Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2009-335(EI)

2009-336(CPP)

 

ENTRE :

1772887 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

HEATHER HARTON,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels

d’Yvonne Brioux, 2009-849(EI); d’Yvonne Brioux, 2009-850(CPP);

de Klara Palotay, 2009-228(EI), et de Klara Palotay, 2009-229(CPP),

les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me  Jacqueline L. Wall

 

Avocats de l’intimé :

Me  Rita Araujo

Me  Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle‑même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels interjetés par 1772887 Ontario Limited (« Pi Media ») sont accueillis sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et les décisions du ministre du Revenu national sont modifiées compte tenu du fait que, pendant la période pertinente, Gary Thompson, menuisier, et les travailleuses dont la catégorie professionnelle désignée était celle de premières stylistes, comme en ont convenu l’intimé et Pi Media à l’audience, étaient engagés par Pi Media aux termes d’un contrat d’entreprise. Tous ces travailleurs doivent être traités en conséquence pour l’application de la Loi sur l’assurance‑emploi et du Régime de pensions du Canada;

 

          Pour plus de certitude, les appels interjetés par Pi Media sont rejetés sans qu’aucuns dépens soient adjugés, à l’égard des travailleurs appartenant aux catégories professionnelles désignées d’assistants photographes, d’assistantes stylistes et de stylistes débutantes, comme en ont convenu l’intimé et Pi Media à l’audience. Ces appels sont rejetés pour les motifs énoncés dans les motifs du jugement ci‑joints compte tenu du fait que, pendant la période pertinente, les travailleurs en question étaient engagés par Pi Media aux termes d’un contrat de louage de services.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 2011.

 

 

 « J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

Dossiers : 2009-849(EI)

2009-850(CPP)

 

ENTRE :

YVONNE BRIOUX,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

1772887 ONTARIO LIMITED,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

1772887 Ontario Limited, 2009-335(EI); de 1772887 Ontario Limited, 2009‑336(CPP); de Klara Palotay, 2009-228(EI), et de Klara Palotay, 2009‑229(CPP), les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocats de l’intimé :

Me  Rita Araujo

Me  Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

1772887 Ontario Limited

Par son avocate Me Jacqueline L. Wall

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels sont accueillis sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et les décisions du ministre du Revenu national sont modifiées compte tenu du fait que, pendant la période pertinente, l’appelante était engagée par 1772887 Ontario Limited aux termes d’un contrat d’entreprise.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 2011.

 

 

 « J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

Dossiers : 2009-228(EI)

2009-229(CPP)

ENTRE :

 

KLARA PALOTAY,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

1772887 ONTARIO LIMITED,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

1772887 Ontario Limited, 2009-335(EI); de 1772887 Ontario Limited, 2009‑336(CPP); d’Yvonne Brioux, 2009-849(EI), et d’Yvonne Brioux, 2009‑850(CPP), les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocats de l’intimé :

Me  Rita Araujo

Me  Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

1772887 Ontario Limited

Par son avocate Me Jacqueline L. Wall

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels sont accueillis sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et les décisions du ministre du Revenu national sont modifiées compte tenu du fait que, pendant la période pertinente, l’appelante était engagée par 1772887 Ontario Limited aux termes d’un contrat d’entreprise.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 2011.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

Référence : 2011 CCI 204

Date : 20110407

Dossiers : 2009-335(EI)

2009-336(CPP)

 

ENTRE :

1772887 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

HEATHER HARTON,

intervenante;

 

 

Dossiers : 2009-849(EI)

2009-850(CPP)

ET ENTRE :

YVONNE BRIOUX,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

1772887 ONTARIO LIMITED,

intervenante;

 

Dossiers : 2009-228(EI)

2009-229(CPP)

ET ENTRE :

KLARA PALOTAY,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

1772887 ONTARIO LIMITED,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     La société 1772887 Ontario Limited (« Pi Media ») exploite un studio de photographie commerciale au Canada. Dans le cadre de ses activités, la société embauchait au besoin des travailleurs pour compléter son personnel à plein temps ou pour fournir les services requis. Ces travailleurs fournissaient des services à titre de premières stylistes, de stylistes débutantes, d’assistantes stylistes, d’assistants photographes et de menuisiers.

 

[2]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a initialement établi une cotisation à l’égard de Pi Media pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 en tenant pour acquis que les travailleurs en question étaient engagés aux termes d’un contrat de louage de services et qu’au cours des années susmentionnées, Pi Media devait verser des cotisations d’assurance‑emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada (le « RPC ») à l’égard de l’engagement de ces travailleurs. La décision initiale du ministre a été portée en appel et elle a été modifiée; toutefois, il est maintenant interjeté appel de la décision modifiée[1]. Cette décision, qui touche 70 travailleurs, est fondée sur ce que, pendant la période pertinente, chacun d’eux étaient engagé par Pi Media aux termes d’un contrat de louage de services et travaillait à titre d’employé de Pi Media et non à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[3]     Pi Media et deux des travailleuses, Klara Palotay et Yvonne Brioux, ont interjeté appel de la décision du ministre. Une troisième travailleuse, Heather Harton, est intervenue[2]. Les trois travailleuses, avec l’accord de Pi Media, ont pris la position selon laquelle cette dernière les avait engagées aux termes d’un contrat d’entreprise et elles étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[4]     Heather Harton, Yvonne Brioux et Klara Palotay ont chacune témoigné à l’audience pour leur propre compte. Chacune travaillait comme première styliste. De plus, Pi Media a appelé les témoins suivants : Gary MacLean, directeur des activités photographiques de Pi Media; Iris Simpson, première styliste; Sarah Rodrigues, assistante styliste et styliste débutante; Jason Grenci, assistant photographe; Blaise Misiek, assistant photographe; Devin Gallagher, assistant photographe; et Gary Thompson, menuisier.

 

[5]     L’intimé a appelé un témoin, à savoir une agente des appels à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[6]     Au début de l’audience, l’intimé et Pi Media ont convenu que les témoins qui avaient été engagés par Pi Media à titre d’entrepreneurs indépendants seraient traités comme représentant la catégorie de travailleurs à laquelle ils appartenaient, de façon que la décision rendue relativement à l’appel interjeté par Pi Media à l’égard de tous les travailleurs de chaque catégorie soit appliquée en conséquence. Les appels interjetés par Yvonne Brioux et par Klara Palotay, bien qu’ils puissent être traités séparément, ont en fait été traités comme représentant leur catégorie de travailleurs. Le cas d’Heather Harton a également été traité de la même façon.

 

Historique général

[7]     Au cours des années ici en cause, Pi Media était le plus gros studio prépresse au Canada. Avant les années en question, on a procédé à un regroupement dans l’industrie de la photographie commerciale, de sorte que les petits studios ont été éliminés et que Pi Media est devenue le plus gros studio. Pi Media s’occupait de tout le travail d’impression et de publicité sur les sites Web pour Sears, qui était sa principale cliente. Avant le regroupement, le travail de Sears était réparti entre un certain nombre de studios qui se faisaient concurrence. Par suite du regroupement et du travail de Sears, c’était Pi Media qui offrait le plus de possibilités pour les pigistes, comme l’ont confirmé des témoins tels que Mme Palotay, qui est styliste depuis 1965 et qui travaille à la pige comme styliste depuis 1968. Mme Palotay a témoigné qu’après que Pi Media eut obtenu tout le travail de préparation de catalogue de Sears, il y avait pour elle beaucoup de travail à la pige à cet endroit. De même, Mme Brioux a témoigné avoir travaillé à la pige pendant un certain nombre d’années avant de communiquer avec Pi Media, en 2003. Les stylistes travaillaient régulièrement chez Pi Media parce qu’il n’y avait pas beaucoup de studios qui effectuaient du travail de préparation de catalogue à ce moment‑là. Mme Harton a témoigné qu’avant l’année 2003, des entreprises telles que Sears répartissaient leur travail de photographie commerciale entre cinq ou six gros studios à Toronto et qu’elle pouvait obtenir de ces studios du travail de styliste à la pige. Au fur et à mesure que la situation a évolué, il est devenu de plus en plus évident que Pi Media lui assurait les meilleures possibilités de travail à la pige. Le partage du travail de Sears a également été confirmé par M. MacLean, qui a commencé à travailler pour Pi Media en 1995, lorsque le travail effectué pour Sears était partagé entre cinq studios.

 

[8]     En tant que studio, Pi Media fournissait tous les services nécessaires aux fins de la préparation de la publicité imprimée pour les catalogues, les dépliants, les affiches en magasin et les sites Web. Les services comprenaient la rencontre de clients. Un client tel que Sears fournissait ses instructions à Pi Media au sujet du contenu d’un catalogue en organisant une réunion entre ses spécialistes en marketing et ses acheteurs et l’équipe des ventes de Pi Media qui serait chargée de promouvoir un concept créé par l’équipe de création de Pi Media pour un catalogue conçu par l’équipe de création. Une fois que l’on s’était entendu sur le concept, l’équipe de création de Pi Media produisait les maquettes, les dessins et les exemples donnant des détails au sujet de la composition de la photo requise, notamment en ce qui concerne l’ambiance, l’éclairage, le plateau et les accessoires, et les réalisateurs préparaient des calendriers de réalisation. Les maquettes comprenaient des instructions sur les illustrations et indiquaient si le produit, dans le cas des vêtements, serait présenté sur mannequin, auquel cas on avait recours à un modèle, ou s’il serait présenté sans mannequin.

 

[9]     Les pièces produites à l’audience démontraient que l’équipe de création de Pi Media donnait un grand nombre de détails. Dans un sens, le travail de l’équipe de création peut être décrit comme consistant à créer un bleu virtuel de la photo requise. Les renseignements relatifs à la création de la photo comprennent un exemple qui aide à indiquer l’ambiance ou l’atmosphère que l’équipe de conception veut créer et pourrait même indiquer le traitement de l’éclairage. L’emplacement de la séance photo, les produits, leur placement, et les accessoires et leur placement peuvent être expressément décrits. Essentiellement, tous les éléments nécessaires pour mener une séance à bonne fin sont fournis et planifiés par Pi Media. Le menuisier construisait le plateau. L’assistant photographe et l’assistante styliste se procuraient la marchandise qui était attribuée à chacun. L’assistant photographe aidait à organiser l’éclairage. L’assistante styliste pressait les vêtements et les autres tissus au besoin. La styliste préparait la marchandise. Le photographe travaillait avec la styliste en vue de créer l’image souhaitée et de prendre les photos requises.

 

[10]    Avant la séance photo, une réunion préproduction était tenue; certains stylistes et assistants photographes y assistaient et l’on discutait d’une séance particulière. Le directeur artistique de Pi Media discutait des concepts créatifs et distribuait les maquettes, les dessins et le matériel renfermant des détails sur la séance photo. Certaines premières stylistes telles que Mme Brioux et Mme Palotay ont déclaré qu’elles n’assistaient pas à ces réunions. Les assistants photographes pouvaient assister aux réunions afin de connaître les exigences photographiques d’une séance photo; toutefois, M. Gallagher a témoigné que c’était le photographe qui assistait en général à ces réunions. On présentait néanmoins à tous les intéressés une description visuelle précise de la façon dont les photographies devaient être prises.

 

[11]    Comme il en a été fait mention, l’équipe qui créait les photographies elles‑mêmes était composée de photographes, de stylistes, d’assistants photographes et de menuisiers[3]. Pi Media rangeait les stylistes dans les catégories suivantes : assistantes stylistes, stylistes débutantes et premières stylistes. De plus, les stylistes avaient leurs propres spécialités : stylistes de mode sur mannequin qui travaillaient avec des modèles; stylistes de mode sans mannequin; stylistes (matières) qui travaillaient aux séances photo de produits; et stylistes (textiles) qui préparaient les décors de pièce de maison et les accessoires pour la maison comme la literie et les rideaux.

 

[12]    Quant aux studios eux‑mêmes, Pi Media exploitait deux studios de photographie commerciale à Toronto. L’un, chemin Benton, est une installation de 150 000 pieds carrés, comportant 50 plateaux de photographie, un entrepôt de vente de marchandise et un atelier de menuiserie. Une seconde installation, d’une superficie de 70 000 pieds carrés, est située chemin Lesmill; elle comporte des plateaux de photographie, un entrepôt de marchandises et un local de menuiserie. À part les séances photo en extérieur, toute la photographie était effectuée dans l’un des studios de Pi Media.

 

[13]    Au cours des années ici en cause, Pi Media comptait environ 75 travailleurs dans les deux studios, y compris de 20 à 25 stylistes, cinq ou six assistants photographes et cinq menuisiers, qui étaient tous des employés. Les pigistes travaillaient avec leurs pairs.

 

[14]    Le travail de Pi Media fluctuait en fonction de la saison. Le catalogue d’automne et d’hiver de Sears était préparé à la fin du mois de janvier et au mois de février. Du mois d’avril au mois de juillet, le catalogue « Cadeaux de rêve » de Sears était préparé et le catalogue de printemps et d’été de Sears était préparé aux mois de septembre et d’octobre. À d’autres moments, les activités du studio tournaient au ralenti.

 

[15]    J’examinerai maintenant le témoignage de chacun des témoins.

Le témoignage de Gary MacLean (directeur des opérations photographiques)

[16]    Dans son témoignage, M. MacLean a relaté une bonne partie de l’historique ci‑dessus résumé. Quant à la preuve qu’il a présentée au sujet des conditions de travail des travailleurs ici en cause, elle était de nature générale, bien qu’elle eût donné une idée de la nature de leur engagement, en particulier celui des travailleurs possédant plus d’expérience.

 

[17]    Ainsi, j’ai ajouté foi au témoignage de M. MacLean lorsqu’il a déclaré que, bien que les maquettes aient été exécutées par l’équipe de conception, les travailleurs expérimentés, en général, sont en bonne partie embauchés à cause de leur expertise et possèdent de grandes compétences. Ces personnes travaillent en général depuis longtemps dans l’industrie et sont en mesure d’aider à réaliser le produit final, un produit qui plairait aux directeurs artistiques de Pi Media ainsi qu’aux clients. Étant donné que ces travailleurs étaient embauchés à cause de leur expertise, ils devaient personnellement accomplir leur travail.

 

[18]    M. MacLean a confirmé que l’on retenait les pigistes pour des projets précis durant de quelques jours à quelques semaines ou un mois. En général, ces travailleurs, une fois engagés, effectuaient des heures régulières, mais ils signalaient leur arrivée et leur départ, de façon que Pi Media sache qui était dans l’immeuble. Pendant les périodes de pointe, le studio, qui était normalement ouvert de 8 h 30 à 17 h 30, était ouvert de 7 h à 19 h. Il était essentiel d’appliquer le régime des heures régulières au cours d’un projet, de façon que tous les membres de l’équipe affectée au projet soient disponibles en même temps. On tenait généralement les travailleurs occupés pendant toute la journée habituelle de travail, mais M. MacLean a déclaré que, s’il n’y avait pas de travail, les travailleurs pouvaient partir. Toutefois, j’ai eu l’impression que cette possibilité s’appliquait principalement aux premières stylistes, auxquelles il n’était pas aussi facile d’assigner d’autre travail. Elles étaient trop spécialisées, et elles étaient rémunérées à l’heure à un taux pouvant atteindre trois fois le taux horaire accordé aux stylistes débutantes.

 

[19]    Comme l’ont confirmé d’autres témoins, M. MacLean a témoigné que tous les travailleurs enregistraient leurs heures dans un système semblable à des feuilles de temps. Ce système s’appelait le système de décompte des heures et les heures étaient enregistrées pour un projet précis, ce qui permettait à Pi Media de mieux comprendre et de mieux prévoir les impératifs du calendrier de projet et d’apprécier la rentabilité d’un projet particulier. Le système servait également à assurer le suivi des heures aux fins du calcul de la rémunération d’un travailleur.

 

[20]    M. MacLean a également témoigné que les pigistes pouvaient accepter ou refuser, pour chaque projet individuel, tout travail qui leur était offert par Pi Media. Toutefois, Pi Media pouvait mettre un travailleur en attente si elle savait qu’elle aurait besoin d’aide au cours d’une période particulière, c’est‑à‑dire qu’elle retenait un travailleur pour une période particulière. Les pigistes n’avaient pas à travailler exclusivement pour Pi Media, mais s’ils étaient en attente, ils devaient obtenir la permission de Pi Media pour être libérés. Si un autre studio contactait le travailleur, celui‑ci communiquait ensuite avec Pi Media et demandait qu’on le retienne ou qu’on le libère. Pi Media devait faire l’une ou l’autre chose. Compte tenu des témoignages d’autres témoins, il semble encore une fois clair à mes yeux que seules les premières stylistes étaient mises en attente.

 

[21]    M. MacLean estimait que les travailleurs en attente demandaient à être libérés dans environ 10 p. 100 des cas seulement. Il estimait que Pi Media faisait droit à la demande à peu près la moitié du temps.

 

[22]    M. MacLean a confirmé que les travailleurs accomplissaient leurs tâches dans les studios de Pi Media et en extérieur. Pi Media fournissait non seulement les locaux, mais aussi l’éclairage, le matériel et la marchandise nécessaires pour les diverses séances photo. On ne donnait pas d’instructions aux travailleurs expérimentés au sujet des outils, de l’équipement ou des matériaux à utiliser pour effectuer leur travail. Les stylistes fournissaient leur propre trousse, qui comprenait des pinces et des pulvérisateurs, des brosses et d’autres articles similaires. Pi Media ne fournissait pas d’outils ou d’équipement aux stylistes ou aux assistantes, sauf pour des fers commerciaux, des fers à vapeur et des planches à repasser. Pi Media fournissait aux menuisiers de gros outils, comme une scie circulaire à table industrielle, lesquels étaient situés dans l’atelier de menuiserie de Pi Media. Les menuisiers devaient uniquement apporter les petits outils comme les marteaux, les perceuses sans fil, une ceinture à outils et ainsi de suite.

 

[23]    M. MacLean a témoigné que les pigistes étaient rémunérés à un taux plus élevé que les employés. Ils étaient rémunérés à l’heure ou à la journée. Un taux quotidien était exigé lorsque Pi Media avait recours aux services d’une agence pour trouver une styliste. Les taux de rémunération variaient en fonction de l’expérience. Les travailleurs possédant plus d’expérience pouvaient exiger plus d’argent. Chaque travailleur négociait son propre taux. Parmi les facteurs qui influaient sur les taux, il y avait les budgets, la valeur de production et l’expérience du travailleur. Les travailleurs qui étaient rémunérés en fonction d’un taux quotidien fixe étaient rémunérés pour une journée complète. Les travailleurs n’étaient pas rémunérés lorsqu’ils étaient en attente. Les travailleurs remettaient une facture à Pi Media chaque semaine ou aux deux semaines, ou encore à la fin du projet, et ils étaient à leur gré rémunérés au moyen d’un dépôt direct ou par chèque. La plupart des travailleurs présentaient à leur propre nom leurs factures à Pi Media. Les travailleurs ne touchaient pas de primes, si ce n’est un taux de rémunération plus élevé pour les heures supplémentaires. Pi Media ne leur accordait pas de paie de vacances, de congés de maladie ou d’autres avantages.

 

[24]    Quant à l’intention des parties, M. MacLean a peut‑être donné l’impression que l’engagement des travailleurs à titre d’entrepreneurs indépendants était effectué sur une base consensuelle, mais en général, du moins en ce qui concerne les travailleurs moins expérimentés, c’était selon moi Pi Media qui décidait si un travailleur allait se voir offrir du travail à titre d’employé ou à titre d’entrepreneur indépendant. D’autre part, en ce qui concerne les travailleuses les plus anciennes, les premières stylistes, je suis d’avis qu’elles offraient uniquement leurs services à titre d’entrepreneurs indépendants.

 

Le témoignage de Gary Thompson (menuisier)

[25]    J’examinerai certaines des conclusions que j’ai tirées, sur le plan de la preuve, à l’égard de M. Thompson dans mon analyse, étant donné qu’à mon avis, son cas est le plus difficile compte tenu des indications contradictoires en ce qui concerne le degré de contrôle exercé sur le travail qui lui était assigné et la mesure dans laquelle il poursuivait ses propres activités professionnelles.

 

[26]    En sa qualité de menuisier, M. Thompson était chargé de construire les plateaux pour les séances photo. Le directeur artistique et le directeur du studio lui expliquaient ce qu’il fallait construire et il travaillait à partir des maquettes que ceux‑ci lui fournissaient. M. Thompson était supervisé par le directeur du studio et par le directeur général, mais il n’avait pas à être supervisé de près. Le directeur pouvait également lui demander d’exécuter divers travaux d’entretien. M. Thompson devait demander la permission s’il voulait partir avant l’heure prévue.

 

[27]    M. Thompson effectuait les heures en fonction des besoins de Pi Media et il suivait les politiques de Pi Media. Il effectuait à peu près le même genre de travail que celui des menuisiers qui travaillaient à titre d’employés à plein temps, sauf qu’il n’avait pas à préparer d’estimations du temps qu’il faudrait pour mener un projet à bonne fin.

 

[28]    M. Thompson fournissait ses propres petits outils, mais Pi Media lui fournissait gratuitement un grand nombre des outils nécessaires à ses travaux de menuiserie. Il se faisait rembourser de ce qu’il lui en coûtait pour se rendre à l’emplacement d’une séance photo.

 

[29]    Pendant la période pertinente, M. Thompson travaillait uniquement pour Pi Media. Il touchait un salaire horaire, qu’il avait négocié avec le directeur général.

 

[30]    M. Thompson a témoigné avoir eu l’intention d’agir à titre d’entrepreneur indépendant.

 

Le témoignage de Jason Grenci (assistant photographe)

[31]    Le travail de M. Grenci consistait à aider le photographe auquel il était affecté. On lui remettait des maquettes indiquant en détail le travail qu’il devait faire et ses heures étaient en bonne partie fixées par le photographe avec qui il travaillait. Toutefois, il accomplissait d’autres tâches générales pour Pi Media et il aidait les photographes. On pouvait lui assigner du travail supplémentaire s’il avait achevé les tâches qui lui avaient initialement été assignées.

 

[32]    Le directeur du studio affectait M. Grenci à un photographe particulier. M. Grenci n’avait pas voix de chapitre sur ce point. Une fois qu’il était affecté à un photographe, ce photographe et la styliste qui travaillait à la séance photo le dirigeaient dans son travail.

 

[33]    On fournissait à M. Grenci tous les outils et tout le matériel dont il avait besoin et M. Grenci fournissait les mêmes services que ceux que fournissaient les assistants qui étaient des employés de Pi Media.

 

[34]    M. Grenci touchait douze dollars l’heure, soit le taux qui lui avait été offert. Il n’y avait rien que M. Grenci puisse faire pour gagner plus d’argent si ce n’est en effectuant des heures additionnelles.

 

[35]    M. Grenci a affirmé qu’il voulait agir à titre d’entrepreneur indépendant, mais c’était Pi Media qui décidait de la nature de l’engagement compte tenu de ce qu’elle était prête à offrir.

 

[36]    M. Grenci est allé travailler pour Pi Media parce que, selon son propre témoignage, c’était un [traduction] « endroit formidable pour commencer à travailler et apprendre la photographie en tant que métier ». Au cours de la période pertinente, M. Grenci n’avait pas eu d’autres engagements.

 

Le témoignage de Blaise Misiek (assistant photographe)

[37]    M. Misiek est devenu assistant, dans une première étape, afin de devenir photographe dans cette industrie.

 

[38]    M. Misiek faisait ce que le photographe lui demandait de faire. On lui fournissait la maquette et les plans, on lui expliquait le travail exact à effectuer, et il était supervisé par le photographe. Comme dans le cas de M. Grenci, c’était le photographe auquel le superviseur du studio l’avait affecté qui décidait en bonne partie de ses heures.

 

[39]    Comme dans le cas de M. Grenci, M. Misiek pouvait se voir assigner du travail additionnel s’il achevait plus tôt que prévu une tâche particulière qui lui avait été assignée. Certains travailleurs à plein temps qui avaient été engagés à titre d’employés effectuaient le même genre de travail que M. Misiek.

 

[40]    Pi Media fournissait à M. Misiek tous les outils et tout le matériel dont celui‑ci avait besoin.

 

[41]    M. Misiek touchait initialement douze dollars l’heure, mais son salaire a été porté à 14 $ le 1er février 2005; cependant, ce salaire a été légèrement réduit une semaine plus tard lorsque M. Misiek a été embauché à titre d’employé à plein temps. La preuve que M. Misiek a présentée au sujet de la question de savoir s’il avait eu d’autres engagements au cours de la période où il était assistant était au mieux vague.

 

[42]    Comme dans le cas de M. Grenci, M. Misiek a déclaré qu’il voulait être embauché à titre d’entrepreneur indépendant, mais je conclus encore une fois que c’était Pi Media qui décidait de la nature de l’engagement compte tenu de ce qu’elle était prête à offrir. Au cours de la période pertinente, M. Misiek n’avait pas eu d’autres engagements.

 

Le témoignage de Devin Gallagher (assistant photographe)

[43]    En sa qualité d’assistant photographe, M. Gallagher suivait lui aussi les instructions du photographe. M. Gallagher a également reconnu être sous la direction des stylistes, avec qui il travaillait à un projet. On lui remettait des maquettes détaillées des travaux qu’il devait exécuter et, si des changements étaient apportés au projet, c’était le photographe ou le directeur artistique qui lui donnait des instructions. M. Gallagher était affecté à un photographe particulier.

 

[44]    M. Gallagher était supervisé par le directeur du studio, qui fixait également ses heures de travail. Il pouvait se voir assigner du travail additionnel s’il avait achevé avant la fin de la journée les tâches qui lui avaient initialement été assignées.

 

[45]    Le travail quotidien de M. Gallagher n’a pas changé lorsqu’il est devenu employé à plein temps.

 

[46]    On fournissait à M. Gallagher tout le matériel et tous les outils dont il avait besoin. M. Gallagher touchait douze dollars l’heure, soit le taux qu’on lui avait offert et qu’il avait accepté. M. Gallagher a témoigné qu’il était rémunéré même s’il corrigeait une erreur qu’il avait commise.

 

[47]    M. Gallagher a dit qu’il voulait agir à titre d’entrepreneur indépendant, mais c’était Pi Media qui décidait de la nature de l’engagement compte tenu de ce qu’elle était prête à offrir. M. Gallagher a été travailleur à contrat jusqu’à ce qu’il devienne employé à plein temps au mois d’août 2005. En 2004, il avait gagné un petit montant d’une autre source.

 

Le témoignage de Heather Harton (première styliste)

[48]    Mme Harton était styliste (matières). Elle a confirmé qu’elle recevait des instructions précises sur les illustrations ainsi que des maquettes indiquant ce qu’elle devait faire pour un projet particulier et pour une séance photo particulière. Elle veillait à ce que tout soit prêt pour une séance photo; elle allait notamment chercher la marchandise et la préparait. Elle n’était pas supervisée, mais elle n’avait pas voix de chapitre pour ce qui est de la question de savoir si une séance photo particulière allait être approuvée ou s’il fallait la reprendre. Elle suivait les instructions si elle était avisée d’un changement au sujet d’une séance particulière. En général, elle suivait les instructions de Pi Media. Elle enregistrait ses heures dans le système de données et elle accomplissait les mêmes tâches que les premières stylistes employées par Pi Media. En général, elle se conformait aux heures de travail régulières de Pi Media et elle consultait un directeur de studio si elle partait avant l’heure prévue.

 

[49]    Mme Harton assistait aux réunions d’information au cours desquelles les concepts généraux des projets étaient assignés et expliqués. Les directeurs artistiques faisaient alors part des instructions ou du processus créatif.

 

[50]    Mme Harton assumait néanmoins ses responsabilités d’une façon indépendante. Elle était chargée de réaliser les maquettes et elle préparait une séance conformément aux instructions créatives qui lui avaient été données. Elle possédait une vaste expérience et elle était en mesure de comprendre les exigences artistiques d’une séance photo et d’y donner suite. Personne n’avait à contrôler tous ses faits et gestes. Si des problèmes se posaient, elle consultait le directeur artistique.

 

[51]    De l’année 2004 à l’année 2006, Mme Harton a régulièrement travaillé pour Pi Media pour des projets individuels. Une fois qu’elle s’occupait d’un projet, elle devait informer un superviseur de Pi Media en cas d’absence. Elle travaillait parfois pour d’autres studios, mais elle n’était pas obligée de le faire lorsqu’elle obtenait du travail régulier chez Pi Media. L’un des studios pour lesquels elle travaillait, à part Pi Media, était un studio appelé McCrae Studios, où elle demandait un taux quotidien de 400 $. Elle travaillait néanmoins presque exclusivement pour Pi Media et son revenu provenait principalement de Pi Media pendant toute la période pertinente.

 

[52]    On fournissait à Mme Harton un fer à vapeur commercial portable et une planche à repasser professionnelle pour le pressage des vêtements. Toutefois, Mme Harton fournissait des outils de stylisme plus petits si elle en ressentait le besoin. Elle fournissait son propre fer à vapeur commercial portable et une planche à repasser professionnelle lorsqu’elle travaillait chez McCrae Studios étant donné que ce studio n’était pas doté du matériel approprié.

 

[53]    Pendant la période pertinente, Mme Harton détenait une carte d’accès au studio de Pi Media, et ce, même lorsqu’elle ne travaillait pas à un projet. Elle présentait une facture chaque semaine et elle était rémunérée aux deux semaines au moyen d’un dépôt direct. Elle n’avait pas de compte d’entreprise.

 

[54]    Mme Harton touchait 35 $ l’heure. Elle fixait ce taux compte tenu de son expérience et de ses compétences ainsi que du volume du travail régulier que Pi Media lui fournissait. Mme Harton a déclaré qu’elle demandait 40 $ l’heure à d’autres clients.

 

[55]    Mme Harton n’était pas tenue de fournir ses services exclusivement à Pi Media, mais elle était souvent en attente chez Pi Media. Même lorsque ce n’était pas le cas, elle avisait Pi Media, par simple politesse, si elle allait travailler ailleurs. D’autres studios la mettaient parfois en attente.

 

[56]    Mme Harton pouvait accepter ou refuser du travail chez Pi Media. Elle n’était pas obligée de travailler à un projet.

 

[57]    Mme Harton estimait agir à titre d’entrepreneur indépendant à la pige et elle se comportait en tant que telle. Elle obtenait d’autre travail sur la recommandation de stylistes ou de photographes qu’elle connaissait ou avec qui elle travaillait et, si elle n’avait pas d’autres engagements, elle s’y présentait. Elle avait des cartes d’affaires et elle était inscrite aux fins de la taxe sur les produits et services (la « TPS »). Elle percevait la TPS de Pi Media. Elle déclarait un revenu et des dépenses d’entreprise dans sa déclaration de revenus et elle versait des cotisations au RPC à titre de travailleur autonome.

 

Le témoignage d’Yvonne Brioux (première styliste)

[58]    Mme Brioux était styliste (textiles). Son témoignage indiquait qu’en sa qualité de travailleuse, elle suivait moins les consignes que ce que l’intimé voudrait me le faire croire. Elle considérait les instructions du directeur artistique comme des instructions générales. Même si elle ne pouvait pas modifier une maquette et même si elle suivait les instructions quant aux changements requis, Pi Media comptait clairement sur son expertise. Mme Brioux n’avait pas à décider si une page particulière du catalogue devait renfermer une photographie représentant une couette ou un lit, mais son rôle consistait plutôt à utiliser ses aptitudes créatives pour prendre des décisions au sujet de la présentation de la marchandise précisée dans les maquettes. Elle n’était pas supervisée de quelque façon que ce soit lorsqu’il s’agissait d’exécuter cet aspect de ses tâches contractuelles.

 

[59]    L’horaire de travail de Mme Brioux était flexible. Mme Brioux était à tous les égards une experte. Elle avait travaillé à des centaines de maquettes et de projets du genre de ceux que Pi Media lui demandait de réaliser pour son compte.

 

[60]    Mme Brioux se voyait assigner des projets précis et des dates précises qu’elle pouvait accepter ou refuser. Une fois un projet accepté, elle consignait ses heures de la façon normale et se conformait aux horaires normaux et elle faisait savoir si elle ne pouvait pas se présenter à un moment donné. En général, elle n’assistait pas aux réunions préproduction. Elle consultait le photographe et elle travaillait en tant que membre de l’équipe. On lui avait donné un code d’accès au studio, qu’elle a conservé pendant toute la période pertinente.

 

[61]    On fournissait à Mme Brioux la plupart des outils dont elle avait besoin pour s’acquitter de ses fonctions, mais, comme d’autres stylistes, elle avait sa propre trousse de styliste. Ses tâches étaient les mêmes que celles des  stylistes qui travaillaient à titre d’employées.

 

[62]    Mme Brioux remettait une facture une fois par semaine. Elle était rémunérée à l’heure, aux deux semaines, et l’argent était déposé dans un compte de chèque personnel. Elle touchait 38 $ l’heure en 2004, et elle a négocié un taux atteignant 40 $ l’heure en 2005 et en 2006.

 

[63]    Mme Brioux n’était pas tenue de fournir ses services exclusivement à Pi Media. Au cours de la période ici en cause, elle travaillait principalement pour Pi Media. Elle a témoigné qu’elle avait eu d’autres possibilités de participer à un grand nombre de séances photo pour d’autres studios, mais qu’elle n’avait pas accepté de travail parce que Pi Media lui en offrait davantage. Comme Mme Harton, elle n’était pas rémunérée au taux des heures supplémentaires pour les heures de travail additionnelles.

 

[64]    Mme Brioux voulait agir à titre d’entrepreneur indépendant. Elle travaillait à la pige lorsque cela lui convenait. Elle ne connaissait pas d’autres sociétés telles que Quebecor qui, au cours des années pertinentes, effectuaient beaucoup de travail de préparation de catalogues. En 2002, elle était fondamentalement à la retraite et elle faisait de la voile avec son mari. Elle avait refusé un emploi à plein temps chez Pi Media parce qu’elle voulait travailler aux moments et aux conditions qui lui convenaient. Elle pouvait appeler pour avoir du travail lorsqu’elle le voulait et qu’elle pouvait travailler, après un voyage en voilier avec son mari et ainsi de suite.

 

[65]    Mme Brioux n’avait pas de cartes d’affaires, de nom commercial enregistré ou de portfolio personnel. Elle ne percevait pas la TPS. Elle contribuait au RPC à titre de travailleur autonome, mais elle avait demandé que l’impôt sur le revenu soit déduit de ses chèques afin d’éviter toute obligation à la fin de l’année. Pi Media ne lui accordait aucun avantage.

 

Le témoignage de Klara Palotay (première styliste)

[66]    Mme Palotay était première styliste et s’occupait de stylisme de photographie sans mannequin et de stylisme (textiles); elle était spécialisée dans la présentation des rideaux. Elle suivait toutes les instructions figurant dans les maquettes et dans les exemples que l’équipe de création lui remettait, mais elle n’avait pas à être supervisée; elle se fondait sur son talent artistique pour créer l’aspect ou l’effet souhaité et elle proposait même un décor particulier. Elle avait une certaine latitude lorsqu’il s’agissait de créer un style afin de présenter les rideaux et elle a soutenu qu’on lui donnait beaucoup de latitude, isolément ou avec le photographe, lorsqu’il s’agissait de créer un style souhaité pour une photo. Toutefois, elle devait se conformer aux avis de changement. On lui fournissait les outils et les trousses nécessaires.

 

[67]    Mme Palotay pouvait à son gré travailler pour d’autres studios, ce qu’elle a fait par exemple en 2006, mais ses principaux engagements étaient ceux qu’elle avait avec Pi Media. En 2004 et en 2005, elle n’a pas travaillé pour quelque autre studio que ce soit. Elle pouvait refuser un projet et, sous réserve des contraintes imposées par un projet et par l’équipe avec laquelle elle travaillait, elle pouvait décider de ses propres heures de travail. Toutefois, les contraintes imposées par le travail en équipe limitaient sa liberté. Elle pouvait partir dès que le travail de la journée était achevé. Elle faisait savoir si elle ne pouvait pas se présenter au cours d’une journée prévue à l’horaire.

 

[68]    Mme Palotay avait négocié son taux de rémunération, de 35 $ l’heure; aucune retenue n’était effectuée et aucun avantage ne lui était accordé. Elle pointait son arrivée, de la même façon qu’un employé à plein temps. Pendant toute la période pertinente, elle détenait une carte d’accès, et ce, même si au cours de cette période, il arrivait bien souvent qu’elle ne travaille pas pour Pi Media.

 

[69]    Mme Palotay facturait son travail; elle percevait et versait la TPS, quoique, dans sa déclaration de revenus de 2006, elle eût indiqué un revenu de Qnet (Quebecor) à titre de revenu d’emploi parce qu’elle avait reçu un feuillet T‑4. Elle estimait malgré tout travailler à la pige comme styliste. Elle avait négocié un taux de rémunération horaire de 35 $; aucune retenue n’était effectuée sur sa paie et aucun avantage ne lui était accordé. Elle avait préparé un portfolio personnel et elle avait fait enregistrer un nom d’entreprise.

 

Le témoignage d’Iris Simpson (première styliste)

[70]    Mme Simpson s’occupait de stylisme de photographie avec mannequin. Elle a reconnu qu’elle assistait aux réunions d’information préproduction, au cours desquelles on lui montrait les maquettes, la mise en scène et les accessoires qui avaient été choisis pour une séance photo. Les descriptions étaient faites par l’équipe de création, qui dictait essentiellement l’effet et l’ambiance souhaités. Cependant, Pi Media comptait largement sur la capacité de la styliste pour créer l’effet souhaité. La styliste choisissait le modèle particulier qui assurerait l’ambiance souhaitée : par exemple [traduction] « une jeune femme d’affaires : élégante, mais sans extravagance ». Mme Simpson a témoigné que la maquette n’était que la ligne directrice à suivre pour la photo de mode. Son rôle consistait à surpasser les attentes du client et il arrivait parfois que ses poses soient choisies et imprimées dans le catalogue.

 

[71]    En somme, l’aspect général était généré par le service artistique, alors que la réalisation de cet aspect relevait de la styliste. La styliste retenait les gens qui devaient s’occuper de la coiffure et du maquillage et elle pouvait décider d’un grand nombre des derniers détails de la séance photo, par exemple lorsqu’il s’agissait de choisir le style de coiffure des modèles (cheveux droits, gonflés et ainsi de suite) et, sur consultation du photographe, leur position, qui était en bonne partie conforme à celle qui était prévue par l’équipe de création ou par l’exemple. Mme Simpson n’était pas assujettie aux instructions de Pi Media pour ce qui est de la façon de préparer une séance photo ou même de mettre une séance à l’horaire.

 

[72]    Mme Simpson remettait une facture à Pi Media et percevait la TPS. Elle avait fait enregistrer son entreprise. Elle avait son propre portfolio, un portfolio volumineux et fort impressionnant, qu’elle envoyait aux clients éventuels afin de promouvoir ses services. Elle pouvait refuser un travail; elle pouvait à son gré travailler pour d’autres studios et c’est ce qu’elle avait fait au cours de la période pertinente, mais ses principaux engagements étaient ceux qu’elle avait avec Pi Media.

 

[73]    Comme les autres stylistes, Mme Simpson fournissait ses services à Pi Media principalement dans les locaux de cette dernière et elle devait fournir ses services personnellement, au cours des heures régulières, mais elle avait une certaine latitude lorsqu’il s’agissait de fixer ses heures. Elle remettait sa carte d’accès à la fin de chaque projet. Elle possédait une grosse trousse de styliste, une trousse beaucoup plus complète que celles que les autres stylistes ont décrites. Cette trousse comprenait des accessoires et des vêtements, des ceintures, des tissus, des bijoux, du maquillage, et même un renforceur de fesses et beaucoup d’autres choses, qu’il s’agisse de détachant ou de fers. La liste était longue.

 

[74]    Mme Simpson produisait des déclarations de revenus à titre de personne travaillant à son compte, elle avait un bureau à domicile et elle déduisait les dépenses associées aux articles de sa trousse, soit, en 2004, un montant de plus de 6 500 $ pour les fournitures et les accessoires. Elle touchait une rémunération quotidienne ou horaire au taux qu’elle négociait. Elle estimait être un travailleur autonome effectuant du travail à la pige.

 

Le témoignage de Sarah Rodrigues (assistante‑styliste débutante)

[75]    Mme Rodrigues a obtenu son diplôme du collège Humber, dans le domaine de la mode, au mois d’avril 2005 et elle a commencé à travailler comme assistante styliste, photographie avec mannequin, au mois de mai 2005. Elle se considérait comme un entrepreneur indépendant à la pige, mais elle a reconnu que Pi Media lui avait dit que c’était ainsi que ses services étaient retenus.

 

[76]    En sa qualité d’assistante, Mme Rodrigues ne travaillait pas sur le plateau avec la styliste, le photographe ou les modèles. Elle pressait les vêtements, elle allait les chercher et elle les rangeait et elle suivait les instructions d’un superviseur, ainsi que de la styliste à laquelle elle était affectée. Elle a témoigné avoir reçu une formation de Pi Media au cours de cette période et avoir observé une première styliste dans son travail au cours des quelques derniers mois.

 

[77]    Pi Media lui avait enseigné comment lire une maquette, lui avait montré comment utiliser le système de décompte des heures et où aller chercher les vêtements, les accessoires et la marchandise nécessaires pour une séance photo. Mme Rodrigues était également sous la direction de la styliste à laquelle elle était affectée et elle n’avait pas voix de chapitre lorsqu’il s’agissait de choisir la styliste à laquelle elle était affectée. Selon le témoignage d’une des premières stylistes, les assistantes stylistes devaient se conformer à ce que la première styliste leur demandait de faire.

 

[78]    Le réalisateur, chez Pi Media, donnait également des instructions sur la façon dont Mme Rodrigues devait s’acquitter de sa tâche. D’une façon générale, Mme Rodrigues était supervisée par le superviseur de Pi Media qui s’occupait du service de la mode et qui lui donnait des consignes au fur et à mesure des besoins.

 

[79]    Au mois d’octobre 2005, Mme Rodrigues est devenue styliste débutante, photographie avec mannequin; elle a alors commencé à assister aux réunions préproduction et à travailler sur le plateau avec les modèles et le photographe. Toutefois, elle travaillait strictement aux dépliants de vente au détail de fin de semaine, lesquels, comme elle l’a dit, étaient [traduction] « de dimension réduite ». Elle en était à ses [traduction] « débuts de styliste ». C’était la première fois qu’elle préparait une séance photo de mode avec mannequin. Elle travaillait directement avec les modèles, elle épinglait les vêtements pour qu’ils soient bien ajustés; elle travaillait également avec les artistes du maquillage. Elle a déclaré qu’en sa qualité de styliste débutante, elle pouvait retenir un modèle, mais qu’elle devait consulter un directeur artistique. Elle a déclaré qu’elle pouvait retenir l’artiste de la coiffure et l’artiste du maquillage, mais elle a admis que d’autres stylistes possédant plus d’expérience l’aidaient à cause de son manque de connaissances et d’expérience. Elle a également témoigné que, par la suite, en sa qualité de réalisatrice, son travail consistait à réserver les horaires; elle traitait avec les agences de mannequins, elle retenait les modèles ainsi que les artistes de la coiffure et les artistes du maquillage. Le fait que tel était son rôle à titre de réalisatrice me fait hésiter à accepter qu’elle ait eu un rôle important dans ce domaine à titre de styliste débutante, bien que je reconnaisse que les premières stylistes aient fortement contribué à la prise de pareilles décisions.

 

[80]    En sa qualité de styliste débutante, Mme Rodrigues a déclaré que ses tâches étaient semblables à celles d’une première styliste, mais étant donné qu’elle possédait moins d’expérience, elle ne pouvait pas faire de travail de préparation de catalogue qu’elle a qualifié de plus [traduction] « compliqué », et étant donné qu’elle en était tout juste à ses débuts, [traduction] « ils » ne voulaient pas qu’elle commence à travailler à la préparation de catalogues. Lorsqu’elle a bien connu son travail, elle a cessé d’être directement supervisée et elle pouvait se voir assigner des projets sur cette base. Toutefois, il était déjà arrivé qu’une photo ne plaise pas au superviseur et que celui‑ci lui indique comment mieux présenter la photo ou comment l’améliorer.

 

[81]    Mme Rodrigues a déclaré qu’en sa qualité de styliste débutante, elle assumait certaines responsabilités sur le plateau pour ce qui est de l’aspect créatif et, encore une fois à cet égard, elle estimait que son rôle n’était pas très différent de celui d’une première styliste. Bien qu’elle ait fait de telles allégations, je note que son témoignage n’était pas toujours cohérent pour ce qui est de la mesure dans laquelle elle pouvait présenter elle‑même une photo.

 

[82]    Au mois de septembre 2006, Mme Rodrigues est devenue réalisatrice et, au mois de janvier 2007, elle a continué à travailler en cette qualité à titre d’employée à plein temps. En sa qualité de réalisatrice, elle devait coordonner les horaires de l’équipe nécessaire pour réaliser une séance photo donnée. Mme Rodrigues a appris comment produire une maquette. Elle donnait des détails au sujet de la marchandise et du décor nécessaires et elle organisait les horaires.

 

[83]    Au cours de la période où Mme Rodrigues a travaillé comme assistante styliste et comme styliste débutante, les heures étaient fixées par son superviseur, mais une fois affectée, lorsque Pi Media avait du travail à lui faire faire, Mme Rodrigues effectuait une journée de travail régulière de huit heures dans le studio de Pi Media. On lui avait remis une carte d’accès qu’elle ne retournait pas à la fin d’un projet. Au début, il arrivait parfois que Pi Media n’ait pas besoin de ses services, mais au bout de quelques mois, Mme Rodrigues travaillait régulièrement chez Pi Media. Elle gagnait initialement neuf dollars l’heure, mais avec le temps, le taux a augmenté au fur et à mesure qu’elle acquérait de l’expérience, et elle a ensuite finalement négocié un taux horaire de 14 $. À ce moment‑là, elle a essayé d’obtenir un taux quotidien de 150 $, mais sa rémunération a été ramenée à 14 $ l’heure.

 

[84]    Mme Rodrigues était rémunérée en fonction des heures effectuées. Elle pointait chaque jour à l’entrée et à la sortie et elle travaillait normalement pendant les heures régulières d’ouverture. On lui demandait, lorsque ses tâches étaient achevées, de ne pas partir avant l’heure prévue sans d’abord en informer un superviseur, qui pouvait lui assigner du travail additionnel.

 

[85]    On avait demandé à Mme Rodrigues de présenter une facture pour les heures effectuées, ce qu’elle faisait chaque semaine. Elle était rémunérée aux deux semaines au moyen d’un dépôt direct dans son compte personnel. Elle ne percevait pas et ne versait pas la TPS.

 

[86]    Mme Rodrigues fournissait quelques petites fournitures telles que des ciseaux, des aiguilles et des épingles. Le coût de ces articles s’élevait à une centaine de dollars. Mme Rodrigues ne se faisait pas rembourser de ces frais. Les frais de transport qu’elle supportait pour assister à une séance photo en extérieur au cours de la période pertinente ne lui étaient pas non plus remboursés.

 

[87]    Mme Rodrigues ne recevait pas d’avantages. Pour les années 2005 et 2006, elle a produit ses déclarations de revenus à titre de travailleur autonome et elle a déduit des dépenses d’une centaine de dollars pour les fournitures.

 

[88]    On n’avait pas informé Mme Rodrigues qu’elle était tenue de travailler exclusivement pour Pi Media ou qu’elle devait obtenir la permission de Pi Media pour travailler ailleurs. En 2005, Mme Rodrigues a gagné un petit montant d’une autre source.

 

[89]    Mme Rodrigues n’a pas eu de portfolio jusqu’en 2006. Elle n’avait pas fait enregistrer d’entreprise.

 

Le témoin de l’intimé

[90]    L’intimé a appelé l’agente des appels qui était au courant des appels. Le témoignage de l’agente des appels n’a pas été contesté et semble avoir été présenté en vue de confirmer que Pi Media avait remis aux travailleurs des feuillets T‑4A et que le revenu avait été déclaré. L’examinateur des fiducies, à l’ARC, qui avait conclu que les travailleurs avaient été engagés à titre d’employés, a supprimé les feuillets T‑4A et a délivré des feuillets T‑4.

 

Les arguments des appelantes et de l’intervenante

[91]    L’appelante affirme qu’au cours de la période ici en cause, chacun des travailleurs était engagé pour fournir ses services à titre de personne exploitant une entreprise à son compte. Telle est la question principale qui a été énoncée dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc[4].

 

[92]    L’appelante cite également l’arrêt Wolf c. Canada[5], dans lequel la cour a fait remarquer, au paragraphe 93, que lorsque l’on répond à la question de savoir « à qui appartient l’entreprise », le fait de fournir une aide temporaire dans un champ limité d’expertise donne lieu à penser que l’entreprise du travailleur pourrait être une entreprise indépendante. Dans ce paragraphe, la cour laisse entendre que pareils travailleurs pourraient continuer à agir à titre d’entrepreneurs indépendants pour chaque projet en cours réalisé par l’entreprise qui les a toujours engagés, tout en étant néanmoins des entrepreneurs indépendants cherchant du travail ailleurs sur le marché une fois le projet terminé. Il est affirmé que cette description s’applique aux travailleurs ici en cause.

 

[93]    Il est reconnu que dans l’arrêt Sagaz Industries, les critères établis dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R.[6] ont été appliqués et que le contrôle exercé sur les activités des travailleurs est toujours pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer à qui appartient l’entreprise. Toutefois, dans l’arrêt Sagaz Industries, la cour fait remarquer qu’il est bon de répéter que les facteurs dont il est question dans l’arrêt Wiebe Door ne sont pas exhaustifs et qu’il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer : « Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire »[7].

 

[94]    Quant à la question du contrôle, on rappelle à la cour qu’il est rare que celui qui confie un travail à quelqu’un d’autre ne veille pas à ce que le travail soit accompli conformément aux exigences et aux endroits convenus. Il ne faut pas confondre le contrôle des résultats et le contrôle du travailleur. Lorsqu’un spécialiste est engagé en vue de créer un résultat précis souhaité, cela n’indique pas l’existence d’un lien de subordination, « ce qui est une exigence fondamentale pour qu’il y ait une relation employé‑employeur »[8].

 

[95]    L’appelante souligne que la preuve montre que chacun des travailleurs pigistes exploitait une entreprise distincte de celle de Pi Media. Pi Media s’occupe de fournir les services prépresse nécessaires à la préparation de la publicité. Les assistantes stylistes fournissent les services se rattachant à la marchandise, à la préparation et au pressage; les premières stylistes et les stylistes débutantes s’occupent de la photographie de mode avec mannequin, de la photographie sans mannequin, de la photographie matières (produits et accessoires pour la maison), ou de la photographie de mobiliers ou de rideaux. Les assistants photographes préparent les plateaux et la marchandise et aident les photographes à photographier la marchandise pour les catalogues et pour d’autres médias publicitaires. Les menuisiers fournissent des services de menuiserie et construisent les plateaux, les meubles et les accessoires nécessaires aux fins de la présentation de la marchandise à photographier pour les catalogues.

 

[96]    Quant aux stylistes, l’appelante fait valoir que l’on n’indiquait pas aux premières stylistes et aux stylistes débutantes comment présenter les vêtements sur les modèles, les articles de mode sans mannequin, les draps et les couettes de lit dans un décor de chambre, ou les rideaux, sur le plateau. Il incombait aux premières stylistes et aux stylistes débutantes de décider de l’expression artistique d’un concept créatif au moyen de la présentation. La preuve confirmait que le directeur artistique assurait une certaine supervision et que c’était le client qui approuvait en bout de compte les photos, mais Pi Media n’exerçait aucune supervision ni aucun contrôle donnant à penser qu’elle était responsable de la séance photo. Le fait de dicter la façon de présenter une photo et de surveiller la qualité du produit final n’est pas assimilable à la direction, à la supervision ou au contrôle du travail accompli par les stylistes.

 

[97]    Les assertions de l’appelante vont encore plus loin lorsque celle‑ci soutient qu’aucun représentant de Pi Media ne supervisait les assistantes stylistes lorsqu’elles préparaient et pressaient la marchandise pour une séance photo. L’appelante affirme que la simplicité des tâches accomplies par le travailleur ne devrait pas être prise en compte lorsqu’il s’agit de décider de l’existence d’un lien de subordination entre le travailleur et le payeur.

 

[98]    L’appelante invoque également une série de décisions portant sur la question de savoir ce que l’on entend par l’« exploitation d’une entreprise ». Ces arguments visaient essentiellement à établir une distinction à l’égard des décisions dans lesquelles il a été conclu que l’activité d’une personne ne constitue pas une entreprise lorsque celle‑ci cherche uniquement à assurer sa formation. Il a été soutenu que les assistantes stylistes et les assistants photographes n’étaient pas engagés dans des activités [traduction] « préalables au démarrage » en vue de se préparer à lancer leur entreprise dans l’avenir, mais qu’ils acquéraient plutôt de l’expérience dans leur secteur d’activité en passant directement d’un poste à l’autre. Il est soutenu que ces travailleurs exerçaient des activités d’apprentissage autonome tout en contribuant, sur le plan économique, à l’exploitation d’une entreprise.

 

[99]    En ce qui concerne les menuisiers, il est affirmé que les menuisiers à la pige que Pi Media engageait se trouvaient dans une situation fort semblable à celle du menuisier qui était en cause dans l’affaire Panache Fine Cabinetry c. M.R.N.[9], lequel a été considéré comme un entrepreneur indépendant.

 

[100]  L’appelante examine ensuite les chances de bénéfice et les risques de perte et elle affirme que la capacité de négocier des droits contractuels peut et doit être considérée comme indiquant des chances de bénéfice, sinon des risques de perte, et qu’il existe certaines décisions faisant autorité à l’appui de cette thèse. Étant donné que toutes les parties pouvaient à leur gré accepter ou refuser un travail, pareille prise de décision donnerait également lieu à une possibilité de faire un bénéfice. Il a en outre été soutenu que la décision de travailler principalement ou exclusivement pour Pi Media résultait simplement de la consolidation de l’industrie.

 

[101]  Quant aux intentions des travailleurs, il va sans dire que l’appelante cite les arrêts Wolf et The Royal Winnipeg Ballet v. M.N.R.[10]; elle affirme que la preuve justifie la conclusion selon laquelle tous les travailleurs avaient l’intention commune, avec Pi Media, de travailler à titre d’entrepreneurs indépendants.

 

[102]  En ce qui concerne l’arrêt The Royal Winnipeg Ballet en particulier, l’appelante invoque la distinction qui a été faite dans cette affaire‑là entre l’expression artistique et le fait que les danseurs se voyaient assigner leurs rôles et que l’exécution des mouvements était assujettie à une chorégraphie et à une direction fort détaillées. Le talent spécial des danseurs, lorsqu’il s’agissait d’assurer l’expression artistique nécessaire, avait pour effet d’atténuer l’effet du contrôle exercé sur eux par les directeurs et par les chorégraphes qui représentaient la compagnie de ballet. Les danseurs étaient néanmoins des entrepreneurs indépendants. Il existait pour les danseurs certaines chances de bénéfice parce que ceux‑ci pouvaient à leur gré négocier avec la compagnie de ballet. Les danseurs avaient le droit d’accepter d’autres engagements, dans la mesure où il n’existait aucun conflit entre ces engagements et leur engagement au sein de la compagnie de ballet.

 

[103]  La comparaison avec l’affaire Royal Winnipeg Ballet se poursuit. La compagnie de ballet fournissait aux danseurs les articles nécessaires pour un spectacle, mais les danseurs possédaient leurs propres costumes de répétition, leurs propres appareils orthopédiques et d’autres accessoires. La fourniture de pareils instruments de travail, bien qu’elle tire moins à conséquence que dans le cas des fournitures remises par la compagnie de ballet, était néanmoins suffisante pour renforcer la position selon laquelle les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants.

 

[104]  Les arguments de l’appelante répondaient également à chacune des hypothèses émises par l’intimé dans les réponses aux avis d’appel. Toutefois, il n’est pas nécessaire selon moi d’examiner ces arguments. De plus, l’appelante a répondu aux observations écrites de l’intimé, mais j’estime encore une fois qu’il n’est pas nécessaire d’examiner ces réponses. En outre, je note que Mme Brioux a présenté des observations à la Cour; toutefois, il s’agissait dans l’ensemble d’une tentative pour invoquer de nouveaux éléments de preuve et, de toute façon, ces observations ne jetaient pas de lumière sur les questions que je pouvais à juste titre examiner dans le contexte de son appel.

 

Les arguments de l’intimé

[105]  L’intimé reconnaît que les travailleurs n’étaient pas engagés à plein temps et qu’ils pouvaient travailler pour d’autres payeurs lorsque Pi Media n’avait pas recours à leurs services. Néanmoins, l’intimé ne considère pas ces engagements comme étant de nature occasionnelle et il affirme que, même s’ils le sont, ce sont des emplois assurables ouvrant droit à pension étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un « emploi occasionnel à des fins autres que celles de l’activité professionnelle ou de l’entreprise de l’employeur »[11]. Telle est la disposition légale qui exclut certains engagements des emplois assurables ouvrant droit à pension.

 

[106]  Le paragraphe 5(2) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « LAE ») prévoit ce qui suit :

 

Restriction

 

5(2) N’est pas un emploi assurable :

 

a) l’emploi occasionnel à des fins autres que celles de l’activité professionnelle ou de l’entreprise de l’employeur;

 

[107]  Le paragraphe 6(2) du Régime de pensions du Canada (le « Régime ») prévoit ce qui suit :

 

Emplois exceptés

 

6(2) Sont exceptés les emplois suivants :

 

b) l’emploi d’une nature fortuite, qui n’est pas lié à l’objet du commerce ou de l’entreprise de l’employeur;

 

[108]  De tels engagements exclus sont examinés dans l’arrêt Roussy c. Canada[12]. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale fait une distinction entre un travail de nature transitoire ou dont les horaires de travail sont imprévisibles, soit un emploi occasionnel, et les engagements pour lesquels le travailleur est embauché afin d’effectuer des heures précises au cours d’une période définie ou pour un projet particulier, tant que ce projet n’est pas achevé, soit un emploi qui n’est pas occasionnel. De brèves périodes d’emploi, si elles sont définies et précises, lorsque la présence et l’engagement de l’employé n’est pas vague ou transitoire, ne sont pas des périodes d’emploi occasionnel. Il est affirmé qu’aucun des travailleurs ici en cause n’était engagé dans un travail de nature occasionnelle.

 

[109]  De plus, il est affirmé que rien ne montre que les travailleurs aient fourni leurs services « à des fins autres que celles de l’activité professionnelle ou de l’entreprise de l’employeur ».

 

[110]  L’intimé invoque également la décision que le juge Archambault a rendue dans Dynamex Canada Corp. v. M.N.R.[13]. Dans cette décision, le juge Archambault examine en détail la nature de la relation d’emploi et cite diverses sources dans son examen. Une référence invoquée par l’intimé était tirée d’un auteur cité par le juge Archambault aux paragraphes 17 et 18; l’auteur faisait remarquer que, bien que les travailleurs qui se désignent comme étant des entrepreneurs indépendants aient le droit de vendre leurs services au public en général, le fait qu’ils travaillent exclusivement ou presque pour un employeur donne à penser qu’ils sont en réalité des employés. Il est affirmé que tous les travailleurs ici en cause font partie de cette catégorie de travailleurs.

 

[111]  L’intimé a également préparé un tableau indiquant ce que gagnait chaque travailleur qui a témoigné à l’audience ou ce que chaque travailleur avait déclaré à titre de revenu d’entreprise ou d’autre revenu d’emploi. Le travail accompli pour Pi Media représentait plus de 90 p. 100 de la totalité du revenu d’entreprise ou du revenu d’emploi déclaré par la plupart des travailleurs.

 

[112]  L’intimé, qui reconnaissait que la question primordiale qu’il fallait examiner avant de pouvoir invoquer les dispositions concernant le travailleur occasionnel et de déterminer si un travailleur agissait à titre d’entrepreneur indépendant, a abordé la question en se reportant à la common law, telle qu’elle a été établie dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz Industries. Je traiterai de ces arguments sous les titres habituels.

 

          Le contrôle exercé sur les travailleurs par Pi Media

[113]  Il est soutenu que l’existence d’un contrôle est démontrée lorsque le payeur a le droit de diriger la façon d’exécuter le travail, même s’il n’exerce pas ce droit. L’intimé a affirmé que les instructions écrites et visuelles détaillées qui figurent dans les maquettes, dans les instructions relatives aux illustrations, dans les exemples et ainsi de suite, devaient être suivies par tous les travailleurs et que ces instructions montraient que Pi Media avait le droit d’exercer un contrôle sur ce qui devait être fait, sur la façon de le faire, sur les moyens à employer ainsi que sur le moment et l’endroit où il fallait faire le travail. Ces instructions étaient suffisamment détaillées pour empêcher toute contribution importante de la part des travailleurs, quant au résultat final, et toute contribution n’était qu’une simple faveur qui ne changeait rien au droit de Pi Media d’exercer un contrôle sur le travailleur.

 

[114]  Même les premières stylistes recevaient des instructions détaillées. Il a été affirmé que le fait que ces travailleuses fort compétentes n’avaient pas à être supervisées une fois que le travail leur était assigné ne change rien au droit ultime de Pi Media d’exercer un contrôle[14]. Si des instructions détaillées exigeaient que le modèle soit assis, les stylistes ne pouvaient pas le présenter debout. L’intimé a également fait valoir qu’aucun élément de preuve ne montrait qu’un directeur artistique ne pouvait pas diriger la façon dont une séance photo précise devait se dérouler.

 

[115]  Il a été soutenu que le fait que les travailleurs pouvaient refuser de travailler à un projet n’est pas différent du cas de tout autre employé à temps partiel ou de tout employé temporaire qui refuse d’effectuer un poste non prévu à son horaire. Toutefois, une fois que ce travailleur acceptait d’effectuer le poste, il était assujetti au contrôle de Pi Media.

 

          Pi Media fournissait les instruments de travail et le matériel essentiels

[116]  Pi Media fournissait aux travailleurs, sans qu’il leur en coûte quoi que ce soit, les plateaux, la marchandise, les matériaux de construction, les modèles, les fers, les fers à vapeur, les outils électriques fixes, l’équipement de téléavertissement et ainsi de suite. Les travailleurs fournissaient fort peu d’instruments de travail, sinon aucun.

 

Les travailleurs n’avaient pas de possibilités de profit ou ne risquaient pas de subir une perte

 

[117]  L’intimé a soutenu qu’aucun des travailleurs n’avait engagé beaucoup d’argent dans une entreprise. Il n’existait aucun risque de perte. Il a été soutenu que les travailleurs n’étaient pas des entrepreneurs.

 

[118]  Les travailleurs acceptaient, ou dans certains cas négociaient, un taux quotidien ou un taux horaire, mais ils ne pouvaient rien faire pour gagner plus d’argent si ce n’est en effectuant des heures ou des journées de travail additionnelles. Il a été affirmé que le fait d’être en mesure d’obtenir un meilleur taux horaire à la suite de négociations n’indique pas une possibilité de faire un bénéfice. Comme le juge Bowie l’a fait remarquer dans la décision Gagnon c. M.R.N.[15] : « Toutefois, cela ne constitue pas de l’entrepreneuriat; cela met seulement en évidence les différentes valeurs de diverses personnes sur le marché du travail. »

 

[119]  Il n’y avait aucune rémunération basée sur autre chose que le taux horaire ou quotidien qui était accordé. L’intimé a soutenu que toute initiative artistique de la part d’un travailleur visait à augmenter le bénéfice réalisé par Pi Media. Il n’existait aucune rémunération ni aucune chance de bénéfice pour quelque entreprise du travailleur lorsque les compétences de celui‑ci comportaient une valeur ajoutée. Ainsi, lorsque Mme Palotay parlait des idées qu’elle proposait pour la conception d’un décor, ces idées épargnaient de l’argent à Pi Media et augmentaient sa rentabilité, plutôt que de profiter à Mme Palotay. Il a été soutenu que le fait que c’était l’entreprise de Pi Media qui tirait parti du travail de Mme Palotay indiquait que cette dernière accomplissait son travail pour le compte de l’entreprise de Pi Media et non pour sa propre entreprise.

 

L’intention

[120]  L’intimé affirme que les intentions ne sont pas déterminantes en l’espèce et que les intentions déclarées ne peuvent pas remplacer les résultats clairs des critères qui ont été énoncés dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz Industries, lesquels permettent d’établir la nature véritable d’une relation.

 

Il s’agit de l’entreprise de Pi Media

[121]  L’intimé affirme qu’aucun des travailleurs n’exploitait une entreprise. Il a été soutenu que tout indice de l’existence d’entreprises distinctes n’était pas suffisant pour qu’il soit possible de conclure que l’un ou l’autre des travailleurs exploitait une entreprise ou qu’il travaillait à son propre compte lorsqu’il fournissait ses services. Il importe de noter la décision Gartry (W.C.) v. Canada[16], dans laquelle le juge Bowman (tel était alors son titre) a fait remarquer qu’il faut s’arrêter à la question du moment où débute une entreprise. L’intimé soutient que, dans ce cas‑ci, certains travailleurs avaient l’intention d’apprendre un métier et qu’il s’agit d’une étape préalable au lancement d’une entreprise.

 

La charge de la preuve

[122]  Enfin, il a été souligné que les appelants avaient la charge initiale de réfuter les hypothèses émises par le ministre. L’intimé, en se fondant sur les hypothèses émises à l’égard des cotisations, affirme qu’il n’a pas été satisfait au fardeau y afférent.

 

Analyse

[123]  Il est passablement certain que, dans ce cas‑ci, les travailleurs ne sont pas des travailleurs occasionnels. La régularité du travail qu’ils effectuaient pour Pi Media et le fait qu’ils étaient engagés ou qu’on leur offrait régulièrement du travail dans le cadre d’un projet individuel nous amènent à conclure qu’il ne s’agissait pas de travailleurs occasionnels. Par conséquent, les exclusions mentionnées aux alinéas 5(2)a) de la LAE et 6(2)b) du Régime ne s’appliquent pas. Cela m’amène à croire que, pour décider si un engagement est régi par un contrat de louage de services ou par un contrat d’entreprise, il convient d’appliquer les critères habituels aux présents appels.

 

[124]  Les deux avocats ont présenté des observations écrites renfermant un examen fort détaillé et approfondi de la preuve, mettant l’accent sur les aspects qu’il faut soupeser pour décider si un engagement a été pris aux termes d’un contrat de louage de services ou aux termes d’un contrat d’entreprise. Toutefois, en fin de compte, on ne saurait apprécier le témoignage de chaque témoin en cochant simplement une liste dans laquelle est énuméré chaque aspect d’un engagement qu’il est possible de prendre en compte pour trancher la question, en particulier lorsqu’on nous demande de tirer une conclusion qui s’appliquerait à une catégorie représentative.

 

[125]  Comme mon analyse le montrera, je l’espère, il s’agit plutôt de décider des facteurs auxquels il faut accorder le plus de poids dans ce cas‑ci.

 

Les premières stylistes

[126]  Je suis au départ porté à croire que ce sont les premières stylistes qui ont présenté la meilleure preuve. Bien que l’intimé se soit fondé sur les aspects communs des indices de l’existence d’un emploi partagés par ces travailleuses, comme le fait que Pi Media fournissait les instruments de travail et assurait la direction artistique, les quatre premières stylistes qui ont témoigné m’ont donné l’impression qu’elles étaient leur propre patron. Le fait qu’elles accomplissaient un travail comportant un grand nombre des caractéristiques propres aux employés, comme le fait qu’elles enregistraient leurs heures, qu’elles effectuaient des heures de travail normales, qu’elles signalaient leur départ et (sauf dans le cas de Mme Rodrigues) qu’elles détenaient des cartes d’accès, même lorsqu’elles ne travaillaient pas à un projet, n’a pas pesé lourd dans la conclusion que j’ai tirée, à savoir qu’elles étaient engagées dans leur propre entreprise et qu’elles travaillaient à leur compte dans le cadre d’un contrat d’entreprise conclu avec Pi Media.

 

[127]  Le fait de tirer tout son revenu ou une bonne partie de son revenu du travail effectué pour un client n’est pas non plus un facteur auquel il faut accorder beaucoup de poids dans ce cas‑ci. L’industrie dans laquelle les personnes ici en cause travaillaient l’imposait. Au cours de la période pertinente, Pi Media était l’une des rares entreprises locales de ce type, sinon en pratique la seule. Cela ne nous empêche pas de conclure que ces travailleuses possédaient toutes les compétences et l’expérience nécessaires pour assurer une base fort crédible à l’exploitation de leur propre entreprise et que chacune se conduisait comme le ferait une personne travaillant à son compte dans une situation comparable.

 

[128]  Les travailleuses possédaient tous les outils dont elles avaient besoin pour exploiter leur propre entreprise. Elles travaillaient à un projet à des heures régulières en fonction de ce qu’exigeait la nature du projet. Elles enregistraient dans un système de données les heures consacrées à un projet particulier, de façon qu’il soit possible de répartir les coûts entre les différents projets. Dans un cas comme celui‑ci, le fait que le système était utilisé pour assurer le suivi des heures facturables n’indique absolument pas l’existence d’un emploi. Quant aux instructions, les travailleuses les suivaient comme le ferait tout professionnel, tout artiste de spectacle ou toute personne de métier indépendante, possédant des compétences monnayables, et elles les suivaient comme le ferait un entrepreneur. Si leurs activités le justifiaient, elles s’inscrivaient aux fins de la TPS, qu’elles percevaient et versaient. Elles établissaient des portfolios si elles le jugeaient nécessaire en vue de trouver un débouché pour leurs services de sous‑traitantes. Bien qu’elles aient eu une seule cliente à l’entreprise de laquelle elles fournissaient leurs services, elles étaient des entrepreneurs indépendants au même titre que Pi Media lorsque cette dernière répondait aux besoins commerciaux d’une seule cliente, Sears.

 

[129]  J’attribuerais à chacune des travailleuses l’avantage de leurs témoignages mutuels comme indiquant les conditions et la nature de leur engagement. Les travailleuses n’étaient pas tenues d’assister aux réunions préproduction, mais la plupart y assistaient. Elles suivaient les maquettes et les exemples, mais elles pouvaient à leur gré préparer les décors nécessaires en utilisant leur propre sens artistique. Elles étaient retenues parce qu’elles étaient capables d’obtenir les résultats voulus, sans aucune reprise, à la satisfaction de leur cliente, Pi Media. Personne ne pouvait indiquer à Mme Palotay la façon exacte de présenter un rideau, une fois qu’on lui avait fait part de l’aspect souhaité. On comptait clairement sur Mme Simpson pour choisir et présenter un modèle qui aurait le look souhaité.

 

[130]  La formation d’un danseur professionnel de ballet et les rigueurs de cette profession sont fort différentes et peuvent surpasser ce qui est exigé des stylistes, mais la comparaison que l’avocat de Pi Media fait avec l’affaire Royal Winnipeg Ballet n’est pas inappropriée dans le cas des premières stylistes.

 

[131]  En outre, je reconnais pleinement que chacune des premières stylistes se chargeait de projets dès qu’elle voyait une excellente possibilité de gagner un revenu, et ce, avec une audace entrepreneuriale, par exemple en disant : [traduction] « Je fais de la voile cette semaine, trouvez un autre entrepreneur. »

 

[132]  En ce qui concerne les conclusions que j’ai tirées à l’égard des premières stylistes, je ferai en terminant de brèves remarques au sujet des facteurs habituels dont il est tenu compte dans des cas tels que celui‑ci.

 

[133]  Pour ce qui est de la fourniture d’instruments de travail, la nécessité théorique pour les travailleuses dans ce cas‑ci de posséder leurs propres instruments de travail a peu d’importance. C’est souvent ce qui arrive lorsqu’une personne vend un talent qu’elle peut exploiter sans engager beaucoup de fonds pour se procurer des instruments de travail et que, selon la norme qui s’applique aux clients de pareils travailleurs dans cette industrie, les instruments de travail nécessaires, y compris le lieu de travail, sont fournis.

 

[134]  Quant aux risques de perte, le fait que la travailleuse n’a pas à engager beaucoup de fonds pour se procurer des instruments de travail se manifeste également par une mise de fonds relativement peu élevée, ce qui explique les risques minimes de perte dans ce cas‑ci. De plus, l’absence apparente de responsabilité lorsqu’une erreur est commise a en fin de compte peu d’importance puisque ce qu’il en coûtait pour corriger une erreur, ce qu’il en coûtait pour reprendre une séance photo, ne posait pas de problèmes puisque cette situation se présentait rarement compte tenu des compétences des travailleuses plus anciennes pleines de talents, dont la contribution combinée produisait toujours le résultat souhaité pour la gamme de photos produites lors d’une séance donnée.

 

[135]  En ce qui concerne les chances de bénéfice, je suis convaincu que les taux de rémunération négociés par les premières stylistes pour les services qu’elles devaient fournir correspondent aux taux, horaires ou quotidiens, qui devaient assurer des chances de bénéfice dans une véritable entreprise et dans un sens entrepreneurial. Il en sera presque toujours ainsi lorsque, comme c’est normalement le cas dans cette industrie, les chances de bénéfice pour les entrepreneurs indépendants sont limitées à la négociation d’un meilleur taux horaire ou quotidien et à l’acceptation d’un plus grand nombre d’heures s’il est possible d’en obtenir. Je ne doute aucunement, compte tenu des témoignages et des divers taux de rémunération, que chacune des premières stylistes négociait son taux de rémunération d’une façon entrepreneuriale, à titre d’entrepreneur travaillant à son propre compte.

 

[136]  Quant au contrôle, comme je l’ai ci‑dessus souligné, le degré de contrôle que le service artistique de Pi Media exerçait sur les premières stylistes ne m’inquiète pas. Cela a peu de poids, par rapport aux aspects entrepreneuriaux et aux libertés dont ces travailleuses bénéficiaient en tant que personnes exploitant leurs propres entreprises. De même, je conclus que l’indépendance entrepreneuriale des premières stylistes influe sur l’idée que je me fais de la pertinence des intentions des parties dans ce cas‑ci. Les premières stylistes n’étaient pas sous les ordres de Pi Media lorsque les conditions de leur entente contractuelle étaient fixées, de temps en temps, projet par projet. Je dois dire qu’en tant que groupe, j’ai eu l’impression qu’elles refuseraient d’envisager un engagement à titre d’employées. Leurs initiatives étaient prises dans le cadre d’entreprises et les parties avaient mutuellement l’intention de conclure un contrat d’entreprise.

 

[137]  Il n’y a rien dans les conditions d’engagement, par exemple le fait que les stylistes pouvaient être en attente, qui permette de conclure à l’existence d’un emploi. De fait, le fait qu’une personne convenait d’être en attente pour une période particulière, et d’être rémunérée ou libérée, ne fait que souligner son statut indépendant dans ce cas‑ci.

 

[138]  Il n’y a pas lieu, selon moi, de donner des précisions plus détaillées. Il n’y a rien dans les décisions faisant autorité que l’intimé a invoqué qui me dissuade de conclure que les premières stylistes sont des entrepreneurs indépendants. Par conséquent, les appels distincts interjetés par Mme Brioux et par Mme Palotay sont accueillis. De même, les appels interjetés par Pi Media, dans la mesure où ils concernent les personnes que l’intimé et Pi Media ont identifiées à titre de premières stylistes, y compris Mme Harton et Mme Simpson, sont accueillis[17].

 

Les assistantes stylistes et les assistants photographes

[139]  Le cas des assistants photographes et des assistantes stylistes peut également être facilement tranché avec autant de conviction, mais avec un résultat différent.

 

[140]  Selon leurs témoignages communs, les assistants photographes ne fournissent pas d’instruments de travail et n’ont pas voix de chapitre lorsqu’il s’agit de décider du photographe auquel ils seront affectés; ils suivent les instructions des superviseurs ou des directeurs artistiques de Pi Media ou des sous‑traitants de Pi Media, à savoir les photographes et les premières stylistes, et peuvent se voir assigner des tâches générales. Ils sont supervisés. Ils ne sont pas rémunérés pour produire un résultat final et ils n’ont pas voix de chapitre pour ce qui est de leur taux de rémunération. Ils sont rémunérés afin d’accomplir des tâches qui font nécessairement partie de l’entreprise de Pi Media.

 

[141]  Les conditions d’engagement de ces travailleurs sont entièrement établies par Pi Media. Toute allégation selon laquelle certains indices montrent que ces travailleurs exploitent leur propre entreprise n’est rien de plus. De fait, il n’y avait dans l’ensemble presque rien, ne serait‑ce que de simples signes, qui donne à penser que l’un ou l’autre d’entre eux exploitait une entreprise pour son propre compte ou qu’il avait des clients.

 

[142]  Le fait que ces personnes travaillaient uniquement lorsqu’il y avait des projets qu’elles pouvaient réaliser et qu’elles pouvaient travailler ailleurs indique simplement, dans leur cas, qu’il s’agit de travailleurs occasionnels régis par les dispositions des textes législatifs pertinents concernant les travailleurs occasionnels, comme l’a soutenu l’intimé. De plus, ces travailleurs sont plus ou moins des apprentis dont l’emploi est inclus dans les emplois assurables ouvrant droit à pension[18].

 

[143]  Les personnes ici en cause sont clairement allées travailler chez Pi Media afin d’apprendre un métier, de recevoir une formation pratique dans un studio et d’observer d’autres travailleurs, de les aider et de travailler avec ceux‑ci en vue d’acquérir des compétences monnayables. Comme M. Grenci l’a dit, Pi Media était un [traduction] « endroit formidable pour commencer à travailler et à apprendre la photographie en tant que métier ». Comme M. Misiek l’a dit, le poste d’assistant photographe chez Pi Media constituait une première étape en vue de devenir photographe dans l’industrie.

 

[144]  Comme le juge Archambault l’a conclu dans la décision Charron c. M.R.N.[19]  dans le cas d’un étudiant des cycles supérieurs qui faisait de la recherche pour un professeur :

 

Même si traditionnellement le contrat d’apprentissage semble intervenir entre gens de métiers, je ne crois pas qu’il faille, pour les fins de la Loi, en limiter sa portée à ce genre d’activité. Un jeune scientifique peut apprendre son métier au contact des maîtres chercheurs tout comme un apprenti-électricien avec un maître-électricien. [...]

 

[145]  Je reconnais que l’intimé ne s’est pas fondé sur le fait qu’un apprentissage était en cause dans ce cas‑ci et que les parties elles‑mêmes n’ont pas conclu un contrat d’apprentissage, mais à mon avis, l’analogie en dit assez long. Et ce qui est encore plus important, en ce qui concerne un argument que l’intimé a invoqué, à savoir que les assistants, qui en étaient à la phase initiale d’apprentissage d’une compétence monnayable, en étaient à une étape préalable à la création d’une entreprise, je ne vois aucune raison de ne pas examiner certaines décisions faisant autorité portant sur la question de savoir dans quelles circonstances une entreprise existe. Ces décisions ont été rendues dans le contexte de l’attente raisonnable de profit. À mon avis, on ne saurait faire de distinctions importantes entre le raisonnement qui a été fait et celui qu’il faut faire lorsque l’on se demande dans quelles circonstances une source de revenu peut être considérée comme provenant d’une entreprise. Ainsi, dans la décision Price c. Canada[20], j’ai fait remarquer que les frais antérieurs au démarrage étaient des frais personnels. De même, la poursuite d’une carrière éventuelle ne constitue pas encore une entreprise. Un milieu de travail supervisé qui offre une formation au travailleur pendant que celui‑ci accomplit des tâches subalternes indique selon toute vraisemblance que l’employé est engagé en vue d’aider l’entreprise d’un employeur. Par conséquent, en pareil cas, l’application du critère qui consiste à savoir à qui appartient l’entreprise énoncé dans l’arrêt Sagaz Industries ne permettra que rarement de conclure que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Or, en l’espèce, rien ne permet d’arriver à cette conclusion dans le cas des assistants photographes.

 

[146]  Il ne s’agit même pas ici d’un cas limite qui me permettrait de tenir compte de l’intention des parties. Toutefois, si les intentions étaient pertinentes, je conclurais que je ne suis pas convaincu, eu égard à la preuve, que les intentions étaient mutuelles. Un employeur ne peut pas imposer le statut d’entrepreneur indépendant à des travailleurs temporaires. Or, la preuve me convainc, dans ce cas‑ci, que c’est ce qui est arrivé à ces travailleurs.

 

[147]  Il n’y a rien ici qui permette de faire une distinction entre le cas des assistantes stylistes et celui des assistants photographes. Mme Rodrigues était l’unique personne de cette catégorie qui a témoigné. Dès la fin de ses études, au mois d’avril 2005, elle est allée travailler chez Pi Media, au mois de mai, à titre d’assistante styliste, poste dans le cadre duquel elle ne faisait rien sur le plateau; elle aidait simplement la styliste à aller chercher les vêtements, à les presser, à les mettre en ordre et à les retourner ensuite à la fin de la séance photo. Mme Rodrigues avait reçu la formation voulue pour être en mesure de lire les maquettes, on lui donnait des instructions sur la façon d’accomplir ses tâches et elle était supervisée et dirigée par un superviseur, un réalisateur et des premières stylistes. Elle occupait un poste subalterne et elle suivait clairement une formation qui l’amènerait à faire partie de l’équipe de Pi Media. J’en dirai davantage sur ce point sous le titre suivant : « Les stylistes débutantes », mais quoi qu’il en soit mes conclusions et constatations en ce qui concerne les assistantes stylistes telles qu’elles sont représentées par Mme Rodrigues sont les suivantes : leur situation, sur tous les points pertinents, est essentiellement la même que celle des assistants photographes et elles n’agissent pas plus à un titre d’entrepreneurs indépendants que ne le font les assistants photographes.

 

Les stylistes débutantes

[148]  Mme Rodrigues était encore une fois la seule personne de cette catégorie à témoigner. Comme je l’ai dit, elle est allée travailler chez Pi Media dès la fin de ses études à titre d’assistante styliste, poste dans le cadre duquel elle ne faisait rien sur le plateau.

 

[149]  En cinq mois, Mme Rodrigues est devenue styliste débutante travaillant sur le plateau et s’occupant strictement des dépliants. Comme elle l’a dit : [traduction] « J’en étais à mes débuts de styliste ». Elle préparait des séances photo de mode – quelque chose qu’elle a admis n’avoir jamais fait auparavant. Elle pouvait retenir un modèle, mais uniquement sur consultation d’un directeur artistique, c’est‑à‑dire qu’elle ne pouvait pas faire d’appel téléphonique en vue de retenir un modèle. Elle a reconnu qu’on lui donnait parfois des instructions sur la façon de mieux préparer une photo. Lorsqu’elle est devenue styliste débutante, elle a commencé à travailler régulièrement chez Pi Media; elle gagnait 14 $ l’heure et pouvait se voir assigner du travail additionnel, ce qui ne correspond pas au degré d’expertise et d’indépendance dont bénéficient les premières stylistes. La différence en dit assez long.

 

[150]  Un an plus tard, Mme Rodrigues est devenue, pendant trois mois, réalisatrice, encore une fois à titre de soi‑disant pigiste et, au mois de janvier 2007, elle est devenue une employée de Pi Media et elle a travaillé à titre de réalisatrice pendant une autre année, après quoi elle est devenue styliste à titre d’employée, poste qu’elle occupe encore.

 

[151]  Je ne sais absolument pas si le cas de Mme Rodrigues représentait celui des stylistes débutantes et, compte tenu de la preuve, je ne prétendrai pas comprendre jusqu’à quel point cette classification de travailleur est particulièrement utile. Pendant une période relativement brève, Mme Rodrigues s’est vu conférer des responsabilités plus lourdes dans un domaine moins exigeant et elle a ensuite été rapidement promue à un autre poste, avec une augmentation de salaire fort modeste. Pendant toute cette période, il n’existait presque aucun indice, sinon aucun, montrant qu’elle exploitait sa propre entreprise.

 

[152]  Mme Rodrigues est devenue employée à plein temps moins de deux ans après avoir été exposée aux divers aspects de l’entreprise de Pi Media. Comme les autres, elle n’a apparemment reçu aucune formation formelle. Toutefois, je ne puis éviter de penser que la preuve permet de conclure que l’on préparait la voie pour que Mme Rodrigues devienne une employée accomplie. Mme Rodrigues a accepté ces mutations étant donné qu’elle n’exploitait pas elle‑même d’entreprise particulière. Si elle ne prenait pas d’autres engagements, ce n’était pas parce qu’aucun autre studio n’avait besoin de stylistes débutantes. Elle était déjà occupée à suivre presque à plein temps, avec rémunération, un programme de formation chez Pi Media tout en aidant cette dernière dans son entreprise.

 

[153]  La désignation différente de styliste « débutante » qui était donnée à Mme Rodrigues dans cette entreprise, désignation qui donnait lieu dans son cas à différentes affectations et responsabilités, n’indique pas le même degré d’autonomie professionnelle que celle qu’indiquait, selon la preuve qui m’a été présentée, la désignation de « première » styliste. Eu égard à la preuve, la comparaison est bien faible.

 

[154]  Autrement dit, je ne suis pas convaincu que Mme Rodrigues ait eu suffisamment d’expérience pour me permettre d’accepter, en me fondant sur ce qu’elle a dit, qu’elle exploitait une entreprise de styliste à son compte. Pendant qu’elle travaillait comme styliste débutante, Mme Rodrigues assumait peut‑être bien des responsabilités plus lourdes que celles d’une assistante, mais je ne suis pas convaincu qu’elle n’occupait pas un poste subalterne. Aucun des critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door n’indique qu’elle a été engagée en vertu de quoi que ce soit d’autre qu’un contrat de louage de services, pour l’entreprise de Pi Media.

 

[155]  Il ne s’agit pas d’un cas limite. Toutefois, si les intentions étaient pertinentes, je conclurais que la situation de Mme Rodrigues n’a pas changé lorsqu’elle est devenue styliste débutante. Son statut d’entrepreneur prétendu indépendant lui a été imposé. La mutualité consistait en ce que Mme Rodrigues se conformait simplement à un statut que Pi Media avait unilatéralement cherché à imposer à une travailleuse temporaire que l’on préparait aux fins de l’exercice d’un emploi à plein temps.

 

M. Thompson – les menuisiers

[156]  Le cas des menuisiers est plus difficile. Si je retiens la façon dont l’intimé interprète le témoignage de Gary Thompson, celui‑ci serait un travailleur occasionnel engagé pour l’entreprise de Pi Media. Si je retiens la façon dont Pi Media interprète le témoignage de M. Thompson, celui‑ci est un entrepreneur indépendant.

 

[157]  M. Thompson a décrit ses fonctions comme consistant à construire des plateaux. Avant de commencer à travailler chez Pi Media vers l’année 2004, M. Thompson avait travaillé pendant environ quatre ans pour plusieurs autres entreprises, notamment Morris Studios, à titre d’entrepreneur à la pige s’occupant de travaux de menuiserie. Auparavant, il avait géré, à titre d’employé, une entreprise de câblodistribution qui fabriquait des câbles sur commande. Après avoir décidé d’essayer le métier de menuisier vers 1999, il a fait enregistrer son entreprise sous le nom de GT Maintenance Services, entreprise qu’il a promue comme entreprise offrant des services de menuiserie et d’entretien. M. Thompson avait des cartes d’affaires qu’il utilisait afin de promouvoir son entreprise et il obtenait également du travail de bouche à oreille. Chez Morris Studios, il construisait des plateaux et, à un autre endroit, il fabriquait des tables et des étagères pour le service d’expédition et de réception. Il a travaillé chez Morris Studios pendant plus d’un an et, au cours des périodes où il ne travaillait pas à cet endroit, il trouvait un autre travail. Il a mentionné quatre autres entreprises auxquelles il avait fourni des services de menuiserie, en plus de Morris Studios, dans tous les cas en tant qu’entrepreneur indépendant. Ainsi, dans une entreprise qu’il a appelée Enviroguard, il fabriquait des comptoirs pour des distributeurs d’eau. Le taux de rémunération de certains engagements variait de 18 à 24 $ l’heure selon ce qu’il pouvait négocier. Pour certains travaux, il achetait les matériaux et demandait à être payé pour les matériaux et la main‑d’œuvre. Quant à l’élément « main‑d’œuvre», il se faisait payer à l’heure ou demandait simplement un juste prix pour le travail. Le prix de certains travaux était fixé pour un produit particulier qu’il fabriquait. Il remettait des factures pour son travail en utilisant ses propres formulaires, au nom de GT Maintenance Services. Les factures qu’il remettait à Pi Media étaient également établies à son nom commercial et les pièces produites pour les factures des années 2005 et 2006 montrent que la taxe de 7 p. 100 était ajoutée, sans qu’aucun numéro d’inscrit aux fins de la TPS n’y figure. M. Thompson a témoigné qu’il percevait et qu’il versait la TPS. Les dépôts étaient faits dans son compte d’entreprise.

 

[158]  Le taux de rémunération chez Pi Media était un taux horaire. M. Thompson effectuait les heures de travail pour lesquelles ses services étaient requis. Il a témoigné avoir négocié un taux horaire de 20 $ avec M. MacLean. Aucun avantage ne lui était accordé. Il produisait ses déclarations de revenus en indiquant son revenu à titre de revenu d’entreprise et il déduisait les dépenses connexes, y compris les frais de bureau à domicile. Son travail était semblable à celui des menuisiers qui travaillaient chez Pi Media à titre d’employés, mais contrairement à ceux‑ci, il n’avait pas à effectuer du travail de bureau, comme la préparation de rapports ou la préparation d’estimations.

 

[159]  Le directeur du studio ou le directeur artistique informait M. Thompson de ce qu’il devait construire et lui remettait une maquette. Les plateaux étaient toujours disposés de la même façon; dans cette industrie, il y avait une façon de faire les choses en construisant les plateaux. Ainsi, un coin était composé de deux murs temporaires à joindre et à fixer solidement. Pi Media était dotée d’un système de couvre‑plancher. M. Thompson l’installait conformément aux instructions reçues : par exemple, en diagonale ou autrement. Son travail était dans une certaine mesure supervisé. On fournissait à M. Thompson les gros outils lourds tels qu’une scie d’établi et un compresseur pour les outils pneumatiques. M. Thompson fournissait sa propre ceinture à outils dotée de tout le nécessaire. Il payait pour la réparation de ses outils. Il devait demander la permission lorsqu’il voulait partir avant l’heure prévue et on lui assignait certains travaux d’entretien de l’immeuble ne se rattachant pas directement à ses travaux de menuiserie, qui consistaient à construire des plateaux. Dans ce sens, M. Thompson occupait un poste fort subalterne. Il allait d’un endroit à l’autre pour effectuer tout travail d’entretien nécessaire, par exemple pour réparer des fenêtres et des portes qui ne fermaient pas bien. Quant à son horaire de travail, M. Thompson devait être disponible au besoin. À certains moments, les activités de Pi Media tournaient au ralenti, mais comme il n’y avait pas réellement d’autre travail que M. Thompson puisse faire au cours de la période ici en cause, il était toujours disponible.

 

[160]  Si les critères de l’arrêt Wiebe Door sont appliqués selon les directives données dans l’arrêt Sagaz Industries, à savoir la détermination de la question de savoir dans quelle entreprise M. Thompson travaillait, il n’y a à mon avis aucune réponse claire dans ce cas‑ci. Le seul facteur qui me préoccupe se rapporte au degré de subordination dont M. Thompson faisait l’objet. Je ne parle pas de la construction des plateaux. Je parle des travaux d’entretien que M. Thompson était tenu d’effectuer conformément à sa description de travail. J’ai l’impression qu’il ne s’agissait pas de sa principale fonction, mais qu’il était obligé d’accomplir sur demande pareilles tâches. Il s’agit donc de savoir si cela est suffisant pour qu’il soit possible de conclure que le travail que M. Thompson accomplissait n’était pas effectué par GT Maintenance Services. M. Thompson fournissait ses services pour son propre compte, uniquement si le travail qu’il effectuait faisait partie des services fournis par GT Maintenance Services.

 

[161]  En examinant cette question, j’ai initialement été porté à soupeser le degré de subordination comme illustrant la nature véritable de la relation. M. Thomson se présentait‑il comme un entrepreneur indépendant ayant le droit de vendre ses services au grand public, mais qui, en fait, pendant la période ici en cause, travaillait uniquement ou en bonne partie pour un seul employeur chez qui il occupait un poste subalterne donnant à penser qu’il était un employé? Sa présence chez Pi Media servait‑elle uniquement les fins de Pi Media, par opposition à celles de GT Maintenance Services? Si l’on avait répondu en se fondant sur une question problématique de subordination, il aurait fort bien été possible de conclure que M. Thompson était un employé.

 

[162]  Toutefois, pour compenser, il y avait la preuve de la nature véritable de l’entreprise de GT Maintenance Services. Dans la carte d’affaires de M. Thompson, laquelle selon ce que je conclus n’était pas un simple accessoire mais indiquait plutôt réellement l’existence d’une entreprise qu’il annonçait en tant que telle depuis l’année 1999, l’entreprise est décrite comme s’occupant de [traduction] « menuiserie et de réparations de maisons ». GT Maintenance Services s’occupe de réparer les portes et fenêtres à la demande d’un client régulier. Le fait d’avoir, dans une période de ralentissement économique, un seul client auquel on s’intéresse davantage à cause de la situation ne change rien à cette réalité. Je suis convaincu que M. Thompson, même s’il ne faisait pas partie de l’équipe artistique chevronnée qui jouissait d’une certaine liberté artistique, travaillait à son compte dans ce cas‑ci étant donné qu’à mon avis, il accomplissait principalement des tâches faisant partie de sa propre entreprise.

 

[163]  En outre, puisque je reconnais qu’il s’agit d’un cas limite, je conclus qu’il faut accorder un certain poids aux intentions des parties dans ce cas‑ci. Pi Media n’avait pas mis M. Thompson dans une situation où celui‑ci devait accepter le statut d’entrepreneur indépendant. Je suis convaincu de l’existence d’une intention mutuelle donnant effet à la nature véritable de la relation.

 

[164]  Par conséquent, je conclus que M. Thompson était engagé aux termes d’un contrat d’entreprise.

 

Conclusion

[165]  Les appels interjetés par Pi Media sont rejetés en ce qui concerne les travailleurs individuels qui, comme en ont convenu l’intimé et Pi Media à l’audience, sont désignés comme faisant partie de la catégorie professionnelle des assistants photographes, des assistantes stylistes et des stylistes débutantes. Il a été conclu que, pendant toute la période pertinente, ces travailleurs étaient engagés par Pi Media aux termes d’un contrat de louage de services. Tous ces travailleurs doivent être traités en conséquence pour l’application de la LAE et du Régime. Les appels que Pi Media, Yvonne Rioux et Klara Palotay ont interjetés sont accueillis compte tenu du fait que, pendant toute la période pertinente, les travailleuses individuelles désignées comme appartenant à la catégorie professionnelle des premières stylistes, comme en ont convenu l’intimé et Pi Media à l’audience, étaient engagées par Pi Media aux termes d’un contrat d’entreprise. Toutes ces travailleuses doivent être traitées en conséquence pour l’application de la LAE et du Régime.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’avril 2011.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2011.

 

Marie-Christine Gervais

      


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 204

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-335(EI); 2009-336(CPP)

 

INTITULÉ :                                       1772887 ONTARIO LIMITED c. M.R.N. et HEATHER HARTON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Jacqueline L. Wall

 

Avocats de l’intimé :

Me Rita Araujo

Me Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Jacqueline L. Wall

 

                          Cabinet :                  Cassels Brock & Blackwell LLP

                                                          Scotia Plaza, bureau 2100

                                                          40, rue King Ouest

                                                          Toronto (Ontario)

                                                          M5H 3C2

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 204

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-849(EI); 2009-850(CPP)

 

INTITULÉ :                                       YVONNE BRIOUX c. M.R.N. et 1772887 ONTARIO LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocats de l’intimé :

Me Rita Araujo

Me Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

1772887 Ontario Limited

Par son avocate Me Jacqueline L. Wall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 204

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-228(EI); 2009-229(CPP)

 

INTITULÉ :                                       KLARA PALOTAY c. M.R.N. et 1772887 ONTARIO LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 21, 22, 23 et 24 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 7 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocats de l’intimé :

Me Rita Araujo

Me Laurent Bartleman

 

Pour l’intervenante :

1772887 Ontario Limited

Par son avocate Me Jacqueline L. Wall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] La décision initiale a été rendue compte tenu du fait que 105 travailleurs étaient engagés aux termes de contrats de louage de services. Dans la décision ultérieure, il a été conclu que 70 travailleurs seulement étaient engagés aux termes de contrats de louage de services. Parmi ces travailleurs, il y avait 40 assistants photographes, 28 stylistes et deux menuisiers.

[2] Pi Media est également intervenue dans les appels d’Yvonne Brioux et de Klara Palotay.

[3] Les parties n’ont pas contesté qu’il s’agissait de [traduction] l’« équipe » responsable des séances photo; toutefois, d’autres travailleurs étaient également en cause, par exemple les artistes de la coiffure et du maquillage ainsi que les modèles. Il semble que les liens entre ces autres travailleurs et Pi Media aient été plus souples pour ce qui est de la régularité des services et de l’interaction avec l’équipe de création de Pi Media. De plus, ces travailleurs n’avaient probablement pas de pairs qui étaient des employés chez Pi Media et ils avaient peut‑être été engagés par l’intermédiaire d’agences. Quoi qu’il en soit, même si, dans un sens large, ces travailleurs faisaient peut‑être partie de [traduction] l’« équipe » responsable des séances photo, il était apparemment reconnu qu’ils agissaient à titre d’entrepreneurs indépendants.

[4] [2001] 2 R.C.S. 983.

[5] [2002] A.C.F. no 375 (C.A.).

[6] 87 DTC 5025 (C.A.F.).

[7] Paragraphe 48.

[8] Direct Care In-Home Health Services Inc. c. Canada, [2005] A.C.I. no 164, paragraphe 11.

[9] [2008] A.C.I. no 385.

[10] 2006 DTC 6323 (C.A.F.).

[11] Voir la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, alinéa 5(2)a). Voir également le Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8, alinéa 6(2)b).

[12] [1992] A.C.F. no 913 (C.A.F.).

[13] [2010] 3 C.T.C. 2233 (C.C.I.), paragraphe 12.

[14] L’intimé a cité Gagnon c. M.R.N., 2006 CCI 66, paragraphe 14, juge Bowie; confirmé 2007 CAF 33, paragraphe 7, juge Létourneau.

[15] 2006 CCI 66, paragraphe 18; confirmé 2007 CAF 33.

[16] [1994] 2 C.T.C. 2021 (C.C.I.), paragraphe 16.

[17] La liste des premières stylistes figure à l’annexe B des observations écrites de l’intimé.

[18] Voir l’alinéa 5(1)a) de la LAE et la définition du mot « emploi », au paragraphe 2(1) du Régime.

[19] [1994] A.C.I. no 47, paragraphe 14.

[20] [2001] AC.I. no 524, paragraphe 10. Voir également McClure et al v. M.N.R., 88 DTC 1504, et Cunningham v. Canada, [1998] 1 C.T.C. 3125.

 

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