Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2007-1205(IT)I

ENTRE :

JAMES DUGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus avec les appels de

Wayne Sault (2007-1217(IT)I); Douglas Henhawk (2007-1831(IT)I);

Tina Jamieson (2006-3571(IT)I); Alana McDonald (2007-2222(IT)I);

Lynden Hill (2007-307(IT)I), les 22, 23, 24, 25 et 26 novembre 2010,

à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Scott Robertson

Me Paul C.R. Seaman

 

Avocates de l’intimée :

Me Lesley L’Heureux

Me Tamara Watters

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2006 sont rejetés, sans qu’aucuns dépens soient adjugés, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2011.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2011.

 

S. Tasset

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 269

Date : 20110524

Dossier : 2007-1205(IT)I

ENTRE :

JAMES DUGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2007-1217(IT)I

ET ENTRE :

WAYNE SAULT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2007-1831(IT)I

ET ENTRE :

DOUGLAS HENHAWK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2006-3571(IT)I

ET ENTRE :

TINA JAMIESON,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2007-2222(IT)I

ET ENTRE :

ALANA MCDONALD,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2007-307(IT)I

ET ENTRE :

LYNDEN HILL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     Les présents appels sont tous fondés sur l’allégation selon laquelle les nouvelles cotisations qui ont été établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1] se rapportaient à un revenu d’emploi qui était protégé contre l’imposition en vertu du paragraphe 87(1) et de l’article 81 de la Loi sur les Indiens[2]. L’article 81 de la Loi fait simplement mention de l’exonération d’impôt prévue au paragraphe 87(1), qui est libellé comme suit :

 

87(1) Biens exempts de taxation – Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

[2]   La question qui se pose dans chacun des appels est de savoir si le revenu d’emploi ainsi imposé est un bien meuble d’un Indien situé dans une réserve.

 

[3]   Les six appels ont été entendus à Toronto au cours de la semaine du 22 novembre 2010. Il n’y a pas eu de jonction formelle des instances, mais un recueil conjoint de documents qui renferme des renseignements au sujet des endroits où chacun des appelants fournissait ses services ainsi qu’un exposé conjoint des faits à l’égard d’un appelant, James Dugan, (l’« exposé des faits Dugan ») ont été déposés. De plus, un exposé conjoint des faits a été déposé à l’égard des employeurs de chacun des appelants, à savoir Native Leasing Services (« NLS ») et OI Employee Leasing Inc. (« OIEL ») (l’« exposé des faits NLS/OI »).

 

[4]   L’exposé des faits NLS/OI décrit le rôle et les activités des employeurs. Il a initialement été déposé devant la Cour dans l’appel de Roger Obonsawin[3]. Ce document descriptif comprend les conclusions qui ont été tirées à l’égard d’autres appels concernant NLS et OIEL[4]. Indépendamment de cette preuve commune, chacun des appels a été entendu séparément au cours de la semaine, sans qu’aucune argumentation soit présentée. L’argumentation concernant chaque appel a été entendue le dernier jour de la semaine, soit le vendredi 26 novembre 2010.

 

Historique

 

[5]     L’exposé des faits NLS/OI énonce entre autres choses ce qui suit : OIEL loue les services de ses employés à des commerces et à des entreprises non autochtones dont les programmes peuvent s’adresser à des Autochtones; NLS loue les services de ses employés à des organismes autochtones; NLS et OIEL paient les salaires des appelants depuis leur bureau, dans la réserve des Six nations de la rivière Grand (la « réserve des Six nations »), située près de Brantford (Ontario); NLS/OIEL ont également des bureaux à Toronto, où ces entreprises ont leurs comptes de banque; le revenu de NLS/OIEL provient des organismes qui louent les services de leurs employés, ce revenu servant à financer les salaires de ces employés et de leurs propres employés, dans la réserve des Six nations et ailleurs, ainsi que leurs frais d’exploitation et permet en outre à NLS/OIEL de réaliser un bénéfice; de plus, NLS/OIEL fournissent divers avantages particuliers à la réserve des Six nations.

 

[6]     Les employés de NLS/OIEL tels que les présents appelants allèguent que le revenu d’emploi qu’ils tirent de NLS/OIEL constitue un bien meuble d’un Indien situé dans une réserve.

 

[7]     Quatre appelants, Douglas Henhawk, Lynden Hill, Alana McDonald et Tina Jamieson étaient des employés de NLS dont les services étaient loués à Brantford Native Housing (« BNH »). James Dugan et Wayne Sault étaient des employés d’OIEL. J’examinerai en premier lieu la preuve qui s’applique à ces deux appelants et je parlerai ensuite du travail de BNH sous un titre distinct avant d’examiner la preuve des quatre appelants qui fournissaient leurs services à cet organisme. La preuve concernant BNH est tirée des témoignages combinés de ces quatre appelants, d’éléments figurant dans le recueil conjoint de documents et des nouveaux avis d’appel modifiés en ce qui concerne des questions apparemment acceptées par les parties comme preuve conjointe. Mon analyse et ma décision, fondées sur mes conclusions de fait et sur les décisions faisant autorité pertinentes, telles qu’elles s’appliquent à ces faits pour chaque appelant, suivront mon examen de la preuve. Telle est l’approche qui a été adoptée à l’audience, la preuve ayant été entendue dans tous les appels au cours des quatre premières journées et l’argumentation ayant été présentée le cinquième jour à l’égard de chaque appel.

 

James Dugan

 

[8]     M. Dugan est membre de la Première nation de la Thames, à Muncey, près de London (Ontario). M. Dugan est un Indien inscrit selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Il interjette appel de ses années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2006.

 

[9]     Il a au départ été reconnu que l’appel que M. Dugan avait interjeté à l’égard de son année d’imposition 2006 doit être rejeté parce que la Cour n’a pas la compétence voulue pour l’entendre. Aucun avis d’opposition n’avait été déposé dans le délai imparti et le délai prévu aux fins de la prorogation était également expiré. Par conséquent, le présent énoncé de la preuve concernant M. Dugan s’applique à ses années d’imposition 2002, 2003 et 2004.

 

[10]    Pendant la période pertinente, M. Dugan habitait à Toronto. Il n’a jamais résidé dans une réserve. Sa mère a été élevée dans la réserve et certains membres de sa famille vivent dans diverses réserves. M. Dugan ne visite pas régulièrement sa réserve, mais il vote à l’élection du chef de la bande.

 

[11]    Au cours de la période pertinente, M. Dugan travaillait pour Foster Printing and Digital Communications (« Foster »), qui offre des services d’impression sur commande au grand public, et notamment à plusieurs organismes des Premières nations[5]. M. Dugan fournit ses services chez Foster principalement à Toronto, mais il se rend parfois à Scarborough. M. Dugan n’a jamais fourni ses services dans une réserve.

 

[12]    M. Dugan était directeur d’une usine de production. Il était notamment chargé de superviser toutes les étapes d’impression et de finition, mais il s’occupait également des relations avec les clients, en mettant l’accent sur les premières nations[6].

 

[13]    Après avoir travaillé chez Foster pendant environ quatre ans, M. Dugan a demandé à Foster de retenir ses services à titre d’employé dont les services étaient loués. Il voulait devenir un employé d’OIEL et qu’OIEL conclue un contrat en vertu duquel ses services seraient loués à Foster.

 

[14]    Selon cette entente, M. Dugan était un employé d’OIEL et il était rémunéré par OIEL. OIEL avait des bureaux dans la réserve des Six nations, mais elle rémunérait M. Dugan à l’aide de comptes bancaires hors réserve.

 

[15]    Une fois ce changement effectué, M. Dugan a continué à rendre compte à Foster et à suivre les instructions de Foster. Le salaire de M. Dugan était fixé par Foster, même si cette dernière payait OIEL aux termes du contrat de louage de services.

 

[16]    La Couronne admet qu’étant donné qu’OIEL était située dans la réserve des Six nations, l’entente qui avait été conclue offrait certains avantages pour cette réserve.

 

Wayne Sault

 

[17]    M. Sault est membre de la Première nation des Mississaugas de New Credit. Il est un Indien inscrit selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Il interjette appel de ses années d’imposition 1999, 2001 et 2002.

 

[18]    Au cours des années visées par les appels, M. Sault habitait à Hagersville (Ontario), dans la réserve de New Credit. La réserve de New Credit est adjacente à la réserve des Six nations, qui est située juste au sud de Brantford (Ontario) [7]. M. Sault est né dans la réserve des Six nations, d’où vient sa mère. Le père de M. Sault venait de New Credit. M. Sault vit dans la réserve de New Credit depuis l’âge de six ans et il n’a jamais vécu hors réserve. Il a deux sœurs, dont l’une vit dans la réserve des Six nations, d’où vient son mari, alors que l’autre vit dans la réserve de New Credit. Deux frères vivent hors réserve et sa mère vit encore dans la réserve de New Credit, alors que son père est décédé. L’un des quatre enfants de M. Sault vit dans la réserve des Six nations, d’où vient sa mère.

 

[19]    M. Sault fournit ses services à Hamilton Sod, qui est une division de Greenhorizons Group of Farms Ltd. (« Greenhorizons »). Cette entreprise est formée de plusieurs divisions situées un peu partout dans le Centre et dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Il s’agit d’une entreprise commerciale qui s’occupe de la production et de la livraison de gazon. Ce n’est pas une entreprise que l’on pourrait qualifier d’autochtone et l’entreprise n’a aucun lien direct avec une réserve. L’entreprise est située à Mount Hope (Ontario), en dehors d’une réserve. OIEL a initialement embauché M. Sault pour qu’il travaille chez Hamilton Sod, en 1993, après que celui‑ci eut travaillé pendant un an à cet endroit à titre d’employé[8]. M. Sault a suivi l’exemple de son père et s’est joint à OIEL parce qu’il croyait comprendre que cela comportait des avantages fiscaux. M. Sault et son père étaient les seuls, chez Hamilton Sod, sur une quarantaine de travailleurs, qui fournissaient leurs services par l’entremise d’OIEL.

 

[20]    M. Sault exécutait ses tâches au lieu d’affaires de Hamilton Sod, à Mount Hope; il effectuait également des livraisons chez des clients hors réserve. La ville de Mount Hope est située au sud de Hamilton. M. Sault faisait chaque jour la navette pour son travail, ce qui lui prenait environ 25 minutes en voiture.

 

[21]    M. Sault était technicien en gazon, ou autrement dit manœuvre. Ses tâches consistaient notamment à s’occuper de l’entretien et de la récolte du gazon et à assurer régulièrement l’entretien des machines agricoles. De plus, il effectuait des livraisons.

 

[22]    Les paiements étaient effectués par dépôt direct dans le compte bancaire de M. Sault, dans la réserve.

 

[23]    L’appelant ne travaillait pas dans la réserve, mais l’intimée reconnaît que la présence d’OIEL dans la réserve des Six nations offrait certains avantages pour cette réserve.

 

BNH

 

[24]    Comme il en a été fait mention au début des présents motifs, quatre appelants, Douglas Henhawk, Lynden Hill, Alana McDonald et Tina Jamieson, étaient des employés de NLS dont les services étaient loués à BNH, qui est un organisme de bienfaisance à but non lucratif. Il est extrêmement important de comprendre le travail de cet organisme comme facteur possible de rapprochement dans l’analyse dont dépend l’issue des appels de chacun des appelants, en plus des autres facteurs applicables à chacun d’eux. Les renseignements qui suivent sont tirés du recueil conjoint de documents et des témoignages entendus lors de l’audition de ces appels. D’autres éléments de preuve dont il sera fait mention dans mon examen du témoignage de chacun des appelants viendront s’ajouter à ces renseignements :

 

·        Selon l’acte constitutif, BNH s’occupe de fournir des habitations à loyer modéré et d’exploiter des installations culturelles, éducatives et médicales ainsi que des centres de réadaptation à l’intention des familles et des personnes à faible revenu. Les objectifs organisationnels de BNH ne font pas de distinctions entre les clients, à moins qu’un programme ne l’exige expressément. BNH est un organisme de bienfaisance enregistré;

 

·        La réalité opérationnelle et l’objectif réel de BNH sont axés sur les Autochtones, compte tenu de l’itinérance attribuable à la migration résultant des problèmes de logement dans les réserves voisines. Il n’y a pas d’autres habitations à loyer modéré pour les Autochtones dans la région. De plus, les installations ordinaires ne sont pas adaptées sur le plan culturel et ne sont pas sensibles aux besoins distincts des Autochtones;

 

·        BNH offre des services spéciaux facilitant la transition vers un mode de vie urbain; l’organisme exploite notamment une maison de transition autochtone de 14 lits;

 

·        BNH n’est pas situé dans une réserve, mais se trouve à une brève distance de la réserve des Six nations[9];

 

·        En 2004 et en 2005, BNH comptait neuf employés. Quatre employés s’occupaient des services d’entretien, l’un travaillait comme gérant, une employée était réceptionniste, un autre employé agissait à titre d’administrateur et deux employés étaient conseillers aux locataires;

 

·        Les membres du conseil d’administration de BNH n’étaient pas tous des Autochtones;

 

·        BNH possède 140 logements, situés un peu partout à Brantford. Il y a également un centre administratif à deux étages, à Brantford[10];

 

·        Il n’est pas nécessaire que les locataires occupant un logement de BNH aient vécu dans une réserve ou retournent dans une réserve après avoir cessé d’occuper ce logement. Pour être admissibles, au moins la moitié des membres du ménage doivent être d’ascendance autochtone;

 

·        BNH offrait des programmes axés sur la culture autochtone à ses locataires autochtones;

 

·        La Société canadienne d’hypothèques et de logement (la « SCHL ») assurait le financement de BNH pour ses programmes de logement;

 

·        BNH agissait à titre de mandataire de la SCHL dans le cadre du Programme d’aide à la remise en état des logements (le « PAREL »), à Brantford et dans d’autres régions voisines. Le PAREL était un programme distinct du programme de logement mis en œuvre par BNH;

 

·        Malgré les objectifs organisationnels, les paramètres des programmes de la SCHL et les critères de financement, chacun des quatre appelants qui fournissaient leurs services à BNH par l’entremise de NLS a témoigné qu’en fait, pendant les périodes pertinentes, BNH servait en général de maison d’hébergement auxiliaire pour les Autochtones (Indiens inscrits) qui attendaient un logement dans la réserve des Six nations;

 

·        Selon les témoignages crédibles et uniformes de ces appelants, il y avait une pénurie sérieuse de logements dans la réserve des Six nations et il y avait donc de longues listes d’attente; il pouvait parfois s’écouler dix ans avant qu’un logement soit disponible dans la réserve. Même BNH avait une liste d’attente, notamment parce que la réserve débordait de monde et que l’on s’adressait à l’organisme en attendant de se loger dans la réserve.

 

Douglas Henhawk

 

[25]    M. Henhawk a vécu dans la réserve des Six nations toute sa vie. Il est membre du clan de la Tortue de la nation Mohawk. Ses sept frères et sœurs ainsi que leurs enfants résident tous dans la réserve des Six nations. L’un de ses deux enfants habite dans la réserve. Depuis trois générations, la famille vit sur un terrain de 16 acres qu’il possède dans la réserve. Il est un Indien inscrit selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Il interjette appel de ses années d’imposition 1995, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008.

 

[26]    M. Henhawk parle avec fierté de l’association de nations dont fait partie la réserve des Six nations, qu’il appelle une confédération. Il a commencé à travailler pour BNH vers l’année 1993; il était dès le départ un employé de NLS. Il a déclaré avoir présenté une demande à NLS pour travailler à BNH lorsque NLS avait affiché une offre d’emploi dans la réserve. Il voulait travailler pour BNH parce que l’organisme s’occupait des Autochtones. L’emploi lui a été offert par le directeur de BNH, Chel Niro, à la suite d’une entrevue. M. Henhawk a travaillé pour cet organisme pendant toute la période qui comprend les années visées par ses appels. Le bureau principal de BNH est situé à dix minutes en voiture de sa maison, située dans la réserve. M. Henhawk fait chaque jour la navette. Il estime que la ville de Brantford fait partie des terres de réserve[11].

 

[27]    Les tâches de M. Henhawk consistaient notamment à exécuter de petits travaux de plâtrage de murs et de plafonds; à préparer les surfaces à peindre et à appliquer de la façon appropriée de la peinture sur les surfaces intérieures et extérieures; à construire et à préparer les clôtures, les murs de séparation, les terrasses, les toits; à faire du nettoyage; à remplacer et à réparer les portes, les serrures, les fenêtres, les moustiquaires; à s’occuper de l’aménagement paysager; à remplacer les bardeaux; à installer les parements, les couvre-planchers et les tapis; à effectuer des réparations générales, et notamment à réparer la plomberie et les fondations.

 

[28]    M. Henhawk a relaté la façon dont BNH avait pris de l’essor, cet organisme étant au départ une simple installation résidentielle et étant devenu un centre offrant divers types de soutien communautaire, en fournissant notamment les services d’aides judiciaires, de travailleurs auprès des jeunes et de conseillers, et en assurant la liaison avec les Autochtones. Il y a des cercles d’hommes et de femmes qui discutent des problèmes et traditions et qui enseignent des activités traditionnelles. Différents Autochtones, des Indiens, venant de différentes régions et non simplement de la réserve des Six nations utilisent ces services. Toutefois, M. Henhawk a témoigné qu’au fil des ans, il avait connu un grand nombre de résidents, des membres de la famille et des amis, et que 75 à 80 p. 100 des locataires venaient de la réserve des Six nations[12]. Il a également dit que 80 p. 100 des Autochtones qui utilisaient les autres services offerts par BNH venaient de la réserve des Six nations.

 

[29]    M. Henhawk était rémunéré par NLS depuis le bureau situé dans la réserve des Six nations, soit par chèque au bureau de NLS, dans la réserve, soit par dépôt direct dans son compte bancaire, dans la réserve. Le paiement était effectué à partir de comptes bancaires de NLS hors réserve.

 

[30]    L’appelant était supervisé par BNH; il rendait compte au personnel de BNH sur une base quotidienne. Rien ne montre que NLS ait donné quelque formation que ce soit à M. Henhawk. C’était le directeur général de BNH qui préparait les évaluations du rendement de l’appelant. BNH fixait le salaire et les augmentations de salaire de l’appelant. M. Henhawk n’accomplissait aucune de ses tâches dans une réserve.

 

Lynden Hill

 

[31]    M. Hill est membre de la Première nation Upper Mohawk, à Ohsweken (Ontario), dans la réserve des Six nations. Il est né dans la réserve de Cape Croker, d’où vient sa mère. Son père vient de la réserve des Six nations. Il vit dans la réserve des Six nations depuis l’âge de douze ans. M. Hill a témoigné qu’il habitait dans la réserve des Six nations pendant la période visée par ses appels[13]. Ses parents vivent à cet endroit, ainsi que ses frères et sœurs, leurs enfants et ses cousins. Il est un Indien inscrit selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Il interjette appel de ses années d’imposition 1995, 1996, 1997, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006.

 

[32]    Il a au départ été reconnu que l’appel de M. Hill concernant son année d’imposition 2006 doit être rejeté parce que la Cour n’a pas la compétence voulue pour l’entendre. Aucun avis d’appel n’a été déposé dans le délai imparti et le délai prévu aux fins de la prorogation est également expiré. Par conséquent, le présent énoncé de la preuve soumise par M. Hill s’applique à l’égard des autres années d’imposition visées par les appels.

 

[33]    M. Hill fournissait des services d’entretien à BNH partout à Brantford (Ontario). Ses tâches consistaient à assurer l’entretien général des immeubles de BNH, qui étaient tous situés hors réserve. Ses tâches précises étaient les mêmes que celles dont il a ci‑dessus été fait mention dans le cas de M. Dugan. M. Hill fait chaque jour la navette en voiture pour son travail, ce qui lui prend une dizaine de minutes dans chaque sens.

 

[34]    M. Hill a présenté un témoignage semblable à celui de M. Dugan, à savoir que BNH offrait des programmes culturels, et il a fait remarquer que certains programmes spéciaux ou certaines activités spéciales étaient organisés dans d’autres centres, par exemple à la piscine locale.

 

[35]    M. Hill travaillait pour BNH avant d’être embauché par NLS en 1992 pour fournir ses services à BNH. Il croyait comprendre que par suite de la nouvelle entente, son revenu serait exonéré d’impôt. Il a témoigné que le fait de travailler pour NLS lui donnait également droit à des prestations de santé et d’assurance. Il est le seul appelant qui a déclaré avoir eu droit à de tels avantages et, lors de son contre-interrogatoire, il a quelque peu hésité. J’estime que son témoignage sur ce point n’est pas très fiable. La preuve qu’il a soumise au sujet de la nature des activités de BNH était également probablement la moins fiable, même si elle corroborait en général la preuve présentée par les autres appelants qui travaillaient pour cet organisme.

 

[36]    M. Hill ne prétendait pas savoir si tous les locataires, à BNH, étaient des Indiens, mais il a affirmé qu’ils semblaient être autochtones. Sa tante et la famille de sa tante vivaient à cet endroit parce qu’elles avaient besoin d’un logement subventionné, pour lequel la période d’attente était de 20 ans dans la réserve. Les gens dont le nom figurait sur la liste d’attente de BNH attendaient peut-être de 18 mois à deux ans seulement[14].

 

[37]    M. Hill était rémunéré par NLS par dépôt direct dans un compte bancaire établi dans la réserve. Le paiement était effectué à partir de comptes bancaires de NLS situés hors réserve.

 

[38]    Rien ne montre que NLS ait assuré quelque formation que ce soit à M. Hill. L’appelant rendait compte à BNH sur une base quotidienne et son évaluation du rendement était préparée par le directeur général de BNH. C’était BNH qui fixait son salaire et les augmentations de salaire. M. Hill n’effectuait pas de travail dans une réserve.

 

Alana McDonald 

 

[39]    Mme McDonald est membre de la Première nation Cayuga, à Ohsweken (Ontario). C’est l’une des premières nations qui font partie de la réserve des Six nations. Mme McDonald est une Indienne inscrite selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Elle interjette appel de ses années d’imposition 2002, 2003 et 2004. Au cours des années visées par ses appels, l’appelante habitait avec son mari à Brantford (Ontario), et non dans une réserve[15]. Le mari de l’appelante n’est pas un Indien inscrit; les enfants de l’appelante sont des Indiens inscrits.

 

[40]    Mme McDonald est née et a été élevée dans l’État de New York, où elle a terminé sa douzième année. En 1995, sa famille s’est installée dans la réserve des Six nations. Mme McDonald y a vécu pendant deux ans. Elle a de nouveau fait sa douzième année; elle a suivi plusieurs cours à l’université Wilfrid Laurier et a obtenu un certificat de gestion de l’université McMaster. Ses parents ainsi que ses frères et sœurs ne vivent pas dans une réserve, mais certains cousins éloignés y résident.

 

[41]    Depuis cinq ans, Mme McDonald est directrice des services résidentiels, dans la réserve des Six nations; en cette qualité, elle passe énormément de temps dans la réserve. Auparavant, elle s’y rendait pour des événements.

 

[42]    Au cours des années ici en cause, Mme McDonald était une employée de NLS qui travaillait à BNH. Elle a pris connaissance de la possibilité d’emploi dans une annonce d’offre d’emploi parue dans le Teka, le journal local des Six nations. Elle a présenté sa candidature et a eu une entrevue avec le directeur de BNH, M. Niro. Elle s’est vu offrir un emploi en vertu d’un contrat conclu avec NLS. Elle croyait comprendre qu’elle n’avait pas le choix et que cela était fait ainsi pour des raisons fiscales. Elle était rémunérée par dépôt direct dans son compte bancaire, à Brantford.

 

[43]    Mme McDonald accomplissait ses tâches au bureau de BNH ou dans des unités d’habitation appartenant à BNH, lesquelles étaient toutes situées hors réserve, à Brantford. Elle a décrit le poste qu’elle occupait initialement comme étant celui de conseillère adjointe aux locataires.

 

[44]    Le contrat que Mme McDonald a conclu avec NLS stipule les services que celle‑ci doit fournir à BNH : agir comme réceptionniste et fournir des services de secrétariat et d’administration; fournir des services de perception des loyers, au bureau de BNH; tenir la base de données se rapportant aux locataires existants et éventuels, aux logements et aux revenus de location; aider à la vérification du revenu et à l’examen de la composition des familles; aider au renouvellement des baux; communiquer les problèmes d’entretien qui se rapportent aux locataires et à leurs logements; aider aux expulsions, à la perception des arriérés et du loyer et à la préparation de comptes rendus.

 

[45]    Mme McDonald a témoigné avoir par la suite occupé un poste différent pendant un certain temps à titre d’administratrice du PAREL. Elle a témoigné que le PAREL est un programme hors réserve visant à aider les propriétaires à faible revenu à réparer et à entretenir leurs maisons. Les clients du PAREL n’ont pas à être d’ascendance autochtone; de fait, Mme McDonald a déclaré qu’il y en avait fort peu qui l’étaient.

 

[46]    Mme McDonald est par la suite devenue conseillère aux locataires. Elle était en contact avec les locataires lorsqu’elle faisait des visites à domicile et elle connaissait les gens dont le nom figurait sur la liste d’attente. Elle a témoigné que 80 p. 100 des locataires venaient de la réserve des Six nations. Lors du contre-interrogatoire, elle a reconnu la présence d’Indiens non inscrits tels que des Inuits et des Métis, mais elle n’a pas changé son témoignage quant au pourcentage élevé de locataires venant de la réserve des Six nations. Elle avait une bonne connaissance pratique des listes d’attente pour les logements d’une à quatre chambres à coucher. La liste la plus longue était celle se rapportant aux logements d’une chambre à coucher, étant donné qu’il y avait moins de logements de ce genre. La période d’attente était de deux à cinq ans. Mme McDonald a reconnu que les locataires n’avaient pas tous à produire leur carte de statut, à moins qu’il ne se pose un problème, probablement lié à leur statut.

 

[47]    Mme McDonald a reconnu qu’il existait un problème d’itinérance dans la réserve des Six nations et à Brantford. Il n’y avait pas suffisamment d’habitations sûres à loyer modéré pour les Autochtones, qui dormaient ici et là, dans les maisons de membres de la famille et chez des amis, ou qui vivaient dans la rue. Le cas des gens qui s’adressaient à BNH était traité comme un cas temporaire, en ce sens qu’on encourageait les gens à déménager, à faire place aux autres personnes qui avaient besoin d’un logement. Certains retournaient à la réserve, mais ils n’étaient pas obligés de le faire, alors que d’autres suivaient des voies différentes.

 

[48]    Mme McDonald a également confirmé la création de programmes sociaux lorsqu’elle travaillait à BNH.

 

[49]    Mme McDonald était rémunérée par NLS depuis le bureau situé dans la réserve des Six nations, mais le paiement était effectué à partir de comptes bancaires de NLS hors réserve.  

 

[50]    Rien ne montre que NLS ait donné quelque formation que ce soit à Mme McDonald. L’appelante rendait compte à BNH sur une base quotidienne et le directeur général de BNH préparait ses évaluations du rendement. BNH fixait le salaire et les augmentations de salaire de Mme McDonald. Aucune des tâches de Mme McDonald n’était accomplie dans une réserve.

 

Tina Jamieson

 

[51]    Mme Jamieson est membre de la Première nation Upper Mohawk, à Ohsweken (Ontario), dans la réserve des Six nations. Elle est une Indienne inscrite selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens. Elle interjette appel de ses années d’imposition 2003, 2004 et 2005. Elle résidait dans la réserve des Six nations pendant la période pertinente. Elle n’a jamais vécu hors réserve et presque tous les membres de sa famille vivent dans la réserve. Elle a quitté BNH en 2005 pour aller travailler dans le cabinet d’un médecin, dans la réserve. Elle avait effectué une année d’études en sciences infirmières à l’université McMaster. 

 

[52]    Au cours des années en question, Mme Jamieson était une employée de NLS qui travaillait à BNH. Elle a appris qu’il y avait une possibilité d’emploi au moyen d’une offre d’emploi qui avait été publiée dans le Teka, le journal local des Six nations. Elle s’est portée candidate et elle a eu une entrevue avec le directeur de BNH, M. Niro. Elle s’est vu offrir un emploi en vertu d’un contrat conclu avec NLS. Elle croyait comprendre que cela était fait pour des raisons fiscales. Elle faisait la navette entre sa maison, dans la réserve, et son lieu de travail, ce qui lui prenait sept minutes en été et 15 minutes en hiver. Elle était rémunérée par dépôt direct dans son compte bancaire, dans la réserve.

 

[53]    Mme Jamieson accomplissait ses tâches dans le bureau de BNH, à Brantford. Elle a déclaré que ses tâches consistaient à agir comme réceptionniste, et elle s’occupait dans une certaine mesure du PAREL. Selon le contrat qu’elle avait conclu avec NLS, ses tâches étaient notamment les suivantes : assurer la mise en œuvre du PAREL; accueillir le grand public; fournir des services de perception du loyer; tenir la base de données se rapportant aux locataires existants et éventuels, aux logements et au revenu de location; aider à la vérification du revenu et à l’examen de la composition des familles; aider au renouvellement des baux; communiquer les problèmes d’entretien se rapportant aux locataires et à leurs logements et aider aux expulsions, à la perception des arriérés et du loyer et à la préparation de comptes rendus.

 

[54]    Mme Jamieson a témoigné que BNH aidait les Autochtones vivant hors réserve qui avaient besoin d’un logement ou les personnes qui ne pouvaient pas trouver de logement dans la réserve. Elle a déclaré que la période d’attente était de deux à trois ans. La plupart des locataires venaient de la réserve des Six nations et 80 p. 100 en tout étaient membres d’une première nation. Mme Jamieson a déclaré que 88 p. 100 des gens étaient des Indiens inscrits. Elle a déclaré qu’il y avait des habitations à loyer modéré dans la réserve des Six nations; à son avis, les gens préféraient rester là, mais ils s’adressaient à BNH parce qu’ils ne trouvaient pas de logement dans la réserve. Mme Jamieson a déclaré que certaines personnes restaient finalement à Brantford, peut-être 2 p. 100 des gens. Elle a déclaré que ces locataires ne voulaient pas adopter le mode de vie urbain. Leur vie était axée sur la réserve. Il importe de noter que, bien qu’elles aient été fondées sur le travail que Mme Jamieson effectuait et sur les interactions qu’elle avait dans son travail à BNH ainsi que sur le fait que Mme Jamieson avait toujours vécu dans la réserve, ces observations étaient néanmoins de la nature de renseignements anecdotiques, sans aucune preuve documentaire à l’appui.

 

[55]    Mme Jamieson a également témoigné au sujet des événements sociaux et culturels qui étaient organisés, ainsi qu’au sujet du counseling qui était offert. Les clients auxquels le counseling était fourni venaient principalement des Six nations. 

 

[56]    Le travail que Mme Jamieson effectuait dans le cadre du PAREL prenait peut-être environ la moitié de son temps, mais lorsqu’on lui a demandé s’il lui prenait peut-être plus de temps, Mme Jamieson a répondu par la négative étant donné qu’elle s’occupait chaque jour des locataires de BNH. Quant au travail accompli dans le cadre du PAREL, Mme Jamieson a dit qu’elle administrait ce programme pour de petites villes du Sud de l’Ontario. Ses tâches, à l’égard du PAREL, ne se rattachaient aucunement à une réserve. Toutefois, Mme Jamieson a témoigné que BNH touchait des frais pour l’administration du programme. C’était une source de financement pour BNH.

 

[57]    Malgré le temps admis qui était consacré au PAREL, l’intimée elle-même reconnaît, dans l’exposé des faits qu’elle a présenté dans ses observations, que les tâches accomplies par Mme Jamieson semblaient se rattacher principalement aux logements fournis par BNH. Néanmoins, je reconnais que les fonctions que Mme Jamieson exerçait auprès de BNH étaient étroitement liées à l’administration de logements temporaires à l’intention d’Autochtones, dont la plupart venaient de la réserve des Six nations.

 

[58]    Mme Jamieson était rémunérée par NLS depuis le bureau situé dans la réserve des Six nations, mais le paiement était effectué à partir de comptes bancaires de NLS hors réserve.

 

[59]    Rien ne montre que NLS ait donné quelque formation que ce soit à Mme Jamieson. Mme Jamieson rendait compte à BNH sur une base quotidienne et le directeur général de BNH préparait ses évaluations du rendement. BNH fixait son salaire et ses augmentations de salaire.

 

Arguments des appelants

 

[60]    Les appelants invoquent la décision rendue dans l’affaire McDiarmid Lumber Ltd. c. Première nation de God’s Lake[16], où la Cour suprême du Canada a dit, affirment-ils, que le critère qu’il convient d’appliquer est celui de l’emplacement du débiteur. Les appelants soutiennent ensuite que cet arrêt écarte implicitement les décisions dans lesquelles est adoptée l’approche fondée sur les facteurs de rattachement, aux fins de la détermination de la question de savoir si le revenu d’emploi est situé dans une réserve pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[61]    Les appelants affirment que l’intimée a décrit d’une façon erronée BNH comme fournissant des services de logement aux « Autochtones urbains ». Il est en outre soutenu qu’il faut faire une distinction à l’égard de l’arrêt Shilling c. Canada[17] puisque l’appelante, dans ce cas‑là, travaillait dans un centre de santé et que sa propre bande n’en tirait aucun avantage direct. La plupart des clients du centre n’étaient pas membres de la bande de l’appelante.

 

[62]    À défaut d’accepter l’arrêt God’s Lake, on me demande avec instance, en fait, d’accueillir les appels, du moins ceux des travailleurs qui travaillaient auprès de BNH, pour le motif que leur travail avait pour effet de rattacher leur revenu à la réserve des Six nations, avec laquelle ces travailleurs avaient tous des liens pertinents et importants.

 

[63]    L’avocat des appelants a insisté sur l’importance de la preuve montrant que les appelants entretenaient tous des liens étroits avec leurs communautés autochtones.

 

[64]    Deux appelantes ont indiqué qu’elles avaient trouvé leur emploi auprès de BNH au moyen d’offres d’emploi qui étaient parues dans le journal local des Six nations et qu’elles comptaient sur NLS pour leur trouver un emploi, indépendamment des avantages fiscaux. Les appelants qui habitaient dans la réserve ou près de la réserve avaient des liens importants avec les Six nations et ils étaient parfaitement au courant de la présence de NLS en sa qualité d’employeur situé dans la réserve qui était en mesure de leur trouver un emploi.

 

[65]    L’avocat des appelants fait valoir qu’en décidant de travailler pour NLS, les appelants étaient des Indiens qui faisaient un choix au sujet de l’endroit où étaient situés leurs biens meubles, et qu’ils les situaient dans la réserve. L’avocat a fait remarquer que dans l’arrêt Williams c. Canada[18], la Cour suprême du Canada avait dit, au paragraphe 18, que les Indiens étaient libres de faire ce choix et que, lorsqu’ils choisissaient de conserver leurs biens dans la réserve, ces biens étaient protégés contre l’imposition.

 

[66]    En soutenant que les appelants avaient fait ce choix, l’avocat des appelants a invoqué l’arrêt God’s Lake.

 

[67]    L’avocat des appelants cite des décisions faisant autorité à l’appui de la thèse selon laquelle l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens est vague et exige des précisions. Il fait remarquer que les appelants ont procédé à une autocotisation en toute bonne foi et que le manque de précisions, en ce qui concerne l’application de l’exonération d’impôt et toutes les diverses circonstances factuelles, leur ont causé des difficultés. Ainsi, M. Henhawk fait face à douze années d’imposition, plus les intérêts composés. Le fait que l’interprétation de la façon dont la loi s’applique et de la façon dont elle est administrée a évolué avec le temps a aggravé de beaucoup le problème auquel font face les Autochtones. Les personnes qui procèdent à une autocotisation et qui interprètent d’une façon raisonnable et honnête leur obligation fiscale ne devraient pas se voir infliger le risque d’une ruine financière.

 

[68]    L’avocat des appelants cite également des décisions faisant autorité dans lesquelles les tribunaux ont mis l’accent sur le fait que les contribuables ont le droit d’organiser leurs affaires dans le seul but de se mettre dans une situation qui leur est favorable. Il signale que même lorsque des causes telles que l’affaire Shilling ont été entendues, les appelants et les personnes dans la même situation qu’eux ne pouvaient pas arriver à savoir quelle était leur situation. Ainsi, dans l’affaire Shilling, la nature des tâches n’offrait aucun avantage pour les membres des Premières nations qui résidaient dans une réserve. Dans les lettres échangées avec les plaideurs existants ou éventuels, l’Agence du revenu du Canada ne donnait pas à entendre qu’un problème se poserait si leur travail profitait à des personnes résidant dans une réserve.

 

[69]    L’avocat des appelants affirme qu’en tenant compte de la nature de l’emploi, il faut prendre en considération les circonstances environnantes en vue de savoir quel est le lien qui existe, le cas échéant, entre un emploi hors réserve et la réserve, comme on l’a fait dans l’arrêt Folster[19]. L’arrêt Shilling est nettement différent de l’arrêt Folster. En effet, dans l’affaire Shilling, compte tenu de l’exposé conjoint des faits, l’appelante ne pouvait pas prouver que ce qu’elle faisait se rapportait expressément à sa propre communauté ou aux membres d’une première nation habitant dans une réserve. Il a été conclu que les circonstances environnantes menaient à la conclusion selon laquelle les services de l’appelante étaient fournis au profit d’Autochtones hors réserve, à Toronto. Dans l’affaire Folster, un hôpital hors réserve profitait à des patients qui vivaient en général dans la réserve, ce qui a été jugé un lien suffisant pour protéger de l’imposition le revenu d’emploi gagné à cet endroit. Si la distinction entre les affaires Folster et Shilling est reconnue, les travailleurs, à BNH, auraient un lien suffisant avec la réserve pour que leur revenu d’emploi soit protégé en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, étant donné que dans les appels ici en cause, les personnes qui bénéficient des efforts d’aide sociale des travailleurs, à BNH, sont des personnes qui vivent dans la réserve des Six nations, mais qui ne peuvent pas y trouver de logement.

 

[70]    L’avocat des appelants a déclaré qu’il connaissait bien la décision Horn et Williams[20], étant donné qu’il avait travaillé à cette cause. Il a souligné les distinctions qui existent entre cette affaire‑là et les présents appels. Mme Horn travaillait dans un centre d’amitié qui offrait des services aux Autochtones de passage et à ceux qui vivaient et travaillaient à Ottawa. Il est soutenu que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Horn et Williams, le marché cible de BNH était composé d’Autochtones venant de la réserve des Six nations qui étaient uniquement en dehors de la réserve sur une base temporaire en attendant de trouver un logement dans la réserve. Les dépositions des témoins montrent clairement qu’il y a une pénurie de logements dans la réserve des Six nations. Il faut attendre dix ans pour y trouver une habitation. La période d’attente, à BNH, est de trois à cinq ans. Il est soutenu que le droit de se loger dans sa propre réserve constitue un aspect essentiel de la vie dans une réserve. Deux pour cent seulement des locataires, à BNH, quittaient leur logement pour aller vivre ailleurs en dehors de la réserve.

 

[71]    Quant à l’affaire Horn et Williams, l’avocat des appelants reconnaît qu’il existe certaines ressemblances avec les présents appels. Toutefois, il a été soutenu que la conclusion cruciale dans cette affaire‑là était que rien ne montrait quel était le pourcentage d’usagers de l’établissement qui vivaient dans une réserve ou qui vivaient hors réserve. Selon les statistiques, 38 femmes sur 100 seulement, au refuge, étaient des Autochtones. Dans les présents appels, la preuve indique que jusqu’à 90 p. 100 des personnes aidées venaient de la réserve.

 

[72]    L’avocat des appelants a également fait remarquer qu’il y avait une autre cause type, en plus des affaires Shilling et Horn et Williams, qui n’avait jamais fait l’objet d’une instruction. Ce jugement non publié, l’affaire Clark, avait été rendu sur consentement. L’avocat des appelants a déclaré que c’était parce que la Couronne avait reconnu que 80 p. 100 du travail effectué par l’organisme de service était effectué dans la réserve.

 

[73]    L’avocat des appelants fait valoir qu’en plus de servir les résidents de la réserve des Six nations qui ne peuvent pas trouver de logement dans la réserve, BNH est lui-même un organisme autochtone à but non lucratif puisque quatre des cinq membres du conseil d’administration sont des Autochtones et que deux de ces Autochtones venaient de la réserve.

 

[74]    L’avocat des appelants cite également l’arrêt Nowegijick c. R.[21], dans lequel la Cour suprême du Canada a reconnu que les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exonération d’impôt, il faut préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l’exonération. Le juge en chef Dickson, de la Cour suprême du Canada, a fait des remarques similaires dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis[22].

 

[75]    L’avocat des appelants préconise une application du critère des facteurs de rattachement qui respecte le choix de ne pas être assimilé, comme on l’a laissé entendre dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts)[23].

 

[76]    Selon une approche contemporaine de l’interprétation de la Loi sur les Indiens, il faudrait appliquer les facteurs de rattachement d’une façon qui n’entraîne pas l’assimilation, mais qui vise plutôt à concilier les choses sans qu’il soit renoncé à l’identité autochtone. L’avocat des appelants a mis l’accent sur la preuve que j’avais entendue pendant toute la semaine, indiquant que les appelants étaient fiers de leur patrimoine et qu’ils voulaient absolument maintenir leur identité indienne ainsi que l’histoire et la culture de leur première nation.

 

[77]    L’avocat des appelants soutient avec véhémence qu’il existe un danger intrinsèque d’appliquer l’article 87 d’une façon qui fait renaître les notions d’assimilation et d’émancipation. Le fait de ne pas protéger des biens obtenus par suite d’activités qui font partie du « marché » nous amène à nous demander si certaines activités ne peuvent être exercées qu’au risque que l’intéressé soit réputé être assimilé à la société non autochtone. Dans quelles circonstances l’exercice d’une activité particulière veut‑il dire qu’une personne cesse de détenir des biens à titre d’Indien, de sorte qu’elle renonce à des droits qui lui sont reconnus en sa qualité d’Indien? Cela contredit‑il le principe voulant que les Indiens puissent à leur gré décider où situer leurs biens meubles? L’avocat des appelants cite l’arrêt Bell c. Canada[24], dans lequel le juge Létoumeau, au paragraphe 36, dit que la nature de l’emploi et les circonstances y afférentes sont les considérations qui indiquent le mieux que les biens meubles en question font partie du « marché ». En l’espèce, les circonstances donnent à entendre que les activités sont effectivement limitées à des services qui ne font pas partie du « marché ».

 

[78]    L’avocat des appelants a également soutenu que NLS était un employeur important, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Bell. NLS était un véritable employeur situé dans une réserve. Les Autochtones cherchent un emploi par l’entremise de NLS et signalent ainsi leur intention de prendre des mesures afin de détenir leurs biens dans la réserve à titre d’Indiens.

 

[79]    L’avocat des appelants a mis l’accent sur les facteurs de rattachement pour indiquer ce à quoi il faut accorder le plus de poids : la nature, l’emplacement et les circonstances environnantes du travail accompli par l’employé, et notamment la nature de tout avantage qu’en tire la réserve. Ces facteurs, ainsi que l’endroit où l’employeur est situé et le lieu de résidence des employés, permettent de conclure dans ce cas‑ci que les facteurs de rattachement militent en faveur d’une exonération en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens dans le cas des appelants qui travaillaient à BNH.

 

[80]    Il est soutenu que l’ avantage tiré par la réserve ne découlait pas simplement de la fourniture de logements temporaires. Selon la preuve, BNH fournissait un enseignement traditionnel propre au peuple des Six nations, par exemple, dans le domaine de la danse et de la musique. Des cercles d’hommes et des festins traditionnels étaient organisés par BNH. Des services de counseling étaient offerts par BNH. Cet organisme ne constituait pas un point de départ vers le mode de vie urbain; il fournissait des logements dans un environnement se rapprochant de la réserve sur le plan culturel à des gens qui, autrement, iraient d’une maison à l’autre dans la réserve.

 

[81]    L’avocat des appelants a également parlé des distinctions géographiques minimes existant dans la région. Il s’agit d’une communauté dynamique dans laquelle les gens vont et viennent sans rompre les relations familiales. L’avocat s’est reporté à l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[25], dans lequel la cour, en parlant du droit de vote, a signalé la pertinence du maintien de liens avec la bande dont les personnes en cause étaient membres lorsque celles‑ci vivaient en dehors de leur réserve pour des raisons indépendantes de leur volonté.

 

[82]    Tout en admettant la preuve selon laquelle BNH offrait un vaste éventail de services, comme des maisons de transition, plutôt que des logements temporaires, et que l’organisme recevait du financement qui devait être affecté au profit d’une communauté plus étendue que la réserve des Six nations, l’avocat des appelants a encore une fois affirmé que les objectifs discrédités d’assimilation et d’émancipation de la Loi sur les Indiens reverraient le jour si un Indien perdait des droits qui lui sont reconnus par cette loi pour la simple raison qu’il travaille en dehors des limites d’une réserve pour une entreprise qui pourrait uniquement survivre, sur le plan économique, en faisant partie de la collectivité en général.

 

Les arguments de l’intimée

 

[83]    En examinant l’historique de ce qui est maintenant connu sous le nom des appels de Native Leasing Services, l’intimée reconnaît que le modèle d’entreprise de NLS (le louage de services d’employés qui sont des Indiens inscrits) était organisé de manière à assurer, en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, une exonération d’impôt aux employés dont les services étaient loués. Il est reconnu qu’avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’affaire Williams, le 16 avril 1992, les employés de NLS avaient droit à l’exonération. Dans l’arrêt Williams, la cour a établi l’analyse des facteurs de rattachement comme critère à appliquer pour déterminer le situs d’un bien meuble incorporel aux fins de l’exonération prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. La Cour d’appel fédérale a par la suite appliqué de façon constante, dans un certain nombre de décisions, le critère des facteurs de rattachement préconisé dans l’arrêt Williams[26]. Le premier appel de NLS entendu par la Cour d’appel fédérale, après qu’une décision eut été rendue dans l’affaire Williams, a été tranché au mois de juin 2001[27]. Deux autres appels concernant des employées de NLS, Horn et Williams, ont été entendus par la Cour d’appel fédérale.

 

[84]    Un certain nombre d’autres appels ont été entendus par la présente cour, et aucun d’eux n’a été accueilli[28]. En effet, le modèle structurel de NLS/OIEL, à savoir le louage des services d’Indiens inscrits à des entreprises exerçant leurs activités en dehors d’une réserve, n’a pas été jugé utile, selon le critère des facteurs de rattachement établi dans l’arrêt Williams.

 

[85]    Il est soutenu que depuis l’arrêt Williams, la présente cour et la Cour d’appel fédérale ont toujours conclu que le critère des facteurs de rattachement est celui qu’il convient d’appliquer pour décider si le bien meuble qu’est un revenu d’emploi est situé dans une réserve pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[86]    Les appelants invoquent la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire God’s Lake, laquelle, affirment-ils, énonce le critère qu’il convient d’appliquer pour décider de l’emplacement de leur revenu d’emploi, à savoir l’emplacement du débiteur.

 

[87]    L’intimée fait valoir que dans l’affaire God’s Lake, il s’agissait de savoir si les fonds qui étaient dans un compte bancaire étaient exemptés d’une saisie en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens. Il est vrai que la cour a tranché la question en s’arrêtant uniquement à l’emplacement du débiteur, mais il est soutenu que cette décision ne constituait pas une invitation à réexaminer le critère bien établi des facteurs de rattachement à appliquer afin de décider de l’emplacement de biens à des fins fiscales.

 

[88]    Il est soutenu que dans l’arrêt Williams, la Cour suprême du Canada a rejeté l’idée selon laquelle la résidence du débiteur détermine le situs des biens meubles incorporels pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Le critère des facteurs de rattachement est énoncé aux paragraphes 37 et 38 de cette décision. Le juge Gonthier a donné une description plus détaillée de l’approche à adopter, au paragraphe 61 :

 

Pour déterminer le situs d’un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l’autre. Dans le contexte de l’exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants : l’objet de l’exemption, la nature du bien en question et l’incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l’objet de l’exemption, il s’agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d’imposer d’une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d’un Indien à titre d’Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

 

[89]    Les arguments de l’intimée renforcent énormément la position prise par celle‑ci lorsqu’elle affirme que le critère qu’il convient d’appliquer est celui des facteurs de rattachement; il n’est toutefois pas nécessaire d’énoncer ces arguments bien fondés. Le critère des facteurs de rattachement a sans aucun doute été appliqué à l’unanimité par la présente cour et par la Cour d’appel fédérale depuis que le jugement a été rendu dans l’affaire Williams dans le contexte de l’exonération prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. De plus, l’intimée fait valoir que la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont fait une mise en garde contre une description trop générale de l’objet des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens et ont toujours rejeté l’argument selon lequel il faut accorder une portée étendue à l’article 87[29].

 

[90]    L’intimée invoque également l’arrêt Monias c. Canada[30], dans lequel il est dit ce qui suit, au paragraphe 29 :

 

[29] Par conséquent, la déclaration du juge Gonthier dans l’arrêt Williams, précité, à la page 887, que le critère du situs à l’article 87 a pour objet de déterminer si l’Indien détient les biens en question « en vertu des droits qu’il possède à titre d’Indien sur la réserve » semblerait s’appliquer plus aux terres de la réserve qu’aux biens personnels, comme le revenu d’emploi, qui sont la propriété personnelle de chaque Indien.

 

[91]    L’intimée invoque certaines décisions faisant autorité dans lesquelles il a été conclu que le fait qu’une personne travaille hors réserve est un facteur qui tend à rattacher son revenu d’emploi à un autre endroit que la réserve[31]. Dans l’arrêt Folster, il a été reconnu que l’emploi hors réserve donnait lieu à un revenu d’emploi situé dans la réserve pour le motif que le travail, dans un hôpital, avait toujours par le passé été accompli dans la réserve dans un hôpital situé dans la réserve. Ce lien historique était pertinent lorsqu’il s’agissait de conclure que le revenu d’emploi gagné dans un hôpital situé à proximité de la réserve était un bien meuble qui était suffisamment rattaché à la réserve pour bénéficier de la protection prévue à l’article 87. Dans cette affaire‑là, l’hôpital fournissait des services de soins de santé principalement aux résidents de la réserve. Cette affaire‑là, ainsi que d’autres dans lesquelles il a été conclu qu’un revenu d’emploi hors réserve était exonéré d’impôt en vertu de l’article 87, est nettement différente de la situation des appelants, dans ce cas‑ci, lesquels, comme Mmes Shilling, Horn et Williams ainsi que d’autres anciens employés de NLS, fournissaient leurs services hors réserve sans qu’il existe quelque facteur militant en faveur du type de rattachement à une réserve qui permettrait d’invoquer l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[92]    Quant à la nature du travail, l’intimée fait valoir que le simple fait que la nature de l’emploi consiste à fournir à des Indiens des services sociaux à but non lucratif ne permet pas pour autant de rattacher cet emploi à une réserve indienne particulière[32].

 

[93]    Quant à l’emplacement de l’employeur et à l’avantage pour la réserve, l’intimée dit que la Cour d’appel fédérale a toujours conclu que le lieu du travail, la nature du travail et les circonstances relatives à l’emploi doivent en général se voir accorder plus de poids que l’emplacement de l’employeur et l’avantage pour la réserve. L’intimée fait valoir que cet aspect des présents appels a été examiné dans les arrêts Shilling et Horn et Williams et que l’emplacement des bureaux administratifs de NLS dans la réserve des Six nations n’était pas un facteur de rattachement auquel il faut accorder beaucoup de poids. Quoi qu’il en soit, il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’établir quel était l’avantage pour la réserve.

 

[94]    L’intimée invoque l’arrêt Akiwenzie c. Canada[33]. La Cour d’appel fédérale a clairement dit, au paragraphe 10, que même si les fonctions exercées étaient avantageuses pour les réserves, cela n’avait néanmoins rien à voir avec la préservation des biens meubles d’un Indien en sa qualité d’Indien dans ces réserves.

 

[95]    Il est soutenu que, même si le travail d’un employé peut aider à maintenir et à améliorer la qualité de vie dans la réserve pour les Indiens qui y vivent, cela n’a pas nécessairement pour effet de rattacher aux réserves en tant que « réalité physique » le droit de l’employé au revenu d’emploi ou l’utilisation par l’employé de ce revenu d’emploi[34]. Il faut établir s’il est porté atteinte au droit d’un Indien à titre d’Indien dans une réserve par rapport à la personne dont le revenu est en cause et non par rapport aux différentes réserves qui bénéficient directement ou indirectement des services de cette personne[35].

 

[96]    L’intimée invoque également diverses décisions faisant autorité, et notamment l’arrêt Shilling, selon lesquelles la résidence dans une réserve n’est pas nécessairement un facteur important aux fins du rattachement d’un bien incorporel à une réserve lorsque l’emplacement et la nature de l’emploi ont pour effet de situer le revenu hors réserve.

 

[97]    L’intimée fait également valoir que les décisions faisant autorité étayent l’idée selon laquelle l’emploi hors réserve indique que l’Autochtone gagne son revenu d’emploi sur le « marché »[36].

 

[98]    En ce qui concerne l’application du critère des facteurs de rattachement aux présents appels, l’intimée dit que dans tous les cas, le travail des appelants n’a pas pour effet de rattacher vraiment leur revenu d’emploi à leur réserve ou à quelque autre réserve. Les tâches des appelants n’étaient pas différentes de celles de nombreux contribuables non autochtones qui exercent des fonctions similaires partout en Ontario. Les circonstances relatives au travail des appelants ne les aident pas. Comme pour les contribuables dans l’affaire Shilling et dans d’autres affaires, les faits précis qui s’appliquent à chaque appelant ne permettent pas de démontrer que le travail était [traduction] « étroitement lié à la vie dans la réserve ».

 

[99]    L’emplacement de NLS dans la réserve des Six nations a été à maintes reprises rejeté en tant que facteur de rattachement important dans le contexte d’employés dont les services sont loués. Tout avantage dont la réserve des Six nations peut avoir bénéficié du fait que les bureaux administratifs de NLS étaient situés dans la réserve doit être considéré comme minime.

 

[100]  L’intimée fait remarquer qu’un grand nombre des arguments des appelants, comme une interprétation de l’article 87 empêchant l’exercice d’un choix ou comportant une idée d’émancipation qui est désuète et qui constitue un pas en arrière, ont déjà été entendus et rejetés. Les affaires antérieures qui ont été tranchées contre les employés de NLS sont suffisamment semblables à la présente affaire, eu égard aux faits, pour justifier le rejet des appels.

 

[101]  L’avocate de l’intimée a également fait remarquer que, dans l’arrêt Akiwenzie, la Cour d’appel fédérale avait effectivement dit que le fait de faire de bonnes choses pour les réserves et pour les Indiens qui y vivent ne donne pas nécessairement droit à la protection contre l’imposition. Il doit exister un lien avec une réserve en tant que réalité physique ou en tant qu’unité économique. Il n’est pas porté atteinte au droit de jouir de biens dans une réserve à moins qu’il n’existe un lien entre le bien et la réserve. Selon l’arrêt Mitchell[37], le lien devrait également exister avec la réserve dans laquelle on s’attend à ce que l’Indien détienne le bien. En n’imposant pas un revenu d’emploi en pareil cas, on conférerait un avantage économique général dans un cas où l’imposition de ce revenu ne constitue pas une tentative pour dépouiller l’Indien d’un bien détenu dans la réserve. Il s’agit d’un bien que l’Indien détient en gagnant sa vie dans le monde économique, en dehors de la réserve.

 

[102]  L’intimée demande que les dépens lui soient adjugés.

 

Analyse

 

          James Dugan et Wayne Sault

 

[103]  Pendant les périodes en cause dans ses appels, M. Dugan ne résidait pas dans une réserve. M. Sault résidait dans une réserve pendant les périodes en cause dans ses appels. Le revenu d’emploi de chacun d’eux, au cours de ces périodes, soit le bien meuble à l’égard duquel ils cherchent à être exonérés d’impôt conformément à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, a été versé à l’égard de l’exercice de fonctions hors réserve pour une entreprise se livrant à des activités n’ayant rien à voir avec la vie dans une réserve.

 

[104]  L’application du critère des facteurs de rattachement aux présents appels empêche de conclure que les biens meubles en question de M. Dugan et de M. Sault sont situés dans une réserve.

 

[105]  Dans le cas de M. Dugan, le seul lien qui existe entre le bien et la réserve est qu’il s’agit d’un bien acquis contractuellement à la suite d’une entente en vertu de laquelle le revenu d’emploi (le bien) est payable et est payé dans la réserve par un employeur dont les activités sont en bonne partie centrées sur une réserve.

 

[106]  Ce lien stratégique apporte de fait un certain avantage à la vie dans la réserve et, selon la règle du situs énoncée dans l’arrêt God’s Lake, il est possible de dire que le critère qu’il convient d’appliquer est celui de l’emplacement du débiteur, à savoir OIEL dans ce cas‑ci.

 

[107]  Toutefois, l’avantage, quant à la vie dans la réserve, qu’OIEL confère à la réserve des Six nations a été examiné dans d’autres décisions et il n’a pas été reconnu comme un avantage suffisamment important ou pertinent en tant que facteur de rattachement pour qu’on lui accorde beaucoup de poids dans des circonstances telles que celles‑ci. De plus, un avantage aussi indirect, aussi louable puisse‑t‑il être quant à la contribution apportée à l’industrie dans la réserve, ne règle pas la question de savoir à quel endroit l’Indien qui cherche à protéger son revenu contre l’imposition jouit de l’avantage que lui confère ce revenu[38]. À quel endroit le détenteur de pareil bien doit‑il avoir ce bien et en jouir? Lorsque l’Indien vit hors réserve comme c’est le cas de M. Dugan, qui travaille entièrement hors réserve pour une entreprise qui fait partie du marché commercial hors réserve, il est difficile d’imaginer la preuve qui pourrait être nécessaire en vue d’établir que le revenu peut être protégé contre toute diminution résultant de son imposition. Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune preuve de genre à l’égard de cet appelant.

 

[108]  Le fait que M. Sault vivait dans la réserve de New Credit, qui est située à côté de la réserve des Six nations, constitue un facteur additionnel de rattachement pertinent dans les appels que ce dernier a interjetés. Toutefois, le poids à accorder représente peu de chose par rapport au poids des autres facteurs susmentionnés. M. Sault travaillait entièrement hors réserve pour une entreprise faisant partie du marché commercial hors réserve qui n’avait aucun effet bénéfique sur la vie dans la réserve. Le bien en question fait partie intégrante de la vie de M. Sault dans la réserve, mais l’activité y afférente ne fait pas partie intégrante de la vie communautaire dans la réserve. Ces deux facteurs sont des facteurs de rattachement possibles, mais les décisions faisant autorité accordent plus d’importance à l’ensemble de la situation, lorsque l’objet de l’article 87 de la Loi sur les Indiens est examiné, cet objet ne visant pas à améliorer la vie d’un Indien dans sa réserve lorsqu’une activité qui en soi n’a aucun lien avec la réserve serait ainsi effectivement protégée.

 

[109]  Par conséquent, les appels de James Dugan et de Wayne Sault sont rejetés, sans qu’aucuns dépens soient adjugés.

 

          Tina Jamieson, Lynden Hill et Douglas Henhawk

 

[110]  Ces trois appelants vivaient dans la réserve des Six nations au cours des années visées par leurs appels respectifs. Ils travaillaient à BNH et faisaient chaque jour la navette, sur de brèves distances.

 

[111]  Les facteurs rattachant le revenu d’emploi des appelants à leur réserve militent fortement en faveur de la conclusion selon laquelle le droit des appelants à ce revenu constitue un bien meuble situé dans leur réserve, ce bien étant exonéré d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[112]  La nature du travail de ces appelants découle des services offerts par BNH. Compte tenu de la preuve que j’ai entendue, je suis convaincu que la plupart des personnes qui ont obtenu un logement abordable de BNH pendant la période pertinente venaient de la réserve des Six nations et que la plupart d’entre elles retournaient à la réserve lorsqu’un logement était disponible. La position de l’intimée, lorsqu’elle déclare que le mandat de BNH est de fournir ses services à la population générale qui a besoin de logements abordables, fait oublier cette réalité et n’a aucun poids. L’application du critère des facteurs de rattachement exige que l’on examine les services que l’organisme fournissait en fait et les clients visés par ces services. Dans ce cas‑ci, la réalité est que BNH remplit en fait une fonction pour la communauté de la réserve des Six nations. Cette fonction est d’une importance fondamentale et constitue pour cette communauté un avantage direct important. La position prise par l’intimée, lorsqu’elle dit que BNH offre des services visant à assurer le soutien des Autochtones qui cherchent à s’adapter à la vie urbaine, est dans une certaine mesure fondée, sinon largement fondée, sur ce qu’il s’agit de l’un des objectifs formels de BNH. Toutefois, étant donné la pénurie de logements dans la réserve voisine, cela ne reflète pas l’ensemble des services fournis par BNH. Les services qui, selon l’intimée, sont fournis par BNH se sont avérés être quelque peu accessoires aux services que les circonstances ont obligé cet organisme à fournir. La preuve non contredite que j’ai entendue ne permet d’arriver, à mon avis, à aucune autre conclusion. Les objectifs et un organisme cherchant à mettre en œuvre ces objectifs cèdent le pas aux services réellement fournis, dictés par les circonstances.

 

[113]  Il importe de noter que les présents appels ne sont pas les premiers dans lesquels des travailleurs de BNH sont en cause. Deux autres appels ont été entendus. Aucun des deux jugements n’a été publié, mais il vaut la peine de les mentionner même s’ils étaient régis par la procédure informelle et même si les motifs ont été rendus à l’audience. Le premier, Clarkson c. La Reine[39], a été tranché par le juge Bowie, de la présente cour. Compte tenu de la preuve qu’il avait entendue et acceptée, le juge Bowie est arrivé, à l’égard de Mme Clarkson, à une conclusion semblable à celle que j’ai tirée à l’égard des trois appelants ici en cause.

 

[114]  Dans cette affaire-là, une travailleuse de BNH qui était une employée de NLS et qui ne vivait pas dans une réserve, fournissait des services sociaux et aidait notamment les jeunes Autochtones, dont un grand nombre vivaient dans la réserve des Six nations, qui avaient des démêlés avec la justice. Le juge Bowie a fait remarquer que les acteurs, au sein du système judiciaire, étaient situés en dehors de la réserve, de sorte que le travail devait être accompli hors réserve. Le juge a fait une analogie, quoiqu’il ait admis qu’il ne s’agissait pas d’une analogie frappante, entre l’emplacement hors réserve du palais de justice et celui de l’hôpital dans l’affaire Folster. Pareilles circonstances minimisaient le lieu du travail en tant que facteur de non-rattachement. Le facteur de rattachement qui avait le plus de poids était le suivant : la contribuable s’occupait de problèmes qui existaient dans la réserve. Son travail constituait un avantage considérable pour la réserve. En outre, à l’appui de la conclusion selon laquelle le revenu d’emploi de Mme Clarkson était protégé par l’article 87 de la Loi sur les Indiens, le juge a conclu que Mme Clarkson passait énormément de temps dans la réserve des Six nations avec les jeunes délinquants et leurs familles. Cela compensait peut-être le fait que Mme Clarkson ne vivait pas dans la réserve. Soupeser les facteurs de rattachement n’est pas un exercice parfait, mais il semble tout à fait évident dans certains cas que la balance penche d’un côté plutôt que de l’autre. C’est ce qui s’est produit pour le juge Bowie, comme cela se produit dans le cas des trois appelants ici en cause.

 

[115]  De plus, le juge Bowie a mentionné la décision rendue en première instance dans l’affaire Horn et Williams, où le juge Phelan, en se fondant sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Desnomie v. Canada[40], avait mentionné qu’il fallait tenir compte des circonstances spéciales entourant la prestation des services. Les services que le juge Bowie examinait étaient ceux qui se rapportaient au type de travail effectué par la travailleuse, par opposition à ceux qui étaient fournis par BNH, mais le facteur de rattachement pertinent se rapportait à l’avantage reconnu qu’en tirait la communauté de la réserve. Des services de logement temporaire à loyer modéré à l’intention des résidents d’une réserve qui attendent un logement dans la réserve constituent sans aucun doute une circonstance spéciale qui atténuerait l’effet défavorable qu’aurait un logement situé hors réserve, ce qui donne plus de poids à l’avantage que les services offrent pour la communauté d’une réserve particulière.

 

[116]  La seconde décision non publiée concernant un employé de NLS qui travaillait auprès de BNH est la décision Turcotte et al. c. La Reine (« Turcotte et Dubie »)[41]. Dans cette affaire‑là, compte tenu de la preuve qu’il avait entendue et acceptée, le juge Archambault est arrivé à une conclusion différente de la mienne quant à la nature du travail de BNH. Le juge Archambault est arrivé à sa conclusion en se fondant sur le témoignage de M. Niro. Il a conclu de ce témoignage que, lorsque M. Niro disait que 90 p. 100 des clients venaient de la réserve des Six nations, il parlait uniquement de leur origine. Compte tenu de la migration constante entre la réserve et l’extérieur, le juge Archambault a conclu que BNH offrait une solution de logement abordable compatible avec l’objectif voulant que de tels logements soient fournis aux « Autochtones urbains » vivant à Brantford. Je me fonde sur une preuve différente que j’ai trouvée fort convaincante. De plus, je ferais une distinction à l’égard des appels Turcotte et Dubie pour le motif que ces appelants, qui travaillaient pour BNH, ne semblaient pas vivre dans la réserve. Comme la décision que je rendrai ci‑dessous à l’égard de Mme McDonald donne à entendre, cela peut constituer, dans le cas de BNH, un facteur qui l’emporte sur d’autres facteurs.

 

[117]  Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit, je retiens le témoignage que j’ai entendu et je conclus que le travail de BNH, qui consiste à offrir des logements temporaires hors réserve à cause de la pénurie de logements dans la réserve, est avantageux pour la communauté de la réserve même dont les trois appelants ici en cause font partie. Le travail fait partie intégrante de la vie dans la réserve dont ces appelants sont membres. Ce travail est lié à cette réserve en tant que réalité physique, en tant qu’endroit où vivre. Une analyse visant à trouver des liens indiquant leur importance, lorsqu’il s’agit de satisfaire à l’objet de l’article 87, soit la protection contre l’imposition, vise à aboutir à ces conclusions mêmes. Il s’agit de facteurs qui pèsent lourd.

 

[118]  Le fait que le lieu du travail est hors réserve est un facteur de non-rattachement, mais cela n’est pas fatal. La réserve est essentiellement située à côté de la ville de Brantford. Le principal lieu de travail est situé à quelques minutes de la réserve. Il va sans dire qu’une communauté qui manque de logements, ne serait‑ce que des logements temporaires, se tournera vers l’endroit le plus proche, en dehors de la communauté, qui dispose d’installations facilitant la résolution du problème. En réalité, le fait que les installations de BNH sont situées près de la réserve rend encore plus crédible la fonction que BNH a remplie en répondant aux besoins de la communauté de la réserve. Cela étant, soutenir que le lieu du travail a pour effet de rompre le lien que ce travail doit avoir avec la réserve conduirait à une situation inacceptable.

 

[119]  Si nous passons à un autre facteur de rattachement, l’employeur est situé dans la réserve des Six nations. Tout en reconnaissant que les décisions faisant autorité ont accordé peu de poids ou n’ont accordé aucun poids à ce fait en tant que facteur de rattachement pertinent compte tenu du rôle d’intermédiaire de NLS, qui n’agit essentiellement qu’à titre d’« employeur » de droit (sur le plan contractuel ou juridique), on pourrait bien dans ce cas‑ci accorder un certain poids à l’entente en tant que facteur de rattachement[42]. En sa qualité d’entreprise exerçant ses activités dans la réserve même dont les présents appelants font partie, NLS offre un avantage pour leur propre communauté. Bien que le travail de NLS s’étende à des communautés autochtones et non autochtones, où il n’est pas présent, l’organisme a une présence pertinente dans ce cas‑ci dans la réserve même à laquelle la vie et le travail des appelants sont associés; comme je l’ai dit, ce travail fait partie intégrante de la vie dans la réserve dont les présents appelants font partie; ce travail est lié à cette réserve en tant que réalité physique. Ces facteurs permettent de faire une distinction entre la présente affaire et certaines autres affaires. Cela ne veut pas pour autant dire que l’emplacement de l’employeur ici en cause serait dans un autre cas un facteur très pertinent. Toutefois, dans ce cas‑ci, le rôle d’intermédiaire de NLS est un facteur de rattachement, quoique peu important en soi.

 

[120]  L’emplacement des biens meubles (la dette de l’employeur envers les employés), tel qu’il est déterminé par l’emplacement de la dette, est également un facteur de rattachement qui, en l’espèce, est distinct du travail avantageux de l’employeur situé dans la réserve. Sans préconiser un retour à l’arrêt God’s Lake, il importe de noter que, dans l’arrêt Williams, le juge Gonthier n’a pas entièrement rejeté l’endroit où l’on peut faire exécuter le paiement d’une dette en tant que facteur de rattachement. Au paragraphe 32, le juge a fait les remarques suivantes :

 

[...] En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l’on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l’espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d’une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

 

[121]  Dans le cas des trois appelants ici en cause, le lieu où la dette doit être payée est également le lieu où ceux‑ci vivent. Les biens meubles étaient disponibles dans la réserve où les appelants vivaient. Dans l’arrêt Mitchell, le juge LaForest a semblé accepter que la chose soit pertinente en tant que facteur de rattachement. Dans cet arrêt, au paragraphe 90, le juge a trouvé utile de se reporter à une décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui disait que l’exonération d’impôt s’applique aux biens qu’un Indien reçoit à l’endroit où l’on s’attend à ce que le détenteur de pareils biens les ait, à savoir les terres occupées à titre d’Indien. En l’espèce, le bien meuble est un bien situé « sur une réserve », et ce, plus que dans le sens qui pourrait lui être attribué par une interprétation de conflit de lois. Le bien est reçu à l’endroit où l’on doit s’attendre à ce que le détenteur ayant le droit d’être protégé contre l’imposition le reçoive, c’est‑à‑dire dans la réserve où il vit. Il s’agit d’un bien situé dans la réserve dans ce sens ainsi que dans le sens où, dans le cours normal de son utilisation, ce bien améliorerait la vie des trois appelants à titre d’Indiens vivant dans cette réserve et tendrait en outre à comporter un avantage pour la communauté dans laquelle ceux‑ci vivent. Des sommes d’argent provenant d’un emploi se rattachant à la vie dans la réserve, versées dans la réserve à un résident de la réserve, tendent à normaliser, sinon à assainir, le lien par ailleurs ténu offert par NLS.

 

[122]  Par conséquent, comme je l’ai dit, je suis d’avis que les facteurs rattachant le revenu d’emploi de Tina Jamieson, de Lynden Hill et de Douglas Henhawk à leur réserve militent fortement en faveur d’une conclusion selon laquelle leur droit à ce revenu se rapporte à un bien meuble situé dans leur réserve, susceptible d’être protégé contre l’imposition en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[123]  Par conséquent, sauf pour ce qui est par ailleurs prévu à l’égard du rejet de l’appel concernant l’année d’imposition 2006 de M. Hill, les appels de ces appelants sont accueillis, sans qu’aucuns dépens soient adjugés.

 

          Alana McDonald

 

[124]  Mme McDonald ne vivait pas dans la réserve des Six nations pendant la période visée par ses appels, mais elle était membre d’une première nation qui comprenait la réserve des Six nations. Cette circonstance, le fait qu’elle résidait en dehors de la réserve, rend à mon avis son cas beaucoup plus difficile.

 

[125]  Il va sans dire que je sais fort bien que, dans les décisions faisant autorité, la résidence hors réserve n’a pas été considérée comme portant nécessairement un coup fatal à l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens; toutefois, dans ce cas‑ci, c’est le fait que le travailleur réside dans la réserve qui tend à établir entre les facteurs de rattachement un lien fort convaincant.

 

[126]  En l’absence de ce lien, nous avons uniquement une Autochtone qui vit et qui travaille hors réserve pour une entreprise qui aide les Autochtones qui viennent d’une réserve. Même lorsque l’Autochtone est membre d’une nation qui est l’une des Six nations et qu’elle a des liens familiaux avec cette réserve, ces liens ne sont peut-être pas suffisants pour se comparer avec les liens existant dans les cas de Tina Jamieson, de Lynden Hill et de Douglas Henhawk[43].

 

[127]  Alana McDonald vivait à Brantford. La preuve relative à ses antécédents, à ses liens familiaux et à sa vie en général n’indiquait aucune raison convaincante donnant à entendre que le fait qu’elle travaillait pour un organisme qui facilitait la vie dans la réserve pourrait être un lien suffisant pour protéger son revenu contre l’imposition. Si ces liens étaient aussi étroits que ceux qui existent dans le cas de Mme Jamieson et si, selon la preuve, Mme McDonald vivait à côté de la réserve, comme elle semble l’avoir fait au cours des années postérieures à celles qui sont ici en cause, une ligne de démarcation stricte ne lui aurait peut-être pas fait perdre la protection prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[128]  En somme, je reconnais que dans ce cas‑ci, la question de la résidence dans la réserve, dans le contexte de l’emplacement du revenu d’emploi, ne devrait pas dépendre d’une démarcation stricte. Si une personne vit de fait dans la réserve d’une façon très significative, le lien qui doit exister entre le revenu d’emploi et cette réserve pourrait bien être suffisamment présent pour justifier l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Les motifs de décision que j’ai rendus dans les affaires Robertson c. la Reine et Saunders c. La Reine[44] le montrent bien puisque l’issue de chacun de ces appels a été la même, et ce, même si l’un des appelants vivait près de la réserve plutôt que dans la réserve, c’est‑à‑dire que le fait de vivre à la limite extérieure de la réserve ne changeait rien au lien existant entre l’emploi et la réserve. De même, le fait de vivre à la limite extérieure d’une réserve ne change peut-être pas le lien personnel de rattachement qu’une personne a avec une réserve.

 

[129]  Quoi qu’il en soit, Mme McDonald n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un lien suffisant avec la réserve au cours des années en question pour justifier la même conclusion que celle qui a été tirée à l’égard de Mme Jamieson, sa collègue de travail.

 

[130]  Par conséquent, comme je l’ai dit, je suis d’avis que le fait de résider en dehors de la réserve des Six nations porte essentiellement, dans le cas de Mme McDonald, un coup fatal à ses appels. Les appels sont donc rejetés sans qu’aucuns dépens soient adjugés.

 

[131]  J’aimerais finalement faire remarquer que j’ai décidé de ne pas examiner les arguments que l’avocat des appelants a invoqués au sujet des applications de l’article 87 susceptibles de faire entrer en ligne de compte les notions d’émancipation et de droit d’un Autochtone de faire des choix, lesquelles ne devraient pas miner une promesse de protection contre l’érosion des biens meubles de cet Autochtone. Ces arguments ont été entendus dans les appels antérieurs de NLS et la réponse, à laquelle je souscris, est qu’il appartient au législateur d’examiner au besoin ces questions. Cette nécessité peut résulter de la façon dont les tribunaux d’instance supérieure appliquent le critère des facteurs de rattachement, mais il appartient néanmoins uniquement au législateur de reconnaître son existence. Quoi qu’il en soit, ces questions font largement entrer en ligne de compte les facteurs du « marché » qui semblent avoir eu un rôle dans certains cas. J’estime que ces facteurs n’ont jamais eu d’importance primordiale dans les appels de NLS et je ne leur ai accordé presque aucune importance dans les présents motifs, compte tenu du poids décisif que j’ai accordé à des facteurs plus pertinents, eu égard aux circonstances ici en cause.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2011.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de septembre 2011.

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                           2011 CCI 269

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2007-1205(IT)I; 2007-1217(IT)I;

                                                                        2007-1831(IT)I; 2006-3571(IT)I;

                                                                        2007-2222(IT)I; 2007-307(IT)I;

 

INTITULÉ :                                                 JAMES DUGAN; WAYNE SAULT;

                                                                        DOUGLAS HENHAWK; TINA JAMIESON; ALANA MCDONALD; LYNDEN HILL

                                                                        c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                   Les 22, 23, 24, 25 et 26 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                   L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                        Le 24 mai 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Scott Robertson

Me Paul C.R. Seaman

Avocates de l’intimée :

Me Lesley L’Heureux

Me Tamara Watters

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

         Pour l’appelant :

                          Nom :                            Scott Robertson et Paul C.R. Seaman

                                 Cabinet :                       GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

                                                                        Avocats

                                                                        Agents de brevets et de marques de commerce

                                                                        Bureau 2600

                                                                        160, rue Elgin

                                                                        Ottawa (Ontario)  K1P 1C3

 

         Pour l’intimée :                                   Myles J. Kirvan

                                                                        Sous-procureur général du Canada

                                                                        Ottawa, Canada

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).

[2] Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la « Loi sur les Indiens »).

[3] Dossier 2000‑4164(GST)G.

[4] Horn et al. c. M.R.N., 2008 CAF 352; Googoo c. Canada, 2008 CCI 589 et Roe c. Canada, 2008 CCI 667.

 

[5] M. Dugan a témoigné qu’environ la moitié du travail de Foster était effectué pour les premières nations. Toutefois, l’exposé des faits Dugan donne à entendre que la quantité de travail était peut-être bien inférieure.

[6] L’exposé des faits Dugan ne fait pas mention de cette tâche.

[7] La Première nation des Mississaugas de New Credit est une Première nation ojibway de Mississauga. M. Sault a fait une distinction à l’égard de la réserve de New Credit, dont la langue et l’origine sont bien différentes de celles des premières nations habitant dans la réserve des Six nations.

[8] La preuve concernant l’employeur réel faisait mention d’OIEL et de NLS d’une façon interchangeable. Toutefois, le contrat qui est inclus dans le recueil conjoint de documents confirme que l’employeur était OIEL, ce qui est conforme à la structure qui m’a été expliquée, à savoir que NLS loue les services de ses employés à des organismes autochtones.

[9] Je crois comprendre que les six nations iroquoises qui vivent ensemble dans la réserve des Six nations sont les nations Mohawk, Cayuga, Onondaga, Oneida, Seneca et Tuscarora. Les Iroquois sont également connus sous le nom Haudenosaunee ou « Peuple de la maison longue ». Il semble également que chaque nation pourrait être composée de plus d’une bande, que les membres appellent une nation distincte. Il aurait peut‑être été plus facile de comprendre ces distinctions si j’avais posé plus de questions à l’audience.

[10] Le témoignage concernant le nombre de logements variait d’un témoin à l’autre.

[11] C’est un fait établi que les Premières nations qui comprennent l’amalgame ou la confédération dont la réserve des Six nations est composée n’ont obtenu qu’une partie des terres de réserve qui leur avaient été promises par traité et qu’il existe des revendications faisant l’objet de contestations dans la ville de Brantford. Toutefois, c’est également un fait établi qu’à l’exception de quelques parcelles de terre telles que celle où est situé le casino, la ville de Brantford ne fait pas partie d’une réserve.

 

[12] J’ai cru comprendre, selon son témoignage, que 80 p. 100 des logements qui appartenaient à BNH ou qui étaient exploités par BNH étaient occupés par des membres des Six nations, mais que les ménages n’étaient pas tous composés uniquement d’Indiens inscrits venant de la réserve. Certains ménages étaient mixtes; selon les conditions d’admissibilité, il suffisait qu’au moins 50 p. 100 des  membres du ménage soient des Indiens inscrits.

[13] L’intimée a présenté, au sujet de la résidence de M. Hill, une preuve, notamment le témoignage d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada, qui contredisait le témoignage que M. Hill avait présenté au sujet des années 1995 à 1997. J’ai autorisé l’appelant à présenter une contre-preuve, malgré l’objection qui avait été soulevée. La preuve de l’intimée n’était pas convaincante et, de toute façon, le fait, dans ce cas‑ci, que l’adresse de l’appelant ne corresponde pas à l’endroit où celui‑ci estime résider ne suffit pas pour me faire douter du témoignage de M. Hill, lorsqu’il a déclaré qu’au cours des années en question, il vivait dans la réserve des Six nations. De plus, la preuve présentée par l’avocat de M. Hill qui a fait l’objet d’une objection tendait à corroborer le témoignage de M. Hill. L’objection portait sur un point de procédure et non sur une question d’authenticité. Étant donné que les présents appels sont régis par la procédure informelle, la preuve a été admise.

[14] Encore une fois, l’estimation de 20 ans montre que son témoignage est peut-être peu fiable sur de nombreux points. Selon d’autres éléments de preuve, la période d’attente était plutôt d’une dizaine d’années.

[15] Mme McDonald a vécu à deux endroits, à Brantford, à différents moments. Une résidence était située près de la réserve des Six nations. Aucune indication claire ne montrait où Mme McDonald vivait au cours des années ici en cause, mais Mme McDonald a parlé de la résidence située à proximité de la réserve au présent, ce qui m’amène à croire qu’elle vivait près de la réserve après avoir cessé de travailler pour BNH, c’est‑à‑dire que je suppose qu’elle a changé d’adresse après avoir quitté BNH pour travailler dans la réserve.

[16] [2006] 2 R.C.S. 846 (« God’s Lake »).

 

[17]  2001 CAF 178, 2001 DTC 5420 (« Shilling »).

[18] [1992] 1 R.C.S. 877.

 

[19] Clarke v. The Minister of National Revenue, (1997), 148 DLR (4th) 314, (sub nom Canada v. Folster), [1997] 3 C.T.C. 157 (C.A.F.) (« Folster »).

 

[20] Horn et al. c. Canada (M.R.N.), 2007 CF 105, 2007 DTC 5589, confirmé 2008 CAF 352, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée (« Horn et Williams »).

 

[21] [1983] 1 R.C.S. 29, [1983] C.T.C. 20.

[22] [1990] 2 R.C.S. 85, [1990] 3 C.N.L.R. 46 (« Mitchell »).

[23] 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511.

[24] [2000] 3 C.N.L.R. 32 (C.A.F.) (« Bell »).

[25] [1999] 2 R.C.S. 203.

[26] Voir par exemple Folster et Southwind v. The Queen, [1998] 2 C.N.L.R. 233 (C.A.F.).

[27] Shilling c. Canada, 2001 CAF 178. Autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée. Mme Shilling a interjeté un second appel qui a été rejeté sur jugement sommaire. Ce jugement sommaire a été confirmé par la Cour d’appel fédérale, l’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada ayant été refusée. Shilling c. Canada, 2003 CF 1361; 2004 CAF 416.

[28] Roe c. Canada, 2008 CCI 667; Googoo c. Canada, 2008 CCI 589; McIver c. Canada, 2009 CCI 469. Parmi les affaires que la présente cour a entendues et dont l’intimée n’a pas fait mention, il y a : Robinson c. Canada, 2010 CCI 649; Turcotte et al. c. La Reine (12 janvier 2011), dossier 2007‑1118(IT)I, (C.C.I.) (non publié); Hester et al. c. La Reine, 2010 CCI 647.

[29] Voir God’s Lake et la mise en garde précise figurant dans Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [1998] 1 R.C.S. 1161, par. 38. Voir également Bell v. Canada, [2000] 3 C.N.L.R. 32 (C.A.F.), par. 45, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée. Southwind v. The Queen, [1998] 2 C.N.L.R. 233 (C.A.F.), par. 17.

[30] 2001 DTC 5450.

[31] Monias, par. 43; Shilling, par. 47.

[32] Voir Shilling, par51; Desnomie v. Canada, 2000 DTC 6250 (C.A.F.), par. 9 à 12; Odjig v. Canada, [2001] 2 C.T.C. 2592, par. 21.

[33] 2003 CAF 469 (« Akiwenzie »).

[34] Monias, par. 46.

[35] Desnomie, par. 10 et 12.

[36] Voir Shilling, par. 48.

[37] Par. 90.

[38] Voir Mitchell, par. 90.

 

[39] Clarkson c. La Reine (9 décembre 2010), dossier 2007-882(IT)I, (C.C.I.) (non publié).

[40] 2000 DTC 6250 (C.A.F.).

[41] Turcotte et al. c. La reine (12 janvier 2011), dossier 2007-1118(IT)I, (C.C.I.) (non publié).

[42] Le juge Bowie est arrivé à la même conclusion dans la décision Clarkson.

[43] Dans la décision Clarkson, le juge Bowie a fait remarquer que la vie passée ainsi que les liens familiaux et les visites ne sont pas des facteurs qui se rattachent au travail effectué et au revenu gagné.

[44] 2010 CCI 552, porté en appel, mais non sur la question de la résidence de M. Saunders.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.