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Dossier : 2010-256(EI)

ENTRE :

ROBERT MACKENZIE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

 

Appel entendu le 2 mars 2011, à Kingston (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Eric Karrandjas

 

 

Avocats de l’intimé :

Me Christopher Kitchen

Me George Boyd Aitken

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national le 11 décembre 2009 en application de la Loi sur l’assurance-emploi est modifiée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2011.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

Référence : 2011 CCI 199

Date : 20110406

Dossier : 2010-256(EI)

ENTRE :

ROBERT MACKENZIE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              Il s’agit en l’espèce de calculer les heures assurables pour les besoins de l’assurance‑emploi (l’« AE ») d’un formateur au niveau collégial à temps partiel.

 

 

I. Faits

 

[2]              L’appelant, M. MacKenzie, a témoigné pour son propre compte. L’intimé a fait témoigner la directrice des ressources humaines du Collège St. Lawrence, l’établissement où enseignait M. MacKenzie pendant la période visée. En outre, un grand nombre de documents ont été présentés en preuve.

 

[3]              Il y a peu de contradictions dans la preuve relativement aux faits (ce qui n’est pas le cas des opinions) et aucune n’a vraiment d’incidence sur la question à trancher. Il n’y avait aucun doute sur le plan de la crédibilité ou de la fiabilité des deux témoins sauf que (i) les éléments de preuve de M. MacKenzie concernant le temps de préparation et d’autres heures de travail en dehors de la salle de classe étaient, comme nous le verrons plus loin, fondés sur des estimations et que (ii) Mme Koolen ne travaillait pas au collège durant les années en question et n’avait pas participé à la rédaction des recommandations décrites ci-dessous formulées par le groupe de travail sur l’AE du Conseil ontarien des affaires collégiales. Les interrogations sur ces aspects touchent uniquement la fiabilité et non la crédibilité des témoins.

 

[4]              M. MacKenzie est titulaire d’un baccalauréat ès arts, d’une maîtrise ès arts ainsi que d’un baccalauréat en éducation. Il enseigne plusieurs matières au niveau collégial et universitaire depuis quelques décennies. Durant la période visée, soit d’avril 2008 à avril 2009, il a donné quatre cours en tant que formateur à temps partiel au Collège St. Lawrence (le « Collège »), à Kingston, en Ontario.

 

[5]              Pendant la session du printemps 2008, de janvier à avril, il a enseigné l’introduction à l’analyse média. Il a donné trois heures de cours tous les lundis pendant 15 semaines. Seulement les deux dernières semaines de cours tombaient dans la période visée.

 

[6]              Pendant la session d’automne 2008, de septembre à décembre, il a enseigné l’analyse média. Son groupe était constitué d’étudiants au baccalauréat en sciences infirmières de l’Université Laurentienne. Il a donné trois heures de cours tous les lundis pendant 12 semaines.

 

[7]              Pendant la session du printemps 2009, de janvier à avril, M. MacKenzie a enseigné la rédaction technique. Ce cours était donné à deux groupes différents, à raison de deux heures le mercredi et de deux heures le vendredi. Les cours du mercredi ont eu lieu durant 15 semaines et ceux du vendredi, pendant 14 semaines à cause du congé du Vendredi saint.

 

[8]              Pendant la session du printemps 2009, M. MacKenzie a également enseigné les communications à des élèves lors du dernier semestre du secondaire qui prévoyaient entrer au collège l’année suivante. Ce cours était censé les aider à faire la transition et leur procurer des crédits pour leurs études secondaires et collégiales. Il durait deux heures par semaine et s’est donné tous les mercredis pendant 10 semaines.

 

[9]              Conformément à la pratique courante, les enseignants à temps partiel ne touchent ni salaire fixe ni taux horaire fondé sur le nombre d’heures effectivement travaillées ou exigées. Le contrat signé par le Collège et M. MacKenzie précisait le nombre total d’heures d’enseignement en classe devant être données pour chaque cours et établissait la rémunération totale correspondant au cours d’après ce nombre d’heures en salle de classe et un taux convenu par heure de travail en classe. Les taux convenus établis pour les cours de M. MacKenzie se chiffraient à 39,27 $ l’heure pour l’introduction à l’analyse média, à 118,79 $ l’heure pour l’analyse média, à 50 $ l’heure pour la rédaction technique et à 50 $ l’heure pour les communications. Par conséquent, chaque contrat fixait un montant total en dollars calculé selon le nombre d’heures de classe prévues multiplié par le taux horaire.

 

[10]         Les collèges utilisent l’expression « heure contact d’enseignement » et l’acronyme « HCE » pour décrire le nombre réel d’heures d’enseignement en classe. Une correction est apportée seulement si un formateur saute une séance de cours prévue. Le cas échéant, la rémunération à verser serait modifiée.

 

[11]         Il n’y a pas de désaccord au sujet des HCE de M. MacKenzie pendant la période visée, du taux prévu dans ses contrats signés avec le Collège pour enseigner ces cours ni de sa rémunération assurable.

 

[12]         Fait non surprenant, le Collège oblige par contrat ses enseignants à temps partiel à s’acquitter d’autres tâches que d’enseigner durant les heures de classe prévues. La préparation des cours, des tests, des devoirs et des examens, de même que la correction des tests, devoirs et examens, les rencontres avec les étudiants pour discuter des sujets des devoirs, des progrès et des notes, etc., se font nécessairement en sus des heures d’enseignement fixes en classe. Le Collège et M. MacKenzie conviennent tous deux que ce dernier était tenu de travailler plus d’heures que ses HCE, et qu’il l’avait fait, afin de respecter ses obligations contractuelles d’enseignement. Ni l’une ni l’autre partie n’avait d’ailleurs fait le suivi du nombre d’heures effectivement travaillées. Comme il est décrit plus bas, M. MacKenzie a pu fournir une estimation motivée du temps qu’il a consacré à chaque cours en dehors de la salle de classe et l’exprimer en fonction d’un nombre d’heures par heure d’enseignement en classe. Le Collège n’a pas évalué le temps effectivement travaillé par M. MacKenzie mais, comme nous le verrons ci-après, a estimé ses heures de travail réelles d’après le ratio fondé sur les HCE d’un professeur à temps plein par rapport à une semaine de travail de 40 à 44 heures.

 

II. Dispositions législatives applicables

 

[13]         En vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE »), le droit à des prestations dépend de la « rémunération assurable » et des « heures assurables » d’une personne. En l’espèce, il n’y avait pas de désaccord concernant la rémunération assurable de M. MacKenzie.

 

[14]         Les heures assurables doivent être calculées de la manière prescrite par règlement selon l’article 55 de la LAE. Les dispositions applicables de la LAE et du Règlement sur l’assurance-emploi (le « RAE ») sont reproduites ci-après :

 

[Loi sur l’assurance-emploi]

 

6(3) Pour l’application de la présente partie, le nombre d’heures d’emploi assurable d’un prestataire pour une période donnée s’établit, sous réserve des règlements pris au titre de l’alinéa 54z.1), au titre de l’article 55.

6(3) For the purposes of this Part, the number of hours of insurable employment that a claimant has in any period shall be established as provided under section 55, subject to any regulations made under paragraph 54(z.1) allocating the hours to the claimant’s qualifying period.

 

[…]

 

 

. . .

 

55(1) La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements concernant l’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable d’une personne et, notamment, prévoyant que les personnes dont la rémunération est versée sur une base autre que l’heure sont réputées avoir le nombre d’heures d’emploi assurable établi conformément aux règlements.

55(1) The Commission may, with the approval of the Governor in Council, make regulations for establishing how many hours of insurable employment a person has, including regulations providing that persons whose earnings are not paid on an hourly basis are deemed to have hours of insurable employment as established in accordance with the regulations.

 

 

(2) Lorsqu’elle estime qu’il est impossible d’appliquer les dispositions de ces règlements, la Commission peut autoriser un autre ou d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable.

(2) If the Commission considers that it is not possible to apply the provisions of the regulations, it may authorize an alternative method of establishing how many hours of insurable employment a person has.

 

 

(3) La Commission peut, sous réserve des conditions qu’elle estime indiquées, modifier un mode qu’elle a autorisé ou retirer son autorisation.

(3) The Commission may at any time alter the authorized method or rescind the authorization, subject to any conditions that it considers appropriate.

 

 

(4) La Commission peut conclure des accords avec des employeurs et des employés prévoyant d’autres modes d’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable et y mettre fin unilatéralement.

(4) The Commission may enter into agreements with employers or employees to provide for alternative methods of establishing how many hours of insurable employment persons have and the Commission may at any time rescind the agreements.

 

 

[Règlement sur l’assurance-emploi]

 

9.1 Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base horaire, la personne est considérée comme ayant exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées et pour lesquelles elle a été rétribuée.

9.1 Where a person’s earnings are paid on an hourly basis, the person is considered to have worked in insurable employment for the number of hours that the person actually worked and for which the person was remunerated.

 

 

9.2 Sous réserve de l’article 10, lorsque la totalité ou une partie de la rémunération d’une personne pour une période d’emploi assurable n’a pas été versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, la personne est réputée avoir exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures qu’elle a effectivement travaillées durant cette période, qu’elle ait été ou non rétribuée.

9.2 Subject to section 10, where a person’s earnings or a portion of a person’s earnings for a period of insurable employment remains unpaid for the reasons described in subsection 2(2) of the Insurable Earnings and Collection of Premiums Regulations, the person is deemed to have worked in insurable employment for the number of hours that the person actually worked in the period, whether or not the person was remunerated.

 

 

10(1) Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base autre que l’heure et que l’employeur fournit la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d’emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

10(1) Where a person’s earnings are not paid on an hourly basis but the employer provides evidence of the number of hours that the person actually worked in the period of employment and for which the person was remunerated, the person is deemed to have worked that number of hours in insurable employment.

 

 

(2) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, si l’employeur ne peut établir avec certitude le nombre d’heures de travail effectivement accomplies par un travailleur ou un groupe de travailleurs et pour lesquelles ils ont été rémunérés, l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs peuvent, sous réserve du paragraphe (3) et si cela est raisonnable dans les circonstances, décider de concert que ce nombre est égal au nombre correspondant normalement à la rémunération visée au paragraphe (1), auquel cas chaque travailleur est réputé avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

(2) Except where subsection (1) and section 9.1 apply, if the employer cannot establish with certainty the actual number of hours of work performed by a worker or by a group of workers and for which they were remunerated, the employer and the worker or group of workers may, subject to subsection (3) and as is reasonable in the circumstances, agree on the number of hours of work that would normally be required to gain the earnings referred to in subsection (1), and, where they do so, each worker is deemed to have worked that number of hours in insurable employment.

 

 

(3) Lorsque le nombre d’heures convenu par l’employeur et le travailleur ou le groupe de travailleurs conformément au paragraphe (2) n’est pas raisonnable ou qu’ils ne parviennent pas à une entente, chaque travailleur est réputé avoir travaillé le nombre d’heures d’emploi assurable établi par le ministre du Revenu national d’après l’examen des conditions d’emploi et la comparaison avec le nombre d’heures de travail normalement accomplies par les travailleurs s’acquittant de tâches ou de fonctions analogues dans des professions ou des secteurs d’activité similaires.

(3) Where the number of hours agreed to by the employer and the worker or group of workers under subsection (2) is not reasonable or no agreement can be reached, each worker is deemed to have worked the number of hours in insurable employment established by the Minister of National Revenue, based on an examination of the terms and conditions of the employment and a comparison with the number of hours normally worked by workers performing similar tasks or functions in similar occupations and industries.

 

 

(4) Sauf dans les cas où le paragraphe (1) et l’article 9.1 s’appliquent, lorsque l’employeur ne peut établir avec certitude ni ne connaît le nombre réel d’heures d’emploi assurable accumulées par une personne pendant sa période d’emploi, la personne est réputée, sous réserve du paragraphe (5), avoir travaillé au cours de la période d’emploi le nombre d’heures d’emploi assurable obtenu par division de la rémunération totale pour cette période par le salaire minimum, en vigueur au 1er janvier de l’année dans laquelle la rémunération était payable, dans la province où le travail a été accompli.

(4) Except where subsection (1) and section 9.1 apply, where a person’s actual hours of insurable employment in the period of employment are not known or ascertainable by the employer, the person, subject to subsection (5), is deemed to have worked, during the period of employment, the number of hours in insurable employment obtained by dividing the total earnings for the period of employment by the minimum wage applicable, on January 1 of the year in which the earnings were payable, in the province where the work was performed.

 

 

(5) En l’absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l’horaire régulier, le nombre maximum d’heures d’emploi assurable qu’une personne est réputée avoir travaillées d’après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

(5) In the absence of evidence indicating that overtime or excess hours were worked, the maximum number of hours of insurable employment which a person is deemed to have worked where the number of hours is calculated in accordance with subsection (4) is seven hours per day up to an overall maximum of 35 hours per week.

 

 

(6) Les paragraphes (1) à (5) s’appliquent sous réserve de l’article 10.1.

(6) Subsections (1) to (5) are subject to section 10.1.

 

III. Analyse

 

[15]         Il clair d’après ce régime que les articles 9.1 et 9.2 du RAE visent les employés qui touchent un montant pour chaque heure travaillée. Le cas de ces personnes rémunérées à l’heure peut être réglé rapidement et sans difficulté à la lumière de l’article 9.1. Leurs heures assurables correspondent simplement au nombre d’heures qu’elles ont travaillées et pour lesquelles elles ont été rétribuées.

 

[16]         L’article 9.2 envisage la possibilité qu’une personne rémunérée à l’heure ne soit pas rétribuée pour certaines heures qu’elle a travaillées, alors qu’elle l’aurait dû l’être, à cause de l’insolvabilité de l’employeur. Dans cette disposition, il est reconnu que les heures travaillées non rémunérées devraient être comptées dans les heures assurables de l’employé.

 

[17]         Il ressort clairement du témoignage des deux parties ici et de la preuve documentaire que M. MacKenzie n’était pas rémunéré à l’heure. Sa rémunération n’était pas calculée sur la base des heures réelles qu’il devait travailler et pendant lesquelles il avait effectivement travaillé. La rétribution versée pour le travail à faire était déterminée uniquement en fonction de ses HCE, qui représentaient une partie des heures réelles qu’il avait accomplies.

 

[18]         Cette interprétation des articles 9.1 et 9.2 du RAE est confirmée par les règles plus compliquées énoncées à l’article 10 et qui s’appliquent à une personne dont la rémunération est versée sur une base autre que l’heure. Le cas échéant, plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour déterminer le nombre d’heures assurables, à commencer par l’établissement possible par l’employeur du nombre d’heures effectivement travaillées.

 

[19]         L’article 10 du RAE s’applique manifestement aux salariés qui sont tenus de travailler plus longtemps que leur journée ou leur semaine de travail normale, et ce même si leur semaine de travail nominale est décrite en heures. Il s’applique aussi aux travailleurs rémunérés à la pièce qui reçoivent un montant déterminé par unité de travail accomplie si l’unité est une valeur autre que le nombre réel d’heures travaillées. L’article 10 s’applique à M. MacKenzie parce que celui-ci est rétribué en vertu de son contrat selon ses HCE et non pas selon les heures qu’il a effectivement travaillées. Les HCE ne constituent pas plus une base horaire de rémunération que la semaine de travail présumée de 35 ou 40 heures d’un salarié. Pour les besoins du calcul des « heures assurables », la notion de HCE est une unité comparable à un boisseau ou à une pièce; ni l’un ni l’autre n’équivaut à une heure de 60 minutes et ni l’un ni l’autre n’est une mesure du temps réel.

 

[20]         Le paragraphe 10(1) prévoit le cas où l’employeur tient un compte rendu des heures effectivement travaillées par l’employé même si ce dernier n’est pas rémunéré à l’heure. Par exemple, un fabricant peut payer ses travailleurs à la pièce mais garder son usine ouverte durant des heures fixes et conserver un registre des personnes qui y sont présentes ou des employés qui travaillent à chaque poste pendant chaque quart de travail. Ce pourrait être le cas de salariés qui sont tenus de déclarer leurs heures travaillées à des fins de gestion ou autre en plus de leur journée ou semaine de travail normale, ou ceux dont la présence à leur poste de travail, à leur ordinateur ou dans l’édifice est surveillée. Dans cette éventualité, le montant consigné par l’employeur est réputé être la rémunération assurable du travailleur.

 

[21]         Dans le cas de M. MacKenzie, le témoin du collège St. Lawrence a mentionné que l’établissement n’avait pas fait le suivi des heures effectivement travaillées par M. MacKenzie, ou même n’importe quel autre formateur engagé pour une session ou à temps partiel, et qu’à sa connaissance aucun collège ne le faisait.

 

[22]         Le paragraphe 10(2) du RAE énonce ensuite que, si l’employeur ne peut établir avec certitude le nombre d’heures de travail effectivement accomplies, il peut décider de concert avec le travailleur d’un nombre d’heures correspondant normalement à la rémunération visée et, si ce montant est raisonnable, il constitue le nombre d’heures assurables du travailleur. Ce paragraphe ne s’applique pas en l’espèce, car il n’y a pas d’entente sur les heures normalement requises par HCE. Comme nous le décrirons plus en détail ci-après, M. MacKenzie estime qu’il s’agit d’environ quatre heures par HCE, tandis que le collège a utilisé un coefficient de 2,17 heures par HCE quand il a établi le relevé d’emploi obligatoire aux fins de l’AE.

 

[23]         Voilà qui nous amène au paragraphe 10(3) du RAE. Ce paragraphe dispose que, si l’employeur et le travailleur ne parviennent pas à une entente conformément au paragraphe 10(2), les heures assurables sont réputées être le nombre d’heures établi par le ministre du Revenu national (le « ministre ») d’après l’examen des conditions d’emploi et la comparaison avec le nombre d’heures de travail normalement accomplies par des travailleurs semblables s’acquittant de tâches analogues.

 

[24]         Les deux témoins ont décrit les conditions d’emploi de M. MacKenzie au Collège. Il est clair qu’il était obligé de faire beaucoup plus d’heures que ses HCE. Leur témoignage à cet égard a été confirmé par des documents comme la lettre de confirmation du contrat du doyen adjoint envoyée à M. MacKenzie et la note d’information aux enseignants remise par le Collège à tous les formateurs.

 

[25]         La seule preuve des heures réelles de travail a été fournie par M. MacKenzie. Ce dernier n’a pas consigné le nombre d’heures qu’il a effectivement travaillées. Il a déclaré qu’il avait estimé le nombre approximatif de trois heures de travail supplémentaire par HCE en tenant compte de ce qui suit :

 

a)           Le temps passé au début, avant les cours, à prendre connaissance des plans de cours existants, des documents et des lectures, à étudier et à concevoir d’autres approches, à consulter le chef du département et à préparer son propre plan de cours général. Il a estimé que ces tâches totalisaient en moyenne 32 heures par cours, pour chacun des quatre cours. Il a souligné que son estimation était une moyenne et qu’il aurait consacré plus de temps, par exemple, au cours sur les communications, qui était tout à fait nouveau. En contre-interrogatoire, il a reconnu que ces tâches, pour le cours d’introduction à l’analyse média donné au printemps 2008, auraient été achevées avant la période visée.

 

b)          Le temps de préparation pour chaque séance d’enseignement consacré à revoir la matière et à en planifier la présentation, etc. Il a estimé que cette tâche nécessitait en moyenne deux ou trois heures pour chaque séance de deux ou trois heures. Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait consacré moins de temps à certaines séances et à certains cours mais qu’il s’agissait d’une juste estimation d’une moyenne globale. Je souligne que cela représente un temps moyen de préparation d’une heure pour chaque heure d’enseignement.

 

c)           Le temps consacré à préparer les devoirs, les tests et les examens pour chaque cours a été évalué à 10 heures en moyenne par cours. M. MacKenzie a reconnu que la majeure partie de ce travail pour le cours d’introduction à l’analyse média du printemps 2008 aurait été achevée avant la période visée.

 

d)          Le temps consacré à corriger les devoirs, les tests et les examens a été évalué à 25 heures pour chaque cours. M. MacKenzie a reconnu en contre-interrogatoire que, pour les cours où les étudiants étaient évalués en partie selon leurs compétences en communication orale au moyen d’un exposé en classe, il avait attribué les notes durant ses HCE.

 

e)           Le temps consacré à l’établissement et à la tenue des dossiers contenant les notes et les progrès des étudiants a été évalué à 10 heures par cours en moyenne.

 

f)            Les rencontres avec les étudiants pour donner de l’information, des conseils et des directives sur la matière, sur les sujets de devoirs ou, de façon générale, sur leurs projets et leurs domaines d’étude nécessitaient aussi du temps supplémentaire.

 

[26]         Après avoir entendu ce témoignage et l’avoir analysé dans le contexte global de la preuve, mais sans me prononcer sur l’affaire, je dirais que l’estimation de M. MacKenzie, soit trois heures supplémentaires de travail par HCE m’apparaît un peu élevée. Corrigeant la surévaluation reconnue en contre-interrogatoire et tenant compte du degré raisonnable d’imprécision qui caractérise toute estimation établie après le fait, entre autres, j’estime qu’il serait plus approprié d’attribuer deux heures supplémentaires par HCE, c’est-à-dire environ une heure de préparation et de suivi pour chaque HCE, plus une autre heure au titre de la préparation du cours, de la notation et du suivi d’ensemble. Dans les circonstances, tout ce que je pourrais faire, c’est calculer une approximation, et je suis conscient que, si celle-ci pouvait être vérifiée, elle pourrait finalement être plus éloignée de la réalité que les estimations d’une ou de l’autre partie.

 

[27]         La seule preuve du temps qui est attribué aux autres formateurs du Collège pour ce qui est de leurs responsabilités en dehors des HCE a été fournie par la directrice des ressources humaines du Collège. Elle a expliqué que le Collège, quand il établit les relevés d’emploi des formateurs qui ne travaillent pas à temps plein, suit les recommandations du Conseil ontarien aux affaires collégiales (le « Conseil »). Ce dernier est formé de représentants des collèges de l’Ontario. Il agit en qualité d’agent de négociation des collèges dans leurs relations avec leurs employés, y compris les formateurs qui négocient collectivement, et donne aussi des conseils sur les questions administratives aux collèges ontariens qui en sont membres.

 

[28]         Quand sont entrées en vigueur les nouvelles obligations de déclaration sur les relevés d’emploi aux fins de l’AE concernant les heures assurables, le Conseil a mis sur pied un groupe de travail chargé d’examiner les façons de déclarer les heures assurables des employés des collèges, plus particulièrement ceux qui ne travaillent pas à temps plein, y compris les formateurs. Ce groupe de travail était constitué entièrement de membres nommés par les administrateurs des collèges. Les formateurs n’y ont pas été représentés et aucune information n’a jamais été sollicitée de leur part. Les membres du groupe de travail ont demandé aux collèges faisant partie du Conseil comment chacun recommandait ou suggérait que les heures effectivement travaillées par HCE soient consignées aux fins du nouveau relevé d’emploi. Ils ont fait la synthèse de ces suggestions et diffusé le résumé en question accompagné de leurs recommandations. Le Collège a choisi de simplement adopter ces dernières.

 

[29]         Selon les recommandations du groupe de travail du Conseil visant les formateurs qui ne travaillent pas à temps plein, il faut multiplier leurs HCE par le ratio correspondant au rapport entre a) les HCE hebdomadaires obligatoires des formateurs à temps plein, qui sont de 18 à 20 HCE, et b) la semaine de travail nominale des formateurs à temps plein, qui compte entre 42 et 44 heures. Dans le cas d’un formateur à temps partiel, un coefficient de 2,17 est donc appliqué à ses HCE pour estimer ses heures effectivement travaillées et ses « heures assurables ». Ce coefficient de 2,17 signifie que le formateur a droit à 1,17 heure supplémentaire par HCE pour remplir ses obligations d’enseignement connexes autres que les HCE.

 

[30]         C’est la seule preuve dont dispose la Cour au sujet de ce qui pourrait être considéré comme reflétant vraiment le nombre réel d’heures travaillées par d’autres formateurs en général dans l’accomplissement de leurs obligations au titre des HCE. Comme je l’ai mentionné, elle n’est pas le résultat d’une consultation quelconque auprès des formateurs et applique tout bonnement les hypothèses concernant les formateurs à temps plein aux formateurs à temps partiel. On n’a pas tenté de se demander si une adaptation était nécessaire pour tenir compte, par exemple, d’une plus grande efficience possible des enseignants permanents, qui donnent peut-être plus de cours fixes au fil des sessions par rapport aux formateurs à temps partiel, ou du fait que les enseignants à temps plein sont rémunérés par les collèges pour de nombreuses semaines tout au long de l’année au cours desquelles ils ne dispensent aucun cours et n’ont aucune HCE à faire, notamment les semaines de lecture, les sessions d’été et la période de décembre et janvier, entre les sessions de l’hiver et du printemps.

 

[31]         Le coefficient de 2,17 par HCE recommandé par le Conseil était le seul élément de preuve de cette nature qui avait été présenté au ministre quand il a rendu la décision contestée en l’espèce. Dans cette décision, le ministre rejette les estimations de M. MacKenzie parce que ce dernier ne pouvait produire de documents justificatifs ni de registre des heures travaillées en dehors de la salle de classe. Il a précisé ensuite qu’il fallait tenir compte d’une certaine manière du temps de préparation et d’évaluation, a analysé le coefficient de 2,17 et conclu en ces termes : [traduction] « Les heures assurables indiquées par le Collège St. Lawrence sur le relevé d’emploi […] totalisant 261 heures sont donc acceptées telles quelles. »

 

[32]         Cet énoncé ne respecte clairement pas la démarche que doit suivre le ministre s’il applique le paragraphe 10(3) du RAE. En toute justice, nous devons préciser que la décision est rédigée comme si le ministre appliquait l’article 9.1, bien que qu’une rémunération calculée « sur une base horaire » n’ait pas été versée pour chaque heure effectivement travaillée.

 

[33]         Le rapport sur un appel de l’Agence du revenu du Canada indique que celle‑ci a fondé son examen sur les mêmes éléments que ceux utilisés pour la décision.

 

[34]         Les recommandations du Conseil et l’information qui les sous-tend sont utiles et pertinentes mais ne semblent pas satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 10(3) du RAE, c’est-à-dire qu’elles ne prennent pas en considération les heures effectivement travaillées par des travailleurs se trouvant dans une situation similaire en vue de respecter leurs obligations au titre des HCE.

 

[35]         Le juge Bonner de la Cour a rejeté une approche semblable fondée sur une formule adoptée par l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université dans Franke c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I. n645 (QL), dans le cas d’un chargé de cours à l’université, pour des raisons analogues. Voir aussi Sutton c. M.R.N., 2005 CCI 125, où une enseignante rétribuée sur la base de ses heures de classe a été considérée ne pas avoir été rémunérée à l’heure de la façon envisagée par l’article 9.1 du RAE et être tenue d’accomplir des tâches en dehors de la salle de classe.

 

[36]         De même, dans Judge c. M.R.N. 2010 CCI 329, la juge Woods a conclu que les paragraphes 10(1) et 10(3) ne s’appliquaient pas à un enseignant à temps partiel au secondaire qui n’était pas rémunéré à l’heure et a reconnu que l’enseignant était tenu de travailler en plus de ses heures d’enseignement en classe.

 

[37]         Voilà qui m’amène à l’étape où je dois déterminer quel est le pouvoir de la Cour ou la norme de contrôle applicable à la décision du ministre au titre du paragraphe 10(3) du RAE (si le ministre s’était appuyé sur l’article 10 au lieu de l’article 9.1). Selon le paragraphe 10(3), le nombre d’heures assurables est réputé être celui qui est établi par le ministre. Est-il loisible à la Cour d’y substituer son propre chiffre? Devrais-je seulement examiner la décision du ministre pour savoir si les facteurs énoncés au paragraphe 10(3) ont été dûment pris en considération et si la décision du ministre était raisonnable compte tenu de l’information dont ce dernier disposait? Comment le ministre ou la Cour doivent-ils soupeser les deux éléments précis qui doivent être considérés en vertu du paragraphe 10(3)? Le ministre ou la Cour peuvent-ils analyser d’autres facteurs? Il est certain que cette disposition réglementaire prouve que la juge L’Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada avait raison quand elle a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Canada (Commission de l’emploi et de l’Immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29 :

 

35        […] Le moins qu’on puisse dire c’est que la Loi n’est pas d’une clarté éblouissante et que son interprétation n’en est pas de ce fait rendue facile.

 

[38]         Vu les limites relevées ci-dessus pour ce qui est du fondement du coefficient de 2,17 établi par le Conseil, je suis porté à conclure que ce coefficient est un peu inférieur à ce qui serait adéquat dans le cas d’un formateur à temps partiel comme M. MacKenzie, car cela lui donnerait seulement 1,17 heure de temps supplémentaire par HCE.

 

[39]         J’ai conclu que, en raison de la disposition déterminative que renferme le paragraphe 10(4), je n’ai pas besoin d’examiner ou de trancher les questions soulevées par le paragraphe 10(3) du RAE pour statuer sur la présente affaire.

 

[40]         Le paragraphe 10(4) du RAE, de par son libellé, s’applique expressément (i) si la rémunération de l’employé est versée sur une base autre que l’heure, auquel cas l’article 9.1 entre en jeu, et (ii) si l’employeur ne peut fournir la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par l’employé, auquel cas le paragraphe 10(1) du RAE s’appliquerait. C’est le cas de M. MacKenzie. Alors, le paragraphe 10(4) fait en sorte que le nombre d’heures assurables est obtenu par division de la rémunération totale de la personne par le salaire minimum, jusqu’à concurrence, en vertu du paragraphe 10(5), de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

 

[41]         Il n’y a aucun article dans la LAE qui vise à concilier ces deux dispositions déterminatives différentes même si elles peuvent chacune s’appliquer, compte tenu de leur libellé explicite, à la même situation et donner des résultats différents.

 

[42]         Il est clair que l’application du paragraphe 10(4) du RAE donne à M. MacKenzie un nombre d’heures assurables supérieur à ce qu’il a demandé à la Cour d’établir. Il s’agit d’un résultat bizarre qui ne ressemble clairement en rien au nombre d’heures effectivement travaillées par M. MacKenzie que j’aurais calculées si j’avais eu l’obligation de procéder à ce calcul.

 

[43]         Je me suis inspiré pour parvenir à cette décision de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, où on peut lire ce qui suit :

 

[…] Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire […]

 

[44]         La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, appuie aussi une interprétation large et généreuse des dispositions qui procurent des prestations en matière d’emploi.

 

[45]         Étant donné que la législation sur l’assurance-emploi a pour but d’offrir des prestations sociales et qu’elle doit être interprétée en conséquence, je ne vois pas de raison ou de justification permettant de refuser à M. MacKenzie l’avantage de déterminer que ses heures assurables équivalent au nombre établi par présomption en vertu du paragraphe 10(4) du RAE.

 

[46]         Dans McKenna c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I. n816 (QL), le juge Weisman a statué que le paragraphe 10(4) du RAE s’appliquait à une chargée de cours de l’université qui avait été rémunérée sur une base autre qu’à l’heure. De même, dans Furtado c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I. n164 (QL), et dans Keir v. Minister of National Revenue, 2002 CarswellNat 3525 (CCI), la Cour a conclu que le paragraphe 10(4) du RAE était la disposition applicable si les heures travaillées ne pouvaient être déterminées en raison d’éléments de preuve extrêmement contradictoires. Soulignons également que, dans la décision Société en commandite Le Dauphin c. M.R.N., 2006 CCI 653, le ministre a eu recours au paragraphe 10(4) en l’absence de données précises au sujet des heures travaillées et cette approche a été validée par la Cour.

 

[47]         Par conséquent, l’appel de M. MacKenzie est accueilli et, conformément à l’alinéa 103(3)a) de la LAE, j’ordonne que la décision du ministre visée par l’appel interjeté par M. MacKenzie soit modifiée compte tenu du fait que le nombre d’heures assurables de ce dernier est le résultat obtenu par l’application du paragraphe 10(4) du RAE.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2011.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 199

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-256(EI)

 

INTITULÉ :                                       ROBERT MACKENZIE c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 2 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. Eric Karrandjas

 

 

Avocats de l’intimé :

Me Christopher Kitchen

Me George Boyd Aitken

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :                 

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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