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Dossier : 2008-3222(IT)G

ENTRE :

THIERRY BRENNEUR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Demande entendue le 16 juin 2010, à Montréal (Québec)

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Pierre Zeppettini

 

Avocat de l’intimée :

Me Simon‑Nicolas Crépin

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

VU la demande présentée par l’avocat de l’intimée en application de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu visant à ce que la Cour se prononce sur une question;

 

ET VU les observations des deux parties;

 

LA COUR ORDONNE QUE la demande de l’intimée soit rejetée, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


 

 

 

Référence : 2010 CCI 610

Date : 20101130

Dossier : 2008-3222(IT)G

ENTRE :

THIERRY BRENNEUR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              Il s’agit ici d’une demande présentée par l’intimée, en application de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), visant à ce que la Cour se prononce sur une question qui est commune à deux contribuables. Étant donné qu’un des contribuables, Thierry Brenneur, a intenté un appel devant la Cour à l’encontre de nouvelles cotisations établies à son égard par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») et que l’autre contribuable, Michael Batalha, n’a pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation, on demande en fait à la Cour de joindre M. Batalha comme partie à l’instance de M. Brenneur.

 

[2]              L’ARC a établi de nouvelles cotisations à l’égard des années d’imposition 2004 et 2005 de M. Brenneur afin de rejeter en totalité la déduction de certains montants que M. Brenneur prétend avoir payés en espèces à M. Batalha pour des services de sous‑traitant fournis à son entreprise de conseil en informatique, située dans la région de Montréal. M. Brenneur a déposé un avis d’appel en français à la Cour. La réponse de l’intimée à cet avis d’appel est, bien entendu, également en français.

 

[3]              Selon M. Batalha, il n’a pas reçu les montants que M. Brenneur prétend lui avoir payés. M. Batalha dit avoir reçu un montant moins important, et de loin, et que cela est étayé par ses factures, ses horaires ainsi que ses échanges de courriels avec M. Brenneur. Il affirme avoir dûment déclaré dans ses déclarations de revenus le revenu reçu de M. Brenneur. M. Batalha n’a fait l’objet ni d’une vérification ni d’une nouvelle cotisation de la part de l’ARC à l’égard de ces montants. Il n’avait pas non plus reçu d’avis de l’ARC lui indiquant qu’elle projetait ou envisageait d’établir une nouvelle cotisation au moment où la demande en l’espèce a été présentée. À ce moment, l’ARC se trouve au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation pour ce qui est de M. Batalha. Pour aller de l’avant et établir une nouvelle cotisation à l’égard de M. Batalha, l’ARC devra prouver que ce dernier a fait une présentation erronée de son revenu par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu’il a commis quelque fraude.

 

[4]              La demande de l’intimée a été signifiée à M. Batalha à titre de mis en cause, comme il se doit. L’intimée a présenté sa demande en français. Étant donné que M. Batalha ne connaît que peu le français, l’intimée lui a fourni une traduction officieuse de la demande visant à le joindre comme partie à l’instance de M. Brenneur. M. Batalha n’a pas reçu de traduction officieuse de l’avis d’appel relatif à l’instance à laquelle on demande de le joindre comme partie. M. Batalha a présenté sa réponse à la demande en anglais.

 

[5]              À l’audience relative à la demande, l’avocat de M. Brenneur, l’avocat de l’intimée et M. Batalha ont convenu de mener les plaidoiries en anglais. M. Brenneur n’était pas présent. L’avocat de M. Brenneur a indiqué qu’il ne contestait pas la demande visant à ce que M. Batalha soit joint comme partie à l’appel de son client. M. Batalha a comparu en personne dans la présente instance, sans avocat, comme il a le droit de le faire.

 

[6]              L’obstacle initial à examiner dans la présente demande de renvoi est celui de savoir si la Cour devrait envisager de joindre une instance traitée en français et une autre instance traitée en anglais et, si oui, dans quelles circonstances et à quelles conditions elle devrait le faire. Cela soulève d’importantes questions concernant les droits linguistiques des Canadiens dont la langue est l’une ou l’autre des deux langues officielles, ainsi que l’équité en matière de procédure pour les parties en cause et l’utilisation efficace des ressources de la Cour (ainsi que de celles de l’intimée)[1].

 

[7]              La question ne se poserait pas dans un cas où une partie exigerait ou demanderait les services d’un interprète pour une langue autre que le français ou l’anglais. Les Canadiens jouissent du droit d’intenter des procédures judiciaires devant les cours fédérales dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, et ils tiennent à ce droit.

 

[8]              Il ne semble y avoir aucun doute de la bonne foi, tant de M. Brenneur que de M. Batalha, quant au choix de la langue pour les instances.

 

[9]              Une autre question se pose en l’espèce, soit celle de savoir s’il existe une nouvelle cotisation projetée à l’égard de M. Batalha ou si l’ARC envisage d’établir une nouvelle cotisation à son égard. Une intention possible, conditionnelle ou éventuelle constitue-t-elle une cotisation projetée?

 

[10]         Il y a aussi le fait que les années d’imposition 2004 et 2005 de M. Batalha se trouvent au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation.

 

 

La loi

 

[11]         Les extraits de l’article 174 de la Loi portant sur les renvois qui s’appliquent en l’espèce sont ainsi rédigés :

 

174(1) Renvoi à la Cour canadienne de l’impôt de questions communes — Lorsque le ministre est d’avis qu’une même opération ou un même événement ou qu’une même série d’opérations ou d’événements a donné naissance à une question de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à des cotisations, réelles ou projetées, relatives à plusieurs contribuables, il peut demander à la Cour canadienne de l’impôt de se prononcer sur la question.

 

(2) Présentation de la demande — Une demande présentée en vertu du paragraphe (1) doit faire état :

a) de la question au sujet de laquelle le ministre demande une décision;

b) des noms des contribuables que le ministre désire voir liés par la décision relative à cette question;

 

c) des faits et motifs sur lesquels le ministre s’appuie et sur lesquels il s’est fondé ou a l’intention de se fonder pour établir la cotisation concernant l’impôt payable par chacun des contribuables nommés dans la demande;

en outre, un exemplaire de la demande doit être signifié par le ministre à chacun des contribuables qui y sont nommés et à toutes autres personnes qui, de l’avis de la Cour canadienne de l’impôt, sont susceptibles d’être touchées par la décision rendue sur cette question.

 

(3) Lorsque la Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur une question — Lorsque la Cour canadienne de l’impôt est convaincue que la décision rendue concernant la question exposée dans une demande présentée en vertu du présent article influera sur des cotisations ou des cotisations éventuelles intéressant plusieurs contribuables à qui une copie de la demande a été signifiée et qui sont nommés dans une ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt conformément au présent paragraphe, elle peut :

 

a) si aucun des contribuables ainsi nommés n’en a appelé d’une de ces cotisations, entreprendre de statuer sur la question de la façon qu’elle juge appropriée;

b) si un ou plusieurs des contribuables ainsi nommés se sont pourvus en appel, rendre une ordonnance groupant dans cet ou ces appels les parties appelantes comme elle le juge à propos et entreprendre de statuer sur la question.

 

(4) Décision définitive — Sous réserve du paragraphe (4.1), lorsque la Cour canadienne de l’impôt statue sur une question exposée dans une demande dont elle a été saisie en vertu du présent article, la décision rendue est finale et sans appel pour l’établissement de toute cotisation concernant l’impôt payable par les contribuables nommés dans la décision, en vertu du paragraphe (3).

174(1) Reference of common questions to Tax Court of Canada — Where the Minister is of the opinion that a question of law, fact or mixed law and fact arising out of one and the same transaction or occurrence or series of transactions or occurrences is common to assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers, the Minister may apply to the Tax Court of Canada for a determination of the question.

 

 

 

(2) Application to Court — An application under subsection 174(1) shall set out

 

(a) the question in respect of which the Minister requests a determination,

(b) the names of the taxpayers that the Minister seeks to have bound by the determination of the question, and

(c) the facts and reasons on which the Minister relies and on which the Minister based or intends to base assessments of tax payable by each of the taxpayers named in the application,

 

and a copy of the application shall be served by the Minister on each of the taxpayers named in the application and on any other persons who, in the opinion of the Tax Court of Canada, are likely to be affected by the determination of the question.

 

 

(3) Where Tax Court of Canada may determine question — Where the Tax Court of Canada is satisfied that a determination of the question set out in an application under this section will affect assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers who have been served with a copy of the application and who are named in an order of the Tax Court of Canada pursuant to this subsection, it may

 

 

 

(a) if none of the taxpayers so named has appealed from such an assessment, proceed to determine the question in such manner as it considers appropriate; or

(b) if one or more of the taxpayers so named has or have appealed, make such order joining a party or parties to that or those appeals as it considers appropriate and proceed to determine the question.

 

 

(4) Determination final and conclusive — Subject to subsection 174(4.1), where a question set out in an application under this section is determined by the Tax Court of Canada, the determination thereof is final and conclusive for the purposes of any assessments of tax payable by the taxpayers named by it pursuant to subsection 174(3).

 

[12]         Les paragraphes 16(1) et 19(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») sont rédigés en ces termes :

 

16(1) Langues officielles du Canada — Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

 

[...]

 

19(1) Procédures devant les tribunaux établis par le Parlement — Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

16(1) Official languages of Canada — English and French are the official languages of Canada and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the Parliament and government of Canada.

 

. . . 

 

19(1) Proceedings in courts established by Parliament — Either English or French may be used by any person in, or in any pleading in or process issuing from, any court established by Parliament

 

 

[13]         L’article 14 de la Charte prévoit ce qui suit :

 

14. Interprète  — La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

14. Interpreter — A party or witness in any proceedings who does not understand or speak the language in which the proceedings are conducted or who is deaf has the right to the assistance of an interpreter.

 

[14]         Les dispositions de la Loi sur les langues officielles qui s’appliquent en l’espèce sont ainsi rédigées :

 

2. Objet — La présente loi a pour objet :

a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;

 

[...]

 

14. Langues officielles des tribunaux fédéraux — Le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent.

 

 

15(1) Droits des témoins — Il incombe aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant eux puisse être entendu dans la langue officielle de son choix sans subir de préjudice du fait qu’il ne s’exprime pas dans l’autre langue officielle.

 

 

 

 

 

(2) Services d’interprétation : obligation — Il leur incombe également de veiller, sur demande d’une partie, à ce que soient offerts, notamment pour l’audition des témoins, des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre langue.

 

 

 

 

 

(3) Services d’interprétation : faculté  — Ils peuvent faire aussi ordonner que soient offerts, notamment pour l’audition des témoins, des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre s’ils estiment que l’affaire présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou qu’il est souhaitable de le faire pour l’auditoire.

 

 

 

 

 

 

16(1) Obligation relative à la compréhension des langues officielles — Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l’affaire :

a) comprenne l’anglais sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en anglais;

 

 

 

 

 

b) comprenne le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en français;

 

 

 

 

 

c) comprenne l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu dans les deux langues.

 

[...]

 

 

 

 

 

 

18. Cas où Sa Majesté est partie à l’affaire — Dans une affaire civile à laquelle elle est partie devant un tribunal fédéral, Sa Majesté du chef du Canada ou une institution fédérale utilise, pour les plaidoiries ou les actes de la procédure, la langue officielle choisie par les autres parties à moins qu’elle n’établisse le caractère abusif du délai de l’avis l’informant de ce choix. Faute de choix ou d’accord entre les autres parties, elle utilise la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances.

 

 

2. Purpose — The purpose of this Act is to

(a) ensure respect for English and French as the official languages of Canada and ensure equality of status and equal rights and privileges as to their use in all federal institutions, in particular with respect to their use in parliamentary proceedings, in legislative and other instruments, in the administration of justice, in communicating with or providing services to the public and in carrying out the work of federal institutions;

 

. . . 

 

14. Official languages of federal courts — English and French are the official languages of the federal courts, and either of those languages may be used by any person in, or in any pleading in or process issuing from, any federal court.

 

 

 

15(1) Hearing of witnesses in official language of choice — Every federal court has, in any proceedings before it, the duty to ensure that any person giving evidence before it may be heard in the official language of his choice, and that in being so heard the person will not be placed at a disadvantage by not being heard in the other official language.

 

(2) Duty to provide simultaneous interpretation — Every federal court has, in any proceedings conducted before it, the duty to ensure that, at the request of any party to the proceedings, facilities are made available for the simultaneous interpretation of the proceedings, including the evidence given and taken, from one official language into the other.

 

(3) Federal court may provide simultaneous interpretation — A federal court may, in any proceedings conducted before it, cause facilities to be made available for the simultaneous interpretation of the proceedings, including evidence given and taken, from one official language into the other where it considers the proceedings to be of general public interest or importance or where it otherwise considers it desirable to do so for members of the public in attendance at the proceedings.

 

16(1) Duty to ensure understanding without an interpreter — Every federal court, other than the Supreme Court of Canada, has the duty to ensure that

 

(a) if English is the language chosen by the parties for proceedings conducted before it in any particular case, every judge or other officer who hears those proceedings is able to understand English without the assistance of an interpreter;

(b) if French is the language chosen by the parties for proceedings conducted before it in any particular case, every judge or other officer who hears those proceedings is able to understand French without the assistance of an interpreter; and

(c) if both English and French are the languages chosen by the parties for proceedings conducted before it in any particular case, every judge or other officer who hears those proceedings is able to understand both languages without the assistance of an interpreter.

 

. . . 

 

18. Language of civil proceedings where Her Majesty is a party — Where Her Majesty in right of Canada or a federal institution is a party to civil proceedings before a federal court,

(a) Her Majesty or the institution concerned shall use, in any oral or written pleadings in the proceedings, the official language chosen by the other parties unless it is established by Her Majesty or the institution that reasonable notice of the language chosen has not been given; and

(b) if the other parties fail to choose or agree on the official language to be used in those pleadings, Her Majesty or the institution concerned shall use such official language as is reasonable, having regard to the circumstances.

 

[15]         En plus des droits linguistiques des Canadiens, les principes de justice fondamentale dont il est question à l’article 7 de la Charte établissent clairement le droit d’une partie d’être entendue et comprise par un tribunal dans la langue de son choix. Dans l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick c. Association of Parents for Fairness in Education Inc., [1986] 1 R.C.S. 549, le juge Beetz s’est exprimé ainsi, à la page 577 :

 

Le droit qu’ont les parties en common law d’être entendues et comprises par un tribunal et leur droit de comprendre ce qui se passe dans le prétoire est non pas un droit linguistique mais plutôt un aspect du droit à un procès équitable. Ce droit est d’une portée à la fois plus large et plus universelle que celle des droits linguistiques. Tout le monde en jouit, y compris les personnes qui ne parlent ni ne comprennent aucune des deux langues officielles. Il relève de la catégorie de droits que la Charte qualifie de garanties juridiques et, en fait, est protégé, du moins en partie, par des dispositions comme les art. 7 et 14 de la Charte [...].

 

[16]         Cette garantie juridique est distincte des droits linguistiques prévus dans la Charte, dans la Loi constitutionnelle de 1867 et dans la Loi sur les langues officielles. Le juge Beetz poursuit en affirmant que, bien que les garanties juridiques et les droits linguistiques relèvent de la catégorie des droits fondamentaux, ces deux genres de droits sont différents sur le plan des concepts, et les lier, c’est risquer de les dénaturer tous les deux, plutôt que de les renforcer l’un et l’autre. D’une part, les garanties juridiques tendent à être de nature plus féconde parce qu’elles se fondent sur des principes. D’autre part, même si certains d’entre eux ont été élargis et incorporés dans la Charte, les droits linguistiques ne reposent pas moins sur un compromis politique. Cette différence essentielle entre les deux types de droits impose aux tribunaux une façon distincte d’aborder chacun; les tribunaux doivent aborder les droits linguistiques avec plus de retenue qu’ils ne le feraient en interprétant des garanties juridiques.  

 

[17]         Le droit d’une partie de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d’y être comprise n’est qu’un aspect du droit à un procès équitable. Il ne s’agit pas d’un droit distinct ou d’un droit linguistique. Voir les commentaires formulés par le juge Beetz dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 499. Dans cette instance, qui était une instance pénale, le droit du défendeur de comprendre ce qui se passe dans le prétoire et d’y être compris est décrit comme un droit fondamental qui est profondément et fermement enraciné dans la structure même du système juridique canadien. C’est pourquoi certains aspects de ce droit sont enchâssés tout autant sous la forme de dispositions générales que sous celle de dispositions spécifiques dans la Charte. La Cour suprême du Canada poursuit en se demandant si le législateur serait même en mesure, sur la foi de la disposition dérogatoire, de supprimer complètement le droit fondamental lui‑même que reconnaît la common law.  

 

[18]         Ce droit d’être jugé, entendu et compris dans sa propre langue, ou dans la langue de son choix, n’est pas absolu. Par exemple, ce droit fondamental à un procès équitable exige qu’un interprète soit mis à la disposition des parties, mais les services d’un interprète ne doivent pas nécessairement être aux frais de l’État. Voir, par exemple, la décision de la Cour supérieure du Québec dans McCullock Finney c. Canada (Attorney General), [2009] J.Q. no 11244 (QL), 2009 QCCS 4646, portant que, bien que des dispositions précises du Code criminel permettent de trancher la question lors de procédures pénales, il n’y a pas de dispositions précises dans d’autres instances judiciaires. L’accès à un interprète fournit un accès à la justice. La question des coûts liés à l’accès au système judiciaire est une tout autre question. Non seulement la Cour supérieure était-elle d’avis qu’il n’était pas nécessaire de fournir les services d’un interprète aux frais de l’État, elle s’est aussi demandée si elle avait, à titre de principe général, le pouvoir d’imposer à un quelconque palier de gouvernement l’obligation de payer les frais liés à des services de traduction et d’interprétation.

 

[19]         Dans Marshall v. Gorge Vale Golf Club, 39 D.L.R. (3d) 472, [1987] B.C.J. n1299 (QL), la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir d’ordonner au gouvernement provincial de fournir gracieusement des services de transcription à une partie sourde dans une affaire au civil, et que le droit aux services d’un interprète prévu à l’article 14 de la Charte n’obligeait pas l’intimée à défrayer les frais d’interprétation.

 

[20]         Dans R. c. Butler, 2002 NBQB 325, [1997] A.N.-B. no 604 (QL), la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick a examiné la question de savoir si une personne unilingue anglophone, qui avait demandé, dans une instance pénale, que les documents divulgués soient traduits en anglais, avait le droit absolu de recevoir ces documents en anglais. La Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick était d’avis qu’il incombait en fait à la partie d’établir que le refus de lui fournir les documents demandés traduits en anglais portait réellement atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière. La Cour s’est fondée sur les commentaires de la juge L’Heureux‑Dubé, dans R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411. La Cour était d’avis que, afin d’établir si elle devait ordonner la traduction des documents  divulgués afin d’éviter de porter atteinte aux droits de la partie garantis par la Charte, elle devait examiner si la partie comprenait l’essentiel de ce qui lui était divulgué en français, si son avocat comprenait le français, si d’autres solutions s’offraient à la partie afin d’obtenir l’information demandée, et si la partie avait les moyens de payer elle‑même les services de traduction.

 

[21]         Cependant, en l’espèce, M. Batalha n’a ni intenté une procédure judiciaire, par exemple au moyen d’un appel interjeté devant la Cour à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu, ni été nommé comme défendeur dans une instance. En l’espèce, c’est l’intimée qui a demandé à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de regrouper l’éventuel droit d’appel de M. Batalha à l’égard d’une possible nouvelle cotisation, si l’intimée devait choisir d’établir une nouvelle cotisation à son égard. La Cour ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire que si elle est convaincue qu’il serait juste, équitable et dans l’intérêt de la justice de le faire, eu égard à l’efficacité, à l’intégrité et à la crédibilité du système judiciaire lors de litiges fiscaux. L’article 174 de la Loi prévoit que la Cour rend l’ordonnance groupant les appels comme elle le juge à propos.

 

[22]         En l’espèce, le principal facteur à l’appui de la demande et de l’ordonnance de renvoi est qu’on pourrait ainsi éviter que la Cour rende deux décisions contradictoires. Si l’appel de M. Brenneur ne lie pas M. Batalha, et si M. Batalha fait l’objet d’une nouvelle cotisation de la part de l’ARC après que l’appel de M. Brenneur aurait été accueilli sur le fond, M. Batalha pourrait tout de même avoir gain de cause dans son appel. Cela dépendrait en partie des éléments de preuve différents présentés lors du deuxième appel, des arguments avancés, et de l’analyse des éléments de preuve et des arguments faite par le deuxième juge. De plus, il en coûte davantage aux contribuables canadiens de tenir de multiples audiences.

 

[23]         Si ce n’était de la question linguistique touchant M. Batalha et de la question de savoir si une nouvelle cotisation à l’égard de ce dernier est projetée, comme l’exige l’article 174, deux questions que j’examinerai en détail ci‑dessous, il semble s’agir, de prime abord, d’une instance dans laquelle la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre les questions communes qui lui est conféré par l’article 174. Le fait d’éviter de rendre des décisions incompatibles contribue à maintenir l’intégrité de notre système judiciaire et la confiance du public dans ce système. Cependant, la question contradictoire et opposée qui doit être examinée est celle de savoir s’il serait possible de joindre M. Batalha qui, s’il venait à faire l’objet d’une nouvelle cotisation, interjetterait appel en anglais auprès de la Cour comme partie à l’appel de M. Brenneur, appel interjeté en français, d’une façon qui permettrait de trancher les litiges fiscaux des deux contribuables efficacement et équitablement, et de façon à faire le meilleur usage possible des ressources judiciaires, tant en matière de temps qu’en matière d’argent.

 

[24]         Depuis longtemps, la Cour mène, avec succès, des audiences bilingues en matière de fiscalité, en cas de besoin. En raison du nombre de cas, on prévoit souvent des semaines d’audiences bilingues à Montréal. De plus, des audiences bilingues ont lieu ailleurs, selon les besoins. Lors d’une audience bilingue, le juge et les deux avocats, ou bien l’avocat et le contribuable (s’il comparaît en personne), sont bilingues. Les audiences bilingues sont une solution pratique et efficace, mais ne sont jamais imposées par la Cour et doivent être menées avec le consentement du contribuable appelant. Dans de telles audiences, il est inutile d’avoir recours à un interprète du français vers l’anglais, ou vice versa. Le contribuable et l’avocat comprennent, sans avoir besoin d’interprétation, les témoignages présentés dans l’une ou l’autre langue, et les deux avocats, le contribuable et le juge sont libres de parler entre eux ou de s’adresser à un témoin dans la langue de leur choix. Il n’est même pas nécessaire de recourir aux services d’un interprète dans le cas d’un témoignage livré par un témoin unilingue, étant donné que les avocats et le juge sont en mesure d’interroger et de contre-interroger le témoin dans la langue qu’il préfère. En règle générale, les avocats peuvent s’attendre à ce que le juge s’adresse à eux dans la langue dans laquelle ils ont choisi de s’adresser à lui. De même, les témoins peuvent, en règle générale, s’attendre à ce que le juge leur demande des précisions ou leur pose des questions dans la langue dans laquelle ils ont choisi de témoigner.

 

[25]         En raison de la possibilité de mener des audiences bilingues, et étant donné que la Cour prévoit des semaines de séances bilingues et permet aux appelants de demander une audience bilingue au moment d’intenter leurs appels, il est rare que la Cour soit confrontée à des problèmes logistiques découlant des droits en matière de langues officielles.  

 

[26]         Cependant, M. Batalha n’est pas bilingue et, qui plus est, l’ARC ne projette même pas encore d’établir de nouvelles cotisations à son égard pour les années d’imposition en cause qui, dans son cas, seraient d’ailleurs frappées de prescription. Il n’a donc même pas la possibilité d’envisager de retenir les services d’un avocat pour le représenter lors d’une instance fiscale s’il souhaitait contester le montant d’impôt qu’il doit payer pour les années en cause. Pour cette raison, je ne suis pas d’avis qu’il s’agisse d’un bon équilibre du droit de M. Batalha d’être entendu et compris en raison de son droit à une audience équitable que de simplement ordonner, en application de l’article 174, que les questions fiscales de M. Brenneur et de M. Batalha soient entendues ensemble au moyen d’un renvoi, à condition que la procédure de renvoi soit bilingue. Si la Cour devait rendre une telle ordonnance sachant que M. Batalha ne peut pas participer seul à une audience bilingue, elle contreviendrait directement à son droit fondamental à une audience équitable. Je ne vois pas de quelle façon la violation des droits juridiques fondamentaux pourrait être une contrepartie acceptable à l’élimination du risque d’obtenir des décisions incompatibles. Plutôt que d’améliorer la perception qu’ont les Canadiens de l’équité de leur système judiciaire en matière de litiges fiscaux, une telle ordonnance aurait sûrement comme effet direct de miner la confiance de la population dans le système et d’y jeter le discrédit.

 

[27]         La tenue d’une audience bilingue ne pourrait assurer une audience conjointe efficace sur les questions fiscales communes de MM. Brenneur et Batalha que si  M. Batalha était représenté par un avocat bilingue[2].

 

[28]         Afin d’accomplir cela, soit de faire droit à la demande et de trancher les questions fiscales de M. Brenneur et de M. Batalha dans un renvoi commun, il faudrait que la Cour ordonne à M. Batalha de retenir les services d’un avocat bilingue, ou bien qu’elle tienne pour acquis que M. Batalha choisirait lui‑même de retenir les services d’un avocat et que cet avocat serait bilingue. Je ne crois pas que ces solutions soient intéressantes, indiquées ou même efficaces. En vertu des lois et des règles qui s’appliquent aux litiges fiscaux, les contribuables ont le droit de comparaître en personne, sans l’aide d’un avocat. En effet, la Cour travaille depuis longtemps, et avec succès, avec des contribuables qui comparaissent en personne. Il ne semble pas indiqué d’obliger M. Batalha à retenir les services d’un avocat pour que le renvoi commun puisse aller de l’avant afin d’éviter d’en arriver à des décisions incompatibles, et afin de tenter de rendre le processus plus efficace. On ne devrait pas s’attendre à ce qu’un contribuable canadien assume les coûts associés aux avantages recherchés par l’intimée et par la Cour, si elle en venait à exercer son pouvoir discrétionnaire et à faire droit à la demande, surtout si le contribuable en question ne tient qu’un rôle secondaire dans l’affaire, selon l’hypothèse de l’ARC concernant les questions en litige, telles qu’elles sont décrites ci‑dessous. Par conséquent, je ne rendrai pas d’ordonnance en ce sens.

 

[29]         Ce n’est que si l’intimée convient de payer les frais qu’aurait à débourser M. Batalha pour les services d’un avocat bilingue pour le représenter dans une audience bilingue qu’il serait indiqué que la Cour ordonne la tenue d’une audience bilingue comme solution visant à établir un équilibre entre les droits des deux contribuables à être entendus dans leur propre langue et l’intérêt de l’intimée à ce qu’il y ait un renvoi commun et une seule décision qui lie les deux contribuables.   

 

[30]         Me Zeppettini, l’avocat de M. Brenneur, a confirmé que son client serait satisfait si la Cour ordonnait à l’intimée de payer les frais d’avocat de M. Batalha et qu’il ne tiendrait pas à ce que l’intimée paie aussi les honoraires de l’avocat qu’il a déjà embauché pour le représenter dans son appel auprès de la Cour. M. Brenneur accepte que la question des dépens ne soit tranchée qu’à la toute fin de l’appel, selon la procédure habituelle.

 

[31]         À la suite d’une proposition de l’intimée, la Cour a examiné la question de savoir s’il serait utile et efficace de recourir aux services d’interprètes lors de l’audience portant sur les questions communes afin de respecter le droit de M. Batalha à comprendre, à être entendu et à être compris en anglais lors de l’audience. M. Brenneur a fait savoir, par l’entremise de son avocat, qu’il ne convenait pas à ce que son instance soit convertie à une instance en anglais ou à ce que l’audience relative au renvoi soit tenue en anglais. Si l’audience relative aux questions communes va de l’avant, la Cour peut s’attendre à entendre des témoignages tant en français qu’en anglais. Je ne vois pas de quelle façon il pourrait être utile et efficace de fournir une interprétation simultanée continuelle, en français ou en anglais, à l’un ou à l’autre des contribuables, ou même seulement à M. Batalha, si M. Brenneur convient à ce que l’audience soit bilingue. M. Batalha aura besoin que soit interprété en anglais tout ce qui est dit en français alors qu’il comparaît en personne lors d’un appel fiscal déterminant et important d’un point de vue financier. Cela signifie que chaque phrase formulée par les avocats, par le juge ou bien par un témoin, lors des témoignages, des plaidoiries et des questions préliminaires procédurales, devra être interprétée. Chaque étape de l’instance qui sera tenue en français devra être arrêtée toutes les deux ou trois phrases afin de permettre à l’interprète de faire son travail. Au moment du contre‑interrogatoire, surtout, M. Batalha aura à choisir si, d’une fois à l’autre, il devrait essayer de comprendre, à l’aide de sa connaissance limitée du français, ce que dit un témoin ou tout autre personne qui prend la parole en français, ou bien s’il devrait interrompre le fil de ses idées pour écouter la traduction exacte de l’interprète. Cela semble désavantager l’intérêt de M. Batalha et ses chances de bien présenter sa cause par rapport à son droit s’il n’y avait pas de renvoi au sujet de questions communes de faire entendre son appel en anglais; en outre, je ne vois pas comment cela mènerait à une utilisation plus efficace du temps de la Cour que le fait d’entendre les deux questions séparément. Je ne crois pas qu’il serait juste envers M. Batalha de rendre une ordonnance de cette nature, pas plus que je crois qu’il s’agirait d’une façon réaliste ou efficace de procéder. On peut s’attendre à ce que tout le processus soit aussi long que si on décidait de tenir deux audiences séparées, une en français et une en anglais.

 

[32]         On n’a présenté aucune autre façon d’équilibrer le droit de MM. Batalha et Brenneur à une audience équitable, ainsi que le droit de chacun d’entre eux d’utiliser la langue de son choix, qui permettrait à la Cour de rendre une ordonnance de renvoi de questions communes juste, équitable et appropriée.

 

[33]         Compte tenu des circonstances, si la Cour faisait droit à la demande de l’intimée pour la tenue d’un renvoi sur les questions communes, il faudrait que ce soit en partant du principe que M. Batalha aurait le droit de retenir les services de l’avocat bilingue de son choix, qui le représenterait aux frais de l’intimée. Je ne ferais cela qu’avec le consentement de l’intimée.

 

[34]         Il y a toutefois une autre question à trancher en l’espèce, et il s’agit de celle de savoir si l’ARC projette d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de M. Batalha. La Cour ne peut rendre une ordonnance de renvoi en application de l’article 174 que dans le cas de contribuables qui ont fait l’objet de cotisations à l’égard d’une question commune née des mêmes circonstances ou bien dans le cas de contribuables à l’égard desquels on projette d’établir de nouvelles cotisations. À l’heure actuelle, l’ARC n’a pas établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Batalha et ne lui a même pas laissé entendre, par écrit, qu’il pourrait faire l’objet de nouvelles cotisations ou qu’elle projetait d’établir de nouvelles cotisations à son égard. En fait, après enquête, l’ARC a convenu de la version des faits de M. Batalha et n’a établi de nouvelles cotisations qu’à l’égard de M. Brenneur. L’avocat de l’intimée est même allé jusqu’à dire que l’ARC acceptait à 100 % la version des faits de M. Batalha et n’établirait éventuellement de nouvelles cotisations à son égard que si la Cour donnait raison à M. Brenneur lors de l’appel de celui‑ci. L’intimée soutient que la possibilité d’établir une nouvelle cotisation constitue une nouvelle cotisation projetée. Aucune source n’est citée à l’appui de cet argument. La question se pose alors de savoir si cette intention éventuelle d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de M. Batalha constitue une cotisation projetée, « a proposed assessment », pour ce qui est de satisfaire aux exigences prévues à l’article 174. Au moins l’une des raisons pour lesquelles l’ARC ne peut qu’affirmer qu’elle envisagerait d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de M. Batalha si M. Brenneur a gain de cause est que les années d’imposition 2004 et 2005 de M. Batalha sont au‑delà de la « période normale de nouvelle cotisation » et sont donc frappées de prescription, à moins que l’ARC ne soit en mesure de prouver qu’il y a eu présentation erronée des faits ou quelque fraude, pour l’application du sous‑alinéa 152(4)a)(i)[3].

 

[35]         Je ne suis pas convaincu qu’une telle intention éventuelle d’envisager d’établir une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable constitue une cotisation projetée pour l’application de l’article  174. Il arrive souvent qu’un contribuable et un autre témoin aient des intérêts fiscaux opposés lors de leurs témoignages contradictoires. Il ne semble pas approprié que, chaque fois qu’une situation semblable se présente, l’ARC ait le droit de demander à la Cour d’envisager de joindre le témoin comme partie à l’instance fiscale. Il incombe à l’ARC de faire enquête et de décider quelle version des faits est, selon elle, vraisemblablement correcte. Bien qu’il puisse s’avérer approprié, dans un cas dont l’issue est serrée ou dans lequel il y a beaucoup de zones grises, que l’ARC demande à la Cour d’examiner la possibilité d’ordonner un renvoi, cela me semble assez inopportun dans un cas où l’ARC, après enquête, a tiré une conclusion claire dans un seul sens. Encore une fois, bien qu’un renvoi fait dans des circonstances comme celles en l’espèce permette d’éviter que la Cour rende des décisions incompatibles dans deux instances séparées, cela pourrait coûter très cher et être injustifiable si tous les témoins dont les intérêts fiscaux sont contraires à ceux de l’appelant étaient visés par une demande de renvoi faite en application de l’article 174 afin d’être joints comme parties à l’appel dans lequel ils témoignent déjà ou dans lequel ils sont déjà appelés à témoigner. Comme je conclus que M. Batalha n’était pas visé par une nouvelle cotisation projetée par l’ARC pour l’application de l’article 174, la Cour n’a pas compétence pour faire droit à la demande de l’intimée visant à obtenir un renvoi de questions communes. La demande est donc rejetée, avec dépens.

 

[36]         Bien que la demande soit rejetée, je tiens à préciser qu’à mon avis, les renvois sont généralement à privilégier lorsque les circonstances le justifient parce qu’ils favorisent une utilisation efficace des ressources de la Cour, permettent d’éviter que la Cour rende des décisions incompatibles dans des instances séparées, permettent à la Cour d’entendre des témoignages pertinents et garantissent le recouvrement de l’impôt à payer. La poursuite de tels objectifs stimule la confiance des Canadiens dans l’intégrité du système d’administration et de recouvrement des impôts ainsi que leur confiance envers la Cour.  

 

[37]         La demande de l’intimée est rejetée, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 610

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3222(IT)G

 

INTITULÉ :                                       THIERRY BRENNEUR c. SA MAJESTÉ LA REINE  

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 juin 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :     L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DE L’ORDONNANCE :          Le 30 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Pierre Zeppettini

 

Avocat de l’intimée :

Me Simon‑Nicolas Crépin

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Me Pierre Zeppettini

 

                         Cabinet :                   Longueuil (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Il ne s’agit pas ici d’une instance pénale, où d’autres intérêts de l’État et des accusés peuvent donner lieu à une analyse différente de la nécessité d’une traduction, et ainsi de suite (bien que je remarque qu’aucun cas n’a été cité dans les observations orales ou écrites).

[2] L’intimée et M. Brenneur sont tous deux représentés par des avocats parfaitement bilingues. Bien que l’avis d’appel de M. Brenneur, ainsi que la réponse à l’avis d’appel et la demande de renvoi, aient tous été déposés en français, il a été convenu, au début de l’audience, qu’étant donné que M. Batalha ne comprenait pas bien le français, l’audition de la demande se ferait principalement en anglais. L’avocat de l’intimée avait déjà fourni à M. Batalha des traductions officieuses de la réponse à l’avis d’appel et de la demande, mais il hésitait à faire traduire l’avis d’appel de l’appelant, et cela se comprend.  

[3] Dans Canada c. Miller, 2005 CAF 394, 2005 DTC 5716, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur des années d’imposition au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, comme c’est le cas des années d’imposition 2004 et 2005 de M. Batalha. La Cour a décidé que cela n’empêchait pas de rendre une ordonnance d’un renvoi et que, s’il était par ailleurs justifié qu’il y ait un renvoi, celui-ci devrait avoir lieu afin de trancher la question commune, et ce, même si on ne pourra se pencher sur le fait que la nouvelle cotisation a été établie au-delà de la période normale qu’au moment de l’appel du contribuable.

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