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Dossiers : 2010-1087(CPP)

2010-1088(CPP)

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune le 17 novembre 2010, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Omar Shahab

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

____________________________________________________________________

JUGEMENT MODIFIÉ

 

          Les appels interjetés à l’encontre des décisions prises par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en application de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada concernant l’occupation d’une fonction par Roger Davidson et par Gail Stiffler au cours des périodes allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 et du 1er janvier 2006 à décembre 2008, respectivement, sont accueillis, et les décisions du ministre sont annulées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2011.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de mars 2011.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 23

Date : 20110117

Dossiers : 2010-1087(CPP)

2010-1088(CPP)

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]              L’appelante, Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario, interjette appel des décisions du ministre du Revenu national (le « ministre »), l’intimé, datées du 15 janvier 2010 selon lesquelles la fonction occupée par Roger Davidson et par Gail Stiffler au cours des périodes allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 et du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008, respectivement, constituait un emploi ouvrant droit à pension en application de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada (le « Régime »). Selon le ministre, pendant les périodes respectives en cause, M. Davidson et Mme Stiffler ont reçu chacun une rémunération qui était « déterminée ou constatable » aux termes de la définition de « fonction » ou de « charge » et de « fonctionnaire » énoncée au paragraphe 2(1) du Régime. Les appels ont été entendus ensemble, sur preuve commune.

 

[2]              L’appelante était représentée par le ministère du Procureur général de l’Ontario (le « MPG »), qui est chargé de l’administration de la justice en Ontario et du fonctionnement des tribunaux de la province.

 

[3]              Les faits ne sont pas contestés. L’intimé a admis tous les faits allégués par l’appelante dans son avis d’appel, notamment :

 

[traduction]

 

[…]

 

2)         En 1988, le procureur général a annoncé la réalisation d’un projet pilote de trois ans dont l’objectif était de mettre à l’essai un nouveau modèle de nomination de juges à la Cour provinciale. Le mandat du comité consultatif sur les nominations à la magistrature (CCNM) était : « D’une part, élaborer et recommander des critères généraux, valides et utiles pour la sélection des juges afin d’assurer la sélection des meilleurs candidats; d’autre part, soumettre à une entrevue les candidates et candidats que le comité aura choisis ou que le procureur général lui aura recommandés, et faire des recommandations ».

 

3.         Entre 1990 et 1995, la composition du comité est passée de 9 à 13 membres, et le comité a travaillé à l’élaboration de critères et de procédures qui ont été examinés, précisés et finalement rendus publics. Le CCNM a été officiellement créé le 28 février 1995 avec la promulgation de la Loi de 1994 modifiant des lois en ce qui concerne les tribunaux judiciaires.

 

4.         La structure et le rôle du CCNM sont établis aux paragraphes 43(1) à (14) de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

 

5.         Les postes vacants à la magistrature sont publiés dans le recueil Ontario Reports, selon les besoins. Les candidats doivent présenter 14 copies d’une formule de demande prescrite. Les demandes sont examinées par le comité et une liste restreinte est établie. Le comité se réunit pour sélectionner, à partir de la liste restreinte, les candidats qui passeront une entrevue. Après la vérification des références, les demandes de renseignements confidentiels et les entrevues, le comité fait parvenir une liste classant les candidats recommandés au procureur général, qui est tenu de faire la nomination en fonction de cette liste.

 

6.         Le CCNM est une entité indépendante du ministère du Procureur général et du gouvernement.

 

7.         La composition du CCNM doit refléter la diversité de la population de l’Ontario, en tenant compte du sexe, de la géographie et des minorités raciales ou culturelles. En plus des sept (7) membres non juristes nommés par le procureur général, deux (2) juges sont nommés par le juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario, un (1) membre est nommé par le Conseil de la magistrature de l’Ontario et trois (3) membres du milieu juridique sont nommés respectivement par le Barreau du Haut Canada, par l’Association du Barreau de l’Ontario et par l’Association des bâtonniers de comtés et districts. Le mandat des membres est de trois (3) ans et peut être renouvelé. 

 

8.         M. Davidson a d’abord été nommé à titre de membre non juriste du CCNM pour un mandat de trois ans entrant en vigueur le 1er mars 2004 en application d’un décret. Une nomination par décret est à la discrétion de Sa Majesté le Reine du chef de l’Ontario. Le 1er mars 2007, le mandat de M. Davidson a été renouvelé pour un autre trois ans.

 

9.         M. Davidson n’est pas un employé du MPG. Aucun contrôle n’est exercé sur lui et il ne relève d’aucun superviseur ou gestionnaire du MPG. Il utilise son propre équipement pour accomplir ses tâches, il n’a pas de lieu de travail fixe au MPG et il dispose d’une grande autonomie pour accomplir ses tâches. Il n’a aucune possibilité d’avancement au MPG, il ne figure pas dans le répertoire des employés, et le MPG ne paie aucune prime d’assurance santé ni ne verse de cotisation à la CSPAAT à son égard.

 

10.       Pendant la période du 1er mars 2004 au 9 mars 2007, M. Davidson était rémunéré au taux journalier de 100 $ en application du décret no 1423/93. Le 1er mars 2007, le décret no 993/2007 est venu annuler le décret no 1423/93, et le taux journalier est passé de 100 $ à 355 $.

 

11.       M. Davidson était rémunéré au taux journalier de 355 $ pour ses services et aucune retenue légale n’a été faite à l’égard de ce montant. Afin de recevoir sa rémunération, M. Davidson était tenu de fournir une facture au bureau des services judiciaires auxiliaires. La rémunération de M. Davidson était d’ailleurs issue du budget de ce bureau.

 

12.       Lorsqu’il y a une vacance à la magistrature, M. Davidson et les autres membres du CCNM doivent examiner les demandes des candidats, mener des vérifications des références de certains candidats, interviewer les candidats, puis, se réunir afin de discuter des recommandations à faire au procureur général. M. Davidson était payé pour ces activités en fonction du taux journalier.

 

[…]

 

[4]              Les faits énoncés aux paragraphes 2 à 7 de l’avis d’appel de M. Davidson sont analogues aux faits allégués ci‑dessous, énoncés dans l’avis d’appel de Mme Stiffler. Ces faits sont également admis.

 

[traduction]

 

[…]

 

8.         Mme Stiffler a d’abord été nommée à titre de membre non juriste du CCNM pour un mandat de trois ans entrant en vigueur le 1er mars 2004 en application d’un décret. Une nomination par décret est à la discrétion de Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario. Le 1er mars 2007, le mandat de Mme Stiffler a été renouvelé pour un autre trois ans.

 

9.         Mme Stiffler n’est pas une employée du MPG. Aucun contrôle n’est exercé sur elle et elle ne relève d’aucun superviseur ou gestionnaire du MPG. Elle utilise son propre équipement pour accomplir ses tâches, elle n’a pas de lieu de travail fixe au MPG et elle dispose d’une grande autonomie pour accomplir ses tâches. Elle n’a aucune possibilité d’avancement au MPG, elle ne figure pas dans le répertoire des employés, et le MPG ne paie aucune prime d’assurance santé ni ne verse de cotisation à la CSPAAT à son égard.

 

10.       Pendant la période du 1er mars 2004 au 9 mars 2007, Mme Stiffler était rémunérée au taux journalier de 100 $ en application du décret no 1423/93. Le 9 mars 2007, le décret no 993/2007 est venu annuler le décret no 1423/93, et le taux journalier est passé de 100 $ à 355 $.

 

11.       Mme Stiffler était rémunérée au taux journalier de 355 $ pour ses services et aucune retenue légale n’a été faite à l’égard de ce montant. Afin de recevoir sa rémunération, Mme Stiffler était tenue de fournir une facture au bureau des services judiciaires auxiliaires. La rémunération de Mme Stiffler était d’ailleurs issue du budget de ce bureau.

 

12.       Lorsqu’il y a une vacance à la magistrature, Mme Stiffler et les autres membres du CCNM doivent examiner les demandes des candidats, mener des vérifications des références de certains candidats, interviewer les candidats, puis, se réunir afin de discuter des recommandations à faire au procureur général. Mme Stiffler était payée pour ces activités en fonction du taux journalier.

 

 

[5]              Le nombre de jours de travail de M. Davidson et de Mme Stiffler est ainsi réparti :

 

Année

M. Davidson

Mme Stiffler

 

2005

 

124

 

2006

135

132

2007

91

96

2008

118

 

[6]              La Couronne se fonde sur l’alinéa 6(1)a) du Régime, qui prévoit qu’« ouvrent droit à pension […] l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté ». Cependant, la Couronne ne soutient nulle part dans sa réponse à l’avis d’appel que M. Davidson ou Mme Stiffler n’exerçaient pas un emploi excepté. En fait, la Couronne a admis les allégations de l’appelante voulant que ces derniers n’étaient pas des employés du MPG. Malgré les faits allégués ou admis dans les actes de procédure, il est énoncé au paragraphe 2(1) du Régime qu’« est assimilé à un employé tout fonctionnaire », et dans ce même paragraphe, « emploi » est ainsi défini : « l’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services […], exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction »[1].

 

[7]              La seule question soulevée par les parties en l’espèce est de savoir si le traitement ou la rémunération reçue par M. Davidson et Mme Stiffler était « déterminée ou constatable » au sens de la définition de « fonction » ou « charge » et « fonctionnaire » énoncée au paragraphe 2(1) du Régime :

 

« fonction » ou « charge » Le poste qu’occupe un particulier, lui donnant droit à un traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable. Sont visés par la présente définition une charge […]; « fonctionnaire » s’entend d’une personne détenant une telle fonction ou charge.

 

 “office” means the position of an individual entitling him to a fixed or ascertainable stipend or remuneration and includes … , and “officer” means a person holding such an office;

 

 

[8]              Le point de vue des tribunaux sur le sens à donner au mot « ascertainable » (« constatable » dans la version française du Régime) au paragraphe 2(1), n’est pas uniforme. Dans Merchant c. M.R.N.[2], la juge Reed s’est prononcée ainsi sur le sens du terme « ascertainable » (« vérifiable » dans la version française de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)) :

 

 

[…] ce terme signifie qu’il doit être possible de préciser ou de déterminer le montant, et non que la personne occupant la charge doit savoir, au moment ou elle entre en fonction, la somme exacte qu’elle recevra. Il faut que ce terme signifie autre chose que « fixe » sinon il devient tout à fait redondant.

(Non souligné dans l’original.)

 

[9]              La question à trancher dans Merchant était de savoir si certaines dépenses effectuées pour la course à la direction d’un parti politique pouvaient être déduites dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise en application de la Loi. Le chef de parti en question avait reçu un traitement variant entre 20 000 $ et 40 000 $, mais parfois, son traitement était nul. Selon le ministre, le revenu gagné à titre de chef de parti constituait un revenu tiré d’une charge au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.

 

[10]         La juge Reed a tenu compte des dispositions du paragraphe 248(1) de la Loi, plus particulièrement de la définition des termes « charge » et « fonctionnaire ». La Loi définit ces termes essentiellement de la même façon que le Régime, soit que le particulier a droit « à un traitement ou à une rémunération fixes ou vérifiables », selon la définition de la Loi, et à « un traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable », selon la définition du Régime. Toutefois, au paragraphe précédant le paragraphe des motifs que j’ai cité au paragraphe 8 ci‑dessus, la juge Reed affirme que :

 

 

[…] Pour être comprise dans la catégorie des revenus tirés d’une charge, la rémunération doit être fixe et vérifiable.

(Non souligné dans l’original.)

 

[11]         La juge Reed ne partage pas l’avis du président de la Commission d’appel de l’impôt qui, en 1952, affirmait que « [p]ar les mots “poste donnant droit à un traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable”, le législateur […] entend un poste dont la rémunération est telle que celui qui l’accepte, en l’acceptant, connaît exactement la rémunération qu’il recevra pour les services qu’il est appelé à rendre »[3]. La juge Reed n’était pas convaincue qu’un contribuable doit connaître, dès son entrée en fonction, le montant qu’il recevra. Elle a affirmé ce qui suit : « Il me semble qu’une indemnité journalière fixe ou un montant précis pour chaque séance confère au revenu un caractère suffisamment vérifiable pour correspondre à la définition contenue au paragraphe 248(1) »[4].

 

[12]         Le Shorter Oxford Dictionary définit de plusieurs façons le mot « fixed », utilisé dans la version anglaise de la définition de « charge ». Pour les besoins du présent appel, il semble opportun d’utiliser la définition du Short Oxford Dictionary selon laquelle « fixed » signifie quelque chose de [traduction] « stationnaire ou immuable ». Un  traitement ou une rémunération qui est, comme l’indique la version anglaise, « fixed » est un traitement ou une rémunération qui est, dès le départ, connue du travailleur et de l’employé. La version française du paragraphe 2(1) du Régime utilise le mot « déterminée » pour « fixed ». Comme c’est le cas pour le mot « fixed », le mot « déterminée » fait plus que simplement laisser entendre que le montant est connu du particulier au moment où il entre en fonction.

 

[13]         Les motifs de jugement rendus par mon ancien collègue, le juge Dussault, dans Payette c. M.R.N.[5] s’appliquent très bien à l’appel dont je suis saisi. Dans cette affaire, Mme Payette, une avocate, était membre du comité de révision de la Commission des services juridiques du Québec. Cette commission se réunissait de façon sporadique pour revoir des décisions en matière d’admissibilité au programme d’aide juridique du Québec. Les membres du comité recevaient des honoraires de 50 $ l’heure les jours où ils fournissaient leurs services. Le juge Dussault a dû interpréter le sens du mot « constatable » en fonction des faits dont il était saisi et a rendu les motifs suivants :

 

 

24        Toutefois, dans ses commentaires sur la décision dans l’affaire Guérin précitée, le juge Reed semble tenir pour acquis que la rémunération dans ce cas n’était pas vérifiable principalement en raison des dépenses que devait assumer l’appelant. Je ne suis pas d’accord avec cette position. Les termes « traitement » et « rémunération » s’entendent de montants bruts et non de revenu net une fois les dépenses déduites. Ceci apparaît clairement du libellé du paragraphe 5(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, l’utilisation du qualificatif « véritable » ou « constatable » doit, il me semble, référer à quelque chose qu’il est possible de vérifier ou de constater a priori car autrement ces qualificatifs n’auraient aucune portée puisque tout peut être vérifié ou constaté a posteriori. Ainsi, si le « traitement » ou la « rémunération » n’est pas fixe, encore faut-il pouvoir l’établir à l’avance avec un minimum d’exactitude par l’utilisation d’une formule quelconque ou la référence à certains éléments déterminés. C’est là, à mon avis, le sens des décisions dans les affaires Guérin et MacKeen (précitées).

 

[…]

 

26        […] [I]l n’est pas suffisant d’occuper un poste, encore faut-il que ce poste donne droit à un « traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable » selon les termes de la définition du paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada. Or, dans la présente instance, il est évident que le poste ne donne pas droit à un traitement ou à une rémunération fixe. Par ailleurs, j’estime qu’il est impossible d’en arriver à la conclusion que la rémunération est constatable, puisque les faits énoncés à l’Avis d’appel et admis par l’intimé sont insuffisants à cet égard. On ne sait pas combien de fois chaque membre est appelé à siéger sur le Comité de révision ou combien de jours ou d’heures sont consacrés à cette activité dans une année. Les informations concernant le nombre de séances du Comité de révision et le nombre de demandes de révision entendues annuellement ne permettent pas de connaître de paramètre certain pour les membres pris individuellement. Je n’ai aucune idée du « traitement » ou de la « rémunération » que les membres du Comité de révision étaient susceptibles de recevoir pour rendre leurs services et aucune information n’a d’ailleurs été fournie à cet égard sinon qu’ils sont rémunérées à vacation à un taux horaire de 50 $. À mon avis, cette simple indication du taux horaire décidé par la Commission des services juridiques n’est pas suffisante pour établir que le poste lui‑même donnait droit à un « traitement » ou à une « rémunération » qui était « déterminée ou constatable ». […]

 

[14]         Le juge Beaubier a suivi les motifs de la décision Payette dans sa décision  Churchman v. R.[6]. Les faits dans cette affaire‑là étaient essentiellement semblables à ceux dans Payette et dans l’affaire en l’espèce[7].

 

[15]         Le mot anglais « ascertainable »  est ainsi défini dans le Oxford English Dictionary[8] : [traduction] « 1. Qui peut être fixé, déterminé, ou décidé. 2. Qui peut être découvert ou appris à la suite d’une entente, d’un examen ou d’une enquête ». L’ouvrage The Dictionary of Canadian Law[9] définit ainsi le mot anglais  « ascertainable » : [traduction] « Qui peut être établi de façon certaine ou déterminé ».

 

[16]         Au paragraphe 2(1) de la version française du Régime, le libellé de la définition de « fonction » ou « charge » et de « fonctionnaire » contient le mot « constatable ». Le Grand Robert de la Langue Française[10] définit le mot « constatable » comme quelque chose « qui peut être constaté ». De plus, Le Grand Robert définit ainsi le mot « constater » : « 1. Établir par expérience directe la vérité, la validité de; se rendre compte de […] ». La définition que donne le Dictionnaire Encyclopédique Quillet[11] de « constater » mentionne « vérifier la réalité d’un fait, s’en assurer […] Établir la réalité d’un fait, montrer, prouver […] ». Selon le Larousse Trois Volumes, « constater » signifie entre autres « Prendre connaissance de […] Établir la vérité de […] »[12]. De son côté, le  Lexis Larousse de la langue Française définit ainsi ce même mot : « remarquer objectivement […] ».

 

[17]         Dans la décision Merchant, la juge Reed a accolé les mots « fixe » (« déterminée » dans le Régime) et « vérifiable » (« constatable », dans le Régime) et a ainsi conclu qu’« [i]l faut que ce terme [vérifiable] signifie autre chose que “fixe” sinon il devient tout à fait redondant ». Les mots « déterminée » et « constatable » (dans le Régime) ou « fixe » et « vérifiable » (dans la Loi) ne sont pas accolés l’un à l’autre dans le libellé des définitions énoncées dans les deux textes de loi. Le traitement ou la rémunération peuvent être soit déterminés, soit constatables. À mon avis, il n’y a pas de redondance entre ces deux mots. Quoi qu’il en soit, la remarque précitée de la juge Reed était incidente. Elle a conclu qu’étant donné les faits dont elle était saisie, il était difficile d’établir si les sommes versées étaient vérifiables. Elle a donc présumé qu’elles ne l’étaient pas. L’appel a donc été tranché  sur d’autres faits.

 

[18]         L’intimée s’appuie largement sur les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Vachon (Succession de) c. Canada[13]. Les contribuables étaient les conseils centraux de deux syndicats et quatorze individus désignés (les « militants ») œuvrant auprès de l’un ou l’autre des conseils. Les militants étaient élus à leurs postes et travaillaient tous autrement dans des sections locales de leur syndicat. Ils étaient libérés pour deux à cinq jours par semaine pour accomplir leurs tâches et leurs activités syndicales, et ils étaient payés pour ces activités, en fonction de la convention collective de leur employeur. La section locale remboursait l’employeur, et à son tour, la section locale recevait un remboursement du conseil central. De plus, les militants recevaient des allocations pour les frais de repas, de déplacement et de garde d’enfants qu’ils avaient encourus dans le cadre de leur travail syndical. Le ministre a établi que les allocations versées par les conseils centraux aux militants étaient imposables et constituaient des gains assurables. La Cour d’appel a conclu que les allocations en cause n’étaient ni imposables ni assurables étant donné qu’elles n’avaient  pas été versées dans le cadre d’une charge ou d’un emploi, mais suite à l’exercice de fonctions syndicales remplies bénévolement. Le juge a conclu que les militants n’occupaient pas une fonction étant donné que dans le cadre de leurs activités, ils n’avaient pas droit à une rémunération déterminée ou constatable. Les cotisations ont alors été annulées et le ministre a interjeté appel.

 

[19]         La Cour d’appel fédérale a conclu que les militants occupaient une charge au sens des définitions prévues au paragraphe 248(1) de la Loi et au paragraphe 2(1) du Régime. Les militants étaient tous élus au poste qu’ils occupaient. Leur poste leur donnait droit à un traitement ou à une rémunération déterminée ou constatable. Ils connaissaient les conditions monétaires rattachées à leur libération syndicale dès qu’ils posaient leur candidature pour un poste syndical. Les allocations étaient versées aux militants à titre de militants syndicaux pendant leur libération afin qu’ils puissent mener les activités associées au poste auquel ils avaient été élus. Pendant leur libération syndicale, ils recevaient la même rémunération qu’ils recevaient autrement dans le cadre de leur emploi normal. Le fait que la rémunération était payée par les employeurs plutôt que par les conseils centraux ne change en rien le résultat de l’analyse étant donné que les paiements étaient faits au nom des conseils.

 

[20]         Au paragraphe 28 de ses motifs, la Cour d’appel a examiné la question de savoir si la rémunération était fixe et vérifiable ou bien déterminée et constatable :

 

L’existence de ce deuxième critère est assujettie à deux conditions. La charge ou le poste occupé doit « donner droit » à une rémunération, et cette rémunération doit être « fixe ou vérifiable » ou « déterminée ou constatable ». L’aspect fixe ou vérifiable de la rémunération semble acquis puisque les militants connaissaient avec précision les conditions monétaires rattachées à leur libération syndicale dès qu’ils posaient leur candidature à un poste syndical (Témoignage de Pierre Morel, dossier d’appel, vol. III, p. 707).

There are two requirements for meeting this second test. The office or position held must "entitle" the individual to remuneration, and this remuneration must be "fixed or ascertainable". The fixed or ascertainable aspect of the remuneration seems to have been met, since the union officials knew exactly what the monetary conditions associated with their union leave were when they applied for a union position (Testimony of Pierre Morel, appeal book, Vol. III, p. 707).

 

[21]         L’avocat de l’intimé maintient que l’affaire dans l’arrêt Vachon est très similaire à l’affaire en l’espèce. À son avis, [traduction] « les personnes qui étaient membres, particulièrement les travailleurs en cause ici, connaissaient les conditions monétaires. Ils savaient qu’ils recevraient un taux fixe ».

 

[22]         Dans l’arrêt Vachon, les militants syndicaux pouvaient être libérés de leurs obligations d’emploi normales afin de s’acquitter de leurs tâches syndicales. Il était prévu dans leur convention collective que les militants syndicaux n’étaient pas pénalisés monétairement pour leur affectation à leur poste auprès du syndicat. À ce titre, peu importe le nombre de jours qu’ils consacraient à leurs tâches syndicales, le montant total de leur salaire d’emploi leur était toujours garanti. Ils ne pouvaient pas gagner plus d’argent en s’adonnant plus souvent à des activités syndicales. Ils ne pouvaient pas non plus recevoir moins d’argent si leurs activités syndicales étaient moins importantes. Tout ce qui changeait était le montant des allocations pour les déplacements, les repas et la garde d’enfants.

 

[23]         La rémunération des militants syndicaux dans Vachon était « déterminée et constatable » ou « fixe et vérifiable » parce qu’elle était égale à leur salaire réel (en sus du montant des allocations). Les militants savaient toujours d’avance quel serait leur salaire pour l’année. L’indemnité totale qu’ils recevaient était toujours déterminée au début de l’année et était égale au salaire de base. Le seul inconnu était les pourcentages de ce qui serait acquitté par l’employeur et par le syndicat. Cela correspond aux motifs rendus dans l’affaire Payette.

 

[24]         J’abonde dans le même sens que le juge Dussault dans sa décision dans l’affaire Payette. Pour l’application du paragraphe 2(1) du Régime, le montant d’une rémunération ou d’un traitement doit être constaté au début du mandat, soit, par exemple, au moment où le payeur doit commencer à faire les retenues sur le salaire de l’employé ou à cotiser au Régime de pensions du Canada pour son compte. Le montant ne peut pas être considéré comme constatable par le seul fait qu’un des éléments nécessaires à la détermination du montant de la rémunération ou du traitement en l’espèce, le taux journalier est connu dès le début du mandat. Comme l’a souligné le juge Dussault, si c’était le cas, le terme « vérifiable » (ou « constatable », dans le Régime)  perdrait tout son sens, étant donné que tout peut être su a posteriori.

 

[25]         Pour l’application du paragraphe 2(1) du Régime, le traitement ou la rémunération doivent être constatables. Le payeur et le bénéficiaire doivent tous deux en connaître le montant, ou du moins, le montant doit être calculable selon un degré raisonnable de certitude avant le début du mandat. La rémunération est constatable si, par exemple, une personne sait qu’elle sera appelée à participer à environ vingt réunions de comité pendant l’année et qu’elle recevra 100 $ pour sa participation à chaque réunion, ou bien si elle a des attentes raisonnables en ce sens. À ce moment‑là, la personne saurait, avec un degré raisonnable de certitude, que la rémunération qu’elle recevrait de cette charge serait d’environ 2 000 $ pour l’année. Si, au début de l’année ou de son mandat, la personne n’a aucune idée du nombre de réunions auxquelles elle sera appelée à participer au cours de l’année, le traitement ou la rémunération ne peuvent pas raisonnablement être constatés. Dans les présents appels, le nombre de jours au cours desquels M. Davidson et Mme Stiffler étaient appelés à participer à des réunions dépendait notamment du nombre de postes vacants à la magistrature au cours d’une année. Il ressort de la preuve dont j’ai été saisi que le nombre de jours au cours desquels M. Davidson et Mme Stiffler étaient appelés à participer à des réunions à titre de membres du CCNM variait de façon importante d’une année à l’autre. Il n’aurait pas été raisonnable de constater, au début de l’année, le revenu qu’ils tireraient de leur participation au CCNM.

 

[26]         Les appels sont accueillis.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de janvier 2011.

 

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de mars 2010.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice

 

 

 

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 23

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2010-1087(CPP) et 2010-1088(CPP)

 

INTITULÉ :                                       SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat pour l’appelante :

Me Omar Shahab

Avocat pour l’intimé :

Me Thang Trieu

 

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                       Nom :                         Omar Shahab

                                                          Ministère du Procureur général

                           

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)



[1]           Paragraphe 2(1).

[2]           [1984] 2. C.F. 197, paragraphe 12; 84 DTC 6215 à 6217.

[3]           Guérin v. M.N.R., 52 DTC 118 à la p.121 par F. Monet, c.r.

[4]           Merchant c. M.R.N., précitée, paragraphe 14.

[5]           (2002) CarswellNat 4668 (CCI).

[6]           2004 DTC 2371, aux paragraphes 10 à 13.

[7]           Voir aussi McMillan Properties Inc. c. M.R.N., 2005 CCI 654, paragraphe 32 et Guyard c. M.R.N., 2007 CCI 231, où le juge Angers a souligné la divergence entre Merchant et Payette.

[8]           2e éd., vol. I.

[9]           3e éd., Thomson-Carswell, 2004.

[10]          2e éd., Le Robert, Tome II, Paris.

[11]          Librairie Aristide Quillet, Paris, 1968.

[12]          Librairie Larousse, Paris, 1968.

[13]          2010 DTC 5032, 2010 DTC 5038, 2009 CAF 375. Demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour suprême rejetée.

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