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Dossier : 2008-2315(IT)G

 

ENTRE :

4145356 CANADA LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 25, 26, 27, 28 et 29 octobre 2010, le 1er novembre 2010, et les 26, 27 et 28 janvier 2011, à Toronto (Ontario), avec observations écrites reçues les 4, 11 et 18 février 2011.

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Al Meghji

Me Martha MacDonald

Me Kimberly Brown

MAndrew McGuffin

 

Avocats de l'intimée :

Me Daniel Bourgeois

Me Andrew Miller

Me Pascal Tétrault

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a droit, dans le calcul de l'impôt qu'elle doit payer pour 2003 en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, à un crédit pour impôt étranger de 3 199 601 $ en application du paragraphe 126(2) de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'avril 2011.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de septembre 2011.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 220

Date : 20110421

Dossier : 2008-2315(IT)G

 

ENTRE :

4145356 CANADA LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              Le litige soulevé par le présent appel a trait à la question de savoir si l'appelante a droit, dans le calcul de son impôt à payer pour 2003 en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), à un crédit pour impôt étranger de 3 199 601 $ en application soit du paragraphe 126(2) de la Loi, soit du paragraphe 2 de l'article XXIV de la Convention fiscale entre le Canada et les États‑Unis.

 

[2]              À la conclusion de la présentation de sa preuve, l'intimée a voulu consigner comme éléments de preuve, en application du paragraphe 100(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »), des extraits de l'interrogatoire préalable de Donovan Flynn, le représentant de l'appelante. Cette dernière s'est opposée à ce que l'intimée consigne comme éléments de preuve plusieurs passages de ces extraits.

 

[3]              Le texte du paragraphe 100(1) des Règles est le suivant :

 

100(1) Une partie peut, à l'audience, consigner comme élément de sa preuve, après avoir présenté toute sa preuve principale, un extrait de l'interrogatoire préalable :

 

a) de la partie opposée;

 

b) d'une personne interrogée au préalable au nom, à la place ou en plus de la partie opposée, sauf directive contraire du juge,

 

si la preuve est par ailleurs admissible et indépendamment du fait que cette partie ou que cette personne ait déjà témoigné.

 

Comme je l'avais déclaré plus tôt concernant la requête de l'intimée en vue d'exclure des passages des extraits de l'interrogatoire préalable de Simmin Hirji, le représentant de l'intimée, que l'appelante voulait consigner comme éléments de preuve, il me semble que le passage « si la preuve est par ailleurs admissible » est une réserve importante à l'égard de l'introduction des éléments de preuve obtenus lors de l'interrogatoire préalable.

 

[4]              Dans l'arrêt R. v. Dupuis, 23 O.R. (3d) 608, [1995] O.J. No. 1481 (QL), la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré ceci :

 

[TRADUCTION]

 

Il a été déclaré à maintes reprises que la marque distinctive de l'admissibilité est la pertinence. Dans l'arrêt R. v. Fields (1986), 56 O.R. (2d) 213, à la page 228, 28 C.C.C. (3d) 353, la Cour a mentionné ceci :

 

Il est bien établi en droit que n'importe quel élément de preuve produit lors d'un procès doit satisfaire aux critères juridiques qui s'appliquent à son admissibilité, dont la condition indispensable est la pertinence. Ainsi que l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cloutier c. La Reine (1979), 48 C.C.C. (2d) 1, à la page 28, 99 D.L.R. (3d) 577, [1979] 2 R.C.S. 709 : « [l]a règle générale en matière d'admissibilité de preuve est que celle‑ci doit être pertinente ».

 

[5]              Les deux parties ont présenté des observations écrites au sujet de la principale question en litige dans le présent appel (celle de savoir si l'appelante a droit à un crédit pour impôt étranger) ainsi que de la consignation proposée d'extraits de l'interrogatoire préalable comme éléments de preuve. Les objections de l'appelante à cette consignation sont fondées sur la pertinence et sur la règle relative à la preuve testimoniale. L'audition étant maintenant terminée, je n'ai pas l'intention de traiter séparément de l'admissibilité de ces extraits, mais plutôt de le faire si jamais un sujet particulier dont il est question dans un extrait était pertinent à l'égard d'un point à trancher. Les sujets dont il est question dans les extraits de l'interrogatoire préalable qui ne sont pertinents à l'égard d'aucune des questions à trancher ne sont pas admissibles.

 

[6]              L'appelante est indirectement une filiale de la Banque Royale du Canada. Le 5 septembre 2003, l'appelante a acquis 400 millions de parts d'une société en commandite, Crown Point Investments LP (« Crown Point »), constituée en vertu des lois du Delaware, au prix de 400 millions de dollars. L'associée commanditée (Gaskell Management LLC) (« Gaskell ») et l'autre associée commanditaire (Altier LLC) (« Altier ») de Crown Point étaient indirectement des filiales de la Bank of America. Selon les lois du Delaware, Crown Point était une entité juridique distincte[1].

 

[7]              D'après la convention d'achat‑vente qu'ont conclue l'appelante et Altier, l'appelante avait le droit d'exiger qu'Altier rachète les parts de la société en commandite, notamment à n'importe quelle « date de fin de période » postérieure au 15 septembre 2004 et, d'après le contrat de société en commandite, Gaskell avait le droit d'acquérir les parts de la société en commandite que détenait l'appelante, notamment à n'importe quelle « date de fin de période » postérieure au 15 septembre 2004.

 

[8]              Après que l'appelante eut fait l'acquisition des parts de la société en commandite, les associées de Crown Point (ainsi que le nombre de parts de la société en commandite détenues par chaque associée et l'apport de capital de chacune) étaient les suivantes :

 

Associées

Nombre de parts de la société en commandite

Apport de capital

Pourcentage de l'apport de capital

Appelante

400 000 000

400 000 000 $

24,767 8 %

Altier

1 200 000 000

1 200 000 000 $

74,303 4 %

Gaskell (associée commanditée)

0

15 000 000 $

0,928 29 %

Total

 

1 615 000 000 $

100,00 %

 

[9]              Crown Point a prêté environ 1,6 milliard de dollars à Mecklenburg Park, Inc., elle aussi filiale de la Bank of America. Principalement à cause du revenu gagné relativement à ce prêt, le revenu imposable de Crown Point a été de 28 730 507 dollars américains.

 

[10]         Crown Point a déposé un formulaire intitulé « Entity Classification Election » (choix de classification d'une entité) (le formulaire 8832) en vertu des Treasury Regulations (Règlements fiscaux) des États‑Unis, § 301.7701‑3, en vue d'être [TRADUCTION] « classée comme une association imposable à titre de personne morale ». De ce fait, pour l'impôt fédéral américain, Crown Point a été imposable à titre de personne morale et a payé aux États‑Unis un montant d'impôt de 10 055 677 dollars américains (13 233 379 dollars canadiens[2]). Crown Point n'a pas été incluse dans le groupe de la Bank of America dans sa déclaration de revenus consolidée américaine.

 

[11]         En produisant sa déclaration de revenus en vertu de la Loi, l'appelante a fait état d'un revenu de 9 377 496 $ (tiré d'une seule source, soit Crown Point) et a réclamé un crédit pour impôt étranger de 3 199 601 $ (soit le moindre des trois montants que l'appelante avait déterminés en application du paragraphe 126(2) de la Loi). En supposant une participation de 24,767 8 % dans Crown Point, si l'on déterminait le revenu de Crown Point pour l'application de la Loi, cela voudrait dire que le revenu de Crown Point (avant impôt) s'élèverait à 37 861 642 $[3].

 

[12]         L'appelante a également procédé à des opérations de type « swap » pour se protéger des risques liés au taux de change et au taux d'intérêt.

 

[13]         Aux fins de l'impôt américain, l'investissement de 400 000 000 $ fait par l'appelante a été considéré comme un prêt à Altier et les paiements faits par Crown Point à l'appelante ont été considérés par Altier comme des paiements d'intérêt déductibles. Il semble que le montant que Crown Point a distribué à l'appelante s'élevait à 9 377 496 $ - 3 277 617 $ = 6 099 879 $[4]. Il semble donc qu'Altier, pour la détermination du montant d'impôt fédéral américain à payer, avait le droit de demander une déduction de 6 099 879 $ (ou à peu près). De ce fait, en présumant que le revenu d'Altier a été imposé aux États‑Unis au même taux que le revenu de Crown Point et qu'Altier a demandé la déduction, Altier a pu déduire de l'impôt qu'elle avait à payer un montant égal à l'impôt payé par Crown Point sur une tranche de 6 099 879 $ (ou à peu près) de son revenu.

 

[14]         Dans le présent appel, la question en litige consiste à savoir si l'appelante a le droit de déduire un crédit pour impôt étranger au titre du paragraphe 126(2) de la Loi pour déterminer le montant d'impôt à payer en vertu de la Loi pour son année d'imposition 2003. Le texte de ce paragraphe est en partie le suivant :

 

(2) Le contribuable qui résidait au Canada à un moment donné d'une année d'imposition et exploitait une entreprise, pendant cette année, dans un pays étranger, peut déduire de l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie une somme ne dépassant pas le moindre des montants suivants :

 

a) la partie du total de l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise qu'il a payé pour l'année, relativement à des entreprises exploitées par lui dans ce pays, et de sa fraction inutilisée du crédit pour impôt étranger relativement à ce pays, pour les dix années d'imposition précédant l'année et les trois années d'imposition la suivant, dont il demande la déduction;

 

[...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[15]         En l'espèce, la seule question à trancher à l'égard de l'article 126 de la Loi est celle de savoir si l'appelante a payé aux États‑Unis la somme de 3 277 617 $ à titre d'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise. L'intimée a reconnu que le montant payé par Crown Point aux États‑Unis, soit 13 233 379 $, était un impôt. Cependant, elle est d'avis que l'appelante n'a pas payé ce qui, selon celle-ci, était sa part de ce montant (3 277 617 $).

 

[16]         Selon l'intimée, pour que l'appelante ait payé l'impôt, il faut qu'elle soit la personne qui était tenue de le payer. L'intimée a fait référence à un certain nombre de décisions. Dans l'arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, la question en litige consistait à savoir si une somme particulière exigée par la province de l'Ontario pour la délivrance de lettres d'homologation constituait des frais ou une taxe. Le juge Major, s'exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, a déclaré :

 

15        Notre Cour s'est penchée sur la question de savoir si une somme donnée constitue une taxe ou des frais dans l'arrêt Lawson, précité. Le juge Duff a conclu, au nom de la majorité, que la somme en question était une taxe parce qu'elle était : (1) exigée par la loi, (2) imposée sous l'autorité de la législature, (3) perçue par un organisme public, (4) pour une fin d'intérêt public.

 

[17]         Cette décision confirme clairement que le montant que Crown Point a payé aux États-Unis était un impôt, mais elle n'aide pas à déterminer si, pour l'application du paragraphe 126(2) de la Loi, il faut qu'une personne soit tenue de payer l'impôt en question pour que l'on puisse conclure que c'est elle qui l'a payé.

 

[18]         L'intimée a également fait référence à l'arrêt R. c. La Banque de Nouvelle‑Écosse, [1982] 1 C.F. 311, dans lequel le juge Heald, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a décrit ainsi la question en litige, aux pages 312 et 313 :

 

Il échet d'examiner si, pour l'application de l'alinéa 126(2)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée, et de l'Article 21(2) de la Convention entre le Canada et le Royaume‑Uni en matière d'impôt sur le revenu*, l'impôt payé par l'intimée pour l'année d'imposition 1972 au Royaume‑Uni pour le revenu provenant de ses succursales dans ce pays doit être converti en monnaie canadienne :

 

a)         au taux de change moyen pondéré applicable pour l'année d'imposition 1972, conformément à l'argument de l'intimée, qu'a accueilli le savant juge de première instance, ou

 

b)         au taux de change qui avait cours le 1er janvier 1974 au moment où l'impôt sur le revenu fut payé au Royaume‑Uni, comme le soutient l'appelante.

 

* signale l'omission d'une note de bas de page figurant dans le texte original.

 

[19]         Le juge Heald a également fait les commentaires suivants, aux pages 316 et 317 :

 

[...] À mon avis, c'est en 1972 que l'intimée a contracté l'obligation de payer l'impôt sur le revenu britannique pour l'année d'imposition 1972, puisque c'est au cours de cette année qu'elle a réalisé le revenu imposable, lors même que selon la loi britannique, le paiement effectif de l'impôt n'est requis que quelque 14 mois plus tard. J'estime que c'est à la fin de son exercice financier, soit le 31 octobre 1972, que l'intimée a contracté l'obligation de payer l'impôt au Royaume‑Uni. [...] À mon avis, le législateur a manifestement voulu, par l'alinéa 126(2)a), protéger le résident canadien contre la double imposition en prescrivant un crédit d'impôt fondé, pour une année d'imposition déterminée, sur le montant de l'impôt payable en fonction du revenu gagné à l'étranger durant cette année, sans tenir compte du moment où, selon la loi étrangère, cet impôt étranger devient exigible. [...]

 

[20]         Cette affaire avait trait à une question de date concernant le calcul du montant du crédit pour impôt étranger. Dans cette affaire, le crédit pour impôt étranger de la contribuable avait été déterminé en utilisant le taux de change moyen pondéré qui s'appliquait à 1972 et la contribuable avait eu droit au crédit à payer pour 1972 même si elle n'avait acquitté l'impôt du Royaume‑Uni qu'en 1974. Cette affaire n'étaye pas la thèse selon laquelle l'appelante, si elle veut pouvoir réclamer le crédit pour impôt étranger, doit être la personne qui était tenue de payer cet impôt.

 

[21]         L'intimée a aussi invoqué la décision qu'a rendue la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Sentinel Hill No. 29 Limited Partnership c. Attorney General of Canada (2008), 89 O.R. (3d) 30, 2008 ONCA 132. Cette affaire concerne bel et bien une société en commandite, mais il n'y est pas question de l'article 126 de la Loi, et elle n'aide pas à décider si, pour l'application de cet article, on ne peut considérer que l'appelante a payé l'impôt que si elle était également tenue de le faire.

 

[22]         Dans l'affaire White c. La Reine, 2003 CCI 668, M. White affirmait qu'il devait être autorisé à réclamer un crédit pour impôt étranger concernant certaines imputations au crédit d'impôt (« imputation tax credits ») liées à des dividendes qu'il avait reçus d'une société australienne. Les résidents de l'Australie pouvaient appliquer ces imputations à l'impôt à payer à l'Australie. Le juge Bowie a déclaré ce qui suit :

 

7          Il existe un obstacle encore plus fondamental à la demande de M. White. Le paragraphe 126(1) permet seulement au contribuable canadien de déclarer un crédit pour impôt étranger à l'égard de l'impôt payé par ce résident canadien à un gouvernement étranger pour la même année. L'impôt pour lequel M. White demande un crédit n'a pas été payé par lui, mais par les compagnies australiennes qui lui ont versé des dividendes. En contre‑interrogatoire, M. White avoue candidement qu'il n'a pas payé d'impôt au gouvernement australien pour les années en question. [...]

 

[23]         Dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas d'aveu de ce genre de la part de l'appelante. La question en litige consiste à savoir si l'appelante a payé l'impôt aux États‑Unis. Dans l'affaire White, il y avait deux personnes distinctes qui, selon l'endroit où elles étaient résidentes et selon la source du revenu, étaient susceptibles d'avoir à payer de l'impôt en vertu de la Loi : la société australienne et M. White. En l'espèce, Crown Point étant une société en commandite pour l'application de la Loi, il n'y a qu'une seule personne qui est susceptible d'avoir à payer de l'impôt en vertu de la Loi concernant le revenu gagné par Crown Point, et cette personne est l'appelante[5]. La décision rendue dans White n'aide pas à décider si, lorsqu'il est question d'un associé commanditaire d'une société en commandite, on doit considérer que cet associé a payé aux États‑Unis des impôts établis à l'endroit de la société en commandite qui, pour l'application de la loi intitulée Internal Revenue Code (Code fiscal), a fait le choix d'être classée comme une personne morale et d'être imposée en tant que telle.

 

[24]         L'appelante a invoqué la décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada dans l'arrêt United Parcel Service du Canada ltée c. La Reine, [2009] 1 R.C.S. 657, à l'appui de son argument selon lequel on peut considérer qu'elle a payé un impôt pour l'application de l'article 126 de la Loi même si elle n'en était pas redevable. Dans cet arrêt, la question consistait à savoir si United Parcel Service du Canada ltée avait droit à un montant de TPS de 2 900 858 $ qui avait été payé par erreur. Le texte du paragraphe 261(1) de la Loi sur la taxe d'accise est le suivant :

 

261(1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

 

[25]         Le juge Rothstein, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré ceci :

 

16        Toutefois, le ministre affirme que l'interprétation du par. 261(1) ne saurait se faire dans un vide contextuel. Selon le premier argument invoqué par le ministre, UPS n'est pas la personne qui a payé le montant au titre de la TPS. Selon lui, en sa qualité de courtier en douane, UPS agissait à titre de mandataire des consignataires et ce sont les consignataires, et non UPS, qui étaient tenus de payer la TPS. Le ministre affirme que, pour l'application du par. 261(1), la personne qui « paie un montant » est celle qui a la responsabilité légale de payer, et non celle qui a tout simplement transmis l'argent au ministre.

 

17        Je ne puis souscrire à cet argument, qui obligerait que l'on s'interroge sur la responsabilité à l'égard du paiement plutôt que sur le paiement lui‑même, alors que la loi ne requiert nullement l'examen de cette question. Il se peut fort bien que ce soient les consignataires de UPS qui étaient responsables de payer la TPS sur les marchandises importées. Cependant, cela ne change rien au fait que, en réalité, c'est UPS — et UPS seule — qui a payé la TPS de ses propres deniers. À première vue, on pourrait croire que les mots « ou d'une autre obligation » au par. 261(1) introduisent la notion d'obligation de payer. Toutefois, les mots « autre obligation » doivent être interprétés dans le contexte de l'ensemble de la disposition. Le paragraphe 261(1) s'applique si une personne paye un montant au titre « de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, [ou] des intérêts ». Ces termes renvoient à des catégories de montants qui doivent être payés au titre des obligations créées par la Loi sur la taxe d'accise. Dans ce contexte, l'expression « autre obligation » s'entend simplement d'une obligation visée par la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise qui n'est pas mentionnée spécifiquement au par. 261(1). La responsabilité elle‑même n'est pas pertinente dans ce contexte, puisqu'il n'existe aucune obligation de payer une taxe qui a été acquittée par erreur. Si l'argument avancé par le ministre était fondé, un étranger qui aurait payé par erreur la TPS sur des marchandises importées par quelqu'un d'autre (peut‑être parce que les noms de deux importateurs se ressemblent) ne pourrait se faire rembourser. Le législateur ne peut avoir eu l'intention d'empêcher des personnes qui n'étaient pas tenues de payer certaines sommes au titre de la TPS mais l'ont fait par erreur d'obtenir le remboursement des sommes en question.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[26]         Comme il était question dans cette affaire d'un montant de TPS payé par erreur (et qu'il n'y aurait donc pas d'obligation de payer un tel montant), cette décision n'est pas non plus directement pertinente pour ce qui est de déterminer si, pour l'application de l'article 126 de la Loi, la personne qui a payé l'impôt doit être la même que celle qui en était redevable.

 

[27]         Selon l'intimée, l'article 126 doit être lu isolément et, en particulier, indépendamment de l'article 96 de la Loi. Dans l'arrêt R. c. Hypothèques Trustco Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

 

10        Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois qu'« il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[28]         Il me semble que le fait d'interpréter les mots « qu'il [le contribuable] a payé », au paragraphe 126(2) de la Loi, sans tenir compte des autres dispositions de cette dernière, et en particulier des dispositions de l'article 96, irait à l'encontre de l'approche qu'a établie la Cour suprême du Canada concernant l'interprétation des textes de loi. Le mot utilisé au paragraphe 126(2) de la Loi est « payé ». Dans cette disposition, il n'est pas fait référence à l'obligation de faire le paiement et il n'est pas exigé que la personne qui a acquitté l'impôt soit la même que celle qui en est redevable. Il me semble que pour considérer qu'une obligation de faire le paiement fait implicitement partie (ou non) de cette disposition, il me faudrait décider qu'il est nécessaire qu'il y ait une obligation de faire le paiement afin d'interpréter la Loi comme « un tout harmonieux ». Il est possible qu'une personne ait payé un montant sans forcément en être redevable. C'est donc dire que le mot « payé » peut avoir plus qu'un sens, c'est‑à‑dire « payé » même en l'absence d'une obligation de faire le paiement (comme le fait valoir l'appelante), ou « payé » seulement si le payeur a l'obligation de faire le paiement (comme le fait valoir l'intimée).

 

[29]         Le paragraphe 126(2) de la Loi lui-même est d'une certaine utilité pour décider de quelle manière interpréter le mot « payé » pour l'application de ce paragraphe. Il crée un lien direct entre le crédit pour impôt étranger qu'il est possible de demander et le montant du revenu tiré d'une entreprise à l'étranger. Le texte de ce paragraphe est le suivant :

 

(2) Le contribuable qui résidait au Canada à un moment donné d'une année d'imposition et exploitait une entreprise, pendant cette année, dans un pays étranger, peut déduire de l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie une somme ne dépassant pas le moindre des montants suivants :

 

a) la partie du total de l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise qu'il a payé pour l'année, relativement à des entreprises exploitées par lui dans ce pays, et de sa fraction inutilisée du crédit pour impôt étranger relativement à ce pays, pour les dix années d'imposition précédant l'année et les trois années d'imposition la suivant, dont il demande la déduction;

 

b) le montant déterminé en vertu du paragraphe (2.1) pour l'année relativement à des entreprises exploitées par lui dans ce pays;

 

c) l'excédent de l'élément visé au sous‑alinéa (i) sur le montant visé au sous‑alinéa (ii) :

 

(i) l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie,

 

(ii) le montant ou la totalité des sommes, selon le cas, déduits par lui en vertu du paragraphe (1) de l'impôt payable par ailleurs pour l'année en vertu de la présente partie.

 

[30]         Le paragraphe 126(2.1) de la Loi est libellé ainsi :

 

(2.1) Pour l'application de l'alinéa (2)b), le montant déterminé en vertu du présent paragraphe pour l'année relativement à des entreprises exploitées par un contribuable dans un pays étranger est le total des montants suivants :

 

a) la fraction de l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie représentée par le rapport entre :

 

(i) d'une part, l'excédent éventuel du total des revenus admissibles du contribuable tiré d'entreprises qu'il exploite dans ce pays sur le total de ses pertes admissible résultant de telles entreprises :

 

(A) pour l'année, s'il réside au Canada tout au long de l'année,

 

(B) pour la partie de l'année tout au long de laquelle il réside au Canada, s'il est un non‑résident à un moment de l'année,

 

(ii) d'autre part, le total des montants suivants :

 

(A) l'excédent éventuel du montant applicable suivant :

 

(I) si le contribuable réside au Canada tout au long de l'année, son revenu pour l'année, calculé compte non tenu de l'alinéa 20(1)ww),

 

(II) s'il est un non-résident à un moment de l'année, le montant déterminé selon l'alinéa 114a) à son égard pour l'année,

 

sur :

 

(III) le total des montants représentant chacun une somme déduite en application de l'article 110.6 ou de l'alinéa 111(1)b), ou déductible en application de l'un des alinéas 110(1)d) à d.3), f), g) et j) et des articles 112 et 113, dans le calcul de son revenu imposable pour l'année,

 

(B) le montant ajouté en vertu de l'article 110.5 dans le calcul de son revenu imposable pour l'année;

 

b) la fraction du montant ajouté en vertu du paragraphe 120(1) à l'impôt payable par ailleurs par lui pour l'année en vertu de la présente partie représentée par le rapport entre :

 

(i) d'une part, le montant déterminé selon le sous‑alinéa a)(i) relativement à ce pays,

 

(ii) d'autre part, l'excédent éventuel du montant applicable suivant :

 

(A) si l'article 114 ne s'applique pas au contribuable pour l'année, son revenu pour l'année,

 

(B) si l'article 114 s'applique au contribuable pour l'année, le total de son revenu pour la ou les périodes visées à l'alinéa 114a) et du montant qui serait déterminé selon l'alinéa 114b) relativement au contribuable pour l'année, compte non tenu des alinéas 115(1)d) à f),

 

sur :

 

(C) le revenu gagné au cours de l'année dans une province, au sens du paragraphe 120(4), par le contribuable.

 

[31]         Le montant qu'un contribuable peut déduire à titre de crédit pour impôt étranger en vertu du paragraphe 126(2) de la Loi est limité au moindre de trois montants. Le premier de ces montants est celui de l'impôt étranger payé à l'égard de l'entreprise que le contribuable exploite dans le pays étranger. Le deuxième montant est fixé d'une manière conforme aux dispositions du paragraphe 126(2.1) de la Loi, et ce calcul oblige à déterminer les revenus admissibles du contribuable. L'expression « revenus admissibles » est définie au paragraphe 126(7) de la Loi :

 

« revenus admissibles » Les revenus d'un contribuable tirés de sources situées dans un pays, déterminés conformément au paragraphe (9);

 

[32]         Le paragraphe 126(9) de la Loi indique ce qui suit :

 

(9) Les revenus admissibles et les pertes admissibles d'un contribuable pour une année d'imposition provenant de sources situées dans un pays sont déterminés, à la fois :

 

a) compte non tenu de ce qui suit :

 

(i) toute partie de revenu qui était déductible en application du sous‑alinéa 110(1)f)(i) dans le calcul du revenu imposable du contribuable,

 

(ii) pour l'application du sous‑alinéa (1)b)(i), toute partie de revenu relativement à laquelle un montant a été déduit en application de l'article 110.6 dans le calcul du revenu du contribuable,

 

(iii) tout revenu ou toute perte provenant d'une source située dans le pays, dans le cas où un revenu du contribuable provenant de cette source serait un revenu exonéré d'impôt,

 

b) comme si le total des montants représentant chacun la partie d'un montant déduit en application des paragraphes 66(4), 66.21(4) ou 66.7(2) ou (2.3) dans le calcul de ces revenus admissibles et de ces pertes admissibles pour l'année qui est attribuable à ces sources correspondait au plus élevé des montants suivants :

 

(i) le total des montants représentant chacun la partie d'un montant déduit en application des paragraphes 66(4), 66.21(4) ou 66.7(2) ou (2.3) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année qui est attribuable à ces sources,

 

(ii) la somme des montants suivants :

 

(A) la partie, qui est attribuable à ces sources, du montant maximal qui serait déductible en application du paragraphe 66(4) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année si le montant déterminé selon le sous‑alinéa 66(4)b)(ii) pour le contribuable pour l'année correspondait à l'excédent éventuel de la somme des montants suivants :

 

(I) le revenu provenant de ressources à l'étranger (au sens du paragraphe 66.21(1)) du contribuable pour l'année se rapportant au pays, déterminé comme si le contribuable avait déduit les montants maximaux déductibles pour l'année en application des paragraphes 66.7(2) et (2.3),

 

(II) les montants dont chacun aurait été inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année en application du paragraphe 59(1) relativement à une disposition d'avoir minier étranger à l'égard du pays, déterminé comme si chaque montant déterminé selon le sous‑alinéa 59(1)b)(ii) était nul,

 

sur :

 

(III) le total des montants représentant chacun une partie d'un montant (sauf celle qui entraîne la réduction du montant déterminé par ailleurs selon la subdivision (I)) qui est attribuable à ces sources et qui serait déduite en application du paragraphe 66.7(2) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année si les montants maximaux déductibles pour l'année en application de ce paragraphe étaient déduits,

 

(B) le montant maximal qui serait déductible en application du paragraphe 66.21(4) relativement à ces sources dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année si, à la fois :

 

(I) le montant déduit en application du paragraphe 66(4) relativement à ces sources dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année correspondait au montant déterminé selon la division (A),

 

(II) les montants déduits en application des paragraphes 66.7(2) et (2.3) relativement à ces sources dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année étaient les montants maximaux déductibles en application de ces paragraphes,

 

(III) pour l'application de la définition de « frais cumulatifs relatifs à des ressources à l'étranger » au paragraphe 66.21(1), le total des montants indiqués conformément au sous‑alinéa 59(1)b)(ii) pour l'année relativement à des dispositions par le contribuable d'avoirs miniers étrangers à l'égard du pays au cours de l'année était le total maximal qui pourrait être ainsi indiqué sans qu'il y ait réduction du montant maximal qui serait déterminé selon la division (A) relativement au contribuable et au pays pour l'année si l'hypothèse énoncée à la subdivision (A)(II) n'avait pas été formulée relativement à des montants indiqués conformément au sous‑alinéa 59(1)b)(ii),

 

(IV) le montant déterminé selon l'alinéa 66.21(4)b) était nul,

 

(C) le total des montants représentant chacun le montant maximal, attribuable à l'une de ces sources, qui est déductible en application des paragraphes 66.7(2) ou (2.3) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année.

 

[33]         En l'espèce, aucun des rajustements que prévoit le paragraphe 126(9) de la Loi n'est applicable et, de ce fait, les revenus admissibles de l'appelante seront ceux qu'elle a tirés des sources aux États‑Unis, soit ses revenus à titre d'associée commanditaire de Crown Point. Étant donné que la seule source de revenus de l'appelante était sa part des revenus de Crown Point et qu'aucun des rajustements qu'envisage l'alinéa 126(2.1)a) de la Loi ne s'applique, le montant déterminé en vertu de l'alinéa 126(2)b) de la Loi sera le même, peu importe si les revenus de l'appelante étaient de 9 377 496 $ ou d'environ 6 millions de dollars, car le même montant serait à la fois numérateur (sous‑alinéa 126(2.1)a)(i) de la Loi) et dénominateur (sous‑alinéa 126(2.1)a)(ii) de la Loi). Toutefois, comme l'un des montants limite que prévoit le paragraphe 126(2) de la Loi est fondé sur le revenu de l'appelante (ou de tout autre contribuable), il y a un lien direct entre le crédit pour impôt étranger qu'il est possible de déduire et le montant du revenu tiré d'une entreprise à l'étranger.

 

[34]         L'article 96 de la Loi dispose qu'une société de personnes (ce qui inclut une société en commandite) détermine son revenu comme si elle était une personne distincte et impute à chaque associé la part de ce revenu qui lui revient. Ce n'est pas au niveau de la société de personnes que l'impôt est fixé, mais plutôt au niveau de l'associé. Le paragraphe 96(1) de la Loi indique, en partie, ce qui suit :

 

96(1) Lorsqu'un contribuable est un associé d'une société de personnes, son revenu, le montant de sa perte autre qu'une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, pour une année d'imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition, selon le cas, est calculé comme si :

 

a) la société de personnes était une personne distincte résidant au Canada;

 

b) l'année d'imposition de la société de personnes correspondait à son exercice;

 

c) chaque activité de la société de personnes (y compris une activité relative à la propriété de biens) était exercée par celle‑ci en tant que personne distincte, et comme si était établi le montant :

 

(i) de chaque gain en capital imposable et de chaque perte en capital déductible de la société de personnes, découlant de la disposition de biens,

 

(ii) de chaque revenu et perte de la société de personnes afférents à chacune des autres sources ou à des sources situées dans un endroit donné,

 

pour chaque année d'imposition de la société de personnes;

 

[...]

 

f) le montant du revenu de la société de personnes, pour une année d'imposition, tiré d'une source quelconque ou de sources situées dans un endroit donné, constituait le revenu du contribuable tiré de cette source ou de sources situées dans cet endroit donné, selon le cas, pour l'année d'imposition du contribuable au cours de laquelle l'année d'imposition de la société de personnes se termine, jusqu'à concurrence de la part du contribuable;

 

[...]

 

[35]         Rien ne donne à penser en l'espèce que Crown Point n'était pas une société de personnes pour l'application de la Loi. Pour déterminer le revenu qu'elle avait tiré pour l'année de la société de personnes, l'appelante était tenue de calculer le revenu de Crown Point comme si Crown Point était une personne distincte résidant au Canada. De ce fait, son revenu devait être déterminé conformément à la Loi, et non selon une règle quelconque qui pouvait s'appliquer lors de la détermination du revenu pour l'application de la loi intitulée Internal Revenue Code des États‑Unis. En l'espèce, selon la loi applicable du Delaware, Crown Point était une entité juridique distincte. Crown Point était donc déjà une personne distincte. Cependant, il me semble que la part du revenu de Crown Point revenant à l'appelante doit quand même être déterminée en fonction des dispositions de l'article 96 de la Loi, même si Crown Point est une entité juridique distincte selon la loi du Delaware. L'article 96 de la Loi ne fait pas de distinction entre les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite, pas plus qu'il n'en fait entre les sociétés en commandite qui, en vertu des lois selon lesquelles elles sont constituées, sont des entités juridiques distinctes et celles qui ne le sont pas.

 

[36]         Dans l'arrêt R. c. Robinson, [1998] 2 C.F. 569, le juge Stone, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

 

13        L. R. Hepburn explique bien que le revenu d'une entreprise reçoit un traitement particulier sous le régime des différentes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ouvrage intitulé Limited Partnerships (Scarborough, Carswell, 1992), à la page 5‑3 :

 

[TRADUCTION]

 

Les principes fondamentaux de l'imposition du revenu, des opérations entre les associés et la société et des opérations touchant les intérêts de la société s'appliquent aussi bien aux sociétés, en nom collectif et en commandite, qu'à leurs associés. Le fait que la responsabilité de certains associés puisse être limitée n'a aucune incidence sur l'imposition du revenu de la société. [...]

 

Bien que la société même ne paie pas d'impôt, le revenu (ou la perte) tiré des activités de la société est établi au niveau de la société comme s'il s'agissait d'une personne distincte. Ce revenu (ou cette perte), qu'il soit ou non distribué en fait, est imposé annuellement au niveau des membres de la société en proportion de leur participation. Règle générale, la source et la nature du revenu de la société ne changent pas après l'imputation de ce revenu aux associés.

 

[37]         C'est donc dire que la part du revenu de Crown Point qui revient à l'appelante ne dépend pas de la question de savoir si la société de personnes est une société en nom collectif ou une société en commandite. Il me semble aussi que cela ne devrait pas dépendre de la question de savoir si la société en commandite est une personne selon les lois nationales en vertu desquelles elle a été constituée. L'appelante est tenue d'inclure dans son revenu, pour l'application de la Loi (et, donc, du paragraphe 126(2) de la Loi), la part du revenu de Crown Point qui lui revient, même si Crown Point est une entité juridique distincte sous le régime des lois du Delaware. Le statut de Crown Point en tant qu'entité juridique distincte sous le régime des lois du Delaware n'a pas d'incidence sur la manière dont Crown Point est traitée à titre de société en commandite pour l'application de la Loi et n'a donc pas d'incidence sur la détermination du montant ou de la source du revenu que l'appelante doit déclarer. Comme le revenu de cette dernière est la part du revenu de Crown Point qui lui revient (les sources de revenu étant les mêmes), pour déterminer si l'appelante a payé un impôt étranger à l'égard de ce revenu, le montant d'impôt étranger payé par l'appelante devrait être sa part de l'impôt étranger que Crown Point a payé relativement à ce même revenu, et ce, même si Crown Point est une entité juridique distincte sous le régime des lois du Delaware. L'appelante supporterait le fardeau économique de cet impôt, car il faudrait déduire ce dernier du montant qui pourrait lui être distribué.

 

[38]         Il me semble qu'en l'espèce, si la part du revenu de Crown Point revenant à l'appelante pour l'application de la Loi s'élevait à 9 377 496 $ (comme l'affirme l'appelante), l'appelante aurait alors payé 3 277 617 $ en impôt aux États‑Unis pour l'application de la Loi. Si la part du revenu de Crown Point revenant à l'appelante s'élevait à environ 6 millions de dollars (ce qui est le montant que l'appelante a reçu), comme l'affirme l'intimée, il me semble que l'appelante n'aurait alors pas payé 3 277 617 $ en impôt aux États‑Unis pour l'application de la Loi.

 

[39]         La position de l'intimée, telle qu'elle est énoncée dans les observations écrites que ses avocats ont déposées, est la suivante :

 

[TRADUCTION]

 

[...] l'appelante n'avait pas droit à une part de 25 % des profits réalisés par Crown Point L.P. Elle avait droit à un rendement fixe d'un pourcentage maximal de 4,730 3 % par année sur le montant qu'elle avait avancé à Altier.

 

[40]         Les conséquences fiscales pour l'appelante doivent être déterminées en fonction des dispositions de la Loi, et non pas des dispositions du Internal Revenue Code et de la législation fiscale des États‑Unis. Même si, pour l'application de la législation fiscale des États‑Unis, les opérations ont été requalifiées comme un prêt de l'appelante à Altier, pour l'application de la Loi, les conséquences fiscales pour l'appelante doivent être déterminées compte tenu du fait que l'appelante était une associée commanditaire de Crown Point. Dans son exposé introductif au début de l'audience, Me Bourgeois, avocat de l'intimée, a déclaré ceci :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Le ministre a établi sa cotisation en se basant sur l'hypothèse qu'il s'agissait là de la bonne interprétation, c'est‑à‑dire que le droit de l'appelante aux profits était de 25 % des profits avant impôts de Crown Point LP. Nous avons avancé un fait subsidiaire. Nous avons déclaré qu'il ne s'agit pas là d'une interprétation correcte du contrat de société, car la seule façon dont l'appelante peut participer aux profits de Crown Point L.P. est par la voie des distributions qui sont énoncées très clairement dans ce contrat, lequel indique qu'indépendamment des profits, indépendamment de la question de savoir si le taux d'imposition américain baisse à 10 %, le seul profit qu'il est possible de faire, le seul rendement qu'il est possible d'obtenir à titre d'associée commanditaire est de 4,730 3 % du montant qui est investi, soit 400 millions de dollars. Nous ne requalifions pas l'opération de prêt. C'est le contrat de société que nous interprétons.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[41]         La référence qui est faite dans les observations écrites de l'intimée à un rendement fixe [TRADUCTION] « sur le montant qu'elle avait avancé à Altier » laisse croire que l'intimée tente de requalifier l'opération comme étant un prêt. C'est certes ce que donnent à penser les mots « avancé » et « Altier ». Si on interprétait le contrat de société de personnes, il faudrait parler d'un rendement fixe sur l'investissement de l'appelante dans Crown Point, et non sur le montant avancé à Altier (une personne différente). Il n'est pas approprié pour les avocats de l'intimée de mentionner clairement au début de l'audience que leur cliente ne requalifie pas l'opération comme étant un prêt, pour ensuite laisser entendre, dans les observations écrites présentées à la fin de l'audience, qu'elle tente de requalifier l'opération. Le fait que les termes employés peuvent être ceux qui ont été utilisés dans la réponse ne justifie pas qu'on les répète dans les conclusions finales, après avoir dit très clairement au début de l'audience que l'intimée ne requalifiait pas l'opération.

 

[42]         Quoi qu'il en soit, écrivant au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Shell Canada ltée c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622, le juge McLachlin (aujourd'hui juge en chef) a déclaré ce qui suit :

 

39        Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle‑ci : Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe‑l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

 

40        Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

 

[...]

 

45        Cependant, il ressort des arrêts plus récents de notre Cour qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire, il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi, pour le motif que ce serait inéquitable à l'égard des contribuables qui n'ont pas opté pour cette solution. Notre Cour s'est précisément penchée sur cette question dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, au par. 88, le juge Iacobucci. Voir également Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, au par. 63, le juge Iacobucci. Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. Les remarques incidentes formulées dans des arrêts antérieurs dont on peut dire qu'elles appuient un principe d'interprétation plus large et moins certain ont donc été supplantées par les arrêts que notre Cour a rendus depuis en matière fiscale. Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

 

46        Examiner la « réalité économique » d'une situation donnée, au lieu d'appliquer simplement une disposition claire et non équivoque de la Loi aux opérations juridiques effectuées par le contribuable a des répercussions regrettables en pratique. Cette démarche favorise à tort l'application d'une règle voulant que, s'il existe deux manières de structurer une opération pour produire le même effet économique, le tribunal doive ne tenir compte que de l'option qui ne confère aucun avantage fiscal. Avec égards, cette démarche n'accorde pas l'importance voulue à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle, en l'absence de dispositions législatives expresses contraires, le contribuable peut diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale : Stubart, précité, à la p. 540, le juge Wilson, et à la p. 557, le juge Estey; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, au par. 8, le juge McLachlin; Duha, précité, au par. 88, le juge Iacobucci; Neuman, précité, au par. 63, le juge Iacobucci. Le tribunal qui adopte sans réserve une démarche fondée sur « l'effet économique » fait indirectement ce que, selon la jurisprudence constante de notre Cour, le législateur n'a pas voulu que la Loi fasse directement.

 

[43]         On ne prétend pas que la société en commandite était un trompe‑l'oeil ou qu'elle ne reflétait pas la relation juridique qu'entretenait l'appelante avec les autres associées de la société en commandite et, de ce fait, il convient de respecter la société en commandite aux fins de la Loi. Si l'on reformule la position de l'intimée de manière à ce qu'elle reflète la relation avec la société, cela donnerait le résultat suivant :

 

l'appelante avait droit à un rendement fixe d'un pourcentage maximal de 4,730 3 % par année sur son investissement dans la société en commandite, soit 4,730 3 % de 400 millions de dollars.

 

Comme elle a acquis ses parts de la société en commandite le 5 septembre 2003, pour l'année terminée le 31 décembre 2003 cela équivaudrait à 4,730 3 % de 400 millions de dollars x 118 jours ÷ 365 jours = 6 116 991 $[6]. Il semble y avoir peu de doute que le droit de l'appelante de recevoir de l'argent de Crown Point était fixe; cependant, l'article 96 de la Loi requiert que l'on détermine la part du profit de Crown Point qui revient à l'appelante, et non la part de l'argent que celle‑ci a le droit de recevoir.

 

[44]         Pour l'application de la Loi, l'appelante inclurait dans son revenu la part du revenu de Crown Point qui lui revenait, et non le montant qui lui a été distribué. Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 5.1 du contrat de société en commandite modifié et mis à jour de Crown Point Investments LP :

 

[TRADUCTION]

 

Paragraphe 5.1 - Parts

 

a) Les droits de propriété à l'égard de USLP se composent de parts (individuellement, une « part ») consignées dans le registre. Chaque part, sous réserve du paragraphe 6.4 et de l'obligation qu'a Gaskell, aux termes de l'alinéa 5.3b) et du paragraphe 9.6, de payer ou de rembourser certaines dépenses de la société, est assortie de droits égaux à ceux de toutes les autres parts en ce qui concerne le partage du profit net et de la perte nette ainsi qu'en ce qui concerne les distributions (ce qui inclut le partage proportionnel, fondé sur l'apport de capital, du profit net et de la perte nette), à l'exception de ce qui est prévu à l'article 6 à l'égard des distributions. Cependant, jusqu'à ce qu'un investissement permis spécial soit effectué :

 

(i) la part du profit net revenant à chaque associé commanditaire pour un exercice donné est égale au moindre de (x) la part proportionnelle (en fonction de l'apport de capital) du profit net (calculé sans tenir compte du profit net additionnel) qui revient à cet associé commanditaire, et (y) le résultat obtenu en divisant :

 

1. le total des espèces distribuées à cet associé commanditaire pendant l'exercice en question (ou reçues dans les 15 jours suivant la fin de cet exercice, mais au titre de celui‑ci) aux termes du paragraphe 6.1 ou de l'alinéa 6.2d),

 

par :

 

2. le montant obtenu en soustrayant le taux d'imposition applicable (exprimé sous la forme d'un montant décimal) de (1).

 

Il est reconnu que, sous réserve de toute variation découlant de la différence entre les exercices rajustés et les exercices, les distributions d'espèces ayant lieu durant un exercice représentent la part du profit net d'USLP calculée de la façon décrite ci‑dessus qui revient à l'associé commanditaire, déduction faite de l'impôt sur le revenu fédéral des États‑Unis qui s'y applique, jusqu'à concurrence d'un taux maximal de 35 %.

 

(ii) la part du profit net d'un exercice donné qui revient à Gaskell est l'excédent du profit net de cet exercice‑là sur le total des parts du profit net revenant aux associés commanditaires qui sont déterminées de la manière indiquée au sous‑alinéa (i) ci‑dessus.

 

Avant de procéder à un investissement permis spécial, le présent contrat sera modifié, avec l'accord de tous les associés, de façon à indiquer la formule à appliquer pour calculer la part du profit net qui revient à chacun relativement à cet investissement permis spécial.

 

b) Tout profit, tout revenu, toute dépense ou toute perte découlant de l'évaluation à la valeur de marché du swap de taux d'intérêt sera, aux fins de la comptabilité générale, attribué à Gaskell.

 

c) Les parts d'USLP seront représentées par des certificats dont la forme sera celle qui est présentée à l'annexe E (y compris la légende qui y apparaît).

 

[45]         Le texte qui suit a été ajouté à l'alinéa 5.1a) par la modification no 1 du 5 septembre 2003 :

 

[TRADUCTION]

 

Lorsqu'un associé commanditaire (comme InvestCo) est assujetti à l'impôt sur le revenu fédéral canadien (un « associé commanditaire canadien »), en sus de l'attribution du profit net indiquée au présent alinéa 5.1a) et nonobstant toute autre disposition des présentes, la part du revenu ou de la perte (déterminée pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada)) d'USLP qui revient à chaque associé sera égale au montant déterminé selon le présent alinéa 5.1a) et calculée comme si les références faites dans le présent alinéa au profit net et à la perte nette y étaient remplacées par les mots « revenu » ou « perte », respectivement, d'USLP aux fins de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada); cependant, tout revenu, toute dépense ou toute perte découlant de l'évaluation à la valeur de marché du swap de taux d'intérêt et du swap de volatilité sera attribué à Gaskell aux fins de l'impôt canadien. Nonobstant ce qui précède, Gaskell ne sera pas tenue, pour le compte d'USLP ou d'un associé commanditaire canadien, de calculer le revenu imposable ou le capital imposable d'USLP pour l'application de l'impôt sur le capital ou sur le revenu provincial ou fédéral du Canada.

 

[46]         Cette modification confirme que la part du revenu de Crown Point (déterminée pour l'application de la Loi) qui revient à l'appelante est sa part (calculée selon l'alinéa 5.1a) du contrat) du revenu de Crown Point qui est déterminée pour l'application de la Loi.

 

[47]         Si l'on utilise les montants calculés ou estimés plus tôt et le chiffre de 35 % comme taux d'imposition applicable[7], les montants calculés pour les valeurs « x » et « y » seraient, pour l'appelante, les suivants :

 

x = 24,767 8 % x 37 861 642 $ = 9 377 496 $

 

y = 6 099 879 $ ÷ (1 - 0,35) = 9 384 429 $

 

[48]         Comme le montant exact qui a été distribué à l'appelante n'est pas clair, le montant qui correspond à la valeur « y » pourrait varier légèrement si l'appelante avait en fait reçu plus ou moins que la somme de 6 099 879 $. Il me semble toutefois que les dispositions du paragraphe 5.1 du contrat (dans sa forme modifiée) sont claires et non équivoques, et que l'application de ce paragraphe fait en sorte que la part du profit net revenant à l'appelante pour l'application de la Loi s'élève à 9 377 496 $, soit le montant qui a été indiqué dans sa déclaration de revenus.

 

[49]         L'intimée a accordé beaucoup d'importance au fait que le montant que l'appelante avait le droit de recevoir de Crown Point n'était que de 6 millions de dollars. Cependant, pour l'application de l'article 96 de la Loi, la question qui se pose est celle de savoir quelle était la part du revenu de la société (qui, du fait des dispositions de l'article 9 de la Loi, signifierait la part du profit de Crown Point) qui revenait à l'appelante, et non pas le montant qui a été distribué à cette dernière. Le fait que le montant distribué à l'appelante (et le montant que cette dernière avait le droit de recevoir) était inférieur à sa part du profit reflète le fait que Crown Point était tenue de payer de l'impôt aux États‑Unis sur son revenu parce qu'elle avait fait le choix d'être classée comme une personne morale. L'argent requis pour payer cette obligation ne serait tout simplement pas disponible pour être distribué.

 

[50]         John P. Steines Junior, un expert appelé par l'intimée, a déclaré ce qui suit dans son rapport :

 

[TRADUCTION]

 

6.5       Le choix qu'a fait Crown Point d'être considérée comme une personne morale aux fins de l'impôt américain s'appliquait à toutes les fins de l'impôt américain[8]. La législation fiscale des États‑Unis a recours, pour l'impôt des sociétés, à un régime classique, qui traite les sociétés et les actionnaires comme des contribuables distincts et qui assujettit chacun de façon indépendante à l'impôt sur le revenu des sociétés : les sociétés quand le revenu est gagné et les actionnaires quand le revenu est distribué sous forme de dividende[9]. L'alinéa 11a) du Internal Revenue Code assujettissait Crown Point à l'impôt en disposant ce qui suit : « Un impôt est par la présente imposé pour chaque année d'imposition sur le revenu imposable de chaque société. »

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[51]         Il est donc évident que Crown Point était tenue de payer de l'impôt aux États‑Unis parce qu'elle avait choisi d'être classée comme une personne morale. Le fait que, sans ce choix, Crown Point n'aurait pas été tenue de payer de l'impôt n'importe pas. Les conséquences fiscales que prévoit la Loi (lesquelles sont celles qui sont visées par le présent appel) doivent être déterminées en fonction de ce que les parties ont effectivement fait, et non en fonction de ce qu'elles auraient pu faire.

 

[52]         Dans l'arrêt R. c. Bronfman Trust, [1987] 1 R.C.S. 32, le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a mentionné ce qui suit :

 

41        Avant de terminer, je veux aborder un dernier argument invoqué par l'avocat de la fiducie. On a soutenu — et Sa Majesté en a généreusement convenu — que la fiducie aurait obtenu une déduction au titre d'intérêts si elle avait vendu des biens en vue de payer les prélèvements sur le capital et avait ensuite emprunté pour remplacer ces biens. Par conséquent, selon ce point de vue, on ne devrait pas refuser à la fiducie une déduction au titre d'intérêts simplement parce qu'elle a obtenu le même résultat sans les formalités d'une vente et d'un rachat de biens. Il suffit pour répondre à cet argument d'invoquer le principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire : Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179. [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[53]         Dans l'arrêt Shell Canada ltée, précité, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, le juge McLachlin (aujourd'hui juge en chef) a écrit ceci :

 

45        [...] Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

 

[54]         C'est donc dire que l'appelante doit être imposée, selon la Loi, en tenant compte de ce qui s'est réellement passé, et non de ce qui serait arrivé si le choix de classer Crown Point comme une personne morale n'avait pas été fait. De même, la question de savoir si le groupe de la Bank of America (dont l'appelante ne faisait pas partie) se serait trouvé dans la même situation en ce qui concerne l'assujettissement de ce groupe à l'impôt à payer aux États‑Unis si Crown Point avait fait le choix d'être classée comme une personne morale aux fins de l'impôt américain ou non est sans pertinence pour ce qui est de déterminer les conséquences fiscales pour l'appelante sous le régime de la Loi.

 

[55]         Par ailleurs, la question de savoir si l'appelante (en présumant qu'Altier y souscrirait) aurait reçu le même montant si elle avait prêté 400 000 000 $ à Altier à un taux d'intérêt de 4,730 3 % est sans importance. Il ne s'agit pas là de l'opération que l'appelante a conclue. Elle n'a pas prêté d'argent à Altier. Elle a acquis des parts de la société en commandite, Crown Point. Les conséquences fiscales pour l'appelante doivent être déterminées en fonction de cette opération, et non pas en fonction de ce qu'elles auraient été si l'appelante avait prêté de l'argent à Altier.

 

[56]         En l'espèce, Crown Point a fait le choix d'être classée comme une personne morale aux fins de l'impôt américain et a donc été redevable d'un montant d'impôt américain de 13 233 379 $ (10 055 677 dollars américains). Il me semble que le montant distribué à l'appelante reflète simplement une réduction du montant qui pouvait être distribué après le paiement, par Crown Point, de l'impôt américain. Le montant pouvant être distribué serait le suivant :

 

Revenu de Crown Point avant impôt :

37 861 642 $

Impôt payé aux États‑Unis par Crown Point :

13 233 379 $

Montant pouvant être distribué aux associées :

24 628 263 $

 

[57]         Selon moi, comme Crown Point était tenue de payer un montant d'impôt américain de 13 233 379 $, elle ne disposait que de 24 628 263 $ à distribuer à ses associées. Il ne s'agissait pas d'un montant de 37 861 642 $. Le fait qu'Altier ait pu réduire l'impôt américain qu'elle avait à payer en se prévalant d'une déduction pour intérêts liée aux paiements faits à l'appelante ne procure pas d'argent additionnel à Crown Point, car celle‑ci est une personne différente. Altier n'est pas l'appelante, et ni Crown Point ni l'appelante n'ont un intérêt quelconque dans Altier. Cette dernière est l'autre associée commanditaire de Crown Point.

 

[58]         Par conséquent, le fait que l'appelante avait uniquement le droit de recevoir 24,767 8 % de 24 628 263 $ (soit 6 099 879 $) dénote simplement que Crown Point n'avait que 24 628 263 $ à distribuer à ses associées commanditaires.

 

[59]         Dans ses conclusions finales, l'avocat de l'intimée a simplement déclaré que Crown Point pouvait déduire l'impôt américain qu'elle avait payé dans le calcul de son revenu pour l'application de la Loi, mais sans citer une référence quelconque à l'appui de cette déclaration. Il n'a soulevé la question de la déductibilité de l'impôt payé aux États‑Unis lors de la détermination du profit de Crown Point qu'au moment où je lui ai demandé quelle était la position de l'intimée à l'égard du montant du profit de Crown Point (qui serait le profit à partager comme le prescrit l'article 96 de la Loi). Au sujet de ce montant, l'avocat a déclaré qu'il n'était pas d'accord pour dire que le profit était le montant déterminé avant que l'on prenne en compte l'impôt payé aux États‑Unis, mais qu'il fallait plutôt le déterminer en déduisant le montant que Crown Point avait payé aux États‑Unis au titre de l'impôt sur le revenu.

 

[60]         Voici ce qu'indique l'alinéa 18(1)a) de la Loi :

 

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

 

[61]         Il me semble que l'impôt sur le revenu payé aux États‑Unis après avoir gagné un revenu n'est pas une dépense engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu, mais plutôt une dépense effectuée en raison du fait que l'on a tiré un revenu.

 

[62]         Dans l'arrêt Inland Revenue Commissioners v. Dowdall, O'Mahoney & Co. Ld., [1952] A.C. 401 (Chambre des lords), le lord Oaksey a déclaré ceci :

 

[TRADUCTION]

 

Pour ce qui est de la première question, je suis d'avis que les impôts comme ceux dont il est ici question, à savoir l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les bénéfices des sociétés et l'impôt sur les bénéfices excédentaires, ne sont pas, selon la jurisprudence, entièrement et exclusivement versés aux fins des activités de l'entreprise au Royaume‑Uni. Les impôts comme ceux‑là ne sont pas payés dans le but de tirer un profit des activités commerciales : ils constituent l'usage fait de ce profit lorsque celui‑ci est réalisé, et le fait qu'ils soient perçus par un dominion ou un État étranger n'en amoindrit pas l'effet. Aucune distinction de principe claire n'a été suggérée à Vos Seigneuries entre les impôts qu'impose le Royaume‑Uni et ceux qu'impose un dominion ou un État étranger.

 

[63]         Dans l'article intitulé « The Foreign Tax Credit » qu'il a présenté à la conférence annuelle de 1976 de l'Association canadienne d'études fiscales, Robert Couzin a déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Cette règle comporte une exception importante. Une fois que le profit ou le revenu a été déterminé, la destination de ce profit ou la somme qui en a été débitée en vertu d'une entente antérieure ou d'une autre façon est sans pertinence. Une application du profit ou un usage fait du profit n'est pas déductible dans le calcul du profit. Pour cette raison, les tribunaux ont conclu à maintes reprises que l'impôt, qui est un usage fait du revenu, n'est pas une dépense que l'on peut déduire à juste titre dans le calcul du revenu, que cet impôt soit provincial ou étranger*. Le crédit pour impôt étranger a été conçu précisément pour déduire de l'impôt canadien les montants d'impôt étranger que la jurisprudence interdit de déduire du revenu.

 

* Signale l'omission d'une note de bas de page figurant dans le texte original et faisant référence à diverses décisions.

 

[64]         Si les impôts sur le revenu étrangers qui ont été payés aux États‑Unis peuvent être déduits lors de la détermination du profit de Crown Point pour l'application de la Loi, il faudrait donc que cette dernière comporte une disposition expresse qui autorise une telle déduction.

 

[65]         L'intimée a fait référence dans ses observations écrites aux définitions des expressions « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » et « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise ». Ces deux expressions sont définies au paragraphe 126(7) de la Loi :

 

(7) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article :

 

[...]

 

« impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise » S'agissant de l'impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise payé par un contribuable pour une année d'imposition au gouvernement d'un pays étranger, s'entend, sous réserve des paragraphes (4.1) et (4.2), de la fraction de l'impôt sur le revenu ou sur les bénéfices qu'il a payé pour l'année au gouvernement de ce pays, qui remplit les conditions suivantes :

 

a) elle n'a pas été incluse dans le calcul de l'impôt sur le revenu provenant d'entreprises du contribuable pour l'année, relativement à une entreprise exploitée par lui dans un pays étranger;

 

b) elle n'était pas déductible en vertu du paragraphe 20(11) dans le calcul de son revenu pour l'année;

 

c) elle n'a pas été déduite en vertu du paragraphe 20(12) dans le calcul de son revenu pour l'année.

 

Le terme ne vise toutefois pas un impôt ou la fraction d'un impôt :

 

c.1) qui se rapporte à un montant déduit par l'effet du paragraphe 104(22.3) dans le calcul de l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise payé par le contribuable;

 

d) qui n'aurait pas été payable si le contribuable n'avait pas été un citoyen de ce pays et qu'il n'est pas raisonnable de considérer comme étant attribuable à un revenu tiré d'une source située à l'étranger;

 

e) qu'il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant que toute autre personne ou toute société de personnes a reçu ou a le droit de recevoir de ce gouvernement;

 

f) que, si le contribuable déduit une somme selon le paragraphe 122.3(1) de son impôt payable par ailleurs pour l'année en vertu de la présente partie, il est raisonnable de considérer comme se rapportant à son revenu d'emploi, à concurrence du moindre des montants déterminés à ce titre pour l'année en vertu de l'alinéa 122.3(1)c) ou d);

 

g) qu'il est raisonnable d'attribuer à tout ou partie d'un gain en capital imposable au titre duquel le contribuable ou son époux ou conjoint de fait demande une déduction selon l'article 110.6;

 

h) qu'il est raisonnable de considérer comme attribuable à un montant reçu ou à recevoir par le contribuable sur un prêt pour la période de l'année au cours de laquelle celui-ci était un prêt admissible au sens du paragraphe 33.1(1);

 

i) qu'il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application du sous‑alinéa 110(1)f)(i) dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour l'année.

 

[...]

 

« impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » S'agissant de l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise payé par un contribuable pour une année d'imposition relativement à des entreprises qu'il exploite dans un pays étranger (appelé « pays des entreprises » à la présente définition), s'entend, sous réserve des paragraphes (4.1) et (4.2), de la fraction de l'impôt sur le revenu ou sur les bénéfices qu'il a payé pour l'année au gouvernement d'un pays étranger qu'il est raisonnable de considérer comme un impôt frappant son revenu tiré d'une entreprise qu'il exploite dans le pays des entreprises. Est exclu de l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise l'impôt, ou la partie d'un impôt, qu'il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant :

 

a) soit qu'une autre personne ou société de personnes a reçu ou est en droit de recevoir de ce gouvernement;

 

b) soit qui est déductible en application du sous‑alinéa 110(1)f)(i) dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour l'année.

 

[66]         Il me semble évident que l'impôt qui a été payé aux États‑Unis l'a été à l'égard du revenu de l'entreprise qu'exploitait Crown Point. L'intimée est d'avis que c'est Crown Point qui a payé cet impôt[10]. L'impôt payé serait à l'évidence un « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » et, par suite des dispositions de l'alinéa a) de la définition de l'« impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise », il ne s'agirait pas d'un « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise ». Le contribuable n'a pas la latitude de décider d'inclure le montant dans une définition ou dans l'autre, comme ce serait le cas si la définition de l'« impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » prescrivait qu'il s'agissait de la fraction de l'impôt qui y était par ailleurs décrit que le contribuable choisissait d'inclure dans le calcul de l'« impôt sur le revenu tiré d'une entreprise ».

 

[67]         Il importe de savoir que l'impôt payé serait un « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise », car la déduction qu'offre le paragraphe 20(12) de la Loi ne s'applique qu'à l'« impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise ». Si l'impôt est un « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise », le contribuable a droit à un crédit d'impôt (aux termes de l'article 126), et non à une déduction dans le calcul de son revenu. Étant donné que Crown Point est une société de personnes pour l'application de la Loi, elle n'est pas imposable en vertu de la Loi concernant son revenu d'entreprise et elle ne peut donc pas se prévaloir du crédit d'impôt. Si l'appelante ne peut pas se prévaloir de ce crédit, cela signifie que personne ne pourra le faire en vertu de la Loi.

 

[68]         De ce fait, il m'apparaît évident que l'impôt que Crown Point a payé aux États‑Unis ne peut pas être déduit lors de la détermination du profit de Crown Point. Si la part du profit qui revient à l'appelante, pour l'application de la Loi, était d'environ 6 millions de dollars (comme l'a déclaré l'intimée), il s'ensuit donc que le profit restant (38 millions de dollars - 6 millions de dollars = 32 millions de dollars) serait attribué aux autres associées. L'intimée n'a pas présenté d'argument à propos de la manière dont on attribuerait le profit restant. En supposant que l'on attribuerait à Altier (qui détenait trois fois plus de parts que l'appelante) le triple du profit attribué à l'appelante, cela voudrait dire que le profit de 38 millions de dollars serait attribué comme suit entre les associées :

 

Associées

Apport de capital

Pourcentage de l'apport de capital

Revenu

(en millions)

Pourcentage du revenu

Appelante

400 000 000 $

24,767 8 %

6 $

15,789 %

Altier

1 200 000 000 $

74,303 4 %

18 $

47,368 %

Gaskell (associée commanditée)

15 000 000 $

0,928 29 %

14 $

36,842 %

Total :

1 615 000 000 $

100,00 %

38 $

100,00 %

 

[69]         Le pourcentage du revenu serait nettement différent du pourcentage de l'apport de capital. Crown Point a gagné son revenu grâce à son capital. Il ne s'agit pas d'une société qui a gagné son revenu en fournissant des services ou en vendant des biens. Son seul revenu était celui qu'elle gagnait relativement au capital qu'elle prêtait ou investissait. Une attribution de revenu raisonnable refléterait donc les montants de l'apport de capital qui sont attribuables à ses associées. À l'évidence, une telle attribution de revenu pour cette société en commandite n'est pas raisonnable. La position de l'intimée selon laquelle la part du profit de Crown Point revenant à l'appelante était d'environ 6 millions de dollars est indéfendable.

 

[70]         Comme il m'apparaît clairement que la part du profit de Crown Point revenant à l'appelante s'élevait à 9 377 496 $, il s'agit là du montant que l'appelante serait tenue d'inclure dans son revenu pour l'application de la Loi. Il me semble aussi qu'il faudrait considérer que l'appelante a payé l'impôt américain qui a été acquitté concernant ce montant. Personne d'autre ne déclarerait ce revenu pour l'application de la Loi. Crown Point, à titre de société de personnes, n'est pas imposable au Canada sur ce revenu : ce sont ses associées résidant au Canada qui le sont sous le régime de la Loi. Si l'on ne considère pas que l'appelante a payé cet impôt aux États‑Unis, cela veut dire qu'elle serait imposable au Canada sur le revenu de 9 377 496 $, soit le même revenu qui aurait déjà été imposé aux États‑Unis. La source du revenu de l'appelante, en tant qu'associée de la société de personnes, est la même que celle de la société de personnes, Crown Point. Le revenu de Crown Point (lequel était essentiellement le revenu lié au prêt à Mecklenburg) constitue, par suite des dispositions de l'alinéa 96(1)f) de la Loi, un revenu de l'appelante qui est tiré de la même source jusqu'à concurrence de la part qui lui revient. On imposerait deux fois le même revenu si l'appelante n'avait pas le droit de déduire un crédit pour impôt étranger à l'égard de l'impôt que Crown Point a payé sur ce revenu. Il me semble que l'article 126 a pour objectif d'éviter que l'on impose deux fois le même revenu et, par conséquent, pour atteindre cet objectif, il faudrait considérer que l'appelante a versé aux États‑Unis l'impôt qui a été payé sur son revenu.

 

[71]         Le fait qu'un associé d'une société de personnes doit avoir le droit de déduire sa part de l'impôt étranger qu'a payé la société de personnes concorde avec la position qu'a formulée Revenu Canada (aujourd'hui l'Agence du revenu du Canada) sur le sujet dans son bulletin d'interprétation IT‑183 du 28 octobre 1974 (lequel a été remplacé, après l'année d'imposition en cause, par le bulletin d'interprétation IT‑270R3 du 25 novembre 2004). Voici ce qu'on pouvait lire dans le bulletin d'interprétation IT‑183, « Dégrèvement pour impôt étranger — Membre d'une société » :

 

Aux fins de l'article 126 de la Loi, chaque membre (individu, corporation ou fiducie) d'une société inclut dans son revenu tiré d'entreprises qu'il exploite à l'étranger et dans son revenu provenant d'autres sources dans ce pays, sa part du revenu que la société a tiré de sources situées dans ce pays. De plus, l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise et sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise, que doit verser chaque membre à l'égard d'un pays étranger, est considéré comprendre la part que la société a payé pour chacun d'eux.

 

[72]         Cette position figure aussi dans le bulletin d'interprétation IT‑270R3, « Crédit pour impôt étranger », qui a remplacé le bulletin d'interprétation IT‑183. Au paragraphe 2 du bulletin d'interprétation IT‑270R3, dans la description de la limite fondée sur l'impôt étranger payé, on peut lire ce qui suit :

 

[...]

 

Le premier montant, l'IEP(IRTE), désigne (dans ce bulletin) l'impôt étranger payé — mais uniquement l'impôt sur le revenu tiré d'une entreprise. De manière plus précise, l'IEP(IRTE) correspond à la partie, que le contribuable peut déduire, du total de l'« impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » (au sens du paragraphe 126(7)) qu'il a payé pour l'année relativement aux entreprises exploitées par lui dans le pays étranger d'entreprise (y compris la part du contribuable, s'il en est, d'un tel impôt payé par une société de personnes) [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[73]         L'appelante a donc droit, en vertu du paragraphe 126(2), à un crédit pour impôt étranger de 3 199 601 $. Comme j'ai décidé qu'elle a le droit de réclamer ce crédit en vertu du paragraphe 126(2) de la Loi, et comme les arguments liés à la Convention fiscale entre le Canada et les États‑Unis ont été invoqués à titre subsidiaire, au cas où l'appelante n'aurait pas droit au crédit pour impôt étranger que prévoit le paragraphe 126(2) de la Loi, il n'est pas nécessaire d'examiner ces arguments.

 

[74]         Comme il n'est pas nécessaire à mon avis d'examiner les éléments de preuve obtenus lors de l'interrogatoire préalable que l'intimée souhaitait présenter afin de déterminer s'il fallait considérer que l'appelante avait payé 3 277 617 $ en impôt étranger, la requête de l'appelante en vue de faire exclure les passages extraits de l'interrogatoire préalable que l'appelante a indiqués est accueillie, car ces passages ne sont pas pertinents.

 

[75]         Une modification a été proposée à l'article 126 qui pourrait avoir une incidence sur la question de savoir si l'appelante peut avoir droit à un crédit pour impôt étranger dans cette situation pour les années d'imposition se terminant après le 4 mars 2010. Les Notes techniques de septembre 2010 indiquent ce qui suit :

 

Les nouveaux paragraphes 126(4.11) à (4.13) ainsi que les modifications apportées aux définitions de « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » et « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise » au paragraphe 126(7) s'appliquent à l'impôt sur le revenu ou sur les bénéfices payé pour les années d'imposition d'un contribuable se terminant après le 4 mars 2010. Il est à noter que certaines règles transitoires s'appliquent aux années d'imposition se terminant au plus tard à la date de publication [le 27 août 2010].

 

[76]         Ces modifications proposées ne s'appliquent pas au présent appel.

 

[77]         Lors de l'audition, les parties ont appelé les témoins experts suivants :

 

Pour l'appelante :

 

Walter C. Tuthill (avocat exerçant au Delaware)

 

Daniel S. Kleinberger (professeur de droit au William Mitchell College of Law, à St. Paul, au Minnesota)

 

H. David Rosenbloom (avocat et professeur à la New York University School of Law)

 

Pour l'intimée :

 

John H. Small (avocat exerçant au Delaware)

 

John P. Steines Junior (avocat et professeur à la New York University School of Law)

 

[78]         On a posé aux témoins experts diverses questions relatives aux lois du Delaware et à l'interprétation du contrat de société en commandite sous le régime de ces lois. Cependant, dans le présent appel, le point litigieux était l'interprétation du mot « payé » pour l'application du paragraphe 126(2) de la Loi, relativement à une société en commandite et à son associée commanditaire canadienne. Il ne s'agit pas d'une question relevant du droit du Delaware, mais d'une question relevant du droit canadien. Le témoignage des témoins experts a été de peu d'utilité pour régler la question qu'il y avait à trancher en l'espèce.

 

[79]         En conséquence, l'appel est accueilli avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a droit, dans le calcul de l'impôt qu'elle doit payer pour 2003 en vertu de la Loi, à un crédit pour impôt étranger de 3 199 601 $ en application du paragraphe 126(2) de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d'avril 2011.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de septembre 2011.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 220

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-2315(IT)G

 

INTITULÉ :                                       4145356 CANADA LIMITED c. LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

                                                         

DATES DE L'AUDIENCE :               Les 25, 26, 27, 28 et 29 octobre 2010, le 1er novembre 2010, et les 26, 27 et 28 janvier 2011, avec observations écrites reçues          les 4, 11 et 18 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Al Meghji

Me Martha MacDonald

Me Kimberly Brown

Me Andrew McGuffin

Avocats de l'intimée :

Me Daniel Bourgeois

Me Andrew Miller

Me Pascal Tétrault

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

          Noms :                            Al Meghji

                                                Martha MacDonald

                                                Kimberly Brown

                                                Andrew McGuffin

          Cabinet :                         Osler, Hoskin & Harcourt, S.E.N.C.R.L./s.r.l.

                                                Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada



[1] § 17‑201(b) de la loi intitulée Delaware Revised Uniform Limited Partnership Act (Loi uniforme révisée du Delaware sur les sociétés en commandite) de 2003.

 

[2] L'intimée n'a pas mis en doute le taux de change que l'appelante a appliqué au moment de produire sa déclaration de revenus. Pour correspondre au taux de change que l'appelante a utilisé, ce montant (13 233 379 $) a été obtenu en divisant 3 277 617 $ (le montant déclaré par l'appelante à l'annexe 21 de sa déclaration de revenus comme étant le montant de l'impôt étranger payé sur le revenu d'entreprise pour l'année) par 24,767 8 % (le pourcentage de l'apport de capital de l'appelante).

 

[3] Ce montant a été obtenu en divisant 9 377 496 $ (le montant qui, d'après l'appelante, est le revenu qu'elle a tiré de Crown Point pour l'application de la Loi) par 24,767 8 % (le pourcentage de l'apport de capital de l'appelante).

 

[4] Le montant indiqué par l'appelante dans ses états financiers comme étant sa part du revenu de Crown Point était de 9 331 022 $, et le montant indiqué comme impôt sur le revenu (vraisemblablement l'impôt sur le revenu à payer aux États‑Unis, car la déclaration de revenus indique qu'il n'y avait pas d'impôt sur le revenu à payer en vertu de la Loi) s'élevait à 3 265 858 $ (ce qui n'est pas le montant indiqué à l'annexe 21 comme étant le montant d'impôt payé aux États‑Unis). Si l'on utilise ces montants, le montant distribué à l'appelante serait de 6 065 164 $. Ni l'une ni l'autre des parties n'a fait référence au montant exact distribué à l'appelante, et le montant exact n'est pas en litige dans le présent appel. Pour nos besoins, le montant que l'on considérera comme ayant été distribué à l'appelante sera d'environ 6 millions de dollars.

[5] Une société de personnes peut être réputée être une personne pour certaines fins de la Loi et donc être redevable de certains montants en vertu de cette dernière. Ainsi, selon le paragraphe 212(13.1) de la Loi, une société de personnes est réputée être une personne dans certaines situations. Cependant, cette disposition, ou toute autre disposition qui peut considérer qu'une société de personnes est une personne, ou doit être traitée comme telle, pour l'application de la Loi (à l'exclusion de l'article 96) n'est pas en cause dans le présent appel.

 

[6] L'intimée n'a pas calculé ce montant. Comme il a été dit plus tôt, si l'on utilise les montants indiqués dans la déclaration de revenus de l'appelante, il semble que le montant distribué à cette dernière s'élevait à 6 099 879 $ et, si l'on utilise les montants indiqués dans les états financiers de l'appelante, il semble que le montant distribué à cette dernière s'élevait à 6 065 164 $. Le montant de 6 116 991 $ a été calculé en tenant pour acquis que l'on inclurait le 5 septembre 2003. Si l'on exclut cette date, le montant serait de 6 065 152 $, soit 12 $ de moins seulement que le chiffre obtenu en utilisant les montants apparaissant dans les états financiers, et la différence est donc négligeable.

 

[7] Dans son rapport d'expert, le professeur H. David Rosenbloom a déclaré que le taux d'imposition qui s'appliquait aux grandes sociétés était de 35 %. Nul n'a laissé entendre qu'il ne s'agissait pas là du taux applicable.

 

 

[8] Son rapport comporte, en bas de page, un renvoi à la source suivante : § 301.7701‑2(b)(2), ‑3(a) des Treasury Regulations.

 

[9] Son rapport comporte, en bas de page, un renvoi à la source suivante : I.R.C., §§ 1, 11, 301.

 

[10] Si l'impôt n'a pas été payé par Crown Point, cela signifie qu'il ne s'agirait ni d'un « impôt sur le revenu tiré d'une entreprise » ni d'un « impôt sur le revenu ne provenant pas d'une entreprise », car les deux définitions exigent que le contribuable ait payé l'impôt en question.

 

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