Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

Dossier : 2009-77(IT)G

ENTRE :

RAYMOND NOWAK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus le 18 octobre 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Brent Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de M. Nowak :

David W. Chodikoff

Avocates de l’intimée :

Sheherezade Gorashy et Lynn W. Gillis

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2000 et 2001 sont rejetés, avec dépens.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de janvier 2011.

 

 

« Brent Paris »

Juge Paris

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2011.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur.


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 3

Date : 20110104

Dossier : 2009-77(IT)G

ENTRE :

RAYMOND NOWAK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

[1]     Il s'agit d'appels de nouvelles cotisations concernant les années d'imposition 2000 et 2001 de M. Nowak. Les questions soulevées dans les appels sont les suivantes :

(i)         M. Nowak a-t-il omis de déclarer des revenus de 153 645 $ en 2000 et de 141 160 $ en 2001?

(ii)        Deux sociétés de personnes dont il était un associé ont-elles déduit un montant trop élevé au titre des dépenses en 2000 et en 2001?

(iii)                  Si M. Nowak n’a pas déclaré la totalité de ses revenus, comme il est indiqué en (i) ci‑dessus, est-il passible de pénalités à l’égard des montants  en question conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu?

 

Faits

 

[2]     M. Nowak et son épouse sont nés en Pologne et ont immigré au Canada avec leurs deux enfants en 1986. Monsieur Nowak a suivi une formation de chef cuisinier en Pologne et, de 1972 à 1985, lui et son épouse y ont exploité un restaurant dont ils étaient propriétaires. Depuis leur arrivée au Canada, M. Nowak a exploité plusieurs entreprises différentes. Durant les années d’imposition en cause, il détenait à parts égales avec Ryszard Ratajcsak appelée R & R Country Railings (R & R), une société de personnes qui fournissait et installait des rampes de terrasses et d’escaliers. En outre, lui et son fils étaient associés à parts égales dans K & R Trading (K & R), une entreprise qui achetait et revendait des voitures d’occasion. La plupart des voitures d’occasion étaient achetées aux États-Unis et exportées en Pologne pour être revendues.

 

[3]     Les déclarations de revenus de M. Nowak pour 2000 et 2001 indiquaient un revenu total de 7 510 $ et de 5 877 $, respectivement. Les revenus déclarés de son épouse étaient de 3 480 $ en 2000 et de 8 216 $ en 2001. L’Agence de revenu du Canada (l’ARC) a jugé que les revenus déclarés combinés de M. Nowak et de son épouse étaient faibles et a donc décidé que les années d’imposition 2000 et 2001 feraient l’objet d’une vérification.

 

[4]     La vérificatrice de l’ARC, Mme Ann Marie Sawh, a témoigné avoir tenté à plusieurs reprises de communiquer avec M. Nowak afin d’obtenir des renseignements aux fins de la vérification. Elle lui a laissé plusieurs messages téléphoniques et lui a envoyé quatre lettres. L’une de ces lettres a été envoyée sous pli recommandé tandis qu’une autre a été déposée à la résidence de M. Nowak. Monsieur Nowak n’a répondu à aucun de ces messages ni à aucune de ces lettres.

 

[5]     Dans ses déclarations de revenus pour 2000 et 2001, M. Nowak a produit les états des résultats des activités d’une entreprise de R & R et de K & R indiquant les revenus, les dépenses et le bénéfice net suivants :

 

R & R

 

 

 

2000

 

2001

 

Revenus

133 854 $

81 618 $

Dépenses

123 566

70 525

 

Revenu net

10 289

11 194

 

 

 

K & R

 

 

 

2000

 

2001

Revenus

122 210 $

45 040 $

Dépenses

129 008

44 380

 

Revenu net

(6 797)

660

 

[6]     Compte tenu du fait que M. Nowak n’a pas répondu à ses demandes de renseignements, la vérificatrice se proposait de refuser toutes les dépenses dont la déduction avait été demandée par les sociétés de personnes. Elle a envoyé sa proposition à cet égard dans une lettre adressée à M. Nowak et n’a, encore une fois, reçu aucune réponse. Elle a donc procédé à l’établissement des nouvelles cotisations.

 

[7]     M. Nowak, par l’entremise d’un mandataire, s’est opposé aux nouvelles cotisations et a présenté des documents pour prouver les dépenses dont la déduction avait été demandée par les sociétés de personnes. La Division des appels de l’ARC, qui s’occupait de l’objection présentée par M. Nowak, a demandé à Mme Sawh d’examiner les documents fournis par M. Nowak afin de calculer son revenu d’entreprise pour ces années.

 

[8]     Mme Sawh a témoigné que les reçus qui ont été fournis n’étaient pas en ordre ni répartis par catégories, et que, quand elle tentait de classer les reçus, elle obtenait des totaux différents pour plusieurs des catégories de dépenses indiquées dans les états des résultats des activités d’une entreprise des sociétés de personnes – certains d’entre eux étaient plus élevés que les montants dont on avait demandé la déduction tandis que d’autres étaient inférieurs à ceux-ci. Toutefois, le total de l’ensemble des dépenses pour lesquelles il y avait des pièces justificatives était inférieur au total des dépenses dont la déduction avait été demandée pour chacune des sociétés de personnes. Les écarts étaient les suivants :

 

 

 

2000

 

         2001

 

R & R

33 879 $

3 186 $

 

K & R

32 879 $

 

 

Mme Sawh se proposait de refuser la déduction de ces montants à titre de dépenses des sociétés de personnes[1].

 

[9]     Mme Sawh a demandé les relevés bancaires des sociétés de personnes et de M. Nowak afin de vérifier les revenus. Après en avoir fait la demande plusieurs fois, elle a finalement obtenu les relevés des comptes bancaires des sociétés de personnes et d’un compte que M. Nowak et son épouse détenaient conjointement. Son analyse des comptes des sociétés de personnes a révélé les dépôts non identifiés totaux suivants :

 

 

 

 

2000

 

         2001

 

R & R

10 978 $

8 733 $

 

K & R

50 104 $

60 700 $

 

 

Mme Sawh a considéré ces montants comme des revenus non déclarés des sociétés de personnes et se proposait d’en ajouter 50 % au revenu de M. Nowak.

 

[10]    Mme Sawh a en outre été incapable de vérifier la source de dépôts totalisant 123 104,28 $ en 2000 et 106 444,12 $ en 2001 faits dans le compte conjoint personnel de M. Nowak et de son épouse. Mme Sawh croyait que ces montants étaient des revenus que M. Nowak avait omis de déclarer dans ses déclarations de 2000 et de 2001 et se proposait de les ajouter à son revenu.

 

[11]    Mme Sawh a témoigné avoir rencontré M. Nowak et sa fille, Ava, en juin 2007, pour expliquer les nouvelles cotisations proposées et leur a remis des copies de ses documents de travail. Mme Sawh n’a reçu aucun autre renseignement de M. Nowak et les nouvelles cotisations dont celui-ci a fait appel ont été établies.

 

[12]    À l’audience tenue devant moi, M. Nowak et son épouse ont témoigné que les dépôts bancaires non identifiés ont été faits avec de l’argent qu’ils avaient laissé en Pologne lorsqu’ils ont émigré et que M. Nowak avait rapporté de Pologne lors de voyages effectués sur un certain nombre d’années. M. Nowak et son épouse ont dit que, lorsqu’ils ont quitté la Pologne, ils ont vendu tous leurs biens, incluant la maison dont ils avaient hérité des parents de Mme Nowak, leur restaurant et leurs deux automobiles. Puisqu’ils ne pouvaient pas sortir de l’argent du pays, ils ont laissé tout l’argent tiré de la vente de leurs biens, ainsi que les économies provenant de leur restaurant, aux parents de M. Nowak afin que ceux-ci conservent l’argent pour eux et le convertissent graduellement en dollars américains sur le « marché non officiel ». Ils ont dit qu’à l’époque personne en Pologne ne faisait confiance aux banques et que tout le monde gardait son argent en espèces à la maison.

 

[13]    M. et Mme Nowak ont fourni un acte notarié daté du 15 juillet 1995 constatant la convention de vente de leur propriété située à Poznan, en Pologne, pour 3 millions de zlotys. Le document original était en polonais et était accompagné d’une traduction officielle anglaise. Ils ont également fourni un deuxième document en polonais, non traduit, qu’ils n’ont remis à l’intimée que le jour de l’audience et sur lequel, selon eux, il est indiqué que le prix de vente réel de la maison était en fait 5,5 millions de zlotys.

 

[14]    M. et Mme Nowak ont témoigné avoir vendu leur restaurant pour un montant s’établissant entre 5 et 7 millions de zlotys, une voiture de marque Mercedes, vieille d’un an, pour 4 millions de zlotys et une voiture de marque Fiat pour 2 ou 3 millions de zlotys. Tous ces montants auraient été payés en espèces. Mme Nowak a affirmé qu’ils avaient aussi des économies totalisant entre 5 et 7 millions de zlotys.

 

[15]    Selon M. Nowak, le taux de change non officiel en 1986 était d’environ 50 ou 60 zlotys pour un dollar américain.

 

[16]    M. Nowak a affirmé être retourné en Pologne pour la première fois en 1990, après avoir reçu sa citoyenneté canadienne, pour visiter ses parents et pour voir s’il pouvait sortir de l’argent du pays. Il a dit qu’à ce moment, la situation en Pologne avait changé complètement et qu’il était maintenant possible d’obtenir la permission de sortir de l’argent du pays. M. Nowak ne se souvient pas du moment où il a commencé à sortir des fonds de la Pologne. C’était peut-être en 1995, mais il a affirmé que lorsqu’il voulait de l’argent, il se rendait en Pologne trois ou quatre fois par année à cette fin. Mme Nowak a dit se souvenir qu’après le premier voyage de M. Nowak en Pologne, il y était retourné trois ou quatre fois par année jusqu’à l’année en cours.

 

[17]    Trois certificats d’exportation de devises polonaises (chacun accompagné de la traduction anglaise) qui ont été produits à l’audience montrent que M. Nowak était autorisé à emporter les montants d’argent suivants hors de la Pologne aux dates indiquées :

 

36 000 $US (29 juin 1996)

25 000 $US (3 novembre 1997)

22 000 $US (19 février 1999)

 

[18]    M. Nowak a expliqué qu’il devait d’abord déposer des dollars américains dans un compte bancaire en Pologne afin d’obtenir un certificat d’exportation. Après avoir obtenu le certificat, il retirait l’argent pour l’apporter au Canada. Il a présenté trois récépissés bancaires polonais (accompagnés encore une fois de traductions anglaises) montrant qu’il avait fait les retraits suivants à la banque Pekao à Poznan aux dates indiquées :

 

22 600 $US (16 avril 1998)

15 000 $US (21 décembre 1998)

37 000 $US (19 février 1999)

 

[19]    M. et Mme Nowak ont affirmé tous deux que M. Nowak a rapporté davantage d’argent que ce qui est démontré par les récépissés, mais ont dit ne pouvoir trouver d’autres certificats d’exportation ou bordereaux de retrait. Ils ont également dit qu’à un moment donné après 1999, la loi polonaise a changé et il n’était plus nécessaire d’obtenir la permission d’exporter de la monnaie. M. Nowak a dit qu’il a continué de se rendre en Pologne pour rapporter de l’argent au Canada jusqu’à cette année.

 

[20]    M. et Mme Nowak ont tous deux affirmé avoir conservé à la maison, à Mississauga, l’argent américain en espèces provenant de la Pologne. Quand ils avaient besoin d’argent à des fins d’affaires ou à des fins personnelles, ont-ils précisé, Mme Nowak en convertissait en dollars canadiens au centre-ville de Toronto et le déposait ensuite à la banque.

 

[21]    En ce qui concerne les revenus et les dépenses des sociétés de personnes, M. Nowak et son épouse ont témoigné que celle-ci s’occupait de la tenue des comptes pour K & R et R & R. Elle a dit avoir inscrit tous les revenus et toutes les dépenses dans un cahier, qu’elle donnait à leur comptable chaque année afin qu’il prépare les déclarations de revenus de M. Nowak. Le cahier n’a pas été produit en preuve, ni aucune pièce justificative, et Mme Nowak n’a pas été en mesure de donner des précisions quant aux dépenses réelles engagées par les sociétés de personnes.

 

 

Position de l’appelant

 

[22]    L’avocat de M. Nowak a fait valoir que la preuve démontre que M. et Mme Nowak avaient accumulé des actifs en Pologne avant de venir au Canada et que ces actifs constituaient la source des dépôts bancaires que la vérificatrice a traités comme des revenus non déclarés.

 

[23]    En ce qui concerne les dépenses refusées, l’avocat a dit que M. Nowak comptait sur son épouse pour la tenue livres des sociétés de personnes. Mme Nowak a déclaré catégoriquement avoir tenu une bonne comptabilité et avoir fourni aux comptables tout ce qui était nécessaire pour préparer les déclarations de revenus. L’avocat a soutenu que M. Nowak et son épouse avaient donné des témoignages crédibles selon lesquels les dépenses dont la déduction a été demandée avaient effectivement été engagées, et qu’il n’était pas nécessaire de fournir des reçus et des documents pour prouver les dépenses.

 

[24]    L’avocat a également fait valoir que les pénalités pour faute lourde n’étaient pas justifiées parce que M. Nowak croyait qu’il conservait les documents nécessaires pour déclarer ses revenus de façon appropriée, et que toute erreur dans ses déclarations était attribuable aux personnes à qui M. Nowak se fiait pour la tenue des livres et la préparation des déclarations de revenus pour ses entreprises. L’avocat a soutenu que M. Nowak n’était pas au courant de ces erreurs et qu’il n’existait aucune preuve qu’il cherchait délibérément à ne pas déclarer certains revenus.

 

Analyse

 

[25]    La première question est de savoir si l’appelant a omis de déclarer des revenus pour ses années d’imposition 2000 et 2001. La réponse à cette question tient principalement à la crédibilité de l’appelant et de son épouse, et, pour les motifs qui suivent, je ne crois pas leur témoignage concernant la source des dépôts bancaires non identifiés. Selon moi, leurs explications sont peu convaincantes et invraisemblables, et peu d’éléments de preuve corroborants ont été présentés devant la Cour. Les quelques documents qu’ils ont en fait produits ne sont pas du tout concluants.

 

[26]    Tout d’abord, j’estime que le fait que, lors de leur rencontre en juin 2007, M. Nowak n’ait pas donné d’explications à la vérificatrice relativement aux dépôts non identifiés soulève un doute sérieux quant à la véracité de son témoignage et de celui de son épouse concernant l’origine des fonds. La version de M. Nowak quant à ce qui s’est passé lors de la rencontre était bien différente de celle de Mme Sawh. M. Nowak a dit qu’il est allé à la rencontre avec sa fille et qu’il s’attendait à discuter du remboursement de TPS qu’il avait demandé. Il a dit qu’ils ont dû attendre une heure et que, lorsque Mme Sawh est enfin arrivée, elle agissait comme si M. Nowak n’avait aucune valeur et était déplaisante envers lui. Il a affirmé s’être senti humilié et être parti avant que ne se soient écoulées cinq minutes. Sa fille serait restée, cependant, et la vérificatrice lui aurait remis des documents. Il a affirmé que sa fille lui a ensuite expliqué les ajustements proposés de l’impôt sur le revenu, qu’elle lui a montré les documents qu’elle avait reçus, et qu’il a mis l’affaire entre les mains de son comptable.

 

[27]    La vérificatrice a résumé la rencontre sur son formulaire T2020, et rien n’indique que M. Nowak a quitté la rencontre hâtivement. Dans son témoignage, la vérificatrice a dit avoir expliqué étape par étape les nouvelles cotisations proposées à la fille de M. Nowak, qui traduisait pour son père et qui semblait comprendre ce que disait la vérificatrice. La vérificatrice a dit que M. Nowak semblait comprendre ce que sa fille lui disait également.

 

[28]    Je n’accepte pas le témoignage de M. Nowak quant à ce qui s’est produit lors de la rencontre. Tout d’abord, la fille de M. Nowak, qui aurait pu confirmer sa version, n’a pas été appelée à témoigner. Rien n’indique qu’elle n’était pas disponible pour venir à la Cour, et je conclus que son témoignage aurait été défavorable à M. Nowak sur ce point (voir Blatch v. Archer[2]). J’estime également que le fait de ne pas présenter à la vérificatrice la version des événements de M. Nowak durant le contre-interrogatoire mené pour ce dernier est un facteur que je suis en droit de prendre en compte pour apprécier le témoignage de M. Nowak relativement à la rencontre (voir Browne v. Dunn[3]; R. v. Giroux[4]). Enfin, il n’y a dans les documents produits en preuve aucune mention de ce que M. Nowak s’est senti « humilié » ou de ce que le comportement de la vérificatrice l’a fait sentir frustré. Or, on pourrait s’attendre à ce qu’un tel élément soit évoqué ou mentionné dans la correspondance ou les discussions subséquentes concernant le dossier.

 

[29]    La preuve de ce qui s’est produit lors de la rencontre est importante parce qu’il s’agissait de la première occasion pour M. Nowak de révéler la source des dépôts non identifiés, ce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas non plus donné d’explications dans les semaines qui ont suivi. Même à supposer que M. Nowak ait quitté hâtivement la rencontre avec la vérificatrice, il reconnaît tout de même que sa fille lui a par la suite expliqué les ajustements proposés. Il savait donc à ce stade que la majeure partie des ajustements proposés par la vérificatrice concernaient des dépôts bancaires qui, selon ce qu’affirme maintenant M. Nowak, provenaient d’une seule source, laquelle est non imposable.

 

[30]    Compte tenu de l’importance des dépôts non identifiés et comme M. Nowak dit qu’ils provenaient tous de la même source, je me serais attendu à ce que M. Nowak donne à la première occasion les renseignements voulus à cet égard. L’omission de le faire me fait douter davantage de la véracité des explications qu’il a données par la suite au sujet des dépôts.

 

[31]    D’autres parties du témoignage de M. et de Mme Nowak sont confuses. C’est le cas notamment de leurs explications concernant l’existence de deux documents indiquant deux prix de vente différents pour leur maison à Poznan. M. Nowak a indiqué que l’acte notarié était une [TRADUCTION] « entente provisoire » et que le prix de vente a été ajusté à la hausse par la suite. Or, la date de l’acte notarié est postérieure à celle de l’autre prétendue convention de vente et l’acte notarié indique que les droits et les frais de mutation ont été payés en fonction du plus bas des deux prix de vente. M. Nowak a également dit qu’il n’était pas là lorsque la transaction a eu lieu, mais, selon l’acte notarié, M. Nowak et son épouse étaient présents, ainsi que les acheteurs, et avaient produit comme pièces d’identité leurs passeports. Mme Nowak a affirmé qu’elle pensait que l’acte notarié avait été dressé par les acheteurs de la propriété. Cependant, il me semble que le notaire l’ait rédigé et que M. et Mme Nowak l’aient tous les deux signé ainsi que les acheteurs.

 

[32]    Si j’admettais que le prix de vente véritable de la maison soit 5 millions de zlotys, comme ils le font maintenant valoir, cela signifierait que M. Nowak et son épouse, ainsi que les acheteurs de la maison, ont indiqué un faux prix sur l’acte notarié. La seule raison apparente pour laquelle ils l’auraient fait, ç’aurait été pour réduire les droits à payer relativement à la vente. Ces droits ont été calculés à un taux de 10 % du prix d’achat. Il n’est pas clairement établi qui était responsable du paiement des droits, mais même si cette responsabilité incombait aux acheteurs, il reste que M. Nowak et son épouse auraient tout de même participé à cette communication de faux renseignements. Voilà qui ne renforce guère leur crédibilité

 

[33]    De plus, l’explication de Mme Nowak concernant la production tardive du document indiquant un prix de vente de 5 millions de zlotys est difficile à accepter. Mme Nowak a affirmé qu’il était joint à l’acte notarié dans une liasse de documents qu’elle avait chez elle, mais qu’elle n’a remarqué ce document que le jour avant l’audience. Or, il me semble étrange que M. et Mme Nowak ne se soient pas aperçu, lorsqu’ils ont initialement donné l’acte notarié à leur avocat, que le prix dans l’acte notarié était différent (et de beaucoup) de ce qu’était, selon eux, le prix de vente réel, et qu’ils n’aient pas cherché à en savoir davantage sur le sujet à ce moment.

 

[34]    Je signale également qu’aucun document relatif à la vente du restaurant n’a été fourni, malgré le fait que le restaurant se soit vendu à un prix équivalant à celui de la maison. On n’a pas dit qu’aucun document officiel n’avait été dressé pour la vente, et compte tenu des voyages fréquents de M. Nowak en Pologne jusqu’à et durant l’année en cours, je me serais attendu à ce qu’il ait tenté d’obtenir des copies de tels documents relatifs à la vente ou au transfert du restaurant.

 

[35]    De plus, la vente du restaurant soulève elle-même quelques difficultés. Monsieur Nowak a témoigné qu’il a été harcelé par les autorités locales au début des années 1980 relativement à son restaurant parce que quelqu’un voulait le lui prendre, et qu’il a finalement été forcé par le « bureau municipal » de fermer le restaurant. Dans ces circonstances, il est surprenant que M. Nowak et son épouse aient été en mesure de vendre le restaurant au prix qu’ils prétendent avoir reçu. Dans un ordre d’idées connexe, si, comme l’a dit M. Nowak,  son entreprise de restauration éprouvait des difficultés pendant plusieurs années avant 1985, il est surprenant aussi, je trouve, que M. Nowak et son épouse aient eu les moyens de posséder deux voitures, dont une Mercedes-Benz vieille d’un an, en 1985 ou qu’ils aient eu des économies équivalant à 140 000 $US (c.-à-d. 7 millions de zlotys à 50 zlotys le dollar) provenant de cette entreprise. J’aimerais souligner également que seule Mme Nowak a mentionné qu’ils avaient des économies provenant du restaurant.

 

[36]    L’explication de M. Nowak concernant les moments où les fonds ont été sortis de Pologne me paraît également invraisemblable. Il est retourné en Pologne pour la première fois en 1990 lorsqu’il a obtenu sa citoyenneté canadienne. L’une des raisons pour s’y rendre était pour savoir comment faire pour rapporter de l’argent au Canada parce qu’il disait avoir besoin d’argent au Canada et qu’ils voulaient s’y établir. C’était également vers cette époque que lui et sa femme ont mis sur pied une entreprise de salle de réception. Cependant, bien qu’il fût possible dès 1990 d’obtenir la permission de sortir de l’argent de la Pologne, M. Nowak a affirmé qu’il n’a commencé à le faire qu’en 1995. Je ne comprends pas clairement pourquoi, si M. Nowak avait besoin d’argent au Canada en 1990, il aurait attendu cinq ans.

 

[37]    De plus, bien qu’il ait dit être allé trois ou quatre fois par année chercher de l’argent en Pologne lorsqu’il en avait besoin, il n’a pu trouver que trois certificats d’exportation de monnaie au total, et trois bordereaux de retrait bancaire, dont un qui se rapportait aux mêmes fonds que ceux faisant l’objet du certificat d’exportation du 19 février 1999. Tous ces documents ne donnent un total que d’environ 125 000 $, tandis que les dépôts bancaires inclus dans le revenu de M. Nowak pour 2000 et 2001 s’établissaient à 294 805 $, montant qui ne tient pas compte de l’argent provenant de leurs économies polonaises utilisé par M. et Mme Nowak avant 2000.

 

[38]    Il y a également une incohérence entre le témoignage de M. Nowak et les renseignements figurant sur le bordereau de retrait bancaire du 19 février 1999 et sur le certificat d’exportation. M. Nowak a affirmé qu’il déposait tout d’abord les fonds qu’il voulait rapporter au Canada dans le compte bancaire, où ils devaient rester pendant trois jours, et qu’ensuite il obtenait un certificat d’exportation, retirait les fonds et les rapportait au Canada. Toutefois, le bordereau de retrait du 19 février indique que M. Nowak a retiré 37 000 $US du compte tandis que le certificat d’exportation ne visait qu’une somme de 22 000 $US.

 

[39]    Un autre aspect curieux de cette façon de faire est le fait que M. Nowak aurait, dans le cadre de nombreux voyages faits jusqu’en 2010, continué de rapporter de l’argent de la Pologne, alors qu’il a dit qu’à un certain moment, vers 2000, il n’y avait plus de restriction des transferts de fonds hors du pays. Si cela était le cas, pourquoi n’aurait-il pas rapporté l’argent d’un seul coup, une fois que les restrictions ont été levées. Je suis également surpris que M. Nowak ait choisi de voyager avec d’importants montants d’argent en espèces plutôt que de procéder par transferts bancaires.

 

[40]    De plus, j’ai du mal à croire que M. Nowak et son épouse  ont gardé des centaines de milliers de dollars en espèces à la maison pendant de longues périodes de temps. Lorsqu’on leur a demandé pourquoi ils avaient choisi de garder l’argent à la maison, l’épouse de M. Nowak a dit qu’elle ne le savait pas. M. Nowak a dit que c’était parce que la valeur du dollar canadien chutait et qu’il ne voulait pas convertir l’argent d’un seul coup. Cela n’explique toujours pas pourquoi ils ont conservé l’argent à la maison, alors que des solutions plus sécuritaires s’offraient à eux. Il semble que M. Nowak avait un compte chèques en dollars américains pour K & R en 2000, ce qui me dit que M. Nowak était au courant de l’existence d’au moins une solution plus sécuritaire.

 

[41]    Enfin, on ne semble avoir consigné nulle part les dépôts d’argent conservé par M. Nowak à la maison qui auraient été faits dans le compte d’affaires de R & R, ce qui est étrange étant donné que le coassocié de M. Nowak dans la société de personnes R & R était une personne non liée avec lui. Je me serais attendu à ce que M. Nowak, s’il avait déposé dans le compte de la société de personnes près de 20 000 $ en espèces provenant de ses propres fonds, eût voulu consigner les montants déposés afin de s’assurer qu’il en serait crédité. Je me serais également attendu à ce que l’associé de M. Nowak, M. Ratajcsak, soit au courant de ce qui se passait, mais M. Ratajcsak n’a pas été appelé à témoigner.

 

[42]    Je conclus donc que l’appelant n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que les dépôts bancaires non identifiés ne constituaient pas un revenu pour lui dans les années d’imposition 2000 et 2001.

 

[43]    Maintenant, en ce qui concerne la question des dépenses d’entreprise relatives à K & R et à  R & R dont la déduction a été refusée, le témoignage qui a été donné manquait totalement de précisions et, pour cette raison, ne constitue pas un témoignage fiable prouvant que les dépenses dont on a demandé la déduction ont réellement été engagées. Le cahier que Mme Nowak aurait utilisé pour enregistrer les revenus et les dépenses n’a pas été produit, et aucune explication n’a été donnée à cet égard. Son témoignage selon lequel elle a consigné tout et qu’elle a donné ces renseignements au comptable n’est pas, en soi, suffisant pour permettre à M. Nowak de s’acquitter de la charge de prouver que le montant des dépenses était plus élevé que le montant qu’a admis la vérificatrice. Quant à M. Nowak, il a dit qu’il s’est fié entièrement à son épouse pour la tenue des livres, et sur son comptable pour la préparation de ses déclarations de revenus, et qu’il ne pouvait fournir de détails au sujet des dépenses qui ont été engagées.

 

[44]    La dernière question à trancher est celle de savoir si M. Nowak est passible de pénalités à l’égard des revenus non déclarés. Le paragraphe 163(2) de la Loi prescrit une pénalité pour tout contribuable qui « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration […] produit[e] […] pour une année d’imposition ». Il incombe à l’intimée de prouver les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

 

[45]    En l’espèce, les pénalités ont été imposées seulement à l’égard des revenus non déclarés. Aucune pénalité n’a été imposée à l’égard des dépenses d’entreprise de K & R et de R & R dont la déduction a été refusée. L’avocat de l’appelant soutient que M. Nowak croyait tenir des comptes adéquats aux fins de ses déclarations de revenus, et qu’il se fiait à des tiers pour la tenue des livres et pour la production des déclarations de revenus.

 

[46]    Toutefois, il est clair que M. Nowak n’a pas dit à son comptable d’inclure les revenus non déclarés en cause dans ses déclarations de revenus pour 2000 et 2001. Cela est évident puisque M. Nowak prétend que les dépôts provenaient d’une source non imposable, soit de l’argent rapporté de Pologne. Par conséquent, la participation de Mme Nowak et de son comptable dans la préparation de ses déclarations de revenus n’est pas pertinente. Il ne s’agit pas en l’occurrence de l’erreur ou de l’incompétence d’un comptable. Il s’agit plutôt de l’omission délibérée de M. Nowak de déclarer des revenus.

 

[47]    Bien que M. Nowak ait dit ne pas reconnaître la signature sur sa déclaration de revenus de 2000 et quoique celle de 2001 n’ait pas été signée, je suis convaincu que ces déclarations de revenus ont été produites par le comptable de M. Nowak pour son compte et suivant ses instructions. M. Nowak a témoigné que son comptable préparait ses déclarations d’après les renseignements qu’il a fournis lui-même ou qui ont été fournis pour son compte par son épouse; je conclus donc qu’il a consenti ou acquiescé au faux énoncé concernant ses revenus fait dans ces déclarations.

 

[48]    Récemment, dans l’affaire Lacroix c. Canada[5], la Cour d’appel fédérale a examiné ce que le ministre doit faire pour s’acquitter de la charge qui lui incombe relativement à l’établissement d’une nouvelle cotisation au-delà de la période prescrite par la Loi et à l’imposition d’une pénalité pour faute lourde dans le cas d’une cotisation selon l’avoir net. Le juge Pelletier s’est exprimé comme suit au paragraphe 32 de ses motifs :

 

Qu'en est-il alors du fardeau du ministre? Comment s'en acquitte-t-il? Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l'état d'esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu'il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

La Cour d’appel fédérale a également cité sa décision antérieure dans l’affaire Molenaar c. Canada[6], qui concerne aussi une cotisation selon l’avoir net. Le juge Létourneau a écrit ce qui suit au paragraphe 4 :

 

À partir du moment où le ministère établi [sic] selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d'identifier la source et d'établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[49]    Ces commentaires semblent s’appliquer tout autant à un cas comme celui dont il s’agit en l’espèce, où l’on a démontré que les actifs du contribuable ont augmenté de façon substantielle et inexpliquée. Je conclus que l’intimée a prouvé l’existence d’un écart substantiel entre les revenus de M. Nowak que représentent les dépôts dans son compte bancaire et ses revenus déclarés, et qu’en définitive cet écart demeure inexpliqué.

 

[50]    En l’absence d’une explication crédible de la part de M. Nowak concernant les dépôts bancaires en cause, je conclus que les pénalités pour faute lourde ont été appliquées à bon droit.

 


[51]    Les appels sont donc rejetés, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa (Canada), ce 4e jour de janvier 2011.

 

 

« Brent Paris »

Juge Paris

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de mars 2011.

 

 

 

 

Erich Klein, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                   2011 CCI 3

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-77(IT)G

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              RAYMOND NOWAK c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 octobre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:        L’honorable juge Brent Paris

 

 

DATE DU JUGEMENT :                    Le 4 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de M. Nowak :

David W. Chodikoff

Avocat de l’intimée :

Lynn W. Gillis

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour M. Nowak :

 

 

 

Nom :

David W. Chodikoff

 

 

           Cabinet :

Miller Thompson LLP

 

 

    Pour l’intimée :

Myles J. Kirvan

 

Sous-procureur général du Canada

 

Ottawa (Canada)

         

 



L’une des dépenses se rapportant à R & R était un montant de 23 284 $ au titre des [traduction] « Retraits des propriétaires ». Ce montant faisait partie des dépenses dont la déduction a été refusée par la vérificatrice, et l’avocat de l’appelant a reconnu à l’audience que les retraits des associés ne pouvaient pas être déduits à titre de dépenses.

[2]           (1774), 1 Cowp. 63, p. 65.

 

[3]           (1894), 6 T.C. 67.

 

[4]           2006 Cars Nat. 2002 (C.A. de l’Ont.), par. 41-49.

 

[5]           2008 CAF 241, paragraphes 32 et 33.

 

[6]           2004 CAF 349.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.