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Dossier : 2010-740(IT)I

ENTRE :

DIANE BEAULIEU,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 janvier 2011, à Québec (Québec).

Devant : L’honorable juge Brent Paris

 

Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Ilinca Ghibu

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 sont accueillis et les nouvelles cotisations sont annulées.

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation relative à l’année d’imposition 2005 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars 2011.

 

« B.Paris »

Juge Paris

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 127

Date : 20110307

Dossier : 2010-740(IT)I

ENTRE :

DIANE BEAULIEU,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

[1]   Il s’agit d’un appel interjeté selon la procédure informelle concernant les années d’imposition 2003, 2004 et 2005. Les questions en litige sont de savoir si l’appelant a omis de déclarer des revenus imposables en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») de 14 601 $ en 2003, de 28 733 $ en 2004 et de 31 589 $ en 2005, et de savoir si l’appelante a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, en produisant ses déclarations de revenus pour 2003 et 2004, de sorte que le ministre du Revenu national avait le droit d’établir de nouvelles cotisations pour ces années après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation prévue par la Loi.

 

Faits

 

[2]     En 2003 et en 2005, l’appelante a exploité un casse‑croûte appelé « La Marmite de l’Ouest » à Saint‑Casimir, au Québec. En 2004, l’appelante a loué le casse‑croûte à titre d’essai à une personne qui souhaitait l’acheter; toutefois, aucune vente n’a été conclue avec l’acheteur potentiel.

 

[3]     L’appelante a affirmé qu’elle exploitait le casse‑croûte sur une base saisonnière et que celui‑ci a été ouvert pendant 96 jours en 2003 et 116 jours en 2005. Elle a fermé le casse‑croûte en 2007 parce qu’il n’était pas rentable.

 

[4]     Pendant les années en cause, l’appelante et son époux, M. Mario Julien, ont déclaré le revenu imposable suivant (perte) :

 

 

Appelante 

Mario Julien

2003

                  (1 256 $)

               15 093 $

2004

                   3 603 $

                  1 $

2005

                   3 475 $

             (1 706 $)

 

L’Agence du revenu du Canada a décidé d’effectuer une vérification de la valeur nette de l’appelante pour les années en cause. Je soupçonne que c’est le faible revenu déclaré par l’appelante et son époux qui a mené à la vérification.

 

[5]     La vérificatrice a dressé une liste de l’actif et du passif de l’appelante au début et à la fin de chaque année, a ajouté ses dépenses personnelles ainsi que celles de son époux et a déduit tous leurs encaissements non imposables pour chaque année. Il s’ensuit que la vérificatrice a déterminé que le revenu de l’appelante pour chaque année visée était plus élevé que celui qu’elle avait déclaré dans ses déclarations de revenu, la différence correspondant aux montants qui figurent au paragraphe 1.

 

[6]     L’appelante conteste les chiffres utilisés par la vérificatrice pour déterminer ses dépenses personnelles ainsi que celles de M. Julien. La vérificatrice a obtenu ces montants en calculant le total de tous les retraits des comptes bancaires de l’appelante et de ceux de son époux et en soustrayant les retraits qu’elle pouvait définir comme ayant été utilisés dans l’entreprise de l’appelante. La vérificatrice a également soustrait tous les montants retirés qui, selon elle, avaient été déposés dans n’importe quel des autres comptes (en totalité ou en partie), afin d’éviter la double comptabilisation des dépenses personnelles. La vérificatrice a tenu pour acquis que les retraits restants avaient été utilisés pour couvrir les dépenses personnelles de l’appelante et de son époux.

 

[7]     L’appelante a soutenu que la vérificatrice n’avait pas tenu compte de tous les montants qui avaient été retirés de l’un des comptes mais déposés ultérieurement en totalité ou en partie dans l’un des autres différents comptes. Dans son témoignage, M. Gilles Létourneau, le comptable de l’appelante, a déclaré avoir trouvé de tels transferts totalisant 19 850 $ en 2003, 10 037 $ en 2004 et 11 310 $ en 2005, tandis que la vérificatrice n’a tenu compte que d’une partie de ces transferts. Malheureusement, M. Létourneau n’a pas été en mesure de fournir des détails sur ses calculs ni aucune précision sur les transferts allégués, comme des dates et des montants, et aucun relevé bancaire pour n’importe quel des comptes n’a été produit en preuve à l’audience. Par conséquent, il est impossible de vérifier cette prétention.

 

[8]     M. Létourneau avait fait ces mêmes représentations à la vérificatrice au stade de la vérification et elle a réexaminé les retraits afin de déterminer le montant de tels transferts.  À l’audience, la vérificatrice a produit une liste de tous les montants retirés de chacun des comptes et elle a noté les retraits qui avaient été suivis de dépôts en espèces dans n’importe quel des autres comptes, dans les quelques jours suivants. Elle a ajusté à la baisse les montants cotisés pour tenir compte des dépôts subséquents qui auraient pu être originaires des retraits antérieurs.

 

[9]     Dans son témoignage, le comptable de l’appelante a aussi déclaré que certains des montants retirés qui avaient été considérés comme ayant été utilisés pour couvrir des dépenses personnelles avaient dans les faits été utilisés pour acheter de l’équipement ou pour acquitter des dépenses liées à l’exploitation du casse-croûte, ou alors pour assumer les dépenses d’une entreprise exploitée par M. Julien, en plus des montants admis par la vérificatrice. Aucun détail au sujet de ces transactions n’a été donné par l’un ou l’autre des témoins et aucun document à l’appui n’a été fourni au sujet de ces comptes. Il a également affirmé que l’appelante et M. Julien disposaient d’un revenu non imposable additionnel sous la forme du produit d’une assurance-vie qui faisait suite au décès du père de M. Julien, ainsi que d’un héritage provenant de sa succession. L’appelante avait une copie d’un chèque payé de 3 503,12 $ daté du 16 novembre 2004 qui avait été émis par la Compagnie d’assurance-vie Sun Life et qui était payable à M. Julien, ainsi qu’une copie d’une police d’assurance-vie au nom de J.M. Julien. Ces documents n’ont pas été fournis à la vérificatrice et je suis convaincu que ces documents révèlent un revenu additionnel non imposable de 3 503,12 $ pour 2004. L’appelante a également fourni la preuve qu’elle et son époux avaient reçu 1 500 $ en 2004 pour la vente d’un chariot de golf ayant appartenu à son beau-père. À mon avis, la preuve à cet égard est crédible et fiable et, par conséquent, ce revenu serait aussi non imposable.

 

Analyse

 

[10]    Même si l’appelante n’a pas traité précisément de la question du droit du ministre d’établir de nouvelles cotisations après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, puisqu’elle se représente elle-même, je crois qu’il est approprié de veiller à ce que l’intimée prouve que l’appelante a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, en produisant ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005.

 

[11]    Dans l’arrêt Molenaar c. La Reine[1] la Cour d’appel fédérale a déclaré que lorsque le ministre démontre que la valeur nette du contribuable a augmenté durant une année d’imposition et qu’aucune explication crédible pour l’augmentation n’a été fournie par le contribuable, cela est suffisant pour permettre la réouverture d’une année prescrite. Au paragraphe 4, la Cour a dit ce qui suit :

 

À partir du moment où le ministère établi selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d’un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d’identifier la source et d’établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[12]    En l’espèce, la vérificatrice a effectué un examen méthodique et exhaustif de tous les relevés bancaires fournis par l’appelante et par son époux. À la suite de cet examen, elle a déterminé un écart entre les dépenses personnelles de l’appelante et de son époux et le total de leur revenu déclaré combiné. Toutefois, le travail accompli par la vérificatrice ne montre pas, selon la prépondérance des probabilités, la partie de ce que j’appellerai « écart conjoint » qui est attribuable seulement à l’appelante. Puisque la vérification de la valeur nette qui a été faite a mené à une vérification conjointe de l’appelante et de son époux, et que la vérificatrice a pris en compte l’ensemble des retraits des comptes bancaires appartenant aux deux époux ainsi que leur revenu non imposable combiné, tout ce qu’on peut dire c’est que l’écart conjoint résultait du revenu gagné, en totalité ou en partie, par l’appelante ou par son époux. En ce qui concerne les nouvelles cotisations relatives aux années d’imposition de l’appelante qui sont frappées de prescription, l’intimée doit prouver que l’appelante a fait une présentation erronée des faits ou une omission en déclarant son revenu par négligence, inattention ou omission volontaire. En l’espèce, à la lumière de la preuve dont je dispose, puisqu’il est impossible d’affirmer que le revenu qui constitue l’écart conjoint appartient à l’appelante, l’intimée n’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait sur ce point. Les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2003 et 2004 doivent donc être annulées.

 

[13]    Cependant, pour l’année d’imposition 2005, dont la nouvelle cotisation a été établie pendant la période normale de nouvelle cotisation, c’est sur l’appelante, plutôt que sur le ministre, que repose le fardeau de la preuve et c’est elle qui doit réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle l’écart cerné par la vérificatrice concernait le revenu gagné par elle seule. Pour les raisons suivantes, je conclus que l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

 

[14]    L’appelante a soutenu qu’elle ne pouvait pas avoir gagné les montants faisant l’objet des cotisations comme un revenu non déclaré attribuable à l’exploitation de son casse‑croûte. Cependant, lorsqu’il établit une cotisation fondée sur la valeur nette, le ministre n’a pas à prouver la source du revenu non déclaré : voir l’affaire Molenaar, précitée.

 

[15]    L’appelante a aussi soutenu que son comptable, M. Letourneau, avait relevé des erreurs d’au moins 60 000 $ dans le travail de la vérificatrice pour l’ensemble des années en cause. Malheureusement, la plupart des affirmations de M. Letourneau n’ont pas été corroborées par des relevés bancaires ni par aucun type de document à l’appui,  et, pour cette raison, je considère que son témoignage n’est pas fiable. Pour ce qui est de la question de la double comptabilisation des retraits bancaires, je préfère la preuve soumise par la vérificatrice, qui a déclaré avoir pris en compte tous les dépôts ayant été effectués dans les quelques jours suivants tous les retraits et avoir exclu ces montants du calcul des dépenses personnelles de l’appelante et de son époux. Son témoignage était appuyé par une liste de tous les retraits effectués à partir de tous les comptes bancaires dont elle avait examiné les relevés, ainsi que par des notes sur les cas où des dépôts auraient pu avoir été faits à partir des montants retirés, les retraits ayant alors été exclus du calcul des dépenses personnelles.

Enfin, l’appelante a souligné que son époux et elle disposaient d’un revenu non imposable important pendant les années visées par l’appel, lequel provenait du versement d’une indemnité relative à un accident et de montants reçus pour prendre en charge deux enfants en tant que famille d’accueil. Ces affirmations étaient véridiques, mais la vérificatrice était au courant de ces sources de revenu et elle a tenu compte de tous les paiements que l’appelante affirme avoir reçus pour les services fournis en tant que famille d’accueil ainsi que des sommes de 62 804,80 $ et de 21 195,95 $ reçues à titre de produit d’une assurance pour les années 2004 et pour 2005 respectivement. Une fois de plus, l’appelante n’a présenté aucune preuve pour démontrer que les chiffres utilisés par la vérificatrice étaient inexacts.   

 

[16]    Pour ces motifs, les appels sont accueillis en partant du principe que les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2003 et 2004 doivent être annulées.

 

[17]    Même si j’ai conclu que les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2003 et 2004 étaient prescrites, si elles ne l’avaient pas été, j’aurais conclu que deux des questions soulevées par M. Létourneau auraient entraîné la réduction du montant de la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2004. Le produit de l’assurance‑vie versé à M. Julien a été prouvé par le chèque payé et par le certificat d’assurance‑vie. Ces documents n’avaient pas été fournis à la vérificatrice, et je suis persuadé qu’ils montrent un revenu non imposable de 3 503,12 $ pour 2004. Je conclus également que le témoignage de l’appelante voulant qu’elle et que M. Julien aient reçu 1 500 $ à la suite de la vente d’un  chariot de golf ayant appartenu au défunt père de M. Julien est crédible et aurait donc aussi été considéré comme un encaissement non imposable.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mars 2011.

 

 

« B.Paris »

Juge Paris

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 127

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-740(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       DIANE BEAULIEU

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Brent Paris

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Ilinca Ghibu

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                                Nom :                S/O

 

                            Cabinet :                S/O

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           2004 CAF 349.

 

 

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