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Dossier : 2007-2677(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ RAIL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appels entendus les 29 et 30 novembre 2010, à Rouyn Noranda (Québec)

 

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelant a le droit aux déductions de ses dépenses en vue de tirer un revenu d’une profession au montant de 33 349,50 $ pour l’année 2001, au montant de 42 959,25 $ pour 2002 et au montant de 47 011,59 $ pour 2003.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2011.

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


 

 

 

 

 

Référence : 2011 CCI  130

Date : 20110301

Dossier : 2007-2677(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ RAIL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]              Le présent appel porte sur des nouvelles cotisations effectuées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (« Loi ») pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Le ministre du Revenu national (« ministre ») a refusé des dépenses de 52 259 $ en 2001, 60 745 $ en 2002 et 77 449 $ en 2003. L’avis d’appel ne porte que sur ces dépenses refusées. Le total de tous les montants en litige dans le présent appel est approximativement de 41 232 $.

 

[2]              Au cours de ces années, le Dr. Rail (« l’appelant ») a déclaré un revenu brut variant entre 308 000 $ et 336 000 $. Ces revenus brut on tous été acceptés par le ministre, mais les dépenses mentionnées précédemment ont été refusées. Les nouvelles cotisations ont été établies selon les résultats de la vérification de Revenu Québec.

 

[3]              Plus précisément, le ministre allègue que l’appelant est incapable de justifier les dépenses suivantes :

 

 

 

 

[4]              Le ministre assume que l’appelant n’est pas en mesure de démontrer l’existence de ces dépenses, ou qu’elles sont d’ordre personnelles ou encore qu’elles ont été réclamées en double. À titre d’exemple, l’appelant a notamment réclamé le paiement des comptes de téléphone de son chalet, de son domicile et l’achat de vêtements, de parfums, de bijoux et d’alcool.

 

[5]              En refusant ces dépenses, le ministre a ramené la marge bénéficiaire de l’appelant à la moyenne canadienne. En effet, la marge bénéficiaire nette de l’appelant tirée de sa profession au cours des années d’imposition 1997 à 2004 a été constamment inférieure à celle de la profession dentaire au Canada (10 à 25 % pour l’appelant comparativement à environ 30% pour la moyenne canadienne). Avec les rajustements proposés par l’Agence du Revenu du Canada (« ARC »), la marge nette bénéficiaire de l’appelant est rajustée à 36%. Ces chiffres varient quelque peu selon les données et documents avancés par l’appelant et l’intimée. Le ministre n’a pas présenté d’explication valide quant à savoir pourquoi il s’est basé uniquement sur une moyenne nationale pour établir la nouvelle cotisation de l’appelant.

 

[6]              L’appelant est un dentiste qui exerce la médecine dentaire dans la municipalité de La Sarre au Québec (9 000 habitants) depuis 1976. En 1982, il exerçait avec quatre dentistes et environ 12 employés. Au cours des années, les dentistes se sont séparés et la polyclinique a disparu. Il s’installa alors une féroce compétition entre les anciens partenaires pour garder le personnel et les clients. L’appelant a alors décidé de réduire les tarifs recommandés de 20%.

 

[7]              Durant les années en litige, l’appelant travaillait sans hygiéniste, car une pénurie sévissait au Québec. Il effectuait lui-même les tâches d’hygiénisterie ce qui occupait une bonne partie de son temps. Une partie importante de sa clientèle était couverte par l’assurance maladie du Québec dont les honoraires payés sont moins élevés que les tarifs normalement chargés par les dentistes. À partir de 1997 jusqu’en 2003, l’appelant souffrait de cataractes. Il a été obligé de réduire son nombre d’heures de travail. Selon l’appelant, ces éléments expliquent en bonne partie sa marge bénéficiaire moins élevée.

 

[8]              L’appelant a employé sa conjointe, ses deux enfants adolescents ainsi qu’une quatrième personne pour l’aider à exercer sa profession. L’appelant assistait à des conférences sur la dentisterie deux fois par année dans les régions de Québec, Montréal et Trois-Rivières. Il était accompagné par les membres de son équipe.

 

[9]              L’appelant dit avoir opéré un bureau administratif à son domicile. Il a déduit également dans ses dépenses l’essence et le coût d’utilisation de son véhicule pour voyager entre son bureau de dentiste et sa maison privée (14 kilomètres séparent les deux).

 

[10]         L’appelant a témoigné qu’il ne travaille pas nu avec pour seul habit un sarreau. Il porte des pantalons, des chemises et des cravates. Il déduit de son revenu brut le prix de vêtements qu’il qualifie « à usage exclusif du bureau ». Ces vêtements proviennent pour la plupart de magasins tels que Holt Renfrew et Georges Rech. L’appelant a expliqué qu’il achète ses vêtements dans ces magasins car ces derniers résistent au lavage à haute température qu’il est tenu de faire fréquemment.

 

[11]         L’appelant, en tant que dentiste, est soumis à des normes d’hygiène et d’asepsie très élevées d’après l’article 3.01.06 du code de déontologie des dentistes. Le document d’information sur le contrôle des infections pour la médecine dentaire spécifie à la page 6 que le personnel doit porter un « sarreau ou un autre vêtement protecteur propre ». L’appelant affirme que l’achat de vêtements dans des magasins haut de gamme constitue une dépense nécessaire pour satisfaire aux obligations d’hygiène.

 

[12]         L’appelant a fait plusieurs milliers de dollars en cadeaux durant les années en litige à ses employés. Ces cadeaux, en majorité, ont été donnés à son ex-conjointe qui travaillait avec lui. Les cadeaux ne sont pas modestes. On parle, par exemple, de vêtements et des parfums dispendieux achetés chez Holt Renfrew et la Parfumerie Paris, des bijoux de la Bijouterie Pépites d’or et des produits de la SAQ. Il considère que ces dépenses devaient être encourues pour maintenir son personnel.

 

[13]         Lors des étapes préliminaires à l’audition, l’appelant a remis une boîte contenant toutes les factures sans organisation préalable. D’ailleurs, le 3 février 2010, le juge Jorré a procédé à une conférence de gestion de l’instance. L’intimée a alors demandé à ce que l’appelant remplisse ses engagements. Ceux-ci consistaient en la production d’états financiers et en la remise des pièces justificatives des dépenses de façon ordonnée. Ces dernières devaient être annexées à une feuille explicative décrivant avec précision le montant et la nature des dépenses et aussi être regroupées par poste de dépenses.

 

[14]         Le juge Jorré a accordé un délai supplémentaire à l’appelant afin de lui permettre de se conformer à ses engagements. L’appelant s’est engagé à fournir, en ordre, les éléments demandés.

 

[15]         L’appelant a déclaré qu’il a passé des soirées et des week-ends sur une période de trois mois à l’organisation de ses dossiers. Il a comparu à l’audience accompagné de son ex-épouse et de son comptable avec un dispositif très impressionnant et ordonné. La vaste majorité des dépenses invoquées étaient accompagnées soit d’une preuve d’achat comme une facture, soit d’une preuve de paiement telle qu’une copie de chèque. À l’audience, il a étendu sur la table des factures et des reçus en ordre chronologique. L’appelant et le témoin ont été en mesure de facilement récupérer les documents lorsqu’ils étaient invités à justifier les dépenses.

 

[16]         La vérification a été effectuée par des agents comptables de Revenu Québec qui, malheureusement, n’ont pas été appelés à témoigner. Le témoin de l’intimée, M. Pageau, est un agent de l’ARC qui s’est appuyé sur les conclusions de ses paires de l’agence provinciale et il semble qu’il ne les ait jamais rencontré. Il a admis ne pas avoir analysé en profondeur les documents disponibles. Il semblerait qu’aucun représentant de la Couronne n’ait donné plus qu’un rapide coup d’œil sur les volumineux documents.

 

[17]         Bien que l’appelant se soit présenté en Cour avec des documents ordonnés et accompagnés de feuilles explicatives détaillées, certaines des dépenses n’appartiennent pas au bon groupe de pièces justificatives. Par exemple, on retrouve dans le groupe entretien de bureau des factures qui représentent des dépenses des employés, des cadeaux aux employés ou encore des frais de représentation. Dans la catégorie « Timbres et papeteries », en 2001, on retrouve un achat chez Holt Renfrew de 172,54 $ et un achat de vêtements pour homme de 330,69 $ chez Georges Rech. En 2001 et 2002, des versements au REER des employés de plus de 1 000 $ sont inscrits dans le poste publicité et dans le poste dons. Ce genre d’erreur se retrouve fréquemment dans les dossiers de l’appelant. Ce dernier a reconnu cette situation mais, par souci de clarté, il a préféré ne pas modifier les groupes de dépenses qui font l’objet du litige. Il a également reconnu que certaines dépenses n’étaient pas des dépenses d’entreprise.

 

[18]         L’appelant a expliqué qu’il avait été mis en faillite par la province de Québec et, dû aux circonstances, il n’a pas les moyens de payer pour une représentation adéquate.

 

Questions en litige

 

[19]         Les questions en litige sont les suivantes :

 

1) Est-ce que l’appelant peut présenter sa preuve lors de l’audition malgré qu’aucun fait pertinent n’ait été allégué dans l’avis d’appel?

 

2) Est-ce que le ministre est justifié d’émettre un avis de nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2001?

 

3) Est-ce que l’appelant a droit aux dépenses qui lui ont été refusées?

 

4) Est-ce que les pénalités peuvent être imposées?

 

5) Quelle est la catégorie d’instance du présent litige?

 

 

 

Analyse

 

1) Présentation de la preuve à l’audition

 

[20]         L’intimée fait valoir que l’appelant ne pouvait pas présenter de preuve lors de l’audition puisqu’aucun fait pertinent pouvant servir de fondement à son appel n’a été allégué dans l’avis d’appel. Il est vrai que l’avis d’appel est avare de faits. L’appelant énonce simplement qu’il s’oppose à la cotisation, démontrera qu’il a effectué les dépenses réclamées et demande l’annulation ou la diminution des avis de cotisations.

 

[21]         L’obligation d’évoquer les faits pertinents dans les actes de procédure a pour objectif de permettre à la partie adverse de savoir à quels arguments elle aura à faire face à l’audition et ainsi éviter que les parties ne soient prises par surprise. Dans le cas où l’une des parties ne dévoile pas des faits pertinents, elle n’a pas le droit de produire quelque preuve que ce soit relativement à ces faits à l’audience.

 

[22]         Or, nous ne sommes pas dans un cas où l’appelant ayant divulgué les faits sur lesquelles il entend fonder son appel aurait omis de signaler certains faits importants prenant par surprise la partie adverse. Ici, l’avis d’appel ne contient aucun fait mais l’intimé est au courant de cette situation depuis le début des procédures et il ne subit aucun préjudice.

 

[23]         De plus, bien que la demande ne présente pas vraiment de faits matériels, l’avis d’appel révèle clairement une cause raisonnable d’action. L’appelant a signalé, dans son avis d’appel, qu’il a encouru des dépenses pour tirer un revenu d’une profession et qu’il possède les pièces justificatives et les documents appropriés. Il s’agit d’un fait matériel (la possession de pièces justificatives) qui peut être prouvé en Cour.

 

[24]         Il était loisible à l’intimée de placer une requête devant cette cour afin de forcer l’appelant a allégué davantage de faits pertinents au litige ou, dans l’optique où celui-ci aurait refusé d’obtempérer, demander le rejet de l’appel. Au stade de l’audition, il est trop tard pour demander le rejet de l’action sur la base d’une objection technique aux actes de procédures.

 

 

 

 

2) Nouvelle cotisation

 

[25]         Est-ce que le ministre est justifié d’émettre un avis de nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2001?

 

[26]         La nouvelle cotisation pour l’année 2001 a été faite en dehors de la période normale de nouvelle cotisation. L’intimée a présenté, dans sa réponse à l’avis d’appel, les faits pertinents de façon assez claire afin que l’appelant puisse connaître les faits servant de fondement à l’établissement d’une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Je suis d’avis que l’intimée s’est déchargée de son fardeau de preuve concernant l’imposition en dehors de la période de nouvelle cotisation.

 

[27]         L’appelant n’a pas fait preuve de diligence raisonnable dans le calcul de ses revenus. Tout d’abord, il est clair que l’état de son système comptable était déficient et que des erreurs étaient inévitables. D’ailleurs, il a aura fallu une ordonnance du juge Jorré pour que les chèques, factures et autres preuves de paiement soient regroupés et ordonnés de façon systématique. Encore à ce jour, des erreurs de classement subsistent. Ce désordre a comme résultat que les pièces justifiant les dépenses n’étaient pas accessibles compliquant ainsi le travail de l’ARC dans ses vérifications. Ce désordre équivaut à négligence.

 

[28]         De plus, il y a plusieurs milliers de dollars de dépense pour chacune des années qui, de l’aveu même de l’appelant, n’était pas des dépenses d’entreprise. Ces montants ne sont pas négligeables et n’auraient pas du faire l’objet d’un litige. Il aura fallu attendre la date du procès pour que l’appelant fasse ces concessions. Bref, bien que de bonne foi, il est clair que l’appelant a fait preuve d’une certaine négligence. Le ministre était donc fondé d’établir une nouvelle cotisation hors délai pour 2001.

 

3) Dépenses

 

[29]         La question la plus difficile à laquelle il faut répondre est : est-ce que l’appelant a droit aux dépenses qui lui ont été refusées?

 

[30]         Le paragraphe 18(1) de la Loi se lit comme suit :

 

Exceptions d’ordre général

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

Restriction générale

18(1)a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

[31]         Cette disposition de la Loi énonce très clairement que les dépenses d’ordre personnelles ne sont pas déductibles dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’une profession. Seuls les dépenses engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien le sont.

 

[32]         L’article 67 de la Loi se lit comme suit :

 

Restriction générale relative aux dépenses

67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

[33]         Quelques observations s’imposent avant de m’attaquer à la tâche d’examiner les dépenses. Cette affaire n’aurait jamais dû se rendre jusqu’à la Cour canadienne de l’impôt telle qu’elle a été présentée. Elle aurait dû être réglée au moment où l’appelant a organisé ses dossiers de façon ordonnée quelque temps avant le procès. Il s’agit d’une perte de temps pour la Cour d’examiner individuellement des centaines de documents. Je ne suis pas un vérificateur ni un comptable. Comme l’a souligné le juge Bowman dans l’affaire Merchant c. Canada[1], « Il ne convient pas d’effectuer une vérification fiscale devant la Cour ». Dans ce type de dossier, le juge Bowman a préconisé l’approche suivante :

 

7     Lorsqu'il faut établir un grand nombre de documents, comme des factures, on gaspille le temps de la Cour en les présentant en preuve l'un après l'autre. L'approche préconisée dans Wigmore on Evidence (3e éd.), vol. IV, s. 1230, s'impose :

 

      [TRADUCTION]

 

      s. 1230(11) : [...] Lorsqu'il serait uniquement possible d'établir un fait en examinant un grand nombre de documents composés de nombreux états détaillés - comme le solde net résultant des pièces que le trésorier a accumulées au cours de l'année ou les comptes d'un grand livre de banque pour l'année - il est évident qu'il ne serait bien souvent pas question d'appliquer le principe dont il est ici question en exigeant la production d'une masse de documents et d'inscriptions que le jury doit examiner ou qu'il faut lire au jury. Pour plus de commodité, les audiences exigent qu'on permette la présentation d'autres éléments de preuve, sous la forme du témoignage d'une personne compétente qui a examiné la masse de documents et qui expliquera sommairement le résultat net. La légitimité de cette pratique est établie.

 

8     Le juge d'appel Wakeling, dans l'arrêt Sunnyside Nursing Home v. Builders Contract Manage-ment Ltd. et al., (1990) 75 S.R. 1, à la page 24, (C.A. Sask.), et le juge MacPherson, dans le juge-ment R. v. Fichter, Kaufmann et al., 37 S.R. 128 (B.R. Sask.), à la page 129, ont cité ce passage en l'approuvant. Je souscris respectueusement à leur avis.[2]

 

[34]         Malheureusement, nous n’avons pas le témoignage d’une personne compétente et indépendante qui a examiné la masse de document et qui puisse expliquer sommairement le résultat net. L’intimée n’a pas fait témoigner le vérificateur de Revenu Québec qui a procédé à la vérification.  

 

[35]         Une nouvelle cotisation fondée sur une moyenne provinciale sans étude plus approfondie du dossier est fondamentalement erronée. Je pense que c’est une question de bon sens. Une moyenne générale ne peut servir à ignorer les contraintes particulières d’un individu. De plus, il n’y avait aucune preuve quant à la façon dont les moyennes ont été calculées. Par exemple, l’étude ne semble pas prendre pas en considération les différences qu’il peut exister entre un dentiste exerçant en région et l’autre dans le centre-ville de Montréal.

 

[36]         L’appelant a clairement démoli les hypothèses du ministre sur lesquelles il se fondait pour refuser les dépenses en litige. L’appelant a démontré prima facie que la majorité des dépenses ont été encourues dans le but de gagner un revenu et qu’elles n’ont pas été réclamées en double. Le fardeau de la preuve est donc passé à l’intimée. Cette dernière n’a pas apporté de contre preuve documentaire et n’a pas fait témoigner une personne avec une connaissance personnelle et directe du dossier. Elle n’a donc pas réfuté la preuve prima facie établie par l’appelant.

 

[37]         Conséquemment, je prends pour acquis que toutes les dépenses en litige sont des dépenses d’entreprise admissible à l’exception de celle qui ne le sont clairement pas, ou qui ne sont pas raisonnables ou encore qui n’ont pas été suffisamment justifiées. Dans les lignes qui suivent, je vais m’attarder sur ces dépenses qui doivent être refusées.

 

[38]         Il est malheureux que l’appelant se soit représenté lui-même et n’a pas appelé de témoins corroborant certains de ses éléments de preuve. Ainsi, il aurait été judicieux pour l’appelant d’avoir ses enfants comme témoins. La nature de certains des paiements laisse sceptique. Par exemple, son fils et sa fille adolescents avaient des comptes de dépenses d’employés et l’appelant a cotisé également à leur REER. L’appelant a présenté ses dépenses et autres gratifications comme des dépenses visant la rétention de sa main-d’œuvre. En l’absence d’une preuve plus convaincante, je ne puis admettre que ces montants accordés aux enfants ont été engagés en vue de tirer un revenu et soient raisonnables.

 

[39]         De plus, il cherche à déduire des cadeaux aux employés (la majorité des cadeaux était destinés à son ex-conjointe) qui comprenaient des parfums, des bijoux, coiffeur, cosmétiques, des accessoires pour bébé, de l’alcool et des vêtements achetés chez différents magasins haut de gamme. Ces items apparaissent clairement comme des dépenses à caractère personnel et, en tous les cas, déraisonnables. Ces items sont dispersés à travers les différents regroupements de factures. J’ai donc déduit ces montants dans les différents postes.

 

[40]         Les dépenses concernant les cours et congrès étaient nécessaires à l’appelant pour qu’il puisse continuer à exercer sa formation selon les règles de l’art et qu’il puisse attirer une clientèle intéressée par ses compétences de dentisterie. Il s’agit de dépenses encourues en vue de tirer un revenu. Néanmoins, il semble qu’une partie de ces dépenses ne sont pas des dépenses d’entreprise. En effet, la présence de toute la famille de l’appelant lors de ces séminaires, surtout ses deux enfants, semble fort discutable. Ces derniers n’ont pas témoigné en Cour et il est difficile de voir en quoi ils devaient assister à des séminaires de dentisterie. Dans ces circonstances, 25 % des dépenses refusées pour les cours et congrès seront maintenues.

 

[41]         Je suis bien d’accord avec l’appelant lorsqu’il affirme que son travail nécessite qu’il s’habille en dessous de son sarreau. Néanmoins, les dépenses d’ordre personnel comme les vêtements, la nourriture et le logement ne constituent pas dans la grande majorité des cas des dépenses d’entreprise au sens de l’alinéa 18(1)a) de la Loi puisque proscrite par l’alinéa 18(1)h) de la Loi.

 

[42]         Dans l’affaire Rupprecht c. Canada[3], un planificateur financier agréé, affirmant avoir besoin de vêtements appropriés, a tenté de passer en dépenses d’entreprise les costumes, cravates, chemises et accessoires achetés chez Ermengildo Zegna, un magasin de vêtements haut de gamme pour homme. Les dépenses totalisaient plus de 6 000 $ en 1999 et 2 400 $ en 2001. Le juge Paris a statué que les vêtements sont prima facie une dépense personnelle et a ajouté :

 

19 Il faut déterminer si une dépense est de nature personnelle, qu’elle ait ou non trait à un bien appartenant au contribuable. Les dépenses relatives à la tenue personnelle sont par essence des dépenses personnelles et supposent des choix de la part du contribuable dans la façon dont il se prépare pour le travail. Je conclus que les vêtements en question ont été portés par l’appelant à titre de vêtements personnels dans le cadre de son travail et que le montant de leur achat n’est pas déductible.

 

[43]         Les documents mis en preuve par l’appelant ne disent mot sur les vêtements que le dentiste doit porter en dessous de son sarreau ou autre vêtement protecteur. La recommandation de nettoyage hebdomadaire concerne uniquement le vêtement protecteur. Je tiens à souligner également que le document soumis par l’appelant mentionne que le vêtement protecteur doit être javellisé. Le bon sens m’indique que l’appelant n’a sûrement pas procédé à la javellisation de ses complets, chemises et cravates. À défaut d’une preuve plus convaincante, les dépenses d’habillement doivent être rejetées.

 

[44]         Alléguant avoir un bureau administratif à son domicile, l’Appelant réclame des dépenses en lien avec sa résidence principale, comme sa ligne téléphonique personnelle et les déplacements entre ce domicile et son bureau de dentiste. L’appelant s’appuie notamment sur la décision Cumming c. MRN[4] où il est affirmé que les frais de déplacements d’un médecin entre son domicile et l’hôpital où il travaille sont admis en déduction lorsqu’il n’a pas de bureau à l’hôpital et qu’il doit s’occuper de l’administration de son cabinet à son domicile.  

 

[45]         Le paragraphe 18(12) de la Loi, qui n’était pas en vigueur au moment où la décision Cumming a été rendue, prévoit:

 

 

 

 

18(12) Travail à domicile

Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition: 

a) un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement: 

 

(i) soit est son principal lieu d'affaires, 

(ii) soit lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise; 

 

[46]         La résidence de l’appelant n’est pas son principal lieu d’affaires et elle ne lui sert pas à rencontrer des clients sur une base régulière et continue. Dans ces circonstances, l’appelant n’avait pas de bureau administratif à son domicile et toutes les dépenses réclamées en lien avec ce bureau doivent être refusées.

 

[47]         L’appelant a fait plusieurs dons à différentes entités tels que l’Église Évangélique Mennonite de Rouyn-Noranda, la Société Canadienne du Cancer, le Club de l’amitié des handicapés Secteur Lasarre, Les Amputés de Guerre du Canada, etc.

 

[48]         Malheureusement, la preuve n’indique pas que ces dépenses ont été engagées avec l’intention d’en tirer un revenu et qu’elles faisaient partie du plan de développement commercial de l’appelant.

 

[49]         Enfin, l’appelant cherche à rajouter certaines factures qui n’ont pas été considérées lors de la vérification du contribuable. Je ne suis pas prêt à accepter ces montants. Tout d’abord, ces derniers ne font pas l’objet du présent litige. Deuxièmement, les montants qui font l’objet d’un rajout sont, pour la plupart, non déductibles. Ainsi, les dépenses que l’appelant a rajoutées à son revenu tels que les dépenses en lien avec le bureau administratif et les dépenses engendrées par les déplacements de l’appelant entre son bureau de dentiste et ce bureau administratif ne sont pas des dépenses d’entreprise admissibles tel que vu précédemment.

 

[50]         En conclusion, j’ai trouvé que l’appelant et son ex-conjointe sont des témoins crédibles. Je suis d’avis que l’appelant a prouvé que la majorité des dépenses refusées pour les années en litige soit 52 259 $ en 2001, 60 745 $ en 2002 et 77 449 $ en 2003 sont des dépenses d’entreprise déductibles dans son revenu. Il n’y a que certaines dépenses qui ne sont pas des dépenses d’entreprise déductibles. Je vais donc soustraire des dépenses qui ont été regroupées par catégorie dans le tableau ci-haut celles qui ne sont pas déductibles pour les motifs élaborés précédemment. De plus, il faut réduire des dépenses celles qui, de l’aveu même de l’appelant, ne sont pas déductibles et ont été ajoutées par erreur. Je vais donc traiter des dépenses par catégorie et dans le même ordre que le tableau reproduit au début du présent jugement (voir annexe A pour calcul).

 

4) Les pénalités

 

[51]         Un autre point est l’imposition d’une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Le paragraphe 163(3) de la Loi précise qu’il incombe au ministre d’établir les faits qui justifient l’imposition d’une pénalité. Les vérificateurs qui ont procédé à la vérification de l’appelant n’ont pas été appelés à témoigner et il ne suffit pas que quelqu’un d’autre, en l’occurrence M. Pageau qui n’avait rien à voir avec la vérification et la cotisation initiale, témoigne à l’effet que l’appelant a fait preuve de négligence grave. Un tel témoignage constitue du ouï-dire et est inadmissible en preuve. Le ministre ne s’est donc pas déchargé de son fardeau de preuve.

 

5) Catégorie d’instance du litige

 

[52]         Selon les termes du sous-alinéa 1(a)(i) du Tarif A de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), la catégorie d’instance du présent appel est la catégorie A puisque le total de tous les montants en litige en cause dans le présent appel est de 41 232 $. Aucune preuve démontrant le contraire n’a été produite.

 

[53]         Pour tous ces motifs, les appels du Dr. Rail pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l’appelant a le droit aux déductions de ses dépenses en vue de tirer un revenu d’une profession au montant de 33 349,50 $ pour l’année 2001, au montant de 42 959,25 $ pour 2002 et au montant de 47 011,59 $ pour 2003.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2011.

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur


Annexe A

 

Achat

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

5 877 $

12 193 $

12 818 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

0 $

0$

0 $

Total des dépenses refusées par la Cour

0 $

0 $

0 $

 

Entretien de bureau

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

6 406 $

5 873 $

9 214 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

191,67 $

247 $

956,07 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

1 985,29 $

1291,44 $

2257,92 $

Total des dépenses non déductibles

2 176,96 $

1538,44 $

3 213,99 $

 

Rénovation

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

1 314 $

2 548 $

3 270 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

8,31 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

0 $

0$

606,83 $

Total des dépenses non déductibles

0 $

8,31 $

606,83 $

 

Équipement de bureau

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

1 152 $

1 206 $

1 231 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

0 $

0$

700,81 $

Total des dépenses refusées par la Cour

0 $

0 $

700,81 $

 

Livres/Revues

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

359 $

458 $

857 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

0 $

0$

711,44 $

Total des dépenses refusées par la Cour

0 $

0 $

711,44 $

 

Cours et Congrès

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

4 651 $

3 163 $

4 551 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

25 %

1 162,75 $

 25 %

790,75 $

25 %

1 137,75 $

Total des dépenses refusées par la Cour

1 162,75 $

790,75 $

1 137,75 $

 

Habillement

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

5 243 $

4 515 $

3 776 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

2 318,29 $

2 279,83 $

1 572,05 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

100 %

100 %

100 %

Total des dépenses non déductibles

5 243 $

4 515 $

3 776 $

 

Timbres et Papeteries

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

1 924 $

2 466 $

3 111 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

1 538.96 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

347,17 $

929 $

399,71 $

Total des dépenses refusées par la Cour

347,17 $

929 $

1938,67 $

 

Téléphone

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

1 040 $

1 029 $

1 186 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

925,10 $

906 $

1 044 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

100 %

100 %

100 %

Total des dépenses non déductibles

1 040 $

1 029 $

1 186 $

 

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2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

4 325 $

3 724 $

3 696 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0$

419,37

1 004,66 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

1919,54 $

120,77 $

1629,85 $

Total des dépenses non déductibles

1919,54 $

540,14 $

2634,51 $

 

Assurances

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

12 039 $

11 065 $

12 658 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

0 $

0 $

0 $

Total des dépenses non déductibles

0 $

0 $

0 $

 

Location d’équipement (voiture et essence)

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

3 500 $

3 500 $

4 475 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

100 %

100 %

100 %

Total des dépenses non déductibles

3 500 $

3 500 $

4 475 $

 

Divers/Autres

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

1 305 $

4 003 $

9 074 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

0 $

79,07 $

2438,54 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

396,08 $

429,04 $

851,87 $

Total des dépenses non déductibles

 396,08 $

508,11 $

3290,41 $

 

Dons

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

3 124 $

4 427 $

6 766 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

 0 $

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

100%

100%

100$

Total des dépenses non déductibles

3 124 $

4 427 $

6 766 $

 

Honoraires professionnels

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

-

575 $

310 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

-

0 $

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

-

0 $

0 $

Total des dépenses refusées par la Cour

-

0 $

0 $

 

Mobilier

2001

2002

2003

Dépenses non déductibles selon l’Agence

-

-

456 $

Dépenses non déductibles de l’aveu de l’Appelant

-

-

0 $

Autres dépenses non déductibles selon la Cour

-

-

0 $

Total des dépenses refusées par la Cour

-

-

0 $

 

 

Total

2001

2002

2003

Dépenses totales non déductibles selon l’Agence

52 259 $

60 745 $

77 449 $

Total de toutes les dépenses refusées par la Cour

18 909,50 $

17 785,75 $

30 437,41 $

Total des dépenses acceptées par la Cour

33 349,50 $

42 959,25 $

47 011,59 $

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 130

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-2677(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              ANDRÉ RAIL ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Rouyn-Noranda (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :               les 29 et 30 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 1er mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            N/A

 

                 Cabinet :                           N/A

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada

 



[1]           [1998] A.C.I. no 278, par 57.

[2]           Merchant c. Canada, [1998] A.C.I. no 278, par 7 et 8, confirmé par la Cour d’appel fédérale.

[3]           Rupprecht c. Canada, [2006] A.C.I. no 586, confirmée par la Cour d’appel fédérale.

[4]           Cumming v. Minister of National Revenue, 67 D.T.C. 5312.

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