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Dossier : 2010-285(IT)I

ENTRE :

JEAN-MICHEL EMOND,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 26 novembre 2010, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Brent Paris

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Gregoire Cadieux

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard de l’année d’imposition 2004 est accueilli, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national afin qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en partant du principe que 6 342 $ doivent être ajoutés dans le calcul de la déduction demandée par l’appelant au titre de frais de déplacement relativement à un emploi pour l’année d’imposition 2004.

 

          L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi à l’égard de l’année d’imposition 2005 est rejeté, sans dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2011.

 

« B.Paris »

Juge Paris


 

 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 142

Date : 20110310

Dossier : 2010-285(IT)I

ENTRE :

JEAN-MICHEL EMOND,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

[1]     Les présents appels ont été interjetés à l’égard des années d’imposition 2004 et 2005 de l’appelant. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction de dépenses d’emploi s’élevant à 19 445 $ pour l’année 2004 et à 4,260 $ pour l’année 2005, ainsi que la déduction de pertes de location s’élevant à 23 596 $, que l’appelant a demandée pour l’année 2005.

Dépenses d’emploi

[2]     L’appelant travaillait comme employé‑vendeur à commission. Il vendait des vidéos à des clubs vidéo au Québec et en Ontario. Dans le cadre de son emploi, il était appelé à se déplacer beaucoup, et il a reçu de son employeur une allocation de 5 371 $ en 2004 et de 4 260 $ en 2005 pour l’aider à payer ses frais de déplacement. Il n’a pas inclus cette allocation dans le calcul de son revenu pour aucune des années en cause.

[3]     Dans ses déclarations de revenu, l’appelant a demandé la déduction de frais de déplacement s’élevant à 26 242 $ pour l’année 2004 et à 11 232 $ pour l’année 2005 relativement à son emploi. Le tableau ci‑dessous présente les montants demandés par l’appelant ainsi que les montants dont la déduction a été refusée par le ministre :

 

 

2004

2005

 

 

Demandé

Refusé

Demandé

Refusé

 

Frais de véhicule à moteur

12,249

6 853

 

 

 

Frais juridiques et comptables

100

 

 

 

 

Frais de repas et de boisson

1,205

 

 

1,402

 

Fraise stationnement

235

 

 

 

 

Paiement sur prêt

4,516

4,516

 

 

 

Hôtel

437

 

 

 

 

Avion

757

 

 

 

 

Location de véhicule

285

 

 

 

 

Cellulaire

1,410

 

 

 

 

Téléphone

631

 

 

 

 

Passeport, visa et assurance

 

1,800

1,800

 

 

Frais d’intérêts

 

1,407

1,406

 

 

Divers

 

273

 

 

 

Frais de bureau

 

 

 

2,000

 

Frais de déplacement

 

 

 

7,830

 

Frais de bureau à domicile

 

934

 

 

 

 

Allocations non-imposables reçus

 

 

5,370

 

4,260

TOTAL

 

26,242

19,445

11,232

4,260

[4]     Le ministre a refusé la déduction de frais afférents à un véhicule à moteur s’élevant à 6 853 $ pour l’année 2004 en partant du principe que l’utilisation que l’appelant faisait de son véhicule à des fins commerciales ne représentait que 45 % de l’utilisation totale du véhicule et non 90 %, comme ce qu’avait déclaré l’appelant. La déduction d’un paiement de 4 516 $ relatif à un prêt a été rejetée en partant du principe que le paiement était en fait un paiement au titre du capital relatif à l’achat du véhicule de l’appelant. De plus, la déduction d’un montant de 1 800 $, qualifié de dépense relative aux « passeport, visa et assurances », ainsi que la déduction d’un montant de 1 406 $ au titre de frais d’intérêts ont été refusées compte tenu du fait que les montants en question ne représentaient pas des dépenses engagées pour gagner le revenu provenant de son emploi.

 

[5]     Le ministre a aussi déduit du total des dépenses demandées pour chacune des années en cause le montant de l’allocation reçue par l’appelant de la part de son employeur qu’il n’a pas inclus dans son revenu.

 

[6]     La disposition législative qui s’applique en l’espèce est l’alinéa 8(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), qui prévoit la déduction de certaines dépenses par les vendeurs à commission. Cette disposition est rédigée en ces termes :

8(1)f)      lorsque le contribuable a été, au cours de l’année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

 

(i) il était tenu, en vertu de son contrat, d’acquitter ses propres dépenses,

(ii) il était habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur,

(iii) sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés,

(iv) il ne recevait pas, relativement à l’année d’imposition, une allocation pour frais de déplacement qui, en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), n’était pas incluse dans le calcul de son revenu,


les sommes qu’il a dépensées au cours de l’année pour gagner le revenu provenant de son emploi (jusqu’à concurrence des commissions ou autres rétributions semblables fixées de la manière prévue au sous-alinéa (iii) et reçues par lui au cours de l’année) dans la mesure où ces sommes n’étaient pas :


(v) des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l’alinéa j),

(vi) des dépenses qui ne seraient pas, en vertu de l’alinéa 18(1)l), déductibles dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, si son emploi relevait d’une entreprise exploitée par lui;

(vii) des montants dont le paiement a entraîné la réduction du montant qui serait inclus par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année en application de l’alinéa 6(1)e);

[…]

 

[7]     Dans son témoignage, l’appelant a affirmé qu’en 2004, il avait utilisé sa voiture presque exclusivement pour les activités liées à son emploi. Il ne tenait pas un registre de l’utilisation de son véhicule, mais il a fourni une reconstitution de ses déplacements (pièce A-1) dans laquelle il était indiqué qu’il avait parcouru 50 833,7 kilomètres, au total, et que 5 194,8 de ces kilomètres (soit 10 %) représentaient ses déplacements de son domicile au lieu d’affaires de son employeur, déplacements qu’il a qualifiés de personnels. L’appelant a affirmé qu’il partait directement du lieu d’affaires de son employeur pour se rendre chez ses clients avant de retourner à son domicile. Il a donc traité tous les kilomètres parcourus, à l’exception de ses déplacements de son domicile jusqu’au lieu d’affaires de son employeur, comme étant liés à son emploi.

 

[8]     Lors de l’audience, l’avocat de l’intimée a convenu que l’appelant avait réussi à prouver qu’en 2004, 80 % de ses déplacements en voiture étaient attribuables à des activités liées à son travail en 2004. L’avocat de l’intimée soutient cependant qu’en plus des déplacements effectués de son domicile jusqu’au lieu d’affaires de son employeur, les déplacements du lieu de son dernier rendez‑vous de la journée jusqu’à son domicile devraient aussi être traités comme étant d’ordre personnel.

 

[9]     L’appelant soutient que, parce qu’il travaillait aussi de son domicile, les déplacements effectués entre le lieu de son dernier rendez‑vous jusqu’à son domicile étaient aussi liés à son emploi. De son côté, l’intimée soutient que le montant total des frais afférents à un véhicule à moteur devrait être réduit de 568 $, soit le montant de l’écart entre le montant demandé au titre d’assurance automobile énoncé dans la liste de frais afférents à un véhicule jointe à la déclaration de revenu de 2004 de l’appelant et le montant payé par l’appelant au titre d’assurance automobile, selon le relevé d’Assurance Desjardins fourni par ce dernier. 

 

Analyse : frais de déplacement

 

[10]    Il a été statué que, lorsqu’un contribuable est tenu de travailler de son domicile, qui représente alors un lieu de travail habituel, les déplacements effectués à partir du domicile et en destination de celui‑ci constituent des déplacements faits dans le cadre de l’emploi. Voir Toutov v. The Queen[1] et Campbell v. The Queen[2]. Par conséquent, les frais liés à ces déplacements pourraient être déduits en application de l’alinéa 8(1)f) de la Loi. Le témoignage de l’appelant selon lequel il travaillait régulièrement de son bureau à domicile n’a pas été contesté par l’intimée. Je souligne aussi que le ministre a admis la déduction des dépenses relatives au bureau à domicile. Pour cette raison, je conclus que l’appelant a réussi à prouver que les déplacements en cause effectués avec son véhicule étaient liés aux fonctions de son emploi et qu’il est en droit de déduire 90 % des dépenses afférentes à son véhicule dans le calcul de son revenu pour l’année 2004.  

 

[11]    Comme le soutient l’intimée, le montant devrait être réduit afin qu’il représente le montant réellement payé en assurance automobile en fonction de ce qui est indiqué dans le relevé de Desjardins. Le montant total de la déduction demandée au titre de frais afférents à un véhicule à moteur pour l’année 2004 est 12 249 $. Ce montant devrait être réduit de 90 % de 568 $ (soit 511 $), ce qui donne 11 738 $. Étant donné que le ministre a déjà admis une déduction s’élevant à 5 396 $, l’appelant a droit à une déduction supplémentaire de 6 342 $ au titre de frais afférents à un véhicule à moteur.    

 

[12]    Je ne peux faire droit à la demande qu’a faite l’appelant en vue de déduire un montant de 4 516 $ au titre du remboursement du solde dû pour son prêt automobile. Ce paiement constituait clairement un paiement au titre du capital, et le sous‑alinéa 8(1)f)(v) empêche la déduction d’un tel type de paiement.

 

[13]    Les éléments de preuve présentés par l’appelant à l’égard de la déduction qu’il a demandée sous la rubrique « passeport, visa et assurances » portaient à confusion, comportaient des lacunes et ne suffisaient pas pour démontrer la nature ou l’objet des dépenses en question. L’appelant ne s’est donc pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que ces dépenses avaient été engagées pour gagner un revenu.

 

[14]    Parmi les montants déduits au titre d’intérêts figuraient des intérêts pour solde impayé sur au moins une des cartes de crédit de l’appelant, ainsi que pour les frais annuels, les frais de dépassement de limite de crédit et l’assurance-vie pour cette même carte. Pour appuyer sa demande de déduction, l’appelant a présenté en preuve une feuille de calculs manuscrite et une partie d’une facture de carte de crédit. Malheureusement, il est impossible d’établir quelle proportion des éléments énoncés dans la liste manuscrite des dépenses est liée à l’emploi de l’appelant. Par conséquent, aucune partie de la déduction demandée ne peut être admise.

 

[15]    Je conclus également que le ministre a correctement traité l’allocation pour frais de déplacement que l’employeur versait à l’appelant. En application du sous‑alinéa 8(1)f)(iv) de la Loi, pour que le contribuable ait le droit de déduire des frais de déplacement, il ne devait pas recevoir une allocation raisonnable pour frais de déplacement de la part de son employeur. S’il reçoit une allocation qui n’est pas considérée comme raisonnable, il est tenu de l’inclure dans le calcul de son revenu en application de l’alinéa 6(1)b) de la Loi. L’intimée a admis que l’allocation reçue par l’appelant n’était pas raisonnable et que ce dernier avait donc le droit de déduire les frais de déplacement liés à son emploi. On obtient le même résultat net en réduisant le montant de la déduction demandée par l’appelant au titre de frais de déplacement par le montant de l’allocation. Cette façon de faire a été approuvée par la Cour dans Vienot c. La Reine[3].

 


Pertes de location

 

[16]    La prochaine question en litige porte sur la déduction au titre de pertes de location s’élevant à 23 596 $ demandée par l’appelant pour l’année 2005. Le ministre a refusé la déduction en partant du principe que le bien auquel la perte se rattachait n’était pas une source de revenu pour l’appelant.

 

[17]    En juillet 2005, l’appelant a acheté une auberge de 10 chambres à Saint-Zénon, au Québec, pour une somme de 550 000 $. Au même moment, environ, il a constitué une société, Le Zénon Inc., afin d’exploiter l’auberge, dans laquelle on retrouvait un bar et un restaurant.

 

[18]    Il ressort de la preuve que l’appelant habite à l’auberge et l’exploite au nom de la société depuis qu’il l’a achetée. Il semble que l’entreprise n’a pas été un succès financier pour la société, et ce malgré tous les efforts de l’appelant. La compagne de l’appelant, Lise Hamel, a aussi passé beaucoup de temps à l’auberge, avec sa fille, et a aidé l’appelant à l’exploitation de l’entreprise. Pendant une certaine période, le cheval de sa fille se trouvait sur la propriété. Selon Mme Hamel, l’entreprise prévoyait mettre sur pied un centre équestre dans le cadre des activités de l’auberge. Selon les témoins, l’appelant habite au sous-sol de l’auberge et Mme Hamel et sa fille occupent une chambre à l’étage lorsqu’elles sont à l’auberge.

 

[19]    La société n’a pas payé de loyer à l’appelant en 2005. L’appelant a affirmé qu’elle n’avait pas fait suffisamment d’argent pour payer le loyer pendant cette année‑là. Rien dans la preuve n’indique que la société a payé un loyer à l’appelant au cours des années qui ont suivi. Aucune dépense au titre de loyer n’est inscrite pour la période en cause dans les états financiers de la société pour son exercice s’étant terminé le 31 mai 2006. Aucun autre état financier n’a été présenté en preuve. Selon ce qui est énoncé au paragraphe 7n) de la Réponse à l’avis d’appel, l’appelant a déclaré un revenu de location brut de 20 160 $ dans sa déclaration de revenu personnelle pour l’année d’imposition 2006, mais il n’a pas été établi s’il s’agissait du montant reçu au titre de loyer de la part de la société. Cette déclaration de revenu n’a pas été présentée en preuve à l’audience, et il est ressorti de la preuve qu’en 2006, l’appelant donnait en location une maison dont il était le propriétaire, à Terrebonne. Il est donc impossible d’établir si une partie du revenu de location déclaré représentait le loyer reçu à l’égard du bien à Saint-Zénon.

 

[20]    Les ententes conclues entre l’appelant et sa société quant à l’utilisation du bien ne sont pas claires. Dans leurs témoignages, l’appelant et Mme Hamel ont affirmé qu’un bail avait été établi entre l’appelant et la société, mais ils ne pouvaient pas en fournir de copie à la Cour, étant donné que le document était entre les mains d’un avocat représentant l’appelant dans une autre instance. L’appelant n’a pas dit quel était le montant du loyer, mais Mme Hamel a dit qu’il s’élevait à 4 000 $ par mois. Toutefois, à l’étape de la vérification, le représentant de l’appelant avait dit au vérificateur que le loyer s’élevait à 2 000 $ par mois et qu’aucun bail n’avait été signé. De plus, encore à l’étape de la vérification, l’appelant avait été appelé à répondre à un certain nombre de questions concernant la demande de déduction au titre de pertes de location, y compris le montant du loyer qu’il demandait. Il n’a pas fourni de réponse. En réponse à la question de savoir de quelle façon le montant du loyer avait été établi, l’appelant a écrit « Par le coûtant de l’hypothèque ». En outre, comme il a déjà été mentionné, aucun montant au titre de loyer payé ou à payer n’est inscrit pour la période en cause dans les états financiers pour l’exercice s’étant terminé le 31 mai 2006.   

 

Observations : pertes de location

 

[21]    L’intimée soutient que le bien n’était pas une source de revenu pour l’appelant en 2005 et que, par conséquent, ce dernier ne peut pas tenir compte de ses pertes dans le calcul de son revenu en application de la Loi. L’avocat de l’intimée affirme que la propriété et l’utilisation du bien par l’appelant comportaient au moins deux aspects personnels : il l’habitait et il permettait à sa société de l’exploiter sans payer de loyer. Par conséquent, suivant l’arrêt de la Cour suprême rendu dans l’affaire, Stewart c. La Reine[4], il est nécessaire de tenir compte de la nature commerciale de l’utilisation que faisait l’appelant du bien. L’avocat de l’intimée soutient que, parce que l’appelant a choisi de permettre à la société d’utiliser le bien sans qu’elle ait à payer de loyer, il n’utilisait pas le bien de façon commerciale. Par conséquent, le bien ne peut pas être considéré comme une source de revenu pour l’appelant.

 

[22]    Subsidiairement, l’intimée soutient que si le bien était effectivement une source de revenu, les pertes étaient moins importantes que ce qu’a déclaré l’appelant. L’intimée remet en question le montant de la déduction demandée au titre d’intérêts.

 

[23]    Dans ses observations, l’appelant a semblé voir de façon assez floue la distinction entre lui et sa société Le Zenon Inc., soutenant qu’il avait l’intention d’exploiter l’auberge comme une entreprise et que, par conséquent, il avait le droit de déduire les pertes de location. Ses observations portaient principalement sur les efforts que Mme Hamel et lui avaient déployés pour que l’auberge soit une réussite ainsi que sur les difficultés qu’ils ont dû surmonter. Il soutient que même s’il a travaillé fort, il a perdu de l’argent avec l’entreprise et qu’il serait juste de lui permettre de déduire les pertes de location en cause.

 

Analyse : perte de location

 

[24]    Dans l’arrêt Stewart, la Cour suprême du Canada a statué que, pour établir si les activités d’un contribuable sont une source de revenu au sens de la Loi, qu’elles soient constituées d’une entreprise ou d’un bien, elles doivent être exercées en vue de réaliser un profit. L’analyse de la Cour suprême du critère à appliquer afin de déterminer l’existence d’une entreprise ou d’un bien source de revenu est énoncée aux paragraphes 48 à 51 de cet arrêt :

 

48     À notre avis, pour déterminer si un contribuable a une source de revenu, il faut se fonder sur le texte et l’économie de la Loi.

 

49     La Loi fait état de diverses sources de revenu du contribuable. Au chapitre des règles fondamentales de calcul du revenu à l’art. 3, la Loi prévoit :

 

3. Le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l’année, déterminé selon les règles suivantes :

 

a) en calculant le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année [. . .], dont la source se situe à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;  [Nous soulignons.]

 

En ce qui a trait aux sources de revenu constituées d’une entreprise ou d’un bien, la règle fondamentale de calcul se trouve à l’art. 9 :

 

9.(1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

 (2) Sous réserve des dispositions de l’article 31, la perte subie par un contribuable dans une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte, si perte il y a, subie dans cette année d’imposition relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée en appliquant mutatis mutandis les dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

 

50     Il est manifeste que, pour que l’art. 9 s’applique, le contribuable doit d’abord déterminer s’il a une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien. Comme nous l’avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d’un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d’un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l’existence d’une source :

(i) L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

(ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

 

51   Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit » : Smith, précité, p. 258; Terminal Dock, précité. De même, la distinction entre le revenu tiré d’une entreprise et le revenu tiré d’un bien repose généralement sur le fait qu’une entreprise exige un niveau d’activité plus élevé de la part du contribuable : voir Krishna, op. cit., p. 240. Il est donc logique de conclure qu’une activité exercée en vue de réaliser un profit, quel que soit le niveau d’activité du contribuable, sera une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien.

 

[25]    La Cour suprême a également affirmé ce qui suit au paragraphe 54 :

 

54     Il y a également lieu de souligner que la détermination de l’existence d’une source de revenu n’est pas un processus purement subjectif. Outre le fait que, pour qu’une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l’intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l’arrêt Moldowan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs. Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a-t-il l’intention d’exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[26]    En l’espèce, comme l’a souligné l’avocat de l’intimée, il s’agit d’établir comment l’appelant, et non la société, utilisait le bien. L’appelant a choisi de l’acheter en son nom plutôt que de passer par la société, et il ne peut pas faire fi de ce choix lorsque cela ne convient pas à ses intérêts. La Cour ne peut pas ignorer l’existence de la société. En droit, l’entreprise qu’elle exploitait était distincte de l’activité de location menée par l’appelant. Ce point a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Appleby c. Le ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 805, [1974] C.T.C. 693, 74 D.T.C. 6514 à 813 (C.T.C. 698, D.T.C. 6517) en ces termes :

Il a toujours été reconnu, depuis l’arrêt Salomon v. Salomon & Co., que même si les actions d’une compagnie à responsabilité limitée sont en fait la propriété d’une seule personne qui dirige aussi la compagnie, l’entreprise demeure cependant une entité distincte, une personne juridique ayant ses propres droits et obligations. La Loi de l’impôt sur le revenu implique sans équivoque que cette règle n’est pas moins valable en matière d’impôt.

 

[27]    Ainsi, l’activité de location menée par l’appelant doit, en soi, être menée en vue de réaliser un profit ou d’une façon commerciale afin de constituer une source de revenu au sens de la Loi. 

 

[28]    À mon avis, l’appelant n’a pas satisfait à la première exigence établie par la Cour suprême dans Stewart, c’est‑à‑dire qu’il n’a pas fait la preuve qu’il avait l’intention subjective de réaliser un profit lorsqu’il fournissait le bien de sa société pour que cette dernière l’utilise dans l’exploitation de son entreprise. Il semble ressortir de la preuve que l’appelant avait l’intention de louer le bien à la société en contrepartie d’un loyer à peu près équivalent aux paiements d’hypothèque, soit un peu plus de 2 000 $ par mois. Cela concorde avec ce que le représentant de l’appelant a affirmé au vérificateur au sujet du montant du loyer prévu ainsi qu’avec la réponse fournie par l’appelant à la question qui lui avait été posée par écrit à savoir de quelle façon le loyer avait été établi. Ce montant n’était cependant pas suffisant pour couvrir toutes les autres dépenses de l’appelant, comme les assurances, les taxes et l’entretien. Pour l’année 2005, l’appelant a demandé la déduction de dépenses relatives au bien, y compris l’intérêt hypothécaire, s’élevant à 4 000 $ par mois. Il n’y a aucune raison de croire que l’appelant ne savait pas que le coût prévu du loyer ne suffirait pas pour couvrir ses dépenses et qu’il en tirerait des pertes. La seule conclusion qu’on peut tirer est que l’appelant n’avait pas l’intention de réaliser un profit de la location du bien à sa société.

 

[29]    Je ne suis pas convaincu qu’il existait une entente prévoyant que la société devait payer un loyer de 4 000 $ par mois. Du moins, il n’en existait pas pendant l’année d’imposition 2005. Ce montant n’a pas été mentionné au vérificateur, et l’appelant ne l’a pas non plus mentionné dans le questionnaire qu’il a rempli à l’intention du vérificateur. De plus, ce montant ne semble pas être inclus dans le montant déclaré par l’appelant au titre de revenu de location et n’a pas été reconnu comme dépense dans les états financiers de la société.  

 

[30]    Même s’il avait existé une entente prévoyant que la société devait payer un loyer de 4 000 $ par mois, il n’a pas été prouvé qu’on aurait pu s’attendre à ce que cette entente se solde par la réalisation de profits pour l’appelant. La perte de 24 838 $ pour l’année 2005 a été enregistrée par l’appelant entre le 15 juillet et le 31 décembre de cette année‑là, soit sur une période de cinq mois et demi, ce qui signifie qu’il en coûtait à l’appelant plus que 4 000 $ par mois pour entretenir le bien.

 

[31]    La conduite adoptée par l’appelant par la suite porte aussi à conclure que ce dernier ne menait pas d’activités de location de manière commerciale. Il ne semble pas reconnaître que la société avait une créance envers lui au titre du loyer impayé, pas plus qu’il n’a essayé de trouver un nouveau locataire lorsque sa société n’a pas été en mesure de générer suffisamment de revenu pour payer le loyer.   

 

[32]    Pour ces motifs, je conclus à contrecœur que l’appelant n’a pas droit à la déduction qu’il a demandée au titre de pertes de location pour l’année 2005. 

 

[33]    Si j’avais conclu en faveur de l’appelant sur cette question, je n’aurais pas réduit le montant de la déduction demandée par le montant des pertes. J’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle les intérêts dont il a demandé la déduction étaient composés de deux éléments : l’intérêt sur la première hypothèque pour l’auberge comme telle et l’intérêt sur la seconde hypothèque que l’appelant a contractée pour sa maison à Terrebonne afin de récupérer le solde du prix d’achat de l’auberge. 

 

[34]    L’appel est accueilli dans la mesure où la déduction demandée par l’appelant au titre de frais de déplacement relativement à son emploi doit être majorée de 6 342 $ pour l’année d’imposition 2004.

 

[35]    Après que l’audience a pris fin, l’appelant a envoyé d’autres documents au greffe de la Cour en demandant qu’il en soit tenu compte. L’intimée s’est opposée à ce que l’audience soit rouverte afin de permettre l’ajout de nouveaux documents au dossier.

 

[36]    Seulement un de ces documents semblait pouvoir être utile en vue m’aider à tirer des conclusions sur les questions dont j’étais saisi en l’espèce. Il s’agissait d’une copie d’une requête présentée au nom de l’appelant dans une autre instance. Cette requête comportait une affirmation selon laquelle il existait bel et bien une entente prévoyant que la société de l’appelant devait payer un loyer de 4 000 $ par mois. Toutefois, comme l’a souligné l’avocat de l’intimée, il ne s’agit pas d’une preuve irréfutable qu’il existait une entente. De plus, cela vient contredire d’autres éléments de preuve dont j’ai été saisi sur la question.  

 

[37]    De surcroît, rien ne laisse entendre que l’appelant n’avait pas eu accès à ces documents avant la tenue de l’audience.

 

[38]    Pour ces motifs, je conclus qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de rouvrir l’audience pour permettre le dépôt de ces documents. Je refuse donc de le faire.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 2011.

 

« B.Paris »

Juge Paris

 


RÉFÉRENCE :                                            2011 TCC 142

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :               2010-285(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                                 JEAN-MICHEL EMOND et

                                                                    SA MAJESTÉ LA REINE  

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 26 novembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                         L’honorable juge Brent Paris

 

 

DATE DU JUGEMENT :                              Le 10 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Gregoire Cadieux

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

          Pour l’appelant :

 

                   Nom :           S.O.

 

                   Cabinet :                S.O.

 

          Pour l’intimée :                Myles J. Kirvan

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada



[1]           2006 DTC 2928.

 

[2]           2003 DTC 420.

 

[3]           2010 CCI 112, aux paragraphes 19 à 25.

 

[4]           [2002] 2 R.C.S. 645.

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