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Dossier : 2009-2238(IT)G

ENTRE :

SYLVIE LACROIX,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 4 février 2011, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Chantal Donaldson

 

Avocats de l'intimée :

Me Mélanie Sauriol et Me Boyd Aitken

 

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2005 est rejeté, sans frais; le dossier de l'appelante devra être retourné à l'Agence du revenu du Canada pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelante est redevable d’un montant de 13 966,68 $, en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de février 2011.

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 111

Date : 2011 02 18

Dossier : 2009-2238(IT)G

ENTRE :

SYLVIE LACROIX,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté sous le régime de la procédure générale à l’encontre d’une cotisation au montant de 13 966,68 $ établie à l’égard de l’appelante par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu  (la « LIR ») pour l’année d’imposition 2005.

 

[2]              Les faits sont relativement simples et bien exprimés par les procédures écrites dans le dossier, d’où il y a lieu de reproduire le contenu de l’Avis d’appel et de la Réponse à l’avis d’appel.

 

[3]              Les faits pertinents à l’Avis d’appel sont les suivants :

 

1.        Le 18 septembre 2007, l’Intimée délivrait à l’Appelante un avis de cotisation concernant l’année d’imposition 2005 pour un montant total de 15 000,00 $, alléguant que l’Appelante était responsable en vertu du paragraphe 160 (1) de la Loi de l’impôt sur le revenu  à l’égard d’un prétendu transfert fait le 8 février 2005 de Denis Lacroix à l’Appelante au même montant, le tout tel qu’il appert d’une copie dudit avis de cotisation, pièce R‑1;

 

2.        Le 13 novembre 2007, l’Appelante déposa un avis d’opposition à l’encontre dudit avis de cotisation en faisant parvenir au Chef des appels un avis d’opposition, tel qu’il appert d’une copie dudit avis d’opposition, communiqué comme pièce R‑2;

 

3.        Le 3 avril 2009, une décision sur opposition fut rendue par l’intimée, ratifiant ledit avis de cotisation selon le paragraphe 1653) de la Loi de l’impôt sur le revenu, tel qu’il appert d’une copie de ladite décision sur opposition, communiquée comme pièce R‑3;

 

4.        L’Appelante soumet que les hypothèses sur lesquelles repose la décision de l’Intimée sont totalement erronées et déraisonnables et les conditions de l’application de l’article 160 (1) Loi de l’impôt sur le revenu ne sont pas rencontrées;

 

5.        En février 2005, le frère de l’Appelante, Monsieur Denis Lacroix, encaissa son compte de Régime d’épargne-enregistrement (REER) au montant de 31 000,00 $;

 

6.        À la demande de Monsieur Lacroix, l’Appelante consentit à déposer ledit montant de 31 000,00 $ dans son compte d’épargne à la Banque Alterna. Ainsi, elle a déposé la somme de 16 000,00 $ en date du 3 février 2005 et la somme de 15 000,00 $ en date du 11 février 2005.

 

7.        Le 18 avril 2006, toujours à la demande de son frère, l’Appelante retira la somme de 16 000,00 $ de son compte bancaire et la versa en totalité à son frère;

 

8.        En avril 2006, ledit montant de 16 000,00 $ fut utilisé par Monsieur Lacroix afin de payer son impôt dû à l’Agence du revenu du Canada;

 

9.        Le frère de l’Appelante a également utilisé personnellement en totalité la balance de 15 000,00 $ et ce durant la période du 31 août 2005 au 30 juin 2006, tel qu’il appert d’une analyse détaillée du compte bancaire de l’Appelante, jointe à l’avis d’opposition pièce R‑2;

 

10.    L’Appelante soumet qu’elle a tout simplement accepté d’agir à titre de prête‑nom pour son frère au moment où ce dernier éprouvait des difficultés financières;

 

11.    En effet, aucun « transfert de biens » au sens de la loi n’a eu lieu en faveur de l’Appelante par Monsieur Denis Lacroix;

 

12.    De plus, l’Appelante n’a utilisé aucun montant d’argent à des fins personnelles et n’a aucunement profité et/ou bénéficié de l’argent de Monsieur Denis Lacroix;

 

13.    Le prétendu transfert est en réalité un prêt qui fut remboursé en totalité par l’Appelante à son frère;

 

14.    Le prétendu transfert d’argent n’a eu aucun avantage pour l’Appelante;

 

15.    L’Appelante n’a jamais considéré l’argent déposé dans son compte bancaire comme étant sa propriété et en ce sens elle n’est pas « bénéficiaire » du prétendu « transfert des biens »;

 

16.    Lorsque l’Appelante effectuait des transactions bancaires, elle agissait toujours à titre de mandataire au profit et pour le compte de son frère;

 

17.    Suite à l’entente verbale entre l’Appelante et son frère, l’Appelante n’avait aucun droit d’utiliser l’argent déposé dans son compte bancaire;

 

18.    Tous les retraits du compte bancaire ont été effectués par l’Appelante avec la connaissance et à la demande expresse de son frère;

 

19.    Toutes les sommes d’argent retirées par l’Appelante dudit compte bancaire ont été remises en personne à son mandant;

 

20.    Ainsi, même si l’Appelante avait le pouvoir de retirer les sommes d’argent de son compte épargne, dans les rapports internes avec son frère elle n’avait plus de droits qu’un simple mandataire et était obligée de rendre compte à son mandant et de lui remettre les sommes retirées en totalité;

 

21.    Par conséquent, même à supposer qu’un transfert de bien au montant de 15 000,00 $ a eu lieu, l’Appelante a donné une contrepartie au montant de 15 000,00 $ à son frère en lui remettant tout argent en totalité comme si le transfert n’a jamais eu lieu;

 

22.    En acceptant de déposer l’argent de Monsieur Lacroix dans son compte bancaire et par la suite d’agir à titre de prête nom et de mandataire pour son frère, l’Appelante n’avait aucune intention de frauder le fisc ou de comploter avec son frère pour ce faire;

 

23.    L’avis d’appel est bien fondé en faits et en droit;

 

 

[4]              Les faits tel que décrits à la Réponse à l’avis d’appel :

 

1.                  Il admet les paragraphes 1, 2 et 3 de l’avis d’appel et précise que l’avis d’opposition dont il est fait mention au paragraphe 2 a été reçu le 14 novembre 2007.

 

2.                  Il nie les faits allégués au paragraphe 4 de l’avis d’appel.

 

3.                  Il admet les faits allégués au paragraphe 5 mais tient à préciser que le montant brut retiré du Régime d’épargne‑enregistrement (REER) par Denis Lacroix était de 45 000,00 $, alors que le montant net après impôt était de 31 000,00 $.

 

4.                  Il ignore les faits allégués à la première phrase du paragraphe 6. Il admet que le montant net de 31 000,00 $ retiré du REER de Denis Lacroix a été déposé au compte de banque de Sylvie Lacroix à la Caisse Alterna (Alterna Savings). Il admet que ledit montant a été déposé par le moyen de deux dépôts distincts, le premier dépôt de 16 000,00 $ ayant été fait le 3 février 2005 et le deuxième dépôt de 15 000,00 $ ayant été fait le 11 février 2005. Il ignore si le déposant était Denis ou Sylvie Lacroix. Il ignore les autres faits mentionnés et charge l’appelante de leur preuve.

 

5.                  Il prend note des faits allégués aux paragraphes 7 et 8 de l’avis d’appel et admet seulement qu’un montant de 16 000,00 $, retiré du compte de l’appelante le 30 avril 2006, a été utilisé pour repayer une partie de la dette fiscale de Denis Lacroix envers l’Agence du revenu du Canada. Il admet que ce montant n’a pas été pris en compte dans le calcul du montant transféré en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR).

 

6.                  Il nie les faits allégués aux paragraphes 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21 et 23.

 

7.                  Il admet que l’appelante avait le pouvoir de retirer les sommes d’argent déposées à son compte d’épargne et provenant du REER de Denis Lacroix, tel que mentionné au paragraphe 20 de l’avis d’appel. Il nie tous les autres faits et conclusions allégués à ce paragraphe.

 

8.                  Il admet que l’appelante a accepté de déposer l’argent de Denis Lacroix dans son compte bancaire, tel que mentionné au paragraphe 22 de l’avis d’appel. Il nie tous les autres faits et conclusions allégués à ce paragraphe.

 

9.                  En date du 18 septembre 2007, le ministre a émis, au nom de l’appelante, l’avis de cotisation portant le numéro 46829 en application de l’article 160 de la LIR.

 

10.              Le ou vers le 14 novembre 2007, l’appelante logeait un avis d’opposition à l’encontre de l’avis de cotisation mentionné au paragraphe 9.

 

 

11.              Le ou vers le 3 avril 2009, le ministre ratifiait ledit avis de cotisation.

 

12.              En établissant la cotisation en litige, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

 

a)                  Denis Lacroix est le frère de l'appelante;

 

Compte bancaire

 

b)                  Au moment des faits relatés ci-dessous, l’appelante avait un compte de banque;

 

c)                  Ledit compte de banque était un compte d’épargne avec la Caisse Alterna (Alterna Savings);

 

d)                  Ledit compte de banque était uniquement au nom de l’appelante;

 

e)                  L’appelante était la seule à pouvoir faire un retrait dudit compte de banque;

 

Premier transfert

 

f)                    En février 2005, Denis Lacroix a encaissé son REER;

 

g)                  Le montant brut encaissé était de 45 000,00 $;

 

h)                  Le montant net après impôt encaissé par Denis Lacroix était de 31 000,00 $;

 

i)                    Le 3 février 2005, un dépôt a été fiat dans le compte de banque de l’appelante;

 

j)                    Ce dépôt était d'un montant de 16 000,00 $;

 

k)                  Ce montant de 16 000,00 $ provenait du REER de Denis Lacroix;

 

Deuxième transfert

 

l)                    En date du 8 février 2005, Denis Lacroix a fait émettre une traite bancaire de 15 000,00 $ à Sylvie Lacroix;

 

m)                Le 11 février 2005, un deuxième dépôt a été effectué au même compte de banque de l’appelante;

 

n)                  Ce deuxième dépôt était d’un montant de 15 000,00 $;

 

o)                  Le montant déposé provenait du REER de Denis Lacroix;

 

Valeur du bien transféré

 

p)                  Le 18 avril 2006, Denis Lacroix a déclaré faillite;

 

q)                  Le 18 avril 2006, un montant de 16 000,00 $ a été retiré du compte de banque de l’appelante;

 

r)                   Le montant retiré a servi à réduire la dette fiscale de Denis Lacroix;

 

s)                   Un avantage de 15 000,00 $ a été conféré à l’appelante;

 

t)                    Ce montant de 15 000,00 $ n’a pas été remis à Denis Lacroix;

 

u)                  Ledit montant n’a pas servi à l’achat de biens ou services pour Denis Lacroix;

 

v)                  Ledit montant a été utilisé par l’appelante pour des fins personnelles;

 

w)                L’appelante n’a pas donné de contrepartie en échange de l’argent provenant du REER de Denis Lacroix;

 

x)                  L’avis de cotisation numéro 46829 a été émis le 18 septembre 2007;

 

y)                  L’appelante est cotisée en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la somme de 15 000,00 $; et

 

z)                   Au moment de l’émission de l’avis de cotisation, Denis Lacroix avait une dette fiscale en vertu de la LIR s’élevant à 125 692,48 $ pour les années d’imposition 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2005.

 

[5]              Les faits révélés par la preuve sont cependant aussi utiles d’où il y a lieu d’en faire un résumé :

 

Témoignage de l’appelante et de Denis Lacroix

 

[6]              L’appelante a témoigné ainsi que son frère Denis Lacroix, le débiteur fiscal à l’origine des faits ayant généré l’application de l’article 160 de la Loi.

 

[7]              Lors de son témoignage, l’appelante a essentiellement affirmé n’avoir reçu aucun avantage de quelque nature que ce soit suite aux dépôts à l’origine de l’avis de cotisations.

 

[8]              Elle a d’abord expliqué avoir déposé 31 000 $ à la demande de son frère, Denis Lacroix, et cela, sans entente expresse quant à l’utilisation de cette somme. Elle n’a donc pas posé de questions à son frère puisqu’elle avait confiance en lui.

 

[9]               Elle a également affirmé ne pas être au courant des problèmes financiers que celui‑ci éprouvait à l’époque, si ce n’est qu’il avait eu un problème avec son institution financière.

 

[10]         Selon elle, elle n’avait pas à questionner les intentions de son frère, se limitant à être heureuse de pouvoir lui rendre service étant donné que leur relation en était une caractérisée par le respect, l’harmonie et la confiance. À cet effet, elle a beaucoup insisté pour affirmer qu’elle n’avait pas aidé son frère, mais, plutôt, lui avait rendu service.

 

[11]         Par la suite, elle a expliqué qu’elle possédait trois comptes bancaires distincts : le premier intitulé « Épargne 01 » qui est utilisé pour ses fins personnelles et un deuxième compte « Épargne 02 » (ci-après « compte bancaire ») utilisé pour les retraits de Denis Lacroix et un troisième pour une marge de crédit.

 

[12]         L’appelante a affirmé que presque tous les retraits bancaires ont été effectués à la demande expresse de Denis Lacroix. Elle a indiqué, qu’à  chaque fois, que son frère avait besoin d’argent, elle le rencontrait au guichet pour retirer les sommes dont il avait besoin et elle les lui remettait par la suite. Lorsqu’elle ne pouvait pas, son frère allait au guichet seul pour effectuer les retraits avec sa carte de débit.

 

[13]         Elle a affirmé avoir fait un virement le 31 août 2005 après avoir obtenu la permission de son frère ; il s’agissait d’un montant requis pour le paiement d’une police d’assurance dans le cadre d’un voyage de sa fille. Elle a plus tard remboursé le montant.

 

[14]         Elle a soumis plusieurs explications précises quant aux opérations du compte bénéficiaire des transferts totalisant 31 000 $. Lors d’un retrait important, elle a demandé à son frère le pourquoi; ce dernier lui a indiqué qu’il voulait faire l’acquisition d’une caméra dans le cadre de la réorientation de sa carrière.

 

[15]         Le 18 avril 2006, à la demande de Denis Lacroix, son frère, l’appelante lui a remis un chèque de 16 000$ (pièce A-3); l’intimée reconnaît que ce montant a servi au paiement partiel de la dette fiscale de Denis Lacroix. Elle a donc pris en compte le paiement dans le calcul de la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la LIR.

 

[16]         Denis Lacroix est venu confirmer le témoignage de l’appelante quant au déroulement des retraits et à l’absence de conditions à l’égard des sommes déposées sur le compte bancaire. Il a essentiellement affirmé que tous les retraits effectués au guichet ont été faits à sa demande.

 

[17]         Questionné sur les circonstances qui l’ont poussé à remettre les 31 000 $ provenant de son REER à l’appelante, il a affirmé qu’il « n’avait pas d’autre option » et qu’il « ne savait pas où déposer son argent » puisqu’il éprouvait alors de graves problèmes financiers. Son salaire était saisi à cause d’importantes dettes fiscales.

 

[18]         C’était également pour cette raison qu’il n’avait pas produit de déclaration pour les années d’imposition 1999 à 2005 inclusivement. Il a expliqué qu’il n’était pas très discipliné dans la gestion de ses affaires. Il a affirmé avoir manifesté une certaine indifférence quant à ses obligations fiscales. Suite aux mesures de recouvrement initiées par les autorités fiscales, sa qualité de vie s’est considérablement détériorée au point qu’il recevait à peine 22 % de son salaire. Il a aussi expliqué que son institution bancaire avait remis au fisc des montants sans droit. Pour toutes ces raisons, il voulait éviter que les montants de son REER lui échappent.

 

[19]         À ce moment, il a demandé à sa sœur, l’appelante si elle pouvait déposer l’argent de son REER dans son compte bancaire personnel. Sans poser de question, cette dernière a accepté. Il ne lui a pas donné d’instructions ou directives particulières quant à l’utilisation de ces sommes.

 

Question en litige

[20]         Il s’agit de déterminer si l’appelante est solidairement responsable du paiement d’une somme de 13 966 $ au titre de la dette fiscale de Denis Lacroix en vertu de la LIR à l’égard des années d’imposition 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2005, conformément à l’article 160 de la LIR.

 

La position de l’appelante

[21]         L’appelante soutient qu'il n’y a pas eu transfert puisqu’elle agissait soit comme prête‑nom soit comme mandataire de son frère lorsque ce dernier a déposé les sommes dans son compte bancaire. Pour soutenir ses prétentions, l’appelante s'appuie sur la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l'arrêt Gambino c. R. [2009] 3 C.T.C. 2129 (CCI).

 

[22]         Elle soumet que pour constituer un « transfert », le bien doit faire l’objet d’un changement de patrimoine ce qui, souligne-t-elle, ne s'est jamais produit. Il s'ensuit, selon l'appelante, qu'il n'y a pas eu transfert de biens et qu'elle n'a pas acquis les sommes déposées puisque celles-ci sont demeurées dans le patrimoine de son frère.

 

[23]         L’appelante soumet qu’elle ne pouvait pas dépenser l’argent comme elle le voulait. Même si elle pouvait se servir de l’argent déposé sur son compte bancaire à sa guise, elle n’avait pas le droit de le faire. Elle ajoute que si elle n’avait pas remis l’argent à son frère, ce dernier aurait pu la poursuivre pour recouvrer les montants non remis.

 

[24]         Subsidiairement, l’appelante fait valoir que si le tribunal en venait à conclure qu’un transfert a eu lieu, une contrepartie valide a été versée puisque d’une part, l’appelante n’a reçu aucun avantage de quelque nature que ce soit et, d’autre part, les sommes ont été remises en totalité à son frère, le tout, selon des instructions très claires de ce dernier. Conséquemment, cette remise par l’appelante à son frère de la totalité des montants déposés dans son compte bancaire constitue une contrepartie valide.

 

La position de l’intimée

[25]         L’intimée soutient qu'il y a eu transfert puisque le dépôt de sommes sur le compte bancaire d'une autre personne constitue un transfert de biens. Elle s'appuie sur la décision de la de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Livingston v. R., 2008 DTC 6233 (Eng.) F.C.A.).

 

[26]         L'intimée prétend que ce transfert a été fait sans contrepartie valide, puisque l'auteur du transfert n’a pas reçu au moment du transfert une contrepartie à la valeur des montants transférés.  Elle soutient que seule une contrepartie valide donnée par le bénéficiaire du transfert à l'auteur de celui-ci au moment où le débiteur fiscal transfère le bien aurait pour effet de restreindre la responsabilité fiscale du bénéficiaire du transfert selon l'article 160.

 

[27]         L'intimée soutient également que la contrepartie versée aux dires de l'appelante ne constitue pas une contrepartie au sens de l'article 160 de la Loi, car elle ne découle pas d’un contrat, mais plutôt d'une obligation morale qu'avait l'appelante de remettre les sommes encaissées obtenues de son frère.

 

[28]         L'intimée appuie ses prétentions sur les décisions de la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Rose v. R, [2009] A.C.F. no. 344 (C.A.F.) et Livingston v. R., 2008 DTC 6233 (Eng.) (F.C.A.) et les décisions de la Cour canadienne de l’impôt dans Doucet c. R, 2007 CCI 268, 2008 D.T.C. 4055 (C.C.I.), Gambino v. R., [2009] 3 C.T.C. 2129 (C.C.I.) et Armenti v. R., 2007 TCC 389, [2008] (C.C.I).

 

[29]         Subsidiairement, l’intimée fait valoir que si le tribunal en venait à conclure qu’un contrat a eu lieu entre l’appelante et son frère, celui-ci doit être frappé de nullité absolue puisque son objet vise à mettre les sommes à l’abri du fisc, ce qui serait contraire à l’ordre public. Elle s’appuie sur les articles 1411 et 1413 du Code civil du Québec.

 

ANALYSE

 

[30]         L'application du paragraphe 160(1) est assujettie à quatre critères. Ceux-ci ont été énoncés dans la décision Livingston :

 

1)  L'auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

 

2)  Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon.

 

3)  Le bénéficiaire du transfert doit être :

 

  i.  soit l'époux ou conjoint de fait de l'auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

ii.  soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

 

iii.     soit une personne avec laquelle l'auteur du transfert avait un lien de dépendance.

 

4)  La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[31]         Il importe également de rappeler l'objet du paragraphe 160(1). Dans l'arrêt Medland c. Canada, 98 DTC 6358 (C.A.F.) (Medland), la Cour d’appel a conclu que l'objet et l'esprit de ce paragraphe « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû ».

 

[32]         Dans la décision Livingston v. R., 2008 D.T.C. 6233 (Eng.) (F.C.A.), la Cour d’appel a repris cette même réalité au paragraphe 1,

 

[1] Le pouvoir d'imposition n'aurait guère de sens sans le pouvoir de recouvrement. C'est pourquoi la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« Loi »), prévoit une multitude de pouvoirs de recouvrement de dettes dont le fisc ne pourrait autrement s'assurer le paiement dans les cas où les contribuables essaient de se dérober à leurs obligations fiscales. Ces pouvoirs doivent être interprétés en fonction de leur objet prévu et dans les contextes factuels où ils s'exercent.

 

[33]         Toujours dans Livingston, la Cour d’appel a également rappelé que l'intention de l'auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l'ARC est pertinent mais non déterminant pour analyser le caractère suffisant ou non de la contrepartie, au paragraphe 19 :

 

[19] Comme il sera expliqué plus loin, étant donné l'objet du paragraphe 160(1), l'intention de l'auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l'ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l'examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l'on en conclue qu'il doive y avoir intention de frustrer l'ARC pour déclencher l'application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s'appliquer au bénéficiaire d'un transfert qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423 (CanLII), 2003 CAF 423.

 

 

(1) Y a-t-il eu transfert de biens ?

 

[34]         Avant de trancher la question de savoir s’il y a eu transfert, il est important d’examiner attentivement cette notion. Le terme « transfert » n'est pas défini dans la Loi, mais il a fait l'objet d'une abondante jurisprudence. Dans l'arrêt Fasken Estate v. Minister of National Revenue (1948), 49 DTC 491 (Can. Ex. Ct.), fréquemment cité, le juge Thorson a donné la définition suivante à la page 497:

 

[TRADUCTION]

Le mot « transfert » n'est pas un terme technique et n'a pas un sens technique. Il n'est pas nécessaire qu'un transfert de biens par un mari à son épouse revête une forme particulière ni qu'il se fasse directement. Il suffit que le mari agisse de façon à se dessaisir des biens et les faire acquérir à son épouse, c'est-à-dire transmettre les biens de lui à elle. Les moyens par lesquels il arrive à cette fin, qu'ils soient directs ou détournés, peuvent être à juste titre appelés un transfert

[...]

(Nos soulignés.)

[35]         Dans la décision Livingston, le juge Sexton a fait l’observation à l’effet qu’un dépôt de sommes sur le compte bancaire d’autrui constitue un transfert au sens de l’article 160, au paragraphe 21:

 

[21] Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d'une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l'intimée permettait à cette dernière de les en retirer n'importe quand. Le bien transféré était le droit d'exiger de la banque qu'elle remette à l'intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale des dites sommes.

 

[36]         Quant aux conditions requises pour un transfert, il est intéressant de s’en remettre au paragraphe 22 :

 

[22] En outre, il y a transfert de biens pour l'application de l'article 160 même si la propriété bénéficiaire ou effective n'a pas été transférée. Le paragraphe 160(1) s'applique à tout transfert de biens – « au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon ». Par conséquent, ce paragraphe définit le transfert à une fiducie comme un transfert de biens. Il est certain que, même si l'auteur du transfert est le bénéficiaire de la fiducie, le titre juridique a été transféré au fiduciaire. Il s'agit donc là d'un transfert de biens pour l'application du paragraphe 160(1), qui, après tout, a entre autres pour objet d'empêcher l'auteur du transfert de cacher ses biens, y compris derrière une fiducie, pour éviter que l'ARC ne les saisisse. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument de l'intimée selon lequel Mme Davies a conservé le titre de bénéficiaire des sommes déposées.

 

[37]         Les parties ont également fait référence à l’existence d’un mandat intervenu entre l’appelante et son frère. Étant donné l’impact possible sur le bien‑fondé de l’appel, il est approprié d’analyser le dossier sous l’angle d’un mandat.

 

[38]         Les dispositions du Code civil relativement au mandat sont les suivantes :

2130. Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.

2131. Le mandat peut aussi avoir pour objet les actes destinés à assurer, en prévision de l'inaptitude du mandant à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens, la protection de sa personne, l'administration, en tout ou en partie, de son patrimoine et, en général, son bien-être moral et matériel.

2132. L'acceptation du mandat est expresse ou tacite; elle est tacite lorsqu'elle s'induit des  actes et même du silence du mandataire.

 

[39]         Dans la décision Tétrault v. Canada2004 TCC 332 (CanLII), 2004 TCC 332, [2004] T.C.J. No. 265 (QL), le juge Archambault a examiné la notion de transfert utilisée au paragraphe 160(1) de la LIR. Il a reconnu que lorsque la transaction intervenue entre le bénéficiaire et l’auteur du transfert est de la nature d'un mandat au sens du Code civil du Québec, il ne peut y avoir transfert au sens de ce paragraphe, aux paragraphes 39 et 40 de son jugement :

 

[39]   À mon avis, il ressort des décisions Fasken et Dunkelman que, pour qu'il y ait un transfert d'un bien aux fins des règles d'attribution, il est essentiel que l'auteur du transfert se soit départi de son droit de propriété et que le bien ait été dévolu au bénéficiaire. La simple possession d'un bien prêté avec l'obligation de le rendre ne satisfait pas à cette condition. À mon avis, tel est le sens qu'il faut donner à l'expression « qu'il lui cède les biens »19. Il faut également retenir ce sens aux fins du paragraphe 160(1) de la Loi. Comme le disait la juge Desjardins dans l'arrêt Medland (précité) au paragraphe 14 : « [...] la politique fiscale qui sous-tend le paragraphe 160(1), ou son objet et son esprit consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû. » Or, le prêt d'argent ne constituerait pas une façon de faire échec à la perception de l'impôt dû par le prêteur. En vertu du paragraphe 224(4) de la Loi, le ministre pourrait saisir en mains tierces la somme prêtée. Cette notion de « transfert » est donc conciliable avec l'objet poursuivi par le paragraphe 160(1) de la Loi.

[40]   Il découle de l'analyse de la notion de transfert utilisée au paragraphe 160(1) de la Loi que des sommes versées à un mandataire pour être dépensées au bénéfice du mandant ne constituent pas non plus un transfert aux fins de ce paragraphe. Dans ces circonstances, le mandant ne se départ pas de son droit de propriété sur les sommes confiées au mandataire et elles ne sont pas dévolues au mandataire. Le mandant demeure le propriétaire de ces sommes.

(Nos soulignés.)

[40]         En l'espèce, l’appelante a tenté de faire valoir que Denis Lacroix lui a donné le mandat d'encaisser les sommes provenant de son REER et de lui remettre ultérieurement les sommes ainsi encaissées. Cet argument n’est pas dépourvu d’intérêt puisqu’un mandat peut être tacite[1] au sens de l’article 2132 du Code Civil.

 

[41]         À cet égard, la preuve est insuffisante en ce qu’elle repose essentiellement sur des hypothèses et spéculations non validées par les faits disponibles.

 

[42]         Le moment précis du transfert est une donnée fondamentale tant au niveau de la contrepartie qu’au niveau de l’intention des parties. L’appelante a affirmé qu’au moment du transfert, elle n’avait pas questionné son frère, elle avait tout simplement accepté de répondre à son appel et ses attentes. Elle a donc acquiescé tacitement au projet proposé par son frère. Selon elle, son frère avait eu des problèmes avec son institution financière. Il s’agissait là, selon l’appelante, d’un incident pouvant expliquer la requête de son frère.

 

[43]         Quant à l’intention de son frère, elle est claire et sans équivoque; il voulait placer le contenu de son REER à l’abri de ses créanciers, dont notamment voire principalement les autorités fiscales. D’ailleurs, à cet effet, il eut été intéressant de voir la déclaration faite au syndic lors de la cession des biens quant à la propriété du montant déposé dans le compte de l’appelante.

 

[44]         L’appelante, dans son avis d’appel, affirme avoir agi de prête‑nom. Agir comme prête‑nom peut s’expliquer de différentes façons en ce que les objectifs peuvent être multiples. Peu importe l’objectif poursuivi, prête-nom signifie la volonté de cacher quelque chose à quelqu’un.

 

[45]         La personne utilisée comme prête‑nom peut savoir ou non pourquoi elle est utilisée. Par contre, dépendamment de la durée et des circonstances, cela peut constituer ou devenir de l’aveuglement volontaire.

 

[46]         L’argument principal de l’appelante est sa bonne foi; elle l’explique du fait de n’avoir tiré aucun avantage ou bénéfice. Dans un second temps, elle insiste sur le fait qu’au moment du transfert, elle ne connaissait rien quant aux dettes fiscales de son frère. Ce sont là des éléments qui, à première vue, font de l’appelante une victime.

 

[47]         Par contre, les mêmes faits commandent une tout autre conclusion, si l’on prend pour acquis que son frère visait un objectif clair, soit soustraire de son patrimoine les montants de son REER.

 

[48]         Pour atteindre son objectif, il a transféré 31 000 $ dans le compte de sa sœur qui a accepté de participer et collaborer sans aucun questionnement ; elle a donc, tacitement par moments et expressément à d’autres occasions, cautionné et validé le projet de son frère. Chose certaine, après quelques temps, elle aurait dû voir, découvrir la stratégie de son frère. Au moment du transfert, l’appelante a tacitement donné son approbation et consentement au projet de son frère; elle ne peut, aujourd’hui, plaider l’ignorance.

 

[49]         Déposer dans son compte de banque un montant qui appartient à quelqu’un d’autre pour une courte période est quelque chose qui peut s’expliquer et, à la rigueur, se comprendre. Par contre, l’ignorance, l’indifférence risque de se transformer en complicité si l’exercice se poursuit ou se prolonge.

 

[50]         L’appelante a également tenté de faire valoir qu’elle détenait la simple possession des sommes prêtées par son frère et qu’elle avec l'obligation de les lui rendre, ce qu’elle a fait. Toutefois, il n’y a aucun élément de preuve démontrant que Denis Lacroix a prêté les sommes à l’appelante.

 

[51]         De plus, la preuve est à l’effet que le compte bancaire était à son nom; l’appelante pouvait donc utiliser les sommes à sa guise et les seules interdictions étaient d’ordre moral.

 

[52]         Il ne pouvait vraisemblablement s’agir d’un prêt, puisque Denis Lacroix a témoigné à l’effet qu’il n’a pas donné de directives à sa sœur quant à l’utilisation des sommes. Quant à l’appelante, elle a affirmé n’avoir pas posé de question puisqu’elle « avait confiance » en lui. Comment pouvait-il y avoir de prêt sans d’entente ni de consentement des parties ? Un mandat peut être tacite, mais non un prêt.

 

[53]         L’appelante a insisté dans sa plaidoirie sur le fait qu’elle n’avait retiré aucun avantage pécuniaire. Toutefois, cette question n’est d’aucune pertinence puisque même si Denis Lacroix a repris possession des sommes déposées, l’appelante a reçu les dites sommes au moment du transfert, qui est le moment pertinent pour l’application du paragraphe 160(1).

 

[54]         Dans Livingston, la Cour d’appel réfère aux observations qu’elle a formulées au paragraphe 9 de Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (C.A.) [QL] :

 

Une fois que les conditions du paragraphe 160(1) sont respectées [...] le bénéficiaire du transfert devient personnellement responsable de l'impôt payable en vertu de ce paragraphe [...] Cette responsabilité prend naissance au moment du transfert [...] et elle est solidaire avec celle de l'auteur du transfert. Le ministre peut donc établir « à une date quelconque » une cotisation à l'égard du bénéficiaire du transfert (selon le paragraphe 160(2)) et la responsabilité solidaire du bénéficiaire du transfert ne s'éteint que par le paiement que l'auteur du transfert ou lui-même effectue conformément au paragraphe 160(3).

 

[Nos soulignés.]

 

[55]         De même, dans la décision Doucet c. R, 2007 CCI 268, 2008 D.T.C. 4055 (C.C.I.), j’affirmais au paragraphe 43 ce qui suit :

 

43     En aucun cas est-il utile ou nécessaire d'évaluer si le cessionnaire d'un bien s'est enrichi ou même appauvri dans les semaines ou les instants qui ont suivi un transfert. Le moment d'appréciation de l'enrichissement se situe dans le temps au moment même du transfert.

 

[56]         Pour toutes ces raisons, j’en arrive à la conclusion que la prépondérance de la preuve est à l’effet qu’il y a eu bel et bien transfert au sens du paragraphe 160 (1) de la LIR.

 

(2) La bénéficiaire du transfert a-t-elle donné une contrepartie suffisante à l’auteur de celui-ci ?

 

[57]         Dans l'arrêt Raphael v. R., 2002 FCA 23 (Fed. C.A.), le juge Strayer a énoncé que lorsqu’il y a présence d’un arrangement contractuel entre le bénéficiaire et l’auteur du transfert, une promesse légalement exécutoire du bénéficiaire de verser de l'argent aux créanciers de l’auteur du transfert uniquement selon les instructions de celui-ci, et ce, en leur remettant des montants correspondant aux fonds qui avaient été transférés initialement peut constituer une contrepartie valable au sens de l’article 160 de la Loi, au paragraphe 10 :

 

[10] Si de fait la femme avait fait une promesse légalement exécutoire de verser de l'argent aux créanciers de son mari uniquement selon les instructions de celui-ci, et ce, en leur remettant des montants correspondant aux fonds qui avaient été transférés, cela aurait bien pu constituer une contrepartie suffisante pour éviter l'application du paragraphe 160(1). Toutefois, la preuve et la conclusion tirée par le juge de la Cour de l'impôt n'étaient pas telles. Lorsqu'on lui a demandé si elle avait une obligation légale d'acquitter les comptes comme son mari le lui demandait, l'appelante a convenu qu'elle n'avait aucune obligation légale de le faire et qu'il s'agissait uniquement d'une obligation morale. Elle a en outre admis que son mari ne pouvait pas la forcer à acquitter les comptes qu'il voulait payer. Bien sûr, s'il existait une obligation légale fondée sur l'existence d'une fiducie, le mari aurait pu contraindre sa conjointe à effectuer pareil paiement. Cette preuve confirme que l'appelante croyait réellement n'avoir qu'une obligation morale; nous sommes d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire que cela ne constitue pas une contrepartie suffisante.[2]

 

[58]         Le fait que l’appelante a remis à son frère la totalité des sommes peut-il constituer une valable contrepartie? Rien ne fut prévu ou convenu à cet effet. L’appelante avait une sorte d’obligation morale sans plus. Au moment du transfert, moment stratégique et fondamental pour l’application du paragraphe 160(1) de la LIR, les seuls faits pertinents disponibles sont que le frère de l’appelante voulait se dessaisir du contenu de son REER pour éviter une saisie possible et le mettre à l’abri dans le patrimoine de sa sœur, ce à quoi elle a acquiescé alors tacitement.

 

[59]         L’appelante s’appuie sur la décision Gambino v. R., [2009] 3 C.T.C. 2129 (C.C.I.). Dans cet arrêt, le juge Boyle a été convaincu qu’une contrepartie a été donnée et qu’il existait un engagement de remettre les espèces à l’auteur du transfert ou une intention d’effectivement agir ainsi au moment du transfert. Cependant, il importe de signaler que les faits dans cette affaire sont bien différents de ceux dont il est ici question.

 

[60]         Dans cet arrêt, la bénéficiaire du transfert avait encaissé sept chèques de 1 500 $ émis au nom de son fils qui était atteint d’une infection à la jambe et qui était incapable de marcher. Après avoir elle-même endossé les chèques à la banque, on lui remettait le montant des chèques en espèces qu’elle remettait à son fils le même jour. L’argent ne s’est à aucun moment retrouvé dans le compte bancaire du bénéficiaire du transfert.

 

[61]         Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Les sommes qui ont été déposées dans le compte de l’appelante y sont demeurées pendant plus d’un an avant d’être remises en totalité à Denis Lacroix.

[62]         L’appelante a beaucoup insisté sur sa bonne foi et le fait de ne pas avoir été au courant de la dette fiscale de son frère; malheureusement, de tels arguments ne peuvent être pris en compte pour se soustraire aux effets du paragraphe 160 (1) de la LIR. Dans la décision Wannan v. R., 2003 D.T.C. 5715 (F.C.A.), la Cour d'appel fédérale a énoncé que le paragraphe 160 peut s'appliquer au bénéficiaire d'un transfert même s’il n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts, au paragraphe 3:

 

[3] [...] Il n'existe pas de défense de diligence raisonnable à l'encontre de l'application de l’article 160. Cet article peut s'appliquer au cessionnaire de biens qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l'impôt. Il peut même s'appliquer au cessionnaire qui n'a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l’article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l’article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

 

[63]         À première vue, les explications soumises par l’appelante et son frère sont très sympathiques voire même accrochantes. Au‑delà cependant de la première impression, la prise en compte de tous les éléments pertinents et le contexte global commandent une toute autre conclusion.

 

[64]         Denis Lacroix était détenteur d’un REER dans lequel il y avait un montant disponible après retenues fiscales de 31 000 $. Sans doute inquiet de voir disparaître ce montant dans le cadre des mesures de recouvrement, il décide de retirer le montant au moyen de deux chèques.  Il demande à sa sœur de déposer les montants en question dans l’un de ses comptes bancaires, sans faire état de ses dettes fiscales et des mesures de recouvrement. Les montants ont été déposés en février 2005.

 

[65]         L’appelante, très près de son frère et préoccupée par ses problèmes qu’elle croyait être des relations tendues avec son institution bancaire, lui fait entièrement confiance et accepte de lui rendre service, sans poser de questions. Elle a d’ailleurs affirmé avoir été heureuse de pouvoir rendre service à son frère sans aucun questionnement. Selon l’appelante, il ne lui appartenait pas d’enquêter ou questionner le pourquoi de la demande de son frère. Elle croyait que ce dernier avait vécu des difficultés avec son institution sans plus.

 

[66]         Ainsi le transfert a bel et bien eu lieu. Le frère de l’appelante, coincé sur le plan financier, alors que la partie saisie de ses revenus réduit considérablement ses disponibilités, veut éviter de perdre le contenu de son REER où il y a un montant disponible de 31 000 $ après retenues fiscales.

 

[67]         Pour éviter la réalisation d’un tel scénario, il décide de sortir de son patrimoine le montant en question avec la complicité tacite de l’appelante.  Le compte de l’appelante est utilisé sur une longue période, soit de février 2005 à avril 2006. L’appelante collabore du début à la fin des opérations.

 

[68]         À un moment donné, elle a besoin d’un montant de près de 500 $ pour le paiement d’une police d’assurance. Après avoir obtenu la permission de son frère, elle fait le retrait mais procède, plus tard, au remboursement. Au moment où son frère lui demande un montant fort important, l’appelante demande à son frère ce à quoi va servir le montant; ce dernier lui indique qu’il compte faire l’acquisition d’une caméra pour réorienter sa carrière.

 

[69]         Appelée à expliquer et définir la nature des opérations, l’appelante soumet avoir agi à titre de prête-nom; elle a ainsi affirmé n’avoir jamais été propriétaire des montants déposés dans son compte. Elle a aussi insisté pour dire qu’elle ne l’avait pas aidé, ce qui dans les circonstances, était difficile à comprendre.

 

[70]         Elle a aussi affirmé n’avoir tiré aucun avantage ou bénéfice, si ce n’est la satisfaction d’avoir répondu à l’appel de son frère. Elle a affirmé aussi que si transfert il y a eu, il y avait une contre-partir équivalente, à savoir le retour dans le patrimoine du cessionnaire de tous les montants obtenus lors des transferts.

 

[71]         En d’autres termes, elle suggère toutes sortes d’explications et d’hypothèses susceptibles de démontrer que les conditions essentielles établies par l’article 160 de la Loi ne sont pas présentes, d’où la cotisation devrait être annulée.

 

[72]         La difficulté de ce dossier est que chacune des hypothèses suggérées par l’appelante pour se soustraire à l’application des dispositions de l’article 160 sont possibles, voire raisonnables du fait qu’elle n’a pas tiré avantage de la situation et, a exécuté les instructions de son frère.

 

[73]         Les explications, bien que sympathiques et validées par la preuve, avaient cependant comme seul fondement une obligation morale.

 

[74]         En effet, l’appelante aurait pu prendre ou utiliser les fonds déposés dans son compte. Elle aurait pu refuser de suivre les instructions de son frère. Rien dans la preuve ne permet d’affirmer que l’appelante n’avait pas le contrôle, le pouvoir de disposer à sa guise des sommes déposées dans son compte. Honnête, elle ne l’a pas fait.

 

[75]         Une question est aussi demeurée sans réponse. Le frère de l’appelante a fait cession de ses biens. Dans le cadre de cette cession de biens, une partie importante du montant déposé dans le compte de l’appelante a été retournée à l’intimée, le tout ayant pour effet de réduire la cotisation du montant équivalent.

 

[76]         Or, dans le cours de la faillite, le frère de l’appelante n’a manifestement pas déclaré être propriétaire de la totalité du montant inscrit dans le compte de sa sœur, ni comme propriétaire, ni comme prêteur, ni comme mandant, puisque le syndic aurait réclamé et obtenu soit le retour ou remboursement si les explications soumises par l’appelante avaient été réelles.

 

[77]         En conclusion, je ne doute pas que l’appelante avait une noble intention au moment du transfert, laquelle découlait du respect et de l’estime qu’elle avait pour son frère. Ces nobles sentiments ont cependant fait qu’elle a tacitement accepté, sans poser de questions, le projet de son frère, qui lui poursuivait un but, un objectif très clair et beaucoup moins noble, soit celui de soustraire le montant de ses REER aux mesures de recouvrement de l’intimée. En agissant ainsi, l’appelante a donné son consentement au scénario ou projet de son frère lequel était clair quant au transfert qui a fait que l’argent du REER a changé de patrimoine.

 

[78]         En ne questionnant pas quoi que ce soit, l’appelante, par son silence et sa passivité, a donné tacitement son aval au projet de son frère d’où les conditions prévues par l’article 160 de la Loi, la rendent imputable d’une cotisation à la hauteur du montant transféré.

 

[79]         Un paiement ayant été effectué à même le compte sur la dette fiscale de l’auteur du transfert, la cotisation dont l’appelante est responsable est réduite pour autant. La cotisation au montant de 13 966,68 $ établie au nom de l’appelante est donc confirmée d’où son appel est rejeté.

 

 

FRAIS

[80]         L’argument principal au soutien de la requête voulant que l’appel soit rejeté avec dépens en faveur de l’intimée est à l’effet que l’appelante n’a pas manifesté de collaboration dans le cheminement du dossier; il s’agissait là d’une réplique non souhaitable mais compréhensible et, sans doute, conséquence à la demande de tenir des interrogatoires préalables nécessitant des déboursés importants dans un dossier qui au départ, aurait, quant à moi, dû faire l’objet d’une procédure informelle, ce qui, j’en conviens aurait dû se faire à l’initiative de l’appelante. Dans les circonstances, je n’accorde pas la requête et rejette l’appel de l’appelante, sans frais.

 

[81]         L’appel est donc rejeté, sans frais.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de février 2011.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 111

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2238(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Sylvie Lacroix et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 4 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 18 février 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Chantal Donaldson

Avocats de l'intimée :

Me Mélanie Sauriol et Me Boyd Aitken

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Chantal Donaldson, avocate

 

                     Ville :                            Gatineau (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Soulignons qu’il ne pouvait évidemment pas y avoir de mandat exprès puisqu’il n’y a même pas eu convention. 

[2] Raphael v. The Queen, 2002 FCA 23, 2002 D.T.C. 6798, para. 10.

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