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Dossier : 2008-3820(GST)G

 

ENTRE :

 

SENG CHIN SIOW,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 6 mai 2011 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Christine Ashton

Avocate de l’intimée :

Me Sharon Lee

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 8 mars 2006 et porte le numéro 48423, est rejeté.

 

          Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2011.

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’août 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2011 CCI 301

Date : 20110614

Dossier : 2008-3820(GST)G

 

ENTRE :

 

SENG CHIN SIOW,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pizzitelli

 

Les points en litige

 

[1]              La principale question à trancher dans la présente affaire est de savoir si l’appelant, en qualité d’administrateur de 906326 Ontario Inc. (la « personne morale »), est redevable de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») impayée ainsi que des intérêts et pénalités connexes totalisant une somme de 38 486,39 $, que la personne morale doit payer, conformément à la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») du Canada, pour les périodes de déclaration se terminant entre le 28 février 1994 et le 31 mai 1999 (la « période visée par la cotisation »).

 

Le contexte

 

[2]              La plupart des faits décrits ci-dessous ne sont pas contestés par les parties et sont tirés d’un exposé conjoint des faits produit au début de l’instruction ou ressortent clairement de la preuve.

 

[3]              L’appelant a reçu un avis de cotisation daté du 8 mars 2006 dans lequel le montant susmentionné lui est réclamé au titre de sa responsabilité en tant qu’administrateur. Il a produit un avis d’opposition le 3 juin 2006 et le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi un avis de ratification à l’égard de la cotisation en question le 28 août 2008.

 

[4]              La personne morale a été constituée en Ontario le ou vers le 30 juillet 1990 et exerçait ses activités dans le domaine des services d’esthétique pour automobiles sous le nom de « Handi-Jac Shampoo and Shine » dans la ville de Toronto. L’appelant était en tout temps le seul administrateur de la personne morale, dont toutes les ventes effectuées étaient des fournitures taxables qui étaient assujetties à la TPS au taux de 7 p. 100 alors en vigueur, et à l’égard desquelles la personne morale devait produire des déclarations trimestrielles.

 

[5]              Selon la preuve que l’appelant a présentée, son beau-frère exploitait effectivement l’entreprise de la personne morale à un endroit différent de celui où l’appelant exploitait une autre de ses entreprises. L’appelant a repris l’entreprise en main lorsqu’il a appris, en 1995 seulement, que la personne morale n’avait pas effectué tous ses versements de TPS et qu’elle devait des arriérés à ce titre. En conséquence, dit-il, il a déménagé l’entreprise à son domicile à Toronto, il a retenu les services de nouveaux comptables et il a mis à jour tous les dossiers en matière de TPS jusqu’à ce que la personne morale cesse ses activités au printemps de 1999.

 

[6]              L’appelant a produit les déclarations de TPS non versée à l’égard de la période visée par la cotisation, soit la période allant du 11 octobre 1996 au 7 décembre 1999, toutes les déclarations exigibles pour les 11 périodes se terminant entre le 2 février 1994 et le 31 août 1996 ayant été produites en vrac le 11 octobre 1996. Les déclarations exigibles pour l’ensemble de la période visée par la cotisation en cause ont néanmoins été produites en retard, soit de huit à 925 jours après les dates d’échéance de production. L’appelant a rempli et produit ou fait remplir et produire les déclarations en question au nom de la personne morale; il a calculé les ventes déclarées et la TPS perçue en se fondant sur les factures établies par celle-ci et déterminé les crédits de taxe sur les intrants en s’appuyant sur les achats ayant fait l’objet de reçus.

 

[7]              Un certificat relatif à la dette de la personne morale au titre de la TPS a été enregistré à la Cour fédérale le 15 juillet 2005, conformément à l’article 316 de la Loi, et un bref de saisie-exécution a été délivré le 26 août 2005. Le 13 février 2006, le shérif a déposé un procès-verbal de carence à l’égard du bref en question. Tel qu’il est mentionné plus haut, le ministre a ensuite établi une cotisation à l’égard de l’appelant le 8 mars 2006, au titre des dispositions de l’article 323 de la Loi concernant la responsabilité des administrateurs.

 

La position des parties

 

[8]              L’appelant soutient que la cotisation établie contre lui est nulle pour deux raisons. En premier lieu, il affirme que le ministre n’a pas envoyé d’avis de cotisation par la poste à la personne morale, de sorte que celle-ci n’a pas fait l’objet d’une cotisation valide. En deuxième lieu, il fait valoir que l’établissement d’une cotisation à l’égard de la personne morale et de lui-même est devenu prescrit après l’expiration de quatre années suivant la date de la production de la dernière déclaration de TPS de la personne morale vers le 31 mai 1999 (laquelle date sera commentée plus loin).

 

[9]              Pour sa part, l’intimée répond que le ministre a effectivement établi une cotisation à l’égard de la personne morale à l’intérieur du délai prescrit et que, même s’il ne l’a pas fait, l’établissement d’une cotisation à l’égard du débiteur principal, en l’occurrence, la personne morale, n’est pas une condition préalable à l’établissement d’une cotisation contre un administrateur au titre de l’article 323 de la Loi. De plus, l’intimée fait valoir qu’aucun délai de prescription ne s’applique à l’établissement d’une cotisation à l’égard d’un administrateur, au titre de l’article 323 de la Loi, à l’exception du délai prévu au paragraphe 323(5), soit une période de deux ans suivant la date à laquelle la personne cesse d’être administrateur.

 

[10]         Il convient de préciser que l’appelant a confirmé qu’il n’invoque pas le moyen de défense de la diligence raisonnable qu’il a allégué dans son avis d’appel.

 

[11]         Les positions des parties soulèvent d’intéressantes questions de droit, les deux parties ayant admis que l’appelant avait le droit de contester la cotisation sous‑jacente de la personne morale, conformément aux arrêts que la Cour d’appel fédérale a rendus dans Gaucher v. Canada, [2001] 1 C.T.C. 125 (C.A.F.), et dans Abrametz c. Canada, 2009 CAF 70, [2009] G.S.T.C. 43 (C.A.F.), où l’administrateur unique a été autorisé à le faire. J’aborderai chacune des questions en litige à tour de rôle.

 

Questions concernant la cotisation

 

1.       Cotisation visant la personne morale

 

[12]         À l’alinéa 14f) de la réponse, le ministre a présumé ce qui suit au sujet de la question de savoir si une cotisation avait été établie à l’égard de la personne morale :

 

[traduction]

 

14.       [. . . ]

 

f)          d’après les déclarations produites par Handi-Jac [la personne morale] entre le 11 octobre 1996 et le 7 décembre 1999, le ministre a établi une cotisation à l’égard de celle-ci au titre de la TPS non versée pour la période visée par la cotisation ainsi que des pénalités et intérêts connexes, dans des avis portant les dates suivantes :

 

i)          pour les périodes de déclaration allant du 1er décembre 1993 au 28 février 1995, l’avis de cotisation était daté du 8 octobre 1998;

 

ii)         pour les périodes de déclaration allant du 1er mars 1995 au 28 février 1998, l’avis de cotisation était daté du 8 octobre 1998;

 

iii)         pour les périodes de déclaration allant du 1er juin 1998 au 31 mai 1999, l’avis de cotisation était daté du 11 janvier 2000.

 

[13]         Le paragraphe 238(1) et les alinéas 296(1)a) et 298(1)a) de la Loi, qui sont les dispositions pertinentes en ce qui concerne le délai de cotisation applicable à la personne morale, sont reproduits ci-dessous :

 

 

[14]         Les parties n’ont pas contesté le fait qu’un délai de prescription de quatre ans s’appliquait à compter de la date à laquelle la personne morale était tenue de présenter une déclaration pour la période de déclaration, conformément à l’article 238 de la Loi, ou à compter de la date de production de la déclaration, si elle est postérieure. Il n’a pas été contesté non plus que la personne morale devait présenter ses déclarations trimestriellement, c’est-à-dire qu’elle devait produire sa déclaration pour chaque période trimestrielle de son exercice financier dans les 30 jours suivant la fin de chacune des périodes en question. De plus, il appert clairement de la preuve que, étant donné que la personne morale n’a pas présenté l’ensemble de ses déclarations à l’intérieur de la période de déclaration, que le délai de prescription relatif à chaque période trimestrielle a commencé à courir à compter de la date de production des déclarations. En conséquence, étant donné qu’il a été mis en preuve que les onze premières déclarations trimestrielles de la période visée par la cotisation n’ont été produites que le 11 octobre 1996 et que la dernière déclaration trimestrielle correspondant à la période terminée le 31 mai 1999 n’a été produite que le 7 décembre 1999, le délai de prescription de quatre ans a pris fin à l’intérieur de la période allant du 11 octobre 2000 au 7 décembre 2003.

 

[15]         En toute franchise, l’argument de l’appelant selon lequel le délai de prescription de quatre ans devrait être calculé à compter de la date de la dernière période de déclaration terminée le 31 mai 1999 est sans fondement, eu égard à ce qui précède ainsi qu’au fait qu’il appert de la preuve que la déclaration correspondant à cette période a effectivement été produite le 7 décembre 1999.

 

[16]         Compte tenu des dispositions susmentionnées de la Loi et des dates de production mises en preuve, que j’accepte et qui n’ont pas été contestées, si le ministre a effectivement établi ses avis de cotisation comme il l’allègue dans l’hypothèse formulée à l’alinéa 14f) précité, il a bien respecté le délai de prescription applicable à l’établissement d’une cotisation à l’égard de la personne morale.

 

[17]         Le seul élément de preuve que l’appelant a présenté pour affirmer que le ministre n’avait pas établi de cotisation à l’égard de la personne morale est son témoignage selon lequel c’est lui qui ouvrait tout le courrier envoyé à son adresse où la personne morale a exercé ses activités pendant les périodes où il a fait produire les déclarations – l’appelant affirme en fait que, comme il ne l’a jamais reçu, l’avis ne doit pas avoir été posté – et selon lequel il n’a nullement été question de l’une ou l’autre des cotisations en question dans la correspondance qu’il a échangée avec l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). D’autre part, l’intimée n’a produit aucun élément de preuve (notamment une copie) relatif à l’un ou l’autre des trois avis de cotisation qu’elle mentionne dans sa réponse, et elle n’a évidemment présenté aucun élément de preuve démontrant que les avis en question avaient été postés ni même des relevés électroniques révélant que les cotisations avaient été établies. Au cours de sa plaidoirie, l’intimée a fait valoir qu’en raison des méthodes d’envoi postal utilisées par l’ARC et du temps écoulé, il est douteux que le ministre puisse établir la date exacte à laquelle les avis de cotisation relatifs aux périodes pertinentes ont été postés à la personne morale. L’intimée a cependant contre-interrogé l’appelant au sujet d’une lettre datée du 4 mars 2002, qui a été envoyée à la personne morale à l’attention de l’appelant à l’adresse domiciliaire de celui-ci, soit l’adresse de la personne morale, et qui comporte le texte suivant au premier paragraphe : [traduction] « Nous avons établi une cotisation à l’égard de la personne morale nommée ci-dessus, dont vous êtes administrateur, au titre de la taxe sur les produits et service/taxe de vente harmonisée qui n’a pas été versée selon les exigences de la loi ». L’intimée ajoute que l’appelant a admis que son comptable et lui-même avaient rencontré plusieurs représentants de l’ARC au sujet des montants que la personne morale devait, de sorte qu’il était forcément au courant des cotisations, puisque la cotisation établie contre lui à titre d’administrateur ne l’a été qu’en 2008, après ces rencontres.

 

[18]         Il n’a pas été contesté qu’un avis de cotisation est réputé avoir été envoyé lorsqu’il est posté, et non lorsqu’il est reçu. Cependant, j’ai du mal à admettre l’argument de l’intimée selon lequel la Cour devrait reconnaître que les avis de cotisation ont été établis en se fondant simplement sur le texte superficiel de la lettre susmentionnée ou sur le fait que l’appelant et son comptable avaient eu des discussions avec des représentants de l’ARC. La lettre ne comporte aucune mention précise des trois cotisations ou des détails connexes et renvoie, à la ligne de l’objet, aux arriérés de TPS/TVH, soit une somme de 151 589,98 $; somme qui comprenait des montants correspondant à des périodes précédentes, de sorte qu’il est possible de présumer, comme l’appelant le soutient implicitement, que la lettre concernait le montant des arriérés. De plus, le texte suivant figure au deuxième paragraphe :

 

[traduction]

 

Les administrateurs d’une personne morale peuvent être tenus de payer la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée non versée par celle‑ci, conformément à l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[19]         Le troisième paragraphe débute par les mots [traduction] « Si vous désirez obtenir plus de renseignements au sujet de vos obligations à titre d’administrateur [...] » Et le texte suivant figure au dernier paragraphe : [traduction] « Si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de la responsabilité possible des administrateurs de personnes morales [...] »

 

[20]         En conséquence, il appert clairement de la lettre qu’elle vise principalement à prévenir l’appelant de la responsabilité des administrateurs et de la possibilité qu’une cotisation soit établie contre lui au titre des taxes non versées par la personne morale; dans cette lettre, l’appelant est invité à téléphoner à l’ARC s’il a besoin de plus de renseignements au sujet de la responsabilité possible des administrateurs de personnes morales. À mon avis, une lettre d’avertissement de cette nature serait une raison suffisante pour retenir les services d’un comptable et rencontrer des agents de l’ARC. L’appelant a également déclaré qu’il avait repris l’entreprise des mains de son beau-frère lorsqu’il avait été mis au courant des problèmes financiers et des problèmes liés à la production des déclarations et qu’il n’était pas certain de la situation relative aux arriérés ou aux paiements versés.

 

[21]         Bien que je comprenne la position de l’intimée selon laquelle l’appelant n’était pas un témoin très crédible et que j’admette que celui-ci a souvent répondu de façon évasive aux questions, mentionnant à maintes reprises qu’il ne se souvenait pas ou niant un fait en contre-interrogatoire pour l’admettre un peu plus tard, il a constamment affirmé, tant pendant son interrogatoire principal que pendant son contre‑interrogatoire, qu’il n’avait jamais reçu de l’ARC un avis de cotisation ou une lettre renvoyant à une cotisation, exception faite de la lettre susmentionnée, qui ne permet pas, à mon avis, de dire qu’il avait forcément reçu une cotisation. De plus, l’argument de l’intimée selon lequel, en raison du temps écoulé, il serait difficile de prouver que les avis de cotisation ont été postés m’apparaît inacceptable, eu égard à la facilité avec laquelle la Loi permet au ministre de présenter des éléments de preuve établissant cette démarche au moyen d’un affidavit, sans même devoir faire témoigner l’employé responsable des envois postaux.

 

[22]         Dans l’arrêt Aztec Industries Inc. v. Canada, 95 D.T.C. 5235 (C.A.F.), qui concernait une situation semblable à la présente affaire, la Cour d’appel fédérale a affirmé clairement que le ministre doit prouver que les cotisations ont été établies. Au paragraphe 10 de ce jugement, le juge Hugessen s’est exprimé comme suit :

 

10.       Lorsque, comme en l’espèce, le contribuable affirme non seulement qu’il n’a pas reçu l’avis de cotisation, mais encore que cet avis n’a jamais été émis, c’est au ministre qu’il incombe de prouver l’existence de l’avis et la date de sa mise à la poste; lui seul est en possession de ces faits et lui seul peut en administrer la preuve. Diverses dispositions de la Loi confirment que la charge de la preuve incombe au Ministre à cet égard et visent manifestement à l’alléger.

 

[23]         Le seul élément de preuve relatif à la mention d’une cotisation dans l’affaire Aztec, précitée, était l’emploi des mots [traduction] « par suite d’une récente cotisation » dans une formule de demande finale de paiement. Au paragraphe 16 de ses motifs, le juge Hugessen a affirmé clairement que ces mots n’étaient pas suffisants :

 

16.       Comme l’indiquent les mots soulignés ci-dessus, ces avis constituent au mieux une indication que le ministre pensait qu’une cotisation avait été établie à une date antérieure indéterminée. Il n’y avait absolument aucune preuve que l’avis relatif à cette cotisation eut été envoyé à la contribuable.

 

[24]         Dans la présente affaire, le ministre a soutenu dans ses hypothèses que trois avis de cotisation avaient été envoyés, mais il n’a pu en produire un seul et encore moins prouver que l’un d’eux avait été posté. Dans Kovacevic v Canada, 2002 D.T.C. 1986, le juge Bonner s’est fondé sur l’arrêt rendu dans l’affaire Aztec, précitée, pour conclure qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant la mise à la poste de la cotisation, malgré l’existence d’un journal électronique qui semblait avoir enregistré sous une forme sommaire l’envoi de l’avis de cotisation, l’agent de l’ARC ayant déclaré à l’instruction qu’il ne se rappelait rien de l’établissement de la cotisation. Dans la présente affaire, il n’y avait même pas de sommaire électronique de l’une ou l’autre des trois cotisations, et encore moins de preuve de leur mise à la poste.

 

[25]         L’avocate de l’intimée a fait valoir que les décisions Aztec et Kovacevic concernaient toutes les deux des demandes de prorogation du délai prévu pour le dépôt d’un avis d’opposition et qu’elles ne devraient pas être considérées comme des décisions applicables à la présente affaire, mais je ne souscris pas à cette position. La question en litige est la même, soit de savoir si un avis de cotisation a été posté, et je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de distinguer ces décisions d’avec la présente affaire.

 

[26]         En conséquence, je conclus que le ministre n’a pas prouvé que l’un ou l’autre des trois avis de cotisation avait été posté, comme il devait le faire; une période de quatre ans s’est donc écoulée depuis la date à laquelle les déclarations trimestrielles en cause ont été produites, peu importe de laquelle il est question, de sorte que le ministre a dépassé le délai prescrit pour établir une cotisation à l’égard de la personne morale pour l’une ou l’autre des périodes de déclaration comprises dans la période visée par la cotisation.

 

2.       La cotisation à l’égard de l’appelant

 

[27]         La prochaine question à trancher est de savoir si le ministre a dépassé le délai prescrit pour établir une cotisation à l’égard de l’appelant en l’espèce, compte tenu, notamment, de ma conclusion selon laquelle il avait dépassé le délai prescrit pour établir une cotisation à l’égard de la personne morale. En d’autres termes, le délai de prescription de quatre ans prévu à l’alinéa 298(1)a) s’applique-t-il également à l’appelant en raison du paragraphe 323(4), comme celui-ci le laisse entendre?

 

[28]         L’article 323 concerne la responsabilité des administrateurs lorsqu’une personne morale omet de verser un montant de taxe nette en contravention du paragraphe 228(2). Voici le texte des dispositions pertinentes :

 

228(2) La personne est tenue de verser au receveur général le montant positif de sa taxe nette pour une période de déclaration dans le délai suivant, sauf [si] les paragraphes (2.1) ou (2.3) s’appliquent à la période de déclaration :

 

a)      si elle est un particulier auquel le sous-alinéa 238(1)a)(ii) s’applique pour la période, au plus tard le 30 avril de l’année suivant la fin de la période;

 

b)      dans les autres cas, au plus tard le jour où la déclaration visant la période est à produire.

 

[...]

 

323.(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

(2)        L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a)         un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b)         la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c)         la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

(3)        L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

(4)        Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

 

(5)        L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

[29]         L’appelant soutient simplement que, étant donné que le paragraphe 323(4) a pour effet de rendre les articles 296 à 311 applicables aux avis de cotisation établis contre les administrateurs, le délai de prescription de quatre ans s’applique également à lui.

 

[30]         En ce qui concerne l’appelant, je ne puis admettre que cette disposition a pour effet de limiter la période prévue pour l’établissement d’une cotisation à l’égard d’un administrateur en application de l’article 323 au même délai de prescription de quatre ans applicable à la personne morale, et ce, pour deux raisons.

 

[31]         D’abord, dans Kern c. Canada, 2006 CAF 257, 2006 D.T.C. 6502 (C.A.F.), jugement que la Cour canadienne de l’impôt a adopté dans Asadollah c. Canada, 2007 CCI 333, [2007] G.S.T.C. 102, la Cour d’appel fédérale a décidé de façon concluante que le paragraphe 298(1) ne s’appliquait pas aux cotisations fondées sur la responsabilité des administrateurs. Aux paragraphes 8 et 9 de ce jugement, le juge Létourneau a formulé les remarques suivantes :

 

8.         À propos du jugement de la Cour de l’impôt touchant la TPS, les appelants ont avancé devant notre Cour l’argument que la cotisation de 51 000 $ pour l’année 1997 avait été établie hors délai, c’est‑à‑dire après l’expiration du délai de quatre ans prévu à l’alinéa 298(1)a) de la Loi sur la taxe d’accise.

 

9.         Sauf révérence, le délai de prescription applicable aux cotisations qui – comme celles qui nous occupent – sont établies sous le régime de l’article 323 est prévu au paragraphe 323(5). En un mot, ce délai est de deux ans après que la personne physique faisant l’objet de la cotisation a cessé pour la dernière fois d’être un administrateur de la personne morale en cause.

 

[32]         Plus récemment, dans Jarrold c. Canada, 2010 CAF 278, [2010] G.S.T.C. 158 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a décidé qu’une cotisation fondée sur la responsabilité de l’administrateur et établie plus de dix ans après celle de la personne morale sous-jacente était acceptable. Le contribuable avait fait valoir qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’il conteste les cotisations après une aussi longue période; pourtant, la Cour d’appel fédérale a confirmé, au paragraphe 5 de sa décision, que le seul délai de prescription qui s’applique au ministre aux fins de l’établissement d’une cotisation en application de l’article 323 est prévu au paragraphe 323(5), qui énonce que l’établissement de la cotisation se prescrit par deux ans après que l’administrateur a cessé pour la dernière fois d’être un administrateur de la société assujettie à l’obligation fiscale. Voici comment la juge Sharlow s’est exprimée au paragraphe 5 :

 

5.         [...] Monsieur Jarrold demande essentiellement à la Cour de créer un nouveau délai de prescription fondé sur la raisonnabilité. Nous ne pouvons consentir à cette demande [...]

 

[33]         À mon avis, la Cour d’appel fédérale a énoncé clairement la règle de droit, que le seul délai de prescription applicable à l’établissement d’une cotisation fondée sur la responsabilité de l’administrateur est prévu au paragraphe 323(5) de la Loi et que le délai de prescription de quatre ans prescrit au paragraphe 298(1) ne s’applique pas, et cet arrêt lie la Cour en l’espèce.

 

[34]         La seconde raison en est une d’interprétation législative. Il n’est pas nécessaire que je donne des précisions à ce sujet, mais, eu égard à l’arrêt précité de la Cour d’appel fédérale, je dois ajouter que je suis d’accord avec l’intimée lorsqu’elle dit que les règles d’interprétation législative appuieraient la conclusion de la Cour. De toute évidence, l’article 323 énonce un délai de prescription qui lui est propre et ne prévoit manifestement aucun autre délai.

 

[35]         L’argument de l’appelant, selon lequel, en raison du texte employé au paragraphe 323(4) (« Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable »), le délai de prescription de quatre ans s’applique à l’article 323, n’est pas appuyé par le libellé clair de celui-ci ni par l’interprétation contextuelle de cette disposition. Les mots « dès que le ministre envoie l’avis de cotisation » renvoient à la cotisation établie « aux termes du présent article » et, par conséquent, il est évident que la cotisation fondée sur la responsabilité de l’administrateur est établie uniquement en application de l’article 323 et non d’une autre disposition de la Loi.

 

[36]         L’argument de l’appelant que le texte du paragraphe 323(4) entraîne l’application du délai de quatre ans ne tient pas la route. De toute évidence, le paragraphe 298(1), précité, prévoit qu’« une cotisation ne peut être établie à l’égard d’une personne en application de l’article 296 [...] » et ne vise que les cotisations établies en application de l’article 296, et non de l’article 323. Bien entendu, l’alinéa 296(1)a) renvoie au pouvoir du ministre d’établir une cotisation pour déterminer la « taxe nette d’une personne prévue à la section V, pour une période de déclaration » et renvoie donc à la personne qui est tenue de verser un montant de taxe nette pour une période de déclaration, en l’occurrence, la personne morale. Il serait impossible de substituer l’appelant à titre d’administrateur à l’article 298 et de conclure qu’il était la personne tenue de verser la taxe nette pour la période de déclaration au sens prévu à l’article 296.

 

[37]         En conséquence, je ne puis conclure que le délai de prescription de quatre ans prévu au paragraphe 298(1) s’applique à l’appelant, de sorte que le ministre n’était pas empêché par la prescription d’établir une cotisation à l’égard de l’appelant plus de quatre ans après la date à laquelle la personne morale a produit ses déclarations.

 

La nécessité d’une cotisation

 

[38]         Ayant décidé que le ministre n’avait pas établi de cotisation valable à l’égard de la personne morale dans la présente affaire et que l’établissement d’une cotisation contre elle aurait été prescrit, la Cour est maintenant priée de conclure que le montant dû par la personne morale est égal à zéro et que, par conséquent, l’appelant ne peut être tenu responsable d’une cotisation faisant état d’un autre montant au titre de l’article 323. En d’autres mots, si le ministre n’a pas le droit de poursuivre la personne morale pour lui réclamer quelque montant que ce soit, il ne peut non plus poursuivre l’administrateur de la personne morale en cause en invoquant la disposition de la Loi concernant la responsabilité des administrateurs, soit l’article 323.

 

[39]         Je dois admettre que la position de l’appelant est logique jusqu’à un certain point. De plus, comme l’appelant l’a laissé entendre, s’il était en mesure de contester une cotisation sous-jacente de la personne morale dans les cas où le montant exigé était précisé dans la cotisation, pourquoi, selon les principes de justice naturelle, le contribuable devrait-il être tenu de contester, et comment pourrait-il le faire, lorsqu’il n’y a pas eu de cotisation?

 

[40]         L’intimée fait valoir que la responsabilité de l’administrateur ne découle pas d’une cotisation sous-jacente, mais de l’effet de la Loi elle-même, notamment de l’article 323, qui est reproduit à nouveau ci-dessous pour des raisons de commodité. Je dois souscrire à l’argument de l’intimée.

 


323(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

[Non souligné dans l’original]

 

[41]         La disposition précitée fixe clairement l’obligation de l’administrateur de payer la taxe nette non versée par la personne morale « au moment où elle était tenue de verser [...] un montant [...] ».

 

[42]         Il n’est nullement mentionné dans cette disposition qu’une cotisation doit avoir été établie ou que le montant doit être lié à une somme visée par une cotisation. Le « montant » mentionné est indéniablement le « montant de taxe nette » « comme l’exige[...] le[...] paragraphe[...] 228(2) [...] », soit la disposition qui s’applique en l’espèce et qui oblige l’inscrit à verser la taxe nette. Le texte du paragraphe 323(1) ne recèle pas la moindre ambiguïté.

 

[43]         De plus, je conviens avec l’intimée que le même montant est visé à l’alinéa 323(2)a), qui exige l’enregistrement à la Cour fédérale, en application de l’article 316, d’un certificat précisant la « somme pour laquelle la personne morale est responsable » plutôt que le « montant visé par la cotisation », et un défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette « somme ». De plus, au paragraphe 323(6), la somme à recouvrer d’un administrateur est définie comme celle qui demeure impayée après l’exécution.

 

[44]         Cette interprétation est confirmée par le paragraphe 299(2) de la Loi, dont voici le libellé :

 

299(2) L’inexactitude, l’insuffisance ou l’absence d’une cotisation ne change rien aux taxes, pénalités, intérêts ou autres montants dont une personne est redevable aux termes de la présente partie.

 

[45]         De toute évidence, l’absence d’une cotisation ne change rien aux taxes ou autres montants dont une personne est redevable aux termes de cette partie (soit l’ensemble de la partie IX de la Loi, où se trouvent toutes les dispositions précitées).

 

[46]         Dans Beaupré c. Canada, 2005 CAF 168, 2005 G.T.C. 1420 (C.A.F.), le juge Létourneau a confirmé, au paragraphe 12, que « la dette fiscale ne naît pas de la cotisation, mais de la Loi : [...] »; de plus, au paragraphe 13, après avoir mentionné le paragraphe 299(2) de la Loi, il a souligné ce qui suit : « L’avis de cotisation ne fait que préciser le montant de la dette et en informer le débiteur fiscal ». Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale, a fait remarquer que le paragraphe 272.1(5) de la Loi impose une responsabilité solidaire à une société et à ses associés pour le paiement ou le versement des montants devenus dus à payer ou à verser par la société (disposition semblable au paragraphe 323(1)) et a décidé, au paragraphe 11, « qu’il n’était pas nécessaire que la société soit cotisée pour qu’il puisse y avoir cotisation d’un associé de cette société ».

 

[47]         Ce principe a été adopté dans plusieurs décisions de la Cour canadienne de l’impôt, y compris Lau v. Canada, 2002 D.T.C. 2212, et Suffolk c. Canada, 2010 CCI 295, 2010 D.T.C. 1201, et représente à mon sens la règle de droit acceptée.

 

[48]         L’appelant fait valoir que cette interprétation serait incompatible avec la Loi et précise que les articles 315 et 316 lus ensemble donnent à penser que l’établissement d’une cotisation constitue une condition préalable à la délivrance d’un certificat en application de l’article 316 par la Cour fédérale, de sorte que le mot « montant » doit forcément renvoyer à un montant visé par une cotisation. Je ne suis pas d’accord. Dans la décision Lau, précitée, l’ancien juge en chef Bowman a reconnu, aux paragraphes 33 à 35, que l’absence de cotisation empêcherait sans doute le ministre de prendre les mesures prévues à l’article 316 de la Loi sur la taxe d’accise contre la personne morale et que c’est au moment où une cotisation est établie « que commence le délai de prescription », soulignant effectivement les avantages et les conséquences des cotisations, mais il a admis que même une cotisation invalide « n’empêche pas le ministre de poursuivre ses mesures correctives contre les administrateurs ».

 

[49]         L’appelant ajoute que l’absence de cotisation pouvant être contestée irait à l’encontre des principes de justice naturelle, soit les principes fondamentaux que la Cour d’appel fédérale a invoqués pour conclure, dans l’arrêt Gaucher, précité, que l’administrateur devrait avoir la possibilité de contester la cotisation sous-jacente visant la personne morale. De l’avis de l’appelant, son interprétation est également appuyée par l’existence d’une symétrie entre les dispositions de l’alinéa 323(2)a) et celles des alinéas b) et c), qui portent sur la situation où la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution ou est devenue faillie, auxquels cas l’administrateur ne sera responsable que si la dette fiscale de la personne morale a d’abord été établie. En d’autres mots, pour que l’administrateur encoure une responsabilité aux termes de chacun des alinéas susmentionnés du paragraphe 323(2), la personne morale doit d’abord avoir eu la possibilité de contester la cotisation établie par le ministre, ce qu’elle pourrait faire par voie d’opposition et d’appel dans le cas de l’alinéa 323(2)a). L’appelant précise qu’il a été incapable de le faire en l’espèce, car, en raison des changements apportés aux montants totaux dus par suite de différentes lettres échangées avec l’ARC, il ne pouvait être certain du montant exact à contester, ce qui prouve qu’une cotisation doit exister.

 

[50]         À cet égard, l’avocate de l’appelant semble ignorer que, comme l’ancien juge en chef Bowman l’a souligné dans la décision Lau, précitée, c’est lors de l’établissement d’une cotisation que débute le délai de prescription, de sorte que, s’il n’y a pas eu de cotisation, rien n’empêche le contribuable d’en demander une au nom de la personne morale, si celle-ci existe toujours, et de déposer un avis d’opposition, de recommencer la procédure, lorsqu’il a des raisons de douter du montant de la cotisation établie à l’égard de la personne morale et, sous un angle plus pragmatique, de contester tout simplement la cotisation, comme il a le droit de le faire à titre d’administrateur par suite des arrêts rendus dans les affaires Gaucher et Abrametz. Il est indéniable que l’appelant n’est pas privé de son droit de contester et il n’y a pas lieu non plus de soutenir que la personne morale a été privée de la possibilité de s’opposer à la cotisation et de la porter en appel, comme elle a le droit de le faire lorsque la cotisation est invalide ou qu’aucune n’a été établie. J’ajoute que même les alinéas 323(2)b) et c) ne font nullement état de la nécessité d’une cotisation, mais précisent simplement que les sommes doivent être prouvées. En fait, la symétrie entre les trois alinéas, qui renvoient à des sommes plutôt qu’à des montants visés par une cotisation, appuie plutôt la thèse de l’intimée.

 

[51]         De plus, je ne comprends pas pourquoi l’appelant, à titre d’administrateur unique qui a sans conteste effectivement produit les déclarations de TPS ayant mené à la détermination des sommes dues, puisque les déclarations ont été acceptées telles qu’elles ont été déposées, soutient qu’il a été privé de la possibilité de connaître ou de contester les montants. Les montants de TPS nette que la personne morale devait verser ont été déterminés à partir des déclarations qu’il a préparées et les montants des pénalités et intérêts sont établis selon des dispositions précises de la Loi. Au cours de son témoignage, l’appelant n’a pas laissé entendre qu’il avait commis une erreur dans les déclarations qu’il avait produites ou que les sommes en question étaient inexactes. L’argument selon lequel les sommes totales déterminées ont varié sensiblement au fil des années s’explique aisément par le fait que les intérêts courent jusqu’au paiement. En fait, il appert de la preuve que l’appelant et son comptable ont rencontré des représentants de l’ARC pour discuter de chèques qui n’auraient pas été encaissés, et sans doute également des montants que devait la personne morale, de sorte que l’appelant a indéniablement eu la possibilité de discuter de cette question et s’en est prévalu.

 

[52]         En réalité, son seul argument se résume au fait que le ministre ne peut établir une cotisation à l’égard d’un administrateur lorsqu’il n’a pas établi de cotisation à l’égard de la personne morale ou que la cotisation ainsi établie est invalide, notamment pour cause de prescription. Malheureusement, la règle de droit énoncée plus haut est claire et va à l’encontre de la thèse de l’appelant. S’il était nécessaire qu’une cotisation ait été établie à l’égard de la personne morale pour poursuivre l’administrateur en application du paragraphe 323(2), le paragraphe 299(2) perdrait tout son sens, ce qui serait un résultat ridicule. Le législateur voulait donner un sens à cette disposition et les cours d’appel ont confirmé l’application de celle-ci comme fondement de la responsabilité de l’administrateur. Il est indéniable que le droit du ministre de poursuivre l’administrateur ne repose pas sur une action purement oblique, comme l’a soutenu l’avocate de l’appelant au cours de sa plaidoirie, mais plutôt sur le fait qu’en raison des articles 323 et 299 de la Loi, l’administrateur d’une personne morale est solidairement redevable des sommes non versées par celle-ci, qu’une cotisation ait ou non été établie contre elle.

 

[53]         Dans les arrêts Gaucher et Abrametz, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’administrateur a le droit, en vertu du principe de justice naturelle, de contester les montants dus d’après le certificat établi en application de l’article 316 de la Loi, et je ne crois pas qu’un droit aussi fondamental s’applique uniquement lorsqu’une cotisation est établie à l’égard de la personne morale. Pareille conclusion affaiblirait sensiblement la portée de ce principe qui, au départ, est un principe de justice naturelle, et je ne crois pas que les juges en soient arrivés à ce résultat dans leurs jugements susmentionnés.

 

[54]         Quelles que soient les restrictions pouvant s’appliquer au pouvoir du ministre de prendre des mesures de recouvrement contre une personne morale en raison de l’absence de cotisation valide, ces restrictions ne l’empêchent pas de poursuivre l’administrateur, à moins qu’il n’en soit explicitement prévu autrement dans le texte législatif. Selon les seules restrictions qui s’appliquent à mon avis, le ministre ne peut recouvrer un montant supérieur à celui qui est dû de prime abord, puisque le paragraphe 323(6) limite la somme pouvant être recouvrée de l’administrateur aux montants que la personne morale n’a pas versés, laquelle restriction vise manifestement à empêcher le double recouvrement et constitue en soi un principe de justice naturelle, et l’administrateur peut, en vertu des principes de justice naturelle, contester la somme sous-jacente qui est due, qu’elle ait fait ou non l’objet d’une cotisation à l’égard de la personne morale, à moins, bien entendu, qu’il puisse prouver que la cotisation établie contre lui l’a été plus de deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur, et qu’elle est donc prescrite en vertu du paragraphe 323(5), ou qu’il puisse invoquer la diligence raisonnable au titre du paragraphe 323(4) de la Loi, lesquels moyens de contestation ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[55]         En conséquence, compte tenu des motifs exposés ci-dessus, l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2011.

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’août 2011.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 301

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3820(GST)G

 

 

INTITULÉ :                                       SENG CHIN SIOW c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 6 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 14 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Christine Ashton

Avocate de l’intimée :

Me Sharon Lee

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Christine Ashton

                          Cabinet :                  Wilson Vukelich LLP

                                                          Markham (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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