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Dossier : 2004-4185(IT)G

ENTRE :

MARK A. SOCHATSKY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 22 juillet 2009, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Gordon D. Beck

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Gregory Perlinski

Me Darcie Charlton

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2001 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 23e jour de janvier 2011.

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’avril 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

Référence : 2011 CCI 41

Date : 20110123

Dossier : 2004-4185(IT)G

ENTRE :

MARK A. SOCHATSKY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Jorré

 

Introduction

 

[1]              L’appelant interjette appel de la nouvelle cotisation établie relativement à son année d’imposition 2001, au cours de laquelle il a travaillé chez Northern Industrial Carriers Ltd. (« Northern »), entreprise de camionnage.

 

[2]              Northern était une société familiale fondée par le père de l’appelant. L’appelant et son frère aîné, Simon, étaient actionnaires et administrateurs. Au fil des ans, l’appelant a rempli de nombreuses fonctions au bureau de la société et il a, pendant de nombreuses années, agi comme directeur de l’exploitation.

 

[3]              En raison de certaines difficultés qui ont surgi à la fin des années 90 entre les deux frères, l’appelant s’est départi de sa participation dans la société et a quitté celle‑ci quelque temps après l’année 2001.

 

[4]              Dans sa déclaration de revenus relative à 2001, l’appelant a notamment déclaré une somme de 3 000 000 $ à titre de revenu d’emploi reçu de Northern.

 

[5]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant visant à ajouter une somme supplémentaire de 700 000 $ au revenu d’emploi versé par Northern parce que l’appelant aurait reçu un revenu d’emploi de 3 700 000 $. C’est cette somme de 700 000 $ qui est en litige.

 

[6]              Dans l’avis d’appel, l’appelant fait valoir que [traduction] « […] le ministre a commis une erreur lorsqu’il a déterminé que l’appelant a reçu de Northern, à titre de revenu d’emploi, une somme autre que celle précisée dans le feuillet T4 modifié ». Selon le T4 modifié, l’appelant aurait reçu un revenu d’emploi de 3 000 000 $. 

 

[7]              Il est ressorti à l’instruction que, selon l’appelant, Northern a payé 350 000 $ à 966772 Alberta Ltd. (« 772 ») et 350 000 $ à 966779 Alberta Ltd. (« 779 ») pour des services de gestion et il n’a lui‑même jamais gagné ou reçu les 700 000 $ en litige.

 

[8]              Dans sa réponse modifiée, l’intimée soutient en outre que la somme de 700 000 $ en litige était à juste titre imposable conformément au paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

 

Les faits

 

[9]              L’appelant a témoigné au sujet des origines de Northern et des raisons qui l’ont incité à quitter cette société, de ses activités commerciales fructueuses subséquentes ainsi que de certaines autres activités commerciales non complémentaires qu’il poursuivait.

 

[10]         Dans son témoignage, il a mentionné que le feuillet T4 manuscrit joint à sa déclaration de revenus relative à l’année 2001, pièce A‑3, était le seul feuillet T4 qu’il avait reçu de Northern. Ce feuillet T4 porte la mention [traduction] « modifié » dans le coin inférieur droit et fait état d’un revenu d’emploi de 3 000 000 $ pour l’année d’imposition 2001[1].

 

[11]         L’appelant a témoigné que le montant réel de son revenu d’emploi chez Northern en 2001 s’élevait à 3 000 000 $. Même s’il n’était pas tout à fait certain du moment exact où il avait reçu cette somme, il a affirmé qu’on la lui avait versée après avoir retenu l’impôt applicable.

 

[12]         L’appelant a reconnu un certain nombre de documents. Je renvoie à certains d’entre eux plus loin.

 

[13]         Dans son témoignage, il a mentionné qu’il avait constitué les sociétés 772 et 779[2].

 

[14]         L’appelant a également reconnu trois chèques datés du 18 juin 2002[3]. Tous ces chèques ont été émis par Northern. Le premier et le troisième chèques, chacun d’un montant de 374 500 $ (soit 350 000 $ plus la TPS), ont été émis à l’ordre de 772 et de 779. Le deuxième chèque a été émis à l’ordre de l’appelant et s’élevait à 1 555 812,16 $, soit 3 000 000 $ moins les sommes retenues de la paye de l’appelant par Northern.

 

[15]         L’appelant a aussi rendu témoignage et produit des documents afin d’établir que les sociétés 772 et 779 avaient toutes deux inclus une somme de 350 000 $ dans le calcul de leur revenu et de leurs impôts pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2003 et le 31 janvier 2003 respectivement.

 

[16]         L’appelant a mentionné qu’il était devenu un employé de 772 et de 779 après leur constitution en société. Il ne travaillait pas pour 772 ou 779 en 2001.

 

[17]         Il importe en outre de signaler qu’il y a bien d’autres sujets sur lesquels l’appelant n’a pas témoigné.

 

[18]         Bien qu’il ait reconnu les factures du 14 mai 2002 que 772 et 779 ont adressées à Northern relativement à des [traduction] « services de gestion rendus », l’appelant n’a pas témoigné quant à la conclusion d’une entente, quelle qu’elle soit, touchant des services de ce genre entre 772 et 779, d’une part, et Northern, de l’autre, ni quant à la prestation de quelconques services de gestion par lui‑même ou par quiconque agissant pour le compte de 772 ou de 779 au bénéfice de Northern.

 

[19]         L’appelant n’a pas témoigné sur la façon dont la rémunération que lui a versée Northern en 2001 avait été fixée.

 

[20]         Il ressort sans équivoque des documents des sociétés produits sous les cotes R‑1 et R‑2 que 772 et 779 ont été constituées en société le 27 décembre 2001, que leur premier administrateur était Brent S. Vander Ploeg et que ce dernier est demeuré leur unique administrateur jusqu’au 1er mai 2002[4]. Le 1er mai 2002, l’appelant est devenu l’unique administrateur de 772 et Andrea Sochatsky, la conjointe de l’appelant[5], est devenue l’unique administratrice de 779.

 

[21]         La première émission d’actions de 772 et de 779 a eu lieu le 1er mai 2002[6]. Les sociétés 772 et 779 étaient respectivement contrôlées par l’appelant et sa conjointe[7].

 

[22]         La pièce A-8 s’intitule [traduction] « Northern Industrial Carriers Ltd. – Dû aux actionnaires – le 31 mai 2002 ». Le document[8] est présenté sous la forme d’un tableau, dont seules certaines parties sont reproduites ci‑dessous :

 

[traduction]

 

 

 

[…]

 

Mark

 

. . .

(Mark)

966779 Alberta

 

 

 

 

 

Solde d’ouverture le 31 mai 2001

 

 

 

 

 

 

 

Paiement de la prime en 2001

 

 

 

 

    Prime (T4 initial)

 

3 700 000

 

 

Prime révisée de Mark – 966779 Alberta Ltd.

 

 

(700 000)

 

 

700 000

    Impôt sur le revenu

 

(1 442 691,44)

 

 

[…]

 

[…]

 

[…]

 

[23]         Raymond Liu (« M. Liu »), expert‑comptable, a témoigné en l’espèce. M. Liu a commencé à travailler pour l’appelant au début de 2002 et a cessé de travailler pour lui deux ou trois années plus tard. Il a établi la déclaration de revenus de l’appelant relative à 2001, qui a été produite avec le feuillet T4 modifié faisant état d’un revenu d’emploi de 3 000 000 $.

 

[24]         Lorsque l’appelant l’a consulté, M. Liu a informé l’appelant de la meilleure structure à mettre en place pour exploiter une entreprise et il a proposé à l’appelant de constituer des sociétés, l’une pour lui‑même et l’autre pour sa conjointe. Il a précisé à l’appelant le plafond de la déduction accordée aux petites entreprises.

 

[25]         Gerald Telidetzki a aussi témoigné. Il a été le contrôleur de Northern de novembre 2000 à juin 2002. Il a mentionné que l’exercice de Northern se terminait le 31 mai de chaque année. Il avait souvenir du fait que la prime versée à l’appelant avait été payée de la même façon que le font habituellement les petites entreprises, à savoir que la prime a été déclarée, les retenues à la source ont été versées et le solde a ensuite été prêté à la société[9].

 

[26]         Il a également témoigné que le frère de l’appelant, Simon, aurait décidé du montant de la prime accordée à l’appelant et que cette décision aurait été prise entre mai et novembre 2001[10]. Le montant total des primes était tributaire de la rentabilité de la société et fixé de sorte que les bénéfices de la société soient imposés au taux applicable aux petites entreprises; Simon décidait ensuite de la façon de répartir la prime entre les frères[11].

 

[27]         Monsieur Telidetzki a établi à l’intention de l’appelant un feuillet T4, qui figure à la pièce R‑4; selon ce document, la prime versée à l’appelant s’élevait à 3 700 000 $ pour l’année d’imposition 2001. Il a en outre établi à l’intention de la société un feuillet T4 Sommaire qui montre que cette dernière avait payé des revenus d’emploi totalisant 5 832 505,82 $[12]. Le feuillet T4 et le feuillet T4 Sommaire ont tous deux été envoyés à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en février 2002[13]. Les sommes en question ont été fixées en 2001.

 

[28]         Dans son témoignage, M. Telidetzki a en outre mentionné que les retenues à la source pertinentes au titre des primes avaient été payées à la fin novembre 2001[14]. Ce témoignage n’a pas été contredit.

 

[29]         Vers le 23 avril 2002, M. Telidetzki a parlé avec l’appelant, qui lui a donné instruction de transférer à une société qu’il avait constituée une somme de 700 000 $ prélevée sur les 3 700 000 $ et de qualifier cette somme d’honoraires de consultation[15]. Plus tard en avril, un feuillet T4 modifié a été établi; les sommes retenues selon le T4 n’ont pas été modifiées. M. Telidetzki a également signalé que, du point de vue de la société, la modification n’avait pas d’incidence sur le caractère déductible des sommes.

 

[30]         Avant cette conversation, M. Telidetzki ignorait tout des honoraires de consultation et des sociétés de consultation[16].

 

[31]         Selon M. Telidetzki, même si Simon pouvait fixer les primes, l’appelant n’avait pas le pouvoir de fixer sa propre prime. Il estimait toutefois que l’appelant avait le pouvoir de lui dire de transférer les 700 000 $ à une société à dénomination numérique.

 

[32]         Bien qu’on ait laissé entendre à M. Telidetzki que les 3 700 000 $, ou les 3 000 000 $ plus 700 000 $, se rapportaient à un exercice ultérieur, je suis convaincu qu’il ressortait sans équivoque de son témoignage que la prime de 3 700 000 $ visait l’exercice de la société se terminant le 31 mai 2001[17].

 

[33]         Diane Major (« Mme Major »), agente des appels à l’ARC, a témoigné à l’audience.

 

[34]         Dans son témoignage, Mme Major a déclaré que l’ARC avait reçu de Northern les pièces versées sous la cote R‑4 et R‑5. La pièce R‑4 consiste en un feuillet T4 montrant que l’appelant a reçu 3 700 000 $. La pièce R‑5 consiste en un feuillet T4 Sommaire signé le 28 février 2002 et reçu le 5 mars 2002. Selon cette pièce, la société a versé à ses employés un revenu d’emploi total de 5 832 505,82 $.

 

[35]         Madame Major a précisé que la déclaration de l’appelant avait initialement fait l’objet d’une cotisation fondée sur le feuillet T4 modifié joint à la déclaration et faisant état d’un revenu d’emploi de 3 000 000 $.

 

[36]         L’appelant a subséquemment fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans le cadre du programme de rapprochement des T4.

 

[37]         Ce n’est que plus tard que la société a produit un feuillet T4 Sommaire, daté du 15 mars 2004, qui faisait état d’une réduction de 700 000 $ du revenu d’emploi payé. La lettre d’accompagnement du 15 mars 2004 que Northern a jointe au feuillet T4 Sommaire modifié précise que la société n’avait pas réussi à trouver un feuillet T4 Sommaire modifié et qu’elle avait donc rempli un tel feuillet précisant le solde des salaires révisé consigné dans ses livres comptables[18]. Le feuillet T4 Sommaire modifié montre un revenu d’emploi total versé de 5 132 505,82 $, soit une somme de 700 000 $ inférieure à la somme initiale.

 

[38]         Je fais aussi remarquer que l’inclusion de la somme de 3 000 000 $ au titre de la prime dans le revenu de l’appelant pour 2001 n’est pas en litige[19].

 

Analyse

 

[39]         Avant d’examiner l’argument de l’appelant, il convient d’énoncer les conclusions de fait suivantes :

 

a)    Comme 772 et 779 ont été constituées en sociétés le 27 décembre 2001, comme l’appelant et sa conjointe ont pris le contrôle et sont devenus administrateurs de 772 et de 779 le 1er mai 2002 et comme on ne peut reculer le temps, il est impossible que 772 et 779 aient rendu de quelconques services à Northern avant l’année civile 2002.

 

b)    En outre, comme M. Telidetzki a témoigné qu’il n’avait jamais entendu parler d’honoraires de consultation ni de société de consultation avant sa conversation du 23 avril 2002 avec l’appelant, comme je ne suis saisi d’aucun élément de preuve établissant que 772 ou 779 ont rendu de quelconques services à Northern, comme l’appelant a simplement reconnu les factures du 14 mai 2002 de 350 000 $ chacune, plus la TPS, présentées par 772 et 779 à Northern pour des [traduction] « services de gestion rendus » sans faire état, dans son témoignage, de l’existence d’une quelconque entente de services et comme, si 772 et 779 avaient fourni des services pour les sommes de 350 000 $ facturées, il aurait fallu que ces services aient été rendus entre le 1er mai et le 14 mai 2002, je conclus que 772 et 779 n’ont fourni à Northern aucun service lié aux factures du 14 mai 2002.

 

c)    Northern a décidé de verser à l’appelant une prime de 3 700 000 $ pour le travail qu’il a accompli pendant l’année d’imposition de la société se terminant le 31 mai 2001. Cette prime a été déclarée au plus tard à la fin novembre 2001. À ce moment, les retenues dont la somme de 3 700 000 $ avait fait l’objet ont été versées à l’ARC et le solde de la prime a été porté au crédit du compte de l’actionnaire [20].

 

d)    L’appelant a simplement donné instruction à M. Telidetzki de payer (i) une part de 350 000 $ de sa prime de 2001 à 772 et (ii) une autre part de 350 000 $ de sa prime de 2001 à 779.

 

[40]         L’avocat de l’appelant fait valoir ce qui suit :

 

          [traduction]

 

[…] en définitive, la question soumise à la Cour est simple et directe. Le ministre a‑t‑il, à juste titre, ajouté aux revenus de l’appelant, dans le cadre de la nouvelle cotisation, une somme qui avait été payée à une autre personne, laquelle a déclaré la somme au titre de revenu et a payé de l’impôt sur ce revenu. En d’autres termes, les faits en l’espèce justifient‑ils le fait que le ministre peut recevoir de l’impôt deux fois sur le même revenu[21]?

 

[41]         L’appelant a en outre affirmé que la situation en l’espèce était assimilable à une planification fiscale légitime, qu’il avait, en sa qualité d’administrateur, la capacité juridique de lier Northern au moyen de contrats et qu’après avoir obtenu des conseils professionnels au début de 2002, il avait fait en sorte que Northern conclue avec 772 et 779 des contrats qui ont donné lieu aux paiements de 350 000 $ à 772 et à 779.

 

[42]         Je ne suis pas certain de saisir en quoi ces arguments aident l’appelant.

 

[43]         En ce qui concerne la double imposition, il n’existe aucune règle générale interdisant l’imposition d’une même somme entre les mains de deux contribuables différents. L’exemple le plus courant en est peut‑être lorsque les bénéfices d’une société sont imposés entre les mains de celle‑ci, puis le sont encore entre les mains de l’actionnaire au moment où il les reçoit sous forme de dividendes[22].

 

[44]         De plus, dans la présente affaire, on peut se demander pourquoi 772 et 779 ont chacune inclus 350 000 $ dans leur revenu. Bien que je ne sois pas saisi des cotisations établies à l’égard de ces deux sociétés, ces dernières n’auraient peut-être pas dû inclure cette somme dans leurs revenus.

 

[45]         Les particuliers sont libres de planifier leurs affaires comme ils l’entendent. Cependant, la « planification fiscale » alléguée d’avril et de mai 2002 ne pouvait avoir pour effet de changer le caractère de ce qui s’était déjà produit. La question de savoir si l’appelant pouvait lier Northern n’a donc aucune pertinence.

 

[46]         L’appelant soutient également que les primes visaient l’année d’imposition 2002 de Northern. Comme je l’ai déjà conclu, les primes se rapportaient manifestement à l’année d’imposition de Northern se terminant le 31 mai 2001.

 

[47]         L’appelant s’est ensuite penché sur les exigences prévues au paragraphe 56(2) de la LIR :

 

(2) Paiements indirects − Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne […] doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

 

[48]         Selon cette disposition, quatre éléments doivent être réunis :

 

a)    il doit exister un paiement ou un transfert de biens fait par une personne à une autre qui n’est pas le contribuable;

b)    le paiement ou transfert doit avoir été fait suivant les instructions ou avec l’accord du contribuable;

c)    le paiement ou transfert doit avoir été fait au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à une autre personne;

d)    le paiement ou transfert aurait été inclus dans le calcul du revenu du contribuable s’il avait été fait à ce dernier.

 

[49]         Avant de poursuivre, il importe de préciser qu’à mon avis, l’appelant ne conteste pas que ces quatre conditions ont été respectées.

 

[50]         Sous réserve d’un point qui n’a pas été soulevé à l’instruction, et sur lequel je reviendrai plus loin, on a manifestement satisfait à ces quatre conditions. Il y a eu (i) un paiement d’une somme à 772 et à 779, (ii) les paiements ont été faits suivant les instructions de l’appelant, (iii) l’appelant désirait clairement accorder un avantage à 772 et à 779, sociétés que lui ou sa conjointe contrôlaient, et (iv) il aurait été assujetti à l’impôt sur les 700 000 $ s’il avait lui‑même reçu cette somme.

 

[51]         Si je comprends bien, le principal argument avancé par l’appelant repose sur l’existence d’une cinquième exigence fixée au paragraphe 56(2).

 

[52]         Bien que ce cinquième élément ait fait l’objet d’un débat, il est inutile que je me prononce sur celui‑ci.

 

[53]         Cette exigence a été énoncée par le juge Marceau dans l’arrêt Winter v. The Queen[23] :

 

[…] Il me semble cependant que, lorsque la doctrine de la « recette présumée » n’est pas clairement en cause, parce que le contribuable n’avait aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, il n’est que juste d’inférer que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application que si l’avantage accordé n’est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. […]

 

[54]         Dans la présente affaire, l’appelant avait un droit préexistant aux 700 000 $ et il a choisi de faire en sorte qu’une moitié de cette somme soit payée à 772 et l’autre moitié à 779. En conséquence, dans la mesure où elle existe, cette cinquième exigence ne pouvait s’appliquer en l’espèce.

 

[55]         Cela pourrait permettre de régler l’affaire, tel qu’elle a été débattue par l’appelant, et entraîner le rejet de l’appel.

 

[56]         J’ai toutefois estimé qu’il restait deux questions importantes à trancher[24]. J’ai donc prié le greffier d’écrire aux parties pour leur demander de plus amples observations sur ces deux points.

 

[57]         Premièrement, dans l’hypothèse où le paragraphe 56(2) aurait par ailleurs été applicable, j’ai demandé qu’on formule des observations sur la question de savoir si la somme de 700 000 $ avait fait l’objet d’une cotisation visant la bonne année[25]?

 

[58]         Deuxièmement, j’ai demandé qu’on me présente des observations quant au fondement de la cotisation initiale, soit simplement le fait que l’appelant a reçu la somme de 700 000 $ en 2001 et qu’il était assujetti à l’impôt sur celle‑ci.

 

[59]         En ce qui concerne la question relative à l’année, le paragraphe 56(2) prévoit notamment ce qui suit :

 

(2) Paiements indirects Tout paiement […] doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

[Non souligné dans l’original.]

 

[60]         Le revenu d’emploi est imposé selon une comptabilité de trésorerie. Les paiements à 772 et à 779 ont été faits au cours de l’année civile 2002 au moyen des chèques datés du 18 juin 2002.

 

[61]         Le paragraphe 56(2) ne peut s’appliquer que si la somme de 700 000 $ en litige n’a pas déjà été payée à l’appelant[26].

 

[62]         En conséquence, si on suppose que la prime de 700 000 $ n’avait pas été versée à l’appelant avant le 18 juin 2002, ce dernier serait, selon le paragraphe 56(2), assujetti à l’impôt « dans la mesure[27] » où il l’aurait été si Northern lui avait payé les 700 000 $.

 

[63]         Manifestement, la somme de 700 000 $ serait imposable entre les mains de l’appelant puisqu’il aurait eu à payer l’impôt sur cette somme s’il l’avait reçue directement. À quel moment?

 

[64]         Comme le revenu d’emploi est fondé sur une comptabilité de trésorerie, je ne puis voir comment il serait possible de considérer que, selon le paragraphe 56(2), la somme pourrait être incluse dans le revenu d’une quelconque année autre que 2002 (je suppose toujours que l’appelant n’avait pas été payé avant le 18 juin 2002)[28]. Si l’appelant avait reçu les 700 000 $ avant cette date, le paragraphe 56(2) ne s’appliquerait pas et l’appelant serait simplement assujetti à l’impôt sur la somme à la date où Northern la lui aurait versée.

 

[65]         L’intimée a fait valoir à cet égard que, comme l’année d’assujettissement n’était pas en litige, la preuve présentée à la Cour était incomplète et que, si le tribunal voulait poursuivre son examen de ce point, l’intimée devait être autorisée à procéder à un nouvel interrogatoire préalable et à produire de nouveaux éléments de preuve.

 

[66]         À l’appui de cette assertion, l’intimée a avancé que, s’il était possible de produire des éléments de preuve supplémentaires, elle croyait être en mesure d’établir certains faits[29].

 

[67]         Cependant, sous réserve de certaines exceptions très mineures, presque tous les faits que l’intimée allègue pouvoir éventuellement prouver à l’aide d’un autre interrogatoire préalable et d’éléments de preuve supplémentaires m’ont en réalité déjà été présentés en preuve et sont exposés ci‑dessus[30].

 

[68]         Les faits en question qui ont été établis devant moi sont pertinents pour ce qui est de savoir si l’appelant a reçu 700 000 $ en 2001 et si cette somme est imposable entre ses mains autrement qu’en application du paragraphe 56(2). Je n’arrive pas à comprendre comment cette preuve serait utile à l’intimée pour faire valoir que l’appelant devrait être assujetti à l’impôt suivant le paragraphe 56(2); en toute logique, si l’appelant a été payé en 2001, il a alors été payé avant l’émission des chèques du 18 juin 2002, et le paragraphe 56(2) ne peut s’appliquer.

 

[69]         Dans ces conditions, je ne vois pas comment le fait d’autoriser l’intimée à procéder à un nouvel interrogatoire préalable et à présenter d’autres éléments de preuve pourrait changer quoi que ce soit. Il est opportun que je tranche la question de l’année d’assujettissement sans ordonner la tenue d’autres interrogatoires préalables ou la réouverture de la preuve [31].

 

[70]         Par conséquent, je conclus que si l’appelant n’avait pas été payé avant le 18 juin 2002 et que le paragraphe 56(2) avait été applicable, la somme de 700 000 $ aurait alors dû être incluse dans le revenu de l’appelant pour l’année d’imposition 2002.

 

[71]         Je me penche maintenant sur la question de savoir si, abstraction faite du paragraphe 56(2), la somme de 700 000 $ doit néanmoins être incluse dans le revenu de l’appelant. Pour trancher cette question, la Cour doit se demander si la prime a été payée à l’appelant ou, en termes à peine différents, si elle a été reçue par celui‑ci, en 2001.

 

[72]         Je signale que, selon les hypothèses formulées par le ministre, [traduction] « l’appelant a reçu pas moins de 3 700 000 $ dans le cadre de son emploi chez Northern en 2001 […][32] ».

 

[73]         L’appelant a allégué que la somme de 700 000 $ n’avait pas été reçue en 2001. Il a soutenu que Northern n’avait décidé de verser des primes qu’au printemps 2002, que cette somme avait été payée seulement lorsque les deux chèques du 18 juin 2002 ont été émis et que la pièce A‑8, qui fait état des sommes dues aux actionnaires le 31 mai 2002, corrobore cette assertion dans la mesure où elle révèle qu’un solde de 1 535 674,97 $ était dû au compte de l’actionnaire de l’appelant le 31 mai 2002.

 

[74]         Je n’accepte pas l’assertion voulant que la décision de payer la prime ait été prise au printemps 2002. Plus haut dans les présents motifs, j’ai déjà conclu que cette décision avait été prise en 2001.

 

[75]         Le fait que Northern a payé une somme de 350 000 $ à 772 ainsi qu’à 779 au moyen de chèques datés du 18 juin 2002 ne permet pas en soi de répondre à la question de savoir quand l’appelant a été payé puisque les paiements sont autant compatibles avec l’une que l’autre des possibilités suivantes : (i) Northern honorait son obligation de payer l’appelant ou (ii) Northern avait déjà payé l’appelant et faisait simplement un paiement en son nom.

 

[76]         L’existence d’un solde dû de 1 535 674,97 $ dans le compte de l’actionnaire de l’appelant au 31 mai 2002 ne permet pas non plus, à lui seul, de répondre à la question, même s’il constitue un indice du fait que l’appelant a été payé au plus tard le 31 mai 2002. Lorsque l’on examine la pièce A‑8, il est évident qu’au plus tard à cette date, une partie de la somme de 3 700 000 $ avait été retenue et versée et que le solde était devenu une dette de Northern envers l’appelant en sa qualité d’actionnaire. Tout cela est compatible avec le témoignage de M. Telidetzki.

 

[77]         L’intimée avance que l’appelant a obtenu une « recette réputée » de 700 000 $ en 2001 dans la mesure où l’employeur a fait tout ce qu’il devait faire pour payer l’employé.

 

[78]         Au chapitre 5.3 de leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law, septième édition, 2010, les auteurs Hogg, Magee et Li s’expriment en ces termes :

 

[TRADUCTION]

 

(c) Recette réputée

 

Pour qu’il y ait une « recette » en droit fiscal, est‑il nécessaire que le contribuable « l[a] touche physiquement, qu’il l[a] palpe ou qu’il l’ait dans son compte de banque »? Le tribunal a répondu à cette question de la manière suivante dans la décision Jean‑Paul Morin v. The Queen (1975) :

 

Cette proposition, nous regrettons de le dire, nous semble absolument inadmissible, car le mot recevoir ou toucher veut évidemment dire en bénéficier ou en profiter. En recevoir les avantages sans être obligé de l’avoir dans ses mains.

 

Lorsque des fonds sont payés par un employeur à un tiers au bénéfice du contribuable, le paiement constitue une recette réputée entre les mains du contribuable. Par exemple, dans la décision Blenkarn v. Minister of National Revenue (1963), où les fonds nécessaires pour payer le salaire du contribuable en 1960 étaient disponibles, mais où ce dernier a volontairement choisi de n’être payé qu’en 1961, on a considéré qu’il avait, dans les faits, reçu les fonds. Le paiement était détenu en vue de sa « réception » dès que le contribuable a eu le droit inconditionnel d’être payé, soit en 1960.

[Références omises.]

 

[79]         Les faits suivants sont importants en l’espèce :

 

a)    En 2001, on a décidé de payer la prime de 3 700 000 $, on a retenu de l’impôt sur la totalité de la prime et cet impôt a été versé à l’ARC, on a prêté le solde, déduction faite des retenues, à la société. Le prêt est devenu une dette de la société envers l’appelant en sa qualité d’actionnaire.

 

b)    Northern était une société familiale et l’appelant était un actionnaire, un administrateur et un cadre supérieur principal de celle‑ci. La preuve ne permettait nullement de penser que le fait de déclarer la prime, d’effectuer les retenues, de verser celles‑ci et de prêter le solde de sa prime, déduction faite des retenues, à titre de prêt de l’actionnaire à Northern, ont eu lieu contre le gré de l’appelant, sans qu’il le sache ou sans son consentement. En fait, à titre d’actionnaire, il avait avantage à ce que Northern réduise ses bénéfices en accordant des primes[33] de manière à diminuer ses impôts puisque cela avait, en pratique, pour effet de réduire, tant sur le plan commercial que personnel, le montant total d’impôt payé sur les bénéfices qui seront finalement versés. Selon le paragraphe 78(4), pour que la réduction des bénéfices au moyen de la déclaration de primes donne les résultats prévus, les primes devaient être payées dans les 180 jours suivant la fin de l’exercice de Northern se terminant le 31 mai 2001. Dans une telle situation, l’on ne s’attendrait normalement pas à ce qu’une personne s’oppose au paiement de la prime.

 

c)    Le premier feuillet T4 établi par Northern à l’intention de l’appelant et envoyé à l’ARC visait une somme de 3 700 000 $; ce n’est qu’ultérieurement que Northern a envoyé à l’ARC un feuillet T4 faisant état d’une somme de 3 000 000 $. Je signale en outre que nul n’a laissé entendre que les premiers 3 000 000 $ de la somme de 3 700 000 $ n’ont pas été reçus par l’appelant à titre de revenu en 2001. Or, les premiers 3 000 000 $ de la somme de 3 700 000 $ ont néanmoins été traités pratiquement de la même façon, à l’exception du fait qu’ils ont été payés par un chèque du 18 juin 2002 à l’ordre de l’appelant au lieu d’être payés à 772 ou à 779.

 

À la lumière des faits de la présente affaire et, en particulier, de ceux énoncés ci‑dessus, je suis convaincu que Northern a fait, en 2001, tout ce qu’elle devait faire pour payer l’appelant et que ce dernier a reçu paiement une fois que les retenues ont été effectuées et versées et que le solde de la prime de 3 700 000 $, déduction faite des retenues, a été prêté à Northern pour ainsi devenir une dette de Northern envers l’appelant en sa qualité d’actionnaire[34].

Conclusion

 

[80]         Pour ces raisons, l’appel sera rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 23e jour de janvier 2011.

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’avril 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 41

 

No DU DOSSIER DE LA COUR:       2004-4185(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Mark A. Sochatsky c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 23 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat pour l’appelant :

Me Gordon D. Beck

 

 

Avocats pour l’intimée :

Me Gregory Perlinski

Me Darcie Charlton

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Gordon D. Beck

 

                          Cabinet :                  Henning Byrne

                                                          Edmonton (Alberta)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 



[1] Le feuillet T4 figurant à la pièce A-6 est presque, mais pas tout à fait, identique au feuillet T4 figurant à la pièce A‑3; dans ce dernier document, la case 16 est vide tandis que, dans la pièce A‑6, une somme de 1 496,40 $ y est inscrite. Il y a en outre le feuillet T4 original, dont il sera question plus loin.

[2] Transcription, page 32, lignes 19 à 21.

[3] Pièce A-9.

[4] 772 et 779 semblent avoir été des sociétés « en veilleuse ».

[5] Voir la page 1 de la pièce A-3 et la page 1 de la déclaration T1 figurant à la pièce A-3; selon les deux documents, Andrea Sochatsky est la conjointe de l’appelant.

[6] Voir le registre des actionnaires des sociétés figurant respectivement aux pièces R-1 et R-2.

[7] Transcription, page 54, lignes 13 à 19; page 55, lignes 5 à 10.

[8] M. Telidetzki pensait que ce document avait été établi par PricewaterhouseCoopers. La preuve ne permet pas de savoir pourquoi le document fait état d’une somme de 700 000 $ intégralement versée à 779 plutôt qu’à parts égales entre 772 et 779.

[9] Transcription, page 62, ligne 6, à la page 63, ligne 1.

[10] Ibid., page 63, lignes 13 à 20.

[11] Ibid., page 69, ligne 20, à la page 70, ligne 15.

[12] Ce document figure à la pièce R-5.

[13] Bien que, dans son témoignage, M. Telidetzki ait affirmé que ces deux documents avaient été envoyés en février 2001, il s’agit manifestement d’une erreur; la pièce R‑5 a été signée le 28 février 2002 et le tampon de réception de l’ARC apposé sur le document porte la date du 5 mars 2002.

[14] Transcription, page 81, lignes 6 à 8. Il faut se rappeler que le paragraphe 78(4) de la LIR interdit la déduction d’un traitement, d’un salaire ou d’une autre rémunération lorsque la somme est impayée le 180e jour suivant la fin de l’année d’imposition au cours de laquelle la dépense est engagée.

[15] Ibid., page 65, ligne 12, à la page 66, ligne 24; page 72, lignes 1 à 9.

[16] Ibid., page 66, lignes 15 à 19.

[17] Je suis convaincu de ce fait à la lumière de l’ensemble du témoignage de M. Telidetzki, y compris son réinterrogatoire et son témoignage voulant que le versement des retenues à la source visant les primes ait eu lieu en novembre 2001. En particulier, je suis persuadé que la pièce A‑19 établit uniquement que des corrections ont été apportées à la fin de l’exercice de Northern se terminant le 31 mai 2002; la pièce A‑19 ne montre pas que les primes se rapportaient à l’exercice de Northern se terminant le 31 mai 2002. Je signale en outre qu’on a établi que tous les feuillets T4, qu’il s’agisse du feuillet initial ou du feuillet modifié, et les feuillets T4 Sommaire mis en preuve visaient l’année d’imposition 2001. L’appelant a également invoqué les chèques émis par Northern en juin 2002 à l’ordre de l’appelant, de 772 et de 779 pour affirmer que les primes constituaient réellement des primes visant l’année d’imposition 2002 de Northern; cependant, la date des chèques ne permet pas de savoir à quelle période se rapportaient les primes.

[18] Pièce R-7.

[19] Voir la déclaration de revenus T1 de l’appelant relative à 2001, pièce A-4, à la deuxième page de même qu’à la page non numérotée intitulée [TRADUCTION] « Relevé sommaire – 2001 » (« 2001 Slip Summary »).

[20] Cette conclusion est fondée sur le témoignage de M. Telidetzki, que j’accepte, voir les paragraphes 25 à 28, et qui est corroboré par la pièce A‑8, soit un état des sommes dues aux actionnaires, selon lequel il est manifeste que la prime de 3 700 000 $ versée à l’appelant se rapporte à 2001 et a été créditée à son compte de l’actionnaire avant la fin de l’exercice de Northern se terminant le 31 mai 2002.

[21] Transcription, page 100, lignes 7 à 15.

[22] Sous réserve, évidemment, du crédit d’impôt pour dividendes.

[23] 90 DTC 6681 (CAF), à la page 6684.

[24] Compte tenu de la nature de ces questions, je ne vois pas comment je pourrais légitimement en faire abstraction.

[25] Pour des raisons qui deviendront évidentes au moment de l’examen fait plus loin, je ne pouvais imaginer comment le paragraphe 56(2) aurait permis d’inclure la somme dans le calcul du revenu pour l’année 2001 si cette disposition s’était appliquée en l’espèce.

[26] Il ressort sans équivoque du libellé de la disposition que le paiement ou le transfert doit être fait par une personne autre que l’appelant et que cette autre personne doit, au moment du transfert ou du paiement, ne pas être que la simple détentrice du bien de l’appelant qui le transfère suivant les instructions de l’appelant. Par exemple, si une banque détenant les fonds de monsieur A transfère ceux‑ci à monsieur B suivant les instructions de monsieur A, le paragraphe 56(2) ne peut s’appliquer puisque monsieur A ne serait pas assujetti à l’impôt s’il recevait les fonds. De même, si un employeur a rempli son obligation de payer monsieur A, mais que ce dernier a autorisé l’employeur à détenir les fonds en les lui prêtant, le paragraphe 56(2) ne saurait s’appliquer si monsieur A donne ultérieurement des instructions pour que les fonds soient payés à monsieur B, car monsieur A pourrait recevoir les fonds à nouveau de l’employeur sans avoir à payer de l’impôt sur ceux‑ci. En revanche, si un employeur doit à monsieur A un salaire impayé et que ce dernier donne instructions à l’employeur de payer ce salaire impayé à monsieur B, le paragraphe 56(2) pourrait s’appliquer puisque monsieur A serait assujetti à l’impôt s’il recevait lui‑même les fonds.

[27] « […] to the extent […] » dans le texte anglais.

[28] Faire autrement signifierait que, pour une raison inexpliquée, le paragraphe 56(2) avait pour effet de reporter rétrospectivement la réception du revenu d’emploi à l’année où celui‑ci était exigible même s’il devait être imposé au cours d’une année ultérieure s’il avait simplement été payé directement à l’employé plutôt qu’à un tiers.

[29] Voir les paragraphes 6 à 8 des observations écrites du 15 octobre 2010 présentées par l’intimée.

[30] Selon le paragraphe 8g. des observations écrites du 15 octobre 2010 de l’intimée, l’appelant n’a pas soumis à la Cour la question de l’année d’assujettissement. La question n’a été soulevée ni dans l’avis d’appel ni à l’instruction. J’ai soulevé ce point après l’audience et j’ai prié le greffier d’écrire aux parties pour leur demander des observations à cet égard. 

[31] D’une manière générale, lorsqu’une question prend une partie au dépourvu, comme en l’espèce, soit cette partie doit être autorisée à procéder à un interrogatoire préalable supplémentaire et à présenter de nouveaux éléments de preuve, si elle le souhaite, soit la question ne doit pas être examinée plus avant, compte tenu du coût, de l’opportunité et de l’équité, y compris le recours possible à une ordonnance appropriée relative aux dépens.

[32] Voir la réponse modifiée, paragraphe 6e).

[33] L’avocat de l’appelant et M. Telidetzki ont employé les termes anglais « bonusing down » pour désigner cette pratique. Voir la transcription, page 70, lignes 6 à 8.

[34] Pour tirer cette conclusion, je ne fais pas abstraction des observations formulées par le juge Bowman, tel était alors son titre, dans la décision Phillips v. The Queen, 95 DTC 194 (CCI), où il s’exprime en ces termes au paragraphe 19 :

Je ne puis non plus admettre que la somme a été reçue du simple fait qu’on l’a virée du compte « prime à payer » au compte « somme due à un actionnaire ». Les inscriptions comptables doivent correspondre à la réalité, et non la créer, et, comme lord Brampton l’a dit dans l’affaire Gresham Life Society Co. v. Bishop, [1902] 4 TC 464, à la page 476 :

Pour qu’il y ait réception d’une chose, il doit y avoir une personne qui reçoit et une personne de laquelle elle reçoit ainsi que quelque chose que la première reçoit de la seconde; dans ce cas‑ci, ce quelque chose doit être une somme d’argent. Une simple inscription dans un compte qui ne représente pas cette opération ne prouve aucune réception, même si elle peut avoir par ailleurs une certaine valeur.

   L’affaire Phillips paraît plutôt inhabituelle en raison de la méthode comptable « peu claire et confuse » qu’on y utilisait, et elle est très différente des faits dont je suis saisi.

   Je conviens que « les inscriptions comptables doivent correspondre à la réalité, et non la créer ». Les écritures comptables erronées ou fausses ne créent pas des faits, mais elles peuvent en revanche permettre d’établir des faits – voir par exemple l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada – et elles constitueront des éléments de preuve dont il faut tenir compte au même titre que les autres éléments de preuve produits, comme le tribunal l’a fait dans la décision Phillips.

   La preuve présentée en l’espèce est d’un tout autre ordre. Non seulement a‑t‑on réussi à établir que le solde de la prime, déduction faite des retenues, était un prêt de l’actionnaire, mais la Cour est en outre saisie du témoignage de M. Telidetzki relatif aux retenues et au prêt du solde de la prime consenti à la société ainsi que de toute une ligne de conduite, y compris le fait que la société a versé les retenues sur la totalité de la prime de 3 700 000 $.

   À mon sens, la décision Phillips n’a pas pour effet d’exiger qu’il y ait toujours réception réelle d’espèces, d’un chèque ou d’un virement électronique déposé dans un compte. Il peut y avoir réception réputée d’une rémunération bien qu’il s’agisse toujours d’une question de fait de savoir si la réception a réellement eu lieu. L’extrait de la décision Phillips reproduit plus haut est un rappel qu’une écriture comptable constitue un élément de preuve, non un fait.

   Il est intéressant d’examiner le contexte dans lequel la Chambre des lords a prononcé le passage cité de l’arrêt Gresham, rendu en 1902. Selon l’Income Tax Act, 1842, la société Gresham était assujettie à l’impôt au titre d’intérêts reçus au Royaume‑Uni. La société exploitait son entreprise au Royaume-Uni et dans d’autres pays, et son siège social se trouvait à Londres. Si j’ai bien compris les faits, la société avait dressé ses états financiers à l’échelle mondiale (voir le cinquième paragraphe du jugement de lord Lindley) et ceux‑ci révélaient qu’elle avait reçu un certain montant d’intérêt. Il n’était pas contesté qu’une grande partie de cet intérêt ne s’était jamais trouvé au Royaume‑Uni. Le fisc a tenté d’imposer la société sur la totalité de l’intérêt figurant dans ses états financiers. Il n’est pas étonnant que la Chambre des lords ait conclu que les états financiers montrant ce que la société avait gagné en intérêts à l’échelle mondiale avaient pour effet de convertir la totalité de ces intérêts en des intérêts reçus au Royaume-Uni, qu’ils y aient ou non été réellement reçus.

   Je ne fais pas non plus abstraction de la décision Morrison c. La Reine, 2010 CCI 429, rendue par le juge Webb. Les faits dans cette affaire sont assez particuliers et très différents de ceux en l’espèce.

   Les appelants dans cette affaire ont vendu une partie de leur participation dans une société de développement de logiciels. Au moment de la vente, certaines sommes leur étaient dues au titre du salaire. Dans la convention par laquelle les Morrison ont vendu une partie de leurs actions, il était entendu que, juste avant sa fermeture, la société verserait aux Morrison le salaire net qui leur était dû, déduction faite des retenues, et que les Morrison avanceraient ensuite à la société la somme nette ainsi reçue. Il avait en outre été convenu que la société rembourserait ces avances sans intérêt, mais uniquement dans la mesure où la société obtenait certains crédits d’impôt à l’investissement.

   En particulier, je signale que, même si, dans les livres comptables, les sommes en cause avaient été portées au crédit des comptes des actionnaires, conformément à la convention d’achat‑vente, la société n’était pas, en fait, redevable aux Morrison des sommes qui avaient été créditées, au moment où elles avaient été créditées. Lorsqu’une quelconque somme était créditée, la dette de la société envers les Morrison au titre d’une somme donnée était éventuelle et ne devenait définitive que si et quand la société recevait certains crédits d’impôt à l’investissement. À ce titre, les écritures relatives au crédit faites dans les comptes des actionnaires des Morrison ne reflétaient tout simplement pas un paiement. Elles reflétaient uniquement une dette éventuelle et elles n’auraient pas dû être traitées comme une dette envers les actionnaires.

   Cette situation est entièrement différente de celle dont je suis saisi.

   Comme les faits en l’espèce sont analogues à la pratique courante de nombreuses petites entreprises qui consiste à déclarer des primes, puis à verser les retenues et à payer les primes dont le montant est ensuite avancé à titre de prêts de l’actionnaire juste avant l’expiration du délai de 180 jours suivant la fin de l’exercice de la société, je soupçonne qu’un grand nombre de petites entreprises réaliseraient qu’elles ne tombent pas sous le coup du paragraphe 78(4) de la LIR si les faits comme ceux en l’espèce ne suffisaient pas à constituer une recette pour l’employé. Si ma conclusion est erronée, un grand nombre de ces petites entreprises se verraient dans l’obligation de prendre des mesures supplémentaires pour parvenir à réduire leur revenu en accordant des primes.

 

 

 

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