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Dossier : 2007‑1374(GST)G

 

ENTRE :

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.,

appelante,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

 

Appel entendu le 27 octobre 2010, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Mes William I. Innes, Neil E. Bass et David E. Spiro

 

 

Avocates de l’intimée :

Mes Marilyn Vardy, Sharon Lee et

Suzanne M. Bruce

 

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont les avis sont datés du 15 décembre 2006 et portent les numéros 04BP‑0622 2125 8018 pour la période allant du 3 septembre 2001 au 1er septembre 2002, 04BP‑0630 4072 9219 pour la période allant du 2 septembre 2002 au 28 septembre 2003, et 04BP‑0630 4072 6380 pour la période allant du 1er septembre 2003 au 29 août 2004, sont accueillis et les nouvelles cotisations sont annulées. Les dépens seront déterminés conformément au paragraphe 47 des motifs ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2010.

 

 

 « Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2011.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur.

 


 

 

 

 

 

Référence : 2010CCI609

Date : 20101130

Dossier : 2007‑1374(GST)G

 

ENTRE :

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.,

appelante,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

 

[1]              La présente affaire a été renvoyée par la Cour d’appel fédérale. Afin d’éviter la répétition fastidieuse de l’exposé des faits, j’invite les parties à prendre connaissance des motifs que j’ai prononcés le 10 mars 2009, où elles trouveront un historique plus détaillé.

 

[2]              Rappelons brièvement que Costco Wholesale Canada Ltd. (« Costco ») et la Banque Amex du Canada (« Amex ») ont signé simultanément deux conventions, à savoir une convention de marchand et une convention de comarquage, qui prévoyaient toutes les deux le paiement de frais, exprimés en pourcentage, soit le paiement, par Costco à Amex, de frais d’un pourcentage X, et le paiement d’Amex à Costco, de frais d’un pourcentage Y, ce qui se soldait par le paiement de frais de pourcentage Z par Costco à Amex. L’intimée a établi une cotisation à l’égard de Costco pour la TPS due par Costco sur le pourcentage Y au motif que ce paiement se rattachait à une fourniture effectuée par Costco en faveur d’Amex sur laquelle Costco aurait dû percevoir la TPS.

 

[3]              En mars 2009, j’ai rendu un jugement par lequel j’ai accueilli l’appel interjeté par l’appelante au motif qu’une seule fourniture, celle effectuée par Amex à Costco, avait fait l’objet d’une contrepartie et que les paiements trimestriels (Y) effectués par Amex à Costco ne se rapportaient nullement à une fourniture effectuée par Costco en faveur d’Amex, mais bien à une remise sur une partie de certains frais. À titre subsidiaire, j’ai conclu que, même si ces paiements trimestriels constituaient la contrepartie d’une fourniture taxable effectuée par Costco en faveur d’Amex, cette fourniture se rapportait à des services financiers, lesquels sont exonérés. L’intimée a interjeté appel.

 

[4]              Il ressort de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale que la thèse de l’intimée était que la fourniture effectuée par Costco en faveur d’Amex constituait la fourniture d’un bien, à savoir le droit d’exclusivité, moyennant une contrepartie équivalente au plein montant des paiements trimestriels (Y). Or, l’intimée n’a pas défendu cette thèse dans ses actes de procédure.

 

[5]              La Cour d’appel fédérale m’a renvoyé l’affaire avec pour directive de rendre une nouvelle décision « en tenant compte de la définition de “bien” au regard de la preuve existante ou de tout autre élément [que je] pourrai[s] décider d’admettre en preuve ». Peu de temps après, j’ai convenu avec les parties que les questions qu’il fallait examiner, suivant cette directive, étaient les suivantes :

 

a)       Les droits d’exclusivité prévus aux alinéas 2.11a) et b) de la convention de comarquage constituent‑ils un « bien » au sens de l’article 123 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »)?

 

b)      Costco a‑t‑elle effectué une fourniture de ces droits d’exclusivité à Amex?

 

c)                 Dans l’affirmative, ces droits constituaient‑ils, individuellement ou collectivement, une seule et même fourniture?

 

d)                Si ces droits ne constituaient pas, individuellement ou collectivement, une seule et même fourniture, mais des éléments d’une fourniture multiple, quelles sont les modalités d’application des articles 138 ou 139 de la Loi, le cas échéant?

 

e)                 Selon la conclusion tirée par la Cour en réponse aux questions c) et d), quelle partie, s’il en est, des paiements (Y) effectués en vertu de l’alinéa 3.01a) de la convention de comarquage constituait une contrepartie de la fourniture des droits d’exclusivité?

 

[6]              J’ai permis à l’appelante de rappeler deux de ses témoins, Mme Hawkins, d’Amex, et Mme Gilpin, de Costco, qui ont toutes les deux brièvement complété leur témoignage antérieur, surtout en ce qui avait trait à l’importance que revêtait l’exclusivité dans l’entente intervenue entre Costco et Amex. J’ai également permis à l’intimée de faire témoigner la directrice des taxes à la consommation de Costco, Mme Assaraf, que l’intimée a assignée à comparaître.

 

[7]              Voici les faits complémentaires qui ressortent de ces témoignages :

 

Mme Hawkins (représentante d’Amex) :

 

‑        l’entente comporte deux principaux éléments : l’acceptation exclusive de la carte Amex chez Costco et l’entente de comarquage, mais à son avis, c’est le second élément, l’entente de comarquage, qui était le plus important;

 

‑        les facteurs suivants constituent les principes dont on tenait compte pour calculer le taux net du marchand (Z) :

 

‑        nature de l’industrie

 

‑        volume élevé

 

‑        précédent créé aux États‑Unis

 

‑        type d’opérations

 

‑        rapidité de paiement

 

‑        l’exclusivité n’était pas le facteur clé pour le calcul du taux, mais revêtait une grande importance dans le cadre de l’entente;

 

‑        Amex profitait davantage de l’utilisation des cartes comarquées ailleurs que chez Costco;

 

‑        la remise (Y) ne valait que pour l’acceptation exclusive de la carte.

 

Mme Gilpin (représentante de Costco) :

 

‑        ce qui importait le plus pour Costco, c’était d’obtenir le taux Z, qui était obtenu grâce au volume que Costco était en mesure d’offrir;

 

‑        Costco attachait moins d’importance à l’exclusivité et ne tenait qu’à une seule chose : obtenir le taux net Z du marchand;

 

‑        Costco croyait que le choix d’Amex était avisé en raison de la similitude du profil de leur clientèle respective et du fait que Costco et Amex disposaient toutes les deux d’une importante clientèle commerciale;

 

‑        Y n’avait aucune signification particulière pour Costco, étant donné que c’était Amex qui en avait eu l’idée;

 

‑        Costco était intéressée à offrir une carte d’utilisation courante à ses membres, mais seulement à un taux approprié.

 

Mme Assaraf (également représentante de Costco) :

 

‑        les paiements trimestriels Y étaient effectués par chèque;

 

‑        elle a signé le 5 novembre une lettre adressée à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) dans laquelle elle formulait les observations suivantes sur cette question :

 

[traduction]

L’entente relative à l’acceptation de la carte Amex par Costco est une entente exclusive portant sur les achats effectués « à l’entrepôt ». Autrement dit, exception faite des achats effectués avec la carte de crédit de Costco, les clients ne peuvent utiliser que la carte Amex pour les achats effectués à l’entrepôt s’ils ne paient pas en espèces ou avec une carte de débit. En raison de ce statut de fournisseur privilégié, Amex a exigé de Costco un taux d’escompte effectif de Z pour cent. Ce taux effectif est appliqué par le truchement du versement de la remise d’Y pour cent prévue à l’alinéa 3.01a) de la convention de carte. Amex se sert de ce mécanisme de taux de remise pour assurer la confidentialité du taux d’escompte réduit négocié avec Costco.

 

Bien qu’elle l’ait signée pour le compte de Costco, Mme Assaraf a expliqué que cette lettre avait été rédigée par les avocats de Costco. Elle a soutenu que le statut de fournisseur privilégié n’était pas attribuable à l’exclusivité mais au volume considérable que Costco pouvait offrir.

 

Thèse de l’appelante

 

[8]              Suivant Me Innes, la thèse de l’appelante est simple : indépendamment du traitement fiscal que la Loi réserve aux droits d’exclusivité, Costco n’a jamais effectué une fourniture d’exclusivité à Amex aux termes de la convention de comarquage. L’appelante soutient que la question de savoir si l’exclusivité constitue un bien au sens de la Loi n’a aucune incidence sur la décision que j’ai déjà rendue au sujet de cet aspect fondamental, ni sur ma conclusion antérieure suivant laquelle le droit d’exclusivité représente simplement un outil de négociation qui ne doit pas être assimilé à une marchandise ou un service fourni par Costco à Amex. Au sujet des questions susmentionnées, voici les réponses de l’appelante:

 

a)       aux fins du présent litige, l’appelante reconnait que les droits contractuels que Costco a accordés à Amex conformément aux alinéas 2.11a) et b) de la convention de comarquage sont des choses non possessoires qui constituent des biens au sens de la Loi;

 

b)      la conduite de Costco dans l’exécution de ses obligations contractuelles envers Amex conformément aux alinéas 2.11a) et b) de la convention de comarquage ne constituait pas une fourniture effectuée à Amex. Cette conduite était plutôt un « attribut » de l’entente de financement conclue entre Costco et Amex aux termes de laquelle Amex convenait d’offrir des services financiers à Costco. À cet égard, l’appelante souligne que l’engagement contractuel stipulé à l’article 2.11 de la convention de comarquage est davantage de la nature d’un attribut (par ex. un débiteur devra conserver une cote de crédit AAA ou un entrepreneur n’engagera que du personnel non syndiqué). Il ne s’agit pas de quelque chose à fournir, mais d’une modalité de leurs rapports. Sans fourniture de services d’Amex à Costco, il ne pouvait y avoir d’achat de droits d’exclusivité;

 

c)       si Costco pouvait être considérée comme fournissant quelque chose à Amex conformément aux conditions stipulées dans la convention de comarquage (ce qui, soutient l’appelante, n’était pas le cas), la conduite qu’a adoptée l’appelante en accordant des droits d’exclusivité à Amex conformément aux modalités de cette convention présentait les caractéristiques d’une seule et même fourniture;

 

d)      Suivant l’article 138, la fourniture de droits d’exclusivité à Amex est assimilée à la fourniture d’un service financier, étant donné que cette fourniture serait accessoire aux autres fournitures effectuées par l’appelante en vertu de la convention de comarquage; de même, l’article 139 aurait le même effet étant donné que le total des sommes payées à Costco conformément à l’alinéa 3.01a) correspond à moins que la moitié du total de tous les montants, dont chacun représenterait la contrepartie de la fourniture de droits d’exclusivité si elle avait été effectuée séparément;

 

e)       Néant.

 

 

Thèse de l’intimée

 

[9]              Suivant l’intimée, il y a eu une fourniture réciproque : les droits d’exclusivité étaient essentiels à l’entente et ils constituaient un bien, à savoir un bien fourni à Amex par Costco pour un montant clairement désigné, Y, dans la convention de comarquage. Il est tout simplement invraisemblable, selon l’intimée, que Costco accorde des droits d’exclusivité à Amex sans contrepartie. L’intimée répond donc par l’affirmative aux questions a) et b) et établit un lien direct entre le paiement d’Y et la fourniture des droits d’exclusivité, répondant ainsi à la question e) en affirmant que le montant intégral d’Y constitue la contrepartie versée pour les droits en question. En ce qui concerne la question c), l’intimée maintient maintenant qu’il n’est plus réaliste de considérer l’ensemble des services et des biens fournis par Costco à Amex comme une seule et même fourniture. L’intimée soutient plutôt que Costco effectuait deux fournitures distinctes : la première consistait à fournir des droits d’exclusivité et la seconde, à fournir des services de marketing et des services promotionnels et administratifs en liaison avec les cartes comarquées. Cette approche ne ferait donc pas jouer les articles 138 et 139 (question d)). Toutefois, même s’il y avait plusieurs fournitures et que les articles 138 ou 139 s’appliquaient, les droits d’exclusivité ne peuvent pas être considérés comme accessoires à d’autres biens ou services.

 

[10]         Enfin, l’intimée soutient que, si je dois recourir à la définition de services financiers, je dois appliquer rétroactivement les modifications apportées le 12 juillet 2010 à la définition de l’expression « service financier » par le projet de loi C‑9, et que sont donc exclus de la définition de services financiers les services et les biens fournis par Costco à Amex.

 

Analyse

 

[11]         J’ai reproduit les dispositions pertinentes, à savoir l’article 2.11 et les alinéas 3.01a) et b) de la convention de comarquage, à l’annexe A des présents motifs.

 

[12]         Les définitions suivantes, tirées du paragraphe 123(1) de la Loi, sont également pertinentes dans le cadre de la présente analyse :

 

« bien » À l’exclusion d’argent, tous biens — meubles et immeubles — tant corporels qu’incorporels, y compris un droit quelconque, une action ou une part.

 

[…]

 

« fourniture » Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

[…]

« fourniture taxable » Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

 

[13]         Je tiens à préciser d’entrée de jeu que je n’ai entendu aucun témoignage qui m’aurait incité à modifier mon opinion au sujet du marché conclu entre  Costco et Amex;  en effet, il s’agissait d’une entente constatant, en premier lieu, l’acceptation, par Costco, de la carte Amex, et uniquement de la carte Amex, dans ses magasins canadiens en contrepartie de frais nets Z qu’Amex exige du marchand et constatant, en second lieu, la convention de comarquage aux termes de laquelle Costco s’engageait à fournir des services de commercialisation à Amex en contrepartie de ce qu’on a qualifié de « prime » (laquelle ne fait pas l’objet du présent litige). Le problème réside dans le fait que la convention de comarquage prévoit un paiement trimestriel d’Amex à Costco (Y), qui ne se rattache explicitement à aucune contrepartie précise. J’estime que cette situation tient au fait qu’il s’agissait tout simplement d’une remise secrète permettant d’obtenir les frais véritablement exigés par Amex à Costco. Un point, c’est tout.

 

[14]         Je me pencherai donc sur les arguments que les parties ont méticuleusement développés au sujet des biens, de la fourniture et de la contrepartie. Mais, ce faisant, je me laisse entraîner dans l’examen d’une entente artificielle qu’on pourrait peut‑être plus justement qualifier d’entente fictive, concoctée au regard dispositions de forme de la Loi et non en fonction des réalités commerciales concrètes de la transaction. C’est le monde à l’envers! Il ne s’agit pas de savoir comment cette transaction peut cadrer avec le régime fiscal; il faut rechercher de quelle manière le régime fiscal s’applique à cette transaction.

 

Bien

 

[15]         Même si les deux parties s’entendent pour dire que les droits d’exclusivité constituent un bien au sens de la Loi, il est utile de préciser ce que l’on entend par « bien ». Bien sûr, les droits d’exclusivité peuvent être considérés comme « un droit quelconque », mais ils constituent plus précisément un droit d’action contractuel qu’Amex peut faire valoir contre Costco, une chose non possessoire. Ainsi que le juge Noël l’explique dans l’arrêt RCI Environnement Inc. c. La Reine[1], les ententes de non‑concurrence, par exemple, confèrent des droits qui répondent à la définition élargie de « biens » prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[16]         Ce droit — ce bien — est créé au moment où la convention est signée. Il ne peut exister indépendamment d’une convention; comme il s’agit d’un droit d’action contractuel, ce droit nécessite évidemment un contrat, contrairement à un bien tangible, qui existe indépendamment de tout contrat. Je tiens à signaler que je ne parle pas ici de la fourniture d’un bien mais bien de la nature du bien lui‑même.

 

[17]         Suivant l’appelante, ce type de bien, ce droit d’action, correspond davantage à un attribut comme c’est le cas lorsqu’un débiteur s’engage à conserver une cote de crédit AAA sous peine de se retrouver en situation de défaut de paiement, ou lorsqu’un entrepreneur convient de ne pas engager de personnel non syndiqué. L’appelante s’inspire de la décision Association canadienne de protection médicale c. La Reine[2] dans laquelle l’ancien juge en chef Bowman formule des observations qui ont trait à l’expertise de certaines personnes et que je ne place pas dans la même catégorie que la chose non possessoire dont il est question en l’espèce. On pourrait tirer une analogie plus pertinente en évoquant une clause par laquelle Costco s’engagerait à conserver un niveau déterminé de volume de ventes ou à assurer un niveau de croissance donné sur une période de sept ans. Ces droits répondraient également à la définition élargie de « bien » prévue par la Loi. Il semblerait que toute clause sur laquelle une partie contractuelle se fonderait pour intenter une action, toute chose non possessoire, pourrait, suivant l’intimée, constituer un bien assujetti à la TPS. À mon avis, accepter un tel raisonnement risquerait d’exposer tout à un examen visant à vérifier si de tels engagements contractuels, qui constitueraient un bien, seraient susceptibles de modifier involontairement un contrat portant sur la fourniture d’une chose par le vendeur à l’acquéreur en un contrat portant sur la fourniture de deux choses, la première du vendeur à l’acquéreur et la seconde de l’acquéreur au vendeur. Compte tenu de la nature de ce bien, j’estime qu’il ne peut tout simplement s’ensuivre que parce qu’il y a un bien, il doit exister aussi une fourniture de ce type bien précis de bien.

 

[18]         L’appelante va en fait plus loin et laisse entendre que, s’il y a fourniture de quelque chose, ce n’est pas d’un bien, mais d’un service. L’appelante soutient :

 

[traduction]Le seul droit que l’appelante a perdu après la signature de la convention de comarquage était le droit qu’elle possédait, au même titre que tout autre marchand, d’émettre sa propre carte de crédit ou d’accepter toute carte de crédit émise par toute société émettrice de carte de crédit avec laquelle elle déciderait de signer une entente. La chose à laquelle l’appelante a renoncé en contractant les obligations stipulées à l’article 2.11 n’était pas un « bien ». Il s’ensuit donc que si l’exclusivité prévue par la convention de comarquage était une fourniture effectuée par l’appelante à Amex, cette fourniture doit correctement être qualifiée de « service » au sens de la Loi.

 

Ce qui nous amène à discuter de fourniture et de contrepartie.

 

Fourniture

 

[19]         Ici encore, j’ai affaire à une définition très large. Il est utile de reproduire l’article 133 de la Loi :

 

133      Pour l’application de la présente partie, la fourniture objet d’une convention est réputée effectuée à la date de conclusion de la convention. La livraison du bien ou la prestation du service aux termes de la convention est réputée faire partie de la fourniture et ne pas constituer une fourniture distincte.

 

[20]         La fourniture consiste en la livraison d’un bien sous quelque forme que ce soit. Aux termes de l’article 133, la fourniture visée par une convention est réputée effectuée à la date de conclusion de la convention et la livraison du bien aux termes de la convention est réputée faire partie de la fourniture. Ainsi, s’agissant du bien en cause, soit une chose non possessoire, le bien commence à exister et est fourni au même moment. Mais en quoi consiste la livraison ultérieure du bien? C’est lorsque Costco se conforme tout simplement à l’engagement qu’elle a pris. Concrètement, Costco ne livre rien, n’accomplit rien. C’est simplement la réalisation de l’engagement stipulé au contrat qui est censé être la fourniture. Bien qu’on puisse aisément comprendre que l’intimée soutienne que les droits d’exclusivité constituent un bien et que, suivant l’article 133, la fourniture qui fait l’objet de la convention est réputée effectuée à la date de la conclusion de la convention, en quoi cet argument modifie‑t‑il la conclusion à laquelle je suis déjà parvenu, suivant laquelle l’entente fondamentale portait sur la fourniture à Costco, pour la contrepartie Z, des services visés par la carte de crédit Amex? Costco a convenu de ne pas accepter d’autres cartes. En quoi cet engagement est‑il différent, par exemple, du contrat par lequel une personne loue une voiture en promettant de ne pas l’utiliser sur des routes en gravier? L’agence de location de voitures fournit une voiture qui n’est censée circuler que sur des routes asphaltées; voilà en quoi consiste la fourniture. En l’espèce, Costco obtient les services prévus par la carte de crédit Amex en contrepartie de Z à condition de ne pas accepter les autres cartes (de ne pas circuler sur des routes non asphaltées). Amex fournit les services prévus par sa carte de crédit à un client qui n’a pas de carte de crédit; voilà en quoi consiste la fourniture. Bien qu’aucune des parties n’ait soulevé la question, si Costco manquait à son engagement ou que le locateur de la voiture empruntait des routes en gravier, et si Amex ou l’agence de location réussissait à récupérer une certaine somme, je présume que l’article 182 jouerait et assujettirait ce paiement à la TPS, alors que si l’intimée a raison, le bien en cause, la chose non possessoire, aurait déjà été assujetti à la TPS.

 

[21]         Si les droits d’action qui correspondent aux droits d’exclusivité constituent la livraison du bien, qu’advient‑il alors de tous les autres engagements que Costco a contractés dans la convention de marchand? Bien qu’on ne me les ait pas cités, je retiens notamment de la convention de marchand que Costco s’engage par ce contrat :

 

‑        à accepter la carte Amex dans tous ses magasins canadiens;

 

‑        à créer un dossier de crédit;

 

‑        à s’assurer que la carte n’est pas modifiée;

 

‑        à s’assurer que la carte est utilisée au cours de sa période de validité;

 

‑        à s’assurer que la carte est signée;

 

‑        à obtenir une autorisation;

 

‑        à remplir un dossier de crédit;

 

‑        à soumettre tous les frais dans un délai de sept jours;

 

‑        à divulguer la politique de remboursement aux titulaires de la carte;

 

‑        à afficher les affiches, décalques, insignes, etc. d’Amex;

 

‑        à ne pas accepter la carte pour le remboursement de dettes;

 

‑        à vérifier l’équipement;

 

‑        à former le personnel.

 

[22]         En signant la convention de marchand par laquelle elle accepte qu’Amex lui facture X, Costco livre également tous les droits d’action en question à Amex en s’obligeant à s’abstenir de faire un certain nombre de choses. Vraisemblablement, si Costco ne respectait pas ses nombreuses obligations, Amex pouvait la poursuivre en justice. Pourtant, tous ces éléments se rapportent certainement à la livraison par Amex des services prévus par sa carte de crédit. À strictement parler, ces éléments ne sont pas différents de l’engagement de Costco de ne pas accepter d’autres cartes. Est‑ce simplement une question de degré? Est‑ce une question de pure forme?

 

[23]         L’appelante répond à ces questions en qualifiant l’engagement contractuel d’attribut, un attribut qui se trouve à être également un bien au sens de la Loi, mais pas un bien qui, selon la logique commerciale, devrait être considéré comme étant fourni par Costco à Amex aux fins de percevoir la TPS. Est‑ce que cette réponse l’emporte sur l’argument technique de l’intimée suivant lequel en appliquant la définition du mot « biens » à l’article 133 à un paiement distinct effectué par Amex à Costco, on est inévitablement conduit à la livraison d’un bien pour une contrepartie? C’est le cas si l’on considère que ces biens intangibles ne peuvent constituer des biens distincts et indépendants : ils n’existent que par suite de la fourniture par Amex des services prévus par sa carte de crédit. Aucune de ces « choses non possessoires » n’est livrée de façon isolée; aucune ne serait livrée sans le contrat de livraison d’Amex à Costco et, en conséquence, la TPS ne devrait être facturée qu’en cas de manquement ou que s’il existe une disposition prévoyant explicitement un paiement se rapportant à une chose non possessoire précise. J’y reviendrai lors de ma discussion concernant la contrepartie.

 

[24]         La présente affaire est différente de celle de l’affaire Vanex Truck Service Ltd. c. R.[3] que j’ai déjà citée et dans laquelle Vanex redistribuait du carburant, des permis et de l’assurance à des tractionnaires. Il était acquis aux débats qu’il y avait deux fournitures : d’une part, les services des tractionnaires fournis à Vanex et, d’autre part, le droit au carburant, au permis et à l’assurance effectivement redistribués par Vanex. La convention indiquait clairement que les tractionnaires avaient le choix d’obtenir ces fournitures directement sans passer par Vanex. Ces fournitures pouvaient exister indépendamment des services fournis par les tractionnaires.

 

[25]         Voilà qui boucle la boucle et me ramène à la conclusion que j’ai tirée au départ. Bien qu’ils soient des biens intangibles, les droits d’exclusivité ne correspondent pas à ce qui a été fourni dans le cadre de cette entente commerciale portant sur des services de carte de crédit.

 

Contrepartie

 

[26]         Je passe directement à la cinquième question, qui porte sur la contrepartie, car même si l’on interprète la Loi comme assimilant ces engagements contractuels à des fournitures de biens, je conclus que l’intimée n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’Y représente la contrepartie de cette fourniture. Le paragraphe 165(1) de la Loi impose la TPS « sur la valeur de la contrepartie de la fourniture ».

 

[27]         L’intimée relève que l’article 3.01 s’intitule [traduction] « indemnité » et elle en déduit que la convention qualifie explicitement Y d’indemnité, de sorte qu’il doit s’agir de la contrepartie de quelque chose. J’ai déjà conclu dans mes motifs précédents qu’Y est effectivement une remise : la convention vise la fourniture des services de la carte de crédit American Express en contrepartie de Z. Ma conclusion est‑elle différente si les droits d’exclusivité sont considérés comme la fourniture d’un bien? Non, puisque la contrepartie ne jouait que dans un sens, de Costco à Amex, et elle correspondait à Z. L’intimée signale que, suivant la définition de « contrepartie » prévue par la Loi, « est assimilé à une contrepartie tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture ». L’intimée en déduit que, comme il existe un montant payable aux termes de l’alinéa 3.01a) (donc, par effet de la loi), il y a une contrepartie. L’intimée boucle la boucle en faisant valoir que la preuve confirme l’existence d’un lien direct entre le paiement et les droits d’exclusivité, lesquels représentent ce qui est fourni.

 

[28]         Avant de pousser plus loin mon analyse, je tiens à signaler que cet argument n’a pas été soulevé par l’intimée dans ses actes de procédure et qu’il découle des conclusions que j’ai tirées dans mes motifs précédents. C’est à bon droit que l’appelante soutient qu’en pareil cas, c’est à l’intimée qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une partie ou la totalité d’Y constitue effectivement la contrepartie des droits d’exclusivité.

 

[29]         L’alinéa 3.01a) de la convention de comarquage ne mentionne pas que les paiements trimestriels constituent la contrepartie des droits d’exclusivité. La convention est muette sur ce point. Toutefois, comme je l’ai déjà expliqué, cette situation s’explique par le fait que le montant Y constitue simplement une remise, une remise qui est censée demeurer secrète et qui a pour effet de réduire le montant qu’Amex réclame de Costco. Elle ne constitue pas une contrepartie d’Amex à Costco même s’il s’agit d’un montant payé par Amex à Costco : elle demeure une réduction des frais versés par Costco à Amex pour la fourniture de services d’Amex à Costco.

 

[30]         Je ne crois pas que le paragraphe 153(1) de la Loi conforte l’intimée. Il dispose :

 

153(1) Pour l’application de la présente partie et sous réserve de la présente section, la valeur de tout ou partie de la contrepartie d’une fourniture est réputée correspondre, si la contrepartie est sous forme d’un montant d’argent, à ce montant […]

 

 

[31]         Cela suppose que le paiement correspond à la contrepartie versée par Amex à Costco. Or, j’ai conclu que ce n’est pas le cas, mais qu’il s’agit plutôt d’une réduction secrète de la contrepartie versée par Costco à Amex. Suivant l’intimée, la seule question qui se pose ici est celle de savoir si les paiements correspondaient à une fourniture effectuée par Costco ou s’ils étaient simplement faits à titre gratuit. L’intimée soutient qu’il n’est tout simplement pas vraisemblable que ces paiements soient effectués à titre gratuit dans une situation d’absence de lien de dépendance. Il me semble que telle n’est pas la bonne question puisqu’on se concentre encore sur Y, qui ne constitue à mon avis qu’une réduction de X. Y est un pourcentage qui est censé demeurer privé et qui n’est pas censé correspondre à plus que cela. Il faut donc maintenant rechercher, si je retiens la thèse que Costco a fourni un bien et qu’Y est la contrepartie de quelque chose, si la totalité ou une partie des paiements (Y) représente la valeur de la contrepartie de ce bien (les droits d’exclusivité), qui sont taxables en vertu du paragraphe 165(1). J’ai le sentiment qu’il s’agit d’un aspect de l’analyse vers lequel la Cour d’appel fédérale tendait. Fait intéressant, en considérant le problème comme une question d’évaluation, aucune des parties ne m’a proposé d’évaluation établissant un lien entre Y et un droit d’exclusivité ou une autre clause contractuelle ou fourniture. L’appelante affirme que la valeur est nulle, alors que l’intimée soutient que la valeur correspond au plein montant du paiement. Les deux parties se fondent sur le témoignage des témoins canadiens de Costco et d’Amex. Personne n’a fait témoigner d’évaluateurs ou d’individus américains chargés de négocier X, Y et Z aux États‑Unis : les pourcentages américains ont été repris tels quels au Canada.

 

[32]         Suivant l’intimée, il ressort des éléments de preuve que l’exclusivité constituait un aspect important du marché, et, se fondant principalement sur la lettre du 4 novembre 2005 écrite par Mme Assaraf à l’ARC, l’intimée ajoute qu’Y se rapporte exclusivement à la fourniture de droits d’exclusivité. L’appelante reconnaît que l’exclusivité constitue un aspect important de l’entente, mais elle ajoute qu’elle a notamment servi à calculer le taux de Z et ne constituait qu’un facteur parmi bien d’autres. L’appelante soutient que l’intimée n’est pas en mesure de prouver quelle valeur est expressément attribuable aux droits d’exclusivité. Comme la charge de la preuve repose sur l’intimée et que celle‑ci ne s’en est pas acquittée, aucun montant ne saurait être assimilé à la valeur de la contrepartie des droits d’exclusivité. Je suis d’accord avec l’appelante sur ce point.

 

[33]         Si l’on aborde maintenant cette question en la considérant comme une question d’évaluation — bien que je tienne à redire qu’Y est un montant fictif secret permettant de calculer Z —, je ne suis pas convaincu, vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, qu’Y correspond en entier à la valeur de la contrepartie des droits d’exclusivité. Il se peut qu’une partie y corresponde, mais on ne peut que se répandre en conjectures sur l’importance de ce montant.

 

[34]         L’intimée fait valoir que, dans mes motifs précédents, j’ai conclu qu’Y se rapportait à l’acceptation exclusive de la carte Amex. L’intimée cite à ce propos les paragraphes 27, 30(i) et 32 de mes motifs antérieurs. J’ai conclu que Costco avait obtenu un meilleur taux en raison de l’exclusivité, ce qui concerne entièrement le calcul de Z. Quels sont les autres éléments sur lesquels l’intimée se fonde pour démontrer qu’Y est la valeur de la contrepartie des droits d’exclusivité?

 

[35]         L’intimée se fonde, en premier lieu, sur la lettre du 5 novembre 2005 de Mme Assaraf. Cette lettre ne dit cependant pas qu’Y représente la valeur des droits d’exclusivité. Elle précise que l’exclusivité a joué un rôle pour en arriver à Z et que la formule X moins Y égale Z a été utilisée simplement pour assurer la confidentialité, ce qui confirme l’opinion de Costco, par le biais du témoignage de Mme Gilpin, que Costco ne s’intéressait qu’à Z.

 

[36]         De plus, Mme Assaraf, qui a écrit la lettre, a témoigné que le statut de fournisseur privilégié dépendait davantage du volume élevé que Costco pouvait offrir que de quoi que ce soit d’autre, bien que la lettre ne le dise pas explicitement. Il ressort de l’ensemble de cette lettre que la thèse de Costco est qu’Y est simplement une remise et que la seule fourniture est celle effectuée par Amex à Costco en contrepartie de Z.

 

[37]         En deuxième lieu, l’intimée se fonde sur les observations formulées par l’avocat de l’appelante à l’audience de décembre 2008. Plus précisément :

 

a)       par suite de la convention intervenue entre Costco et Amex, la carte de crédit de Costco a été graduellement supprimée et la seule carte de crédit pouvant être utilisée dans les entrepôts de Costco était la carte Amex.

 

          Cette exclusivité comportait de toute évidence des avantages énormes sur le plan commercial pour Amex, suivant la preuve et ne serait‑ce que le gros bon sens, et Amex s’apprêtait à conclure une entente très lucrative avec Costco pour réaliser cette exclusivité.

 

          Les éléments essentiels de la convention de marchand et de la convention de comarquage étaient l’acceptation exclusive de toutes les cartes American Express dans les entrepôts de Costco et l’établissement et l’administration du programme de cartes comarquées Amex‑Costco pour consommateurs et pour petites entreprises.

 

b)      il est soutenu qu’il n’est pas raisonnable de présumer que les paiements trimestriels (Y) prévus à l’alinéa 3.01a) se rapportent à l’amalgame accessoire de services visés par la convention de comarquage.

 

[38]         L’intimée soutient que l’avocat de l’appelante ne peut faire valoir maintenant qu’une partie d’Y est attribuable à des obligations autres que celles relatives à l’exclusivité. Je n’ai pas conclu que l’avocat de l’appelante soutenait qu’une partie quelconque d’Y constituait autre chose qu’une remise, en tenant compte du calcul de Z. En ce qui concerne la thèse de l’appelante, j’ai toujours pensé qu’il est tout simplement inacceptable de considérer Y comme la contrepartie de quoi que ce soit, bien qu’on reconnaisse que l’exclusivité constitue un aspect important du marché.

 

[39]         Enfin, l’appelante se fonde sur les témoignages de Mmes Hawkins et Gilpin. Mme Hawkins, la représentante d’Amex, n’a pas nié que l’exclusivité représente un aspect important du marché conclu entre Amex et Costco; elle a d’ailleurs reconnu qu’elle constituait l’un des deux principaux éléments de ce marché. Cet avis est confirmé par des extraits de communiqués de presse. Pourtant, Mme Hawkins a également précisé, d’une part, qu’elle estimait que le second élément principal, le contrat de comarquage, était celui qui était le plus important et, d’autre part, que l’exclusivité était importante mais qu’elle ne déterminait pas le taux. Elle a précisé que les facteurs cruciaux étaient la nature de l’industrie (l’industrie des clubs‑entrepôts), le volume élevé (qui pouvait s’accroître par le biais de l’entente de comarquage et de l’acceptation des cartes Amex en général), la convention déjà existante aux États‑Unis, et, dans une moindre mesure, le type d’opérations et la vitesse de paiement.

 

[40]         Je n’ai rien relevé dans le témoignage récent de Mme Gilpin qui va dans le sens de la thèse qu’Y constitue une indemnité se rapportant aux droits d’exclusivité. La seule préoccupation de Costco était Z. Ainsi que Mme Gilpin l’a expliqué : [traduction] « Nous voulions une carte de crédit d’utilisation courante pour nos membres » et elle a affirmé catégoriquement que cet objectif ne pouvait être atteint qu’au taux Z.

 

[41]         Je tire les conclusions suivantes au sujet de l’attribution possible de la valeur de la contrepartie aux droits d’exclusivité. Premièrement, les droits d’exclusivité étaient un des facteurs qui entraient en ligne de compte pour permettre à Costco d’atteindre son taux souhaité de Z avec Amex. Mais il y avait de nombreux autres facteurs dont Amex a tenu compte pour accepter de ne réclamer que Z. Il y avait aussi beaucoup d’autres engagements ou de choses non possessoires dans l’entente commerciale conclue entre Costco et Amex. Il n’y a pas d’éléments de preuve au sujet des négociations entourant le calcul d’Y. On ne dispose pas non plus d’éléments de preuve comparatifs au sujet de la valeur des composants des frais d’escompte nets. Je peux envisager divers types d’ententes conclues entre une société de carte de crédit et un grossiste :

 

a)       la société de carte de crédit A n’est qu’une des grandes sociétés de carte de crédit dont la carte est acceptée et il n’y a pas d’entente de comarquage;

 

b)      la société de carte de crédit A n’est qu’une des grandes sociétés de carte de crédit dont la carte est acceptée et une autre société de carte de crédit a une convention de comarquage;

 

c)       la société de carte de crédit A n’est qu’une des grandes sociétés de carte de crédit dont la carte est acceptée mais elle a conclu une entente de comarquage;

 

d)      la société de carte de crédit A est la seule dont la carte est acceptée mais elle n’a pas d’entente de comarquage;

 

f)                  la société de carte de crédit A est la seule dont la carte est acceptée et elle a en plus une entente de comarquage.

 

Je suppose, bien que je n’aie entendu aucun témoignage d’expert ou de quiconque à ce sujet, que chacun de ces cas de figure pourrait donner lieu à un taux net différent.

 

[42]         Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour attribuer à X ou à Y l’un ou l’autre des facteurs dont il a été tenu compte pour calculer Z et, compte tenu du fait que j’ai déjà exprimé l’avis que les deux conventions devaient être interprétées comme une seule et du fait que la seule raison d’obtenir Y était de garder Z confidentiel, la seule méthode qui convient pour attribuer une valeur consiste à examiner Z, les frais nets réclamés au marchand, plutôt qu’un montant Y artificiel, surtout lorsque la convention est muette sur ce à quoi Y se rapporte. Il convient alors de se demander si Z représente la contrepartie nette des fournitures échangées de part et d’autre (une conclusion à laquelle je ne suis pas arrivé). La preuve est‑elle suffisante pour nous permettre de répartir nettement la contrepartie versée de part et d’autre? L’intimée soutient que le paiement trimestriel constitue en soi une preuve de contrepartie. Elle se fonde sur les observations du juge Noël dans l’arrêt Commission scolaire des Chênes c. Sa Majesté la Reine[4], qui portait sur la TPS :

 

[18]       La notion de contrepartie selon la Loi est facilement discernable lorsque l’obligation de payer découle d’un contrat. Elle est plus difficile à cerner lorsque l’obligation de payer découle d’une source autre qu’un contrat comme l’envisage le paragraphe b) de la définition du mot « acquéreur » à l’article 123. C’est cette difficulté qui a donné lieu à l’exigence du « lien direct » que préconise le Bulletin d’information technique B‑067 portant sur le « traitement des subventions et des contributions sous le régime de la taxe sur les produits et services » (ci‑après le « bulletin B‑067 »). En l’occurrence, la première juge a conclu à l’absence d’un tel lien.

[19]       Selon la Loi, un paiement pour constituer une contrepartie, doit découler d’une obligation juridique (contractuelle ou autre) et doit être suffisamment relié à une fourniture pour être considéré comme ayant été effectué « pour » cette fourniture (voir la définition du mot « contrepartie » à l’article 123). De là l’exigence du lien direct.

 

 

[43]         Bien qu’il puisse exister un lien entre l’exclusivité et le paiement Y, l’intimée n’a pas prouvé que le paiement se rapporte entièrement aux droits d’exclusivité.

 

[44]         Si j’ai raison de considérer Y comme une remise, il n’y a pas lieu de suivre l’enseignement de l’arrêt Commission scolaire des Chênes. Mais, même si Y est la contrepartie de quelque chose, je répète que l’intimée ne m’a tout simplement pas démontré que la totalité du montant Y constitue exclusivement la contrepartie des droits d’exclusivité. Pourquoi aucune valeur ne serait‑elle attribuée aux autres biens ou services? Pour la seule raison que Me Innes a déclaré, lors de l’audience de décembre 2008, qu’il est peu probable qu’Y se rapporte à l’« amalgame » d’autres services fournis par Costco, je me demande : « Pourquoi pas? » Par ailleurs, compte tenu du fait que le marché comporte deux principaux volets, pourquoi Y ne devrait‑il se rapporter en totalité qu’à un seul? Si la prime est un pourcentage modeste (1,5 %) de la « contrepartie » payée à Costco, la convention de comarquage n’en constitue pas moins un facteur important (en fait, le facteur le plus important selon Mme Hawkins) pour obtenir Z, j’en déduis que Z se rapporte à un peu plus que de simples droits d’exclusivité. Par exemple, aux termes de l’alinéa 2.03e) de la convention de comarquage, Costco permet à Amex de consulter la liste de ses adhérents. Vu le témoignage donné par Mme Hawkins au sujet de l’avantage appréciable que représente pour Amex le fait que le titulaire de la carte comarquée utilise celle‑ci ailleurs que chez Costco, cette clause de Costco est très importante. En quoi consiste la contrepartie? Elle ne fait pas partie de la prime. Pourquoi ne ferait‑elle pas partie des facteurs examinés pour calculer Y? L’intimée n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’Y se rattachait à l’un des éléments de l’entente.

 

[45]         Je combine ces conclusions à l’absence d’éléments de preuve sur l’évaluation, à l’absence totale d’éléments de preuve au sujet de négociations qui auraient chiffré les droits d’exclusivité, au libellé de l’alinéa 3.01a) qui évite expressément d’indiquer qu’il s’agit de la contrepartie de quelque chose, et je soupèse le tout avec les affirmations suivant lesquelles l’exclusivité constituait un aspect important de l’entente, pour conclure que l’intimée n’a pas fait la preuve qu’une valeur associée à la contrepartie pouvait être attribuée aux droits d’exclusivité.

 

[46]         Vu cette conclusion, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de rechercher si jouent les articles 138 ou 139 de la Loi, pas plus que si ont des incidences les modifications récentes (projet de loi C‑9) apportées à la définition de services financiers.

 

[47]         En résumé, je n’ai entendu aucun témoignage complémentaire qui m’aurait incité à m’écarter de l’avis qu’Y ne se rapporte qu’à Z, lequel porte sur la fourniture de quelque chose à Costco par Amex, et non à la fourniture de quoi que ce soit à Amex par Costco. De plus, si Costco a fourni un bien à Amex, en l’occurrence les droits d’exclusivité, l’intimée n’a pas démontré quelle contrepartie, s’il en est, est attribuable à ce bien. Par ces motifs, je m’en tiens au jugement modifié que j’ai rendu le 10 mars 2009. L’appelante ne voulait pas aborder la question des dépens tant qu’elle n’aurait pas pris connaissance du jugement et l’intimée souhaitait qu’on lui accorde le droit de répondre. L’appelante doit donc me soumettre et soumettre à l’intimée des observations écrites au sujet des dépens d’ici le 31 décembre 2010, et l’intimée devra présenter ses observations écrites en réponse au plus tard le 21 janvier 2011. Si je n’ai reçu aucune observation de l’appelante d’ici le 31 décembre 2010, j’adjugerais les dépens à l’appelante, conformément au tarif.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2010.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2011.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

ANNEXE A

 

[traduction]

Extraits de la convention concernant le programme de carte comarquée American Express‑Costco en date du 4 novembre 1999

 

 

[…]

 

 

Article 2.11.               Exclusivité

 

a)         Au Canada, pendant la durée de la présente entente, Costco ou sa société mère, ses filiales ou ses sociétés affiliées (i) n’émettent pas de cartes d’utilisation courante; (ii) n’émettent pas de cartes maison comportant des récompenses fondées sur les montants dépensés; (iii) n’émettent pas de cartes à valeur stockée d’utilisation courante; (iv) n’émettent pas de cartes à valeur stockée acceptées uniquement dans les établissements Costco, comportant des récompenses fondées sur les montants dépensés; (v) conjointement avec un autre émetteur de cartes, une association ou un réseau (A) n’émettent pas, ne commercialisent pas ou ne jumellent pas de cartes maison (sous réserve de l’avant‑dernière phrase du présent alinéa a)) ou de cartes d’utilisation courante, (B) n’émettent pas, ne commercialisent pas ou ne jumellent pas de cartes à valeur stockée d’utilisation courante ou de cartes à valeur stockée acceptées uniquement dans les établissements Costco, comportant des récompenses fondées sur les montants dépensés ou sur quelque autre transaction; ou (vi) n’effectuent pas la promotion d’un type quelconque de véhicule de paiement (si ce n’est pour indiquer simplement l’acceptation) ou d’un produit sur lequel figure une marque prohibée définie à l’alinéa 2.11b), ou ne permettent pas que leurs listes de clients soient utilisées à cette fin. Il est entendu que les restrictions susmentionnées ne s’appliquent pas à la carte maison émise par Associates Financial Services of Canada Ltd. à la date d’entrée en vigueur ou à un autre produit lié à la carte maison (à condition que Costco n’ait pas plus qu’une carte maison, et ce, quel que soit l’émetteur) dans la mesure où pareille carte ne comporte pas de récompenses fondées sur les montants dépensés, sur quelque autre transaction ou sur d’autres récompenses fondées sur la continuité (c’est‑à‑dire des promotions continues plutôt qu’une promotion unique). Une carte à valeur stockée comportant des récompenses fondées sur les montants dépensés ou sur quelque autre transaction ne sera pas considérée, en vertu des présentes, comme comprenant une carte à valeur stockée réduite.

 

b)         Au Canada, à l’exception de (i) INTENTIONNELLEMENT SUPPRIMÉ, et (ii) d’une carte maison non prohibée en vertu de l’alinéa 2.11a), Costco convient de ce qui suit : à part une carte Amex, Costco (et sa société mère, ses filiales et ses sociétés affiliées qui possèdent ou qui exploitent des entrepôts Costco au Canada) n’acceptent pas, pendant les sept premières années d’exécution de la présente entente, aux fins de l’achat de marchandises et de services dans les entrepôts Costco une carte de paiement, une carte de crédit, une carte de débit hors ligne, une carte à valeur stockée ou une carte à puce comportant l’un ou l’autre des noms de marque, logos ou marques suivants (les « marques prohibées ») : Visa, MasterCard, Discover, Novus, Diner’s Club (et les noms de marque, logos ou marques les remplaçant) ou le nom de marque, le logo ou la marque d’une nouvelle association nationale ou d’un nouveau réseau national de cartes de crédit; toutefois, Costco a le droit de continuer à accepter tout mode de paiement aux fins des transactions ou entreprises suivantes : stations‑service de Costco, ventes par catalogue ou par correspondance, programmes de voyages, commerce électronique par Internet ou au moyen d’un autre réseau qui a accès au(x) site(s) Web de Costco, frais d’adhésion de Costco traités par l’entremise de bureaux régionaux de Costco (à condition que Costco encourage l’utilisation de la carte Amex à l’égard de ces transactions en demandant au client s’il veut imputer les frais d’adhésion à la carte American Express), programmes gouvernementaux d’achat comportant des achats chez Costco effectués par des agences gouvernementales ou par des particuliers ou entités privées qui sont obligés d’utiliser un mode de paiement particulier par suite d’un contrat conclu avec l’État (il est entendu que Costco n’encourage pas l’acceptation d’un produit sur lequel figure une marque prohibée pour ces transactions et entreprises). De plus, Costco n’annonce pas de quelque manière que ce soit dans ses entrepôts Costco (notamment au moyen d’affiches ou de décalques) l’acceptation de produits de débit en ligne sur lesquels figurent des marques prohibées, même si pareils produits en ligne sont acceptés pour paiement. Dans les 120 jours qui suivent la fin de la septième année d’exécution de l’entente, et sous réserve de l’obligation de donner avis prévue à l’alinéa 5.01e) des présentes, Costco peut commencer à accepter les cartes de paiement, cartes de crédit, cartes de débit, cartes à valeur stockée ou cartes à puce sur lesquelles figurent des marques prohibées. Si, dans les 120 jours qui suivent la fin de la septième année d’exécution de l’entente, Costco ne commence pas à accepter une carte sur laquelle figure une marque prohibée, il lui est interdit d’accepter cette carte pour le reste de la durée de la présente entente (ainsi, (x) si Costco ne commence pas à accepter un produit comportant une marque prohibée, il est interdit à Costco d’accepter ce produit pour le reste de la durée de l’entente; ou (y) si Costco commence à accepter la carte Visa au cours de la période de 120 jours, mais non la carte MasterCard, Costco ne pourra pas accepter la carte MasterCard ou un autre produit comportant une marque prohibée autre que la carte Visa pour le reste de la durée de l’entente). Costco déclare et garantit que l’observation du présent alinéa 2.11b) ne violera pas quelque entente qu’elle aura conclue à l’égard de ces autres cartes.

 

[…] 

 

Article 3.01.               Indemnité

 

a)         Dans les trente (30) jours qui suivent la fin de chaque trimestre civil au cours de la durée de la présente entente, Costco reçoit un montant correspondant à Y % du volume net des dépenses soumises au cours de ce trimestre. Toutefois, pour la période prenant fin le 31 janvier 2000, le montant versé à Costco correspond à ___ % (plutôt qu’à Y %) du volume net des dépenses soumises au cours de cette période. Si, le 8 avril 2000, Costco n’a pas satisfait aux exigences applicables aux systèmes d’information permettant l’émission de cartes comarquées pour consommateurs, pour la période commençant le 8 avril 2000 et tant que Costco ne satisfait pas à ces exigences, le montant versé à Costco correspond à ___ % (plutôt qu’à Y %) du volume net des dépenses au cours de cette période. (Il est entendu que, pour effectuer un paiement promptement, Amex peut être tenue d’utiliser le volume net annuel approximatif des dépenses soumises, de sorte que des rajustements devront peut‑être être effectués au cours d’un trimestre civil futur.)

 

b)         En échange des efforts de commercialisation déployés par Costco en vertu de l’alinéa 2.02a), Costco reçoit, pour chaque période de 12 mois commençant à la date de l’émission de la première carte comarquée, le montant fixé dans les tableaux ci‑dessous pour chaque compte de carte comarquée pour consommateurs et pour chaque compte de carte comarquée pour petites entreprises acquis au cours de cette période de douze mois. Tous les paiements comprennent les taxes applicables. Pour l’exécution du présent alinéa b), « acquis » veut dire qu’un compte de carte comarquée a été approuvé, qu’une carte de base est émise par Amex, et que la carte de base n’est pas annulée avant la fin du trimestre civil au cours duquel elle est approuvée. Le nombre de comptes acquis est déterminé pour chaque période de 12 mois, indépendamment des tableaux ci‑dessous, comme si, au début de chaque période de 12 mois, il n’y avait pas de comptes acquis, c’est‑à‑dire que les comptes ne s’accumulent pas d’une période de 12 mois à l’autre. Les paiements prévus au présent alinéa b) sont effectués dans les trente (30) jours qui suivent la fin de chaque trimestre civil au cours d’une période de 12 mois donnée.

 

[…]


RÉFÉRENCE :                                  2010CCI609

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007‑1374(TPS)G

 

INTITULÉ :                                       COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.

                                                          c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 27 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 30 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Mes William I. Innes, Neil E. Bass et David E. Spiro

 

Avocates de l’intimée :

Mes Marilyn Vardy, Sharon Lee et Suzanne M. Bruce

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :                       

 

                          Nom :                      Mes William I. Innes, Neil E. Bass et

                                                          David E. Spiro

 

                            Cabinet :                Fraser Milner Casgrain SRL

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           2008 CAF 419.

 

[2]           2008 CCI 33.

 

[3]           2001 CAF 159.

 

[4]           2001 CAF 264.

 

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