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Dossier : 2008-4167(IT)G

ENTRE :

JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 30 mars 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Antonia Paraherakis

 

JUGEMENT

 

          L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002 et 2003 est accueilli, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

 

          L’appel pour l’année d’imposition 2004 est rejeté.

 

          Aucuns frais ou dépens ne sont accordés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2011.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


 

 

 

Référence : 2011 CCI 284

Date : 20110603

Dossier : 2008-4167(IT)G

ENTRE :

 

JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

INTRODUCTION

 

[1]              Il s’agit d’un appel portant sur les années d’imposition 2002, 2003 et 2004. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi des avis de nouvelle cotisation à l’encontre de Joseph Carlo St-Philippe (l’« appelant ») en se basant sur une méthode de cotisation de rechange, soit la méthode de projections.

 

[2]              En produisant sa déclaration de revenus pour chacune des années d’imposition en question, l’appelant a déclaré des sommes respectives de 9 393 $, de 7 556 $ et de 8 210 $ à titre de revenu d’entreprise net. Le ministre a procédé aux changements suivants à l’égard des années en question :

 

a)    révision du revenu d’entreprise net pour l’établir à 91 862 $, à 81 938 $ et à 35 981 $, respectivement,

b)    établissement de pénalité, pour faute lourde, de 7 365 $, de 6 292 $ et de 1 718 $, respectivement.

 

[3]              Les questions en litige sont de savoir si :

 

a)    l’appelant a touché les revenus non déclarés mentionnés ci-dessus,

b)    le ministre a établi les conditions donnant droit à l’imposition de la pénalité pour faute lourde,

c)    le ministre s’est acquitté du fardeau de la preuve quant aux faits qui doivent être démontrés pour permettre l’établissement d’un avis de nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2002.

 

LES FAITS

 

[4]              L’appelant est chauffeur de taxi. Il détient un permis T11 qui lui permet d’exploiter son entreprise, ce qui lui donne le droit de travailler dans les municipalités suivantes : Côte Saint-Luc, Hampstead, LaSalle, Montréal, Montréal‑Ouest, Mont-Royal, Outremont, Saint-Laurent, Saint-Pierre, Verdun et Westmount.

 

[5]              En établissant et en ratifiant les avis de nouvelle cotisation datés du 28 mai 2007, le ministre s’est appuyé sur les faits suivants :

 

a)      L’appelant travaille dans le domaine du taxi depuis 1977;

 

b)      Durant les périodes en litige, l’appelant était chauffeur de taxi à son compte;

 

c)      Durant les périodes en litige, l’appelant opérait un seul taxi et ne le sous‑louait à personne;

 

d)      En 1983, l’appelant a acheté un permis de taxi d’un particulier d’une valeur de 15 500 $;

 

e)      Le permis de taxi de l’appelant est de catégorie T11 pour Montréal, ce qui lui donne le droit de travailler dans les municipalités suivantes : Côte Saint‑Luc, Hampstead, LaSalle, Montréal, Montréal-Ouest, Mont‑Royal, Outremont, Saint-Laurent, Saint-Pierre, Verdun et Westmount;

 

f)       L’appelant travaille en tant qu’indépendant et il utilise les « stands » que la CUM met à la disposition des taxis;

 

g)      Au cours des périodes en litige, l’appelant n’avait aucune entente avec un aéroport ou pour faire du transport adapté;

 

h)      Selon les données statistiques du Bureau de taxi de Montréal et de la Commission des transports du Québec, les revenus d’entreprise bruts générés par l’exploitation d’un permis de taxi représentent 64 385 $ par année;

 

i)       L’appelant déclare des revenus d’entreprise bruts de plus ou moins 15 000 $ par année;

 

j)       Au cours de la vérification de l’intimée, les seuls documents que les représentants de l’intimée ont pu consulter étaient des états de comptes bancaires et des rapports mécaniques;

 

k)      Selon l’appelant, ce dernier payait des dépenses au comptant directement avec l’argent des revenus de taxi, les revenus n’étant pas déposés;

 

l)       Pendant les périodes en litige, l’appelant utilisait son véhicule exclusivement pour des revenus de taxi, soit à 100 %, l’appelant ayant d’autres véhicules pour ses fins personnelles;

 

m)     L’appelant n’a fourni aucune information sur son kilométrage annuel;

 

n)      Les déclarations de revenus de l’appelant ne mentionnent aucune indication quant au kilométrage, ni total pour des fins d’affaires ou personnelles;

 

o)      La vérificatrice de l’intimée a obtenu de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), les rapports de vérifications mécaniques pour les années 2002 à 2004 de l’appelant;

 

p)      Étant donné l’absence de documents, la vérificatrice a procédé à la reconstitution des revenus de l’appelant par l’utilisation d’une méthode prévisionnelle qui s’appuie entre autres, sur les données de la SAAQ et de la Commission des transports du Québec, le tout qu’il appert de l’Annexe « A » jointe aux présentes;

 

q)      Le 21 septembre 2006, la vérificatrice de l’intimée a rencontré l’appelant pour lui expliquer le projet de cotisation;

 

r)       Lors de cette rencontre, la méthode des prévisions utilisée par l’intimée fut expliquée à l’appelant ainsi que le délai accordé pour soumettre ses prétentions, lequel se terminait le 23 octobre 2006;

 

s)      Le 23 octobre 2006, la vérificatrice a tenté de joindre l’appelant sur son cellulaire afin de connaître sa position sur le projet de cotisation, mais sans succès, le numéro était attribué à une autre personne;

 

t)       Par la suite, une lettre a été postée à l’appelant lui indiquant qu’un dernier délai de 10 jours lui était accordé, la représentante de l’intimée n’a reçu aucune nouvelle de l’appelant;

 

u)      Les avis de nouvelle cotisation du 28 mai 2007 qui ont été ratifiés prévoyaient les modifications suivantes :

 

 

**2002

2003

2004

Revenus d’entreprise

bruts déclarés :

 

    9 393 $

 

    7 556 $

 

    8 210 $

Revenus d’entreprise

non déclarés :

 

  82 469 $

 

  74 382 $

 

  27 771 $

Revenus d’entreprise

nets révisés :

 

  91 862 $

 

  81 938 $

 

  35 981 $

Montants assujettis à la

pénalité** 163(2) LIR :

 

  82 469 $

 

  74 382 $

 

  27 771 $

 

** L’année 2002 devenait prescrite en date du 8 août 2006.

 

[6]              Le dossier d’impôt de l’appelant a été choisi pour vérification dans le cadre d’un programme de vérification de l’industrie du taxi entrepris par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

[7]               La preuve démontre que l’appelant ne tenait pas de livres et de registres comptables adéquats pour son entreprise. L’appelant prétend que le revenu brut et le revenu net déclarés par lui pour chacune des années en question sont exacts puisque les chiffres proviennent des feuilles sur lesquelles il enregistrait les recettes de son entreprise à la fin de chaque journée. Toutefois, l’appelant reconnaît que ses notes ne faisaient aucune mention du nombre de courses parcourues avec ou sans passagers, ni du kilométrage, ou du revenu gagné par course. L’appelant prétend également que les feuilles de travail sur lesquelles l’information a été enregistrée ont été détruites lors d’un feu dans l’appartement où il habitait.

 

[8]              Diane Châteauvert, la vérificatrice de l’ARC chargée de l’examen du dossier de l’appelant, a procédé à une évaluation de l’avoir net étant donné l’absence de registres adéquats. Ce projet de l’avoir net produit comme la pièce I-18 démontre que les revenus nets déclarés ne permettaient pas à l’appelant de couvrir ses dépenses personnelles.

 

[9]              Mme Châteauvert a utilisé la méthode de projections afin d’établir si l’appelant avait gagné des revenus non déclarés. Pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004, le ministre a estimé que l’appelant avait parcouru un total de 112 327 km, de 104 329 km et de 50 574 km, respectivement, sur la foi des registres d’entretien mécanique du taxi obtenus de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Le ministre a également tenu compte des données suivantes pour établir le revenu non déclaré provenant de l’entreprise de l’appelant :

 

 

[10]         L’appelant prétend que le kilométrage calculé par Mme Châteauvert pour les années 2002 et 2003 est inexact puisqu’il provient des lectures de deux odomètres différents. L’appelant utilisait une vieille voiture de marque Mercedes 1983 pendant les années en question. Il a été obligé de remplacer l’odomètre sur cette voiture deux fois et des odomètres d’occasion ont été utilisés. Selon l’appelant, la SAAQ a pris des lectures à même les odomètres de remplacement, ce qui a donné une fausse lecture du kilométrage parcouru par l’appelant. Le kilométrage sur les odomètres de rechange était plus élevé que celui des odomètres remplacés. Le contribuable prétend que c’est impossible qu’il ait parcouru plus de 50 000 km chaque année et que le kilométrage de 50 574 pour 2004 correspond en fait aux kilomètres parcourus en 2003 et en 2004.

 

[11]          Mme Châteauvert a admis que les kilomètres calculés pour 2002 et 2003 semblent être très élevés et a tenté d’établir de nouveau le kilométrage de l’appelant à partir de sa consommation de pétrole annuelle qui donne un chiffre substantiellement inférieur à celui utilisé dans la méthode de projections. L’intimée a tenté de régler le dossier sur cette nouvelle base, mais le contribuable a refusé.

 

[12]         Je note des erreurs dans les calculs du kilométrage basés sur la consommation et l’intimée consent à ce que ce dossier puisse être réglé à partir de l’hypothèse que le contribuable a parcouru 50 574 km au cours de chacune des années en question. L’avocate de l’intimée a fourni de nouveaux calculs à partir de cette hypothèse pour 2002 et 2003. Ces calculs démontrent que le revenu net non déclaré de l’appelant serait de l’ordre de 24 730,29 $ et de 24 120,65 $ pour les années d’imposition 2002 et 2003 respectivement.

 

ANALYSE

 

[13]         Il est bien établi en fiscalité canadienne que le ministre peut établir des cotisations arbitraires en employant toute méthode appropriée et en tenant compte des circonstances particulières[1]. L’appelant a-t-il touché des revenus non déclarés?

 

[14]         Dans la présente cause, les données retenues par le ministre découlent de l’application de la réglementation de l’industrie du taxi ou de statistiques établies par la Commission des transports du Québec lors d’une enquête publique ayant pour but de fixer les tarifs applicables à l’île de Montréal et ailleurs au Québec. Les statistiques furent acceptées par les diverses associations qui ont pris part aux débats publics au nom des chauffeurs de taxi de l’île de Montréal. L’appelant n’accepte pas les calculs du ministre, mais ne propose aucune méthode de remplacement à considérer, lui-même étant incapable de préciser le nombre de courses rémunérées qu’il a faites chaque jour pour son entreprise et les revenus y correspondant. Les corrections à apporter aux calculs basés sur la réduction des kilomètres parcourus en 2002 et en 2003 figurent à l’annexe I de ce jugement.

 

Cotisation et nouvelle cotisation (délai de prescription)

 

[15]         L’expression « période normale de nouvelle cotisation » est définie comme suit au paragraphe 152(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») :

 

152(3.1) Période normale de nouvelle cotisation Pour l'application des paragraphes (4), (4.01), (4.2), (4.3), (5) et (9), la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable pour une année d'imposition s'étend sur les périodes suivantes :

 

a) quatre ans suivant soit le jour de mise à la poste d'un avis de première cotisation en vertu de la présente partie le concernant pour l'année, soit, s'il est antérieur, le jour de mise à la poste d'une première notification portant qu'aucun impôt n'est payable par lui pour l'année, si, à la fin de l'année, le contribuable est une fiducie de fonds commun de placement ou une société autre qu'une société privée sous contrôle canadien;

 

b) trois ans suivant le premier en date de ces jours, dans les autres cas.

 

[16]         Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR porte sur le délai de prescription pour établir des cotisations :

 

152(4) Cotisation et nouvelle cotisation [délai de prescription] Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

[…]

[Je souligne.]

 

[17]         Le juge Bowman, tel était alors son titre, a déclaré dans l’affaire Biros c. La Reine qu’« […] [a]fin de rouvrir l’année frappée de prescription, le ministre a le fardeau d’établir qu’il y a eu présentation erronée des faits […] »[2].

 

[18]         Le juge Bowie a rappelé ceci dans l’affaire College Park Motors Ltd. c. La Reine[3] :

 

20        […] le sous-alinéa 152(4)a)(i) est une disposition réparatrice, et non pénale. Elle concilie la nécessité, pour le contribuable, que son obligation fiscale afférente à une année d'imposition soit arrêtée de façon définitive, avec les exigences propres à un système autodéclaratif faisant en sorte que le fisc ne soit pas empêché d'établir une nouvelle cotisation lorsque, en raison de sa conduite, un contribuable a bénéficié d'une cotisation plus avantageuse que celle qui aurait dû être établie, au mieux, par manque de diligence ou d'attention ou, au pire, par fraude volontaire. La présente espèce, à bon droit, ne relève pas de l'ordre pénal. […]

 

[19]         Le juge a aussi déclaré que le sous-alinéa 152(4)a)(i) « […] n’a nullement pour objet d’établir une quelconque culpabilité de la part du contribuable. D’autres dispositions de la Loi sont en place pour cela. […] » [4].

 

[20]         Le juge Tardif a revu la jurisprudence portant sur le sens des expressions « négligence » et « présentation erronée des faits » au sous-alinéa 152(4)a)(i) dans l’affaire Savard c. La Reine[5]. Le juge a cité avec approbation les propos suivants du juge Cardin de la Commission de révision de l’impôt dans l’affaire J.J. Froese v. M.N.R.[6] :

 

[…] I do not believe that in this context any inference other than their generally accepted meaning can or should be given to the words "neglect" or "carelessness" which is the contrary of the reasonable care that is ordinarily, usually, or normally given by a wise and prudent person in any given circumstances.

 

[21]         Le juge Strayer de la Cour fédérale a déclaré ce qui suit dans l’affaire Venne c. Canada[7] en ce qui a trait au fardeau du ministre :

 

[…] il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes « présentation erronée des faits, par négligence », en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. […]

 

[22]         Le juge Strayer a conclu que le contribuable n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans la préparation et la production de ses déclarations de revenus et a noté que « [c]ette conclusion est en partie inspirée par l'importance du revenu non déclaré […] »[8].

 

[23]         La Cour d’appel fédérale (la « CAF »), sous la plume du juge Pelletier, a reconnu dans l’arrêt Lacroix c. Canada[9] que dans la grande majorité des cas le ministre peut difficilement présenter une preuve directe de l’état d’esprit du contribuable lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus :

 

32        […] Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3) [sic].

 

[24]         Les propos du juge Létourneau de la CAF dans l’arrêt Molenaar c. Canada[10] vont dans le même sens que les propos du juge Pelletier dans l’arrêt Lacroix :

 

4          À partir du moment où le ministère établi selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. […]

 

Pénalités

 

[25]         Le paragraphe 163(2) de la LIR impose une pénalité au contribuable qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration de revenus :

 

163(2) Faux énoncés ou omissions Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : […]

 

[26]         Le paragraphe 163(3) de la LIR impose au ministre le fardeau de prouver que les circonstances justifiant l’imposition d’une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) sont présentes :

 

163(3) Charge de la preuve relativement aux pénalités Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d'une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l'article 163.2, le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient l'imposition de la pénalité.

 

[27]         Selon ce qui est prescrit au paragraphe 163(2) et par la jurisprudence, il incombe au ministre d’établir les faits justifiant l'imposition d’une pénalité en vertu du paragraphe 163(2)[11]. Dans l’affaire Corriveau c. Canada[12], le juge Archambault a décrit le fardeau du ministre comme suit :

 

26        […] le ministre doit prouver : 1) que le contribuable a fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration; 2) que ce faux énoncé ou cette omission a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

 

[28]         Dans l’affaire Venne, le juge Strayer a déclaré, en ce qui a trait au paragraphe 163(2), ce qui suit :

 

[…] Il faut se souvenir comme l'a dit le juge Cattanach dans l'affaire Udell (précitée) qu'il s'agit d'une disposition pénale et qu'elle doit être interprétée de façon restrictive. Le paragraphe ne vise évidemment pas à imposer de responsabilité stricte mais il n'autorise les pénalités que si le contribuable a un degré élevé de faute, notamment la connaissance ou la mauvaise conduite insouciante[13]. […]

 

[29]         Dans l’affaire Morin c. M.R.N. [14],  le juge en chef Couture a déclaré ceci :

 

Pour échapper aux pénalités prévues aux dispositions du paragraphe 163(2) de la Loi il est nécessaire, à mon avis, que l'attitude et le comportement général du contribuable soient tels qu'aucun doute quant à sa bonne foi et sa crédibilité ne puissent être sérieusement entretenus et cela pendant toute la période couverte par la cotisation […].

 

[30]         Dans l’affaire Venne, la CAF dit ceci :

 

[…] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi[15]. […]

 

[31]         Dans l’affaire Farm Business Consultants Inc. c. Canada[16], le juge Bowman a déclaré ceci :

 

22        […] Toutefois, si la présentation erronée des faits est attribuable à une « omission volontaire », il est bien plus difficile de conclure qu'il ne s'agit pas également d'un « faux énoncé » que l'appelante a fait « sciemment » au sens du paragraphe 163(2). […]

 

Le juge a aussi dit que les expressions « négligence » et « inattention » au sous‑alinéa 152(4)a)(i) sont comprises dans l’expression « faute lourde » au paragraphe 163(2) et que l’expression « omission volontaire » au sous‑alinéa 152(4)a)(i) fait partie implicitement de l’expression « sciemment » au paragraphe 163(2) :

 

23        […] Les mots « Négligence, inattention, omission volontaire ou... fraude » (« Neglect, carelessness, wilful default or ... fraud ») englobent une vaste gamme d'omissions ou d'actions fautives, involontaires ou délibérées, auxquelles peut être attribuable une présentation erronée des faits dans une déclaration. Il n'y a aucun hiatus entre les mots de cette série, qui commence par une négligence ordinaire et progresse graduellement jusqu'à la fraude, qui justifieraient l'imposition d'une pénalité en vertu du paragraphe 163(2). Le type de négligence ou d'inattention qu'englobe le sous-alinéa 152(4)a)(i) peut inclure sans être aussi étendu toutefois celui qu'envisagent les mots « faute lourde » au paragraphe 163(2) (« gross negligence »), lesquels sous-entendent une conduite caractérisée par un degré de faute à ce point élevé qu'il frise l'insouciance. Il serait difficile de conclure que l'état d'esprit que requiert une « omission volontaire » (« wilful default ») n'est pas le même que celui qui est implicite dans le mot « sciemment » (« knowingly »).

 

[32]         Dans l’arrêt Lacroix[17], la CAF a conclu que le contribuable avait commis une faute lourde. Selon elle, le contribuable n’avait pas expliqué de façon crédible la présentation erronée des faits dans sa déclaration de revenus :

 

29        […] En l'instance, le ministre constate un revenu non déclaré qu'il demande au contribuable de justifier. Celui-ci fournit une explication que ni le ministre ni la Cour canadienne de l'impôt ne jugent crédible. Il n'y a donc pas d'hypothèse viable et raisonnable qui pourrait porter le décideur à accorder le bénéfice du doute au contribuable. La seule hypothèse offerte est jugée non crédible.

 

30        Les faits en preuve, dans un tel cas, sont que la déclaration de revenu du contribuable fait une présentation erronée des faits et que la seule explication offerte par le contribuable est jugée non crédible. Évidemment, il doit y avoir une autre explication pour ce revenu. Il faut donc conclure que le contribuable a une source de revenu qu'il n'a pas déclarée, qu'il est au courant de cette source et qu'il refuse de la divulguer puisque les explications qu'il a offertes n'ont pas été jugées crédibles. En de telles circonstances, la conclusion que la fausse déclaration de revenu a été produite sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde me semble inéluctable. Cela justifie non seulement l'imposition d'une pénalité mais aussi l'établissement de la nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

 

[33]         Ces propos de la CAF dans l’arrêt Lacroix résument la conclusion qui s’impose en l’espèce. Le ministre s’est acquitté de son fardeau de la preuve. Le ministre a démontré des écarts entre le revenu d’entreprise brut déclaré par l’appelant et le revenu d’entreprise net calculé selon la méthode de cotisation de rechange. Bien que l’appelant ne reconnaisse pas les calculs du ministre, il n’offre aucune autre méthode de calcul fiable. En effet, l’appelant ne tenait pas des livres et des registres comptables adéquats et est donc incapable de préciser le nombre de courses rémunérées qu’il a effectuées pour son entreprise et les revenus y correspondant.

 

[34]         L’esquisse de l’avoir net préparée par la vérificatrice démontre que les revenus déclarés ne permettent pas à l’appelant de subvenir à ses besoins. L’appelant n’a pas offert d’explication crédible quant à l’écart entre le coût de la vie et les faibles revenus nets déclarés.

 

CONCLUSION

 

[35]         Pour tous ces motifs, l’appel du contribuable est accueilli pour les années d’imposition 2002 et 2003. Les nouvelles cotisations sont déférées au ministre afin que le revenu net non déclaré soit calculé en vertu de l’annexe I de ce jugement pour les années d’imposition 2002 et 2003. Les pénalités seront réduites compte tenu de ces calculs.

 

[36]         L’appel pour l’année d’imposition 2004 est rejeté. Aucuns frais ou dépens ne sont accordés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2011.

 

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


ANNEXE I

JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE

ANNÉE 2002

 

Revenus bruts de taxi déclarés (incluant les taxes)

 

 

  22 556,40 $

 

 

 

 

A. Revenus gagnés par kilomètre parcouru avec des clients

 

 

 

 

Kilomètres totaux par année

 

50 574,00

 

 

% d’utilisation pour affaires

           100 %

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

50 574,00

 

 

 

 

 

 

Soustraire

 

Kilomètres parcourus sans client (50 %)

 

 

25 287,00

 

 

Kilomètres parcourus par un locataire (si applicable)

 _____0_____

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

25 287,00

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par kilomètre parcouru avec des clients

          1,20 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par kilomètre parcouru avec des clients

 

30 344,40 $

 

 

 

 

 

B. Revenus gagnés par déplacement

 

 

 

 

 

 

 

Nombre de déplacements (5 km/client)

5 057,40

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par déplacement

         2,50 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par déplacement

 

12 643,50 $

 

 

 

 

 

C. Pourboires

 

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de taxi (A+B)

42 987,90 $

 

 

 

 

 

 

% de pourboires

          10 %

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de pourboires

 

4 298,79 $

 

 

 

 

 

D. Revenus locatifs provenant de l’entreprise de taxi

 

 

 

 

 

 

 

Revenus de location

 

____________

 

Revenus bruts de taxi établis par l’ARC, par projection

(A+B+C+D)

 

 

 

47 286,69 $

 

 

 

 

Différence

 

 

24 730,29 $

 

Veuillez noter que le kilométrage total de 50 574 inclut un kilométrage personnel de 9 040 pour les aller-retour de l’appelant de sa résidence à son lieu de travail (référence : réponse à l’avis d’appel, page 15).


 

ANNEXE I

JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE

ANNÉE 2003

 

Revenus bruts de taxi déclarés (incluant les taxes)

 

 

  23 166,04 $

 

 

 

 

A. Revenus gagnés par kilomètre parcouru avec des clients

 

 

 

 

Kilomètres totaux par année

 

50 574,00

 

 

% d’utilisation pour affaires

           100 %

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

50 574,00

 

 

 

 

 

 

Soustraire

 

Kilomètres parcourus sans client (50 %)

 

 

25 287,00

 

 

Kilomètres parcourus par un locataire (si applicable)

 _____0_____

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

25 287,00

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par kilomètre parcouru avec des clients

          1,20 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par kilomètre parcouru avec des clients

 

30 344,40 $

 

 

 

 

 

B. Revenus gagnés par déplacement

 

 

 

 

 

 

 

Nombre de déplacements (5 km/client)

5 057,40

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par déplacement

         2,50 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par déplacement

 

12 643,50 $

 

 

 

 

 

C. Pourboires

 

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de taxi (A+B)

42 987,90 $

 

 

 

 

 

 

% de pourboires

          10 %

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de pourboires

 

4 298,79 $

 

 

 

 

 

D. Revenus locatifs provenant de l’entreprise de taxi

 

 

 

 

 

 

 

Revenus de location

 

____________

 

Revenus bruts de taxi établis par l’ARC, par projection

(A+B+C+D)

 

 

 

47 286,69 $

 

 

 

 

Différence

 

 

24 120,65 $

 

Veuillez noter que le kilométrage total de 50 574 inclut un kilométrage personnel de 9 040 pour les aller-retour de l’appelant de sa résidence à son lieu de travail (référence : réponse à l’avis d’appel, page 15).


 

ANNEXE I

JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE

ANNÉE 2004

 

Revenus bruts de taxi déclarés (incluant les taxes)

 

 

  23 687,75 $

 

 

 

 

A. Revenus gagnés par kilomètre parcouru avec des clients

 

 

 

 

Kilomètres totaux par année

 

50 574,00

 

 

% d’utilisation pour affaires

           100 %

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

50 574,00

 

 

 

 

 

 

Soustraire

 

Kilomètres parcourus sans client (50 %)

 

 

25 287,00

 

 

Kilomètres parcourus par un locataire (si applicable)

 _____0_____

 

 

Kilomètres totaux parcourus pour affaires

25 287,00

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par kilomètre parcouru avec des clients

          1,30 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par kilomètre parcouru avec des clients

 

32 873,10 $

 

 

 

 

 

B. Revenus gagnés par déplacement

 

 

 

 

 

 

 

Nombre de déplacements (5 km/client)

5 057,40

 

 

 

 

 

 

Taux chargé par déplacement

          2,75 $

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux déterminés par déplacement

 

13 907,85 $

 

 

 

 

 

C. Pourboires

 

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de taxi (A+B)

46 780,95 $

 

 

 

 

 

 

% de pourboires

           10 %

 

 

 

 

 

 

Revenus totaux de pourboires

 

4 678,10 $

 

 

 

 

 

D. Revenus locatifs provenant de l’entreprise de taxi

 

 

 

 

 

 

 

Revenus de location

 

____________

 

Revenus bruts de taxi établis par l’ARC, par projection

(A+B+C+D)

 

 

 

51 459,05 $

 

 

 

 

Différence

 

 

27 771,30 $

 

Veuillez noter que le kilométrage total de 50 574 inclut un kilométrage personnel de 9 040 pour les aller-retour de l’appelant de sa résidence à son lieu de travail (référence : réponse à l’avis d’appel, page 15).


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 284

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-4167(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JOSEPH CARLO ST-PHILIPPE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 30 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Antonia Paraherakis

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Hsu c. Canada, 2001 CAF 240, paragraphe 22; Richard c. Canada, [1997] A.C.I. no 643 (QL), paragraphes 13 et 15.

[2] 2007 CCI 248, paragraphe 24.

[3] 2009 CCI 409.

[4] Ibid., paragraphe 13.

[5] 2008 CCI 62.

[6] Ibid., paragraphe 52, en citant Froese, [1981] C.T.C. 2282, page 2288.

[7] [1984] A.C.F. no 314 (QL); voir aussi Savard, paragraphe 53.

[8] Ibid.

[9] 2008 CAF 241.

[10] 2004 CAF 349.

[11] Lacroix, paragraphe 26; Venne, paragraphe 35.

[12] [1998] A.C.I. no 1122 (QL).

[13] Note 7.

[14] [1988] A.C.I. no 108 (QL).

[15] Note 7.

[16] [1994] A.C.I. no 760 (QL), conf. par [1996] A.C.F. no 82 (QL).

[17] Note 9.

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