Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2010-3070(EI)

 

ENTRE :

JONATHAN KOWALCHUK,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

Appel entendu le 29 mars 2011 à Regina (Saskatchewan)

sur preuve commune avec l’appel de

Jonathan Kowalchuk, (2010-3071(CPP))

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Bryn Frape

__________________________________________________________________

JUGEMENT

Pour les motifs ci-joints, l’appel est accueilli et les cotisations établies par le ministre du Revenu national relativement aux primes payables en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi pour les années 2007, 2008 et 2009 sont annulées au motif que les travailleurs fournissaient leurs services en tant qu’entrepreneurs indépendants.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2011.

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2011

 

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

Dossier : 2010-3071(CPP)

ENTRE :

JONATHAN KOWALCHUK,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

Appel entendu le 29 mars 2011 à Regina (Saskatchewan)

sur preuve commune avec l’appel de

Jonathan Kowalchuk, (2010-3070 (EI))

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Bryn Frape

__________________________________________________________________

JUGEMENT

Pour les motifs ci-joints, l’appel est accueilli et les cotisations établies par le ministre du Revenu national relativement aux cotisations au Régime de pensions du Canada pour les années 2008 et 2009 sont annulées au motif que les travailleurs fournissaient leurs services en tant qu’entrepreneurs indépendants.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2011.

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2011

 

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

Référence : 2011CCI265

Date : 20110518

Dossiers : 2010-3070(EI)

2010-3071(CPP)

ENTRE :

JONATHAN KOWALCHUK,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]              L’appelant, Jonathan Kowalchuk, interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national relativement à des primes payables en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada à l’égard de certains travailleurs qui ont fourni des services à son entreprise de béton en 2007, 2008 et 2009.

 

[2]              Au cours des années en question, l’appelant était un propriétaire unique qui s’occupait d’installer du béton tant à des fins résidentielles que commerciales. Les travailleurs l’aidaient à effectuer son travail, qui consistait notamment à préparer et à nettoyer les lieux de travail, à creuser des fossés, à ériger des coffrages, à attacher des barres d’armature et à niveler le béton coulé.

 

[3]              La position du ministre est que les travailleurs étaient engagés comme manœuvres-employés aux termes d’un contrat de louage de services.

 

[4]              L’appelant affirme au contraire que la plupart des travailleurs en question étaient des hommes de métier qu’il connaissait depuis longtemps, qu’ils exploitaient tous leur propre entreprise et qu’ils avaient convenu avec lui de lui offrir leurs services en tant qu’entrepreneurs indépendants lorsqu’ils étaient disponibles. Même s’ils n’ont pas consigné cette entente par écrit, il s’agissait, d’après le témoignage non contredit de l’appelant, de leur intention manifeste lorsqu’ils ont négocié les modalités d’exécution de leurs services et ont entrepris le travail.

 

[5]              Pour déterminer si les travailleurs étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants, la Cour doit s’inspirer des principes énoncés dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 4 C.T.C. 139 (C.S.C.) :

 

[…] La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire[1].

 

 

[6]              Plus récemment, la question de l’intention des parties a été ajoutée au nombre des facteurs à prendre en considération. Dans Royal Winnipeg Ballet c. Ministre du Revenu national, [2008] 1 C.T.C. 220, la Cour d’appel fédérale a examiné l’arrêt Wolf c. Canada, 2002 CAF 96, dans lequel le juge Décary reconnaissait les réalités du monde du travail moderne :

 

De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l’on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d’emploi, le peu d’égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité[2].

 

 

[7]              Souscrivant au résultat proposé, le juge Noël a, dans l’arrêt Wolf, apporté les nuances suivantes aux motifs exposés par le juge Décary :

 

[…] Je reconnais que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n’est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l’autre direction. Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

[…]

 

Ce n’est pas un cas où les parties qualifiaient leur relation d’une façon telle que cela leur procure un avantage fiscal. Aucune manœuvre frauduleuse ou aucun maquillage de quelque sorte n’est allégué. Il s’ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l’emporter à moins qu’elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu’elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu’elles se trouvaient dans une relation d’entrepreneur indépendant et qu’elles ont agi d’une façon conforme à cette relation, je n’estime pas que la juge de la Cour de l’impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente[3] […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[8]              Après avoir examiné de manière assez détaillée l’arrêt Wolf et la jurisprudence connexe, la juge Sharlow a poursuivi, dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, en résumant les principes émergents et leur application pour déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant :

 

[…] Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée[4]. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[9]              En l’espèce, comme l’appelant était la seule personne à témoigner, la détermination du statut des travailleurs dépend de la crédibilité de son témoignage. J’estime qu’il a présenté un témoignage clair, que j’ai trouvé, dans l’ensemble, convaincant. Je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les travailleurs rendaient leurs services en tant qu’entrepreneurs indépendants.

 

[10]         Avant de passer au critère traditionnel à quatre volets énoncé dans l’arrêt Sagaz, il importe de tenir compte du contexte dans lequel le travail a été exécuté. J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel les années 2007, 2008 et 2009 avaient été des années d’activité intense dans l’industrie de la construction en Saskatchewan et que, pour être en mesure de répondre aux exigences imposées par une industrie en plein essor, il était non seulement pratique, mais aussi nécessaire que l’appelant et les hommes du métier avec qui il travaille procèdent de la façon exposée au paragraphe 4. L’appelant a expliqué que même s’il avait habituellement travaillé seul au cours de périodes moins actives, dans les années visées par l’appel, il avait effectué la majeure partie de son travail pour un entrepreneur général engagé dans le cadre d’un grand projet commercial. Dans ces circonstances, il devait confier une partie de son travail à des sous-traitants.

 

[11]         Dans ce contexte, je n’ai aucune raison de mettre en doute le témoignage de l’appelant suivant lequel les travailleurs avaient l’intention d’offrir leurs services aux conditions qui leur convenaient. Comme l’appelant, ils exploitaient leur propre entreprise. Or, il s’est avéré que certains d’entre eux n’ont pas eu beaucoup de succès à cet égard ou ont exagéré leur engagement; je songe en particulier aux travailleurs Toms et Drever qui, avec le recul, semblent avoir décidé qu’il leur serait plus avantageux de devenir des employés. Tout cela ne change toutefois rien à l’intention qu’ils avaient, au moment où ils ont conclu leur entente avec l’appelant, de fournir leurs services à titre d’entrepreneurs indépendants. On ne peut pas qualifier non plus leur entente de « manœuvre frauduleuse » ou prétendre que les parties se sont « trompées sur la véritable nature de leur relation » comme le juge Noël l’évoquait dans l’arrêt Wolf. L’appelant a expliqué avec franchise qu’au cours des années précédentes, il avait rencontré des difficultés lorsqu’il avait engagé des ouvriers comme employés. À l’instar de beaucoup d’autres qui étaient aux prises avec des difficultés semblables, il a discuté de la situation avec des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada pour tenter de comprendre les exigences différentes applicables aux employés et aux entrepreneurs indépendants afin d’agir en conséquence. Ainsi qu’il ressort des diverses décisions et solutions proposées par les tribunaux, cette distinction axée sur les faits est difficile à comprendre même pour les tribunaux; elle l’est d’autant plus pour le propriétaire d’une petite entreprise dont les obligations quotidiennes l’empêchent de s’attarder longuement à ces questions.

 

[12]         J’accepte dans l’ensemble le témoignage de l’appelant suivant lequel au moment où ils ont accepté le travail, les travailleurs avaient l’intention de fournir leurs services comme entrepreneurs indépendants et que c’est ce qui avait été convenu. Chacun négociait son propre taux de rémunération – à l’heure, à taux fixe ou en fonction d’un pourcentage du prix total du marché –  selon le contrat régissant le projet et leur expérience personnelle. L’appelant les payait à la journée, à la semaine ou selon d’autres modalités mutuellement convenues. Tout en reconnaissant qu’il les payait en espèces pour leurs services, l’appelant a déclaré, dans son témoignage non contredit, qu’il avait obtenu des reçus pour ces paiements et qu’il avait remis des feuillets T-5 à chacun des travailleurs. Il incombait aux travailleurs de souscrire et de maintenir leur propre assurance d’indemnisation des accidents du travail et de payer l’impôt sur leurs gains, facteur qui explique pourquoi ils exigeaient un tarif plus élevé que ce que l’appelant avait payé par le passé à ses employés. Tous ces actes sont compatibles avec l’intention des parties que les travailleurs soient régis par un contrat d’entreprise.

 

[13]         Pour ce qui est donc des facteurs énoncés dans l’arrêt Sagaz, il ressort de la preuve que les travailleurs n’étaient pas sous le contrôle de l’appelant. Lorsqu’ils se présentaient au chantier pour travailler, l’appelant leur expliquait les exigences de l’entrepreneur général. Même si l’expérience, les aptitudes et l’enthousiasme variaient considérablement d’un travailleur à l’autre, tous travaillaient de façon autonome; ainsi, l’appelant a qualifié le travailleur McAllister de personne qui avait de l’initiative, connaissait le béton et travaillait rapidement et efficacement pour maximiser son temps afin de pouvoir se consacrer à d’autres projets.

 

[14]         L’appelant a admis qu’il fournissait l’outillage, qui consistait généralement en de petits outils tels que des truelles. Il louait aussi au besoin de l’équipement plus gros pour le chantier, comme des véhicules Bobcat. Ce facteur n’est pas particulièrement important compte tenu des conclusions tirées au sujet des autres volets du critère.

 

[15]         Quant aux possibilités de réaliser un profit et au risque de subir une perte, les travailleurs étaient libres d’accepter ou non un travail déterminé, de travailler pour d’autres et d’achever le travail rapidement pour être en mesure d’accepter d’autres projets. Ils pouvaient aussi engager des travailleurs de remplacement pour effectuer à leur place le travail qu’ils s’étaient engagés par contrat à faire pour l’appelant; le travailleur McLean, par exemple, a recouru aux services de deux travailleurs qui ont effectué le travail à sa place et il était chargé de les payer. Si les travailleurs n’effectuaient pas bien le travail, ils devaient apporter les correctifs nécessaires, et ce, malgré le fait que l’appelant a effectivement reconnu qu’il lui était arrivé une fois de devoir absorber la perte causée par le travail bâclé du travailleur Toms parce que celui‑ci avait disparu quand on a examiné le travail qu’il avait effectué. Malgré le fait que la marge était mince dans les deux cas, je suis convaincue que les travailleurs avaient une possibilité de réaliser un profit ou d’essuyer une perte dans ces conditions.

 

[16]         Enfin, pour ce qui est de l’intégration, l’avocate de l’intimé affirme que le témoignage de l’appelant suivant lequel il y avait trop de travail pour pouvoir tout faire seul démontre que les travailleurs étaient pleinement intégrés à son entreprise parce que leur présence était nécessaire à son bon fonctionnement. Je reconnais que le facteur de l’intégration est de loin celui qui est le plus difficile à appliquer, mais cet argument ne me convainc pas. On pourrait en dire autant de tout sous-traitant qui travaille dans le cadre d’un grand projet général : bien que leurs services soient essentiels pour permettre à l’entrepreneur général de mener les travaux à terme, ce fait, à lui seul, n’en fait pas pour autant des employés.

 

[17]         Pour les motifs qui ont été exposés, je suis convaincue que l’appelant s’est déchargé du fardeau qui lui incombait de réfuter les hypothèses du ministre. Il incombait ensuite à l’intimé de présenter des éléments de preuve pour étayer la prétention du ministre suivant laquelle les travailleurs étaient des employés : le témoignage des travailleurs aurait peut-être pu conduire à une conclusion différente. Mais, vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je suis convaincue que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants et que les cotisations du ministre devaient être annulées.

 

           Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2011.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de juillet 2011

 

Sandra de Azevedo, LL.B.


RÉFÉRENCE :                                  2011CCI265

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2010-3070(EI)

                                                          2010-3071(CPP)

 

INTITULÉ :                                       JONATHAN KOWALCHUK et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 29 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Bryn Frape

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                   

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Idem, aux paragraphes 47 et 48.

[2] Précité, au paragraphe 120.

[3] Précité, aux paragraphes 122 et 124.

[4] Précité, au paragraphe 60.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.