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Dossier : 2010-86(IT)I

ENTRE :

WAYNE CAPANCINI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 juillet 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Me Diana Aird

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est accueilli et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2010.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de décembre 2010.

 

 

Nathalie Gadbois, LL. L., LL. B.


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 581

Date : 20101110

Dossier : 2010-86(IT)I

ENTRE :

WAYNE CAPANCINI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

 

[1]     M. Capancini a interjeté appel de la nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu établie pour l’année d’imposition 2007. Par cette nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ajouté 5 101 $ à son revenu de l’année. Il n’y a aucun désaccord entre les parties quant aux faits qui ont donné lieu à cet ajout. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] à ces faits.

 

[2]     Avant le 29 juin 2007, M. Capancini détenait 225 actions de Tyco International Ltd. (« Tyco I »), une grande société diversifiée, dont le siège social est situé aux Bermudes et qui exerce ses activités aux États-Unis ainsi que dans d’autres pays. À cette date, Tyco I a fait l’objet d’une réorganisation avec dérivation; lors de cette réorganisation, deux secteurs de la société ont été transférés à de nouvelles sociétés, Tyco Electronics Ltd. (« Tyco E ») et Covidien Ltd (« Covidien »), et un regroupement d’actions a été effectué. Tyco E et Covidien étaient aussi des sociétés constituées en vertu des lois des Bermudes. Dans le cadre de cette réorganisation, chaque actionnaire de Tyco I a reçu une action de Tyco E, une action de Covidien et un nouvelle action de Tyco I pour chaque quatre anciennes actions de Tyco I qu’il détenait. Pour les fractions qui dépassaient un multiple de quatre, les actionnaires ont reçu un paiement au comptant. Par conséquent, l’appelant a reçu 56 actions de Tyco E shares, 56 actions de Covidien, 56 nouvelles actions de Tyco I, ainsi qu’un petit paiement au comptant en remplacement de ses 225 anciennes actions de Tyco I.

 

[3]     Northern Securities, la maison de courtage de valeurs de M. Capancini, lui a fait parvenir un feuillet T5 selon lequel il avait reçu un revenu de dividendes de source étrangère de 4 647,44 $US (5 001 $CAN) qui consiste en 56 actions de Tyco E et 56 actions de Covidien, soit leur valeur marchande à la date d’émission. Le ministre s’est fondé sur ce feuillet T5 pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, en ajoutant la valeur des actions de Tyco E et de Covidien à son revenu pour l’année.

 

[4]     Évidemment, M. Capancini estime qu’il est imposé sur un montant qui ne constitue pas un revenu pour lui, mais simplement ce qu’il possédait déjà, sous une autre forme. Les 168 actions des trois sociétés qu’il détenait en date du 29 juin 2007 représentaient exactement la même participation dans les mêmes entreprises que les 225 anciennes actions de Tyco I qu’il détenait en date du 28 juin. En produisant sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2007, il a inclus une lettre dans laquelle il expliquait qu’il n’estimait pas que la réception des actions de Tyco E et de Covidien constituait un événement imposable et, après avoir fait l’objet d’une nouvelle cotisation, il a déposé un avis d’opposition au ministre et il a également demandé à Northern Securities, sa maison de courtage de valeurs, de modifier le feuillet T5 pour supprimer la valeur de ces actions de la déclaration du revenu de source étrangère qu’il avait reçu.

 

[5]     Le ministre a répondu à son avis d’opposition en ratifiant la nouvelle cotisation et en fournissant l’explication suivante :

[traduction]

La somme de 4 740 $US constitue un revenu étranger et un revenu tiré d’un bien en vertu de l’alinéa 12(1)c). Il a été inclus dans votre revenu, conformément à l’article 3.

 

[6]     Pour sa part, Northern Securities a refusé de modifier le feuillet T5 qu’elle avait fourni. La maison de courtage s’est basée, d’une part, sur un communiqué diffusé par Tyco I le 7 juin 2007 qui décrivait que la réorganisation par scission en Tyco E et Covidien serait effectuée au moyen de la distribution d’un dividende libre d’impôt aux actionnaires de Tyco International et, d’autre part, sur une déclaration de Tyco I indiquant que Tyco I, Tyco E et Covidien sont des sociétés résidentes des Bermudes et que, comme il n’existe aucun accord fiscal entre le Canada et les Bermudes, l’article 86.1 de la Loi ne s’applique pas.

 

[7]     La position du ministre, telle que plaidée dans la réponse à l’avis d’appel, est que par suite de la restructuration de Tyco I l’appelant a reçu les actions de Tyco E et de Covidien en tant que dividendes en nature. Si ces actions constituaient des dividendes en nature, leur juste valeur marchande à la date de la distribution serait imposable entre les mains de M. Capancini en vertu de l’article 90, de l’alinéa 12(1)k) et du paragraphe 52(2) de la Loi, à moins que l’on démontre que l’article 86.1 s’appliquait, ce qui ferait de la distribution effectuée une distribution admissible. L’article 90, l’alinéa 12(1)k) et le paragraphe 52(2) prévoient que :

 

90        Dans le calcul du revenu, pour une année d’imposition, d’un contribuable résidant

au Canada, il doit être inclus toute somme reçue par le contribuable au cours de l’année au titre ou en paiement intégral ou partiel des dividendes afférents à une action qui lui appartient dans le capital‑actions d’une société ne résidant pas au Canada.

 

12(1)    Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

 

            a) […]

 

k) Dividendes versées par d’autres sociétés — les sommes à inclure, en application de la sous-section i, dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année au titre des dividendes versés par une société ne résidant pas au Canada sur une action de son capital-actions ou relativement à une action — dont le contribuable est propriétaire — du capital‑actions de sa société étrangère affiliée;

 

52(2)    Lorsque, à un moment donné après 1971, un actionnaire a reçu un bien d’une société au titre ou en paiement intégral ou partiel d’un dividende payable en nature (autre qu’un dividende en actions) sur une action qui lui appartient du capital‑actions de la société, cet actionnaire est réputé avoir acquis le bien à un prix égal à la juste valeur marchande du bien à ce moment, et la société est réputée avoir disposé du bien à ce moment à un prix égal à cette juste valeur marchande.

 

[8]     Je ne reproduirai pas l’article 86.1, puisque M. Capancini ne s’est pas fondé sur cet article. Il est simplement d’avis qu’il n’y a aucun dividende, en nature ou autre. Ses 225 actions de Tyco I constituaient une immobilisation; ses 56 actions de Tyco I, de Tyco E et de Covidien respectivement, qui ont remplacé ses actions originales, constituent une immobilisation.

 

 

[9]     L’avocate de l’intimée a fait référence à cinq décisions.

 

[10]    Dans la décision 463 v. M.N.R.[2], le contribuable a reçu, au moyen d’une société personnelle, un dividende en espèces d’une société américaine et, d’une autre société américaine, des actions d’une filiale de cette dernière société. L’appelant a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’événements imposables puisque la société payeuse les avait décrites comme des paiements de la nature d’un remboursement en capital et qu’ils n’étaient pas imposables en vertu des lois des États-Unis. Le président de l’audience de la Commission d’appel de l’impôt, W.S. Fisher, a soutenu qu’il s’agissait de dividendes imposables entre les mains de l’appelant parce que les sociétés ayant fait ces paiements [traduction] « n’étaient pas en cours de liquidation et qu’il n’étaient pas non plus en train de mettre fin à leurs activités ni de réduire la structure de leur capital ».   

 

[11]    Cangro Resources Ltd. (In Liquidation) v. M.N.R.[3] portait sur l’exigibilité de l’impôt sur un dividende en espèces ayant été payé aux actionnaires d’une société américaine pour leur permettre de souscrire à des actions d’une nouvelle société créée par la société existante. Cette dernière a décrit le processus comme une [traduction] « réorganisation partielle »; cependant, W.O. Davis, le président de l’audience de la Commission d’appel de l’impôt, a conclu qu’une nouvelle société avait été créée afin de mener des activités distinctes de celles de l’ancienne société et que les transactions ne faisaient pas partie de la réorganisation de la première société. Sur ce fondement, il a conclu que le paiement était un dividende imposable.

 

[12]    Dans la décision Brulotte c. La Reine[4] la juge Lamarre Proulx a conclu que le dividende en question était un dividende en actions, comme le définit la Loi et que, par conséquent, il constituait un dividende d’après la définition de ce mot, qui inclut précisément un dividende en actions. Ces définitions, tirées du paragraphe 248(1) de la Loi, prévoyaient alors et prévoient encore que :

 

« dividende » Sont compris parmi les dividendes, les dividendes en actions, sauf s’ils sont versés à une société ou à une fiducie de fonds commun de placement par une société non‑résidente.

 

et

« dividende en actions » Sont compris parmi les dividendes en actions les dividendes (déterminés compte non tenu de la définition de « dividende » au présent paragraphe) versés par une société, dans la mesure où ils sont versés par l’émission d’actions d’une catégorie du capital‑action de la société.

 

[13]    On ne peut établir de distinction entre les faits de l’affaire Morasse c. La Reine[5] et l’affaire dont je suis saisi ici. Le contribuable possédait 400 actions d’une société mexicaine qui avait fait l’objet d’une réorganisation selon laquelle une partie distincte de la société avait été détachée afin de créer une nouvelle société. L’actif et le passif de cette partie de la société d’origine sont devenus l’actif et le passif de la nouvelle société. Chaque actionnaire a reçu une action de la nouvelle société pour chaque action qu’il détenait dans la société d’origine. Comme en l’espèce, le courtier de l’appelante a décrit les actions de la nouvelle société comme un dividende en actions et a établi un feuillet T5 pour la valeur marchande des actions à la date d’émission. Le juge Miller a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une question déterminante pour trancher la question. Je suis d’accord avec lui et je souscris à sa conclusion selon laquelle, dans de telles circonstances, les nouvelles actions ne sont pas des dividendes en actions parce qu’elles ne sont pas des actions de la société d’origine. Elles ne sont pas des dividendes en nature, comme c’est le cas lorsqu’une filiale en propriété exclusive fait l’objet d’une réorganisation par scission au moyen de la distribution de ses actions aux actionnaires de la société mère. En l’espèce, les actions de Tyco E et de Covidien n’ont jamais été possédées par Tyco I. Elles ont été créées dans le cadre d’une réorganisation et, au même titre que les nouvelles actions de Tyco I, elles constituent simplement les actions d’origine de Tyco I sous une forme différente.

 

[14]    Le mot « dividende » n’est pas un terme juridique. Sous réserve uniquement de l’inclusion d’un dividende en actions en raison de la définition de l’article 248, il s’agit d’un mot auquel on doit donner son sens ordinaire : voir Re Carson[6]. Le Black’s Law Dictionary, tout en reconnaissant quelque 30 différents types de dividendes, définit le terme « dividende » de la façon suivante :

 

[traduction]

Une partie du bénéfice ou des profits d’une société qu’elle distribue en proportion des actions que les actionnaires détiennent, habituellement sous la forme d’espèces ou d’actions additionnelles.

 

L’Oxford Dictionary of Law définit le terme « dividende » comme [traduction] « un paiement déclaré […] comme payable aux actionnaires à partir des profits pouvant être distribués. » Il est évident que les actions de Tyco E et de Covidien qui ont été distribuées aux actionnaire de Tyco I n’entraient pas dans la définition ordinaire du terme « dividende ». Par conséquent, elles ne sont pas imposables entre les mains de l’appelant

 

[15]    Les faits de l’affaire Allen c. La Reine[7] sont semblables à ceux de l’affaire Morasse. Cependant, dans l’affaire Allen, le juge Miller a conclu que la seule preuve de la nature de la transaction était la description, par le courtier de l’appelante, des actions comme étant un dividende, et que l’appel doit être rejeté parce que les exigences de l’article 86.1 ne sont pas satisfaites. En l’espèce, il n’y avait aucun désaccord quant aux faits de base sur la réorganisation, tel qu’il appert des paragraphes 9 et 10 de la réponse à l’avis d’appel de l’intimée. La seule question en litige est la description qu’a faite le ministre à l’alinéa 9b) des actions de Tyco E et de Covidien en tant que dividendes en nature. Il s’agit d’une conclusion erronée,  pour les motifs que j’ai énoncés. Il s’agit aussi d’une question mixte de fait et de droit, dont les hypothèses émises vont à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd.[8]

 

[16]    L’appel est accueilli et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux présents motifs du jugement.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 2010.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de décembre 2010.

 

 

Nathalie Gadbois, LL. L., LL. B.


RÉFÉRENCE :                                   2010 CCI 581

 

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-86(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       WAYNE CAPANCINI

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 13 juillet 2010

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   L’honorable juge E.A. Bowie

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               Le 10 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Me Diana Aird

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                                Nom :                S/O

 

                            Cabinet :                S/O

 

          Pour l’intimée :                         Myles Kirvan, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           L.R. 1996, ch.23, dans sa version modifiée.

 

[2]           57 DTC 530.

 

[3]           67 DTC 582.

 

[4]           2003 CCI 467.

 

[5]           2004 CCI 239.

 

[6]           [1963] 1 O.R. 373 (H.C. Ont.).

 

[7]           2006 CCI 598.

 

[8]           2003 CAF 294.

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