ENTRE :
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
et
PIZZA 73 INC. s/n PIZZA 73,
intervenante.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
____________________________________________________________________
Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Vita Steiner (2010‑3026(CPP)), le 10 février 2011, à Edmonton (Alberta).
Devant : L’honorable juge Diane Campbell
Comparutions :
Avocat de l’intervenante : |
Me Dane Zobell |
____________________________________________________________________
JUGEMENT
L’appel est accueilli, sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.
Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 9e jour de mars 2011.
« Diane Campbell »
Juge Campbell
Traduction certifiée conforme
ce 6e jour de mai 2011.
Marie‑Christine Gervais
Dossier : 2010-3026(CPP)
ENTRE :
VITA STEINER,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé,
et
PIZZA 73 INC. s/n PIZZA 73,
intervenante.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
____________________________________________________________________
Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Vita Steiner (2010‑2519(EI)), le 10 février 2011, à Edmonton (Alberta).
Devant : L’honorable juge Diane Campbell
Comparutions :
Avocat de l’appelante : |
Me Michael A. Power |
Avocate de l’intimé : |
Me Mary Softley |
Avocat de l’intervenante : |
Me Dane Zobell |
____________________________________________________________________
JUGEMENT
L’appel est accueilli, sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et la décision du ministre est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.
Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 9e jour de mars 2011.
« Diane Campbell »
Juge Campbell
Traduction certifiée conforme
ce 6e jour de mai 2011.
Marie‑Christine Gervais
2010-3026(CPP)
ENTRE :
VITA STEINER,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé,
et
PIZZA 73 INC. s/n PIZZA 73,
intervenante.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Les présents appels ont été entendus ensemble sur preuve commune; ils résultent de décisions que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rendues conformément au Régime de pensions du Canada (le « Régime ») et à la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE »). Mme Steiner interjette appel de la décision par laquelle le ministre a conclu qu’au cours de la période allant du 1er août 2008 au 21 août 2009 (la « période »), elle n’exerçait pas un emploi aux termes d’un contrat de louage de services à titre d’employée du payeur, Unit Nine 73 Inc. (« Unit Nine »), ou de l’intervenante, Pizza 73 Inc., autrefois Pizza Pizza Limited. Pizza 73 Inc. et Manjit Pandher possèdent chacun 50 p. 100 des actions avec droit de vote d’Unit Nine. Contrairement à la décision du ministre, l’appelante allègue qu’au cours de la période pertinente, elle était une employée d’Unit Nine et qu’elle n’agissait pas à titre d’entrepreneure indépendante.
[2] Unit Nine est une société constituée en personne morale qui exploite une entreprise de ramassage et de livraison de pizzas à titre de magasin franchisé de Pizza 73 Inc. Le siège social de Pizza 73 Inc. est situé en Ontario. L’appelante a travaillé comme chauffeur affecté à la livraison de pizzas pour Unit Nine de l’année 2003 jusqu’à ce qu’il soit mis fin à son emploi, le 21 août 2009. Lorsqu’elle a initialement été embauchée, l’appelante a été obligée de signer une [traduction] « entente concernant le transporteur » (pièce A‑1), dans laquelle elle était désignée à titre d’entrepreneure indépendante et non à titre d’employée d’Unit Nine. Étant donné que cette entente est brève, je la reproduirai dans les présents motifs :
[traduction]
PIZZA 73 ENTENTE CONCERNANT LE TRANSPORTEUR
ENTRE
UNITÉ : Vita Steiner______ et Vita Steiner___________________
(ci-après appelée « Pizza 73 ») (ci-après appelée le « transporteur »)
[…]
1. Le transporteur fournit à ses frais son propre véhicule.
2. Le transporteur est titulaire d’un permis de conduire valide.
3. Le transporteur souscrit une assurance-automobile ainsi qu’une assurance de responsabilité civile générale et une assurance contre les dommages matériels d’un montant jugé raisonnable (compte tenu de l’utilisation du véhicule) auprès de sa compagnie d’assurance-automobile et de l’administration provinciale.
4. Le transporteur s’engage à acheter les pizzas de Pizza 73 avant leur livraison. Il incombe au transporteur d’obtenir le remboursement du client ainsi que de recouvrer les frais de livraison applicables. Pizza 73 ne paie pas le transporteur. Pizza 73, le client et le transporteur (agissant à titre de mandataire du client) s’entendent sur les frais de livraison.
5. Le transporteur n’est pas un employé de Pizza 73; il n’accomplit aucune tâche et n’assume aucune responsabilité au sein de l’entreprise de Pizza 73 et il n’est donc pas admissible aux avantages sociaux. Le transporteur ne se présente pas à qui que ce soit comme étant un employé de Pizza 73. En sa qualité d’entrepreneur indépendant et de propriétaire de sa propre entreprise, le transporteur est tenu personnellement responsable des retenues à verser au gouvernement sur son revenu, telles que celles qui ont trait au RPC, à l’AE, aux impôts sur le revenu, aux indemnités d’accident du travail et ainsi de suite. Le transporteur traite directement avec les autorités gouvernementales. Malgré les dispositions susmentionnées, le transporteur accepte que Pizza 73 perçoive et verse, pour son compte, la taxe sur les produits et services à payer sur les frais de livraison.
6. Il est entendu que Pizza 73 ne sera pas tenue responsable du préjudice causé à un tiers par suite de lésions corporelles ou de dommages matériels résultant d’un accident mettant en cause le transporteur pendant qu’il livre les commandes de Pizza 73. Le transporteur s’engage par les présentes à indemniser Pizza 73 de toute réclamation ou demande découlant de sa négligence ou de quelque autre acte.
7. Il est entendu que le présent document constitue toute l’entente conclue entre les parties et qu’aucun autre engagement n’a été pris ni aucune autre entente conclue, verbalement ou par écrit. Toute modification apportée à la présente entente doit être effectuée par écrit. Chaque partie s’engage à assurer le caractère confidentiel de l’entente.
[…]
[3] L’appelante affirme qu’on lui a dit qu’il s’agissait d’un formulaire de demande pour le poste de chauffeur et [traduction] qu’« [...] il faudrait un certain temps pour traiter la demande [...] » (transcription, page 16, lignes 23 et 24), mais que si elle signait le formulaire, elle serait embauchée le même jour. En réponse aux questions qui lui ont été posées lors de l’interrogatoire principal au sujet de la question de savoir si elle savait qu’aux termes du contrat, elle agissait à titre d’entrepreneur indépendant plutôt qu’à titre d’employée, l’appelante a répondu ce qui suit :
[traduction]
R. Non, je ne le savais pas.
Q. Paul vous a-t-il expliqué ce que vous alliez faire en vertu de cette entente?
R. Non. Il a simplement dit que je livrerais les pizzas pour lui et pour Pizza 73 parce qu’il est propriétaire du magasin.
(Transcription, page 19, lignes 3 à 7).
[4] Lorsqu’elle a commencé à travailler pour Unit Nine, l’appelante touchait 2,80 $ pour chaque livraison. Sa rémunération a été portée à 3,50 $ pour chaque livraison en 2008, lorsqu’elle a commencé à contester le taux de rémunération accordé aux chauffeurs. L’appelante utilisait son propre véhicule pour les livraisons; les frais associés au véhicule, y compris les primes d’assurance et les réparations, étaient à sa charge. L’appelante utilisait également son propre téléphone cellulaire. Unit Nine fournissait les articles suivants : les sacs de livraison qui permettaient de conserver les pizzas au chaud; la boîte de livraison, sur laquelle étaient apposés le logo de la société et un dessin représentant une pizza qui était livrée à un client; les terminaux de cartes de débit et de crédit pour les clients qui préféraient utiliser ces modalités de paiement.
[5] L’appelante effectuait des postes précis pour Unit Nine. Au cours de ses postes, elle livrait exclusivement des pizzas pour Unit Nine. L’appelante était tenue d’être à la pizzeria depuis le début de son poste jusqu’à la fin. Les appels des clients qui voulaient acheter des pizzas étaient acheminés pour Pizza 73 par l’intermédiaire d’un centre d’appels et ils étaient ensuite dirigés vers la pizzeria qui était la plus rapprochée de l’adresse du client à laquelle la livraison devait être effectuée. Rachhpal Pandher (que l’appelante a également appelé « Paul »), dont l’épouse, Manjit, est l’une des deux propriétaires qui possèdent 50 p. 100 d’Unit Nine, gère la pizzeria depuis 19 ans. M. Pandher traitait les commandes lorsqu’il les recevait. Il désignait le chauffeur qui devait livrer une commande particulière. M. Pandher a témoigné qu’il suivait la règle selon laquelle le premier chauffeur qui se présentait au poste se voyait assigner la première livraison. Toutefois, selon le témoignage de l’appelante, si M. Pandher lui en voulait pour une raison ou une autre, il réduisait le nombre de livraisons qui lui étaient assignées au cours d’un poste donné. L’horaire des chauffeurs était toujours affiché à l’intérieur de la pizzeria.
[6] M. Pandher établissait l’horaire des postes des chauffeurs; il a déclaré qu’il tenait compte de la disponibilité des chauffeurs. Toutefois, l’appelante a affirmé qu’on ne lui accordait pas toujours les congés qu’elle demandait et qu’elle ne pouvait pas facilement s’absenter. Ainsi, elle a affirmé ne pas avoir pu obtenir un congé pour assister à un mariage ou qu’elle n’avait pas été autorisée à s’absenter pour l’anniversaire de sa fille. Lorsque les services sociaux ont appréhendé sa fille, qui était handicapée, elle a demandé et obtenu une diminution du nombre de postes, en 2009.
[7] Selon le paragraphe 4 de l’entente concernant le transporteur, le transporteur s’engageait à acheter la pizza de la pizzeria avant la livraison. Toutefois, en fait, on remettait simplement à l’appelante les pizzas à livrer et, à la fin du poste, on effectuait le paiement en argent. Le coût de la pizza pour le client comprenait le prix du produit, plus les frais de livraison, ainsi que la taxe sur les produits et services (la « TPS ») sur ces deux montants. Le code à barres figurant sur chaque facture de commande de pizza était inscrit dans la base de données de la pizzeria. Il renfermait les renseignements concernant le client et le nom du chauffeur qui avait été chargé de livrer la commande. Lorsqu’un chauffeur recevait le paiement en argent à la fin de poste, le coût du produit et la TPS étaient versés à Unit Nine et le chauffeur conservait le montant des frais de livraison. Lorsque les clients payaient à l’aide d’une carte de débit ou de crédit, ils payaient le magasin, et le magasin versait ensuite le montant des frais de livraison au chauffeur. Les chauffeurs fournissaient généralement leur propre fonds de caisse, mais l’appelante et M. Pandher ont tous deux déclaré que celui‑ci prêtait parfois à l’appelante, lorsqu’elle le lui demandait, suffisamment d’argent pour son fonds de caisse.
[8] L’appelante a témoigné que le manuel de formation des chauffeurs de Pizza 73 (le « manuel ») était toujours affiché sur un mur de la salle des chauffeurs à l’intérieur de la pizzeria, mais qu’il avait uniquement été expressément porté à l’attention des chauffeurs en 2007 ou en 2008, lorsque Pizza 73 avait acheté la franchise. À ce moment‑là, selon l’appelante, M. Pandher a expressément porté le manuel à l’attention des chauffeurs, avec une vidéo. M. Pandher a témoigné que le manuel et la vidéo étaient toujours disponibles dans la salle des chauffeurs et qu’il s’attendait à ce que les chauffeurs suivent ces lignes directrices et ces procédures. Toutefois, il est clair que M. Pandher n’appliquait pas toujours ces lignes directrices. Ainsi, le manuel dit que les chauffeurs sont obligés de porter l’uniforme de Pizza 73 lorsqu’ils effectuent leurs postes. M. Pandher a témoigné que les uniformes, y compris les chapeaux et les vestes sur lesquels était apposé le logo de la société, étaient disponibles au magasin, mais que les chauffeurs ne les utilisaient jamais. Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a déclaré qu’elle portait toujours une épinglette l’identifiant comme préposée à la livraison de Pizza 73, et ce, même si les autres chauffeurs ne portaient pas une telle épinglette.
[9] Le manuel renfermait également une section portant sur la résolution de problèmes, dans laquelle on indiquait aux chauffeurs les mesures particulières à prendre dans certains cas : lorsque les clients n’étaient pas à la maison ou lorsqu’il n’y avait pas de réponse; lorsque les clients étaient en colère; lorsqu’il était impossible de trouver une adresse; lorsqu’une partie de la commande manquait; lorsqu’il était impossible de rendre la monnaie appropriée. Dans certains cas, on proposait au chauffeur, dans le manuel, de communiquer avec le gérant du magasin pour obtenir des instructions et pour demander conseil. L’appelante a déclaré qu’elle essayait de régler elle-même les problèmes qui se posaient avec un client, mais qu’elle avait parfois été obligée d’appeler le gérant du magasin. M. Pandher a témoigné que les chauffeurs peuvent toujours communiquer avec le magasin ou composer le numéro du service à la clientèle indiqué dans le manuel lorsqu’ils règlent des problèmes de livraison.
[10] Lorsqu’il s’agit de décider si l’appelante est une employée d’Unit Nine ou si elle exploite sa propre entreprise à titre d’entrepreneure indépendante, les termes utilisés dans l’entente concernant le transporteur ne sont pas nécessairement déterminants. La disposition contractuelle figurant au paragraphe 5 de l’entente, stipulant que Mme Steiner agissait à titre d’entrepreneur indépendant et non à titre d’employée, ne l’emportera que si toutes les circonstances de la relation de travail elle-même justifient la désignation donnée au travailleur dans l’entente. Une telle désignation, dans un contrat, peut uniquement être confirmée lorsqu’elle correspond réellement à l’intention, à la façon dont le travail est exécuté et à la conduite des parties, telles qu’elles sont corroborées par la preuve. Autrement, cette désignation ne rime à rien et peut, dans certains cas, résulter de positions de négociation inégales au lieu de travail. Il devient encore plus important d’examiner la preuve à fond lorsque les parties contractantes témoignent au sujet de conceptions fort différentes de la nature de leur relation de travail, c’est‑à‑dire lorsque la preuve donne à penser qu’il n’existe aucune intention commune au sujet de la question de savoir si un travailleur est un employé. C’était ici le cas en l’espèce, l’appelante indiquant qu’elle croyait que l’entente concernant le transporteur était un formulaire de demande et qu’elle voulait le signer afin de pouvoir commencer à travailler ce jour‑là. L’entente concernant le transporteur ne lui a pas été expliquée et la preuve corrobore qu’elle ne comprenait pas la nature ou le contenu du formulaire contractuel type qu’elle signait. L’appelante a toujours voulu agir à titre d’employée et c’est ainsi qu’elle interprétait la relation. Le témoignage de l’appelante était parfois décousu, mais j’ai trouvé que l’appelante était un témoin crédible. Dans son témoignage, elle a parlé de certains cas dans lesquels elle avait demandé à M. Pandher de signer ses factures de livraison, de façon à pouvoir produire des déclarations de revenus afin de prouver qu’elle effectuait des livraisons. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait demandé à Unit Nine de lui remettre un feuillet T4, l’appelante a déclaré que M. Pandher [traduction] « [...] n’y cro[yait] pas » (transcription, page 52, ligne 21). Elle a également mentionné qu’il fallait obtenir des références de M. Pandher.
[11] À première vue, les trois premiers paragraphes de l’entente concernant le transporteur semblent indiquer une relation d’entrepreneur indépendant. Les chauffeurs devaient fournir leur propre véhicule pour les livraisons et tous les frais associés au véhicule étaient à leur charge. Toutefois, les témoignages de l’appelante et de M. Pandher contredisent en partie le contenu du paragraphe 4 de l’entente concernant le transporteur, indiquant le moment où les chauffeurs sont payés pour le produit. Il faut procéder à une analyse de la preuve concernant la relation globale afin de déterminer la nature véritable de la relation et de trancher la question de savoir si l’appelante était une employée ou si, comme le stipule l’entente concernant le transporteur, elle agissait plutôt à titre d’entrepreneur indépendant.
[12] Les deux arrêts faisant autorité dans ce domaine du droit sont Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (1986), 87 DTC 5025 (C.A.F.) [« Wiebe Door »] et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] A.C.S. no 61 [« Sagaz »]. L’arrêt Wiebe Door établit le critère bien connu composé de quatre volets qu’il faut prendre en considération pour décider si un particulier est un employé ou s’il est plutôt un entrepreneur indépendant. Il s’agit des facteurs suivants : contrôle, propriété des instruments de travail, risque de perte ou possibilité de profit et intégration. Chaque appel traitant de la question comporte son propre ensemble de faits, certaines variables militant en faveur d’une relation d’employé, alors que d’autres vont dans le sens contraire. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door ne sont pas exhaustifs; la Cour suprême du Canada a reconnu cet énoncé aux paragraphes 46, 47 et 48 de l’arrêt Sagaz :
46 À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l’arrêt Stevenson Jordan, précité, qu’il peut être impossible d’établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d’apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l’opinion du juge MacGuigan lorsqu’il affirme — en citant Atiyah, op. cit., p. 38, dans l’arrêt Wiebe Door, p. 563 — qu’il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :
[traduction] [N]ous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services [. . .] La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.
47 Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.
48 Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.
[13] Il n’existe aucun critère concluant que l’on peut facilement appliquer pour répondre à cette question. Il n’y a pas de formule magique. On fait du mieux possible en examinant objectivement tous les éléments de preuve dans le contexte du critère composé de quatre volets, tout en adoptant une approche fondée sur le bon sens dans laquelle il est tenu compte de la réalité économique de la relation de travail existant entre les parties et de leurs positions de négociation respectives, pour décider si chaque ensemble de faits permet de conclure que le travailleur est un employé plutôt qu’un entrepreneur indépendant. Même dans les cas où les parties ont exprimé une intention commune, les tribunaux doivent néanmoins décider si les circonstances pertinentes concernant leur relation de travail sont compatibles avec la façon dont les parties ont qualifié la relation.
[14] Le juge Nadon, de la Cour d’appel fédérale, qui examinait la jurisprudence récente dans ce domaine, a résumé ainsi les principes applicables, au paragraphe 35 de l’arrêt Combined Insurance Company of America c. M.R.N., 2007 CAF 60, [2007] A.C.F. no 124 :
[35] De ces décisions, il se dégage, à mon avis, les principes suivants :
1. Les faits pertinents, incluant l’intention des parties quant à la nature de leur relation contractuelle, doivent être examinés à la lumière des facteurs de Wiebe Door, précitée, et à la lumière de tout autre facteur qui peut s’avérer pertinent compte tenu des circonstances particulières de l’instance;
2. Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents et leur importance dépendra des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.
Même si en règle générale, le critère de contrôle aura une importance marquée, les critères élaborés dans Wiebe Door et Sagaz, précités, s’avéreront néanmoins utiles pour déterminer la véritable nature du contrat.
[15] En général, on associe les employés aux travailleurs qui consacrent toute leur attention et qui appliquent leurs compétences, dans un milieu de travail, au profit d’un particulier ou d’une société ou peut-être de plusieurs entités auprès desquelles ils exercent un emploi à temps partiel. Compte tenu de la conjoncture actuelle du marché, ce dernier scénario est de fait la réalité pour de nombreux travailleurs qui exercent plusieurs emplois à titre d’employés. D’autre part, les entrepreneurs indépendants offrent leur expertise ou leurs services en tout temps à tout membre du grand public qui veut les embaucher ou les rémunérer pour leurs services. Quoique ce ne soit pas nécessairement le cas, ils fournissent souvent leurs services à un certain nombre de sociétés ou de particuliers différents pour une période précise. Lorsqu’ils ont achevé les travaux qu’ils se sont engagés à exécuter par contrat, ils se lancent à la recherche du contrat suivant. En général, les entrepreneurs sont connus sous un nom commercial et ont une adresse distincte de celle de la personne qui les rémunère pour accomplir une tâche.
[16] Les relations d’emploi comportent habituellement un degré élevé de contrôle exercé par l’employeur sur le travailleur, c’est‑à‑dire que l’employeur exerce un contrôle sur l’endroit où les activités sont exercées, sur le moment où elles le sont et sur la façon dont elles le sont. Le droit pour l’employeur de diriger le travailleur est l’une des marques de la relation employeur-employé.
[17] En l’espèce, les faits indiquent qu’Unit Nine exerçait un contrôle sur l’appelante dans ses activités de livraison. Unit Nine établissait les heures et les postes des chauffeurs et s’attendait à ce que ces derniers s’y conforment. Il est vrai que l’appelante pouvait demander un jour de congé, mais elle a témoigné qu’à plusieurs reprises, sa demande n’avait pas été agréée. Toutefois, cela n’est pas différent de toute autre relation employeur-employé dans laquelle l’employé peut à son gré demander un congé, l’horaire étant établi en conséquence s’il est fait droit à sa demande. L’appelante, à sa demande, s’est vu accorder un nombre réduit de postes en 2009, mais Unit Nine avait entière discrétion à cet égard. L’appelante était également autorisée à ne pas effectuer une livraison lorsqu’une pizza contenait des fruits de mer, étant donné que, selon ce qu’elle a témoigné, elle risquait d’avoir une grave réaction allergique. Elle a demandé cette autorisation à M. Pandher, qui a donné son consentement. Il s’agissait d’une demande fondée sur des raisons médicales et l’appelante a déclaré qu’elle portait un bracelet MedicAlert. Le bon sens exige qu’aucun employeur ne contraigne un travailleur à manipuler un produit qui pourrait avoir de graves conséquences pour sa santé. Le fait que l’appelante n’avait pas à manipuler de produits de la mer n’a aucune importance quant au statut d’entrepreneur indépendant. En ce qui concerne les livraisons que l’appelante effectuait dans des immeubles d’habitation et dans des hôtels, la preuve était contradictoire et non concluante, l’appelante affirmant qu’elle effectuait de fait ces livraisons, alors que M. Pandher a témoigné que l’appelante ne les effectuait pas parce qu’elle était souvent accompagnée de sa fille handicapée lorsqu’elle effectuait des livraisons.
[18] L’appelante n’exerçait aucun contrôle sur son horaire et sur les heures qu’elle effectuait, si ce n’est lorsqu’elle demandait à M. Pandher de lui accorder un congé. La preuve ne montre pas que l’appelante pouvait accepter ou refuser des livraisons particulières, si ce n’est avec la permission de M. Pandher, par exemple lorsqu’il s’agissait de livrer des fruits de mer auxquels elle était allergique. L’appelante n’avait pas un mot à dire au sujet du montant des frais de livraison, lequel était établi par Unit Nine; ces frais faisaient partie intégrante du coût total du produit d’Unit Nine et ils étaient transmis au client. De fait, l’appelante a témoigné qu’au moment où elle avait commencé à effectuer des livraisons, en 2003, elle touchait 2,80 $ par pizza et qu’elle avait été obligée de demander à M. Pandher d’envisager une augmentation, en 2007 ou en 2008. Les entrepreneurs indépendants fixent leurs propres frais pour les services qu’ils fournissent et ce fait indique fortement, encore une fois, que l’appelante était une employée pour ce qui est du facteur « contrôle ».
[19] Il ne s’agissait pas d’un cas dans lequel l’appelante achetait la pizza au début de chaque livraison, comme le prévoit le paragraphe 4 de l’entente concernant le transporteur. On remettait à l’appelante la pizza à livrer et l’appelante recouvrait du client le montant à payer et remettait l’argent reçu pour toutes les livraisons à la fin de son poste. L’appelante suivait la procédure prescrite du paiement en argent, établie par Unit Nine, selon laquelle toutes les livraisons qu’elle effectuait étaient inscrites dans la base de données. De plus, contrairement à ce qui est stipulé au paragraphe 4 de l’entente, la preuve montre que les frais de livraison étaient uniquement établis par Unit Nine et non au moyen d’une entente entre [traduction] « Pizza 73, le client et le transporteur (agissant à titre de mandataire du client) ». Lorsque les clients payaient le produit au moyen d’une carte de débit ou de crédit, Unit Nine versait le montant des frais de livraison à l’appelante à la fin de son poste.
[20] Lorsque l’appelante effectuait un poste prévu à l’horaire, elle travaillait exclusivement pour Unit Nine. L’intimé a soutenu qu’Unit Nine n’exigeait pas de l’appelante qu’elle ne fasse pas de livraisons pour une autre entreprise lorsqu’elle ne travaillait pas pour le payeur. À mon avis, cette thèse n’établit rien pour ce qui est du contrôle. Un grand nombre d’employés exercent plus d’un emploi et, dans la mesure où ils travaillent exclusivement pour l’employeur lorsqu’ils sont obligés de le faire, la chose a un effet neutre sur le facteur « contrôle » lorsque le travailleur obtient et effectue des postes additionnels pour quelqu’un dans son temps libre.
[21] Contrairement à ce que les entrepreneurs indépendants font afin d’être rémunérés, l’appelante ne remettait pas de factures à Unit Nine. Elle effectuait des livraisons chez les clients d’Unit Nine. Il ne s’agissait pas de ses clients. Elle devait se présenter aux locaux d’Unit Nine au début de chaque poste et elle devait rester à cet endroit pendant toute la durée de son poste lorsqu’elle n’effectuait pas de livraisons. Unit Nine fournissait une salle à l’intention des chauffeurs-livreurs et cette salle était située dans la pizzeria. L’appelante a toujours travaillé pour Unit Nine de 2003 à 2009, comme on s’attendrait à ce qu’un employé le fasse. L’appelante devait fournir ses services personnellement à Unit Nine. C’était M. Pandher qui décidait des chauffeurs qui devaient se présenter au magasin au cours d’une journée et qui leur assignait les livraisons. M. Pandher informait l’appelante du moment auquel elle devait se présenter pour effectuer son poste; il lui assignait une livraison, lui disait où effectuer la livraison, lui indiquait le montant à demander pour la livraison et le produit et lui demandait de retourner au magasin après la livraison. L’appelante a témoigné que le nombre de livraisons qui lui était attribué pendant un poste pouvait de fait être réduit et attribué aux autres chauffeurs si M. Pandher le voulait. L’appelante a témoigné qu’elle essayait de régler personnellement tout problème qui se posait avec un client, mais elle avait à plusieurs reprises communiqué avec Unit Nine afin de recevoir des instructions et de demander conseil. L’appelante ne pouvait pas accepter de chèques en l’absence d’une autorisation préalable d’Unit Nine. Le client qui n’était pas satisfait adressait sa plainte à Unit Nine ou au siège social du franchiseur, mais non à l’appelante. L’appelante n’était pas inscrite aux fins de la TPS. Lorsque la TPS était perçue du client, c’était Unit Nine qui contrôlait cet aspect de l’arrangement.
[22] La jurisprudence a établi qu’une considération importante, en ce qui concerne le critère du contrôle, est le « droit d’exercer le contrôle » sur le travailleur, plutôt que le « contrôle réel » exercé sur le travailleur. Lors de l’interrogatoire principal, M. Pandher a témoigné que le manuel des chauffeurs était toujours mis à la disposition de l’appelante; les propos suivants ont été échangés (transcription, page 89, lignes 15 à 23) :
Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2010-2519(EI)
2010-3026(CPP)
c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL et PIZZA 73 INC. s/n PIZZA 73
LIEU DE L’AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 février 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : L’honorable juge Diane Campbell
DATE DU JUGEMENT : Le 9 mars 2011
COMPARUTIONS :
Avocat de l’appelante : |
Me Michael A. Power |
Avocate de l’intimé : |
Me Mary Softley |
Avocat de l’intervenante : |
Me Dane Zobell |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour l’appelante :
Cabinet :
Pour l’intimé : Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada