Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2009-2331(IT)G

ENTRE :

Fiducie Famille Gauthier,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 6 mai 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

        L’appel de Fiducie Famille Gauthier à l’égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2002 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2011.

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 


 

 

 

Référence : 2011 CCI 318

Date : 20110623

Dossier : 2009-2331(IT)G

 

 

ENTRE :

 

Fiducie Famille Gauthier,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Archambault

 

 

[1]              Le ministre du Revenu national (ministre) a établi une cotisation par laquelle il a augmenté le montant du dividende réputé avoir été reçu par la Fiducie Famille Gauthier (Fiducie) à l’égard de l’année d’imposition 2002 en vertu de l’article 84.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). La Fiducie conteste cette augmentation. Voici l’exposé des faits que l’on trouve dans l’avis d’appel de la Fiducie:

 

C.        LES FAITS

 

3.                  L’Appelante, au cours de son année d’imposition 2002, était propriétaire de 1 250 actions catégorie « B » du capital-actions de Groupe Orléans Express Inc. (« Groupe »).

4.                  Le ou vers le 15 avril 2002, l’Appelante a disposé de 817 actions catégorie « B » de Groupe en faveur de Jacques Gauthier (164 actions) et 4041763 Canada Inc. (« 4041763 ») (653 actions).

5.                  À toute époque pertinente, un lien de dépendance au sens des dispositions de la Loi (fédérale) de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») existait entre les parties.

6.                  Le prix unitaire convenu entre les parties était de 6 550,63 $ par action.

7.                  Le ou vers le 15 avril 2002, l’Appelante a disposé des 433 actions catégorie « B » restantes en faveur de 4041763 à un prix unitaire de 6 010,71 $ par action.  En contrepartie de cette disposition, 4041763 a émis en faveur de l’Appelante un billet au montant de 2 602 637 $ (i.e. 433 actions X 6 010,71 $).

8.                  Il était entendu que lesdites 433 actions allaient être vendues à Keolis Canada Inc. (« Keolis »), une partie sans lien de dépendance avec l’Appelante.

9.                  Le prix de vente des 433 actions en faveur de Keolis était de 2 836 423 $, soit 6 550,63 $ par actionL’écart entre le prix de vente en faveur de Keolis et celui en faveur de l’Appelante (2 836 423 $ - 2 602 637 $ = 233 786 $) représente les frais professionnels qui furent payés par 4041763 à l’occasion de la disposition et qui auraient eu à être payés par l’Appelante si celle-ci avait vendu directement lesdites actions à Keolis.

10.              En cotisant, l’ARC a formulé les hypothèses suivantes :

a.       elle a pris pour acquis que la juste valeur marchande des actions transférées par l’Appelante à 4041763 était de 2 836 423 $ et non de 2 602 637 $;

b.      elle a, par application de l’alinéa 69(1)(b) de la Loi, modifié la juste valeur marchande de la contrepartie reçue (i.e. le billet) par l’Appelante lors de la disposition des 433 actions en faveur de 4041763 pour établir à un montant de 2 836 423 $;

c.       elle a, par la suite et par application des dispositions du paragraphe 84.1(1) de la Loi, déterminé qu’un dividende imposable additionnel de 291 099 $ devait être imposé entre les mains de l’Appelante et ce prenant pour acquis que l’élément D de la formule prévue à l’alinéa 84.1(1)(b) de la Loi – i.e. la juste valeur marchande de la contrepartie reçue par l’acheteur – le billet – pouvait et devait être augmentée.

11.              La cotisation émise par l’ARC le 7 mars 2007 était hors le délai de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2002 de l’Appelante.

12.              Avant l’expiration du délai de la  période normale de nouvelle cotisation, l’Appelante avait produit une renonciation spécifique à l’application de la période normale de nouvelle cotisation.  Les sujets spécifiques visés étaient :

a.       actions admissibles de petites entreprises;

b.      déduction pour gain en capital;

c.       84.1, 85, 83(2) LIR;

d.      dépenses d’honoraires professionnels.

13.              L’Appelante s’est dûment opposée en temps opportun à la cotisation de l’ARC et par avis de ratification en date du 30 avril 2009, le Ministre a ratifié la cotisation.

                                                                                                [Je souligne.]

 

[2]              L’intimée a admis tous ces faits, à l’exception de ceux énoncés au paragraphe 10 et à la dernière proposition du paragraphe 9, laquelle dit : « qui auraient eu à être payés par l’Appelante si celle-ci avait vendu directement lesdites actions à Keolis ». En outre, le ministre a tenu pour acquis les faits suivants dans sa réponse à l’avis d’appel (réponse) :

 

10. En établissant la cotisation en litige, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis les faits suivants :

 

[…]

 

i)    L’appelante n’a assumé, ni payé de frais professionnels relativement aux transactions entre elle et 4041763.

 

j)    4041763 a payé pour le compte de l’appelante les frais professionnels de 233 550 $.

 

[3]              Au début de l’audience, j’ai demandé à l’avocat de l’intimée de préciser la portée du paragraphe 10 j) de la réponse et il a indiqué que la position du ministre n’était pas que 4041763 Canada Inc. (404) avait agi comme mandataire de la Fiducie lorsqu’elle a acquitté les « frais professionnels » (honoraires) de 233 550 $. De plus, la preuve présentée par l’intimée révèle que l’agent des appels a adopté, à l’étape de l’opposition, une position différente de celle du vérificateur, c'est-à-dire que l’agent des appels n’a pas appliqué l’alinéa 69(1)b) de la Loi, mais a considéré plutôt que la contrepartie versée par 404 comprenait, en plus du billet de 2 602 637 $, le versement des honoraires, à savoir les 233 786 $[1].

Position des parties

 

[4]              Contrairement à ce qu’a pu faire le vérificateur du ministre, l’agent des appels à l’étape de l’opposition et l’avocat de l’intimée dans sa plaidoirie devant la Cour n’ont pas invoqué l’alinéa 69(1)b) de la Loi en appliquant l’article 84.1 et n’ont pas tenté non plus d’augmenter en raison de l’application de l’alinéa 69(1)b) le montant du gain en capital qu’aurait réalisé la Fiducie, le produit de disposition réputé des 433 actions étant supérieur à celui indiqué au contrat. En effet, le ministre reconnaît qu’il ne pouvait faire cela parce que la cotisation a été établie hors de la période normale de cotisation et que l’avis de renonciation à la prescription ne mentionnait pas de renonciation quant au calcul du gain en capital ni quant à l’application de l’alinéa 69(1)b) de la Loi. Par contre, le ministre soutient qu’il est justifié de tenir compte non seulement du billet à ordre mentionné au contrat, soit le billet de 2 602 637 $[2] décrit au paragraphe 7 de l’avis d’appel de la Fiducie, mais également des honoraires que 404 a acquittés à l’égard de la vente des 433 actions.

 

[5]              À l’appui de sa position, l’avocat de l’intimée invoque l’analyse faite par la juge Lamarre dans Banque République Nationale de New York c. Canada, [1999] A.C.I. No 183 (QL), [1999] T.C.J. No. 183 (QL) (angl.), [1999] G.S.T.C. 32 (angl.), 7 G.T.C. 3107 (angl.). Voici ce qu’elle écrit aux paragraphes 91 et 93.

 

91     Une définition du mot anglais "consideration" (contrepartie) fréquemment utilisée est celle qu'a donnée le juge Lush dans l'affaire Currie v. Misa, (1875) L.R. 10 Exch. 153, à la p. 162 (conf. par 1 App. Cas. 554, H.L.) :

           

[TRADUCTION]

 

Une contrepartie de valeur, au sens de la loi, peut être soit un droit, un intérêt, un profit ou un avantage pour une partie, soit une renonciation, un désavantage, une perte ou une responsabilité pour l'autre partie.

 

Cette définition a pour l'essentiel été adoptée par le Black's Law Dictionary, sixième édition :

 

[TRADUCTION]

 

Contrepartie. L'incitation à un contrat. La cause, le motif, le prix ou une influence stimulante qui incite une partie à passer un contrat. [...] Un droit, un intérêt, un profit ou un avantage pour une partie ou une renonciation, un désavantage, une perte ou une responsabilité pour l'autre partie.

 

[…]

 

93     Le mot "contrepartie" est donc un terme bien vaste. Comme il inclut une responsabilité quelconque, il inclut assurément des dettes et des charges prises en charge par l'acheteur, comme celles qui sont alléguées par l'appelante.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

[6]              L’avocat de la Fiducie soutient qu’il faut s’en tenir à la description de la contrepartie que contient le contrat de vente portant sur les 433 actions, lequel se trouve à la pièce A-1, onglet 9. Lors de son contre-interrogatoire de l’agent des appels, l’avocat avait pris soin de lui demander de reconnaître qu’il n’y avait pas de simulacre dans la rédaction de ce contrat et qu’il n’y avait pas eu d’autres ententes qui seraient venues modifier ce contrat. L’avocat a également rappelé que c’est à 404 qu’on avait facturé les honoraires totalisant 233 786 $ et a rappelé que le ministre, dans l’établissement de sa cotisation, a tenu pour acquis le fait que la Fiducie n’avait ni pris en charge ni payé d’honoraires relativement aux transactions entre elle et 404[3]. Bien évidemment, l’avocat a rappelé que la question en litige soulevée par l’application de l’article 84.1 n’était pas celle de la juste valeur marchande des 433 actions de catégorie B vendues à 404 par la Fiducie, mais plutôt celle de la juste valeur marchande de la contrepartie reçue par la Fiducie de 404 par suite de la disposition de ses 433 actions.

 

 

Analyse

 

[7]              Pour décider si c’est à bon droit que le ministre, dans l’établissement de la juste valeur marchande de la contrepartie reçue en échange des actions, a tenu compte du paiement des frais professionnels acquittés par 404, il est important de rappeler l’ensemble des circonstances des opérations effectuées le 15 avril 2002. Il faut constater que nous sommes en présence d’une fiducie établie pour la famille Gauthier qui détenait 1 250 actions de catégorie B de Groupe Orléans Express Inc. (Groupe Orléans), qui exploitait par l’intermédiaire de filiales une entreprise de transport de passagers et de services de messagerie par autocar et autobus (pièce A‑1, onglet 10, page 3). La famille Gauthier avait de toute évidence décidé de disposer de sa participation dans Groupe Orléans et avait mandaté KPMG pour trouver un acheteur pour cette participation. KPMG aurait trouvé Keolis, une filiale d’une société française, qui s’est portée acquéreur de la participation de la famille Gauthier dans Groupe Orléans.

[8]              Il semble que le mandat de KPMG était également de conseiller la famille Gauthier sur la meilleure façon, sur le plan fiscal, d’effectuer la vente, et un fiscaliste de ce grand cabinet de comptables a proposé une série d’opérations pour l’effectuer de la façon la plus efficace possible du point de vue fiscal.

 

[9]              Notamment, la vente des 164 actions par la Fiducie à monsieur Jacques Gauthier avait pour but de permettre à chacun des deux enfants de ce dernier, bénéficiaires de la Fiducie, de se prévaloir de l’exonération des gains en capital de 500 000 $. La vente des 653 actions à 404 visait à cristalliser le revenu protégé (communément appelé « safe income ») et à permettre le report du gain en capital au moyen du choix prévu au paragraphe 85 (1) de la Loi (voir pièce A-1, onglet 11). Ces 653 actions de catégorie B ont été converties en 653 actions de catégorie K qui ont par la suite été vendues en deux étapes à Keolis : 567 actions d’abord[4] et ensuite les 86 actions restantes[5]. Monsieur Gauthier a également transféré ses 164 actions de catégorie B en faveur de Keolis. Toutes ces opérations ont eu lieu le 15 avril 2002.

 

[10]         Le prix unitaire convenu pour les 164 et les 653 actions de catégorie B vendues à 404 et celui convenu pour les 653 actions de catégorie K et les 164 actions de catégorie B vendues à Keolis sont les mêmes, à savoir 6 550,63 $. Par contre, lorsque la Fiducie vend les 433 actions de catégorie B à 404, le montant indiqué comme la juste valeur marchande unitaire des actions a baissé à 6 010,71 $. Or, toutes ces actions sont vendues le même jour. Pour justifier cette diminution du prix par rapport aux autres actions de la même catégorie, le fiscaliste à informé le vérificateur que le prix de vente avait été « voluntary [sic] reduced to take the fees into account. If not, GESTION would realize a capital loss » (voir pièce A-1, onglet 12, page 2). Dans une annexe fournie avec cette lettre, le fiscaliste de KPMG indique que le montant des honoraires de 233 550 $ représente approximativement 8% du produit de la vente des actions vendues à Keolis par 404. Voici le détail fourni au vérificateur par le fiscaliste :

 


GESTION FAMILIALE GAUTHIER MACKINNON INC.

Allocation method used

Number

Share class

Proceeds

Expenses

Proportion

567

K

3 714 098

309 879

 

86

K

563 491

46 527

 

653

K

4 277 589

356 406

8,33%

433

B

2 836 186

233 550

8,23%

 

 

7 113 775

589 956

 

 

 

[11]         Sur les 589 956 $ d’honoraires, 560 000 $ ont été versés à KPMG. Voici la description qui apparaît à l’état de compte en date du 10 juin 2002, adressé à 404 à l’attention de monsieur Jacques Gauthier : « Services professionnels rendus jusqu’au 15 avril 2002 en vertu du contrat de service relativement à la disposition des actions de Groupe Orléans Express Inc.[6] ». Parmi les autres honoraires, il y a ceux facturés à 404 par le cabinet d’avocats Joli-Cœur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St-Pierre. On les décrit de la façon suivante : « Pour services professionnels rendus jusqu’au 15 avril 2002 incluant, conseils, documentation corporative et assistance lors de la clôture de la vente des actions de Groupe Orléans Express Inc.[7] ». Quant aux honoraires de Desjardins Lapointe Mousseau Bélanger, conseillers juridiques et notaires, l’état de compte en date du 12 juin 2002, fournit plus de détail, notamment :

 

« […] prise de connaissance du projet de convention de dépôt en fidéicommis […] diverses discussions et négociations entre les représentants de chacune des parties, la participation […] aux séances de clôture du 15 avril 2002 […] préparation, passation et publication d’une quittance par RoyNat inc. […] quant à l’hypothèque affectant l’immeuble situé […] chemin des Quatre-Bourgeois, Sainte-Foy, et de cinq réquisitions d’inscription de radiation volontaire signées par RoyNat quant aux hypothèques mobilières en sa faveur consenties par Autocars Orléans Express inc. […], Gare d’autobus de la Vieille Capitale inc. […], Groupe Orléans Express inc.[…] ». (Pièce A-1, onglet 12, page 8 et page 7.)

[12]         Mentionnons également qu’un des motifs importants de la facturation des honoraires à 404 et non pas à la Fiducie était d’obtenir par le biais du crédit de taxe sur les intrants et du remboursement de la taxe sur les intrants le remboursement  de la TPS et de la TVQ versées à l’égard de ces honoraires.

 

[13]         Il ressort de cette rapide description des opérations effectuées le 15 avril 2002 et peu de temps auparavant que 404 a été interposée entre la Fiducie et Keolis dans le but de minimiser l’impact fiscal de la vente des intérêts de la famille Gauthier à cette filiale d’une société française. 404 était de façon évidente une société soumise au contrôle de la famille Gauthier pour la réalisation de cette planification fiscale. Il est vrai que les honoraires de KPMG et des deux cabinets de juristes ont été facturés à 404 et non à la Fiducie. Toutefois, comme l’affirme la Fiducie dans son avis d’appel, il s’agit d’honoraires « qui auraient eu à être payés par l’Appelante si celle-ci avait vendu directement lesdites actions à Keolis ».

 

[14]         D'autre part, il paraît tout à fait curieux que la Fiducie ait vendu 164 actions de catégorie B à Jacques Gauthier et 653 actions de catégorie B à 404 à 6 550 $ par action alors que les 433 actions de la même catégorie dont elle a disposé le même jour en faveur de 404 ne valaient pas plus que 6 010 $ par action. De plus, ces mêmes actions ont toutes été revendues à Keolis pour le prix unitaire de 6 550 $. Il apparaît évident que la véritable juste valeur marchande des 433 actions vendues par la Fiducie à Keolis était de 6 550 $ dollars par action, mais que le prix a été réduit pour tenir compte du fait que 404 allait devoir acquitter des honoraires d’environ 233 786 $.

 

[15]         Je peux comprendre que le fiscaliste dont la famille Gauthier a retenu les services ait soutenu lors de son témoignage que la valeur marchande devait être de 6 010 $ compte tenu du fait que 404 devait acquitter les honoraires de 233 786 $. Par contre, il m’apparaît plus conforme à la réalité de constater que la Fiducie a cédé 433 actions dont la valeur marchande unitaire était de 6 550 $, que le prix de la vente réel de ces actions s’élevait à 2 836 423 $ (433 X 6550), somme qu’a d’ailleurs touchée 404 lorsqu’elle a revendu ces actions à Keolis, et que la contrepartie donnée pour obtenir cette valeur économique de 2 836 423 $ comprenait deux éléments : le premier, un billet de 2 602 637 $, et le deuxième, le fait pour 404 d’accepter d’acquitter les honoraires que la Fiducie aurait eu par ailleurs à acquitter si 404 n’avait pas été interposée dans la série d’opérations effectuées pour vendre les actions en question à Keolis.

 

[16]         Je retiens la définition de contrepartie donnée dans l’affaire Currie et mentionnée par la juge Lamarre dans la décision Banque République Nationale, plus haut, et celle du Black’s Law Dictionary, qui selon laquelle [TRADUCTION] « contrepartie » peut comprendre toute [TRADUCTION] « incitation à un contrat […] [u]n droit, un intérêt, un profit, un avantage pour une partie ou une renonciation, un désavantage, une perte ou une responsabilité pour l’autre partie ». 404, en acceptant que les honoraires relatifs à la vente des actions soient facturés à elle plutôt qu’à la Fiducie, se trouvait à assumer en quelque sorte la responsabilité de la Fiducie. Cette dernière a donc reçu un avantage. Décrire la situation de cette façon m’apparaît plus conforme à la réalité et la véritable juste valeur marchande unitaire des actions était bien 6 550 $. Pour acquérir les 433 actions de catégorie B à leur juste valeur, 404 devait remettre le billet mentionné au contrat et assumer la responsabilité à l’égard des honoraires.

 

[17]         La description ci-dessus des opérations effectuées m’apparaît plus conforme à la réalité que celle donnée dans le contrat de vente, d’où il ressort que la valeur unitaire des 433 actions de catégorie B s’élevait à 6 010 $. Le fait que le montant des honoraires pris en charge par 404 n’est pas mentionné au contrat écrit comme faisant partie de la contrepartie donnée pour l’acquisition des actions n’empêche pas cette Cour, à mon avis, de conclure que les parties ont réellement tenu compte de ce que 404 a accepté de prendre en charge ces honoraires. Qu’il en ait été ainsi, cela ressort clairement de l’explication fournie par le fiscaliste, qui a indiqué au ministre que le prix avait été réduit pour tenir compte des honoraires qu’allait acquitter 404. Il ne découle pas du fait que cette contrepartie ne soit pas explicitement mentionnée au contrat que le ministre devrait être limité à déterminer en fonction de ce que les parties ont indiqué au contrat le montant du dividende réputé[8]. Ici les parties ont préféré diminuer le prix de vente pour refléter le fait que 404 prenait en charge les honoraires de 233 786 $ au lieu d’indiquer le véritable prix de vente unitaire des actions, à savoir 6 550 $ par action. Cette façon de présenter les choses n’est pas conforme, à mon avis, à la réalité.

 

[18]         Si les tribunaux qui doivent distinguer entre un contrat de travail et un contrat de service peuvent conclure, en vertu du principe de la réalité, qu’un contrat de service est véritablement un contrat de travail, même si on le décrit comme un contrat de service (ou vice-versa), cette Cour a certainement compétence pour conclure que la véritable contrepartie donnée par 404 à la Fiducie Gauthier comprend le fait pour 404 d’accepter d’acquitter les honoraires que la Fiducie aurait acquittés si 404 n’avait pas été interposée dans la série d’opérations menant à la disposition des actions. L’application de ce principe de la réalité n’entraîne pas nécessairement la conclusion qu’il s’agit d’un simulacre[9]. Un serveur qui reçoit un pourboire peut bien désigner ce pourboire en cour comme un cadeau (et non pas comme une rémunération pour la qualité de sa prestation); toutefois, si la preuve révèle que le client lui a versé le pourboire en contrepartie du service rendu, la Cour n’est pas liée par la dénomination utilisée par le serveur.

 

[19]         Pour tous ces motifs, la Fiducie n’a pas réussi à convaincre la Cour que la cotisation établie par le ministre était erronée et, par conséquent, l’appel de la Fiducie est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de juin 2011.

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 318

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-2331(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Fiducie Famille Gauthier c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 6 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 23 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Wilfrid Lefebvre

 

                 Cabinet :                           Ogilvy Renault

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Quoiqu’il existe des écarts entre les montants apparaissant aux paragraphes 7 et 9 de l’avis d’appel et ceux apparaissant dans la réponse et ceux apparaissant aux pièces produites en preuve, notamment relativement aux honoraires, au billet et au prix de vente à l’égard des 433 actions de catégorie B, ces écarts ne sont pas importants et les parties ont demandé à la Cour de ne pas en tenir compte, car elles ne contestent pas les chiffres, mais demandent plutôt à la Cour de trancher la question de principe de savoir si le ministre était justifié de considérer le montant versé à titre d’honoraires par 404 comme faisant partie de la contrepartie aux fins de l’application de l’article 84.1 de la Loi, en particulier l’élément D de la formule y énoncée. Voici ce qu’édicte le paragraphe 84.1 (1) de Loi :

 

84.1 (1) Vente d'actions en cas de lien de dépendance - Lorsque, après le 22 mai 1985, un contribuable qui réside au Canada (à l'exclusion d'une société) dispose d'actions qui sont des immobilisations du contribuable - appelées « actions concernées » au présent article - d'une catégorie du capital-actions d'une société qui réside au Canada - appelée « la société en cause » au présent article - en faveur d'une autre société - appelée « acheteur » au présent article - avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance et que, immédiatement après la disposition, la société en cause serait rattachée à l'acheteur, au sens du paragraphe 186(4) si les mentions « société payante » et « société donnée » y étaient respectivement remplacées par « la société en cause » et « acheteur » :

 

a) […]

 

b) pour l'application de la présente loi, un dividende, calculé selon la formule suivante, est réputé avoir été versé par l'acheteur au contribuable et reçu par celui-ci au moment de la disposition :

(A + D) - (E + F)

où :

A représente le montant correspondant à l'augmentation - conséquence de l'émission des nouvelles actions - du capital versé au titre de toutes les actions du capital-actions de l'acheteur, calculée sans que le présent article soit appliqué à l'acquisition des actions concernées,

D la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toute contrepartie, à l'exclusion des nouvelles actions, reçue de l'acheteur par le contribuable pour les actions concernées,

E le plus élevé des montants suivants :

(i) le capital versé au titre des actions concernées immédiatement avant la disposition,

(ii) le prix de base rajusté des actions concernées pour le contribuable immédiatement avant la disposition, sous réserve des alinéas (2)a) et a.1),

F le total des montants dont chacun représente un montant que l'acheteur doit déduire selon l'alinéa a) dans le calcul du capital versé au titre d'une catégorie d'actions de son capital-actions à cause de l'acquisition des actions concernées.

 

[2]           2 602 636 selon les termes du contrat. (Voir la pièce A-1, onglet 9, page 2.)

[3]           Il faut souligner que cette affirmation ne vise pas les honoraires "entre elle" et Keolis Canada inc. (Keolis).

[4]           Voir contrat de vente, pièce A-1, onglet 10, deuxième partie, page 5.

[5]           Voir pièce A-1, onglet 10, première partie.

[6]           Pièce A-1, onglet 12, page 11.

[7]           Ibid., page 10.

[8]           Il arrive qu’on n’indique pas dans un contrat écrit le plein montant de la contrepartie d’un bien ou d’un service rendu. Par exemple, une personne qui retient les services d'un traiteur peut décider de verser pour ces services non seulement le prix convenu au contrat écrit, mais également un pourboire pour manifester sa satisfaction. Le pourboire fait partie de la contrepartie pour les services du traiteur et représente un revenu pour celui-ci.

 

[9]               Voir 2529-1915 Québec Inc. c. Canada, [2008] A.C.F. no 1701 (QL) (CAF), 2009 DTC 5023 (angl.), par 54 à 59, relativement à la notion de simulacre.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.