l’article 87. La Couronne est tenue d’assurer la libre jouissance des avantages qui ont été acquis ou qui pourraient être acquis conformément à l’exécution des obligations prévues par traité qui lui incombent :

 

[...] la protection contre les saisies assure que l’exécution de jugements obtenus par des non‑Indiens en matière civile ne pourra entraver les Indiens dans la libre jouissance des avantages qu’ils ont acquis ou pourront acquérir conformément à l’exécution par la Couronne de ses obligations prévues par traité[39].

[Non souligné dans l’original.]

 

[106]  En l’espèce, les avantages sont acquis conformément à l’exécution par la Couronne des obligations prévues par traité. Il s’agit de terres visées par des DFIT. À mon avis, il n’est pas justifié de ne faire aucun cas de cette obligation, qui est presque cristallisée, ou de lui accorder peu d’importance. Cette obligation est axée sur des droits qui existaient au moment de la signature du Traité, ce qui étaye l’approche voulant qu’une activité exercée à l’heure actuelle sur ces terres soit reconnue comme étant exercée dans la réserve[40].

 

[107]  De plus, il faut reconnaître que, dans ce cas‑ci, une bonne partie du travail pouvait uniquement être effectuée à l’extérieur de la réserve, parce que c’était là que le poisson était. Les cours d’eau ne font pas partie des réserves. La réserve elle‑même est une communauté résidentielle qui n’offre rien de plus qu’un moyen d’accéder par la rivière à des endroits de pêche situés hors réserve, de la même façon qu’il y a 140 ans. L’appréciation du lien existant entre une pêcherie et une réserve doit sans aucun doute inclure l’examen de sa proximité et de son utilisation historique. Les emplacements hors réserve, même s’ils ne sont pas reconnus en tant que sites de réserve future, ont été reconnus comme faisant partie de la zone de gestion des ressources, qui les rattache à la réserve d’une façon aussi étroite que s’ils y étaient situés, sans réellement l’être, qu’il est possible de l’imaginer aux fins de l’analyse relative aux facteurs de rattachement. Les camps de pêche et les postes d’emballage en question sont situés à brève distance des quais des deux appelants, lesquels sont situés dans la réserve. Les employés de la coop aux postes d’emballage sont des Indiens inscrits qui vivent dans la réserve; il en va de même pour les assistants des appelants. L’activité est gérée dans la réserve; les fournitures sont entreposées et acquises dans la réserve, et les bateaux, les moteurs, les filets et d’autres outils du métier sont également conservés et entretenus à cet endroit.

 

[108]  De même, les livres et registres sont en bonne partie tenus par la coop pour le compte de ses membres, de sorte qu’un aspect pertinent de l’activité est lui aussi centré dans la réserve d’une façon réelle et importante.

 

[109]  De plus, je tiens à faire remarquer que j’ai l’impression que les quelques décisions commerciales qu’il incombe aux pêcheurs de prendre, comme les décisions concernant l’achat de nouvel équipement, sont probablement prises aussi souvent, sinon plus, dans la réserve qu’à l’extérieur. Même les décisions quotidiennes, comme celles se rapportant au moment où il convient de pêcher et à l’endroit où pêcher, semblent être prises aussi souvent dans la réserve qu’à l’extérieur, en ce sens que, lorsqu’un pêcheur part, le matin, de son quai, dans la réserve, il a une bonne idée du camp où il ira.

 

[110]  À mon avis, ces liens avec la réserve tendent à favoriser la conclusion selon laquelle le revenu a été gagné par les appelants en leur qualité d’Indiens dans la réserve et mérite d’être protégé contre toute diminution résultant de son imposition. Bref, l’octroi de la protection sollicitée ne confère pas aux appelants un avantage dans le monde à l’extérieur de la réserve. Il s’agit d’un avantage qui existe dans la réserve, qu’il faut considérer comme s’appliquant aux cours d’eau voisins traditionnellement utilisés pour la pêche comme source de revenus, en nature ou autres.

 


ii)  La personne qui a retenu les services ou le débiteur

 

[111]  Les dispositions contractuelles par lesquelles l’Office, au moyen du mandat qu’il avait conféré à la coop, est la personne qui a retenu les services des appelants à titre d’entrepreneurs et qui est la débitrice pour ce qui est du revenu en question, donnent lieu à penser que les biens en question ne sont pas situés dans la réserve. Toutefois, cette approche légaliste stricte n’est pas, à mon avis, justifiée en l’espèce. L’Office ne semble pas pouvoir traiter avec les membres de la coop, ni avoir le droit de le faire, ce qui semble difficilement caractériser un mandant. Le fait que la coop ait à subir les conséquences si le poisson n’est pas conforme aux normes ou lorsqu’une livraison est insuffisante ne semble pas non plus caractériser un mandataire[41]. En outre, l’Office ne doit pas d’argent à un pêcheur ou à un créancier à l’égard d’un membre de la coop, sauf dans la mesure où la coop, un établissement situé dans la réserve qui gère et administre une activité de la réserve au moyen des quotas qu’elle détient, crée une telle relation. Le contrôle des quotas assure le contrôle du revenu, c’est‑à‑dire qu’il assure le contrôle des biens en question, et ce, depuis le début, et, en ce sens, cela peut facilement être considéré comme un contrôle exercé sur l’emplacement des biens en question pour l’application de la Loi sur les Indiens.

 

[112]  La coop n’est pas pour traiter avec les entrepreneurs de l’Office, pour le compte de l’Office. Elle est là pour représenter ses membres en leur qualité d’Indiens et, en fait, elle négocie avec l’Office pour le compte de ses membres lorsqu’il s’agit de déterminer avec qui l’Office traite ainsi que la mesure dans laquelle et les conditions auxquelles il le fait[42]. En somme, dans le contexte de la détermination du situs de biens aussi intangibles que le revenu tiré de l’activité de pêche en question pour l’application de la Loi sur les Indiens, l’arrangement, vu sous cet angle, est beaucoup plus convaincant, à mon avis, qu’une approche purement légaliste axée sur la question de savoir qui est le débiteur.

 

[113]  De fait, la position prise par l’intimée comporte deux aspects purement légalistes, qui sont invoqués en vue d’éloigner l’analyse de l’application de lexemption prévue à l’article 87. Or, ni l’un ni l’autre n’est utile lorsqu’il s’agit d’identifier comment l’activité même doit être traitée, compte tenu de l’objet de l’exemption. Il est facilement possible de le constater en examinant la façon dont un changement de la structure juridique influe sur l’analyse. Selon un aspect légaliste, la coop est mandataire de l’Office. Si le contrat avait été structuré différemment, de façon que la coop achète le poisson de ses membres et le vende ensuite à l’Office, l’affaire prendrait une tournure différente. Qu’en seraitil si la coop employait ses pêcheurs? Ces notions juridiques, qui existent uniquement dans le monde juridique fictif, ne peuvent pas aider à déterminer le droit des pêcheurs d’avoir une source traditionnelle de revenu dans la réserve, un revenu non réduit par suite de l’imposition. Le second aspect légaliste de la position prise par l’intimée, lorsqu’il s’agit d’identifier un mode de vie traditionnel, ou la commercialité d’une activité, est fondé sur la désignation des pêcheurs « employés » entre les années 1847 et 1875. Si la contrepartie que les pêcheurs autochtones recevaient à titre d’employés avait été payée aux termes d’un contrat d’entreprise, par opposition à un contrat de louage de services, l’aide fournie[43] par le passé donneraitelle lieu à un degré de commercialité plus élevé? À un moment donné, il est insensé d’essayer de tirer des conclusions utiles au sujet d’une source traditionnelle de revenu obtenue à une autre époque et dans un autre monde à partir de distinctions légalistes qui sont ellesmêmes, même de nos jours, régulièrement débattues. Comme il a été dit dans l’arrêt Clarke, les fictions juridiques deviennent arbitraires et donnent à l’analyse une mauvaise orientation. Elles éloignent l’analyse du but de l’exemption de l’intention du législateur, intention qui ne saurait se réaliser au moyen d’un énoncé légaliste des relations.

 

[114]  Dans l’arrêt Clarke, le juge Linden a dit ce qui suit au paragraphe 12 :

 

12    Ce qui sous-tend le reproche que fait le juge Gonthier au critère de la résidence du débiteur, c’est la reconnaissance du fait que l’attribution d’un situs à un droit incorporel comme le droit à un revenu d’emploi est, par définition, un exercice théorique. C’est une fiction juridique qui, dans le contexte de l’article 87, vise à limiter la portée de la disposition créant l’exemption d’impôt. Considérer cet exercice comme une fiction juridique n’est pas le critiquer; les fictions juridiques se révèlent souvent utiles dans notre droit. Cependant, une fois que le caractère fictif de l’exercice est rendu explicite, on peut voir que l’application d’un critère de détermination du situs qui ne se rattache pas à l’objet de la disposition créant l’exemption d’impôt, qu’il s’agisse de la résidence du débiteur ou de l’endroit où le salaire est reçu, devient forcément arbitraire. Comme je l’explique plus loin, la solution réside dans une conception de l’interprétation et de l’application de l’expression « situé sur une réserve » qui repose sur l’objet de la disposition créant l’exemption dans la Loi sur les Indiens. À moins que l’objet de la disposition législative qui impose l’exigence du situs ne dicte le choix des critères servant à déterminer le situs des biens, il n’existe tout simplement aucune raison logique de choisir un critère plutôt qu’un autre. Il faut donc commencer l’analyse par un examen du but poursuivi par le législateur quand il a édicté l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[115]  Si l’on fait abstraction des énoncés légalistes dans ce cas‑ci, le point de vue qu’il convient de retenir au sujet de l’activité, un point de vue fondé sur l’objet de l’article 87, est que c’est la coop qui a retenu les services de pêche et qui est la débitrice à l’égard de ces services.

 

[116]  Le fait que les employés sont rémunérés dans la réserve renforce encore plus cette conclusion. L’argent que les appelants reçoivent au moyen de chèques émis par la coop provient de fonds mélangés qui sont gérés pour leur compte, à leur profit. Une formalité juridique qui donne à entendre que les fonds sont détenus et affectés par la coop en sa qualité de mandataire de l’Office s’efface devant la réalité pratique dans ce casci. Il ne s’agit pas de liens artificiels ou superficiels établis en tant qu’indices d’un situs dans la réserve, dans le cadre d’une planification fiscale. La vie économique des appelants dans la réserve est administrée par la coop dans la réserve dans un sens fort réel, sur la base du revenu généré par l’activité en question. Cela aide à répondre à la question sousjacente : l’imposition de ce revenu porterait‑elle atteinte aux droits de propriété des appelants en leur qualité d’Indiens dans la réserve? Cet arrangement ne vise pas à conférer un avantage économique qui n’est pas offert à d’autres. Il vise à protéger et à administrer le droit de propriété des appelants, qu’ils ont obtenu et qu’ils détiennent en leur qualité d’Indiens dans la réserve[44].

 

          iii)  Le commerce général

 

[117]  J’aimerais faire remarquer à titre préliminaire que je partage le malaise exprimé par les avocats des appelants et de la Couronne à l’égard de l’idée selon laquelle les entreprises dirigées par des Autochtones devraient toutes être considérées comme ne faisant pas partie du « commerce général » du Canada simplement à cause de l’existence de certains liens avec une réserve. D’autre part, en cherchant à clarifier l’interprétation qu’il convient de donner à ces termes, je m’inspire des remarques qui ont été faites dans l’arrêt Recalma c. R., où le juge Linden a confirmé que l’analyse de l’article 87 ne devrait pas trop mettre l’accent sur le critère du « commerce général ». Au paragraphe 9, le juge a fait les remarques suivantes :

 

[...] Il convient de préciser que le concept « du marché ordinaire » n’est pas un critère ayant pour but de déterminer si les biens sont situés dans une réserve; il s’agit simplement d’un élément qui aide à l’évaluation des divers facteurs à l’étude. Ce n’est absolument pas un critère déterminant. L’exercice de raisonnement primordial est de décider, en tenant compte de l’ensemble des facteurs de rattachement et en gardant à l’esprit l’objet de l’article, de l’endroit où sont situés les biens, c’est-à-dire si le revenu gagné fait « partie intégrante de la vie de la réserve », s’il est « étroitement lié » à cette vie, et s’il devrait être protégé pour empêcher de porter atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu’Indiens.

 


[118]  Dans une autre partie de ses motifs de jugement, le juge a exprimé le même avis d’une façon légèrement différente :

 

9     [...] Dans l’évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l’activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c’est-à-dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s’il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire »[45]. 

[Non souligné dans l’original.]

 

[119]  Le premier passage porte sur le lien entre l’activité et la vie dans la réserve, comme s’il pouvait l’emporter en tant que facteur décisif, même si l’activité est exercée dans le cadre du commerce général. Le second passage introduit une alternative qui donne à entendre qu’une activité ne peut pas à la fois faire partie intégrante de la vie dans la réserve et faire partie du commerce général. Or, je ne puis accepter que l’on ait voulu que ces deux aspects soient mutuellement exclusifs dans tous les cas. Le critère consiste à découvrir si l’activité est avant tout exercée dans le cadre du commerce général, sa contribution à la vie communautaire n’étant qu’accessoire ou imaginée. Si le critère est considéré sous cet angle, l’importance historique de l’activité pour la vie dans la réserve peut entrer en ligne de compte en tant que facteur pertinent et aider à apprécier l’aspect dominant de l’activité.

 

[120]  Je ne comprends pas comment il est possible de dire, dans ce cas‑ci, que ce sont des forces autres qu’externes qui sont apparues afin de transformer en moins de dix ans la pêche, telle qu’elle était pratiquée lors de la signature du traité, d’un moyen d’assurer un gagne‑pain en une entreprise faisant partie du commerce général. Quelle différence y a‑t‑il entre le fait pour la Compagnie de la Baie d’Hudson d’engager une communauté de pêcheurs autochtones afin de l’aider à satisfaire à sa demande de poisson, aussi peu importante que puisse être leur contribution, et le fait pour l’Office de retenir les services de la même communauté de pêcheurs, dix ans ou 140 ans plus tard, afin de satisfaire à sa demande, aussi importante soit cette contribution. Le degré de commercialité créé par un acheteur tel que l’Office est fortuit, mais non pertinent.

 

[121]  De plus, je tiens à faire remarquer que les fluctuations dans la demande du marché ou dans l’ampleur relative ou autre de la demande auprès d’une communauté, lesquelles sont externes, ne peuvent pas être déterminantes lorsqu’il s’agit de conclure à la commercialité pour l’application de l’article 87. Je ne puis voir comment les contributions relatives à un marché commercial devraient constituer un facteur aux fins de l’appréciation du lien qui existe entre une activité et une réserve, mais, si c’était le cas, comment cela s’appliquerait‑il dans ce cas‑cï? Il serait possible de dire que la capacité des pêcheurs autochtones de Norway House, de nos jours, à répondre aux besoins sur le marché mondial de leur acheteur commercial, l’Office, est aussi limitée qu’elle l’était dans les années 1800, lorsqu’il s’agissait de satisfaire aux besoins de leur acheteur commercial, la Compagnie de la Baie d’Hudson. La preuve n’a pas réussi à me convaincre que quelque chose avait changé.

 

[122]  Un tel raisonnement permet de conclure qu’une tradition historique de pêche, dans des eaux traditionnelles, près d’une réserve, comme moyen d’assurer un gagne‑pain pourrait donner lieu à un degré élevé de commercialité dans le monde contemporain sans être considérée comme facteur de non‑rattachement assez important par rapport à d’autres facteurs. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai fait remarquer, l’aspect commercial de l’activité de pêche des appelants dans ce cas‑ci découle d’une façon accessoire et fortuite de circonstances qui ne vicient pas le lien avec la réserve, découlant d’une activité traditionnelle qui, par le passé, faisait partie intégrante de la vie dans la réserve, comme elle en fait encore partie intégrante de nos jours.

 

[123]  Avant de poursuivre, il me semble nécessaire de faire des remarques additionnelles au sujet de la pertinence des différences historiques pour ce qui est du degré de commercialité d’une activité comparativement à ce qui existe de nos jours. La façon dont les présents appels ont été abordés a ajouté une dimension différente à l’application téléologique de l’article 87. À mon avis, on a accordé plus d’importance à l’existence d’une activité historique similaire comme moyen permettant de déterminer ce qui est de nos jours étroitement lié à une réserve pour un Indien « en sa qualité d’Indien ». Plus l’activité est éloignée d’une activité traditionnelle, plus elle doit faire partie intégrante de la vie actuelle dans la réserve, à défaut de quoi les Indiens ne se livrent pas à cette activité « en leur qualité d’Indiens ». Il s’agit donc de faire des comparaisons : jusqu’à quel point l’activité actuelle doit‑elle être semblable à celle qui était exercée lors de l’adhésion à un traité? Telle était en fin de compte la question à laquelle les experts devaient répondre dans un contexte accusatoire, comme si elle décidait de la question dont je suis saisi.

 

[124]  Toutefois, cela dit, il doit maintenant être clair que je ne crois pas que cela doive servir de fondement à ma décision d’accueillir les appels. Je ne crois pas que l’esprit et l’objet de l’article 87 soient bien servis si une activité est examinée à la loupe, de façon qu’il soit possible de déceler des différences peut‑être pertinentes entre les différents degrés de commercialité au fil des ans. Le fait que le monde a pris de l’ampleur, de sorte que le poisson en tant qu’aliment est maintenant offert sur le marché mondial, ne devrait pas nuire à l’importance de la pêche pour la vie autochtone dans la réserve, ou diminuer cette importance, comparativement à l’époque où le poisson était utilisé pour nourrir les travailleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson. La poursuite d’une occupation de chasseur et de pêcheur qui permettait une existence synergétique, une coexistence économique, avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, faisait partie intégrante de la vie des Indiens au poste, en leur qualité d’Indiens. Le fait que les appelants peuvent rechercher une telle source traditionnelle de revenu dans les mêmes eaux, près de la réserve, et en tirer un avantage économique dans un milieu qui fait partie intégrante de la vie actuelle dans la réserve est plus que suffisant dans ce cas‑ci. Lorsque les facteurs de rattachement, non influencés par des considérations associées au commerce général, permettent de conclure que le revenu gagné était étroitement lié à la vie dans la réserve, le fait qu’il existe, dans le monde extérieur, une utilisation commerciale pour l’activité générant le revenu, ne devrait pas éliminer ces considérations. Le revenu tiré de ces activités est un bien lié de près à la vie dans la réserve et il a été gagné par les Indiens en leur qualité d’Indiens pour l’application de l’article 87.

 

[125] J’ai jusqu’ici mis l’accent sur l’idée selon laquelle le lien avec le commerce général n’est pas déterminant en l’espèce ni même nuisible au droit des appelants de bénéficier de la protection fournie à l’article 87. Cela peut donner à entendre que je suis convaincu que les appelants participent au commerce général. En fait, je n’en suis pas du tout convaincu.

 

[126]  La participation de la coop au commerce général ne veut pas nécessairement dire qu’il en va de même pour ses membres. De fait, je crois que la preuve permet de conclure que la coop a empêché ses membres d’être considérés comme participant au commerce général. Les appelants n’ont pris aucune décision délibérée d’être engagés par l’Office. Ils pêchaient pour une entreprise locale qui les rémunérait et ils n’avaient qu’une idée vague du marché, ou ils s’intéressaient fort peu à ce marché, si ce n’est qu’ils savaient qu’il existait une demande à laquelle la coop pouvait satisfaire.

 

[127]  Dans l’arrêt Williams, la Cour suprême a dit ce qui suit au paragraphe 18 :

 

18   En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d’un choix en ce qui concerne ses biens personnels.  L’Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l’extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société.  Il appartient à l’Indien de décider s’il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s’il veut s’intégrer davantage dans l’ensemble du monde des affaires.

                  

[128]  Au paragraphe 14 de l’arrêt Clarke, la Cour d’appel fédérale a réitéré que la participation au commerce général, tel qu’il s’applique au revenu d’emploi, est un choix; voici ce qu’elle a dit :

 

Par conséquent, lorsqu’un autochtone décide d’entrer sur ce qu’on appelle le « marché » canadien, il n’y a aucun texte législatif qui l’exempte du paiement d’un impôt sur son revenu d’emploi.

[Non souligné dans l’original.]

 

[129] En l’espèce, les appelants n’ont pas choisi de participer au commerce général. Ils savaient peu de choses au sujet de ce lien externe créé par l’Office. On ne saurait se fonder sur un appât juridique grâce auquel les appelants auraient été pris au piège, de façon à devenir parties à un contrat avec l’Office, sans que le gouvernement du Canada ferme les yeux devant l’obligation qui lui incombe d’empêcher la diminution d’une source de revenus traditionnelle que des pêcheurs innocents se procurent en faisant ce que leurs terres et eaux traditionnelles ont toujours permis à leur peuple de faire. Cela semble d’autant plus vrai que les appelants pêchent depuis des camps et qu’ils livrent leurs prises à des endroits affectés du statut de réserve en reconnaissance du lien historique qui existe entre ces lieux et leur gagne‑pain traditionnel. Cela ne m’amène pas pour autant à conclure que les appelants ont choisi de participer au commerce général. Ils ont choisi d’avoir un gagne‑pain traditionnel aux mêmes endroits que les Autochtones de Norway House il y a 140 ans.

 

[130]  D’une façon plus générale, abstraction faite des droits à une nouvelle réserve, j’arrive à cette conclusion au motif que le revenu est suffisamment lié à la réserve, sous un si grand nombre d’aspects, pour être considéré comme un bien situé « dans la réserve ». Si le revenu est « dans la réserve », il ne s’agit pas d’un bien « à l’extérieur des terres réservées à leur usage » et le revenu ne peut donc pas être considéré, encore une fois dans le contexte de l’analyse juridique requise, comme faisant partie du commerce général, de façon à être traité de la même façon que celui d’autres personnes. De fait, en tant que bien possédé dans la réserve, ce revenu ne peut pas être traité sur la même base que celle qui s’applique à d’autres personnes. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit au paragraphe 88 de l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis[46] :

 

[...] les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l’extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens. [Non souligné dans l’original.]

 

 

En somme, pour ce qui est de la protection sollicitée, un bien qui est suffisamment lié à la réserve pour être considéré comme étant situé dans la réserve n’est pas traité sur la même base que les biens des autres Canadiens.

 

[131]  De plus, dans l’arrêt Southwind, le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a fait les remarques suivantes :

 

14     Selon l’opinion exprimée par la Cour suprême dans l’affaire Mitchell, lorsqu’un Indien participe au « commerce général », il doit être assujetti aux mêmes conditions que les autres Canadiens auxquels il fait concurrence. Bien que la signification de cette expression ne soit pas claire du tout, il ne fait aucun doute qu’elle vise à distinguer les activités commerciales des Autochtones qui traitent avec des personnes situées principalement à l’extérieur de la réserve, plutôt que sur la réserve. Elle a pour but d’isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l’ensemble de sa communauté, bien qu’il soit évidemment reconnu, comme l’a affirmé Me Nadjiwan, que la collectivité tire profit du fait qu’une personne assure la subsistance de sa famille[47].

 

 

[132]  En l’espèce, les activités ne sont pas principalement exercées avec des gens hors réserve. Elles sont principalement exercées avec la coop, dans la réserve, au profit de la communauté dans son ensemble.

 

[133]  Tout ceci pour dire que je n’accorde aucun poids aux arguments fondés sur le commerce général que l’intimée a avancés.

 

          3. La distinction faite d’avec les décisions citées par l’intimée

 

[134]  Je n’ai pas à examiner toutes les décisions que l’intimée a citées. Toutefois, je ne puis omettre de tenir compte de trois décisions dont les faits sont particulièrement nuisibles à la position que les appelants ont prise en l’espèce. Il s’agit des décisions Southwind, Bell v. R.[48] et Ballantyne c. Canada[49].

 

          i)  L’arrêt Southwind

 

[135]  L’appelant, dans cette affaire‑là, résidait dans la réserve indienne Sagamok. Il était l’unique propriétaire d’une entreprise d’exploitation forestière qui fournissait exclusivement des services d’exploitation forestière à une entreprise non autochtone qui n’était pas située dans une réserve. L’appelant était rémunéré pour le travail d’exploitation forestière qu’il exécutait sur des chantiers hors réserve. Lorsqu’il travaillait à l’exploitation forestière, l’appelant demeurait souvent sur le chantier et il retournait chez lui, dans la réserve, le week-end. Le travail administratif se rattachant à l’entreprise, notamment les communications téléphoniques, la tenue de livre et l’entreposage des recettes de l’entreprise, était effectué chez l’appelant, dans la réserve Sagamok. L’appelant était propriétaire de l’équipement, qui était entreposé chez lui, dans la réserve Sagamok, lorsqu’il n’était pas utilisé sur un chantier. Enfin, l’appelant était rémunéré au moyen de chèques tirés sur le compte bancaire hors réserve du débiteur.

 

[136]  Il existe clairement des ressemblances marquées entre cette affaire et la présente espèce. Toutefois, voici la distinction entre les deux affaires : le rôle de la coop, dans ce cas‑ci; le lien historique de l’activité avec la vie dans la réserve; le rôle que l’activité jouait dans la vie communautaire dans la réserve au cours des années en question.

 

[137]  Au paragraphe 16, une comparaison a été faite entre les arrêts Southwind et Nowegijick. L’affaire Nowegijick était différente, parce que, dans ce cas‑là, l’employeur était une société basée dans la réserve, alors que, dans l’affaire Southwind, l’appelant était propriétaire unique non constitué en personne morale de sa propre entreprise, qui vendait ses services exclusivement à un client situé hors réserve. En l’espèce, abstraction faite des fictions juridiques concernant la question de savoir qui la coop représentait, les appelants fournissaient leurs services exclusivement sous l’égide d’une entreprise qui les administrait en tant que partie intégrante d’une activité exercée dans la réserve au profit d’un nombre beaucoup plus élevé de membres de cette communauté.

 

ii) La décision Bell

 

[138]  Contrairement à ce qui s’était produit dans l’affaire Bell par exemple, la preuve permet de conclure en l’espèce qu’il est justifié de protéger contre l’imposition le revenu tiré de l’activité ici en cause.

 

[139]  Dans la décision Bell, il a été jugé que la nature de l’emploi, que j’appellerai l’activité, et la façon dont cet emploi était exercé, étaient les facteurs les plus importants influant sur le résultat. Cette affaire comportait des ressemblances marquées avec la présente affaire. Le fait que l’entreprise n’était pas exploitée d’une façon différente de la façon dont les entreprises de pêche, qui appartenaient à des non‑Autochtones et qui étaient exploitées par des non‑Autochtones, étaient exploitées a été jugé pertinent. L’activité de pêche était purement et simplement une activité commerciale. Les prises étaient vendues à une société de transformation qui était une filiale d’une grande entreprise nationale de transformation alimentaire, de sorte qu’elles entraient directement dans le commerce général et ne pouvaient pas être distinguées des prises de l’une quelconque des autres entreprises de pêche, appartenant ou non à des Autochtones, qui faisaient partie de l’approvisionnement alimentaire du Canada.

 

[140]  Toutefois, même dans ce cas‑là, le lien historique de l’activité avec la réserve aurait pu être suffisant pour éviter toute question de commercialité compétitive si une preuve suffisante pour l’établir avait été présentée. Au paragraphe 38, le juge Bowie, de la Cour canadienne de l’impôt, a fait les remarques suivantes :

 

[...] La pêche alimentaire a sans aucun doute ses racines dans les traditions des Indiens de la côte, bien que l’on ne m’ait guère présenté de preuves de cela en l’espèce. Si le revenu devait provenir de cette pêche alimentaire, on pourrait peut-être faire valoir avec succès le bien-fondé d’une exonération de ce revenu en vertu de l’alinéa 87(1)b), pourvu qu’une preuve appropriée soit présentée. Tel n’est pas le cas en l’espèce, toutefois. Il ressort clairement de la preuve qu’aucun des revenus auxquels se rapportent les appels en instance ou aucun revenu quelconque n’est tiré par les appelants ou la compagnie de leurs activités de pêche alimentaire. [...]

 

[141]  En l’espèce, il est certain que le revenu en question est tiré d’activités de pêche et de pêcheries qui ont leurs racines dans les traditions des Cris des hautes terres. Une preuve appropriée de cette distinction a été présentée. Le fait qu’il est peut‑être impossible de faire une distinction à l’égard d’activités non autochtones ne devrait pas faire obstacle au maintien de la protection des Autochtones contre toute érosion du revenu qu’ils gagnent traditionnellement en leur qualité d’Indiens.

 

iii)  La décision Ballantyne

 

[142]  Comme dans ce cas‑ci, cette affaire portait sur le Traité no 5 et sur un bien meuble, soit un revenu tiré de la pêche. Une bande différente était en cause, mais la structure de l’activité n’était pas différente. Les pêcheurs étaient membres d’une coopérative située dans la réserve et ils pêchaient dans des eaux, à l’extérieur de la réserve. L’Office achetait le poisson. Le juge Webb a conclu que ce dernier fait, qui faisait entrer les pêcheurs sur le marché ordinaire, avait une telle pertinence, qu’avec d’autres facteurs qui ne créaient pas un lien suffisant entre la source de revenus et la réserve, il y avait lieu de conclure que l’exemption prévue à l’article 87 ne s’appliquait pas.

 

[143]  La façon la plus facile et la plus équitable d’établir une distinction entre cette affaire‑là et la présente espèce consiste peut‑être simplement à signaler que nous faisons face à deux causes fort différentes, sur le plan de la preuve présentée et des arguments invoqués. Les juges et les plaideurs sont, peut‑être trop souvent, à la merci de ce qui est soumis au tribunal. Ainsi, la preuve d’expert aurait pu être soumise ou reçue sous un angle différent. De plus, dans l’affaire Ballantyne, on ne savait pas trop quelle était l’interaction avec la Compagnie de la Baie d’Hudson. Si, dans ce cas‑là, la réserve était un poste de traite, ce qu’elle n’était pas si je comprends bien, la Cour n’aurait pas eu à examiner la preuve et les arguments se rapportant à l’importance des relations qui découleraient de ce fait historique. Or, j’avais une telle preuve à examiner. Je ne dis pas que ces différences à elles seules permettent d’établir une distinction entre les deux affaires, et je n’en suis pas convaincu, mais il vaut la peine de les noter.

 

[144]  Toutefois, il y a un point sur lequel il convient de faire des remarques. Au paragraphe 14, le juge Webb a fait remarquer ce qui suit :

 

De plus, comme il faut opposer le critère du « commerce général » à celui de la « partie intégrante de la vie sur la réserve », je suis d’avis que, pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, une activité ne peut pas à la fois être menée dans le cours du « commerce général » et faire « partie intégrante de la vie sur la réserve ».

 

[145]  Avec égards, j’adopte un point de vue différent, compte tenu de la preuve et des arguments présentés dans les appels dont je suis saisi. Comme je l’ai déjà dit, les deux scénarios factuels proposés n’ont pas à être mutuellement exclusifs dans tous les cas. Ainsi, l’entrée dans le commerce général peut être fortuite et accessoire à ce qui fait partie intégrante de la vie dans une réserve. Les deux scénarios existent dans cet exemple. La conclusion selon laquelle cela fait partie intégrante de la vie dans une réserve pourrait l’emporter en pareil cas. Dans un autre exemple, il pourrait être possible de séparer une activité du commerce général. Le fait qu’il y a pour la réserve un marché externe sur lequel est acheté le fruit d’une activité (que cette activité soit de nature commerciale ou non) qui existait traditionnellement, indépendamment de ce marché particulier à ce moment particulier, ne veut pas pour autant dire que l’activité « fait partie » de ce commerce général externe. Dans ce sens, ces deux scénarios ne seraient peut‑être pas considérés comme mutuellement exclusifs. Quoi qu’il en soit, des facteurs externes ne devraient pas nuire au droit de posséder un droit de propriété non assujetti à l’imposition lorsqu’il est détenu par un Indien en sa qualité d’Indien dans le cadre du mode de vie coutumier dans la réserve.

 

          4. Le paragraphe 87(2)

 

[146]  Le paragraphe 87(2) prévoit ce qui suit :

 

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

[147]  Les parties ne m’ont pas renvoyé à cette disposition. De fait, il semble qu’il en soit peu fait mention dans les décisions. En l’absence d’observations supplémentaires à ce sujet, il ne conviendrait pas que je lui accorde trop d’importance en tranchant les appels. Pourtant, il est bon de noter que le paragraphe 87(2) peut être interprété comme prévoyant que nul Indien n’est assujetti à l’impôt concernant l’usage de ses bateaux et de ses filets ni autrement soumis à l’impôt quant à l’un de ces biens. La leçon tirée de l’arrêt Nowegijick est qu’il faut donner une interprétation large aux mots « quant à ». Cela étant, si les biens ici en question sont les bateaux et les filets que les appelants utilisent pour gagner leur revenu, les appelants disposent d’un autre fondement leur permettant de revendiquer l’exemption prévue à l’article 87.

 

[148]  La question se résume alors à savoir si les bateaux et les filets sont les biens meubles d’un Autochtone situés dans une réserve conformément à l’alinéa 87(1)b). Si la question est ainsi posée, cela ne nous amène pas expressément à nous demander où les bateaux et les filets sont utilisés. Toutefois, cette question redevient pertinente lorsqu’il s’agit de décider en premier lieu si les bateaux sont « situés » dans une réserve.

 

[149]  Le fait que l’on situe un bien dans une réserve n’exige pas que ce bien soit utilisé exclusivement dans la réserve. Il faut plutôt examiner l’« emplacement prépondérant » du bien. Dans l’arrêt Mitchell, le juge La Forest a dit ce qui suit :

 

[...] pour décider si des biens personnels tangibles appartenant à des Indiens peuvent être exemptés de taxation en vertu de l’art. 87, il est approprié d’examiner le genre d’usage et de garde du bien pour déterminer si l’emplacement prépondérant du bien est vraiment situé sur une réserve. [...] Mais je répéterais qu’en l’absence d’un lien discernable entre le bien en question et l’occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien, les protections et privilèges des art. 87 et 89 ne s’appliquent pas[50].

 

[150]  Il est clairement possible de soutenir qu’il existe un lien discernable entre les bateaux et les filets et l’occupation de terres de réserve d’une part et le revenu que ces bateaux et filets permettent de gagner du fait de leur utilisation hors réserve d’autre part. Toutefois, cela ne serait pas suffisant pour déterminer l’emplacement de leur utilisation prépondérante.

 

[151]  Le critère de l’emplacement prépondérant a été appliqué dans l’arrêt Kingsclear Indian Band v. J.E. Brooks and Associates Ltd[51] :

 

[...] Selon ma compréhension de la preuve, on utilisait l’autobus pour transporter les enfants indiens de la réserve de Kingsclear aux écoles qui se trouvaient à l’extérieur de la réserve et pour les ramener à la réserve à la fin de la journée. Bien que la preuve ne l’ait pas établi précisément, je suppose que l’autobus scolaire était stationné sur la réserve la nuit et lorsqu’on ne l’utilisait pas pour le transport des enfants. Même sans cette dernière inférence, la preuve relative au mode d’utilisation de l’autobus scolaire et le lien discernable entre l’autobus et la réserve de Kingsclear dans les services d’éducation dispensés aux enfants indiens habitant la réserve démontrent, à mon avis, que l’« emplacement prépondérant » de l’autobus scolaire était la réserve de Kingsclear[52] [...]

 

[152]  Si on garde également à l’esprit le fait que les bateaux et les filets sont utilisés hors réserve uniquement parce que c’est le seul endroit où ils peuvent être utilisés, puisque c’est là qu’est le poisson, la décision rendue dans l’affaire Kingsclear étaye dans une certaine mesure une approche qui milite en faveur d’une exemption en vertu du paragraphe 87(2).

 

          5. L’article 35

 

[153]  Je n’ai pas à examiner cette partie de l’appel. Toutefois, je tiens à faire remarquer que je reconnais que la preuve soumise par M. Lytwyn visait dans une certaine mesure à satisfaire aux critères énoncés dans les arrêts R. c. Sparrow[53] et R. c. Van der Peet[54]. Cette preuve d’une tradition de pêche, avant le contact avec les Européens, tradition qui ne serait probablement pas simplement limitée à subvenir aux besoins des Autochtones, indiquait une culture qui nécessitait une tradition d’échanges réciproques entre les Autochtones, dans les régions de Norway House et de York Factory (lesquelles étaient composées d’Autochtones d’ascendance ojibway et crie). Mme Lovisek n’a pas jugé cette preuve suffisante. Même si Mme Lovisek a reconnu le recours à des barrages et à des filets avant le contact avec les Européens, ce qui répond à certains aspects des critères énoncés dans les arrêts Sparrow et Van der Peet, elle a affirmé qu’il fallait procéder à des recherches anthropologiques qu’elle n’avait pas elle‑même effectuées. Voici ce qu’elle a déclaré : [traduction] « Toute revendication de droits ancestraux concernant la pêche commerciale exige des recherches archéologiques, généalogiques, historiques et anthropologiques détaillées et des documents à l’appui afin d’établir que l’activité, dans ce cas‑ci la pêche commerciale, faisait partie intégrante de la culture distinctive des Autochtones en cause avant qu’ils entrent en contact avec les Européens. » Mme Lovisek pourrait bien avoir raison sur ce point. La preuve à l’appui d’un droit reconnu à l’article 35 est bien maigre. Même les mentions documentaires du droit historique de pêcher pour se procurer un revenu en nature ne se rapportent pas expressément à la période antérieure au contact.

 

[154]  Pourtant, je comprends bien l’argument que les appelants ont invoqué devant moi. Toutefois, dans les décisions, les tribunaux ne se montrent pas aussi compréhensifs. En outre, même si je reconnaissais qu’il est possible en l’espèce de conclure à l’existence d’une preuve suffisante permettant de tirer une conclusion selon laquelle l’activité en question s’inscrivait dans une tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive des Cris de Norway House avant le contact avec les Européens, il se pose une question de continuité. De plus, on a dit fort peu de choses au sujet de la raison pour laquelle je devrais reconnaître que l’imposition constitue une atteinte injustifiée de ce droit protégé s’il existait. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas à tirer de conclusion au sujet de l’application de l’article 35.

         

Partie 5. Conclusions

[155] Au début des présents motifs, j’ai fait remarquer que la preuve historique était importante dans mon analyse de l’application de l’exemption prévue à l’article 87. Il vaut la peine de répéter que son importance est double. Dans les deux cas, cela concerne l’application du critère des facteurs de rattachement. En appliquant ce critère, il faut tenir compte des facteurs historiques afin de décider s’il faut appliquer l’exemption en vue d’empêcher l’« atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu’Indien dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones »[55]. Les facteurs historiques peuvent également atténuer la portée de l’argument selon lequel l’activité qui entre dans le commerce général ne doit pas être traitée d’une façon différente qu’elle ne l’est dans le cas de concurrents non autochtones. La preuve historique établit que le gagne‑pain tiré de la poursuite de leurs occupations, qui comprennent la pêche, a toujours fait partie du mode de vie traditionnel des Autochtones de Norway House. Le fait que le monde extérieur récompense pareilles initiatives dans un contexte commercial moderne ne justifie pas pour autant le fait de diminuer le fruit de cette tradition en l’assujettissant à l’impôt.

 

[156]  En l’espèce, il n’y a pas de pente glissante qui devrait donner lieu à certaines préoccupations du fait que l’on permet à cette entreprise de tirer parti de l’article 87. Le fait de tirer parti du marché qui existe pour une ressource locale, en particulier une ressource qui, selon la tradition historique, assure un gagne‑pain aux Autochtones concernés, risque peu d’entraîner des abus.

 

[157]  Il semble presque évident que la nature de l’initiative, dans ce cas‑ci, n’est pas une stratégie nouvellement imaginée, visant à permettre de tirer parti d’une possibilité économique qu’offre le monde moderne au moyen d’un avantage fiscal. Quel est l’avantage obtenu sur les concurrents si les appelants sont protégés contre l’imposition en vertu de l’article 87? Les quotas et les prix sont assujettis à un contrôle. Même s’il existait un avantage, le droit à la protection contre l’imposition résulterait néanmoins, dans ce cas‑ci, d’un commerce reconnu, dont la nature rattache les appelants à la réserve en tant qu’Autochtones. Un tel lien a été établi d’une façon écrasante par l’analyse relative aux facteurs de rattachement qui est faite dans les présents motifs.

 

[158]  En plus des facteurs de rattachement expressément énumérés dont il a déjà été question dans les présents motifs, l’analyse comportait en soi l’examen de la façon dont l’activité était exercée. L’activité était administrée et contrôlée par la coop, une entreprise véritable établie en vue de permettre aux pêcheurs de gagner leur vie par des moyens traditionnels. La coop est une entreprise véritable de la réserve, qui sert la communauté de la réserve et qui est avantageuse pour cette communauté. De fait, comme il en a déjà été fait mention, cette entreprise est celle qui contribue le plus, sur le plan économique, à la vie dans la réserve, mis à part les fonds fournis par le gouvernement fédéral. L’appréciation des incidences de l’activité sur la communauté a une importance considérable et se voit accorder beaucoup de poids dans l’analyse. Les appelants sont sous l’égide de cette entreprise pour l’application de l’article 87.

 

[159] De plus, cette analyse, l’analyse relative aux facteurs de rattachement, comportait en soi l’examen de la nature du travail accompli par les appelants. Le Traité no 5 a reconnu que ce travail, à savoir la pêche, était important en vue d’assurer le gagne‑pain de la Nation crie de Norway House au moment de la création de la réserve. Que peut‑on dire de plus? Avec la manière dont ce travail est administré et contrôlé au profit de la communauté, ce facteur vient s’ajouter à un grand nombre de facteurs de rattachement convaincants qui éclipsent toute préoccupation à laquelle peut donner lieu le facteur du commerce général sur lequel l’intimée se fonde tant.

 

[160]  De plus, l’analyse était fondée sur le fait de reconnaître que la protection de la base économique de la vie dans une réserve est l’un des principaux buts de l’exemption d’impôt prévue à l’article 87. Dans l’arrêt Shilling c. Ministre du Revenu national[56], la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l’affaire Mitchell pour confirmer que l’article 87 était « destiné à protéger les Indiens de diverses façons contre l’érosion de leur base économique, à savoir les terres de réserve et les biens personnels appartenant à un Indien dans une réserve »[57].

 

[161]  La preuve a permis d’établir que l’imposition des appelants porterait atteinte à une base économique importante qui va bien plus loin que la création, par le monde extérieur du commerce, d’une source de revenus dans la réserve. Cette source a toujours existé et ses liens actuels ne sont pas des trompe-l’œil. Les liens avec la réserve sont réels et historiquement fondés. Cela étant, il est justifié de protéger le revenu en question contre toute diminution résultant de son imposition.

 

[162]  Lorsque je souligne l’importance de liens historiques véritables avec la réserve, je ne puis m’empêcher de faire des remarques au sujet de ma réaction, à savoir qu’appliquer trop strictement le critère du commerce général, ce serait exagérer son importance dans ce cas‑ci. Sa véritable valeur est mieux révélée dans des affaires telles que l’affaire Recalma, où les efforts que l’on avait déployés pour permettre à la communauté d’une réserve de se prévaloir d’un marché économique qui existait essentiellement uniquement en dehors de la réserve dans un monde financier qui n’avait aucun lien avec le patrimoine des gens de la réserve étaient voués à l’échec. À mon avis, c’est faire un pas en arrière que d’appliquer cette analyse‑là aux pêcheurs de Norway House qui gagnent un revenu dans le cadre d’une économie ancestrale locale.

 

[163]  La pondération des facteurs de rattachement exigera inévitablement l’appréciation du poids à accorder à chaque facteur. Dans la mesure où il est possible de dire que, dans l’ensemble, les facteurs qui, selon ce que j’ai conclu, militent en faveur de l’emplacement du revenu en question dans la réserve ne font pas pencher la balance autant que je l’ai donné à entendre, je puis uniquement ajouter qu’en pareil cas, je me prononcerais en faveur des appelants. L’article 87 doit se voir accorder une interprétation libérale lorsque, dans un cas comme celui‑ci, cela évite le risque que le gouvernement semble se fonder sur des énoncés légalistes pour porter atteinte aux initiatives protégées des Autochtones du Canada. Dans l’arrêt Nowegijick, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit au paragraphe 22 :

 

Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d’impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d’impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l’exemption.

 

[164]  Enfin, je tiens à faire remarquer que je conclus que les facteurs de rattachement qui sont ici les plus importants ne permettent pas de faire une distinction à l’égard d’un membre de la bande, comme Roger Saunders, qui choisit de vivre au sein de la communauté de Norway House, qui est membre de la coop, dont le port d’attache, pour ce qui est de la pêche, est situé dans la réserve et dont les activités de pêche sont presque identiques à celles de M. Robertson, simplement parce qu’il choisit d’avoir une résidence, dans la communauté, qui n’est pas située en tant que telle dans la réserve. Le facteur relatif à la résidence dans la réserve n’est que l’un des facteurs de rattachement[58]. En l’espèce, l’absence de ce lien ne tire pas à conséquence.

 

[165]  Par conséquent, pour tous ces motifs, les appels sont accueillis avec dépens.

 

         

Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 29e jour d’octobre 2010.

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mars 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


Annexe 1

 

 

 

 

2004-3561(IT)G

2004-3567(IT)G

2004-4573(IT)G

 

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

 

 

ENTRE :

 

 

RONALD ROBERTSON et ROGER SAUNDERS,

 

appelants,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

 

 

            Les parties, par l’entremise de leurs avocats respectifs, conviennent, pour les besoins du présent appel seulement ainsi que de tout appel en résultant, que les faits ci‑après énoncés sont exacts. Les parties pourront soumettre des observations au sujet du degré de pertinence ou du poids à accorder à ces faits, mais elles ne doivent pas être considérées comme en convenant.

 

            Les parties pourront chercher à présenter en preuve, à l’instruction, des faits supplémentaires, ces faits ne pouvant toutefois pas être incompatibles avec les faits qui sont ici exposés, sauf si elles y consentent.

 

            Le présent exposé ne liera pas les parties dans quelque autre instance; il ne peut pas être utilisé contre l’une ou l’autre partie en quelque autre circonstance que ce soit et il ne peut pas être utilisé par un tiers :

 

1.         L’appelant Ronald Robertson est un Indien selon la définition figurant à l’article 2 de la Loi sur les Indiens; il est membre de la Première nation de Norway House. La Première nation de Norway House a signé le Traité no 5.

 

2.         Norway House était signataire du Traité no 5 conclu entre Sa Majesté la Reine et les tribus indiennes des Saulteux et des Cris de la savane, à Beren’s River et à Norway House.

 

3.         La réserve de Norway House est située sur la rive sud du lac Playgreen, adjacent à la communauté de Norway House, laquelle n’est pas visée par un traité. Au mois de décembre 2000, la réserve de Norway House comptait environ 4 069 membres qui vivaient dans la réserve, alors qu’environ 1 454 membres vivaient hors réserve.

 

4.         L’appelant a toujours vécu dans la réserve de Norway House depuis sa naissance, en 1967. Au cours des années d’imposition en question, l’appelant habitait sur le chemin Papanaguis Point, dans la réserve de Norway House. (La résidence de l’appelant est indiquée à l’aide de la marque « X » dans la pièce 1 et d’un point rouge et de la marque « X1 » dans une autre version de la pièce 1.) Il vit à cet endroit depuis dix ans.

 

5.         Au cours des années d’imposition en question, l’appelant était pêcheur à son compte. Il a établi sa propre entreprise de pêche en 1992.

 

6.         L’appelant pêchait au lac Little Playgreen et au lac Winnipeg, qui sont tous deux situés hors réserve.

 

7.         L’appelant pêchait pendant les saisons de pêche d’été et d’automne. La saison de pêche d’été débute le 1er juin et se termine au cours de la première semaine du mois de juillet. L’appelant pêche pendant trois ou quatre semaines au cours de l’été. La saison de pêche d’automne dure de trois à quatre semaines; elle débute au cours de la première semaine du mois de septembre. Au cours des années d’imposition en question, l’appelant n’a pas pêché pendant la saison de pêche d’hiver.

 

8.         L’appelant possède deux camps de pêche, l’un au lac Spider et l’autre dans le bassin sud de Playgreen Point. Au cours de la saison de pêche, l’appelant passait environ la moitié de son temps ou 15 jours dans un camp de pêche. L’appelant passait la nuit dans les camps de pêche. Le camp de l’appelant, au lac Spider, est indiqué à l’aide de la marque « X1 » dans la pièce 6, avec un point et une ligne. Le camp de l’appelant, à Playgreen Point, est indiqué à l’aide de la marque « X2 » dans la pièce 6.

 

9.         L’appelant a indiqué à l’aide de points dans la pièce 6 les zones, dans le secteur du lac Spider (« X1 » dans la pièce 6), où il place ses filets de pêche dans l’eau. L’appelant place ses filets de pêche à environ 50 pieds ou 20 verges de la rive. L’appelant pêche également dans une zone située à environ 500 verges de la rive.

 

10.       L’appelant a indiqué à l’aide de la marque « X4 » dans la pièce 6 les trois zones dans lesquelles il pêche à Mossy Bay.

 

11.       L’appelant a indiqué à l’aide de la marque « X5 » dans la pièce 6 les zones dans lesquelles il pêche dans la partie sud du lac Playgreen.

 

12.       L’appelant a indiqué à l’aide de la marque « X6 » dans la pièce 6 les zones dans lesquelles il pêche dans la partie nord du lac Playgreen.

 

13.       L’appelant a indiqué à l’aide de la marque « X7 » deux autres camps de pêche qu’il utilise, mais dont il n’est pas personnellement propriétaire, où il passe la nuit dans une tente.

 

14.       Lorsque l’appelant pêche à Mossy Bay, il campe à Flett Island, également connue sous le nom de Sandy Islands.

 

15.       Lorsque l’appelant pêche dans le bassin nord du lac Playgreen, il se rend parfois en voiture de sa maison au poste Whiskey Jack, où son bateau est amarré.

 

16.        L’appelant a indiqué le lac Grassy à l’aide de la marque « X99 » dans la pièce 6.

 

17.        L’appelant apporte tous les jours sa prise aux postes d’emballage si les conditions météorologiques le permettent.

 

18.        L’appelant pêche le poisson blanc, le brochet, le doré, la perche et le meunier.

 

19.       La préparation et l’entretien de l’équipement de l’entreprise de l’appelant, tel que les filets, les bateaux et les moteurs, sont effectués dans la réserve pendant la saison morte. L’équipement et les fournitures de pêche de l’appelant étaient entreposés dans la réserve au cours de la saison morte.

 

20.       Au cours de la saison morte, l’appelant amarre son bateau à sa résidence. Au cours des années d’imposition en question, il a fait réparer son bateau chez Winnipeg Boat Works, à Gimli (Manitoba). L’appelant entretient également régulièrement son propre équipement.

 

21.       Les livres et registres de l’entreprise de l’appelant étaient conservés dans la réserve, à la résidence de l’appelant.

 

22.        Au cours des années d’imposition en question, l’appelant employait des assistants.

 

23.       Au cours d’une journée de pêche typique, au début de la saison, l’appelant va d’abord chercher ses assistants en camion et il part ensuite de sa résidence pour aller pêcher. Il fait un arrêt à la Norway House Fishermen’s Co‑operative (la « coop de Norway House ») afin de faire le plein et il fait ensuite un arrêt à Playgreen Point pour prendre de la glace. L’appelant se rend ensuite à l’un de ses camps afin de se préparer. Il laisse la glace au camp de pêche et il prépare ensuite ses engins de pêche et les aliments. Il prépare ses filets pour les mettre dans l’eau. L’appelant met ensuite ses filets dans l’eau. Il met habituellement ses filets dans l’eau vers 15 h, mais cela varie. L’appelant va ensuite vérifier ses filets, à peu près la moitié du temps, vers 16 ou 18 h; le reste du temps, il laisse les filets dans l’eau pour la nuit et les vérifie !e matin.

 

24.       Si l’appelant laisse les filets dans l’eau pendant la nuit, il les vérifie tôt le matin, vers 5 ou 6 h. Il faut à l’appelant environ trois ou quatre heures pour lever les filets. L’appelant jette ensuite de nouveau les filets dans l’eau vers 9 ou 10 h. L’appelant se rend ensuite sur la rive pour apprêter le poisson. L’appelant apprête également le poisson dans son camp de pêche, à Playgreen Point, et dans son camp de pêche, à Flett Island/Sandy Islands. L’appelant passe environ deux ou trois heures à apprêter le poisson. L’appelant effectue environ la moitié de l’apprêtage à bord de son bateau et l’autre moitié sur le quai. En général, le poisson est apprêté dans les camps de pêche ou à bord du bateau.

 

25.       Il faut à l’appelant environ une heure pour se rendre en bateau de sa maison à Playgreen Point. Il faut à l’appelant environ une heure pour se rendre de Playgreen Point au lac Spider. Le lac Spider est situé à une distance de 50 à 70 milles de la réserve de Norway House.

 

26.       Une barge est utilisée pour transporter le poisson de Playgreen Point à la coop de Norway House. Il y a des postes d’emballage à Playgreen Point et à Whiskey Jack Point. L’appelant utilise ces deux postes d’emballage. Le poste d’emballage à Playgreen Point est indiqué à l’aide de la marque « X3 » dans la pièce 6. Le poste à Whiskey Jack Point est accessible par la route. L’appelant livre son poisson à cet endroit lorsqu’il pêche dans le bassin nord du lac Playgreen. Lorsque l’appelant pêche dans le bassin sud du lac Playgreen ou au lac Winnipeg (à Mossy Bay ou à Spider Island), il utilise le poste d’emballage à Playgreen Point. Le poste d’emballage de Playgreen Point n’est pas accessible par voie terrestre, mais il l’est par barge. L’appelant apporte surtout son poisson au poste d’emballage de Playgreen Point, mais il l’apporte également parfois au poste d’emballage de Whiskey Jack (indiqué à l’aide d’un « X » dans la pièce 6). Aucun des deux postes n’est situé dans la réserve.

 

27.       Pendant que le poisson est classé aux postes d’emballage, l’appelant fait le plein du bateau et ses assistants nettoient les cuves à poisson.

 

28.       L’appelant pêche principalement dans quatre zones : 1) près de Spider Island, 2) à Mossy Bay (Two-Mile Channel), et 3) et 4) dans les bassins nord et sud du lac Playgreen. Pendant l’automne, l’appelant pêche dans le bassin nord du lac Playgreen. L’appelant pêche dans chacune de ces quatre zones pendant environ 25 p. 100 du temps. L’appelant reste à l’un ou l’autre de ces endroits pendant une semaine ou deux à la fois pour pêcher.

 

29.        L’appelant prend ses décisions commerciales là où il se trouve.

 

30.       Au cours des années d’imposition en question, l’appelant était membre de la coop de Norway House et il vendait sa prise à celle‑ci. La coop de Norway House agit à titre de mandataire de l’Office de commercialisation du poisson d’eau douce (l’« OCPED »).

 

31.        La coop de Norway House avait deux postes d’emballage, qui étaient tous deux situés hors réserve.

 

32.       La coop de Norway House avait un bureau d’administration situé dans la réserve et elle engageait ses propres employés dans la réserve, notamment un aide-comptable et un gérant. Le bureau de la coop de Norway House est indiqué à l’aide d’un point rouge et de la marque « X2 » dans la pièce 1.

 

33.       Les membres de la coop de Norway House ne sont pas tous membres de la Première nation de Norway House. Au cours des années d’imposition en question, la coop de Norway House comptait environ 52 membres : 48 Indiens inscrits qui vivaient dans la réserve et quatre Indiens non inscrits qui vivaient hors réserve.

 

34.       L’appelant détenait deux licences de pêche.

 

35.       La prise de l’appelant était achetée au complet par la coop de Norway House en sa qualité de mandataire de l’OCPED. La prise de l’appelant n’était pas vendue aux résidents de la réserve de Norway House ou utilisée par ceux‑ci.

 

36.       La coop de Norway House fournit de l’essence, du mazout et des filets aux pêcheurs sur la base crédit/débit.

 

37.       Les employés de la coop de Norway House sont rémunérés par la coop.

 

38.       L’OCPED n’a pas d’employés à la coop de Norway House.

 

39.       On classe le poisson en examinant chaque poisson séparément et en l’étiquetant comme étant « bon » ou « mauvais ». Le mauvais poisson est jeté et le bon poisson est ensuite trié par taille et par espèce et les rapports quotidiens de prises sont préparés.

 

40.       Le classement, la pesée, la mise sur glace, le tri par espèces et le comptage du poisson sont effectués aux postes d’emballage.

 

41.       Un rapport quotidien des prises est un reçu officiel, préparé aux postes d’emballage, indiquant la quantité de poisson vendue ainsi que l’espèce et le prix payé.

 

42.       La coop de Norway House a été constituée en personne morale le 12 juin 1962, avant la création de l’OCPED en 1969.

 

43.       Les quotas de pêche sont détenus par la Norway House Fishermen’s Cooperative, qui est située dans la réserve.

 

44.       Au cours des années d’imposition en question, l’appelant a déclaré un revenu d’entreprise net comme suit :

 

 

1999

2000

2001

2002

Revenu d’entreprise

24 995 $

25 990 $

13 282 $

17 970 $

Prestations d’assurance-emploi

10 690 $

  9 285 $

12 580 $

10 325 $

TOTAL

35 685 $

35 275 $

25 862 $

28 295 $

 

45.       Le revenu d’entreprise et les prestations d’assurance-emploi de l’appelant pour les années d’imposition en question résultaient de ses activités de pêche.

 

46.       L’appelant était rémunéré par chèque par la coop de Norway House à l’aide des sommes que l’OCPED remettait en fiducie à celle‑ci.

 

47.       Au cours des années d’imposition en question, l’appelant effectuait ses opérations bancaires à la Banque Royale du Canada, située dans le centre Rossville, dans la réserve. L’emplacement de la banque est indiqué à l’aide de la marque « X3 » dans la pièce 1.

 

L’OCPED

 

48.       L’OCPED a été établi en 1969 par la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce, L.R.C. 1985, ch. F‑13, afin de commercialiser le poisson, les produits du poisson et les sous‑produits du poisson et d’en faire le commerce au Canada et à l’étranger. Les objectifs de l’OCPED sont d’acheter tout le poisson légalement pêché qui lui est offert en vente et de stabiliser les prix du poisson pour le compte des pêcheurs.

 

49.        L’OCPED est une société d’État mandataire autonome à but non lucratif.

 

50.       L’OCPED achète, transforme et commercialise le poisson d’eau douce du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta, des Territoires du Nord‑Ouest et d’une partie du Nord‑Ouest de l’Ontario.

 

51.       L’objet et les pouvoirs de l’OCPED sont énoncés aux articles 7 et 8 de la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce.

 

52.       La Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce confère à l’OCPED le mandat d’acheter tout le poisson pêché commercialement au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et dans une partie du Nord-Ouest de l’Ontario qui lui est offert en vente. Toutefois, les pêcheurs peuvent également vendre le poisson aux consommateurs finaux s’ils le veulent.

 

53.       Dans le cadre de son mandat, l’OCPED cherche à créer un marché ordonné, à ouvrir des marchés internationaux et à accroître le commerce du poisson et le revenu des pêcheurs (par. 22(1) de la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce).

 

54.       L’OCPED achète le poisson pêché dans le lac Winnipeg par l’entremise d’un certain nombre d’agents privés et de coopératives situés le long du lac Winnipeg.

 

55.       Les relations entre les agents privés et les coopératives et l’OCPED sont régies par des mandats écrits.

 

56.       La coop de Norway House est une association ou une coopérative de pêcheurs située dans la réserve de Norway House.

 

57.       La relation entre la coop de Norway House et l’OCPED est régie par un mandat. Ce mandat entre la coop de Norway House et l’OCPED est le seul instrument qui régit la relation entre les parties.

 

58.       La coop de Norway House agit à titre de mandataire de l’OCPED aux fins de l’achat du poisson, à Norway House, aux termes du mandat. Elle n’agit pas à titre d’agent d’autres acheteurs de poisson. L’OCPED achète tout le poisson qui est vendu à la coop de Norway House.

 

59.       La Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce permet à l’OCPED d’établir une structure de paiement qui prévoit le versement de paiements initiaux et de paiements finaux aux pêcheurs selon un système de « mise en commun » dans lequel les recettes et les coûts sont répartis ou « mis en commun » par espèce de poisson en vue de la détermination des paiements finaux.

 

60.       En général, on fixe les prix initiaux pour chaque espèce en estimant sa valeur marchande, en soustrayant les frais prévus d’exploitation et de transformation et en conservant une réserve pour éventualités. Les pêcheurs reçoivent par chèque des paiements initiaux de la coop, à l’aide de l’argent que l’OCPED dépose en fiducie dans le compte de banque de la coop.

 

61.        Au début de chaque exercice, l’OCPED estime la valeur marchande du poisson pour l’année à venir.

 

62.       Au cours de la saison de pêche, au fur et à mesure que les pêcheurs livrent leurs prises, l’OCPED remet en fiducie à la coop, à l’intention des pêcheurs, 85 p. 100 du prix estimatif du marché.

 

63.       À la fin de l’exercice, une fois que le prix réel du marché du poisson est connu, les pêcheurs touchent la différence, le cas échéant, entre le montant représentant 85 p. 100 du prix estimatif du marché et le prix réel du marché.

 

64.       Les paiements de fin d’exercice, le cas échéant, sont versés aux pêcheurs au mois de novembre de chaque année, au moyen de chèques imprimés à l’OCPED, à Winnipeg.

 

65.       Au cours des années en question, l’OCPED a directement versé les paiements finaux aux pêcheurs.

 

66.       Une fois que les paiements finaux sont établis, l’OCPED enregistre tout revenu qui reste pour l’année à titre de bénéfice non réparti.

 

67.       L’OCPED verse à la coop 0,33 $ par kilogramme de poisson livré à l’OCPED. Ce montant comprend les salaires des employés pour les services d’emballage, de pesée, de classement et d’administration utilisés aux fins de l’exploitation de la coop.

 

68.        L’OCPED paie le poisson en fonction de la taille et de l’espèce.

 

69.       Une entreprise de transport par camion, Gardewine North, transporte le poisson de la coop de Norway House à l’OCPED, à Winnipeg.

 

70.        Lorsque le poisson arrive à l’OCPED, à Winnipeg, on en fait des filets, on le congèle en entier ou on le hache.

 

71.       À l’OCPED, toutes les espèces de poisson sont divisées en différents groupes aux fins de la commercialisation.

 

72.        L’OCPED commercialise le poisson à l’échelle interprovinciale et internationale.

 

73.        Environ 80 p. 100 du poisson de l’OCPED est vendu à l’étranger.

 

74.        L’OCPED commercialise presque tout le poisson aux États-Unis.

 

75.       L’OCPED est le plus gros fournisseur de poisson blanc en Finlande, de caviar de poisson blanc en Suède et en Finlande et de brochet en France.

 

76.        L’OCPED est doté d’un service interne chargé des ventes et de la commercialisation.

 

77.       L’OCPED commercialise le poisson de deux façons : au moyen de la vente directe à une grosse chaîne (comme Costco) et en ayant recours à des courtiers.

 

78.       Aux États-Unis, l’OCPED fait affaire avec des courtiers, à Chicago, à New York, au Michigan, en Ohio, au Minnesota, au Dakota du Nord et au Wisconsin.

 

79.       L’OCPED fait concurrence à d’autres fournisseurs de poisson sur les marchés internationaux. D’autres poissons d’eau douce, les produits de la mer et les produits de protéine lui font concurrence. La principale concurrence sur le marché canadien provient de la région des Grands Lacs, au Canada, comme la Presteve Fish Company et la Great Lakes Fishing Company. L’OCPED fait également concurrence à des produits de la mer, comme le saumon norvégien et la morue islandaise, ainsi qu’à d’autres produits de protéine comme le bœuf et le poulet.

 

80.       Le siège de l’OCPED est situé à Winnipeg (Manitoba), selon l’article 13 de la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce.

 

81.       L’OCPED est régi par un conseil d’administration composé de onze membres, dont le président et le directeur général.

 

82.        Le conseil d’administration se réunit six fois au cours de son exercice, à Winnipeg (Manitoba).

 

Les droits aux quotas

 

83.       Le poisson qui peut être commercialement pêché est géré, pour ce qui est de la quantité et de l’espèce, au moyen d’un système de quota.

 

84.       Au lac Winnipeg, chaque pêcheur titulaire d’une licence peut obtenir, au plus, de quatre à six quotas individuels (selon l’endroit où il réside). La coop de Norway House peut obtenir un quota pour Kiskittogisu, le lac Playgreen et le lac Winnipeg; selon la politique gouvernementale, l’accès à ces pêcheries est limité aux 52 membres de la coop de Norway House. Les 52 membres de la coop ont des droits égaux pour obtenir une licence dans ces zones. La coop de Norway House détient également dix‑sept quotas pour le poisson blanc.

 

85.       Le ministère provincial de la Gestion des ressources hydriques du Manitoba est chargé de la gestion du système de quota.

 

86.       Le lac Winnipeg est divisé en zones de pêche. Les zones sont délimitées au moyen de lignes reliant des caractéristiques géographiques, et ces zones sont désignées au moyen de lettres (par exemple, A, B, C, et ainsi de suite). Un pêcheur commercial qui vit à Norway House peut pêcher dans les zones M et G, au lac Winnipeg.

 

87.       La personne qui pratique la pêche commerciale ne doit pas, à moins d’y être autorisée par une licence, pêcher au filet dans un lac à moins de 1,5 kilomètre de l’emplacement où un ruisseau ou une rivière se jette dans le lac.

 

Les faits concernant Roger Saunders

 

88.       Au cours des années visées par les appels, l’appelant était membre de la Nation crie de Norway House.

 

89.       Au cours des années 2002 et 2003, soit les années visées par les appels, l’appelant vivait hors réserve, sur la route West Island.

 

90.        En 2002 et en 2003, l’appelant était pêcheur à son compte.

 

91.       L’appelant a obtenu sa propre licence de pêche commerciale en 1973 et il a commencé à pêcher commercialement cette année‑là. En 1973, l’appelant est devenu membre de la coop de Norway House.

 

92.       L’appelant pêche au lac Playgreen, au lac Winnipeg et au lac Grassy. Il a indiqué les endroits où il pêche sur une copie de la pièce 6.

 

93.        L’appelant passe à peu près autant de temps dans chaque zone où il pêche.

 

94.       L’appelant possède deux camps de pêche. L’un est situé au lac Grassy, près de Whiskey Jack Landing et l’autre est situé au lac Playgreen, à proximité de Sandy Island. L’appelant passait environ dix à 15 nuits dans ces camps au cours de la saison de pêche.

 

95.        Au cours des années d’imposition 2002 et 2003, l’appelant employait deux assistants.

 

96.       L’appelant a un bureau à domicile. Le bureau est doté d’un téléphone et d’un classeur. L’appelant conserve ses documents de pêche dans ce bureau.

 

97.       L’appelant amarre son bateau à Omand’s Point chez ses parents, dans la réserve de Norway House, au cours de la saison de pêche et de la saison morte.

 

98.        L’appelant conservait son équipement de pêche chez lui et chez ses parents.

 

99.        L’appelant pêchait le doré, le poisson blanc, le brochet et le mulet.

 

100.      L’appelant achète ses engins de pêche à la coop de Norway House.

 

101.      L’appelant effectue ses opérations bancaires à la Banque Royale, qui est située dans la réserve de Norway House.

 

102.      L’appelant travaille comme trappeur pendant la saison morte.

 

103.      L’appelant détient ses propres licences de pêche. Toutefois, les quotas de pêche de l’appelant sont détenus par la coop de Norway House. Il s’agit d’un quota ouvert que 52 pêcheurs détiennent collectivement. La coop assigne à chaque pêcheur son quota.

 

104.      Roger Saunders confirme que, sauf indication contraire ci‑dessus, les faits énoncés dans les présentes qui s’appliquent à Ronald Robertson s’appliquent également à lui.

 

INITIALEMENT DATÉ du 15 juillet 2009, à Winnipeg (Manitoba).

 

MODIFIÉ ET DATÉ du 4 mars 2010, à Winnipeg (Manitoba).

 

 

                                                                        Par :     [Illisible]

                                                                                    ___________________________

                                                                        Gérald L. Chartier

                                                                        Ministère de la Justice du Canada

                                                                        Région des prairies, bureau de Winnipeg

                                                                        301-310 Broadway

                                                                        Winnipeg (Manitoba) R3C OS6

                                                                        Avocat de l’intimée

 

 

MODIFIÉ ET DATÉ du 4 mars 2010, à Winnipeg (Manitoba).

 

                                                                        Par :     [Illisible]

                                                                                    ___________________________

                                                                                    Norman Boudreau

                                                                                    Booth Dennehy LLP

                                                                                    387 Broadway

                                                                                    Winnipeg (Manitoba) R3C 0V5

                                                                                    Avocat des appelants

 


 

Annexe 2

Observations

1. Les observations des appelants

[1]     Les appelants ont soumis des observations écrites en plus de présenter des arguments oralement.

 

[2]     Les appelants affirment que les activités de pêche en question se déroulaient dans un territoire traditionnellement mis à la disposition de la Nation crie de Norway House et utilisé par celleci comme source d’aliments et de revenu. Ce territoire, y compris les rivières et les lacs qu’il renferme, fait partie de la zone de gestion des ressources dans laquelle la Nation crie de Norway House possède des droits prioritaires de récolter le poisson, compte tenu des droits qui lui sont reconnus et qui sont confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est ce que confirme l’article 5.5.3 de l’AMOP qui prévoit ce qui suit :

 

[traduction]

 

La Nation crie de Norway House et le Manitoba reconnaissent que les Autochtones, et notamment la Nation crie de Norway House, possèdent sur le plan juridique des droits prioritaires à l’égard de la récolte du poisson et des ressources fauniques dans la zone de gestion des ressources de Norway House, compte tenu des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À l’article 15.1 de la CITN, le Manitoba s’est engagé, en principe, sous réserve de certaines restrictions, à accorder à la Nation crie de Norway House des droits prioritaires à l’égard des ressources fauniques dans la zone de gestion des ressources de Norway House traditionnellement mise à la disposition de la Nation crie de Norway House et utilisée par celleci comme source d’aliments et comme source de revenus, en nature ou autres. [Non souligné dans l’original.]

 

[3]     Compte tenu du témoignage d’expert, il est également déclaré que la Nation crie de Norway House pêchait commercialement avant l’adhésion au Traité no 5, de sorte que la désignation des activités des appelants en tant que pêche commerciale ne constituait pas un changement de nature de lactivité exercée il y a plus de 140 ans. À l’appui de ces assertions, les appelants se fondent en partie sur l’adoption par M. Lytwyn de la conclusion tirée par M. Frank Tough :

 

            [traduction]       

 

            [...] L’examen des journaux de Norway House, entre 1872 et 1876, révèle qu’il existait un cycle distinct de pêche : le brochet était pêché au début du printemps; au début de l’été, on pêchait plutôt l’esturgeon; on pratiquait encore la pêche à la fin de l’été; la pêche cruciale de l’automne était axée sur le poisson blanc; et le poisson blanc était encore une fois exploité intensivement après l’englacement. Les postes achetaient également des quantités appréciables d’esturgeon des Indiens à la fin de l’hiver. Somme toute, les Indiens s’adonnaient à la pêche à des fins d’échange commercial avant la conclusion des traités. [...]

 

[4]     En ce qui concerne le témoin expert de l’intimée, les appelants soutiennent que Mme Lovisek n’a pas procédé à une étude indépendante des habitudes de pêche des Cris de Norway House avant 1875. Le mandat de Mme Lovisek consistait plutôt à chercher des points faibles dans le rapport de M. Lytwyn. Selon les appelants, la méthode selon laquelle aucune étude indépendante des habitudes de pêche des Cris de Norway House avant 1875 n’était incluse n’aide pas la Cour à se faire une idée complète de l’aspect historique. En outre, le fait que Mme Lovisek a rejeté la pêche en tant qu’activité de troc ou d’échange avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, ou en tant que dette de la part de cette dernière, comme preuve de pêche commerciale était inacceptable comme l’était également la conclusion que Mme Lovisek a tirée, à savoir que le degré dactivité avait un rôle à jouer dans la définition de la pêche commerciale.

 

[5]     Le revenu tiré de la pêche constitue un bien meuble protégé contre l’imposition en vertu du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens s’il est situé dans la réserve. Il est affirmé que les droits au revenu résultant des activités de pêche étaient dévolus aux appelants d’une façon traditionnelle qui est suffisamment liée à la réserve pour satisfaire aux exigences de cette disposition.

 

[6]     Les appelants invoquent des arrêts tels que les arrêts Mitchell et Williams en vue de souligner que l’article 87 vise à protéger les Autochtones contre tout effort qui est fait pour les déposséder de biens qu’ils possèdent en leur qualité d’Indiens. L’objet de l’exigence voulant que le bien soit situé « dans une réserve » vise à aider à déterminer si un Autochtone possède le bien en question en tant que partie intégrante du droit qu’il possède en sa qualité d’Indien dans la réserve. La restriction voulant que les biens que les Autochtones emploient dans le commerce général ne soient pas protégés ne s’applique pas à l’égard d’une activité qui a été et qui est encore exercée dans le cadre de leur mode de vie traditionnel sur les mêmes terres et dans les mêmes cours d’eau que ceux qu’ils utilisaient avant la colonisation européenne.

 

[7]     Les appelants ont fait valoir que la prise en compte de l’objet du critère des facteurs de rattachement élaborés dans l’arrêt Williams mène à la conclusion selon laquelle le situs de la créance en question, qui résulte de la pêche, doit être considéré comme étant dans la réserve. Conclure le contraire en accordant trop de poids au facteur géographique et à d’autres facteurs de non‑rattachement, c’est porter atteinte à des biens appartenant aux Indiens en leur qualité d’Indiens dans une réserve. Un tel point de vue est aussi erroné dans ce cas‑ci que cela l’aurait été dans 1’affaire Clarke, si ce n’avait été de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Clarke, le juge Linden a conclu qu’une travailleuse exerçant un emploi hors réserve gagnait son revenu dans la réserve, étant donné les circonstances entourant son emploi et les antécédents de l’entreprise pour laquelle elle travaillait.

 

[8]     Quant à l’approche adoptée dans l’arrêt Southwind, à savoir que le fait de faire des affaires hors réserve place plus facilement un Autochtone dans le commerce général, de sorte que celui‑ci n’a plus droit à l’exemption d’impôt, les appelants soutiennent qu’une telle approche ne peut pas s’appliquer au revenu gagné dans le cadre du mode de vie coutumier de la Nation crie de Norway House. Il a été soutenu que la décision rendue dans l’affaire Recalma montre clairement que le critère à appliquer est de savoir si le revenu générant l’activité est étroitement lié à la vie dans la réserve, s’il en fait partie « intégrante », par opposition à une activité commerciale dans le commerce général.

 

[9]     S’il est conclu que le situs du débiteur est pertinent, il est soutenu que, si c’est l’Office qui était le débiteur, en sa qualité d’agence de la Couronne, son emplacement à Winnipeg n’est pas déterminant, étant donné que cet organisme peut être poursuivi n’importe où1. Selon les appelants, c’est plutôt la coop, qui est située dans la réserve, qui est débitrice.

 

[10]    Les appelants invoquent plusieurs décisions dans lesquelles le fait que l’activité générant le revenu était exercée hors réserve n’empêchait pas pour autant de conclure que le revenu était situé « dans une réserve »2.

 

[11]    Les appelants ont également cherché à faire une distinction à l’égard de la décision rendue dans l’affaire Bell, où le revenu gagné par les Autochtones, qui étaient employés par une entreprise de pêche qui les rémunérait dans la réserve, a été jugé imposable.

 

[12]    Les appelants soulignent qu’en plus de la preuve d’expert, le Traité même reconnaît et garantit que la pêche fait partie de la tradition, de la culture et du mode de vie des Cris de Norway House. Les applications contemporaines de cette tradition ne peuvent pas être considérées comme entraînant une protection moindre ou une diminution des avantages reconnus en vertu du Traité et de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[13]    Les appelants sollicitent une conclusion qui respecte et qui maintient l’esprit des obligations reconnues à l’article 87, même si la réalité contemporaine semble donner, quant aux circonstances, une idée différente des activités de pêche exercées de nos jours. Ils affirment que la vie telle qu’elle a évolué ne change rien aux obligations historiques.

 

[14]    Les appelants affirment posséder les biens en question dans le cadre des droits qu’ils ont en leur qualité d’Indiens dans la réserve. L’exemption fiscale est compatible avec le fait que l’on veille à ce que leur mode de vie traditionnel ne puisse pas être compromis.

 

[15]    Les appelants soulignent qu’ils pêchent dans des eaux directement accessibles depuis la réserve, qui font partie de la zone de gestion des ressources. Leurs attaches hors réserve sont situées sur des terres qui constituent « en principe » une réserve; de plus, les appelants font quotidiennement des affaires avec la coop, qui est située, dans tous les sens du terme, dans la réserve.

 

[16]    Le travail des appelants fait autant partie de l’essence de la communauté dans la réserve qu’il en faisait partie par le passé.

 

[17]    Enfin, les appelants affirment que 1’allégation de 1’intimée selon laquelle l’article 13 de la CTRN les empêche de demander une exemption d’impôt ne peut pas tenir s’il est conclu qu’ils possèdent un droit ancestral ou un droit issu des traités de pêcher pour gagner un revenu. La portée et l’objet de l’entente visent à préciser la compétence de la province et à assurer à celle‑ci le contrôle de ses ressources. Il n’y a rien dans cette entente qui permette de tirer la conclusion préconisée par l’intimée. Quoi qu’il en soit, même si l’entente était censée empêcher l’exemption, elle serait inefficace parce qu’elle serait contraire à la Loi constitutionnelle.

 

2. Les observations de l’intimée

 

[18] L’intimée soutient que le revenu d’entreprise que les appelants ont tiré de leurs activités de pêche au cours des années en question n’est pas situé dans une réserve comme l’exige l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Selon 1’intimée, l’application des facteurs de rattachement au revenu d’entreprise, telle qu’il en est fait mention dans l’arrêt Southwind, indique un situs hors réserve.

 

[19] L’intimée conclut que les appelants se livrent à des activités purement commerciales, des assistants qu’ils emploient les aidant dans ces activités, principalement exercées hors réserve. Il est affirmé que les appelants passent une à deux semaines dans des camps de pêche situés hors réserve, qu’ils pêchent dans des eaux qui ne font pas partie de la réserve et qu’ils livrent le poisson à deux postes d’emballage situés hors réserve3.

 

[20]    En réponse à l’argument des appelants selon lequel la plupart de ces activités se déroulent dans la zone de gestion des ressources, l’intimée soutient que rien ne montre que quelque terre décrite comme étant une terre de remplacement en vertu de 1’AMOP avait acquis le statut de réserve au cours des années en question ou qu’elle a maintenant le statut de réserve.

 

[21]    En outre, l’intimée fait valoir que les appelants n’ont qu’un seul client, l’Office. Il s’agit d’une société d’État, située à Winnipeg, qui transforme et vend le poisson sur les marchés libres interprovinciaux et internationaux. La coop est un mandataire de l’Office; elle achète le poisson des appelants conformément à un mandat. Elle paie les pêcheurs à l’aide de l’argent que l’Office lui envoie en fiducie. En sa qualité de mandataire, la coop ne peut pas être considérée comme la débitrice des appelants.

 

[22]    Les prises des appelants ne sont pas vendues dans la réserve. Elles vont plutôt directement dans le commerce général, comme les prises des autres pêcheurs et de diverses entreprises. Cela veut dire que les appelants ont décidé de se lancer dans le commerce général du Canada et qu’ils doivent donc être traités de la même façon que tous les autres Canadiens. Aucun fondement législatif ne les exempte de l’impôt sur le revenu à l’égard de leur revenu d’entreprise.

 

[23]    L’intimée demande à la Cour de suivre l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Bell et de conclure que le revenu de pêche provient d’une activité commerciale et n’est pas situé dans la réserve, étant donné que les faits de la présente affaire sont presque identiques à ceux de l’affaire Bell.

 

[24]    Quant à la preuve historique, l’intimée soutient qu’elle n’est pas suffisante pour situer les revenus des appelants dans la réserve. Cette preuve n’établit, sur le plan historique, aucun lien entre le revenu d’entreprise actuel et la réserve. Elle ne fournit pas non plus de fondement en ce qui concerne l’existence d’un droit ancestral de pêcher commercialement.

 

[25]    L’intimée reproche à M. Lytwyn le fait que, dans son rapport, celui‑ci a omis de signaler que les Autochtones mentionnés dans un certain nombre d’inscriptions de journal sur lequel il se fonde pour conclure que les Autochtones pratiquaient la pêche commerciale avec la Compagnie de la Baie d’Hudson avant l’année 1872 étaient en fait les employés de la Compagnie qui y apportaient le poisson. En outre, l’intimée signale que M. Lytwyn aurait apparemment admis que les Autochtones mentionnés dans les extraits de journal du poste aidaient probablement les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson. M. Lytwyn n’a pas non plus été en mesure d’identifier les Autochtones qui apportaient le poisson au poste et d’établir s’ils étaient réellement les ancêtres de la bande de Norway House. L’intimée maintient que M. Lytwyn n’a pas donné d’exemples d’Autochtones engagés dans le troc ou l’échange du poisson avec la Compagnie, sauf pour quelques opérations isolées. Il a plutôt uniquement démontré que les Autochtones avaient un rôle important pendant qu’ils étaient employés par la Compagnie de la Baie d’Hudson.

 

[26]    De même, l’intimée affirme qu’il n’existe presque aucun élément de preuve montrant que le commerce de l’isinglass provenait d’un commerce avec les Autochtones qui étaient des ancêtres de la Nation crie de Norway House.

 

[27]    L’intimée soutient que l’allégation des appelants selon laquelle ceux‑ci possèdent des droits ancestraux et des droits issus des traités de pêcher commercialement sans être assujettis à l’impôt n’est pas fondée et n’est pas étayée par la preuve soumise à l’instruction. Selon l’intimée, même si de tels droits existaient, ces droits ont été éteints au moyen de la CTRN, une modification de la Loi constitutionnelle effectuée en 1930. Dans l’arrêt R. c. Horseman4, la Cour suprême du Canada a conclu que la CTRN avait éteint le droit issu des traités de chasser commercialement. L’entente qui était en litige dans cette affaire‑là n’était pas la convention de transfert conclue au Manitoba, mais elle était néanmoins identique à celle qui s’applique en l’espèce. Par conséquent, selon l’intimée, les appelants ne peuvent pas soutenir qu’il a été porté atteinte à leur droit constitutionnel de pêcher sans être assujettis à l’impôt.

 

[28]    En outre, l’intimée soutient que le Traité no 5 ne prévoyait pas un droit de pêche commerciale. Quoi qu’il en soit, même s’il prévoyait un tel droit, les dispositions de la CTRN et le fait que le Traité était assujetti aux règlements que le gouvernement du Canada peut de temps à autre prendre ont pour effet de modifier ce droit.


 

Annexe 3

 

 Rapports des experts

 

A.    Le rapport de M. Lytwyn, intitulé : « Report on the Aboriginal Commercial Fishery in the Norway House District Before Treaty #5 (1875) » a été déposé par l’avocat des appelants.

 

Le curriculum vitae (le « CV »)

                                                                  

1.       M. Lytwyn est titulaire d’une maîtrise (1981) et d’un doctorat (1993) de l’université du Manitoba. Sa thèse de doctorat était intitulée : « The Hudson Bay Lowland Cree in the Fur Trade to 1821: A Study in Historical Geography. »

 

2.       M. Lytwyn a publié deux ouvrages et il a contribué, à titre d’auteur ou de coauteur, à 15 chapitres d’autres publications académiques portant sur divers aspects historiques de la vie autochtone à divers moments et en divers endroits.

 

3.       Les travaux de M. Lytwyn englobaient clairement des recherches sur divers aspects de la vie autochtone, notamment la chasse et la pêche. Les recherches publiées traitant des activités de pêche ne se rapportent pas expressément aux activités de pêche des Cris des hautes terres, qui étaient les ancêtres des Autochtones faisant maintenant partie de la bande de Norway House, mais elles comprennent des recherches sur la région de la rivière à la Pluie (les pêcheurs ojibways au sudest de Norway House, au Manitoba et en Ontario) et sur la pêche autochtone dans la région des Grands Lacs, notamment les îles où la Nation des Saugeen pratique la pêche, au lac Huron.

 

4.       Il va sans dire que cela ne rend pas justice au CV de dix pages, dans lequel étaient mentionnés 44 exposés présentés lors de conférences, dont dix ont été présentés au cours des cinq dernières années et dont un grand nombre mettait l’accent sur la place occupée par la Compagnie de la Baie d’Hudson dans l’histoire des Autochtones du nordouest de l’Ontario et du Manitoba.

 

La qualification de M. Lytwyn à titre d’expert

 

1.       L’avocat des appelants a proposé de faire qualifier M. Lytwyn à titre [traduction] d’« expert en géographie historique, notamment en ce qui concerne les droits de pêche issus des traités et les droits de pêche ancestraux ainsi que l’histoire de la traite des fourrures à laquelle se livraient les Autochtones, y compris les sources historiques et en particulier les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson ».

 

2.       L’avocat de l’intimée ne voulait pas que M. Lytwyn soit qualifié à titre d’expert en ce qui concerne les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson et les droits de pêche ancestraux.

 

3.       Les titres de compétences de M. Lytwyn me convainquent qu’il peut être qualifié à titre d’expert comme l’ont demandé les appelants; toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il doit être présenté comme étant un expert dans le domaine des « droits » de pêche ancestraux, historiques ou autres. Je le qualifie comme on l’a demandé, mais en remplaçant [traduction] « les droits de pêche ancestraux » par les [traduction] « pratiques de pêche autochtones historiques ». La thèse de doctorat de M. Lytwyn à elle seule permet de le qualifier pour ce qui est de sa capacité à exprimer des opinions utiles et dignes de foi à partir des documents de la Compagnie de la Baie d’Hudson auxquels il a un accès impressionnant si facile. Le fait que M. Lytwyn a été l’auteur de travaux académiques sur la pêche autochtone indique uniquement sa capacité d’effectuer ces travaux et me permet de reconnaître qu’il est en mesure d’exprimer une opinion d’expert à ce sujet, même dans des domaines autres que ceux sur lesquels il a écrit. À vrai dire, les domaines sur lesquels M. Lytwyn a écrit indiquent sans aucun doute qu’il s’est livré à un plus grand nombre de recherches susceptibles d’être évaluées par ses pairs que ce que pourraient démontrer les opinions qu’il a exprimées dans son rapport, mais cela en soi n’enlève rien à son expertise lorsqu’il s’agit de présenter une opinion d’expert digne de foi.

 

Le rapport

 

1.    En 1826, le poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson (parfois appelée la CBH dans la présente annexe) à Norway House était situé à son emplacement actuel, parce que cet emplacement était approprié comme poste de transbordement des marchandises à destination ou en provenance de York Factory, dans la baie d’Hudson, et qu’il était situé près d’une pêcherie qui constituait la principale source d’approvisionnement alimentaire du poste. Les emplacements antérieurs, dont le premier a été établi en 1796, n’ont pas été indiqués avec exactitude.

 

2.    À cause de son importance en tant que plaque tournante de transport ou en tant que poste de transbordement, Norway House était l’un des principaux établissements de la CBH. Le poste servait de dépôt intérieur pour les marchandises européennes arrivant à York Factory et pour les marchandises partant de York Factory à destination de l’Europe.

 

3.    La CBH comptait sur le poisson pour nourrir ses employés à Norway House ainsi que pour approvisionner les brigades en canot qui arrivaient et qui partaient. La CBH employait à plein temps des pêcheurs non autochtones ainsi que des Autochtones locaux. Les Autochtones qui n’étaient pas employés pêchaient également dans la région et vendaient souvent leur prise à la CBH, au poste. Il s’agissait d’un complément nécessaire à l’exploitation du poste. La pêche de l’esturgeon était particulièrement importante en tant qu’entreprise commerciale pour les Autochtones de la région. La chair d’esturgeon, fraîche ou séchée, était un article de commerce que la CBH achetait. L’huile d’esturgeon était achetée comme combustible pour les lampes et comme assaisonnement pour le poisson séché. Les Autochtones transformaient les vessies natatoires d’esturgeon en une substance appelée isinglass que la CBH achetait.

 

4.    Certains éléments de preuve montrent que, même avant l’établissement du poste, à Norway House, les marchands d’esturgeon de York Factory effectuaient de gros achats auprès des Indiens des hautes terres, qui comprenaient les Cris des hautes terres du district de Norway House. L’emplacement des pêcheries produisant l’esturgeon qui était vendu à York Factory au 18e siècle ne peut pas être établi d’une façon précise à l’aide des documents disponibles, mais M. Lytwyn a affirmé que l’esturgeon provenait probablement en partie de la région nord du lac Winnipeg, près de Norway House. Les premiers explorateurs de la CBH qui ont visité la région de Norway House ont noté qu’il y avait une pêcherie d’esturgeon à cet endroit.

 

5.    L’abondance des pêcheries dans les lacs situés près de Norway House avant l’adhésion au Traité est fort bien documentée. Ainsi, Robert Hood, qui a accompagné John Franklin lors de son expédition dans la région arctique, a écrit ce qui suit, depuis Norway House, en 1819 : [traduction] « Le lac Playgreen est plein de beaux poissons, en particulier des esturgeons, que l’on ne trouve pas dans les rivières situées à l’est de la roche peinte ni dans les rivières situées au nord du portage aux grenouilles. »

 

6.    Dans son rapport, M. Lytwyn mentionne de nombreux exemples d’inscriptions figurant dans les journaux de la CBH attestant les échanges commerciaux de poisson avec les Autochtones, à Norway House. M. Lytwyn exprime l’opinion selon laquelle la CBH, en plus d’obtenir des approvisionnements de poisson des pêcheurs qu’elle employait, aurait également été obligée d’acheter du poisson des Autochtones en tant que complément des aliments nécessaires à l’exploitation du poste et à l’approvisionnement des brigades de canots. Il a également noté que l’on faisait le commerce de l’huile d’esturgeon, de la chair d’esturgeon et de l’isinglass.

 

7.    Au 19e siècle, il existait une demande pour l’isinglass en Europe. Les Cris avaient traditionnellement utilisé l’isinglass comme colle et comme agent liant pour la peinture. L’isinglass avait de la valeur pour la CBH, parce qu’elle pouvait le revendre à profit sur les marchés européens. En Europe, l’isinglass était utilisé dans la fabrication d’une vaste gamme de produits, avant l’arrivée de composés synthétiques tirés de produits pétrochimiques.

 

8.    Le commerce de l’isinglass dont il est fait état à Norway House a débuté en 1812; les registres d’achat sont énumérés dans le rapport de M. Lytwyn. Le commerce de l’isinglass à Norway House a connu des creux, mais ces creux étaient apparemment attribuables à la chute des prix, qui rendait sa production peu attrayante pour les Autochtones. Toutefois, le commerce a repris bien des années avant l’année 1875. Les déclarations du district de Norway House indiquent un commerce stable relativement important d’isinglass au cours de la période qui a précédé la signature du Traité, les années 1873‑1874 ayant été celles au cours desquelles le commerce était à son point culminant, 582 livres d’isinglass ayant été achetées par la CBH. Il fallait près de 6 000 esturgeons de taille moyenne pour produire cette quantité.

 

9.    Pour compléter ce tableau, je note que les documents de la CBH concernant les années 1870‑1871 et 1872‑1873 renferment la liste des endroits, dans le district de Norway House, où le commerce de l’isinglass était effectué. Ces documents montrent que le poste de Norway House était le principal fournisseur d’isinglass du district et qu’il avait fourni 334 livres d’isinglass en 1870‑1871 et 259 livres en 1872‑1873, sur une quantité totale, pour ces périodes, de 394 et de 404 livres respectivement fournies par trois autres postes du district.

 

10.   En outre, M. Lytwyn fait remarquer que l’échange commercial de produits du poisson tels que l’isinglass s’est poursuivi après la signature du Traité no 5, en 1875, comme cela a été le cas pour l’huile de poisson, qui était également fabriquée à des fins de commerce avant l’année 1875.

 

11.   En 1882, Ebenezer McColl, inspecteur des agences indiennes pour la surintendance du Manitoba, déplorait la destruction du poisson à laquelle se livraient les Autochtones qui vendaient de l’huile de poisson. Dans son rapport de 1882, il faisait remarquer que ce n’était qu’au cours des dix dernières années que les Autochtones avaient commencé à fabriquer de l’huile de poisson pour en faire le trafic, et ce, en quantités restreintes jusqu’en 1879, lorsqu’environ 1 000 gallons avaient été fabriqués et vendus à des marchands.

 

12.   M. Lytwyn conclut son rapport en citant l’ouvrage de Frank Tough, intitulé : « As Their Natural Resources Fail : Native Peoples and the Economic History of Northern Manitoba 1870-1930 »1 :

 

[traduction]

 

L’examen des journaux de Norway House, entre 1872 et 1876, révèle qu’il existait un cycle distinct de pêche : le brochet était pêché au début du printemps; au début de l’été, on pêchait plutôt l’esturgeon; on pratiquait encore la pêche à la fin de l’été; la pêche cruciale de l’automne était axée sur le poisson blanc; et le poisson blanc était encore une fois exploité intensivement après l’englacement. Les postes achetaient également des quantités appréciables d’esturgeon des Indiens à la fin de l’hiver. Somme toute, les Indiens s’adonnaient à la pêche à des fins d’échange commercial avant la conclusion des traités.

 

La réplique déposée à l’égard du rapport présenté en contre‑preuve par Mme Lovisek

 

1.       M. Lytwyn a eu la possibilité de répondre au rapport que Mme Lovisek avait présenté en contre‑preuve. En réponse à ce rapport, M. Lytwyn a procédé à des recherches additionnelles dans les archives de la CBH afin de répondre à un certain nombre de points que Mme Lovisek avait soulevés en contre‑preuve. Il a conclu que ces recherches additionnelles ne faisaient que confirmer la conclusion qu’il avait tirée, à savoir qu’il existait une pêche commerciale autochtone dans le district de Norway House avant la signature du Traité no 5.

 

2.    Dans son premier rapport, M. Lytwyn a reconnu avoir principalement examiné les journaux de la CBH concernant le poste de Norway House ainsi que les rapports du district, mais n’avoir examiné que certains livres de comptes de Norway House. Dans sa réplique, M. Lytwyn a examiné 261 livres de comptes additionnels de Norway House et toute une série de documents divers se rapportant à Norway House jusqu’en 1875. Il a été soutenu que la lecture des journaux du poste, à Norway House, ainsi que d’autres documents de la CBH, donnait une idée plus exacte du commerce qui était fait avec les Autochtones du district de Norway House. De fait, M. Lytwyn a critiqué la contre‑preuve de Mme Lovisek pour le motif que le rapport de cette dernière était presque entièrement fondé sur des journaux du poste de la CBH desquels fort peu de renseignements pouvaient être tirés si ces journaux étaient examinés isolément, étant donné qu’ils tendaient à mettre l’accent sur la traite des fourrures.

 

3.    M. Lytwyn n’est pas en désaccord avec Mme Lovisek lorsqu’elle souligne qu’un grand nombre d’exemples de commerce autochtone constituent simplement des exemples d’Autochtones qui aident ou accompagnent le personnel de la CBH. Cependant, M. Lytwyn a continué à soutenir que la CBH avait un tel besoin de poisson et de produits du poisson qu’il fallait avoir recours à des pêcheurs qui étaient employés (Autochtones ou non) ainsi qu’à des pêcheurs autochtones qui, bien qu’ils n’aient pas été employés par la CBH, accompagnaient les pêcheurs employés et les aidaient2. Ces autres pêcheurs auraient reçu une contrepartie, qui n’était pas consignée par écrit, pour leurs efforts et, de toute façon, même si l’on reconnaissait que des pêcheurs autochtones et des assistants autochtones étaient employés, cela ne changerait rien aux documents de la CBH, qui indiquent que les Autochtones de l’endroit faisaient également, indépendamment, le commerce du poisson au poste. M. Lytwyn est allé plus loin, même lorsqu’il a été rigoureusement contre‑interrogé, et il a souligné qu’à son avis, aider le personnel de la CBH, sans paiement, ce serait fournir de l’aide dans le contexte commercial, étant donné qu’aucune aide de ce genre, compte tenu des traditions et de la culture autochtones, ne serait fournie sans que les Autochtones s’attendent à recevoir une contrepartie du poste, sous une forme ou une autre. Ainsi, ils s’attendraient, en contrepartie de l’aide fournie, à ce que des aliments et 1’hébergement leur soient fournis lorsque les temps étaient difficiles. J’ai accepté cette preuve comme établissant un genre de revenu en nature.

 

4.    M. Lytwyn critique Mme Lovisek lorsqu’elle invoque l’incertitude de la nature de la relation existant entre la CBH et les pêcheurs autochtones pour miner ses opinions sans donner elle‑même de précisions au sujet de la situation. M. Lytwyn a simplement offert son point de vue, à savoir qu’il existait une relation réciproque entre la CBH et les Autochtones du district de Norway House. Qu’ils aient besoin d’être nourris ou d’être hébergés, d’utiliser les installations d’entreposage du poisson de la CBH pendant l’hiver ou d’obtenir des produits tels que de l’huile de poisson ou de l’écorce pour les canots, tout cela était offert en échange de l’aide que les Autochtones fournissaient à la Compagnie dans le cadre de ses activités de pêche. Le commerce effectué au poste était réciproque et, en ce sens, il était de nature commerciale.

 

5.    Cette réciprocité n’empêcherait pas le poste de fournir du poisson aux Autochtones lorsqu’ils étaient affamés et qu’ils comptaient sur la CBH pour leur survie. Le fait que Mme Lovisek donne des exemples de la chose ne change rien, de l’avis de M. Lytwyn, à l’existence d’un commerce interdépendant permettant de conclure à une activité commerciale suffisante à l’égard de la pêche et des pêcheries autochtones pour étayer l’avis selon lequel les Autochtones du district de Norway House pratiquaient la pêche commerciale lors de la signature du Traité.

 

6.    Dans sa réplique, M. Lytwyn cite d’autres écrits dans lesquels la relation réciproque entre les marchands et les Autochtones est qualifiée de commerce dans un sens bien réel du terme. Il ne semble pas s’agir de relations économiques, mais les relations étaient entretenues dans la poursuite d’un intérêt personnel. Le partage d’une prise constituait du commerce dans un contexte matériel et dans un contexte culturel.

 

7.    Dans la réplique, il est également de nouveau fait mention des renseignements détaillés figurant dans les déclarations du district de Norway House concernant l’isinglass, lesquelles sont disponibles pour presque toutes les années antérieures à l’année 1875.

 

8.    M. Lytwyn déclare que la définition que Mme Lovisek a donnée d’une pêche commerciale est trop stricte et qu’elle est désuète.

 

9.    D’autres géographes historiques qui ont rédigé des comptes rendus au sujet de territoires voisins ont conclu ce qui suit : [traduction] « Il est certain que la traite des fourrures n’aurait pas été une entreprise rentable pour les Canadiens d’origine européenne si les Autochtones avaient refusé de leur vendre des aliments ou de travailler pour eux moyennant des salaires fort modestes, pour faire la pêche, la chasse ou la récolte »3.

 

10.   Ces travaux, ainsi que d’autres qui sont également cités, se rapportent à d’autres territoires, mais M. Lytwyn fait valoir d’une façon convaincante que les Autochtones partout au Canada comptaient sur la pêche à des fins alimentaires et à des fins de commerce.

 

11.   M. Lytwyn critique également certaines observations ou hypothèses de Mme Lovisek, par exemple lorsque celle‑ci affirme qu’il n’y avait pas d’étalon pour le troc de denrées, alors qu’en fait la CBH utilisait fort clairement un étalon.

 

12.   M. Lytwyn critique le recours de Mme Lovisek, partout dans son rapport, à une source particulière. Cette source provient d’un ouvrage non publié. Il s’agit d’une brochure rédigée comme guide‑ressource pour les cours d’études sociales au niveau primaire. Cette brochure n’a pas été rédigée en tant que publication académique examinée par des pairs.

 

13.   Il n’est pas nécessaire d’examiner plus à fond, pour les besoins des présents motifs, vingtneuf pages de commentaires critiques du rapport que Mme Lovisek a présenté en contrepreuve.

 

14.   Aucun des deux rapports de M. Lytwyn n’est parfait. Néanmoins, j’accepte somme toute les opinions de M. Lytwyn. Sa connaissance et sa compréhension de la vie autochtone ainsi que l’étendue de ses recherches concernant la pêche à Norway House et dans les environs pendant la période pertinente font preuve d’une opinion informée. Les points de vue exprimés par M. Lytwyn n’étaient pas des arguments déguisés sous la forme d’une opinion d’expert. Ils étaient dans l’ensemble objectifs, et leur formulation enthousiaste m’a inspiré suffisamment confiance pour que je les accepte.

 

Le témoignage de M. Lytwyn

 

1.    J’ai au départ fait remarquer qu’en plus de son rapport, j’ai écouté le témoignage de M. Lytwyn, que j’ai observé M. Lytwyn au cours de l’audience et que je retiens une bonne partie de la preuve qu’il a présentée, et notamment la conclusion selon laquelle les Cris des hautes terres du district de Norway House pêchaient commercialement, dans le sens que M. Lytwyn a attribué à cette notion.

 

2.    Le témoignage de M. Lytwyn reprenait en bonne partie le rapport, en insistant sur l’importance de la pêche au poste. En l’absence de poisson, le poste ne pouvait pas survivre même s’il avait recours à des employés qui faisaient la pêche et il était nécessaire d’acheter du poisson des Autochtones en tant que complément aux aliments nécessaires à l’exploitation du poste et à l’approvisionnement des brigades de canots. Avant la signature du traité, plus d’une génération d’Autochtones avait participé à l’échange commercial d’isinglass, d’esturgeon et de poisson blanc au poste.

 

3.    Comme pour la traite des fourrures, il existait un système complexe d’échange de marchandises, notamment du poisson et des sous‑produits du poisson, ainsi que des services, notamment la pêche, basés sur un système d’étalon (par exemple, une valeur équivalente à une fourrure de castor) ou sur des obligations réciproques.

 

4.    M. Lytwyn a reconnu que la définition de l’échange commercial donnée par Mme Lovisek empêchait l’inclusion du commerce autochtone, mais il a rejeté les définitions données par celle‑ci, comme je le fais également.

 

5.    M. Lytwyn a également rejeté la définition fondée sur l’emplacement que Mme Lovisek avait donnée au sujet de la question de savoir qui étaient les Autochtones qu’il fallait identifier comme pratiquant la pêche commerciale au moment de la signature du traité. Il a affirmé avec insistance que les ancêtres des Autochtones qui font actuellement partie de la bande suivaient un mode de vie traditionnel sur de vastes territoires, dans un rayon de 50 à 100 kilomètres de Norway House. Ils se rassemblaient au poste de Norway House à certains moments, notamment pour des cérémonies, ou lorsqu’ils manquaient d’aliments ou qu’ils étaient malades. La communauté autochtone au poste n’était pas sédentaire, mais il y avait néanmoins, dans un sens strict et dans un sens plus large, une communauté qui était attachée au poste et qui est devenue la Nation crie de Norway House, qui a adhéré au Traité. L’examen des traditions et des modes de vie de ces gens, avant qu’ils aient adhéré au Traité et au moment de leur adhésion, exige que l’on inclue les modes de vie et pratiques de cette nation, étant donné que ses membres vivaient de fait partout dans le district.

 

6.    La réponse que M. Lytwyn a donnée à l’argument de Mme Lovisek, qui affirmait que l’isinglass était peut‑être bien fabriqué par les employés de la CBH, démontre le mécontentement de M. Lytwyn devant les critiques constantes de son rapport auxquelles se livrait Mme Lovisek, qui disait en fait de le prouver. [traduction] « S’ils avaient préparé l’isinglass, je puis presque vous garantir que les journaux du poste en auraient fait mention » (page 454 de la transcription de l’audience). En général, je ne suis pas convaincu qu’une question historique peut être « prouvée ». Toutefois, la charge de la preuve devrait laisser une large place à la probabilité et au bon sens, et accorder peu de poids ou n’accorder aucun poids au jargon juridique, comme la notion d’« emploi ». Reconnaître la façon dont les Autochtones conçoivent eux‑mêmes leur histoire dans ce cas‑ci, c’est notamment reconnaître qu’avant d’entrer en contact avec les Européens, les Autochtones avaient l’habitude de fabriquer de l’isinglass, qui s’est par la suite avéré avoir de la valeur en Europe. En l’absence d’une « preuve », mais compte tenu de l’opinion de M. Lytwyn, je ne doute pas vraiment que le commerce entre le poste et les Autochtones du district de Norway House incluait le commerce d’isinglass.

 

7.    M. Lytwyn a confirmé son opinion, lorsqu’il a déclaré que plus de deux générations d’ancêtres du peuple qui a adhéré au Traité avaient vendu à la CBH de l’esturgeon, de l’isinglass, de l’huile de poisson et de la chair de poisson dans le cadre de ce qui doit être compris et accepté, pour ce qui est de l’économie de ce peuple, comme faisant partie d’une opération commerciale. Reconnaître l’idée que les Autochtones ont de leur propre histoire lorsqu’ils pêchaient pour gagner un revenu, en nature ou autre, c’est renforcer l’exactitude de cette opinion.

 

B.    Le rapport de Mme Lovisek, intitulé : [TRADUCTION]« Contre-preuve », a été déposé par l’avocat de l’intimée pour réfuter le rapport de M. Lytwyn.

 

Le curriculum vitae (le « CV »)

 

1.       Mme Lovisek est titulaire d’un baccalauréat ès arts en anthropologie de l’université York. Elle a en outre effectué deux années d’études archéologiques à l’université de Toronto avant de commencer à travailler à sa maîtrise en études environnementales, également à l’université York. Mme Lovisek a effectué un doctorat en anthropologie et en ethnohistoire, à l’université McMaster. Sa thèse de doctorat était intitulée : « Ethnohistory of the Algonkian Speaking People of Georgian Bay - Pre contact to 1850 ».

 

2.       Mme Lovisek a témoigné à titre de témoin expert dans six causes (sans compter la présente). Elle a présenté une preuve d’expert dans l’affaire Ballantyne. Dans la plupart des cas, elle a donné un aperçu historique des pratiques de pêche de divers groupes autochtones.

 

3.       Mme Lovisek compte près de vingt années d’expérience : elle effectue des recherches et prépare des rapports pour divers ministères gouvernementaux ainsi que pour différentes premières nations sur des questions d’usages et de pratiques historiques, telles qu’elles se rapportent aux revendications autochtones donnant matière à procès.

 

4.       Au cours de sa carrière, Mme Lovisek a contribué à diverses publications, traitant principalement du peuple ojibway, dans le territoire visé par le Traité no 3. Elle est l’auteur de plus de vingt exposés présentés lors de conférences et de critiques de livres, ainsi que de plus de soixante rapports et manuscrits, dont un grand nombre se rapportaient à la pêche en tant que partie intégrante de la culture autochtone.

 

5.       Il va sans dire que cet aperçu du CV de Mme Lovisek, qui est beaucoup trop bref, ne fait pas justice à ses titres de compétences, qui lui donnent qualité d’expert sur les questions visées par ses rapports.

 

La qualification de Mme Lovisek à titre d’experte

 

1.       L’avocat de l’intimée a cherché à faire qualifier Mme Lovisek à titre d’experte, d’anthropologue spécialisée en ethnohistoire, ce qui inclut l’utilisation de sources ethnographiques, archéologiques, orales et historiques concernant les premières nations du Canada.

 

2.    L’avocat de l’appelant a contesté l’expertise précise de Mme Lovisek en ce qui concerne la région de Norway House qui est ici en cause ainsi que son point de vue à titre d’anthropologue. Lorsqu’elle a été interrogée, Mme Lovisek a reconnu, par exemple, que l’expression « Cris des hautes terres » ne voulait rien dire sur le plan anthropologique, parce qu’on ne groupe pas les peuples en utilisant des termes géographiques.

 

3.    Lorsqu’elle a été interrogée, Mme Lovisek a admis n’avoir fait aucun travail anthropologique ou ethnologique sur le terrain dans la région de Norway House ou à l’égard de la communauté des Cris du Nord. Elle ne s’est pas non plus fondée sur de la littérature anthropologique ou ethnologique portant sur les Cris de Norway House.

 

4.    Je reconnais que la valeur de ses rapports pourrait être moindre du fait que Mme Lovisek n’a pas utilisé certains outils de sa profession en préparant son opinion, mais Mme Lovisek a souligné que, dans le cadre de ses compétences en ethnohistoire, elle se fondait sur des sources historiques comme méthode principale dans son travail. Je reconnais que, grâce à ces sources historiques sur lesquelles elle se fonde, comme le confirment ses rapports, Mme Lovisek est en mesure de présenter une opinion d’expert sur les questions visées par ses rapports. Mes préoccupations en ce qui concerne les définitions que Mme Lovisek a imposées en énonçant ses opinions et en ergotant avec acharnement sur des vétilles relevées dans les rapports de M. Lytwyn, lesquels sont fondés sur des sources qui relèvent, de toute évidence, entièrement du domaine d’expertise de celui‑ci, influent davantage sur toute question qui se pose au sujet du poids relatif que je pourrais accorder à son opinion et à sa preuve par rapport à celles de M. Lytwyn. Ce sont ces préoccupations qui ont diminué la valeur des opinions et de la preuve de Mme Lovisek, étant donné que je dois examiner l’affaire d’une façon plus générale que la façon dont Mme Lovisek a essayé de la dépeindre.

 

La contre-preuve

 

1.       Certaines définitions sont données dans la première partie de la contre‑preuve. En plus de définir une [traduction] « pêche commerciale » comme étant une pêche dans laquelle le poisson est pris presque inclusivement aux fins de la vente et qui exclut le poisson qui est pris pour consommation par l’employeur, Mme Lovisek, par définition, fait une distinction entre la pêche « commerciale » et d’autres activités de pêche qui comportent le troc, un échange ou la création d’une dette. En excluant ce type de commerce de sa définition de l’opération « commerciale », Mme Lovisek se fonde, en partie du moins, sur l’idée selon laquelle il n’existe aucun étalon pour une denrée qui fait l’objet d’un troc, c’est‑à‑dire que sa définition du mot « commercial » empêche une vague économie réciproque ou une culture d’être de nature « commerciale »4.

 

2.       Au départ, je tiens à faire remarquer que je n’accepte pas cette notion stricte de la pêche commerciale. De fait, toute idée selon laquelle les activités de pêche des ancêtres des Cris de Norway House doivent être définies comme étant de nature « commerciale » ou comme ne l’étant pas a malheureusement été en premier lieu imposée par le cadre de référence concernant les opinions demandées. Néanmoins, dans la mesure où il était important que je détermine le degré de commerce ou de commercialité que la pêche avait avant l’année 1875 pour le peuple de Norway House, cette détermination ne peut pas être fondée sur des définitions aussi restrictives et aussi strictes que celles que Mme Lovisek préconise. Les questions suivantes auraient pu être posées : « La pêche constituait‑elle une partie importante de la vie dans la réserve avant l’année 1875? Faisait‑elle partie de l’économie de la réserve, les Indiens la pratiquant en leur qualité d’Indiens? » Si telles sont les questions qui sont au cœur de la question de droit dont je suis saisi, la contre‑preuve de Mme Lovisek est peu utile. Malgré tout, je ne rejetterai pas son rapport au complet.

 

3.       La première partie du rapport de Mme Lovisek vise à orienter le lecteur au sujet de Norway House. L’auteur y confirme la migration des Cris et la façon dont ces Autochtones ont été classés. Mme Lovisek cite notamment une publication de M. Tough dans laquelle ce dernier dit que les Indiens des villages, soit le groupe qui, en fin de compte, en 1875, est devenu la bande de Norway House (par opposition aux Indiens des bois, qui, en 1875, se sont vu accorder une réserve distincte dans la partie sud‑ouest du lac Winnipeg), avaient une base économique axée sur la pêche et le travail rémunéré, ainsi que sur la culture des pommes de terre. M. Tough fait remarquer qu’il était impossible d’habiter le village pendant toute l’année à cause des besoins alimentaires et il dit que les villageois quittaient la réserve pour se rendre à des sites de pêche, ce qui confirme l’opinion de M. Lytwyn, lorsqu’il affirme que les Indiens des villages auraient eu des connaissances et de l’expérience dans le domaine de la pêche et lorsqu’il s’agissait d’aider les pêcheurs non autochtones employés par la CBH et qu’ils auraient, selon toute probabilité, partagé ces connaissances et cette expérience dans le cadre de leur coexistence économique lorsqu’ils restaient au poste. Le fait que Mme Lovisek considère la chose comme un travail et non comme du commerce n’enlève rien à la preuve historique écrasante qu’elle‑même ne nie pas, à savoir que la pêche constituait une partie importante de 1’existence économique des Cris des hautes terres dans le district de Norway House5.

 

4.    Mme Lovisek déclare que ce n’est qu’au milieu des années 1880 que la pêche commerciale a été introduite au lac Winnipeg. Des pêcheurs blancs venant du sud ont empiété sur les pêcheries que les Autochtones utilisaient pour s’alimenter. C’est encore une fois M. Tough qui a fait des commentaires sur cette intrusion et sur l’opposition initiale des Autochtones. Dans ce contexte, M. Tough a de fait décrit Norway House comme une réserve indienne participant peu ou ne participant pas à cette industrie, tant qu’elle n’est pas apparue dans les années 1880. La pêche commerciale dont il est fait mention est clairement une sorte de pêche différente de celle à laquelle s’adonnaient les Cris de Norway House avant cette intrusion. Toutefois, cela n’a pas empêché M. Tough de reconnaître dans le même ouvrage que, dans un certain sens, mais dans un sens différent, les Autochtones participaient à [traduction] « la pêche à des fins d’échange commercial avant la signature des traités ». Mais ils ne participaient simplement pas encore à cette « industrie » de la pêche commerciale. Toutefois, j’aimerais faire remarquer que le témoignage présenté par M. L. Saunders, bien qu’il constitue du ouï‑dire, était que la coop était nécessaire afin d’empêcher les pêcheurs autochtones d’être traités injustement, ceux‑ci n’étant même pas rémunérés en fonction du poids du poisson lorsque celui‑ci était vendu avec le poisson des bateaux commerciaux venant du sud. Cela écarte toute idée selon laquelle les pêcheurs autochtones participaient à cette prétendue industrie. Indépendamment de l’exactitude de ce genre d’« histoire orale », il est clairement reconnu dans les documents historiques que les Autochtones de la réserve de Norway House accordaient de la valeur à leurs pêcheries et considéraient que les pêcheurs non autochtones empiétaient sur une ressource précieuse.

 

5.    De fait, l’exploitation des pêcheries a rapidement entraîné la réglementation gouvernementale et Mme Lovisek signale que, dès l’année 1900, les résidents de Norway House demandaient et obtenaient des licences les autorisant à pêcher au lac Winnipeg. Elle ajoute qu’en 1904, les membres de la bande de Norway House pêchaient pour diverses entreprises commerciales. Ici encore, la portée de la contre‑preuve de Mme Lovisek est que, selon la définition qu’elle donne de la pêche commerciale, cette pêche n’aurait débuté qu’au moins une décennie après la signature du Traité.

 

6.    Le passage suivant du rapport de Mme Lovisek renferme l’analyse fort critique du rapport de M. Lytwyn. Mme Lovisek dit ici clairement que le rapport Lytwyn semble accepter que toute opération possible susceptible de constituer du troc, un échange ou le remboursement d’une dette prouve qu’il y avait de la pêche à des fins commerciales. Elle essaie ensuite d’établir qu’un certain nombre de mentions faites par M. Lytwyn au sujet de ce qui pourrait sembler constituer des opérations commerciales isolées ne prouvaient pas ce que ces opérations étaient censées être, simplement parce qu’il n’existait aucune preuve qu’un certain nombre des échanges dont M. Lytwyn faisait mention étaient des échanges par des « Indiens » ou des échanges par des Autochtones qui vivaient au poste, ou que le poisson échangé était pris dans des pêcheries situées près du poste. De fait, il semble y avoir peu de choses, dans le rapport de M. Lytwyn, que Mme Lovisek ne critique pas pour le motif que M. Lytwyn ne prouve pas que les ancêtres des membres de la bande de Norway House pratiquaient la pêche commerciale.

 

7.    Mme Lovisek parle également de l’absence de preuve des pratiques d’échange des ancêtres des Autochtones de Norway House avant le contact avec les Européens ainsi que de la nécessité d’effectuer des recherches anthropologiques qu’elle n’a pas elle‑même effectuées. Elle déclare : [traduction] « Toute revendication de droits ancestraux concernant la pêche commerciale exige des recherches archéologiques, généalogiques, historiques et anthropologiques détaillées et des documents à l’appui afin d’établir que l’activité, dans ce cas‑ci la pêche commerciale, faisait partie intégrante de la culture distinctive des Autochtones en cause avant qu’ils entrent en contact avec les Européens. Ainsi, rien n’indique que, dans les premiers rapports du poste de la CBH à Norway House, les Autochtones qui vivaient à proximité du poste de Norway House faisaient le troc ou l’échange du poisson ou de produits du poisson avec d’autres Autochtones »6. Cela répond peutêtre à l’argument fondé sur l’article 35, mais n’offre rien de positif pour ce qui est de l’analyse de l’article 87.

 

8.    Dans son rapport, Mme Lovisek critique, sur plus de 40 pages, le rapport de M. Lytwyn en vue de tenter de le discréditer. La première critique, la plus révélatrice, se rapporte au fait que M. Lytwyn accepte que [traduction] « toute opération possible de ce qui peut constituer du troc, un échange ou le remboursement d’une dette prouve que la pêche était pratiquée à des fins commerciales ». Mme Lovisek ne comprend pas ou ne veut pas reconnaître, dans son rôle accusatoire, que le troc est une activité commerciale. Elle veut à tout prix faire une distinction à l’égard du degré de commercialité qu’indique le commerce auquel les entreprises de pêche non autochtones du sud ont commencé à se livrer à la fin des années 1880 et au début des années 1900, que M. Tough a décrit dans son ouvrage comme l’établissement d’une industrie de pêche commerciale. L’apparition d’une « industrie », même dix ans après la signature du Traité, ne m’intéresse pas. Mon analyse porte plutôt sur la poursuite d’une activité traditionnelle qui permettait de subvenir aux besoins des Autochtones de Norway House en leur fournissant un revenu, en nature ou autre, avant la signature du Traité. Cela comprendrait toutes les choses que Mme Lovisek veut exclure, y compris les salaires tirés de la pêche effectuée pour la CBH ou l’aide apportée aux pêcheurs employés par la Compagnie.

 

9.    Selon moi, il n’est pas particulièrement utile d’examiner quelque partie que ce soit de cette contre‑preuve critique.

 

La contre-réfutation du rapport présenté par Mme Lovisek en contre-preuve

 

1.       Ce rapport défend le recours par Mme Lovisek aux journaux du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson; il est déclaré que M. Lytwyn n’a pas effectué les recherches requises dans la région de Norway House afin d’étayer ses conclusions, à savoir que les Autochtones participaient à la production commerciale disinglass dans la région de Norway House. Mme Lovisek impose à M. Lytwyn un fardeau de la preuve qui n’existe pas en droit. En outre, les recherches pourraient établir que l’on faisait sans aucun doute l’échange commercial de l’isinglass à peu près au moment de l’adhésion au Traité, mais en l’absence d’une telle preuve, je suis néanmoins convaincu que la preuve sur laquelle M. Lytwyn se fonde montre que les Autochtones de Norway House faisaient probablement, à Norway House, le commerce de l’isinglass, fabriqué à l’aide du poisson qui était pris dans les pêcheries locales d’esturgeon, dans les quantités mentionnées par Mme Lovisek, comme le montre la documentation précise figurant dans les livres de comptes de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

 

2.       Dans la contre‑réfutation, Mme Lovisek critique ensuite M. Lytwyn pour ne pas avoir défini la pêche commerciale comme elle la définirait et s’en prend encore une fois à certaines prétendues contradictions, erreurs et omissions relevées dans le rapport de M. Lytwyn.

 

Le témoignage de Mme Lovisek

 

1.    L’opinion de Mme Lovisek en ce qui concerne les Autochtones de Norway House avant la signature du Traité découle dans une certaine mesure de son avis selon lequel, au cours des années 1860, le poste n’était plus aussi important, à cause du trafic vers le Minnesota, sur la rivière Rouge, lequel a également entraîné le déclin de York Factory en tant que gros dépôt. Il y avait de plus en plus de déplacements d’Autochtones qui avaient des liens avec les activités effectuées dans les postes de la CBH. On cherchait de nouvelles ressources économiques ainsi que de nouveaux emplacements. Il était difficile d’identifier qui faisait quelque chose, ce qui était fait et où cela était fait. Mme Lovisek a signalé les liens d’emploi et les menues tâches accomplies, comme le transport du poisson pris par les pêcheurs non autochtones employés par la CBH, afin de minimiser toute idée de commerce effectué par la population autochtone de Norway House, mais elle a également soutenu que rien ne montrait que ces gens étaient ceux qui étaient restés à cet endroit lors de la signature du Traité.

 

2.    Mme Lovisek a tenté d’attirer l’attention uniquement sur les résidents du poste, plutôt que sur les Cris des hautes terres du district.

 

3.    Mme Lovisek a critiqué le fait que M. Lytwyn avait trop utilisé les livres de comptes de la CBH dans sa réplique, et, comme il en a déjà été fait mention, elle contestait les conclusions que M. Lytwyn avait tirées de l’ouvrage de M. Tough.

 

4.    Mme Lovisek a confirmé son opinion, à savoir que les Autochtones de Norway House, avant et après l’adhésion au Traité, ne se livraient pas à des activités de pêche commerciale.

 

5.    J’ai reconnu que Mme Lovisek avait qualité pour exprimer une opinion, mais je dois néanmoins apprécier l’importance de cette opinion et le poids que je dois lui accorder. Contrairement à la preuve soumise par M. Lytwyn, je conclus que les opinions de Mme Lovisek étaient trop de la nature d’arguments fondés sur un raisonnement tendant à rejeter un point de vue plutôt qu’à adopter un point de vue positif. En général, Mme Lovisek minait les opinions de M. Lytwyn en s’en prenant aux éléments de preuve que celui‑ci avait soumis, pour le motif que leur fondement était ténu, tout en ne présentant aucun élément de preuve corroboré montrant que M. Lytwyn avait tort ou que c’était elle qui avait raison. Les définitions et les normes de preuve de Mme Lovisek allaient plus loin que ce que j’ai jugé utile.

 

 

 

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010CCI552

 

No DES DOSSIERS DE LA COUR :  2004‑3561(IT)G; 2004-3567(IT)G; 2004‑4473(IT)G

 

INTITULÉ :                                       RONALD ROBERTSON c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE ET

                                                          ROGER SAUNDERS c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Winnipeg (Manitoba)

 

DATES DES AUDIENCES :              Les 3, 4, 5, 8, 9 mars et 10 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 29 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me J. R. Norman Boudreau

 

Avocats de l’intimée :

Me Gérald L. Chartier

Me Melissa Danish

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                   Nom :                             J. R. Norman Boudreau

 

                   Cabinet :                         Booth Dennehy LLP

                                                          387, avenue Broadway

                                                          Winnipeg (Manitoba) R3C 0V5

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la « Loi constitutionnelle »).

[2] Cette zone, qui sera identifiée plus loin dans les présents motifs, a été créée à la suite d’un accord dont le gouvernement du Canada était partie ainsi que la province et la bande.

 

[3] Le poste a par le passé été déplacé à deux reprises, mais les emplacements antérieurs exacts n’ont pas été indiqués d’une façon précise. Aucun des emplacements possibles des anciens postes ne semble avoir de pertinence aux fins de mon analyse. Norway House a été établi à son emplacement actuel en 1826.

[4] Dans R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, 137 DLR (4th) 289, au paragraphe 49, le juge en chef Lamer, dans le contexte des droits ancestraux, dit qu’il faut tenir compte du point de vue des Autochtones qui revendiquent un tel droit.

 

[5] Lors de la signature du Traité, au moins 30 familles sont parties afin de former une réserve différente. Voir la note de bas de page 5, à l’annexe 3 des présents motifs. Comme il y en est fait mention, cela montre qu’il n’est pas pratique de considérer comme important ou pertinent le fait qu’il est impossible de savoir exactement quels étaient les Autochtones qui chassaient et pêchaient et qui faisaient du commerce à Norway House, comme Mme Lovisek l’a fait, étant donné qu’ils n’étaient pas sédentaires.

[6] Il va sans dire que les experts ne s’entendaient pas sur le nombre de poissons qu’il fallait pour faire une livre d’isinglass. Mme Lovisek ne reconnaissait pas non plus que l’isinglass acheté à Norway House était nécessairement produit par des Autochtones de l’endroit à l’aide du poisson que ceux‑ci prenaient. Encore une fois, je retiens le témoignage de M. Lytwyn. Les Cris des hautes terres avaient incontestablement l’habitude ancestrale de fabriquer de l’isinglass à l’aide d’esturgeon, ce poisson étant abondant dans les lacs situés à proximité de Norway House. Toute thèse donnant à entendre que l’esturgeon était transporté depuis d’autres régions telles que la rivière à la Pluie ou Fort Francis n’est tout simplement pas vraisemblable. Il existait d’autres postes dans ces autres régions, où de grosses quantités d’isinglass étaient produites et échangées.

[7] La mention dans la version anglaise du Traité, des « avocations » des Indiens, y compris la pêche ainsi que la chasse, en est une que les parties n’ont pas examinée. Dans [la version anglaise de] certaines décisions, il est mentionné que la pêche autochtone est reconnue comme une « vocation » historique. On ne sait pas trop jusqu’à quel point cette différence est pertinente. Dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, [1990] 3 CNLR 46, le juge La Forest, au paragraphe 86, parle des « vocations traditionnelles de chasse, de pêche et de piégeage » dans le cadre des « traités numérotés », même si, par exemple, le mot « avocation » est employé dans la version anglaise des traités 5 et 6, alors que les traités 8 et 10 parlent d’une « vocation ». Voir également R. v. Eninew et R. v. Bear, [1984] 2 CNLR 126, 10 DLR (4th) 137 (C.A. Sask.); R. v. Jacko, [1998] AJ no 538, 221 AR 312 (Cour prov. de l’Alb. (Sect. crim.)); Daniels v. White, [1968] R.C.S. 517, 2 DLR (3d) 1, pour des exemples de décisions dans lesquelles les juges ont employé d’une façon interchangeable les mots « avocation » et « vocation ». De plus, en l’espèce, il est mentionné dans certains documents qu’il est reconnu que les Cris de Norway House se livraient à la pêche en tant qu’« avocation » et à des fins de commerce, et que la pêche et le troc faisaient partie de la culture historique des Autochtones. Or, le sens des mots évolue sans aucun doute et change avec le temps; de plus, le contexte change également le sens des mots. De nos jours, le mot « avocation » signifie généralement un passe‑temps, un loisir ou un divertissement, mais les première et deuxième éditions de l’Oxford English Dictionary montrent qu’il s’agissait d’une vocation au sens spirituel du terme, comme un appel à la prière (« calling to prayer »). Au début des années 1990, Robert Frost a écrit, dans le dernier vers de Two Tramps in Mud Time : [traduction] « Mon but dans la vie est de réunir ma vocation et mon occupation (« my avocation and my vocation »), de la même façon que mes deux yeux ne font qu’un tout. » Cette unité semble être exprimée par l’emploi du mot « avocation » dans le Traité, quoique, à vrai dire, il serait préférable de demander à un expert d’exprimer son opinion à ce sujet, étant donné que je puis difficilement dire que je suis en mesure de prendre connaissance d’office de la question, même à la lumière d’un si grand nombre d’arrêts et d’ouvrages, dans lesquels ces mots ont été employés d’une façon interchangeable dans le contexte de la culture historique des Autochtones du Canada. Néanmoins, j’ai fréquemment employé le mot « vocation » [traduit ici par « occupation »] dans les présents motifs compte tenu de ce qui semble être le sens qui lui est communément attribué dans le contexte des traditions de pêche et de chasse des Autochtones du Canada.

 

[8] Documents du rapport présenté en contre-preuve par Mme Lovisek, onglet 2, Treaty Research Report: Treaty Five (1875). La notion de « pêcheurs de profession et de par la culture » semble encore une fois réunir les notions d’« avocation » et de « vocation ».

 

[9] Cela ne veut pas pour autant dire que l’on n’a fait aucun effort pour s’adapter aux nouvelles conditions lors de l’adhésion au Traité. Les tentatives que les Autochtones ont faites pour obtenir des terres arables sont documentées dans le rapport de Mme Lovisek. Néanmoins, rien ne montre qu’il y ait eu des changements réels. De fait, peu de temps après la signature du Traité, la pêche commerciale, même selon la définition stricte donnée par Mme Lovisek, est devenue un facteur important en tant que gagne‑pain des membres de la bande de Norway House, comme il en est fait mention à la page 8 du rapport présenté en contre‑preuve.

[10] Voir le rapport présenté en contre-preuve par Mme Lovisek en ce qui concerne les demandes que les Autochtones ont faites en vue d’obtenir des terres arables (page 8) et le témoignage de M. Lytwyn en ce qui concerne l’absence de revendication de propriété (page 404 de la transcription).

[11] A-3, AMOP.

 

[12] A-3, onglet 2, Backgrounder: Norway House Cree Nation Flooded Land.

 

[13] Voir les rapports de consultation communautaire, A-3, AMOP, onglet 13, pages 12 à 14. L’Entente-cadre sur les droits fonciers issus de traités a été conclue avec les Premières nations dont les revendications per capita découlant des traités numérotés n’ont pas encore été réglées. Les Couronnes fédérale et provinciale énoncent le protocole à suivre pour le choix de terres et pour des négociations additionnelles visant au règlement de ces questions. L’entente n’a pas été produite en preuve.

 

[14] A-3, AMOP, onglet 1, pages 11 et 12.

 

[15] A-3, AMOP, onglet 1, page 12.

 

[16] Voir les rapports de consultation communautaire, A‑3, AMOP, onglet 13, pages 12 à 14.

 

[17] Ces terres sont indiquées à l’aide d’un trait bleu dans la pièce A‑4. Les choix de terres visées par des DFIT sont indiqués en jaune dans la pièce A‑4.

 

[18] Recueil de documents de l’appelant, onglet 4, Norway House Cree Nation TLE Land Capability, Use and Selection Study, et témoignage de M. L. Saunders, page 183 de la transcription.

 

[19] Loi sur la mise en œuvre de mesures concernant le règlement de revendications au Manitoba, L.C. 2000, ch. 33 (la « Loi sur les revendications »), A‑3, AMOP, onglet 1, page 12.

 

[20] Convention sur le transfert des ressources naturelles, annexe de la Loi constitutionnelle de 1930, 20 & 21 Geo V, ch. 26 (R.‑U.) (la « CTRN »).

[21] Exposé des faits, paragraphe 3.

 

[22] Témoignage de M. L. Saunders, page 214 de la transcription.

[23] M. Robertson pêchait dans quatre zones. Dans trois de ces zones, il utilisait des camps qui sont des sites de réserve future. Deux de ces zones étaient situées au lac Winnipeg. Lorsque l’on a demandé à M. L. Saunders s’il savait si toute la pêche au lac Winnipeg était située dans la zone de gestion des ressources, il a répondu qu’il n’y avait pas de limites évidentes dans un aussi grand lac. Cependant, compte tenu des conditions météorologiques au lac Winnipeg, il était peu probable, pour des raisons de sécurité, qu’il y ait eu beaucoup de pêche ou même qu’il y ait eu de la pêche en dehors de la zone de gestion des ressources. M. R. Saunders pêchait dans trois zones près de la réserve, comme il en est fait mention dans l’exposé des faits; toutefois, étant donné qu’il n’a pas témoigné, je ne dispose d’aucun élément de preuve clair au sujet de la question de savoir si ses camps étaient situés sur des sites de réserve future, bien que, au moins un camp, au lac Grassy, semble y être situé. Ces camps seraient tous situés dans la zone de gestion des ressources.

 

[24]  Tout en ne s’opposant pas à ce témoignage, la Couronne, qui se fonde sur le rapport du témoin expert de l’intimée, a pris la position selon laquelle il n’avait pas été établi qu’il existait un lien ancestral suffisant avec la pêche commerciale, à l’un ou l’autre de ces endroits, par des ancêtres des membres actuels de la bande de Norway House. Toutefois, comme il en est fait mention dans les présents motifs, je n’ai pas accordé à la preuve et aux opinions que Mme Lovisek a présentées sur ces points un poids suffisant pour écarter la prépondérance des probabilités, telle qu’elle ressort d’autres éléments de preuve, notamment en particulier, la preuve soumise par M. Lytwyn et certaines mentions externes à l’appui, comme l’article 15.1 de la Convention sur l’inondation des terres du Nord du Manitoba qui a été confirmé à l’article 5.5.3 de l’AMOP.

 

[25] Les territoires de piégeage et la « zone des ressources », si je comprends bien, coïncideraient avec la zone de gestion des ressources, dans l’AMOP, où il est également reconnu que cette zone était traditionnellement mise à la disposition des Autochtones de Norway House et utilisée par ceux‑ci comme source d’approvisionnement alimentaire et comme source de revenus, en nature ou autres. Voir l’article 5.5.3.

[26] Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce, L.R.C. (1985), ch. F‑13.

[27] L’article 3.03 du mandat stipule qu’il incombe au mandataire de fournir les BAP à l’Office. Toutefois, M. Bergunder a témoigné que c’était l’Office qui établissait ces BAP, ce qui permettait à l’Office d’y indiquer tout écart pour lequel l’Office n’était pas tenu d’effectuer de paiement.

 

[28] Cela serait vrai même si la réduction, sur le paiement versé à la coop, était supérieure aux frais d’administration. L’article 3.05 du mandat interdit au mandataire de recouvrer des pénalités financières des pêcheurs, sauf autorisation.

[29] Le paragraphe 3.17i) du mandat stipule que le mandataire est tenu de se conformer aux politiques de l’Office en ce qui concerne l’octroi aux pêcheurs d’un crédit opérationnel saisonnier.

 

[30] L’article 3.11 du mandat stipule que le mandataire doit permettre à une personne autorisée par l’Office de procéder à des vérifications.

 

[31] Observations écrites de l’intimée, page 37.

 

[32] [1968] R.C.S. 517, 2 DLR (3d) 1.

[33] [1992] 1 R.C.S. 877, [1992] 1 CTC 225 (Williams).

[34] [1998] 2 CTC 403, 98 DTC 6238 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] S.C.C.A. no 250 (Recalma), paragraphe 9.

 

[35] (1997), 148 DLR (4th) 314, (sub nomine : Canada v. Folster), [1997] 3 CTC 157 (C.A.F.) (Clarke).

 

[36] Clarke, paragraphe 12.

 

[37] [1998] 1 CTC 265, 98 DTC 6084 (C.A.F.) (Southwind).

[38] [1983] 1 R.C.S. 29, [1983] CTC 20 (Nowegijick).

[39] Mitchell, paragraphe 86.

 

[40] Dans Clarke, paragraphe 24, la Cour d’appel fédérale s’appuie sur le fait qu’un emplacement hors réserve pourra éventuellement faire partie d’une réserve. « De plus, l’appelante a fait remarquer que le gouvernement fédéral est en train de préparer un projet visant à désigner le bien‑fonds sur lequel l’hôpital est construit comme un bien‑fonds faisant partie de la réserve. Bien qu’une telle éventualité ne puisse, comme l’intimée le fait remarquer, modifier le statut actuel du bien‑fonds sur lequel l’hôpital est situé, elle contribue à démontrer que les circonstances ayant trait à l’emplacement du Norway House Indian Hospital sont telles que l’utilité de cet emplacement pour déterminer le situs du revenu d’emploi de l’appelante est sensiblement réduite. » En l’espèce, le stade de la « préparation d’un projet » est bien dépassé. Cependant, ce facteur n’est pas déterminant. Cela peut néanmoins rendre moins utile, dans ce cas‑ci, le recours aux aspects hors réserve des activités en tant que facteur de non‑rattachement.

[41] L’article 3 de l’entente conclue avec l’Office de commercialisation du poisson d’eau douce interdit à la coop de recouvrer des pêcheurs les réductions de paiement.

 

[42] En affirmant que la coop négocie pour le compte de ses membres, je n’omets pas de tenir compte du fait que l’Office est une société d’État qui a élaboré le mandat en vue de protéger les pêcheurs. Néanmoins, il est admis qu’étant donné que l’entente a été conclue avec la coop, qui appartient aux pêcheurs, certaines de ses dispositions de protection, comme la disposition exigeant qu’une rémunération hebdomadaire soit versée, sont essentiellement honorées. La coop peut également s’adresser ailleurs si les conditions de l’entente ne lui plaisent pas.

[43] L’emploi est simplement un moyen de gagner sa vie. C’est un moyen de gagner de l’argent en effectuant du travail. Reconnaître les possibilités d’emploi, c’est reconnaître un gagne‑pain. C’est le fruit du gagne‑pain qu’il faut considérer comme étant protégé à l’article 87. Comme le professeur Prince l’a fait remarquer en parlant de la nécessité de protéger le gagne‑pain : [traduction] « Le ministère des Pêches, à Ottawa, serait mieux placé pour résister à l’avidité des tiers, qui veulent pêcher tout l’esturgeon et faire rapidement de l’argent dans ces eaux du Nord, en tenant compte des justes revendications des Indiens et de l’avenir des Indiens, tant sur le plan de l’alimentation qu’en ce qui concerne un emploi acceptable. » Voir le rapport de M. Lytwyn, page 25. J’ai tendance à croire que l’emploi, dans ce cas‑ci, veut tout simplement dire le moyen de gagner sa vie comme les appelants le font de nos jours.

[44] Au paragraphe 25 de l’arrêt Clarke, il est également fait mention du lieu du paiement lorsque le débiteur est une société d’État. La Cour d’appel fédérale cite l’arrêt Williams et dit que la résidence du débiteur pourrait être rejetée en tant que facteur de rattachement important pour le motif que l’établissement du situs d’un organisme de la Couronne à un endroit particulier au Canada présente des difficultés de nature conceptuelle. Je n’accorde pas beaucoup d’importance à cela, mais je note que, dans le même paragraphe des motifs de la décision Clarke, où il est encore une fois fait mention de l’arrêt Williams, il est dit que l’importance de la Couronne comme source des paiements repose davantage sur la nature spéciale de la politique d’ordre public à la base des paiements. Si la politique de l’Office en sa qualité de société d’État permettait à la coop de mélanger les fonds et de payer ses membres selon ses propres pratiques et son mandat, c’est là un autre motif de reconnaître que le débiteur, dans ce cas‑ci, est la coop pour l’application de l’article 87.

 

[45] Recalma, paragraphe 9.

[46] [1990] 2 R.C.S. 85, [1990] 3 CNLR 46 (Mitchell).

 

[47] Southwind, paragraphe 14.

[48] [1998] 4 CTC 2526, 98 DTC 1857 (C.C.I.), conf. par [2000] 3 CTC 181, 2000 DTC 6365 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2000] S.C.C.A. no 372.

 

[49] 2009 CCI 325, [2010] 1 CTC 2317 (Ballantyne).

[50] Mitchell, paragraphe 91.

 

[51] [1992] 2 CNLR 46, 118 NBR (2d) 290 (C.A. N.‑B.) (Kingsclear).

 

[52] Kingsclear, paragraphe 25.

 

[53] [1990] 1 R.C.S. 1075, 70 DLR (4th) 385 (Sparrow).

 

[54] [1996] 2 R.C.S. 507, 137 DLR (4th) 289 (Van der Peet).

[55] Recalma, paragraphe 9.

[56] 2001 CAF 178, 2001 DTC 5420, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2001] S.C.C.A. no 434 (Shilling).

 

[57] Shilling, paragraphe 27.

[58] Clarke, paragraphe 16.

1 Williams, paragraphe 41.

 

2 Clarke; Nowegijick; Boubard c. La Reine, 2008 CCI 133, 2008 DTC 3015; McNabb (B) v. Canada, [1992] 2 CTC 2547, [1992] 4 CNLR 52 (C.C.I.); Amos v. Canada, [1999] 4 CTC 1, 99 DTC 5333 (C.A.F.).

 

3 L’exposé des faits confirme essentiellement ces dernières assertions.

4 [1990] 1 R.C.S. 901, [1990] 3 CNLR 95.

 

1 Vancouver : University of British Columbia Press (1996), PT20. Frank Tough est professeur d’études autochtones à l’université de l’Alberta et doyen associé (Recherche) de la faculté. Selon une biographie disponible sur Internet, il était spécialisé dans la géographie historique des Autochtones après l’année 1870. Les deux experts se sont référés à son ouvrage, bien que Mme Lovisek ait critiqué la conclusion énoncée dans le passage cité.

2 Dans la réplique, on note également certaines mentions historiques indiquant que l’on avait recours aux Autochtones pour guider les marchands à leurs postes de pêche et pour les aider à prendre du poisson.

3 Arthur J. Ray, « Ould Betsy and Her Daughter’: Fur Trade Fisheries in Northern Ontario », p. 80 à 96, dans : Fishing Places, Fishing People: Traditions and Issues in Canadian Small-Scale Fisheries, Dianne Newell et Rosemary E. Ohmmer, éd., Toronto: University of Toronto Press. (1999), extrait, page 83. Tel que cité dans la réplique de M. Lytwyn, page 10.

 

4 Elle reconnaît l’étalon employé par la CBH pour les fourrures, mais dans sa réplique, M. Lytwyn signale que le même étalon était utilisé pour d’autres denrées telles que le poisson.

5 La séparation des deux groupes de Cris des basses terres dans le district de Norway House figure dans le texte officiel des négociations relatives au Traité no 5, lequel est mentionné dans la contre‑preuve présentée par Mme Lovisek. Ce texte indique qu’environ 90 familles voulaient migrer à la rivière Fisher sur la rive sud‑ouest du lac Winnipeg, alors que les inscriptions figurant dans les journaux du poste de Norway House indiquent que 30 familles seulement se sont installées à la rivière Fisher. Aucun des documents auxquels on m’a renvoyé n’indique le nombre de familles qui continuaient à faire partie de la bande de Norway House au moment de la signature du Traité. Néanmoins, le départ d’un si grand nombre de familles indique qu’il n’est pas pratique d’accorder trop d’importance ou de pertinence au fait que l’on ne peut savoir exactement qui étaient les Autochtones qui chassaient et pêchaient et qui faisaient le commerce à Norway House, comme Mme Lovisek l’a fait; ces Autochtones n’étaient pas sédentaires. Cela ne peut pas entraîner la perte des droits qui leur sont reconnus en vertu de la Loi sur les Indiens.

6 Rapport de Mme Lovisek, page 54.

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