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Dossier : 2010-686(IT)I

 

ENTRE :

LISA DALE,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 28 septembre 2010,

à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me William D. Howse

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Samantha Hurst et

M. Evan Duffy (stagiaire)

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 de l’appelante sont accueillis, sans frais, et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que les frais afférents au véhicule à moteur sont admis, dans une proportion de 75 p. 100, à titre de dépenses d’entreprise.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2010.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2010.

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 

 

Référence : 2010 CCI 561

Date : 20101103

Dossier : 2010-686(IT)I

 

ENTRE :

 

LISA DALE,

appelante,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre

 

[1]              Il s’agit d’appels de nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2005 et 2006 de l’appelante, lesquelles ont été établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). En établissant ainsi les nouvelles cotisations, le ministre a refusé, entre autres choses, les frais afférents au véhicule à moteur aux montants de 3 866 $ pour l’année 2005 et de 2 950 $ pour l’année 2006 que l’appelante avait déduits de son revenu de commissions de vente de ces années‑là.

 

[2]              Il n’est pas contesté que l’appelante est, et que pendant les années en question elle était, une agente agréée d’immeubles résidentiels travaillant à son compte chez RE/MAX Aboutowne Realty Corporation (« RE/MAX »), à Oakville, en Ontario, et qu’elle était rémunérée à la commission. Au cours des années d’imposition 2005 et 2006, elle a gagné un revenu de commissions de 81 440 $ et de 79 552 $ respectivement et elle a déduit des dépenses d’entreprise aux montants de 74 105 $ et de 54 204 $, sur lesquels le ministre a refusé un montant de 4 888 $ et de 3 793 $ pour chacune de ces années respectivement. L’appelante conteste uniquement le refus d’admettre les frais afférents au véhicule à moteur.

 

[3]              Il n’est pas contesté que l’appelante a effectué en tout 31 185 et 23 693 kilomètres en 2005 et en 2006 respectivement. L’appelante a soutenu que ce kilométrage a, dans une proportion de 95 p. 100, été effectué à des fins professionnelles, et c’est sur cette base qu’elle a déduit les frais afférents au véhicule à moteur aux montants de 8 151 $ pour l’année 2005 et de 6 201 $ pour l’année 2006. Toutefois, elle n’établissait pas de carnet de route ou d’autres documents indiquant le nombre de kilomètres effectués à des fins professionnelles. Le ministre a donc uniquement admis 55 p. 100 du nombre total de kilomètres comme ayant été effectués à des fins professionnelles, ce qui explique pourquoi des montants de 3 866 $ et de 2 950 $ pour les années 2005 et 2006 respectivement ont été refusés sur le total des frais afférents au véhicule à moteur initialement déduits (voir la réponse à l’avis d’appel, annexes A et B).

 

[4]              La seule question dont je suis saisie est de savoir si 95 p. 100 de la distance totale parcourue par l’appelante au cours de chacune des années en question a effectivement été parcourue à des fins professionnelles.

 

[5]              L’appelante fait valoir que la LIR n’exige pas qu’un carnet de route soit tenu et que le ministre a arbitrairement décidé qu’en l’absence d’un carnet de route, elle n’avait pas le droit de déduire plus de 55 p100 des frais à titre de dépense d’entreprise. L’appelante voulait citer John Meehan, agent immobilier détenteur de permis et unique propriétaire‑exploitant de RE/MAX Unique Real Estate depuis 1996, à titre de témoin expert en vue de témoigner au sujet des habitudes de conduite des agents immobiliers travaillant à leur compte et plus particulièrement au sujet du fait qu’il n’est pas pratique de tenir un carnet de route comme le ministre semble l’exiger.

 

[6]              L’intimée a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance excluant l’admission en preuve du rapport d’expert et du témoignage de John Meehan pour le motif que cet élément de preuve aurait pour effet de nous éloigner de la question réelle qui est ici en litige, à savoir l’utilisation du véhicule à moteur par l’appelante à des fins professionnelles, en 2005 et en 2006. L’intimée s’est fondée sur l’arrêt R. c. Mohan, [1994] A.C.S. no 36 (QL); [1994] 2 R.C.S. 9, de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême a dit que la preuve d’expert ne doit pas être admise si elle risque d’être utilisée à mauvais escient ou de fausser le processus de recherche des faits. Elle a cité un autre arrêt qu’elle avait rendu, R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, dans lequel il était dit ce qui suit (page 42) : [traduction] « Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire » (citant R. v. Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, page 83). Au paragraphe 22 de l’arrêt Mohan, la Cour suprême a dit que l’opinion d’un expert est nécessaire si elle donne des renseignements qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et les connaissances d’un juge. Elle a également parlé de la crainte que les experts puissent usurper les fonctions du juge des faits (paragraphe 24).

 

[7]              En l’espèce, l’intimée souligne que la question en litige se rapporte à l’utilisation du véhicule à moteur de l’appelante à des fins professionnelles, ce qui est une simple question de fait pour laquelle il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un expert. En outre, l’intimée conteste le rapport en tant que tel, étant donné qu’il est fondé sur l’opinion d’autres personnes, et notamment de l’avocat de l’appelante.

 

[8]              En ce qui concerne l’opinion de l’avocat de l’appelante, l’avocate de l’intimée cite le juge McColl, dans la décision Surrey Credit Union v. Willson, 45 B.C.L.R. (2d) 310 (C.S.C.‑B.), citée par le juge McArthur, de la présente cour, dans la décision Brampton Vee World Motors Ltd. c. Canada, [2004] A.C.I. no 652 (QL), paragraphe 4. Le juge McColl a dit ce qui suit:

 

[traduction]

 

Les avis d’expert deviennent inadmissibles quand ils ne sont rien de plus qu’une reformulation des arguments des avocats qui participent à la cause. Quand un argument est présenté sous le couvert d’un avis d’expert, il sera rejeté pour ce qu’il est.

 

[9]              En ce qui concerne la mention de M. Valeri Volkov, expert‑comptable (CPA), que M. Meehan a faite dans son rapport, l’avocate de l’intimée a déclaré que cette mention n’était pas admissible, étant donné que M. Volkov n’était pas présent pour être contre‑interrogé.

 

[10]         L’avocat de l’appelante et M. Volkov sont tous deux des praticiens apparemment spécialisés dans l’industrie immobilière. Dans son rapport, M. Meehan s’est fondé sur leur évaluation relative aux aspects pratiques de la tenue d’un carnet de route par les agents. J’ai décidé à l’audience d’accepter le témoignage et le rapport de M. Meehan, mais uniquement en ce qui concerne sa connaissance factuelle des habitudes de conduite des agents de ventes, étant donné qu’il a lui‑même été agent de ventes pendant de nombreuses années, qu’il gère maintenant un bureau de courtage et qu’il traite avec de nombreux agents de ventes. Toutes les mentions d’avis reçus de l’avocat de l’appelante et de M. Volkov, et toutes les mentions de l’opinion personnelle de M. Meehan, quant à ce qui est nécessaire et quant à ce qui devrait être considéré comme raisonnable au titre de la LIR, seront supprimées, étant donné qu’en ce qui concerne les premières mentions, cela n’a rien à voir avec les connaissances et l’expérience de M. Meehan lui‑même à titre d’agent de ventes, de directeur et de courtier, et qu’en ce qui concerne les dernières mentions, c’est à moi qu’il appartient de décider si la cotisation est fondée au titre de la LIR.

 

[11]         Cela dit, M. Meehan a en fait été cité à la barre par l’avocat de l’appelante et son rapport a été produit sous la cote A‑1, mais uniquement aux fins de l’examen des passages se rapportant au témoignage que celui‑ci a présenté devant moi. M. Meehan a témoigné être agent immobilier, détenteur de permis en Ontario depuis 1983. En 1989, il est devenu directeur des Services immobiliers Royal LePage et, depuis 1996, il est l’unique propriétaire‑exploitant de son propre bureau, RE/MAX Unique Real Estate; il a traité en moyenne avec 55 agents engagés en vertu de contrats de sous‑traitance avec ce bureau sur une période de 15 ans.

 

[12]         M. Meehan a décrit le travail d’agents de ventes immobilières comme consistant à visiter le plus grand nombre de maisons possible et à assister à des journées portes ouvertes organisées à l’intention des agents, du lundi au samedi, entre 11 et 13 h, pour leur permettre d’avoir une idée du stock de propriétés à vendre. Depuis l’année 2000, les agents de ventes ont accès au Service Inter‑Agences (le « SIA ») depuis leur bureau à domicile ou depuis leurs bureaux hors site, ce qui veut dire qu’ils n’ont pas à se présenter au bureau de RE/MAX aussi souvent qu’auparavant. M. Meehan a personnellement réduit de moitié la superficie du bureau de RE/MAX, étant donné qu’il n’a pas besoin d’autant d’ordinateurs (il en possède maintenant trois comparativement à 15 ou 20 avant l’année 2000) pour ses agents de ventes, ces derniers se rendant maintenant fort rarement au bureau pour accéder au SIA. M. Meehan a déclaré qu’un agent de ventes se déplace en voiture pour aller visiter des maisons, rencontrer des clients ou d’autres agents et emmener des clients visiter des maisons le soir. Si un client soumet une offre, l’agent retourne à son bureau, prépare l’offre, l’enregistre et la présente au vendeur. Si l’offre initiale ne convient pas au vendeur, l’agent fait le va‑et‑vient entre le vendeur et l’acheteur éventuel, ou il peut utiliser un télécopieur s’il en a un à sa disposition, tant que l’offre n’est pas acceptée. Lorsque l’agent obtient un mandat, il organise une journée portes ouvertes, rencontre les acheteurs éventuels et fait visiter la maison.

 

[13]         M. Meehan a témoigné que la plupart de ses agents de ventes travaillent de huit à dix heures par jour et qu’ils travaillent pendant la fin de semaine. Il a fondamentalement dit que les agents sont dans leur voiture du matin au soir. En ce qui concerne les carnets de route, il a affirmé que les agents de ventes immobilières ne consignent généralement pas par écrit la distance parcourue, étant donné qu’il n’est pas réaliste ou pratique de le faire. Il ne tenait lui‑même jamais de carnet de route. Il n’a pas pu dire combien d’heures un agent immobilier dont le rendement est élevé passe dans sa voiture. Il pouvait uniquement supposer qu’il y passerait 80 à 95 p. 100 de ses heures de travail.

 

[14]         M. Meehan a déclaré ne pas connaître le travail des agents immobiliers à Hamilton, soit la région servie par l’appelante. Toutefois, il a fait remarquer que le prix des maisons à cet endroit était bien inférieur à celui des maisons à Toronto.

 

[15]         Lors du contre‑interrogatoire, M. Meehan a reconnu qu’il ne savait absolument pas jusqu’à quel point il était difficile de tenir un carnet de route pour une année d’imposition complète. Il a admis qu’il n’accompagnait pas ses agents pour vérifier le nombre d’heures que ceux‑ci passaient réellement à se déplacer dans leur voiture. Il pouvait uniquement faire une estimation. Il a reconnu qu’il n’était plus agent de ventes depuis 21 ans, et que les choses avaient considérablement changé au cours de cette période.

 

[16]         Lors du réinterrogatoire, M. Meehan a déclaré qu’un agent immobilier qui travaille à plein temps et qui réussit bien, comme c’est le cas pour l’appelante, ferait en moyenne au moins dix à quinze voyages dans sa voiture chaque jour de l’année. Dans son rapport, il a déclaré que cela comprenait les voyages d’affaires et les voyages personnels (voir la pièce A‑l, paragraphe 15). Lorsque l’on tient un carnet de route, il faut inscrire le point de départ, la distance, le nom du client et, inscrire ensuite les mêmes renseignements pour le voyage de retour. M. Meehan a également dit que la distance parcourue n’avait pas changé au fil des ans, mais il a soutenu que la voiture était devenue à toutes fins utiles un bureau. Grâce au réseautage social, il n’est pas nécessaire de se rendre au bureau aussi souvent que par le passé.

 

[17]         L’appelante a ensuite témoigné. Elle a déclaré avoir obtenu son permis en l’an 2000 et travailler depuis lors à plein temps comme agente immobilière. En 2005, elle a quitté Toronto pour s’installer à Hamilton et elle a commencé à travailler pour un courtier RE/MAX, à Oakville, ville située à mi‑chemin entre Toronto et Hamilton, à environ 40 kilomètres de sa nouvelle résidence. Elle habitait un appartement avec son ami et elle louait, dans le même bâtiment, une pièce distincte qu’elle utilisait comme local de travail, et où elle avait un ordinateur, un télécopieur, des classeurs pour ses documents, et un téléphone. Elle allait livrer les offres signées au bureau de courtage. Elle payait RE/MAX pour l’utilisation d’un poste de travail qui lui avait été assigné dans le bureau et elle conservait ses effets personnels dans un tiroir. Ce poste de travail était situé dans un local qu’elle partageait avec d’autres agents. Elle avait également une ligne téléphonique directe chez RE/MAX et elle y recevait du courrier poubelle. Elle devait toutefois payer RE/MAX pour les appels interurbains et pour l’utilisation du photocopieur. L’appelante a déclaré qu’elle allait probablement au bureau de RE/MAX une fois par mois (transcription, page 124).

 

[18]         Quant à l’utilisation de la voiture à des fins personnelles, l’appelante affirme qu’elle ne s’en servait presque pas pour des besoins personnels. Elle vit en face d’un centre commercial où elle peut se procurer presque tout ce dont elle a besoin. Son ami conduit une Toyota Corolla et, lorsqu’ils sortent ensemble, ce qui est fort rare, ils utilisent la voiture de celui‑ci. L’appelante n’a pas pris de vacances pendant les années en question, sauf pour les jours fériés. Elle a affirmé qu’elle travaillait [traduction] « dès [qu’elle] ouvrai[t] les yeux et jusqu’à ce [qu’elle] les ferme » (transcription, page 60), c’est‑à‑dire dix à 16 heures par jour (transcription, page 107). Elle allait brièvement visiter sa mère, à Toronto, lorsque son travail l’amenait là.

 

[19]         En ce qui concerne l’utilisation de la voiture à des fins professionnelles, l’appelante conduisait une Lexus 1992 (voir la question 3, pièce 2 jointe à la pièce A‑1). Au cours des années en question, elle ne connaissait pas le marché, à Hamilton et dans les environs. Elle devait visiter de 20 à 30 maisons afin de fixer le prix exact des maisons qui venaient d’être mises en vente. Elle visitait constamment différents quartiers et des maisons. Elle a déclaré que, pour chaque client, il y en avait deux ou trois qui lui filaient entre les doigts. Lorsqu’elle représentait un acheteur, elle visitait auparavant de 25 à 30 maisons, mais elle n’en montrait que quelques‑unes au client. Les fins de semaine, elle organisait également, pour d’autres agents, des journées portes ouvertes à Oakville, afin d’essayer d’obtenir un mandat de vente de maisons à prix plus élevé. Elle faisait de la publicité à Toronto et elle avait des clients à Etobicoke, à Richmond Hill et à Stoney Creek. Au cours des années en question, elle avait eu un client commercial éventuel qui cherchait de nombreuses propriétés dans le centre‑ville de Toronto. Si elle avait réussi à lui en trouver, elle aurait pu gagner de 50 000 à 60 000 $, mais rien ne s’est concrétisé. Il avait néanmoins fallu faire de nombreux déplacements en voiture. L’appelante avait également d’autres clients qui vendaient leur maison, à Hamilton, et qui cherchaient une nouvelle maison, à Toronto. De plus, elle assistait à des conférences et à des séminaires de formation, à Mississauga, à Guelph et à Markham. Elle estimait passer chaque jour de huit à douze heures dans sa voiture à des fins professionnelles.

 

[20]         Selon l’appelante, il est mathématiquement impossible qu’elle puisse avoir utilisé sa voiture à des fins personnelles pendant 45 p. 100 du temps comme le soutient l’intimée. L’appelante a dit qu’elle avait essayé de tenir un carnet de route à plusieurs reprises, mais qu’elle n’avait pas réussi à le tenir à jour. Si elle l’avait fait, elle [traduction] « aurai[t] perdu tous [s]es clients » ou [traduction] « cela aurait nui à [s]on rendement » (voir la transcription, page 77).

 

[21]         L’appelante a produit en preuve ses documents de vente (pièce 3 du rapport produit sous la cote A‑1). Au cours du premier trimestre de l’année 2005, elle n’avait pas conclu de ventes. Elle a expliqué que la chose était attribuable au fait 1) qu’elle commençait à travailler dans un nouveau territoire; 2) qu’il faut en moyenne trois mois pour qu’une vente soit conclue. Au cours du deuxième trimestre de l’année 2005, elle avait conclu deux ventes, pour lesquelles elle représentait tant le vendeur que l’acheteur. Les commissions sur ces deux ventes s’élevaient à plus de 18 000 $. Au cours du troisième trimestre de l’année 2005, elle avait conclu cinq ventes, les commissions s’élevant en tout à 26 310 $. Au cours du quatrième trimestre de l’année 2005, elle avait conclu six ventes et ses commissions s’étaient élevées à 37 230 $.

 

[22]         En 2006 (pièce 4 jointe à la pièce A‑1), l’appelante avait gagné 10 480 $ pour deux ventes au cours du premier trimestre, 18 250 $ pour trois ventes au cours du deuxième trimestre, 13 000 $ pour deux ventes au cours du troisième trimestre, et 42 197 $ pour neuf ventes au cours du dernier trimestre.

 

[23]         L’appelante a déclaré que le marché immobilier est extrêmement cyclique. Pour bon nombre d’opérations, elle représentait tant l’acheteur que le vendeur, ce qui veut dire qu’elle utilisait beaucoup sa voiture. L’appelante a également expliqué que la chronologie de son rendement du travail ne correspondait pas nécessairement aux dates de clôture des ventes (transcription, page 87). Elle a dit qu’au cours des deux années en question, elle avait obtenu la distinction « Club exécutif RE/MAX » qui était basée sur les commissions, et que ses commissions étaient juste suffisantes pour qu’elle puisse se ranger dans la première moitié parmi les agents de son bureau (pièce 2 jointe à la pièce A‑l, 3e page).

 

[24]         Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a déclaré qu’elle était obligée en droit de conserver les dossiers de ses clients pour une longue période (maisons visitées, qu’elles soient vendues ou non). Toutefois, elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas faire d’extrapolations à l’aide de ces dossiers à l’égard de la distance parcourue pour son travail au cours d’une année parce que, lorsqu’elle faisait visiter une maison, cela ne voulait pas nécessairement dire qu’elle s’y rendait une fois seulement (parfois, pour une raison ou une autre, il est impossible d’avoir accès à la maison au moment prévu). L’appelante a réitéré que l’effort qu’il fallait faire pour calculer les heures passées à utiliser la voiture à des fins professionnelles compromettrait probablement sa capacité de gagner sa vie (transcription, page 119).

 

[25]         Lors du contre‑interrogatoire, l’appelante a également reconnu qu’elle avait déclaré, dans la pièce A‑2, paragraphe 6, que, pour chaque mandat de vente au cours des années en question, son bureau RE/MAX exigeait des originaux de tous les documents, ce qui voulait dire qu’elle devait se rendre au bureau. Lors de l’interrogatoire principal, l’appelante a déclaré qu’en 2006, elle avait conclu 16 ventes, ce qui veut dire qu’elle devait se rendre au bureau de RE/MAX plus d’une fois par mois. Elle a simplement répondu qu’elle n’avait pas donné un renseignement exact dans cette partie de la pièce A‑2, qu’il y avait eu une erreur (transcription, pages 126 et 127).

 

[26]         Lors du réinterrogatoire, l’appelante a expliqué pourquoi elle avait un poste de travail chez RE/MAX. Elle a déclaré que le poste lui coûtait 300 $ par mois et que le courtier prenait 30 p. 100 de sa commission pour chaque vente tant que son revenu de commissions ne s’élevait pas à 40 000 $. Si elle n’avait pas payé pour avoir un poste de travail, le courtier aurait pris un pourcentage inférieur sur ses commissions (5 p. 100 au lieu de 30 p. 100), mais il aurait exigé 900 $ par mois pour lui permettre de travailler chez RE/MAX. Elle a expliqué qu’en maintenant ses frais mensuels à un niveau moins élevé, elle pouvait avoir un filet de protection financière, étant donné que RE/MAX ne prenait son argent que si elle avait conclu des ventes (transcription, pages 130 à 132).

 

[27]         L’intimée a déposé un affidavit d’Adrienne Lake, directrice chez RE/MAX Aboutowne Realty, à Oakville (pièce R‑1). Mme Lake a déclaré, entre autres choses, que le bureau mettait environ 30 à 35 postes de travail à la disposition des agents de ventes associés au bureau. Elle a également déclaré que la plupart des 80 agents de ventes n’avaient pas de poste de travail qui leur était attribué. L’appelante a un bureau qui lui est attribué d’une façon permanente au lieu d’affaires de RE/MAX, bureau qu’elle partage avec deux autres agents, et qu’au cours des années ici en cause, elle avait un tel bureau. L’appelante dispose d’un poste de travail doté d’un poste téléphonique dans le bureau qui lui est assigné et elle a une case à courrier personnelle. Toutefois, Mme Lake ne pouvait pas faire de remarques au sujet du travail de l’appelante ou des heures pendant lesquelles l’appelante utilisait sa voiture (paragraphe 20). Elle a confirmé que l’appelante avait obtenu la distinction « Club exécutif » en 2005 et en 2006, ce qui veut dire qu’elle avait touché, au cours de l’année, des commissions de plus de 50 000 $. Mme Lake a également déclaré que 17 ou 18 agents avaient touché des commissions de plus de 100 000 $ en 2009, et que cinq ou six agents avaient gagné un revenu de commissions de plus de 250 000 $ cette année‑là.

 

[28]         L’appelante sollicite une décision indiquant les exigences auxquelles un agent immobilier doit satisfaire afin de prouver la distance parcourue à des fins professionnelles. L’appelante déclare qu’il est fort difficile de tenir un carnet de route et qu’il ne s’agit pas d’une exigence prévue par la LIR. Elle a déclaré que les fiches de données commerciales exigées par l’Association immobilière de l’Ontario, dont il est fait mention dans son contre‑interrogatoire, n’aident pas à déterminer la distance parcourue, parce que les renseignements à donner dans ces fiches se rapportent aux offres et aux ventes, et non aux déplacements en voiture. En outre, la situation a énormément changé depuis l’année 2000, en ce sens que les agents peuvent maintenant accéder au SIA depuis leur bureau à domicile. Il n’est pas nécessaire de se rendre au bureau du courtier aussi souvent qu’auparavant. Dans le cas de l’appelante, son principal lieu d’affaires est situé dans sa résidence, et dès que l’appelante prend place dans sa voiture, elle le fait à des fins professionnelles, même si elle se rend au bureau de RE/MAX de temps à autre afin d’y laisser les offres lorsqu’elle ne peut pas les envoyer par courriel ou par télécopieur, ou pour assister à une réunion afin de promouvoir l’une des propriétés dont elle s’occupe. De l’avis de l’appelante, le simple fait qu’elle ne tenait pas de carnet de route ne veut pas nécessairement dire qu’elle n’utilisait pas sa voiture à des fins professionnelles pendant 95 p. 100 du temps. Selon l’appelante, la position prise par l’intimée est arbitraire et déraisonnable et elle n’est pas fondée sur la réalité. L’appelante a invoqué la décision Qureshi c. Canada (Ministre du Revenu national), [1991] A.C.I. no 834 (QL), où le juge Tremblay (tel était son titre) a conclu qu’il n’est pas nécessaire de tenir un carnet de route en vue de montrer jusqu’à quel point une voiture est utilisée à des fins professionnelles, étant donné que l’article 230 de la LIR ne l’exige pas.

 

[29]         Quant à l’intimée, la question qui se pose réellement est une question de fait, c’est‑à‑dire qu’il s’agit de savoir dans quelle mesure la voiture est utilisée à des fins professionnelles, par opposition à des fins personnelles. Cela n’a rien à voir avec un carnet de route. Toutefois, l’article 230 de la LIR exige que le contribuable tienne des registres et des livres de comptes. L’intimée déclare que cette exigence existe en vue de permettre aux autorités de déterminer l’impôt exigible, quel qu’il soit. En consignant par écrit la distance parcourue, le contribuable fournit une certaine preuve objective.

 

[30]         De l’avis de l’intimée, l’appelante a présenté un témoignage fort général. Il n’aurait pas été trop difficile pour l’appelante de noter la distance parcourue à des fins personnelles. Dans l’arrêt Njenga c. Canada, [1996] A.C.F. no 1218 (QL), la Cour d’appel fédérale a dit qu’il incombe au contribuable de documenter ses affaires personnelles d’une façon raisonnable. Dans la décision Watts c. Canada, [2005] A.C.I. no 515 (QL), le juge Sarchuk a exigé un carnet de route d’un contribuable qui cherchait à déduire des frais afférents à un véhicule à moteur à titre de dépenses d’emploi. Dans l’affaire Watts, le contribuable avait gagné 2 500 $ au cours de l’année et il avait allégué utiliser son véhicule dans une proportion de 87 p. 100 pour son travail. L’intimée a soutenu que, dans ce cas‑ci, l’appelante avait déclaré 7 335 $ (voir la réponse à l’avis d’appel, paragraphe 8) au titre d’un revenu d’entreprise net en 2005 et qu’elle avait demandé une déduction de 95 p. 100 pour les déplacements effectués à des fins professionnelles. Selon l’intimée, il n’y a pas énormément de différence entre la présente affaire et l’affaire Watts. Dans la décision Chrabalowski c. Canada, [2004] A.C.I. no 488 (QL), le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) avait tenu compte du fait que le contribuable ne tenait pas de carnet de route en confirmant la cotisation par laquelle les frais afférents au véhicule à moteur engagés à des fins professionnelles avaient été réduits. Au paragraphe 13, le juge a dit qu’il ne croyait pas qu’il était particulièrement difficile pour une personne qui cherche à déduire des dépenses d’emploi de consigner ces dépenses et de tenir un carnet de route faisant état des frais d’utilisation d’une voiture. Enfin, l’intimée ne semble pas contester l’idée selon laquelle, lorsque le principal lieu d’affaires du contribuable est situé dans sa résidence, l’utilisation du véhicule depuis la maison pour les besoins du travail constitue une utilisation du véhicule à des fins professionnelles (voir Canada c. Cork, [1990] A.C.F. no 429 (QL)). Toutefois, l’intimée est d’avis que, lorsque l’appelante se rend en voiture de sa résidence au bureau de RE/MAX, il s’agit d’une utilisation personnelle (l’avocate de l’intimée a cité la décision rendue par le juge Webb dans l’affaire Rawlinson c. Canada, [2009] A.C.I. no 391 (QL)).

 

Analyse

 

[31]         Le paragraphe 230(1) de la LIR est libellé comme suit :

 

230. (1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

 

[32]         L’appelante pourra déduire les frais afférents au véhicule à moteur dans la mesure où elle peut prouver qu’elle les a engagés en vue de gagner un revenu de commissions. Il n’est pas contesté que l’appelante est travailleuse autonome et que c’est donc l’article 18 de la LIR qui s’applique. L’alinéa 18(1)a) prévoit ce qui suit :

 

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

Restriction générale

 

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien.

 

[33]         L’appelante doit également établir que les dépenses qui ont été déduites sont raisonnables. L’article 67 de la LIR est libellé comme suit :

 

67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

[34]         Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que la LIR n’exige pas expressément qu’un carnet de route soit tenu pour les frais afférents à un véhicule à moteur. Toutefois, en omettant de tenir un carnet de route, l’appelante fait face à une obligation plus lourde lorsqu’il s’agit de prouver qu’elle utilisait son véhicule à moteur presque exclusivement à des fins professionnelles. La question à régler ici est une simple question de fait. L’appelante est la seule personne qui sait exactement quelle utilisation elle faisait de sa voiture au cours de l’année. En même temps, le rôle du ministre, lorsqu’il procède à une vérification du contribuable, consiste à établir si le contribuable s’est conformé à la LIR. En l’espèce, le ministre met en doute l’allégation selon laquelle l’appelante utilisait sa voiture dans une proportion de 95 p.100 à des fins professionnelles. Le ministre a supposé avec raison que toute personne a des besoins personnels et il a conclu qu’en l’absence de quelque autre preuve objective, il serait plus approprié d’attribuer un pourcentage de 55 p. 100 aux déplacements effectués à des fins professionnelles.

 

[35]         Je crois comprendre que l’appelante a demandé à M. Meehan de témoigner, entre autres choses, afin de donner plus de poids à son témoignage, lorsqu’elle affirme qu’elle utilisait réellement sa voiture presque exclusivement à des fins professionnelles et qu’il était en pratique impossible de tenir un carnet de route. Toutefois, M. Meehan pouvait uniquement faire des suppositions au sujet des habitudes de conduite de l’appelante et des agents de ventes qui travaillaient pour lui. À part le fait qu’il a déclaré que les agents de ventes sont presque toujours dans leurs voitures, M. Meehan ne connaissait pas les faits sur ce point. Quant aux carnets de route, il a dit que les agents de ventes n’en tiennent habituellement pas, mais qu’ils devraient en tenir, et il a témoigné qu’il n’en avait lui‑même jamais tenu.

 

[36]         Un carnet de route sert à des fins utiles. Il permet au contribuable de démontrer avec plus d’exactitude jusqu’à quel point il utilise le véhicule à des fins professionnelles et jusqu’a quel point il l’utilise à des fins personnelles. Je comprends bien qu’il peut être ennuyeux de tenir un carnet de route et que cela n’est peut‑être pas toujours pratique lorsque l’agent est avec un client, mais l’appelante n’a pas réussi à me convaincre qu’elle [traduction] « perdrai[t] tous [s]es clients » ou que l’effort qu’il fallait faire pour calculer les heures d’utilisation de la voiture à des fins professionnelles [traduction] « [l]’empêcherait de gagner [s]a vie » ou [traduction] « nuirait à [s]on rendement ». Je comprends bien que l’appelante devait visiter un grand nombre de maisons et un bon nombre de quartiers dans son nouveau territoire et qu’elle servait un territoire étendu, mais en réalité, elle a conclu 13 ventes en 2005 et 16 ventes en 2006. Je crois qu’elle aurait eu le temps d’inscrire les renseignements nécessaires dans un carnet de route à la fin de la journée.

 

[37]         Les dépenses dont la déduction est demandée doivent être raisonnables, conformément à l’article 67 de la LIR. À première vue, il n’est pas raisonnable de déduire 95 p. 100 des frais afférents au véhicule à moteur à titre de dépense d’entreprise. Nous avons tous des besoins personnels. C’est la raison pour laquelle, s’il est vrai que l’appelante utilisait sa voiture à des fins professionnelles pendant 95 p. 100 du temps, il était d’autant plus nécessaire de tenir un carnet de route. Si l’appelante n’avait pas le temps de noter la distance parcourue à des fins professionnelles, ce dont je doute sérieusement, elle aurait pu noter la distance parcourue à des fins personnelles. Lorsqu’un contribuable déduit un montant plus raisonnable, la nécessité de tenir un carnet de route en vue de convaincre les autorités ou le tribunal devient moins cruciale, étant donné que l’on peut facilement imaginer jusqu’à quel point une voiture est nécessaire dans une industrie donnée (comme dans l’affaire Qureshi, précitée, mentionnée par l’avocat de l’appelante).

 

[38]         Dans ce cas‑ci, l’appelante avait un bureau à domicile, mais elle en avait également un au bureau de courtage RE/MAX, à Oakville, où elle devait se rendre périodiquement, c’est‑à‑dire au moins une fois par mois. La mère de l’appelante vivait à Toronto et l’appelante allait la voir de temps à autre. La preuve mise à ma disposition ne montre pas clairement quelle était l’utilisation personnelle de la voiture et quelle était l’utilisation à des fins professionnelles.

 

[39]         L’appelante a produit en preuve une offre soumise par le ministre, qui proposait d’admettre dans une proportion de 75 p. 100 les frais afférents au véhicule à moteur à titre de dépense d’entreprise (pièce A‑5). Eu égard aux circonstances, cette offre est selon moi raisonnable.

 

[40]         Les appels seront donc accueillis, sans frais, et les nouvelles cotisations seront renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que les frais afférents au véhicule à moteur seront admis dans une proportion de 75 p. 100 à titre de dépenses d’entreprise.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2010.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2010.

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 561

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-686(IT)I

 

INTITULÉ :                                       LISA DALE

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me William D. Howse

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Samantha Hurst et

M. Evan Duffy (stagiaire)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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