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Dossier : 2007-1428(IT)I

 

ENTRE :

 

JOSEPH HESTER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Mildred Bondy (2007‑2500(IT)I)

les 2, 3 et 4 novembre 2010 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Jaimie Lickers

Mme Kanata Penn-Maracle (étudiante en droit)

 

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Annie Paré

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003 est rejeté.

 

Chaque partie assumera ses propres dépens.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 20e jour de décembre 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de février 2011.

 

 

Nathalie Gadbois, LL. L., LL. B.


 

 

Dossier : 2007-2500(IT)I

ENTRE :

 

MILDRED BONDY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Joseph Hester

(2007-1428(IT)I)

les 2, 3 et 4 novembre 2010 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Jaimie Lickers

Mme Kanata Penn-Maracle (étudiante en droit)

 

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Annie Paré

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1999 et 2000 est rejeté.

 

Chaque partie assumera ses propres dépens.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 20e jour de décembre 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de février 2011.

 

 

Nathalie Gadbois, LL. L., LL. B.


 

 

Référence : 2010 CCI 647

Date : 20101220

Dossiers : 2007-1428(IT)I

2007-2500(IT)I

 

ENTRE :

 

JOSEPH HESTER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

ET ENTRE :

 

MILDRED BONDY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Woods

 

[1]              Les appelants, Joseph Hester et Mildred Bondy, sont des Indiens inscrits qui, pendant les périodes visées, travaillaient chez Anishnawbe Health Toronto (« AHT »), un centre de santé communautaire situé à Toronto. Les appelants n’étaient pas des employés d’AHT, mais étaient plutôt des employés de Roger Obonsawin, qui exploite une agence de placement de personnes portant le nom de Native Leasing Services (« NLS »). Le bureau principal de NLS était situé dans la réserve des Six Nations, près de Brantford, en Ontario. La question en litige est celle de savoir si les revenus d’emploi que les appelants ont reçus de NLS sont exemptés de l’impôt fédéral sur le revenu parce qu’ils constituent des biens meubles situés sur une réserve.

 

[2]              La disposition législative principale est l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens qui, à l’époque visée, était ainsi libellé :

 

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

    [...]                            

                                                                          [Non souligné dans l’original.]

 

[3]              En ce qui concerne l’appel de M. Hester, les années d’imposition pertinentes sont les suivantes : 1995, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003. Quant à l’appel de Mme Bondy, les années d’imposition pertinentes sont 1999 et 2000. Les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune partielle.

 

Contexte

 

[4]              Des renseignements de base utiles au sujet de ces appels sont tirés d’une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario rendue par la juge Lax, dans une poursuite intentée par M. Hester contre l’intimée et plusieurs représentants gouvernementaux : Hester v. The Queen et al, [2008] 3 CTC 44. Des extraits de cette décision sont reproduits plus bas :

 

[traduction]

Réponse de l’ARC et de NLS à la jurisprudence relative à l’art. 87

 

[6]  L’état de la jurisprudence a évolué en ce qui concerne l’exemption de l’impôt sur le revenu des Autochtones prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Entre 1983 et 1993, l’ARC a interprété l’article 87 comme un article prévoyant l’exemption de l’impôt sur le revenu des employés qui travaillent pour des employeurs situés dans une réserve, même si le travail est effectué à l’extérieur de la réserve, conformément au principe établi dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29. D’après cette application de la loi, tous les employés de NLS étaient exemptés de l’impôt sur le revenu.

 

[7]  M. Hester soutient que l’ARC a changé cette politique en 1993. D’après les défendeurs, ce changement fait suite à l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, dans lequel la Cour suprême du Canada a élaboré un critère de « facteurs de rattachement » pour déterminer le situs d’un bien personnel incorporel, par l’application de l’article 87. Cela représentait un changement important par rapport à l’affaire Nowegijick et exigeait une analyse de l’objet de l’exemption prévue à l’art. 87, du genre de bien en cause et de la nature de l’imposition de ce bien, eu égard aux circonstances personnelles de chaque Indien.

 

[8]  En 1993, l’ARC a annoncé qu’elle voulait changer la manière dont elle appliquait l’art. 87 afin de respecter le critère établi par la Cour suprême. Pour ce faire, le 15 décembre 1993 elle a publié une ébauche de lignes directrices administratives, aux fins de commentaires. M. Obonsawin et un certain nombre d’autres employés de NLS ont présenté des mémoires à l’ARC, mais ces mémoires n’ont pas été suivis car, de l’avis de l’ARC, ils ne respectaient pas le critère de « facteurs de rattachement » qui avait été élaboré récemment.

 

[9]  En juin 1994, l’ARC a publié les lignes directrices Exonération du revenu selon la Loi sur les Indiens (les « lignes directrices administratives »), en vigueur à partir de l’année d’imposition 1995. Cela a entraîné la protestation de membres de la communauté autochtone, y compris d’employés de NLS et, en décembre, ils ont occupé les bureaux des services fiscaux de l’ARC à Toronto pour demander que d’autres consultations soient effectuées et que des changements soient apportés aux lignes directrices administratives. Ces revendications ont par la suite mené à une entente vers le mois de janvier 1995 selon laquelle les manifestants ont accepté de quitter les bureaux de l’ARC; de son côté, l’ARC a accepté d’entendre d’autres observations de M. Obonsawin sur l’application des lignes directrices administratives aux travailleurs de NLS; en outre, les deux parties prendraient toutes les mesures appropriées pour accélérer l’examen par les tribunaux des contestations des lignes directrices (l’« entente relative aux causes types »).

 

Causes types

 

[10] L’objectif de ces causes types consistait à établir une détermination méthodique de l’application des droits relatifs à l’immunité fiscale autochtone et à présenter un ensemble de situations factuelles applicables aux travailleurs de NLS, afin que les tribunaux se prononcent sur l’application de l’article 87 à NLS ainsi qu’à d’autres organisations semblables. Ultimement, quatre causes types (Shilling, HornClark et Williams) ont été entendues par la Cour fédérale.

 

Cause type Shilling

 

[11] Le 23 novembre 1998, à la suite d’une série de requêtes de procédure, la juge Reed de la Section de première instance de la Cour fédérale a énoncé dans l’affaire Shilling une question de droit à trancher par la cour : Mme Shilling a‑t‑elle le droit, par application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, d’être exemptée de payer de l’impôt sur le salaire qui lui a été versé par NLS pendant les années précisées. Un exposé conjoint des faits a servi de base à l’instruction de l’affaire et, en première instance, la Cour fédérale a tranché la question en faveur de Mme Shilling. Le 4 juin 2001, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de la juge Sharlow de la Section de première instance. La demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 14 mars 2002.

 

[12] Mme Shilling a cherché à poursuivre le procès en Cour fédérale. Le 18 novembre 2003, la juge Simpson a accueilli une requête de la Coursonne en vue d’obtenir un jugement sommaire et a rejeté l’action de Mme Shilling. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de cette décision interjeté par Mme Shilling et sa demande subséquente pour une prorogation de délai a été rejetée par la Cour suprême du Canada le 6 octobre 2005.

 

Causes types Horn, Clarke et Williams

 

[13] Même si l’on envisageait à l’origine que le résultat de la cause type Shilling régler la plupart des demandes des travailleurs de NLS, la société a décidé que les trois autres causes types devaient être portées en justice. À cette fin, la Couronne a demandé et a obtenu un échéancier de la Section de première instance de la Cour fédérale afin de mettre fin à ces affaires. La cause type Clarke a en fin de compte été réglée à l’amiable. L’instruction des affaires Horn et Williams a eu lieu le 16 octobre 2006. Le 16 octobre 2007, le juge Phelan a rendu sa décision dans les causes types restantes en concluant que ni Mme Horn ni Mme Williams n’avait le droit d’être exemptée de payer de l’impôt par application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Il a rejeté les allégations de discrimination des plaignantes fondées sur l’article 15 de la Charte. Par conséquent, toutes les trois causes types ont entraîné le refus des exemptions fiscales, sous réserve d’un appel par Mmes Horn et Williams.

                        

                                                      [...]

 

Appels en matière d’impôt sur le revenu interjetés par M. Hester et d’autres travailleurs de NLS

 

[23] En février 2006, considérant que les employés de NLS comptaient être liés par l’issue des causes types, l’ARC a commencé à envoyer des lettres aux employés de NLS pour leur demander de déterminer laquelle des quatre causes types s’applique à leur situation individuelle. Les employés de NLS ont répondu en envoyant une lettre type dans laquelle ils refusaient de déterminer laquelle des quatre situations de faits s’appliquait à eux. Croyant que les employés de NLS ne voulaient plus être liés par l’issue des causes types, mais souhaitent plutôt exercer leurs droits individuels suivant la Loi de l’impôt sur le revenu, l’ARC a ensuite établi des avis de ratification des cotisations d’impôt sur le revenu. M. Hester et environ 1 200 autres employés de NLS ont signifié des avis d’appel à l’encontre de leurs cotisations. La portée de certains des appels est large : on y établit des droits suivant l’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et les articles 25 et 35 de la Charte, ainsi qu’une exemption fiscale en se basant sur les droits autochtones ou les droits issus de traités. Par la suite, d’autres employés de NLS ont déposé des avis d’appel modifiés dans lesquels ils se fondaient uniquement sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt gère tous ces appels, lesquels vont de l’avant.

 

[5]              Le statut actuel décrit par la juge Lax demeure le statu quo. Toutefois, les possibilités d’appel de Mmes Horn et Williams ont été épuisées et plusieurs autres appels interjetés par des employés de NLS ont été entendus par la Cour. À ma connaissance, aucun appel tranché par la Cour à cet égard n’a été accueilli.

 

Questions en litige

 

[6]              Les appelants soulèvent deux questions en litige.

 

[7]              En premier lieu, ils soutiennent que le principe juridique que les tribunaux appliquent dans ces causes types est incorrect. Ils sont d’avis que le critère adéquat pour déterminer le situs du revenu d’emploi est celui de l’emplacement de l’employeur. Compte tenu de ce critère, les appelants prétendent que leur revenu d’emploi est visé par l’exemption prévue parce que l’employeur, NLS, est situé dans une réserve.  

 

[8]              En deuxième lieu, les appelants soutiennent que l’exemption s’applique même si le principe juridique qui a été adopté par les tribunaux, à savoir l’analyse des facteurs de rattachement, s’applique à leurs circonstances. 

 

Le lieu où se situe l’employeur constitue‑t‑il l’approche adéquate?

 

[9]              Les appelants soutiennent qu’en interprétant l’expression « situés sur une réserve » du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens, on établi que le revenu d’emploi se trouve où l’employeur est situé. Puisque NLS est situé essentiellement sur la réserve des Six Nations, le revenu d’emploi des appelants est, selon eux, visé par l’exemption.

 

[10]         Cette approche va à l’encontre d’un important courant jurisprudentiel de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, qui ont effectué systématiquement une analyse des facteurs de rattachement pour déterminer si un revenu d’emploi est situé dans une réserve.

 

[11]         Les appelants reconnaissent que leur argument va à l’encontre de nombreuses décisions, mais ils sont d’avis que les tribunaux ont erré en appliquant l’analyse des facteurs de rattachement au revenu d’emploi.

 

[12]         Les appelants soutiennent que le critère approprié est celui qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, 83 DTC 5041. Ce critère permet essentiellement de déterminer le lieu où se situe l’employeur. Pour ce qui est de l’analyse des facteurs de rattachement qui a été adoptée plus tard par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Williams c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 877, 92 DTC 6320, les appelants sont d’avis que ce critère devrait avoir une application limitée et ne n’applique pas au revenu d’emploi.  

 

[13]         À mon humble avis, ces arguments ne sont pas fondés.

 

[14]         Je tiens tout d’abord à commenter que l’approbation du critère du lieu de l’employeur dans Nowegijick était une opinion incidente dans l’arrêt et qu’il s’agissait seulement d’un commentaire mentionné en passant dans la décision. Les motifs du juge Dickson précisent que cette question ne se posait pas dans l’affaire :

 

[...] Sa Majesté a reconnu au cours des plaidoiries, avec raison selon moi, que le situs du salaire de M. Nowegijick était la réserve parce que c’est là où la débitrice, Gull Bay Development Corporation, avait sa résidence ou son lieu d’affaires et parce que c’est là que le salaire devait être payé.

                                                   [...]

[...] La question du situs, sur laquelle porte l’arrêt R. c. The National Indian Brotherhood (1978), 78 DTC 6488 [...] ne se pose pas en l’espèce.

                                                                                (pp. 5043, 5044)

 

[15]         Quoi qu’il en soit, il est clair en fonction de l’arrêt subséquent Williams que le critère des facteurs de rattachement doit être appliqué au revenu d’emploi. Je renvois plus précisément aux commentaires suivants du juge Gonthier :   

 

37  La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition.  Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu’il s’agit de prestations d’assurance‑chômage, de revenu d’emploi ou de prestations de pension.  Il faut d’abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents.  On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d’identifier l’emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : 1) l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, 2) le genre de bien en cause et 3) la nature de l’imposition de ce bien.  Il s’agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l’imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l’Indien à titre d’Indien sur une réserve.                                           

                                                                                  [Non souligné dans l’original.]

 

[16]         En troisième lieu, en toute déférence, l’argument que les appelants mettent en avant a été traité dans Horn et al c. La Reine, 2008 CAF 352, 2008 DTC 6743. Les commentaires du juge Evans qui figurent ci‑dessous sont pertinents :

 

[4]  Cependant, la Cour a expressément énoncé (par. 18) que le recours à « l’analyse contextuelle » était approprié dans le cas d’une opération fiscale, par exemple « lorsque le situs est difficile à déterminer objectivement ». Elle a cité les propos de la Cour d’appel dans God’s Lake (par. 17) selon qui [traduction] « il ne s’agit pas de déterminer le situs d’une opération aux fins de l’imposition ». Elle a aussi fait état, avec approbation, de l’adoption de la méthode des « facteurs de rattachement » dans Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, décision à l’origine de la jurisprudence de notre Cour portant sur le situs du revenu d’emploi en tant que bien meuble pour les besoins de l’article 87, même si dans Williams, il était question de prestations d’assurance‑emploi.

 

[5]  À notre avis, le passage de l’arrêt God’s Lake cité ci‑dessus, indique clairement que la Cour suprême n’a pas invité la Cour à reconsidérer sa jurisprudence. À ce jour, la Cour suprême a refusé l’autorisation d’interjeter appel des décisions de la Cour portant sur l’article 87 dans lesquelles celle‑ci a appliqué l’analyse des facteurs de rattachement pour déterminer le situs du revenu d’emploi aux fins d’imposition. Sans l’intervention du législateur, seule la Cour suprême du Canada peut examiner la validité du cadre analytique que la Cour a établi et a appliqué systématiquement à la question.

 

[17]         Pour ces raisons, je ne suis pas d’accord pour dire que les tribunaux ont appliqué de manière inappropriée l’analyse des facteurs de rattachement pour déterminer si le revenu d’emploi est situé dans une réserve à des fins d’exemption fiscale. 

 

Application de l’analyse des facteurs de rattachement

 

[18]         Le deuxième argument des appelants est que leur revenu d’emploi donne droit à une exemption même si une analyse des facteurs de rattachement est effectuée.

 

[19]         Cette approche requiert un examen des faits et des circonstances pertinents.

 

[20]         Pour ce qui est de M. Hester, il est un Indien inscrit et un membre des Cris de la Première nation de Waskaganish, située au Québec. Il n’a jamais habité dans une réserve mais il maintient des liens culturels avec les réserves. M. Hester a occupé un certain nombre de postes de haut niveau chez AHT. Il est devenu directeur exécutif par intérim en 1997 et directeur exécutif en 1998, un poste qu’il continue d’occuper.   

 

[21]         M. Hester est responsable de tous les aspects d’AHT, un centre de santé communautaire basé à Toronto et dont le mandat consiste essentiellement à offrir ses services aux Autochtones qui vivent dans la région du Grand Toronto.   

 

[22]         Les tâches de M. Hester sont effectuées essentiellement à Toronto. AHT a établi des relations mutuellement avantageuses avec plusieurs réserves et M. Hester visite parfois ces réserves dans le cadre de son mandat. Je ne suis pas convaincue, à la lumière de la preuve, que de telles visites constituent des tâches qu’il effectuait fréquemment chez AHT.     

 

[23]         En plus des tâches effectuées pour AHT, M. Hester a été nommé par NLS comme agent de liaison auprès d’AHT. En cette qualité, il a examiné les formulaires d’évaluation des employés de NLS qui travaillaient pour AHT. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer si une partie du revenu d’emploi de M. Hester est attribuable en bonne et due forme à ces services.  

 

[24]         Pour ce qui est de Mme Bondy, elle est une Indienne inscrite qui a vécu à Toronto pendant de nombreuses années. Elle est membre de la Première nation Wikwemikong, sur l’île Manitoulin ,et conserve des liens familiaux et culturels là‑bas.   

 

[25]         En 1997, Mme Bondy a été placée chez AHT par NLS en tant que secrétaire/adjointe et elle y a effectué du travail administratif général jusqu’au début 2000, lorsqu’elle est partie pour occuper un autre emploi. Ses tâches à AHT ont été effectuées à Toronto.

 

[26]         Pour ce qui est des faits concernant NLS et M. Obonsawin, les parties ont produit un exposé conjoint des faits. La plupart des faits pertinents ont été examinés dans d’autres causes, notamment dans l’affaire Horn, et il n’est pas nécessaire que je les examine encore ici.

 

[27]         Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, en l’espèce, les faits des  appels ne justifient pas une conclusion différente de celle des affaires Shilling et Horn.

 

[28]         Les appelants ont travaillé dans le même centre de santé communautaire dans lequel Mme Shilling a travaillé. Comme dans le cas des appelants, les tâches de Mme Shilling étaient essentiellement effectuées à Toronto, même si elle visitait des réserves dans le cadre de ses fonctions.

 

[29]         Je fais remarquer, en particulier, les commentaires suivants de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Shilling :

 

[62]   En l’espèce, seul l’emplacement du bureau principal de l’employeur a pour effet de rattacher le revenu d’emploi de l’intimée à une réserve; or, aucun élément de preuve ne permet d’accorder à ce facteur l’importance que le juge de première instance lui a accordée. D’autre part, le lieu du travail et sa nature, facteurs qui ont en général été considérés comme les plus importants dans une analyse des facteurs de rattachement dans les affaires de revenu d’emploi, ainsi que le lieu de résidence de l’intimée indiquent que le revenu d’emploi de Mme Shilling était situé en dehors d’une réserve.

 

[63]  Les facteurs rattachant le revenu d’emploi à un emplacement situé en dehors d’une réserve l’emportent sur ceux qui le rattachent à une réserve. Le revenu d’emploi de Mme Shilling pour les années 1995 et 1996 n’est donc pas situé dans une réserve et n’est pas exempt d’impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

 

[30]         L’affaire Horn est également pertinente parce qu’elle a comblé certaines lacunes dans la preuve à l’égard de NLS, présentes dans l’affaire Shilling. Compte tenu du dossier de preuve plus large au sujet de NLS, la Cour a conclu dans Horn que la relation avec NLS ne constitue pas un facteur de rattachement solide. Un bref extrait de la décision de première instance dans Horn qui a été rendue par le juge Phelan (2007 CF 1052, 2007 DTC 5589) est reproduit plus bas.  

 

[96]    Les avantages que représente NLS pour la réserve des Six Nations ne sont pas énormes, mais ils demeurent réels. La majorité des membres du personnel administratif étaient des membres des Six Nations, dont certains vivaient dans la réserve. NLS payait un loyer à la réserve également. Toutefois, les dépenses relatives au loyer et aux salaires/avantages étaient peu élevées globalement (approximativement 240 000 $) et représentaient un faible pourcentage seulement du revenu brut de NLS (approximativement 2 %).

 

[97]    Par conséquent, si NLS est située dans la réserve des Six Nations, ces autres circonstances indiquent que ce facteur n’est pas particulièrement important. Il est presque sans importance pour Horn, puisqu’elle n’est pas membre des Six Nations et que sa bande de Kahnawake ne tire aucun avantage direct du fait que NLS est située dans la réserve des Six Nations.

 

[31]         À la lumière du contexte de ces appels, il est important que les tribunaux donnent une réponse claire à cette question. Pour que l’on s’écarte des conclusions tirées dans Shilling et dans Horn, il doit y avoir des faits importants qui justifient un nouvel examen. Les deux appels en l’espèce ne comportent pas de tels faits.

 

[32]         Les appels sont rejetés. Chaque partie assumera ses propres dépens.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 20e jour de décembre 2010.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de février 2011.

 

 

Nathalie Gadbois, LL. L., LL. B.


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 647

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2007-1428(IT)I

                                                          2007-2500(IT)I

 

INTITULÉS :                                     JOSEPH HESTER          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                          et

                                                          MILDRED BONDY c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               Les 2, 3, 4 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 décembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Jaimie Lickers

Mme Kanata Penn-Maracle (étudiante en droit)

 

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Annie Paré

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

       Pour les appelants :

 

                                 Nom :               Graham Ragan

 

                             Cabinet :               Gowling Lafleur Henderson, S.E.N.C.R.L.,               s.r.l.        

                                                          Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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