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Dossier : 2008-2663(GST)G

 

 

ENTRE :

STEPHEN SAVOY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 18 mai 2010 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

 

Avocat de l’intimée :

Me Shatru Ghan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel visant la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe daccise (partie relative à la TPS), dont l’avis est daté du 24 juillet 2007 et porte le numéro 05CP868700089, pour la période de déclaration du 1er juillet 2000 au 31 mars 2001, est accueilli avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

         


Signé à Calgary (Alberta), ce 27e jour de janvier 2011.

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’avril 2011.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 35

Date : 20110127

Dossier : 2008-2663(GST)G

ENTRE :

STEPHEN SAVOY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelant interjette appel d’une cotisation visant la taxe sur les produits et services (la « TPS ») impayée pour la période du 1er juillet 2000 au 31 mars 2001 (la « période »). L’on invoque au soutien de cette cotisation que l’appelant était un administrateur de Savoy Glass Ltd. (la « société ») pendant la période et qu’il était responsable, suivant l’article 323 de la Loi sur la taxe daccise (partie relative à la TPS) (la « Loi »), des omissions, par la société, de verser la TPS.

 

[2]     L’article 323, lequel prévoit que les administrateurs sont responsables des omissions de versement d’une société, est en partie rédigé ainsi :

 

(1) Responsabilité des administrateurs – Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents[1].

 

[3]     L’appelant soutient qu’il n’était pas administrateur au moment où la société a omis de verser les sommes qu’exigeait la Loi. En conséquence, il n’y a aucune responsabilité suivant l’article 323. Il fait en outre valoir que les conditions d’application de cette disposition, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 323(2), n’ont pas été remplies et que, quoi qu’il en soit, les moyens de défense prévus aux paragraphes 323(3) et 323(5) s’appliquent en l’espèce. Ces dispositions sont libellées comme suit :

 

 (2) Restrictions – L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et linsolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

(3) Diligence – L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[…]

 

(5) Prescription – L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

Contexte factuel

 

[4]     Après avoir terminé sa 11e année, l’appelant a entrepris un programme d’apprentissage dans le domaine du verre et du vitrage, puis il a travaillé pour un vitrier pendant 25 ans avant de lancer sa propre entreprise par l’intermédiaire de la société qu’il a constituée en avril 1998. Dans son témoignage, il a déclaré que cette entreprise avait été liquidée quelque temps après juin 2000, lorsqu’il avait remis à la société sa démission à titre d’administrateur et de dirigeant.

 

[5]     C’est l’appelant qui a constitué l’entreprise en société. Avant sa démission, il agissait comme président, trésorier, secrétaire et directeur de la société. Selon les statuts constitutifs, il en était également le premier administrateur.

 

[6]     La société retenait les services d’une aide‑comptable pour produire les déclarations de TPS et d’un comptable agréé pour établir ses états financiers et ses déclarations de revenus. L’appelant a reconnu qu’il examinait les chiffres avec son aide‑comptable, mais qu’il se fiait à cette dernière pour les déclarations de TPS.

 

[7]     Dès le début, la société a connu des difficultés avec le flux net de trésorerie et ses comptes débiteurs. L’appelant ne retirait que 500 $ par mois et comptait principalement sur le revenu de son épouse pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

[8]     Vers le mois de juin 2000, le comptable agréé avec lequel il travaillait l’a dirigé vers un autre comptable agréé pour qu’il puisse obtenir des conseils relativement aux difficultés financières de la société. Son nouveau comptable agréé, M. Bill Malisch, qui n’a pas témoigné à l’audience, lui a recommandé de démissionner des postes qu’il occupait au sein de la société. Le 30 juin 2000, il a signé une démission, prenant effet à cette même date, à titre d’administrateur et de dirigeant de celle‑ci. Les documents de la Direction des compagnies confirment que la démission a été produite à cette date. En fait, le rapport ponctuel du ministère provincial des Services gouvernementaux révèle que l’appelant a cessé d’agir comme administrateur et dirigeant le 30 juin 2000.

 

[9]     Dans son témoignage, l’appelant a affirmé qu’il croyait, par suite de sa démission, ne plus avoir aucun pouvoir pour diriger les affaires de la société. Il a témoigné qu’il s’était chargé des tâches moins importantes consistant à préparer et à installer des vitres afin de terminer quelques contrats que la société avait déjà signés et à percevoir les sommes dues relativement à ces engagements. Il a admis qu’il avait recouvré 25 000 $ pour un projet relatif à une école dont la facture s’élevait à 125 000 $. Il a en outre déclaré qu’il avait perçu quelque 5 000 $ ou 6 000 $ pour d’autres comptes. Il a précisé qu’il avait effectué ces tâches sur une période d’environ trois mois après avoir démissionné des diverses charges qu’il occupait auprès de la société. Pendant le contre‑interrogatoire, il a toutefois reconnu qu’il aurait pu continuer à travailler jusqu’au début de 2001. Il a trouvé du travail auprès d’un autre vitrier en avril 2001.

 

[10]    L’appelant a convenu que des déclarations de TPS avaient été produites relativement à la période. Cependant, il a témoigné qu’il n’avait aucun souvenir précis sur ce point et qu’il se fiait à son aide‑comptable à cet égard. Il a reconnu qu’aucun versement n’avait été fait. Il a admis que la société n’avait versé aucune des sommes qui, selon les déclarations produites, devaient l’être.

 

[11]    Le 11 décembre 2000 et le 21 août 2001, le ministère de la Consommation et du Commerce a écrit à l’appelant pour l’informer de l’éventuelle annulation du certificat de constitution de la société si aucune mesure n’était prise dans les 30 jours suivants. Pourtant, la société n’a été liquidée que le 13 mars 2006.

 

[12]    En novembre 2004, l’appelant a reçu une lettre de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») lui rappelant qu’on lui avait écrit en août 2001 afin de l’aviser qu’il pourrait être responsable de la TPS non versée par la société. Ce n’est toutefois que le 24 juillet 2007 qu’un avis de cotisation a été posté.

 

[13]    Une opposition a été déposée en temps opportun, mais la cotisation a été ratifiée le 17 juillet 2008. Un appel a été déposé et, après la clôture de la procédure écrite, des interrogatoires préalables ont eu lieu.

 

[14]    À l’audience, l’avocat de l’intimée a présenté à titre de pièce certaines parties de l’interrogatoire préalable de l’appelant qui, selon moi, doivent être considérées comme des éléments de preuve produits à l’audience. Pendant l’interrogatoire préalable, l’appelant a mentionné qu’il avait continué de s’occuper de l’entreprise après sa démission et qu’il n’avait pas mis fin aux opérations de celle‑ci avant le début de 2001. Même s’il a affirmé qu’il croyait que son aide‑comptable déposait les déclarations de TPS trimestrielles, la preuve ne permet pas de savoir s’il avait vérifié que les déclarations en litige avaient bien été produites. Rien ne donne à penser que les déclarations relatives à des périodes antérieures n’ont pas été dûment produites, bien que l’existence de certaines omissions de versement antérieures ait été admise.

 

[15]    La transcription de l’interrogatoire préalable du représentant de l’ARC a également été mise en preuve. Cet interrogatoire a révélé qu’aucun document relatif au profil de la société n’était disponible. Lorsqu’on lui a demandé un engagement de produire des documents concernant l’évolution de l’affaire ainsi que les déclarations originales, le fonctionnaire a conseillé de se présenter avec une [traduction] « camionnette ». En réalité, rien n’a jamais été produit. Comme nous le verrons plus loin, la preuve a révélé que l’ARC avait détruit des documents dans le cours normal de ses activités.

 

[16]    L’affidavit d’un fonctionnaire de l’ARC a également été présenté à l’audience. Selon ce document, une recherche faite dans les documents informatisés relatifs aux périodes de déclaration se terminant le 30 septembre 2000, le 31 décembre 2000 et le 31 mars 2001 a révélé que des déclarations avaient été produites. Des imprimés produits par ordinateur montraient que l’on avait [traduction] « reçu » les trois déclarations le 24 janvier 2002. De même, ces documents faisaient état des ventes totales, de la TPS totale, des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») totaux et de la taxe nette pour chacune de ces périodes. L’affidavit précise en outre la politique suivie par l’ARC en matière de destruction de documents. L’avocat de l’appelant s’est opposé à la présentation de cet affidavit. Je reviendrai sur cette opposition plus loin dans les présents motifs.

 

[17]    L’intimée a établi devant la Cour qu’un certificat faisant état de la somme due par la société a été enregistré le 4 avril 2007 à la Cour fédérale en application de l’article 316 de la Loi. L’intimée a en outre produit une lettre datée du 6 juillet 2007 par laquelle le ministère du Procureur général de l’Ontario déclare qu’un bref de saisie‑exécution n’a pu être exécuté faute d’actifs (« nulla bona »). L’avocat de l’appelant s’est opposé à ce que cette lettre soit admise en preuve. J’ai mis en délibéré ma décision sur cette opposition.

 

[18]    De même, l’intimée a appelé une personne‑ressource de l’ARC à témoigner à l’audience. Le témoignage de ce dernier se fondait sur les notes au dossier prises par une autre personne[2]. Il n’avait aucune connaissance personnelle directe des questions au sujet desquelles il a témoigné. Il a mentionné qu’en novembre 2001, l’ARC a procédé à un examen des fiducies à l’établissement de la société et que l’aide‑comptable et l’appelant étaient présents. L’aide‑comptable a ensuite rempli les déclarations de TPS, qui ont plus tard été ramassées par l’examinateur. L’on a affirmé que la fonctionnaire de l’ARC chargée de l’affaire à l’époque était à la retraite, mais nul n’a tenté de communiquer avec elle. Le témoin de l’ARC a allégué qu’il existait un rapport de vérification, mais qu’il ignorait pourquoi celui‑ci n’avait pas été produit. Il n’avait pris connaissance du dossier que deux semaines avant l’instruction.

 

Questions relatives à la preuve et questions connexes

 

          1.       Preuve relative à l’absence d’actifs

2.       Destruction de documents et cotisation sous‑jacente établie à l’égard de la société

 

1. Preuve relative à l’absence d’actifs

 

[19]    L’appelant s’est opposé à l’admission de la lettre confirmant que le bref de saisie‑exécution n’avait pas pu être exécuté faute d’actifs. Il a ensuite fait valoir que les exigences fixées à l’alinéa 323(2)a) n’étaient pas remplies.

 

(2) Restrictions – L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

[20]    Si la lettre du ministère du Procureur général de l’Ontario voulant que le bref n’ait pu être exécuté faute d’actifs n’est pas admissible, la validité de la cotisation établie par la Couronne sera alors sérieusement compromise. L’appelant invoque d’ailleurs la décision Walsh c. Canada[3]. Les faits à cet égard y sont pratiquement identiques à ceux dont je suis saisi. Dans cette affaire, l’intimée avait omis d’inclure une lettre du même genre dans sa liste des documents et elle n’avait pas appelé de témoin pour que celui‑ci puisse attester du contenu de la lettre et se soumettre à un contre‑interrogatoire.

 

[21]    Dans sa décision, Mme la juge Sheridan expose longuement les raisons pour lesquelles elle avait d’abord envisagé d’accepter la production de la lettre, mais elle finit par conclure, au paragraphe 25, que rien ne justifiait que l’on s’écarte de la règle générale selon laquelle les documents non mentionnés dans la liste des documents doivent être exclus de la preuve. Elle a reconnu, comme c’est le cas en l’espèce, que la réponse comportait une hypothèse voulant qu’il y ait eu défaut d’exécution du bref de saisie‑exécution, mais elle a conclu que la formulation d’une telle hypothèse ne pouvait, dans les circonstances, faire en sorte que le fardeau de la preuve incombe à l’appelant. Seule la Couronne pouvait faire cette preuve. C’est‑à‑dire que l’appelant n’était ni en mesure ni tenu d’établir qu’il n’y avait pas eu défaut d’exécution du bref[4].

 

[22]    Lorsqu’elle a conclu, dans l’affaire Walsh, que la lettre relative au défaut d’exécution pour absence d’actifs n’était pas admissible et que l’omission consécutive de prouver que les exigences prévues au paragraphe 227.1(2) de la Loi de limpôt sur le revenu[5] avaient été remplies était fatale, la juge Sheridan s’est exprimée en ces termes au paragraphe 28 :

 

28     […] selon le libellé de l’alinéa 227.1(2)a), la charge de la preuve incombe au ministre, mais l’alinéa ne précise pas de quelle manière ce dernier doit prouver qu’il a respecté les conditions qui y sont énoncées. Il revient donc au tribunal de décider si le ministre s’est acquitté de son fardeau. Bien que je sois quelque peu sensible à l’argument de l’avocat de l’intimée selon lequel l’omission d’inclure la lettre du shérif dans la liste des documents de l’intimée constitue une [traduction] « irrégularité », il me semble que la preuve du fait que le ministre a satisfait aux conditions prévues à l’alinéa 227.1(2)a) est si indispensable lorsqu’il exerce son pouvoir d’établir une cotisation en vertu du paragraphe 227(10) qu’en cas de doute à cet égard, il faut trancher en faveur du contribuable. En l’espèce, le ministre n’a produit aucune preuve établissant qu’il y a eu défaut d’exécution à l’égard du bref de saisie‑exécution. Vu l’absence de preuve du fait que le ministre a satisfait aux exigences de l’alinéa 227.1(2)a), l’administrateur ne peut être tenu responsable en application du paragraphe 227.1(1) et la cotisation sur laquelle la responsabilité est fondée ne peut être considérée valide.

 

[23]    Mon premier réflexe est de ne pas m’écarter de cette jurisprudence. Outre le fait qu’aucun témoin ne s’est présenté à la Cour pour attester du contenu de la lettre et répondre à des questions quant aux mesures prises pour conclure à l’absence d’actifs, la lettre ne figurait pas sur la liste des documents de l’intimée. Il existe une pratique courante et louable qui consiste à produire un recueil de documents conjoint, ce qui a pour effet de mettre les questions de cette nature à l’avant‑plan. Lorsqu’elles ne s’entendent pas au préalable sur les documents, les parties ne doivent pas d’emblée faire fi des exigences en matière de preuve applicables à ces éléments. La lettre n’est pas admissible[6].

 

[24]    Cela étant dit, il convient de soulever une autre préoccupation touchant la preuve. Après le contre‑interrogatoire du témoin de l’intimée, j’ai demandé à l’avocat de l’intimée s’il avait des questions à poser dans le cadre d’un réinterrogatoire. Il a signalé qu’il avait oublié de joindre à la lettre relative au défaut d’exécution pour absence d’actifs une lettre qui aurait dû faire partie de cette pièce. Il a précisé que la seconde lettre avait été écrite par l’avocat de l’appelant, Me Radnoff. Il s’agissait d’une lettre adressée au shérif (agent d’exécution de la loi) et mentionnant que la société n’avait aucun élément d’actif. Me Radnoff a reconnu qu’il était l’auteur de la lettre, mais il s’est opposé à ce qu’elle soit admise en preuve à ce stade-ci de l’instance. Il a rappelé à la Cour que seules les questions découlant du contre‑interrogatoire peuvent faire l’objet d’un réinterrogatoire et que, comme la question de l’absence d’actifs n’avait pas été soulevée pendant le contre‑interrogatoire, la seconde lettre ne pouvait être admise maintenant et il a à nouveau invoqué la décision Walsh.

 

[25]    Comme il n’a jamais été question de la lettre relative à l’absence d’actifs au cours du contre‑interrogatoire du témoin et comme il semble probable que cette lettre ne serait pas, de toute façon, admise en preuve compte tenu de la décision Walsh, j’ai refusé d’admettre cette autre lettre. Agissant avec honnêteté, l’avocat de l’appelant a toutefois reconnu que l’envoi de la lettre relative à l’absence d’actifs était fondé. En soi, cela pourrait bien suffire à satisfaire aux exigences de l’alinéa 323(2)a). J’estime à tout le moins qu’il est difficile de fermer les yeux sur une admission aussi pertinente qui est distincte du document que j’ai refusé d’admettre en preuve.

 

[26]    Dans la décision Walsh, au paragraphe 24, la juge Sheridan a estimé que ni la divulgation à l’instruction du fait que la société n’avait aucun actif ni la reconnaissance à l’interrogatoire préalable du fait que ce point n’était pas en litige n’étaient de nature à l’inciter à admettre la lettre. La présente affaire se distingue de la décision Walsh en ce qu’en l’espèce, l’on a admis que la divulgation de l’absence d’actifs avait été faite au shérif avant que la lettre ne soit envoyée. N’eût été de cette distinction, selon la décision Walsh, l’appel de l’appelant serait accueilli à la condition que l’alinéa 323(2)a) soit la disposition applicable en l’espèce.

 

[27]    Cependant, la présente affaire soulève une autre question liée à l’application de l’alinéa 323(2)a). La société a cessé d’exister le 13 mars 2006. Le bref de saisie‑exécution délivré en vertu du certificat enregistré à la Cour fédérale est daté du 4 avril 2007. La lettre du ministère du Procureur général de l’Ontario énonçant que le bref n’a pu être exécuté faute d’actifs est datée du 6 juillet 2007.

 

[28]    Même si l’avocat de l’appelant s’est par ailleurs appuyé sur la décision Walsh, il me semble que l’argument qu’il a d’abord invoqué à l’audience – à savoir que l’exigence prévue à l’alinéa 323(2)b) doit être remplie – est fondé. Comme la société a cessé d’exister avant que l’exigence relative au certificat prévue à l’alinéa 323(2)a) ne soit remplie, il semble que le ministre du Revenu national (le « ministre ») doive en l’espèce satisfaire aux exigences de l’alinéa 323(2)b) pour pouvoir poursuivre l’appelant.

 

[29]    Le paragraphe 323(2) prévoit ce qui suit :

 

(2) Restrictions – L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et linsolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

[30]    Bien que, selon le libellé de cette disposition, le ministre ne soit tenu de satisfaire qu’à l’une des trois exigences énoncées aux alinéas a), b) ou c), il n’en découle pas que le ministre peut choisir comment il procédera dans différentes situations. Ce sont les circonstances qui dictent comment le ministre doit procéder.

 

[31]    Dans la présente affaire, l’exigence applicable imposée au ministre paraît être celle prévue à l’alinéa 323(2)b). C’est cette exigence qui correspond à la situation dont je suis saisi. Lorsque les circonstances envisagées par un alinéa correspondent à la situation dans une affaire donnée en raison de la situation de la société au moment pertinent, c’est cette disposition, celle qui correspond le mieux aux circonstances de l’affaire, qui dicte l’exigence applicable. Dans ce contexte, les exigences semblent pour l’essentiel s’exclure mutuellement. Cette interprétation de la disposition applicable se fonde également sur la décision rendue par le défunt juge en chef Garon dans Schuster c. R.[7].

 

[32]    L’avocat de l’intimée soutient que l’alinéa 323(2)b) ne peut s’appliquer au genre de dissolution visée en l’espèce, car aucune mesure n’a été prise pour entreprendre des procédures de liquidation ou de dissolution. La dissolution a eu lieu par suite de l’application d’une disposition de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (la « LSAO ») et non d’une quelconque mesure prise par la société. Cet argument est, selon moi, dénué de fondement. Suivant cette disposition, la personne morale a entrepris des procédures de cette nature « ou elle a fait l’objet d’une dissolution ». La dissolution elle‑même déclenche l’application de cette disposition. Il importe peu de savoir comment la dissolution s’est produite.

 

[33]    Même si l’avocat de l’intimée n’en a pas fait mention, le juge en chef adjoint Christie de la présente cour s’est penché sur un argument analogue dans la décision Kennedy v. M.N.R.[8]. À son avis, la Couronne ne devait pas être tenue d’établir une réclamation lorsque la société avait involontairement entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution et qu’il n’y avait donc aucun liquidateur contre lequel la Couronne aurait pu établir une réclamation[9]. Avec égards, j’estime que ce raisonnement n’est pas convaincant à la lumière de l’analyse qui suit.

 

[34]    En l’espèce, la preuve révèle que la réclamation a été établie. Nul besoin qu’un liquidateur établisse la réclamation. Le ministre a établi sa réclamation en enregistrant un certificat à la Cour fédérale en application de l’article 316 et ce certificat est à son tour établi par le bref de saisie‑exécution. À mon avis, cela est suffisant. Le paragraphe 316(2) prévoit que l’enregistrement du certificat du ministre à la Cour fédérale a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de ce tribunal contre le débiteur pour la somme visée par le certificat. Cependant, même si l’on admet que le certificat prévu à l’article 316 établit la réclamation, celui‑ci a été obtenu beaucoup trop tardivement. La société avait été dissoute plus d’un an auparavant. Le délai dans lequel le ministre devait agir selon la Loi était expiré.

 

[35]    Cette interprétation du paragraphe 323(2) appelle une autre observation. Avant même la dissolution, l’alinéa a) exige qu’il y ait eu défaut d’exécution du « jugement » de la Cour fédérale visé à l’article 316. L’on a tenté en l’espèce de prouver ce défaut au moyen de la lettre relative à l’absence d’actifs. Or, cette preuve n’est pas requise dans le cas d’une société dissoute. C’est la dette qu’il faut établir. Dans la présente affaire, le « jugement » visé à l’article 316 suffisait pour remplir les exigences fixées à l’alinéa b).

 

[36]    Je signale également qu’en l’espèce, le paragraphe 242(1) de la LSAO permet que des actions soient intentées contre des sociétés dissoutes, ce qui permettrait d’étayer la conclusion voulant que le tribunal soit valablement saisi du jugement contre la société, lequel procède de l’enregistrement du certificat à la Cour fédérale, comme élément de preuve établissant la réclamation. En outre, dans l’arrêt Moriyama c. Canada[10], la Cour d’appel fédérale laisse entendre que les exigences prévues au paragraphe 323(2) ne sont pas impératives, mais l’on pourrait avancer que, dans cette affaire, les exigences en questions avaient pour l’essentiel été remplies. Cela donnerait aussi à penser qu’il convient d’accorder à la Couronne une certaine latitude qui, en l’espèce, s’étendrait à l’acceptation du certificat de la Cour fédérale comme élément établissant la dette pour l’application de l’alinéa 323(2)b). Facteur plus important encore, je n’estime pas que l’arrêt Moriyama laisse entendre que le respect des délais de prescription prévus dans l’une ou l’autre des dispositions de l’article 323 n’est pas impératif.

[37]    Dans l’arrêt Moriyama, un relevé des pertes avait été déposé auprès du syndic de faillite dans le délai prévu, mais les montants de réclamations visant deux mois distincts n’avaient été transmis que plus d’un an après la faillite. Le juge de première instance dans l’affaire Moriyama a suivi l’arrêt Kyte c. La Reine[11], où le certificat enregistré contre la société avait été contesté parce qu’il ne faisait pas état de la somme exacte. Cet argument avait été rejeté sur le fondement que la disposition applicable était directrice et non impérative. Dans Moriyama, tant le juge de première instance que la Cour d’appel fédérale ont souscrit au raisonnement suivi dans l’arrêt Kyte pour arriver à la conclusion que le dépôt tardif d’un relevé modifié des pertes n’avait pas de conséquence grave. À mon avis, il faut par ailleurs considérer que ce consensus visait la partie de l’alinéa 323(2)b) relative à l’établissement du montant de la réclamation. Les tribunaux dans les deux décisions se sont montrés tolérants en ce qu’ils ont permis la modification des sommes. Cela est particulièrement pertinent compte tenu du fait que les administrateurs peuvent contester le montant de la cotisation sous‑jacente. Dans ces conditions, il est presque impératif de considérer que cet aspect de l’établissement de la réclamation ne fait pas obstacle à des modifications apportées après l’expiration du délai dans lequel la réclamation doit être établie, dans l’éventualité où le ministre estime que les modifications sont nécessaires.

[38]    Bien que mes conclusions dans le présent appel se fonderont sur l’analyse qui précède, il convient au préalable d’examiner d’autres questions et arguments soulevés devant la Cour.

 

2. Destruction de documents et cotisation sous‑jacente relative à la société

 

[39]    À titre subsidiaire, l’appelant nie, dans son avis d’appel, que la société soit responsable d’une dette au titre d’un quelconque montant de TPS. Il avance que l’intimée doit produire des éléments de preuve établissant comment le montant de la taxe sous‑jacente en litige a été calculé. L’appelant soutient en outre que l’intimée, lorsqu’elle a prématurément détruit certains documents pertinents à cette question en litige et a refusé de produire des documents demandés dans le cadre de l’interrogatoire préalable du représentant de l’intimée, l’empêche de se prévaloir de cette avenue subsidiaire, à savoir la contestation du montant de la taxe sous‑jacente due.

 

[40]    Je reconnais que l’appelant a le droit de contester la cotisation sous‑jacente[12] et qu’il doit par conséquent avoir droit à la communication des documents qui s’y rattachent.

 

[41]    L’intimée invoque un certain nombre de moyens en réponse à la thèse de l’appelant sur cette question. L’un d’eux concerne la question de savoir si la Cour est valablement saisie de la preuve relative au défaut de produire les documents demandés lors de l’interrogatoire préalable. Contrairement à ce que prévoit la Directive sur la procédure no 8 publiée par la Cour, l’appelant n’a pas donné d’avis préalable de son intention de consigner comme éléments de preuve certains extraits de l’interrogatoire préalable. Même si aucune opposition n’a été présentée à cet égard à l’audience, ce point a été soulevé dans les observations écrites remises après l’audience. Je signale toutefois qu’il me semble que l’intimée était bien au fait de la question. L’avocat de l’intimée savait que les documents demandés par l’appelant avaient été détruits et j’estime, dans les circonstances en l’espèce, qu’aucun préjudice ne sera causé si ces extraits sont consignés comme éléments de preuve.

 

[42]    Une autre réponse au défaut de l’intimée de produire les documents tenait au fait que ceux‑ci ne seraient d’aucune utilité pour contester les cotisations sous‑jacentes puisqu’ils se fondaient sur les déclarations produites. Cela n’a rien d’une réponse. Les cotisations « telles qu’elles ont été produites » sont tout autant susceptibles de contestation que les autres. Et elles le sont encore davantage en raison du fait que la cotisation sous‑jacente n’a jamais été contestée par la société. Les administrateurs dont la responsabilité est retenue en application de l’article 323 ont besoin de la présente tribune pour faire examiner cette cotisation.

 

[43]    L’intimée a également soutenu que la demande de documents était vague et se rapportait au processus de recouvrement. Ce n’est pas le cas selon moi. Les questions visaient à savoir pourquoi la cotisation avait été établie aussi tardivement et pourquoi le dernier document relatif au profil de la société était daté de 1998. Il y avait un engagement de produire les rapports subséquents, s’ils existaient. L’on avait en fait demandé tout ce qui figurait au dossier depuis la rencontre avec l’examinateur des fiducies et [traduction] « tout ce que l’ARC a dans ses dossiers relativement à la question de la TPS », et cette demande a été rejetée.

 

[44]    L’intimée a aussi tenté de justifier le défaut de produire les documents en alléguant que ceux‑ci avaient été détruits. Cette explication figurait dans l’affidavit du fonctionnaire de l’ARC qui n’a pas comparu comme témoin à l’audience. Une opposition fondée sur cette raison a été présentée relativement à la production de l’affidavit. Cependant, l’extrait de ce document que l’avocat de l’appelant voulait exclure portait sur le calcul de la taxe sous‑jacente. Comme il est mentionné plus haut, il existait un document informatisé faisant état de certains renseignements relatifs aux déclarations de TPS et un imprimé produit par ordinateur de ce document était joint à l’affidavit. Selon cet imprimé, la dette au titre de la taxe correspondait à la somme visée par la cotisation, comme il est énoncé dans la réponse à l’avis d’appel. En règle générale, ce genre de pièces commerciales est admissible[13]. De plus, j’estime que leur admission n’entraîne pas réellement de préjudice en l’espèce. L’appelant se serait retrouvé dans la même situation difficile que ce document informatisé ait été produit à l’interrogatoire préalable ou joint à la liste des documents de l’intimée. Je suis convaincu que la somme exigible visée par la cotisation se fondait sur les déclarations de TPS produites. Cela n’a toutefois pas pour effet de rendre celles‑ci inattaquables. Il s’agit pour l’appelant de la destruction et de la non‑production de documents susceptibles de l’aider à contester cette dette.

 

[45]    De même, l’extrait de l’affidavit touchant la destruction de documents concerne une pratique ministérielle que l’appelant, en réalité, condamne. S’appuyer sur ce genre de condamnation empêche son exclusion. L’avocat de l’intimée a ouvertement abordé cette question et j’accepte certains éléments d’information qu’il a précisés et qui sont énoncés dans l’affidavit.

 

[46]    L’affidavit mentionne que, dans le cours normal et habituel des activités de l’ARC, les déclarations de TPS et les cotisations y afférentes sont entreposées pendant cinq ans, puis détruites. Cette pratique me paraît inacceptable et, éventuellement, hautement préjudiciable aux administrateurs de sociétés.

 

[47]    De plus, je ne dispose d’aucun renseignement sur ce qui a été détruit et ce qui a été conservé. Les extraits de l’interrogatoire préalable du représentant de l’ARC consignés comme éléments de preuve donnent à penser que d’autres documents, outre les déclarations et les cotisations, ont peut‑être été détruits et, quoi qu'il en soit, les documents non détruits n’ont pas été communiqués à l’appelant. Dans son témoignage, le témoin de l’intimée a fait mention d’un volumineux dossier, lequel n’a jamais été mis à la disposition de l’appelant.

 

[48]    Lorsque des déclarations de TPS et des cotisations révèlent des omissions de versement, les documents relatifs à des litiges potentiels ne peuvent être détruits tant que ces litiges ne sont pas réglés ou que les délais de prescription applicables ne sont pas expirés. Les pièces produites par l’appelant montrent que des lettres lui ont été envoyées dès le mois d’août 2001 pour l’informer qu’il pourrait personnellement faire l’objet d’une cotisation visant des défauts de versement antérieurs de la société[14]. Or, il s’est écoulé plus de cinq ans avant que la cotisation frappée d’appel ne soit établie.

 

[49]    Ce retard de cinq ans soulève de sérieuses préoccupations quant à l’application du paragraphe 323(5). Si la thèse de l’intimée consiste à affirmer que les premiers administrateurs se trouvant dans la situation de l’appelant ne peuvent bénéficier de la protection qu’offre ce délai de prescription, tous les dossiers relatifs aux cotisations sous‑jacentes et aux raisons à l’origine des retards doivent alors être conservés et divulgués.

 

[50]    Bien que je n’approuve pas que l’appelant ait fait abstraction des obligations prévues par la loi auxquelles il a sans vergogne tenté de se soustraire, son témoignage n’est pas totalement dénué de crédibilité. Il a fait preuve de franchise au sujet des raisons à l’origine de sa démission et du fait que les versements n’avaient probablement pas été effectués comme auraient bien pu l’exiger les déclarations de taxe produites. Il était également crédible lorsqu’il a témoigné que seule une somme de 25 000 $ avait été recouvrée pour un projet de 150 000 $. Cette preuve pourrait bien faire en sorte qu’il soit nécessaire d’apporter des rajustements à la dette de la société. Les créances irrécouvrables visées ont‑elles été abordées dans le cadre de l’examen des fiducies? Nous ne saurons jamais si la conservation des documents et une meilleure divulgation auraient été utiles à l’appelant dans la présente affaire.

 

[51]    Sans contredit, l’appelant assume lui aussi une part de responsabilité en l’espèce. Il ne tenait aucun registre. La société n’a produit aucune opposition. Son témoignage n’est pas de nature telle qu’il puisse s’apparenter à une assertion selon laquelle les chiffres ne pouvaient tout simplement pas être exacts. Le simple fait que des documents ne sont pas disponibles ne peut entraîner l’annulation complète de la cotisation sous‑jacente, sauf s’il existe une quelconque raison, étayée par la preuve, de croire qu’ils auraient d’une façon ou d’une autre été utiles à l’appelant. Peut‑être lui faut‑il alors subir les conséquences de ses actes, mais la présente affaire soulève une préoccupation d’ordre systémique et procédural susceptible d’indiquer comment il y a lieu d’appliquer le paragraphe 323(5) en l’espèce. La destruction des documents dans un délai de cinq ans souligne la nécessité pour l’ARC de recourir à l’article 323 sans retard inexpliqué de plus de cinq ans entre la date de la production des déclarations et celle de l’établissement d’une cotisation fondée sur l’article 323. Le retard paraît énorme et pourrait jeter un tout autre éclairage sur la façon d’appliquer le paragraphe 323(5) en l’espèce.

 

Questions relatives à l’administrateur, démission et paragraphe 323(5)

 

[52]    L’intimée s’appuie sur le fait que l’appelant était un administrateur de droit, même après sa démission. L’avis d’appel soulève clairement la question de savoir si la démission soustrait l’appelant à sa responsabilité au titre de la dette. Selon la réponse à l’avis d’appel, la démission n’avait pas effet en raison du paragraphe 119(2) de la LSAO. L’article 119 était ainsi rédigé au moment pertinent :

 

Premiers administrateurs

119(1) Le mandat des administrateurs désignés dans les statuts commence à la date d’endossement du certificat de constitution et se termine à la première assemblée des actionnaires.

 

Démission

(2) Jusqu’à la première assemblée des actionnaires, la démission d’un administrateur désigné dans les statuts ne prend effet que si, au moment où sa démission doit prendre effet, un successeur a été élu ou nommé.

 

Pouvoirs et fonctions

(3) Les premiers administrateurs de la société désignés dans les statuts exercent les pouvoirs et les fonctions et assument les responsabilités des administrateurs.

 

[53]    La réponse énonce ensuite l’hypothèse voulant que l’appelant ait été le premier et unique administrateur de la société et qu’aucun successeur ou administrateur n’a jamais été élu ou nommé après la présumée démission de l’appelant. Cette hypothèse n’a jamais été réfutée. Par ailleurs, une hypothèse selon laquelle l’appelant n’a jamais tenu d’assemblée des actionnaires avant le 24 juillet 2005, soit deux ans avant la cotisation, est ostensiblement absente[15]. Ce fait est fondamental puisque la suspension d’une démission s’applique uniquement « jusqu’à la première assemblée des actionnaires ».

 

[54]    L’avocat de l’intimée n’a pas posé de questions à l’appelant sur ce point. En revanche, l’appelant n’a pas allégué qu’une telle assemblée a eu lieu. De fait, l’avocat de l’appelant a reconnu pendant la plaidoirie que la preuve ne faisait état d’aucune assemblée et, lorsque j’ai proposé que cela ait pu signifier qu’il n’existait aucun document établissant que la société ait été organisée, il a répondu : [traduction] « Oui, exactement. »

 

[55]    En conformité avec ce point de vue général, je signale que, dans la réponse à l’avis d’appel, il n’est pas allégué que l’appelant était actionnaire de la société. De fait, rien dans les actes de procédure ou la preuve présentée à l’instruction ne laisse entendre que c’était le cas. Par conséquent, j’accepte ce que les parties ont manifestement accepté, soit qu’aucune action n’a jamais été émise et qu’aucune assemblée des actionnaires n’a jamais été tenue. Il est donc inutile que je me prononce sur les exigences applicables pour établir quand une assemblée des actionnaires a lieu uniquement en vue de définir la responsabilité d’un premier administrateur. S’il avait été établi, ou même allégué, que l’appelant était un administrateur unique, il m’aurait alors peut‑être incombé de statuer sur une fort épineuse question de droit, à savoir en quoi consiste une assemblée d’un actionnaire unique[16]. Je fais en outre remarquer que, selon la LSAO, le ou les premiers administrateurs sont obligés de tenir une première assemblée des actionnaires au cours de laquelle il faut élire des administrateurs[17]. Comme il a omis de satisfaire à ces obligations, l’appelant s’est, dans les faits, privé de la possibilité de démissionner de sa charge d’administrateur de la société.

 

[56]    Quoi qu’il en soit, il est évident qu’une démission n’est valable et ne prend effet que lorsque les exigences prévues par la loi sont remplies. Comme l’a signalé la juge Campbell dans la récente décision Campbell c. La Reine[18] :

 

La jurisprudence établit clairement qu’un administrateur unique peut donner sa démission en remettant un avis écrit en ce sens à la société. Les lois provinciales régissant les sociétés peuvent par ailleurs prévoir d’autres exigences auxquelles un administrateur doit satisfaire pour que sa démission soit valable.

 

[…]

 

Lorsque des contribuables n’avaient pas rigoureusement satisfait aux exigences particulières applicables à la démission d’un administrateur en vertu des lois provinciales régissant les sociétés, les tribunaux ont jugé qu’ils étaient personnellement responsables au motif qu’ils n'avaient pas convenablement démissionné (Zwierschke c. M.R.N., no 89‑1633(IT), 22 novembre 1991 (C.C.I.), et Shepherd c. La Reine, no 2007‑3730(IT)I, 25 avril 2008 (C.C.I.)).

 

[57]    De même, dans la décision Zwierschke c. M.R.N.[19], la Cour a confirmé que le processus de démission visé au paragraphe 119(2) de la LSAO était obligatoire pour l’application des dispositions relatives à la responsabilité des administrateurs.

 

[58]    Il convient maintenant d’examiner la pertinence, le cas échéant, d’une conclusion selon laquelle l’appelant était aussi un administrateur de fait. Cet examen est justifié parce que la Cour doit se demander si la cessation de la responsabilité à titre d’administrateur de fait a des conséquences sur la responsabilité de ce dernier en sa qualité d’administrateur de droit. Ce point aura également une incidence sur l’application du paragraphe 323(5). Si je conclus que l’appelant était un administrateur de fait et responsable à ce titre, cette responsabilité aurait pris fin au début de 2003 ou 2004, soit deux ans après que la société eut cessé d’exercer quelconques activités[20]. Comme la cotisation n’avait pas été établie à cette époque, l’appelant ne serait pas responsable.

 

[59]    Même si l’avocat de l’appelant a soutenu que je ne devais pas conclure que l’appelant était un administrateur de fait, il fait peu de doute que l’appelant agissait en cette qualité. À l’appui de cette conclusion, il est utile de renvoyer à la décision Bremner c. Canada[21].

 

[60]    Dans cette décision, le juge en chef Rip (tel est maintenant son titre) devait se demander si un administrateur de fait avait cessé d’être un administrateur. Lorsqu’il a conclu que l’appelant dans cette affaire avait continué d’agir comme administrateur, il a formulé les observations suivantes :

 

26    […] Dans la présente affaire, le lien d’administrateur entre M. Bremner et Excel n’était pas rompu. Je reconnais qu’il peut être difficile pour l’unique actionnaire d’une société de délaisser les activités normalement dévolues à l’administrateur, mais si cette personne accomplit les tâches d’un administrateur, alors elle est administrateur. Dans le présent appel, les faits suivants, entre autres, appuient la conclusion selon laquelle M. Bremner a continué d’être administrateur de fait après le 1er septembre et en octobre 2000 : il était l’unique actionnaire d’Excel et la seule personne à avoir géré et supervisé Excel; aucun élément de preuve n’indique qu’il a informé des tiers, créanciers ou autres, à l’exception peut‑être de son fils, lequel n’a pas témoigné, qu’il ne se présentait plus comme un administrateur d’Excel; il a continué d’agir au nom d’Excel après septembre 2000, des paiements ayant notamment été faits pour le compte d’Excel au regard des arriérés de TPS.

 

[…]

 

28     Monsieur Bremner se présentait lui‑même comme administrateur d’Excel, même s’il n’en portait pas le titre, et a continué d’agir comme administrateur de fait après le 30 septembre 2000. Le fait qu’Excel a cessé ses activités au mois d’août n’est pas vraiment pertinent. Les administrateurs des sociétés ont des devoirs qui subsistent après la fin de l’exploitation de leurs activités. Monsieur Bremner s’est lui‑même chargé de voir à la liquidation ordonnée des activités commerciales et des affaires internes de la société, qui s’est poursuivie jusqu’en octobre 2000. [Non souligné dans l’original.]

 

[61]    Comme dans cette affaire, l’appelant en l’espèce a continué d’être présent au sein de la société au cours du processus de liquidation. Il était la seule personne à avoir dirigé et supervisé cette dernière. Même si son comptable savait qu’il avait présenté sa démission, rien dans la preuve ne permet de penser que d’autres personnes avec lesquelles la société a continué de faire affaires, comme les créanciers ou les clients, étaient au courant de sa démission. Il s’est chargé de liquider les affaires de la société en terminant les travaux que cette dernière avait entrepris et de recouvrer des sommes exigibles au titre des projets qu’elle avait terminés. Personne d’autre n’était là pour s’occuper du processus de liquidation. Il était un administrateur de fait selon la common law.

 

[62]    Il est intéressant de remarquer qu’il pourrait, pour la même raison, être aussi réputé avoir la qualité d’administrateur de droit sous le régime de la LSAO, peu importe sa situation de premier administrateur. En effet, le paragraphe 115(4) de la LSAO prévoit ce qui suit :

 

Si tous les administrateurs démissionnent ou sont destitués par les actionnaires sans être remplacés, quiconque dirige ou supervise les activités commerciales et les affaires internes de la société est réputé un administrateur pour l’application de la présente loi.

 

[63]    L’on aurait pu penser qu’un premier administrateur, à titre d’administrateur chargé des étapes initiales de la vie d’une personne morale, pourrait se soustraire à sa responsabilité une fois qu’un administrateur est nommé pour le remplacer, en conformité avec les dispositions législatives régissant le cas où quelqu’un d’autre prend effectivement la relève et s’occupe des étapes suivantes de l’existence de la société. Une interprétation stricte de la LSAO entraîne toutefois un résultat différent. La création législative d’un administrateur de remplacement, soit un administrateur de droit réputé au sens du paragraphe 115(4), s’applique uniquement lorsqu’un administrateur a démissionné et un premier administrateur ne peut démissionner à moins qu’un successeur n’ait « été élu ou nommé ». Or, un administrateur de droit réputé au sens du paragraphe 115(4) attend qu’un poste soit vacant et il n’est ni « nommé » ni « élu ».

 

Paragraphe 323(3) – Moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable

 

[64]    L’administrateur d’une personne morale n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement au titre du versement de la TPS que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. L’appelant s’appuie principalement sur la décision Cybulski v. Minister of National Revenue[22] de même que sur d’autres décisions dans lesquelles le tribunal renvoie à cette décision. Dans la décision Cybulski, la Cour a conclu ce qui suit après avoir signalé que la règle selon laquelle l’ignorance de la loi ne permet pas d’écarter la culpabilité d’une personne n’a aucune application dans le contexte du paragraphe 227.1(3) de la Loi de limpôt sur le revenu :

 

En adoptant le paragraphe 227.1(3), le Parlement a prévu une norme de conduite libératoire dont la présence s’apprécie selon les faits pertinents de chaque cas particulier et non en imputant au contribuable la connaissance d’un point du droit des sociétés passablement obscur que, dans les faits, un bon nombre de praticiens du droit ignorent probablement. Bien qu’au premier abord le paragraphe 227.1(3) semble exiger du contribuable qui en invoque l’application qu’il ait pris des mesures concrètes, cela n’est pas toujours le cas. Il peut arriver qu’un contribuable n’ait pas accompli de gestes précis, mais que l’on puisse considérer qu’il a exercé le degré de soin, de diligence et d’habileté attendu d’une personne raisonnablement prudente, qui fait naître l’exonération de responsabilité prévue au paragraphe en cause. C’est le cas en l’espèce. Je suis convaincu que l’appelant avait des motifs raisonnables de croire que la démission remise au président de la compagnie et acceptée par ce dernier rompait les liens qui le rattachaient à la compagnie à titre d’administrateur et de secrétaire‑trésorier, et mettait fin à la responsabilité qu’il assumait à cet égard. Il n’est donc pas responsable du défaut de la compagnie de remettre les retenues à la source, d’autant plus qu’en l’espèce, la personne effectivement chargée de la direction des affaires a empêché l’appelant d’exercer toute influence sur la gestion de la compagnie après qu’il a remis sa démission[23]. [Non souligné dans l’original.]

 

[65]    Dans la décision Cybulski, le contribuable avait cessé toute activité afférente à la société après sa démission. La Cour était convaincue non seulement qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’il avait coupé ses liens avec la société, c’est‑à‑dire qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’il n’était plus un administrateur de la société, mais également qu’il s’était, dans les faits, dégagé de toutes ses responsabilités en laissant celles‑ci entre les mains du président de la société, M. Skuce. Ce dernier avait fait en sorte qu’il soit impossible pour le contribuable de jouer un quelconque rôle dans les affaires de la société :

 

Après le 1er mai 1984, l’appelant n’a joué aucun rôle dans les activités de la compagnie puisqu’il croyait avoir mis fin à la responsabilité qu’il assumait à son égard et qu’en outre, M. Skuce rendait impossible toute action de sa part. Leur amitié était terminée et l’appelant était devenu « l’intrus ». Chaque conversation qu’il avait avec M. Skuce aboutissait à des menaces proférées par ce dernier. Ses tentatives d’obtenir des renseignements généraux sur la situation de la compagnie n’obtenaient aucun résultat. Il s’entretint à deux occasions avec la commis comptable, mais elle ne fit que le diriger vers M. Skuce[24]. [Non souligné dans l’original.]

 

[66]    Dans cette affaire, le contribuable appelant, alors qu’il agissait comme dirigeant et administrateur, avait veillé à ce que les versements soient effectués mais, à partir du moment où il avait tenté de démissionner de son poste d’administrateur, toutes ses responsabilités lui avaient été retirées. En l’espèce, l’appelant était présent à tous les moments pertinents après sa démission alléguée. Sa croyance selon laquelle il ne jouissait d’aucun pouvoir n’est pas compatible avec ses actes, qui visaient à continuer de terminer les travaux entrepris par la société et de recouvrer les sommes dues au titre de projets de la société. De même, des déclarations de TPS ont été produites pour la période en cause. Cela montre que l’on gérait un certain nombre d’activités commerciales. Les affaires de la société étaient dirigées, même si la société était en voie de liquidation et si l’appelant était le seul à jouer ce rôle. Non seulement ne l’a‑t‑on pas empêché d’exercer un contrôle, contrairement au contribuable dans l’affaire Cybulski, mais ce contrôle ressort de sa présence et de son intérêt dans la liquidation des affaires de la société. Il avait la possibilité de prendre des mesures concrètes pour s’assurer que les obligations en matière de versement soient remplies. Il n’a certainement pas réussi à prouver le contraire. Je ne suis pas convaincu qu’il a exercé le degré de soin, de diligence et de compétence attendu d’une personne raisonnablement prudente possédant ses connaissances et son expérience.

 

[67]    En réalité, comme je l’ai déjà mentionné, l’appelant ne se souciait pas de l’importance des versements à l’ARC. Il a admis qu’il était fort possible que les omissions de versement de la société aient été aussi importantes que ce qui a été allégué. Il s’est arrêté à sa croyance selon laquelle il n’avait aucune responsabilité, mais il a néanmoins continué de diriger la société pendant sa liquidation au bénéfice de cette dernière ou de lui‑même sans se préoccuper des obligations qui lui incombaient selon la loi. Le fait qu’il ignorait jouir du pouvoir légal de régler ces questions et que d’autres personnes placées dans la même situation l’auraient tout autant ignoré ne suffit pas à lui prêter le degré d’innocence nécessaire qu’exige une défense fondée sur la diligence raisonnable. Invoquer une présumée démission, laquelle aurait selon lui pour effet de priver une entité en exploitation d’un quelconque responsable pour la diriger et, parallèlement, se charger de la liquidation des affaires de cette entité équivaut à sciemment et intentionnellement fermer les yeux sur des obligations dont il connaissait l’existence. Il savait que les obligations de la société en matière de versement de la taxe n’étaient pas remplies et il n’a rien fait. Il ne peut se prévaloir de la décision Cybulski dans de telles circonstances.

 

Conclusions

 

[68]    La thèse de l’intimée, qui s’appuie sur le mandat et la responsabilité continus de l’appelant à titre de premier administrateur d’une société dissoute, n’est pas des plus convaincantes en l’espèce compte tenu des cinq années qui se sont écoulées avant que l’ARC n’établisse à l’égard de l’appelant une cotisation relative aux omissions de versement de la société. Néanmoins, deux délais de prescription sont susceptibles de s’appliquer dans la présente affaire. Lorsque la société a été dissoute en 2006, l’appelant a cessé d’en être le dirigeant, et le délai fixé au paragraphe 323(5) est de deux ans suivant la date de la dissolution[25]. La cotisation a été établie avant l’expiration de ce délai. Le deuxième délai, qui est de six mois suivant la dissolution selon l’alinéa 323(2)b), n’a pas, à mon avis, été respecté.

 

[69]    J’estime que les trois exigences prévues au paragraphe 323(2) doivent être interprétées comme si elles s’excluaient mutuellement. C’est‑à‑dire qu’à mon sens, le paragraphe 323(2) fait état de trois situations qui ne peuvent exister simultanément. Selon les faits de chaque affaire, le ministre est tenu de prendre des mesures en conséquence. Dans le cas d’une société dissoute, comme en l’espèce, les mesures doivent être prises dans le délai prescrit à l’alinéa 323(2)b).

 

[70]    Comme il est précisé plus haut, je suis au fait des précédents dans lesquels les tribunaux ont pris en compte le problème qu’éprouverait le ministre, selon eux, au moment de prouver la responsabilité sous‑jacente de la société dans le cas d’une dissolution volontaire. Or, j’estime que le problème n’existe pas réellement et que l’exigence prévue par la disposition pertinente est très claire. Même si l’alinéa 323(2)a) de la Loi fait explicitement mention de l’article 316, l’application de cette dernière disposition ne se limite pas aux situations visées à l’alinéa 323(2)a). L’article 316 offre une méthode tout aussi valable pour établir une dette dans le cas d’une dissolution volontaire que ne le sont d’autres méthodes applicables en cas de dissolution involontaire. Le ministre a pour l’essentiel respecté les dispositions de l’alinéa 323(2)b) si ce n’est qu’il a agi tardivement. L’alinéa 323(2)b) vise exactement les circonstances de la présente affaire et il n’y a pas lieu de faire abstraction du délai de prescription qui y est prévu. J’ai déjà examiné dans les présents motifs certaines décisions qui laissent entendre le contraire et j’estime qu’elles doivent être restreintes à leurs faits particuliers pour les raisons que j’ai exposées plus haut.

 

[71]    L’application de ce délai de prescription en l’espèce fait en sorte qu’il m’est inutile de trancher, mais pas d’examiner, le problème que soulèvent les pratiques ministérielles suivies par l’ARC en matière de conservation de documents et les défauts de divulgation de l’intimée. Il peut se révéler hautement préjudiciable de détruire des documents avant que des litiges visant des dettes aient été réglés de manière définitive. De fait, dans la présente affaire, il semble que des dossiers ont été détruits avant l’établissement de la cotisation. C’est‑à‑dire que des déclarations produites le 24 janvier 2002 auraient été détruites avant le 24 janvier 2007, soit quelque six mois avant que la cotisation ne soit établie à l’égard de l’appelant. Cela occasionne notamment certaines difficultés pour ce qui est d’établir les hypothèses formulées dans le cadre des cotisations sous‑jacentes établies à l’égard de la société. Dans une affaire en instance devant la Cour, l’on a d’ailleurs présenté une requête afin d’obtenir qu’un appel soit accueilli pour cette raison[26]. Bien qu’il ait laissé entendre qu’il serait préférable de laisser ce genre de questions à l’appréciation du juge siégeant à l’instruction, le juge Paris a rejeté la requête après s’être demandé si l’intimée, en détruisant des documents, avait manqué à son devoir d’agir équitablement et s’il existait des éléments de preuve donnant à penser que les documents auraient été utiles au contribuable. Même s’il n’y était pas question de destruction systémique de documents, cette décision laisse entendre que la Cour pourrait être justifiée, si les circonstances s’y prêtent, de faire droit à un appel lorsque l’ARC a omis de conserver des documents éventuellement pertinents et que des litiges auxquels ceux‑ci se rapportent sont encore possibles. Cependant, tenter d’obtenir un jugement sur ce fondement obligerait les avocats à procéder à un examen approfondi de la jurisprudence pertinente. Dans l’affaire dont je suis saisi, l’on ne m’a guère présenté davantage qu’une plainte. Quoi qu’il en soit, je signale que, même s’il n’y a eu aucune destruction délibérée de documents en l’espèce ni aucune intention d’entraver l’appel de l’appelant, il me paraît opportun d’exprimer certaines inquiétudes à l’égard des pratiques suivies par l’ARC en matière de conservation des documents. Dans les présentes circonstances, les documents doivent être conservés plus longtemps ou l’ARC doit agir plus rapidement.

 

[72]    En ce qui concerne les omissions de divulgation, je crois que l’appelant aurait dû obtenir la communication préalable des documents qui se trouvaient en la possession de l’ARC. Ces documents auraient pu fournir un moyen de contestation de la cotisation sous‑jacente. Le fait que l’appelant puisse maintenant être privé de la possibilité de soulever ce point parce qu’il a omis de demander une ordonnance de production de documents avant l’instruction ne me paraît pas une raison suffisante pour taire les préoccupations que soulèvent ces refus de la Couronne.

 

[73]    Quoi qu’il en soit, l’appel est accueilli avec dépens, car le délai dans lequel le ministre doit établir la cotisation suivant l’alinéa 323(2)b) n’a pas été respecté.

 

 

          Signé à Calgary (Alberta), ce 27e jour de janvier 2011.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’avril 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 35

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-2663(GST)G

 

INTITULÉ :                                       Stephen Savoy c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 27 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jeffrey Radnoff

 

Avocat de l’intimée :

Me Shatru Ghan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Jeffrey Radnoff

 

                          Cabinet :                  Radnoff Law Offices

                                                          Avocats

                                                          701-375, avenue University

                                                          Toronto (Ontario)

                                                          M5G 2J5

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Subséquemment modifié par L.C. 2005, ch. 30, art. 24, en vigueur au 29 juin 2005.

[2] L’avocat de l’appelant a à nouveau signalé l’omission de l’intimée de produire les documents demandés au moment de l’interrogatoire préalable. Il s’est encore opposé au renvoi à des notes rédigées par un tiers qui n’ont pas été produites malgré une demande d’engagement de produire les documents.

 

[3] 2009 CCI 557, 2009 DTC 1372.

 

[4] La juge Sheridan n’a renvoyé à aucune décision à l’appui de cette conclusion, et elle n’avait pas à le faire. Ce fait est généralement reconnu et, s’il était nécessaire d’invoquer un précédent sur ce point, ce pourrait être la décision Anchor Pointe Energy Ltd. c. La Reine, 2006 CCI 424, par. 21, infirmée pour d’autres motifs, 2007 CAF 188.

 

[5] La décision Walsh portait sur la responsabilité des administrateurs suivant l’art. 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les dispositions sont identiques à celles examinées en l’espèce.

[6] La lettre n’a pas été mise en preuve sous serment ni par un affidavit et elle n’a pas été dûment divulguée comme pièce à l’appui. Aucune des dispositions de l’art. 89 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) relatives à l’admission de documents ne permet qu’un document non divulgué soit admis, sauf directive contraire de la Cour. Quant à la question de l’absence d’un témoin attestant du contenu de la lettre, ni la Loi ni la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, n’assortissent la règle du ouï‑dire d’une exception permettant l’admission d’un tel document. Il ne s’agit pas d’un document judiciaire ou public ni d’une pièce commerciale.

 

[7] [2001] GSTC 91, [2001] ACI no 453, par. 20.

 

[8] 91 DTC 1037.

 

[9] Dans un très bref jugement, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision Kennedy rendue par le tribunal de première instance. Elle a simplement souscrit au raisonnement suivi par le juge de première instance. Voir 92 DTC 6380. La décision Kennedy a également été appliquée dans Pozzebon v. The Queen, 98 DTC 1940. Il n’en demeure pas moins qu’une analyse plus approfondie s’impose.

 

[10] 2005 CAF 207.

 

[11] (1996), 97 DTC 5022 (C.A.F.).

 

[12] Voir la décision Scavuzzo c. La Reine, 2005 CCI 772, 2006 DTC 2136, où la Cour a suivi l’arrêt Gaucher v. Canada, 2000 DTC 6678, de la Cour d’appel fédérale. Au par. 6 de cet arrêt, la Cour d’appel a appliqué une règle relevant de la justice naturelle selon laquelle une personne non partie à une instance ne saurait être liée par le jugement qui y est prononcé à l’égard d’autres parties. Voir également la décision Vrsic c. La Reine, 2010 CCI 127.

[13] Les art. 26 et 30 de la Loi sur la preuve au Canada et le par. 335(5) de la Loi permettent tous l’admission de cet extrait de l’affidavit et des pièces produites par ordinateur qui y sont jointes.

 

[14] Il s’agit vraisemblablement de défauts de versement antérieurs puisque les omissions de versement visées en l’espèce touchent des déclarations produites en janvier 2002. Si l’on suppose, évidemment, que le document d’entrée figurant sur les imprimés produits par ordinateur est exact. Néanmoins, j’accepte la pièce commerciale même si son admissibilité a été contestée.

 

[15] L’avis d’appel se fonde sur le délai de prescription de deux ans même s’il ne mentionne jamais expressément le par. 323(5) et ne comporte aucun argument final visant cette disposition en soi. Cependant, les arguments finals reposaient implicitement sur cette disposition et, au début du contre‑interrogatoire de l’appelant, l’avocat de l’intimée a tenu à préciser que l’une des questions en litige intéressait le caractère effectif de la démission, qui a une pertinence particulière au regard du par. 323(5).

 

[16] Voir l’ouvrage de Bruce Welling intitulé Corporate Law in Canada: The Governing Principles, 3e édition, 2006, à la page 474 : [traduction] « Par définition, une assemblée désigne la réunion de deux ou plusieurs personnes. Une personne seule ne peut s’assembler à moins que la loi applicable ou les statuts constitutifs de la société ne le prévoient. » Le par. 101(4) de la LSAO dispose que, « [s]i la société n’a qu’un actionnaire ou n’a qu’un détenteur d’une seule catégorie ou série d’actions, l’assemblée peut être tenue par cet actionnaire ou ce détenteur ou par son fondé de pouvoir. » À mon sens, cela n’est pas d’une grande utilité, en particulier en ce qui concerne la responsabilité d’un premier administrateur susceptible d’avoir été « remplacé » par un administrateur de fait.

 

[17] LSAO, art. 94 et par. 119(4).

 

[18] 2010 CCI 100, 2010 DTC 1090, par. 20 et 22.

 

[19] [1991] 2 C.T.C. 2783, 92 DTC 1003.

 

[20] Comme j’ai admis en preuve l’affidavit du fonctionnaire de l’ARC, je signale que les déclarations de taxe produites en janvier 2002 pourraient bien avoir fait subsister la qualité d’administrateur de fait jusqu’à ce moment. Voir le paragraphe 8 de l’arrêt Bremner c. Canada, de la Cour d’appel fédérale, auquel je renvoie plus loin dans les présents motifs. Dans cet arrêt, le juge Ryer a clairement établi que n’importe quel acte, y compris l’envoi d’une lettre à l’ARC, fait subsister la présumée qualité d’administrateur (de fait). Dans la présente affaire, l’appelant n’a répondu à aucune des lettres de l’ARC ni de la Direction des compagnies du gouvernement ontarien. La production des déclarations en janvier 2002 constitue, à la lumière de la preuve, le plus récent acte susceptible d’être attribué à l’appelant.

 

[21] 2007 CCI 509, conf. par 2009 CAF 146.

[22] 88 DTC 1531, [1988] 2 C.T.C. 2180. Dans cette affaire, l’on a également renvoyé, comme l’a fait l’avocat de l’appelant en l’espèce, à l’al. 121(1)a) de la LSAO relatif aux démissions. Cependant, cette disposition est manifestement assujettie au par. 119(2) de ce texte législatif. L’al. 121(1)a) n’a donc aucune pertinence dans le présent appel.

 

[23] Page 1535.

 

[24] Page 1533.

 

[25] Voir la décision Aujla c. R., 2007 CCI 764, par. 10, conf. par 2008 CAF 304.

[26] White c. La Reine, 2009 CCI 539.

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