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Dossier : 2010-2409(IT)I

 

ENTRE :

DWAYNE N. FRANCK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 2 février 2011, à Calgary (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Adam Gotfried

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2008 de l’appelant est accueilli, sans dépens, et la nouvelle cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 2011.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2011.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


 

 

Référence : 2011 CCI 179

Date : 20110324

Dossier : 2010-2409(IT)I

 

ENTRE :

DWAYNE N. FRANCK,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Hogan

 

[1]              Le présent appel est interjeté par Dwayne N. Franck (l’« appelant ») à l’égard de la pénalité que lui a imposée le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour avoir omis de déclarer un revenu d’emploi pour plus d’une année d’imposition.

 

I. Contexte factuel

 

[2]              L’intimée soutient que l’appelant a omis de déclarer un revenu dans ses déclarations des années d’imposition 2007 et 2008. Une pénalité s’élevant à 7 000 $ avait été imposée à ce dernier pour revenu non déclaré à l’égard de l’année 2008. Cette somme comprenait les pénalités imposées par le fédéral et par le provincial. L’erreur commise en 2007 était due au fait que l’appelant avait eu quatre emplois cette année‑là, mais, selon lui, il aurait reçu seulement trois feuillets T4. H&R Block a établi sa déclaration de revenu sans le quatrième feuillet T4. Dans son témoignage, l’appelant a affirmé qu’il croyait sincèrement qu’il n’était pas tenu de le retrouver parce que ce revenu aurait été déclaré par son employé auprès des autorités fiscales et que tout l’impôt relatif à ce revenu avait déjà été retenu à la source. En 2008, il a établi lui‑même sa déclaration de revenu. Cependant, il a rempli seulement la section des renseignements personnels, étant donné qu’il croyait que c’était à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») de remplir le reste du formulaire, vu qu’elle avait reçu les feuillets T4. Afin qu’on puisse conclure qu’il y a eu omission répétée de déclarer un revenu, le paragraphe 163(1) de la Loi prévoit qu’il doit y avoir eu omission à l’égard de deux années sur quatre années consécutives. Par conséquent, une défense de diligence raisonnable pour au moins une des années pourrait venir annuler la pénalité.  

 

II. Analyse

 

[3]              Étant donné que le paragraphe 163(1) est une disposition de responsabilité stricte, il existe une défense de diligence raisonnable s’y appliquant. On peut conclure à une diligence raisonnable dans le cas d’une erreur raisonnable de fait ou dans le cas où le contribuable a pris des mesures acceptables afin d’observer la Loi[1]. Chacun de ces critères comporte un élément de subjectivité et un élément d’objectivité. Dans le cas d’une erreur de fait, il faut que l’appelant ait subjectivement entretenu une croyance erronée qui, si elle s’était avérée correcte, aurait eu pour effet qu’on n’aurait pas pu lui reprocher ses actions et, objectivement, il faut que cette croyance soit raisonnable. En ce qui a trait aux mesures acceptables afin d’observer la Loi, les mesures prises par l’appelant doivent être les mêmes que celles qu’aurait prises une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

 

[4]              En ce qui concerne la question des actions ou des croyances du contribuable, la jurisprudence en la matière est fondée sur l’affirmation du juge en chef Bowman concernant la négligence dans l’affaire DeCosta c. La Reine[2]. Le juge en chef Bowman s’est exprimé ainsi :

 

11        Pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l’importance de l’omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l’erreur, ainsi que le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu’il convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve[3].

[Non souligné dans l’original]

 

[5]              En règle générale, la défense de la diligence raisonnable représente un important fardeau pour les contribuables en raison de la nature du régime fiscal canadien fondé sur l’autodéclaration. On cite souvent l’affirmation suivante de la juge Woods à ce sujet :

 

[…] Le législateur a choisi d’adopter le paragraphe 163(1) pour garantir l’intégrité du régime d’autodéclaration du Canada. Selon moi, les tribunaux ne doivent pas décider à la légère d’annuler la pénalité prévue par la loi.[4]

 

[6]              On a accepté la défense de la diligence raisonnable dans l’affaire Khalil v. The Queen[5], affaire dans laquelle la contribuable avait omis d’inclure dans sa déclaration le revenu indiqué dans un feuillet T4 parce qu’elle avait remarqué que l’impôt avait déjà été retenu du montant. Elle croyait, à tort, qu’elle n’avait pas à déclarer ce revenu étant donné qu’il avait déjà été imposé. Par le passé, elle avait toujours été payée en espèces et avait toujours déclaré ce revenu[6]. Compte tenu du fait que la contribuable ne connaissait pas le régime fiscal canadien, le juge Mogan a conclu qu’une erreur raisonnable avait été commise et il s’est exprimé en ces termes :

 

13        Je ne peux pas conclure qu’une personne a « omis de déclarer un [...] montant » au sens du paragraphe 163(1) quand cette personne sait (i) que le montant devait lui être versé à titre de revenu par un payeur particulier, (ii) que le payeur a retenu au titre de l’impôt sur le revenu à remettre à Revenu Canada une certaine partie de ce montant, (iii) que le payeur lui a versé en réalité seulement le solde qui restait après déduction de l’impôt retenu, et (iv) que le payeur était tenu de déclarer à Revenu Canada, sur un formulaire prescrit par Revenu Canada, le montant brut payable à cette personne ainsi que la partie retenue et remise à titre d’impôt. En conséquence, je ferai droit à l’appel. Si j’ai raison dans mon interprétation du paragraphe 163(1), il n’existe pas d’omission antérieure de déclarer en ce qui concerne les intérêts de 320,12 $ reçus de la Banque Royale du Canada[7].

 

[7]              La Cour s’est fondée sur ces mêmes motifs dans les décisions Iszcenko c. La Reine[8] et Alcala c. La Reine[9] et a tranché en faveur des contribuables. Dans l’affaire Iszcenko, la contribuable croyait ne pas devoir déclarer le revenu étant donné qu’il s’agissait d’un remboursement de capital relatif à un dividende et que son beau‑père lui avait dit qu’elle n’avait pas à le déclarer[10]. Dans Alcala, la contribuable s’est fiée à son comptable, qui lui a dit qu’elle n’était pas tenue de faire quoi que ce soit relativement à un feuillet T4 reçu en retard étant donné que l’ARC apporterait les corrections qui s’imposent à la suite d’un processus de rapprochement[11]. Dans ces deux cas, les contribuables ne connaissaient pas beaucoup le régime fiscal du Canada. Le scénario dans Iszcenko était un peu plus complexe, et les faits de l’affaire dans Alcala étaient similaires à ceux dans Khalil.

 

[8]              Voici quelques exemples de faits dont on n’a pas tenu compte comme étayant la défense de la diligence raisonnable. Dans le cas où la contribuable n’a pas été en mesure d’obtenir un feuillet T4 parce que son employeur avait fermé ses portes et que son comptable avait omis d’établir un revenu estimatif fondé sur le relevé d’emploi, il n’est pas question de diligence raisonnable étant donné que la contribuable n’avait pas examiné sa déclaration de revenu avant de l’envoyer à l’ARC[12]. De même, dans le cas où le contribuable a omis de remettre son feuillet T4 à son comptable, croyait que l’ARC remédierait à cette omission, et n’a pas examiné sa déclaration avant de l’envoyer à l’ARC, on ne peut pas conclure qu’il a exercé une diligence raisonnable[13]. Enfin, dans le cas où la contribuable a remis ses feuillets T4 à sa mère, qui a établi sa déclaration de revenu, mais n’a pas examiné la déclaration avant de l’envoyer, on ne peut pas conclure qu’elle a exercé une diligence raisonnable[14].

 

[9]              Ce qui distingue ces types d’affaires est le degré de connaissance du régime fiscal. Dans les affaires Khalil et Alcala, il était question de manque d’expérience, et dans l’affaire Iszcenko, le scénario était plus complexe. Dans Sounders, la juge Woods a souligné la question de manque d’expérience dont il est question dans  Khalil avant de refuser d’étendre la portée de l’affaire Khalil à la situation de Mme Saunders[15].  De même, dans l’affaire Paul, la juge Sheridan a souligné le fait que le contribuable était depuis longtemps sur le marché du travail, ce qui rendait sa croyance déraisonnable. Dans Porter, il n’était pas question d’une croyance erronée. Il était plutôt question de la confiance envers le fait que le préparateur de déclarations de revenu inclurait les montants énoncés dans chacun des feuillets T4.

 

[10]         Il ressort de la preuve que les faits en l’espèce sont davantage analogues aux faits dont était saisi le juge Mogan dans Khalil. Dans son témoignage, l’appelant a affirmé être arrivé sur le marché du travail à titre de cuisiner de casse‑croûte après avoir terminé ses études secondaires. Compte tenu de son comportement et de son témoignage, je conclus qu’il ne connaissait que très peu les rouages de notre régime fiscal. Il croyait sincèrement ne pas être tenu de trouver le feuillet T4 manquant et que, quoi qu’il en soit, l’ARC aurait été au courant de l’information contenue dans le feuillet étant donné que son employeur avait produit les formulaires prescrits concernant les déductions à la source et leur versement.

 

[11]         Le comportement de l’appelant porte à croire que ce dernier est un jeune homme très travaillant éprouvant certaines difficultés dans la transition entre l’école secondaire et le marché du travail. Ce n’est certainement pas dans le cadre de son travail de cuisiner de casse‑croûte dans quatre établissements différents au cours d’une même année d’imposition qu’il aurait pu en apprendre davantage sur les rouages du régime de déclaration fiscale. De plus, il a fait preuve de bon jugement lorsqu’il a décidé de faire affaire avec H&R Block afin qu’ils veillent à ce qu’il observe ses obligations en matière de déclaration fiscale pour l’année 2007. Rien dans la preuve n’indique qu’H&R Block lui a fait part de la nécessité de mettre la main sur le feuillet T4 égaré. Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur très important dans ma décision, je souligne que le montant total des pénalités fédérales et provinciales dépasse le montant de l’impôt que l’appelant devait payer sur son revenu. Cet impôt a été payé en entier, à l’avance, au moyen des déductions à la source.

 

[12]         Pour ces motifs, l’appel est accueilli, sans dépens, et la nouvelle cotisation est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 2011.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2011.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 179

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-2409(IT)I

 

INTITULÉ :                                       DWAYNE N. FRANCK c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 2 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 24 mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Adam Gotfried

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

                     Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Canada c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209, 165 D.L.R. (4th) 433 (CAF). Dans cette affaire, il était question du paragraphe 280(1) de la Loi sur la taxe d’accise, disposition semblable au paragraphe 163(1) de la Loi de l’impôt sur el revenu. Voir aussi Home Depot of Canada Inc. c. La Reine, 2009 CCI 281, [2009] G.S.T.C. 87; Peterson v. The Queen, 2010 TCC 559 (procédure informelle); et Résidences Majeau Inc. c. La Reine, 2010 CAF 28, [2010] G.S.T.C. 54.

[2] 2005 CCI 545, 2005 DTC 1436 (procédure informelle).

[3] Ibid., au paragraphe 11; cité dans Paul c. La Reine, 2008 CCI 159, 2008 DTC 3060 (procédure informelle), au paragraphe 6.

[4] Saunders c. La Reine, 2006 CCI 51, 2006 DTC 2267 (procédure informelle), au paragraphe 15.

[5] [2003] 1 C.T.C. 2263 (CCI) (procédure informelle).

[6] Ibid., au paragraphe 8.

[7] Ibid., au paragraphe 13.

[8] 2009 CCI 229, 2009 DTC 1150 (procédure informelle).

[9] 2010 CCI 198, 2010 DTC 1147 (procédure informelle).

[10] Précité, note 8, au paragraphe 6.

[11] Précité, note 9, aux paragraphes 19 et 20.

[12] Saunders, précité, note 4.

[13] Paul, précité, note 3.

[14] Porter c. La Reine, 2010 CCI 251, [2011] 1 C.T.C. 2322 (procédure informelle).

[15] Précité, note 4, au paragraphe 14.

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