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Dossier : 2016‑541(EI)

ENTRE :

JANET COATHUP,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 12 octobre 2016, à Belleville (Ontario)

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Robert Hogeboom

Avocat de l’intimé :

Me Alexander Nguyen

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la décision rendue par le ministre du Revenu national sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi, selon laquelle Mme Grace Pham Vanstone exerçait un emploi assurable aux termes d’un contrat de louage de services avec l’appelante pendant la période du 6 septembre 2014 au 3 mai 2015, est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints. La décision du ministre est par conséquent confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2017.

« Réal Favreau »

Juge Favreau


Dossier : 2016‑542(CPP)

ENTRE :

JANET COATHUP,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 12 octobre 2016, à Belleville (Ontario)

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Robert Hogeboom

Avocat de l’intimé :

Me Alexander Nguyen

 

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la décision rendue par le ministre du Revenu national en application du Régime de pensions du Canada, selon laquelle Mme Grace Pham Vanstone exerçait un emploi ouvrant droit à pension aux termes d’un contrat de louage de services avec l’appelante pendant la période du 6 septembre 2014 au 3 mai 2015, est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints. La décision du ministre est par conséquent confirmée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2017.

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

Référence : 2017 CCI 54

Date : 20170406

Dossiers : 2016‑541(EI)

2016‑542(CPP)


ENTRE :

JANET COATHUP,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]              La Cour est saisie d’un appel contre la décision du ministre du Revenu national selon laquelle Mme Grace Pham Vanstone (la « travailleuse ») exerçait, aux termes d’un contrat de louage de services avec l’appelante, un emploi assurable de la nature prévue à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23 (la LAE), et ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8 (le « RPC », pendant la période du 6 septembre 2014 au 3 mai 2015 (la « période considérée »).

[2]              Le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes pour établir que la travailleuse exerçait pour l’appelante un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant la période considérée :

           [traduction]

a)             L’appelante dirigeait une école de musique offrant aux enfants des cours du programme Music for Young Children (le « MYC ») ainsi que des cours privés de piano (admis).

b)             L’appelante gérait sous contrat une école de musique pour le compte du MYC (admis).

c)             L’appelante exploitait une entreprise individuelle (admis).

d)             L’appelante exploitait son entreprise dans des locaux de la Renaissance Music School et de la Lancaster Public School (admis).

e)             Les heures ouvrables de l’appelante dépendaient des inscriptions aux cours qu’elle offrait (admis).

f)               Le site Web de l’appelante se trouve à l’adresse www.myckingston.com (admis).

g)             L’appelante contrôlait les activités courantes de l’entreprise et prenait les principales décisions opérationnelles (admis).

h)             L’appelante devait se conformer aux politiques et lignes directrices formulées dans le « MYC Studio Management Contract » (contrat de gestion d’une école du MYC), qui l’obligeait à :

(i)    engager des maîtres formés au MYC (admis);

(ii)   utiliser les manuels et suivre le programme d’études du MYC (admis).

LA TRAVAILLEUSE

i)               La travailleuse et l’appelante ont passé un contrat verbal en Ontario (admis).

j)              L’appelante a engagé la travailleuse comme maîtresse de musique (admis).

k)            La travailleuse devait détenir des titres de compétence déterminés en musique ainsi qu’un certificat du MYC (admis).

l)               La travailleuse était titulaire d’un baccalauréat en musique et d’un baccalauréat en éducation (admis).

m)           La travailleuse était une maîtresse de musique certifiée par le MYC (nié).

n)             La travailleuse remplissait les fonctions suivantes :

(i)        elle préparait et donnait des cours collectifs et privés de piano (admis);

(ii)      elle dispensait des leçons particulières de piano (admis);

(iii)     elle préparait des récitals et y participait (admis);

(iv)    elle percevait les droits payés par les élèves et les transmettait à l’appelante (admis);

(v)      elle enregistrait les présences des élèves pour l’appelante (nié).

o)             La travailleuse donnait des cours pendant l’année scolaire, de septembre à juin (nié).

p)             La travailleuse remplissait ses fonctions dans les locaux de la Renaissance School of Music et de la Lancaster Public School (admis).

q)             L’appelante louait les locaux où la travailleuse remplissait ses fonctions (admis).

r)              L’appelante déterminait l’horaire de travail de la travailleuse (nié).

s)              L’horaire hebdomadaire de la travailleuse était en général le suivant :

(i)        lundi : de 13 h 30 à 17 h 30 (admis);

(ii)      mardi : de 9 h à 12 h et de 15 h 30 à 20 h (admis);

(iii)     mercredi : de 9 h 30 à 10 h 30 et de 16 h à 19 h 30 (admis);

(iv)    jeudi : de 9 h 30 à 10 h 30 et de 16 h à 20 h (admis);

(v)      samedi : de 9 h à 13 h (admis).

t)              La travailleuse devait être libre en tout temps afin que l’appelante puisse programmer les leçons sans contraintes (nié).

u)             La travailleuse était tenue de relever son temps de travail et les présences des élèves sur un registre que lui fournissait l’appelante (nié).

v)             L’appelante coordonnait l’inscription des élèves (admis).

w)           L’appelante décidait du nombre d’élèves confiés à la travailleuse (admis).

x)             L’appelante avait des exigences déterminées touchant les modalités des rapports de la travailleuse avec les élèves et leurs parents (nié).

y)             L’appelante exigeait de la travailleuse qu’elle décore la salle de musique en fonction des saisons (admis).

z)             L’appelante exigeait que la travailleuse communique avec elle selon des délais déterminés (nié).

aa)         L’appelante exigeait que la travailleuse affiche les devoirs sur le site Web de celle‑là (admis).

bb)        L’appelante demandait aux parents des élèves des appréciations sur le travail de la travailleuse (nié).

cc)         La travailleuse était tenue de suivre le programme d’études de base du MYC dans l’enseignement qu’elle donnait aux élèves relevant de ce programme (admis).

dd)        Les élèves privés décidaient de ce qu’ils voulaient apprendre et la travailleuse leur enseignait le contenu souhaité (admis).

ee)         La travailleuse était tenue d’accepter tout le travail que voulait lui attribuer l’appelante (nié).

ff)            La travailleuse était tenue de prévenir l’appelante lorsqu’elle prévoyait d’être absente (nié).

gg)         L’appelante fournissait gratuitement à la travailleuse l’équipement nécessaire, soit les claviers, le piano et le matériel didactique (admis).

hh)         L’appelante avait l’obligation contractuelle de fournir l’équipement et les locaux nécessaires dans le cadre du MYC (admis).

ii)             La travailleuse était tenue de fournir ses services personnellement (nié).

jj)            La travailleuse n’était pas autorisée à se faire remplacer par un suppléant (nié).

kk)        Lorsque la travailleuse se trouvait incapable de remplir ses fonctions, c’est l’appelante elle-même qui fournissait les services (nié).

ll)             La travailleuse ne rémunérait pas le travail en suppléance de l’appelante (admis).

mm)     La travailleuse recevait une rémunération horaire de 36,00 $ (admis).

nn)         La travailleuse ne négociait pas son taux de rémunération (nié).

oo)        C’est l’appelante qui déterminait le taux de rémunération de la travailleuse (admis).

pp)        C’est l’appelante qui déterminait la fréquence et les modalités du paiement des services de la travailleuse (admis).

qq)        La travailleuse était payée mensuellement (admis).

rr)           La travailleuse a reçu les paiements suivants de l’appelante pendant la période considérée (nié).

Date

Montant

1er octobre 2014

2 610,20 $

1er novembre 2014

2 610,20 $

1er décembre 2014

2 685,20 $

1er janvier 2015

2 685,20 $

1er février 2015

2 685,20 $

1er mars 2015

2 685,20 $

1er avril 2015

2 685,20 $

1er mai 2015

2 685,20 $

 

ss)          L’appelante payait la travailleuse par chèque (admis).

tt)            Les chèques étaient libellés au nom de la travailleuse (admis).

uu)         L’appelante ne retenait pas de primes d’assurance-emploi ni de cotisations au Régime de pensions du Canada sur la rémunération de la travailleuse (admis).

vv)         La travailleuse recevait sa rémunération horaire même en cas d’absence de l’élève (admis).

ww)     L’appelante garantissait le travail accompli par la travailleuse (nié).

xx)         L’appelante faisait de la publicité en ligne pour l’entreprise, et les élèves éventuels s’adressaient directement à elle pour obtenir les services (nié).

yy)         La travailleuse ne gérait pas son propre personnel (nié).

zz)          La travailleuse n’avait pas ses propres élèves (nié).

aaa)      Les élèves étaient les élèves de l’appelante (admis).

bbb)    L’appelante louait les deux salles de musique où les leçons étaient données (admis).

ccc)      La travailleuse engageait effectivement des dépenses dans l’exercice de ses fonctions (admis).

ddd)    La travailleuse a déclaré le revenu gagné au service de l’appelante comme autre revenu d’emploi dans sa déclaration T1 (impôt sur le revenu des particuliers) de 2014 (nié).

eee)      La travailleuse n’avait pas de compte bancaire d’entreprise (ignoré).

fff)          La travailleuse n’avait ni nom d’entreprise enregistrée ni dénomination commerciale (ignoré).

[3]              La seule question à trancher est le point de savoir si la travailleuse exerçait pour l’appelante, pendant la période considérée, un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE et ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du RPC.

Historique du dossier

[4]              La travailleuse a demandé une décision administrative sur la situation professionnelle qui était la sienne par rapport à l’appelante pendant la période considérée.

[5]              Par lettres en date du 9 juillet 2015, l’agent des décisions RPC/AE a avisé l’appelante et la travailleuse qu’il avait été établi que celle‑ci avait exercé pour celle‑là un emploi assurable et ouvrant droit à pension, au motif que son travail relevait d’un contrat de louage de services (la « décision de l’agent »).

[6]              Par lettre en date du 13 août 2015, l’appelante a contesté la décision de l’agent devant le ministre du Revenu national (le « ministre »), qui a avisé l’appelante et la travailleuse, par lettre en date du 16 décembre 2015, que cette décision avait été confirmée.

[7]              Le 17 juillet 2015, la travailleuse a déposé devant le ministre du Travail de l’Ontario une plainte portant qu’elle avait travaillé comme « employée » de l’appelante, plutôt que comme entrepreneure indépendante, à partir de ou à peu près du 6 septembre 2014 au 3 mai 2015, et que l’appelante, en violation des dispositions applicables : i) lui devait 3 263,40 $ en salaire impayé; ii) lui devait 388,80 $ en indemnités de jours fériés; iii) lui devait 1 083,08 $ en indemnités de congé annuel; iv) lui devait une indemnité de départ de 972 $; v) lui devait trois mois de retenues sur salaire pour loyer; et vi) avait omis de lui délivrer des certificats de salaire et de placarder l’affiche réglementaire sur les normes d’emploi.

[8]              Après examen suivant le critère habituel « à quatre volets » – à savoir i) le contrôle, ii) la propriété des instruments de travail, iii) la possibilité de profit et iv) le risque de perte – qui sert à établir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, l’agent des normes d’emploi chargé du dossier a conclu que la travailleuse devait être considérée comme une « employée » pour l’application de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (Ontario).

Le contexte

[9]              L’appelante applique un programme d’enseignement de la musique aux enfants désigné « Music for Young Children » (le « MYC ») dans une école de musique sise au 730, rue Amaryllis à Kingston (Ontario). Elle a enseigné la musique durant 22 ans, et deux autres maîtres travaillaient avec elle à son école. En plus d’offrir le MYC, l’appelante dispensait un enseignement privé à la Lancaster Public School (l’« école Lancaster ») et à la Renaissance Music School (l’« école Renaissance »), où elle louait des salles. Elle a pris sa retraite en juin 2014 et souhaitait passer l’hiver 2015 en Floride. Elle a commencé au début de 2014 à chercher un maître de musique pour la remplacer.

[10]         La travailleuse a été adressée à l’appelante par un maître de musique qui enseignait à l’école Renaissance, où Mme Vanstone avait donné des leçons de piano à temps partiel pendant trois ans. La travailleuse détient un baccalauréat en musique et un baccalauréat en éducation de l’Université Queen’s, ainsi qu’un certificat de niveau un du MYC, qui l’habilite à enseigner aux élèves du MYC de ce niveau.

Les témoins

[11]         L’appelante a témoigné à l’audience. Elle s’est révélée être un témoin crédible, encore qu’elle ait manifesté une tendance à orienter l’exposition des faits dans un sens favorable à sa thèse. Elle a appelé à la barre une maîtresse de piano indépendante travaillant à son école, Mme Jennifer Allan. Cette dernière m’a aussi paru crédible. Enfin, Mme Grace Pham Vanstone a aussi témoigné à l’audience, et son témoignage s’est avéré également crédible. La question à trancher dans la présente affaire ne met pas en jeu la crédibilité des parties, mais purement et simplement l’appréciation des faits.

Mme Janet Coathup

[12]         Mme Coathup a expliqué que, après 40 ans de vie professionnelle, elle avait décidé de prendre sa retraite à la fin de juin 2014. Elle ne souscrivait pas à la décision de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») concernant la situation professionnelle de la travailleuse, et elle n’avait pas fait appel de la décision du ministre ontarien du Travail parce qu’elle pensait que cette décision n’influerait en rien sur celle de l’ARC.

[13]         Selon Mme Coathup, la travailleuse était traitée de la même manière que ses collègues et recevait la même rémunération horaire, bien qu’elle eût beaucoup moins d’expérience. La travailleuse, en effet, ne détient qu’un certificat de niveau un du MYC, tandis que les deux autres maîtres de musique ont des certificats de niveau deux et de niveau trois du même programme.

[14]         L’appelante a déclaré qu’elle avait un contrat verbal avec la travailleuse et que celle‑ci avait dû signer un contrat de maître du MYC. Mme Coathup a déposé en preuve un formulaire de contrat du MYC non signé, expliquant qu’il existe un exemplaire signé de ce formulaire, mais qu’elle ne pouvait le produire pour des raisons de confidentialité.

[15]         L’appelante a ensuite exposé les modalités de la programmation des cours. En règle générale, elle demandait aux maîtres de préciser avant la fin de mai de chaque année quelles seraient leurs plages de disponibilité, à partir desquelles elle établissait un projet d’horaire qu’elle soumettait au bureau du MYC. Les élèves peuvent s’inscrire de mai à septembre. C’est seulement après la période des inscriptions que les horaires des maîtres sont définitivement fixés. Il n’est pas possible de garantir aux maîtres le nombre d’élèves qu’ils auront chacun ni le nombre de cours qu’ils donneront.

[16]         Selon le témoignage de l’appelante, les maîtres sont libres d’accepter ou de refuser les élèves ou les cours qu’on leur propose. De même, il leur est permis de chercher un supplément de travail ailleurs et de donner des cours privés.

[17]         Concernant les élèves des cours privés, l’appelante a confirmé qu’elle s’occupe de leur inscription, mais en précisant qu’elle laisse ensuite aux maîtres le soin de convenir avec les parents des lieux et des horaires. Les parents paient les cours à l’appelante, et il est permis aux maîtres de recruter des élèves et d’élaborer leurs propres programmes d’enseignement.

[18]         D’après Mme Coathup, les courriels qu’elle a échangés avec la travailleuse concernaient seulement des questions administratives, par exemple la programmation des cours, l’inscription des élèves, le paiement des droits, les locaux et d’autres questions opérationnelles.

[19]         La travailleuse donnait un nombre limité de cours de niveau un du MYC. Pour ce qui est des cours privés, ils coûtaient 46 $ l’heure, dont une part de 36 $ servait à rémunérer le maître, et le reste à payer le loyer de la salle de musique.

[20]         À l’école Renaissance, les pianos étaient fournis à tous les maîtres de piano et n’étaient pas destinés à l’usage exclusif de l’appelante.

[21]         Le MYC exigeait que chacune de ses écoles, d’un océan à l’autre, soit pourvue de six claviers, d’instruments de percussion, de jeux musicaux et de marionnettes. L’appelante payait tout cet équipement afin de pouvoir offrir des cours dans ses salles de musique. Les deux salles de musique utilisées par l’appelante sont entièrement équipées, et elle fournissait aux maîtres les manuels nécessaires pour les cours privés. La travailleuse avait ses propres ordinateur, imprimante et téléphone.

[22]         Lorsqu’un maître prévoit d’être absent, il a le choix entre deux possibilités : déplacer le cours ou engager un suppléant. Dans ce dernier cas, l’appelante peut l’aider à trouver un suppléant qualifié, mais c’est le maître qui doit rémunérer celui‑ci. L’appelante a ajouté que la travailleuse n’avait jamais engagé de suppléant parce qu’elle ne voulait pas avoir à payer de tels services.

[23]         L’appelante a reconnu le caractère peu élevé des dépenses engagées par la travailleuse pour donner ses cours, mais elle a aussi fait remarquer que le MYC exige de ses maîtres le paiement de frais de publicité régionale pour chaque école, soit 50 $ par année, sauf la première.

[24]         La travailleuse était payée lorsqu’un élève ne se présentait pas pour la leçon, a expliqué l’appelante, mais elle ne l’était pas si elle était elle-même absente, pour quelque raison que ce soit, et que le cours était annulé. La travailleuse peut décider d’enseigner plus d’heures pour accroître son revenu, mais celui‑ci diminue si elle perd des élèves. En général, la travailleuse n’a pas à investir d’argent pour gagner un revenu, et le loyer de la salle de musique n’est pas à sa charge.

[25]         L’appelante a déposé en preuve la lettre de résiliation du contrat de la travailleuse, datée du 3 mai 2015, dont voici un extrait :

[traduction]
… Je n’aurai plus besoin de vos services pour enseigner la musique aux élèves qui me sont confiés sous contrat, c’est‑à‑dire aussi bien ceux du MYC que ceux des cours privés donnés à l’école Lancaster et dans les locaux que je loue à l’école Renaissance. La résiliation de votre contrat de travail prendra effet le lundi 4 mai 2015. Je me chargerai moi-même des dispositions nécessaires pour assurer l’achèvement des cours.

[26]         L’appelante a invoqué les motifs de résiliation suivants :

        vous avez dépassé les délais en dépit de nombreux rappels;

        vous n’avez pas rempli de manière acceptable vos obligations de communication avec moi, qui étaient de me répondre et de m’informer des problèmes dans les meilleurs délais, et de tenir des dossiers exacts;

        vous vous êtes permis des propos déplacés devant les autres sur mon programme de musique et mes rapports personnels avec vous;

        je ne puis tolérer vos manquements à l’obligation de me transmettre dans les meilleurs délais les renseignements relatifs aux élèves et les droits perçus.

Mme Jennifer Allan

[27]         Mme Allan est maîtresse de piano indépendante. Elle travaille pour l’appelante depuis 11 ans et elle est certifiée par le MYC à tous les niveaux. L’enseignement de la musique est son occupation principale; elle dirige sa propre école de musique et travaille en outre pour l’appelante à temps partiel.

[28]         Elle a déclaré que, dans la programmation des cours, l’appelante donne la priorité aux élèves du MYC. Mme Allan établit avec l’appelante son horaire de cours, qui dépend du nombre d’élèves inscrits. Une fois l’inscription achevée, son horaire est définitivement fixé. Elle a donné un enseignement privé à quatre élèves au cours de la période considérée.

[29]         Elle a expliqué qu’elle suit le programme MYC et que, lorsqu’elle se trouve incapable d’enseigner un jour donné, elle déplace ses cours ou l’appelante lui trouve un suppléant. Mme Allan doit cependant payer ce dernier de sa poche dans un tel cas.

[30]         Mme Allan a déclaré qu’elle tient un registre des présences de ses élèves, mais qu’elle n’est pas tenue de rendre compte à l’appelante de ses heures travaillées.

[31]         Elle est rémunérée au taux horaire de 36 $ et gagne moins de 30 000 $ par an. Elle n’a pas enregistré son entreprise aux fins de perception de la taxe sur les produits et services. Elle a accepté d’être rémunérée à l’acte et produit ses déclarations de revenu en tant que travailleuse autonome, sans déduire de dépenses d’entreprise.

Mme Grace Pham Vanstone

[32]         Avant d’enseigner à l’école de l’appelante, Mme Vanstone enseignait un ou deux jours par semaine à l’école Renaissance à titre de maîtresse de musique indépendante.

[33]         Quand elle enseignait à l’école de l’appelante, elle suivait les lignes directrices du MYC pour ses cours collectifs, mais elle devait élaborer son propre programme d’études. Dans le courant de son activité professionnelle, elle a changé son style d’enseignement et commencé à annoncer les leçons sur un tableau d’affichage. Les parents ont bien reçu ce changement, mais l’appelante a décroché ce tableau à son retour de Floride à Pâques.

[34]         Mme Vanstone a expliqué que l’appelante manquait de souplesse concernant son horaire de travail. Par exemple, un jour où, ayant un billet pour un concert, elle avait demandé à être remplacée, l’appelante avait refusé et elle n’avait pu assister au concert. De même, lorsque Mme Vanstone lui avait demandé de travailler moins d’heures le lundi, l’appelante lui avait opposé une fin de non-recevoir et l’avait prévenue qu’elle perdrait son emploi si elle ne travaillait pas le lundi.

[35]         Selon Mme Vanstone, l’appelante exerçait un contrôle rigoureux sur les modalités de son travail. L’appelante contrôlait l’horaire de ses cours et exigeait d’elle, lors de son séjour en Floride, qu’elle réponde à ses nombreux courriels presque immédiatement ou avant la fin de la journée; l’appelante contrôlait même la décoration de sa salle de musique pour le temps de Noël, la Saint-Valentin, Pâques, etc.

[36]         L’appelante avait aussi demandé à Mme Vanstone de remplir pour elle certaines tâches administratives, par exemple de déposer à son compte bancaire les sommes reçues des parents pour les leçons de musique. En contrepartie de ces tâches administratives, l’appelante lui avait offert de loger chez elle pour un loyer mensuel de 400 $. Mme Vanstone a précisé qu’elle ne logeait dans la maison de l’appelante que lorsqu’elle enseignait, celle‑ci étant plus proche de son lieu de travail.

[37]         Mme Vanstone a confirmé avoir produit sa déclaration de revenu de 2014 en tant que travailleuse autonome, au motif qu’elle n’avait reçu de l’appelante aucun document qu’elle aurait pu joindre à cette déclaration. Sur la recommandation de son comptable, elle a produit sa déclaration de revenu en tant qu’entrepreneure indépendante afin d’éviter la pénalité pour production tardive, sachant de surcroît qu’elle pourrait produire plus tard une déclaration modifiée. Elle n’a pas enregistré son entreprise aux fins de perception de la taxe sur les produits et services. Elle ne faisait pas de publicité pour ses services, pas plus qu’elle ne facturait son travail à l’appelante. En outre, elle n’a jamais sous-traité ses leçons de musique. Enfin, tout l’équipement qu’elle utilisait dans l’exercice de ses fonctions et toutes les décorations de la salle de musique appartenaient à l’appelante.

Le droit applicable

[38]         Il existe des principes de jurisprudence constante pour distinguer le contrat de louage de services (la relation employeur-employé) du contrat d’entreprise (passé avec un entrepreneur indépendant). Les principaux critères juridiques applicables ont été examinés dans de nombreuses décisions judiciaires, notamment les arrêts de la Cour d’appel fédérale 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85 (« Connor Homes »), et Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (« Wiebe Door »), ainsi que l’arrêt de la Cour suprême du Canada 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 (« Sagaz »).

[39]         La Cour suprême du Canada explique au paragraphe 17 de Sagaz que la question essentielle à trancher est le point de savoir si l’intéressé fournit ses services en tant que personne travaillant à son compte.

[40]         Dans Connor Homes, la Cour fédérale a formulé un critère en deux étapes. Premièrement, le tribunal saisi doit établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation de travail. Deuxièmement, le tribunal doit analyser la relation de travail liant les deux parties afin d’établir si la réalité objective de cette relation est compatible avec leur intention. Les facteurs définis dans l’arrêt Wiebe Door, c’est‑à‑dire le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte, doivent être utilisés à cette deuxième étape.

L’intention

[41]         Dans la présente espèce, l’agent d’appels de l’ARC a conclu dans son rapport à l’inexistence d’une intention commune à l’appelante et à la travailleuse. L’appelante considérait la travailleuse comme autonome, tandis que celle‑ci estimait être une employée. L’appelante conteste cette conclusion.

[42]         L’appelante, selon son témoignage, s’était entretenue avec la travailleuse de sa situation fiscale et avait l’intention de la traiter de la même manière que les autres maîtres, qui étaient des entrepreneurs indépendants. Qui plus est, au moment où elle avait engagé la travailleuse, cette dernière enseignait à l’école Renaissance depuis trois ans en tant qu’entrepreneure indépendante.

[43]         L’appelante a aussi fait observer que la travailleuse avait rempli sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2014 en tant qu’entrepreneure indépendante et qu’elle y avait demandé une déduction pour dépenses d’entreprise. L’appelante a également rappelé qu’elle avait délivré à la travailleuse, pour la même année d’imposition, un reçu à fins fiscales non daté portant qu’elle avait touché 12 340,80 $ en rémunération des services fournis du 6 septembre au 31 décembre 2014. L’appelante n’avait opéré aucune retenue fiscale à la source sur cette somme versée à la travailleuse.

[44]         Il n’existe aucun autre élément de preuve concret tendant à établir l’intention de l’appelante. Celle‑ci et la travailleuse n’ont pas signé de contrat écrit en bonne et due forme. Un formulaire en blanc de contrat de maître du MYC a été produit en preuve, mais je ne puis attribuer aucune force probante à ce document non signé. La travailleuse n’a pas dressé de factures, ni fait de publicité pour ses services, ni enregistré son entreprise aux fins de perception de la taxe sur les produits et services. Il est vrai qu’elle a produit sa déclaration de revenu de 2014 en tant que travailleuse autonome, parce qu’elle n’avait pas reçu de feuillet T‑4 de l’appelante dans le délai nécessaire.

[45]         Contrairement à son témoignage, l’appelante a explicitement défini sa relation avec la travailleuse comme une relation employeur-employé. Elle a en effet écrit ce qui suit dans un courriel adressé à la travailleuse le 9 janvier 2015 à 11 h 11 :

[traduction]

… Le fait que vous n’ayez même pas réagi à mes préoccupations pourrait facilement s’interpréter comme un cas d’insubordination dans le cadre de notre relation employeur-employé et semble même attester de votre part une volonté de contrecarrer mes politiques. Dans l’un ou l’autre cas, votre attitude est inacceptable, et je ne saurais la tolérer. Je m’estime en droit d’attendre de vous la rectification immédiate et permanente de votre conduite, faute de quoi je devrai prendre à votre égard des mesures plus rigoureuses.

[46]         Je conclus de ce qui précède au caractère discordant des intentions respectives de l’appelante et de la travailleuse concernant leur relation de travail.

Le contrôle

[47]         L’agent d’appels a conclu que ce facteur militait pour la thèse du contrat de louage de services, au motif que l’appelante exigeait manifestement de la travailleuse l’obéissance d’une subordonnée.

[48]         Selon la preuve, l’appelante ne donnait pas d’instructions à la travailleuse sur la manière de remplir ses tâches. Cette dernière détenait un certificat de niveau un du MYC, était très compétente en musique et jouait du piano. Elle n’avait pas besoin que l’appelante lui explique comment remplir ses tâches. Cependant, l’appelante avait envers elle des exigences déterminées. Elle exerçait un contrôle sur les modalités des rapports de la travailleuse avec les clients, sur la manière dont celle‑ci devait établir son horaire et sur la décoration de la salle de musique, et elle attendait de Mme Vanstone qu’elle l’informe et lui réponde dans les meilleurs délais.

[49]         L’appelante se chargeait de l’inscription de tous les élèves du MYC et des cours privés. Elle établissait les horaires en fonction du nombre d’inscrits et des plages de disponibilité des maîtres. Elle donnait la priorité aux élèves du MYC. La travailleuse devait enseigner à l’école Lancaster et à l’école Renaissance conformément aux arrangements pris par l’appelante avec les clients, et elle était tenue de travailler le lundi en raison de la disponibilité du local.

[50]         La lettre de résiliation adressée à la travailleuse montre que les élèves du MYC et ceux des cours privés offerts à l’école Lancaster et à l’école Renaissance étaient les élèves de l’appelante et non de la travailleuse. Cette lettre indique en outre que la travailleuse avait des délais à remplir, qu’elle devait répondre aux demandes de renseignements de l’appelante dans les meilleurs délais et qu’elle devait tenir des dossiers exacts.

[51]         Il me paraît ressortir à l’évidence de ce qui précède que la réalité objective du contrôle que l’appelante exerçait sur la travailleuse ne cadre pas avec l’intention de celle‑là selon laquelle celle‑ci était une entrepreneure indépendante.

La propriété des instruments de travail

[52]         L’agent d’appels a conclu que cet élément militait aussi pour la thèse du contrat de louage de services. Je souscris à cette conclusion, étant donné que les deux salles louées par l’appelante pour les leçons de musique étaient équipées des instruments nécessaires à la prestation de ses services pour le programme MYC. L’appelante fournissait l’équipement et mettait son matériel didactique à la disposition de la travailleuse dans les deux salles de musique.

La sous-traitance

[53]         La travailleuse ne s’est jamais fait remplacer par un sous-traitant au cours de la période considérée, mais il est arrivé une fois que, prévenue par elle qu’elle serait absente, l’appelante enseigne à sa place sans se faire rémunérer sa suppléance. En cas d’absence prévue, la travailleuse était tenue de trouver un suppléant fourni par l’appelante, ou de déplacer les cours, ou encore de les annuler et de se voir privée de la rémunération correspondante.

[54]         Les faits relatifs à cet élément militent pour la thèse du contrat de louage de services, étant donné que la travailleuse était généralement tenue de fournir ses services personnellement. Elle avait été engagée en raison de son expérience et de son certificat de niveau un du MYC. À l’occasion et dans des cas particuliers, la travailleuse aurait pu avoir recours à des suppléants fournis par l’appelante. Elle n’avait cependant sous aucun rapport la possibilité de gagner plus en sous-traitant ses tâches d’enseignement.

La possibilité de profit et le risque de perte

[55]         L’accord entre l’appelante et la travailleuse n’offrait à cette dernière aucune possibilité d’accroître son profit. La seule façon dont la travailleuse aurait pu gagner plus aurait été de travailler plus d’heures, ce qui n’est pas la même chose qu’une possibilité de profit.

[56]         L’appelante a déclaré qu’il était permis à la travailleuse de donner des cours privés en dehors de l’école Lancaster et de l’école Renaissance, mais il se serait agi là d’arrangements distincts des contrats passés entre les deux personnes.

[57]         La rémunération de la travailleuse n’était pas négociable et elle était fixée au même taux que celle de tous les maîtres de musique travaillant pour l’appelante.

[58]         L’appelante coordonnait l’inscription des élèves sans frais pour la travailleuse. L’appelante se chargeait de la publicité de l’entreprise en ligne, et les clients éventuels s’adressaient à elle. La travailleuse était rémunérée même dans les cas où les élèves ne se présentaient pas à leurs cours.

[59]         L’appelante fournissait gratuitement à la travailleuse les instruments nécessaires à l’accomplissement de ses tâches, de même qu’elle louait les deux salles de musique et l’équipement. La travailleuse ne courait aucun risque réel de perte pécuniaire. Elle n’avait pas de dépenses en capital à faire, et son seul poste de frais semble avoir été l’achat de partitions.

[60]         Les faits relatifs à la possibilité de profit et au risque de perte étayent donc manifestement l’existence d’une relation employeur-employé.

[61]         Toute réflexion faite, je conclus que l’application à la présente espèce des critères définis dans l’arrêt Wiebe Door vient confirmer l’intention de la travailleuse selon laquelle elle était une employée. L’intention de l’appelante selon laquelle la travailleuse était une entrepreneure indépendante se révèle incompatible avec la preuve produite à l’audience.

[62]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2017.

« Réal Favreau »

Juge Favreau


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 54

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2016‑541(EI)

2016‑542 (CPP)

INTITULÉ :

Janet Coathup et le M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Belleville (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 avril 2017

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Robert Hogeboom

Avocat de l’intimé :

Me Alexander Nguyen

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[BLANK / EN BLANC]

Cabinet :

[BLANK / EN BLANC]

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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