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Dossier : 2009-1660(IT)G

ENTRE :

LUCIEN RÉMILLARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

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Appel entendu le 29 mars 2011, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me Marie-Ève Simard

Me Maurice Trudeau

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

 

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JUGEMENT

        L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2002 est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2011.

 

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 


 

Référence : 2011 CCI 327

Date : 20110629

Dossier : 2009-1660(IT)G

ENTRE :

LUCIEN RÉMILLARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]              L’appelant a interjeté appel des avis de nouvelle cotisation suivants pour l’année d’imposition 2002 :

 

14. Par avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2007, le ministre du Revenu national (le ministre) a ajouté aux revenus déclarés par l’appelant, pour son année d’imposition 2002, la somme de 5 000 000 $ à titre de revenus additionnels suite à une remise de dette de la société RCI Environnement inc.

 

15. Par avis de nouvelle cotisation du 2 juin 2008, le ministre a maintenu les changements effectués par la nouvelle cotisation du 7 mai 2007 et a ajouté aux revenus de l’appelant pour son année d’imposition 2002 la somme de 1 159 574 $ à titre de revenu étranger accumulé tiré de biens. [1]

 

[2]              Ces avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2002 ont été établis après la période normale de nouvelle cotisation.

 

Les faits

 

[3]              Voici les faits dont les parties conviennent ou auxquels j’ai conclu.

 

 

[4]              Il n’y a pas de litige entre les parties quant aux faits pertinents de l’affaire. L’appelant est l’unique administrateur, le président et un employé de la société RCI Environnement (« RCI »). Le 15 décembre 2000, RCI a prêté 5 000 000 $ à l’appelant. Ce prêt avait une durée d’un an et portait intérêt au taux de 10%. Le 31 juillet 2002, le prêt de 5 000 000 $ a été radié des documents comptables de RCI et, le même jour, l’appelant a reçu une quittance de 5 000 000 $. Les intérêts payables aux termes de la convention de prêt ont été entièrement payés. Toutefois, le capital n’a pas été remboursé.

 

[5]              Avant de remettre ladite quittance, RCI n’a entrepris aucune démarche auprès de l’appelant pour tenter de recouvrer son prêt. Dans sa déclaration de revenus pour son année d’imposition 2002, RCI n’a fourni aucun renseignement sur la solvabilité de l’appelant et a réclamé une perte en capital de 5 000 000 $, ce que le ministre a refusé.

 

[6]              Le 28 avril 2006, l’appelant a signé une renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2002. Le 7 mai 2007, le ministre a établi un avis de nouvelle cotisation pour ajouter aux revenus déclarés par l’appelant, pour l’année d’imposition 2002, la somme de 5 000 000 $ à titre de revenus additionnels. L’intimé n’a pas expliqué en détail la raison pour laquelle l’avis de nouvelle cotisation n’avait pas été établi pendant la période normale.

 

[7]              Le 2 juin 2008, le ministre a établi un autre avis de nouvelle cotisation. Par cette cotisation, il a repris les changements effectués par la nouvelle cotisation du 7 mai 2007 et a ajouté aux revenus de l’appelant pour son année d’imposition 2002 la somme de 1 159 574 $ à titre de revenu étranger accumulé tiré de biens. Cette dernière somme ne fait pas l’objet du présent litige.

 

[8]              M. Jacques Plante, comptable agréé, a témoigné qu’il est le directeur des finances et le conseiller de l’appelant. Il s’occupe des affaires personnelles de ce dernier et des sociétés qu’il détient. Il était le seul témoin pour l’appelant.

 

[9]              Le 15 décembre 2000, M. Plante a signé à titre de représentant de RCI, la convention de prêt qui établit le prêt de 5 000 000 $. L’appelant a utilisé les sommes avancées par Placements Saint-Mathieu, une société dont l’appelant est président, actionnaire et administrateur unique, pour payer les dépenses personnelles suivantes :

 

a) Un don de 2 100 000 $ a été versé à la Fiducie Remdev. Cette fiducie a été mise en place pour les enfants et les descendants de l’appelant.

 

b) Un don de 800 000 $ a été versé à ses fils Mathieu et Lucien Rémillard.

 

c) Un don de 250 000 $ a été versé à son neveu Robert Berthelet.

 

d) Une somme de 2 500 000 $ a été versée pour l’achat d’une résidence et de meubles personnels pour l’appelant.

 

[10]         L’appelant a versé les intérêts; RCI les a déclarés dans ses revenus et l’appelant ne les a pas déduits de ses revenus.  

 

[11]         M. Plante a expliqué que RCI a renoncé au remboursement du capital de 5 000 000 $ et a donné une quittance parce qu’une société publique souhaitait acheter RCI. Cette société publique voulait que les avances et les prêts disparaissent du bilan de RCI. L’appelant a donc adopté une résolution à titre d’administrateur unique de RCI pour procéder à la remise de dette. Le prêt a ensuite été radié des documents comptables de RCI. La société n’a entrepris aucune démarche pour tenter de recouvrer son prêt de l’appelant.

 

[12]         M. Daniel Fleurant, un vérificateur à l’Agence du revenu du Canada, a témoigné. Il a corroboré le témoignage de M. Plante selon lequel l’appelant était l’unique administrateur et un employé de RCI, qu’il avait reçu un feuillet T4 indiquant un montant de 273 000 $, et qu’il n’y avait aucune raison particulière pour laquelle RCI avait radié la dette de 5 000 000 $.

 

[13]         La date de prescription de la période normale de nouvelle cotisation de l’appelant pour son année d’imposition 2002 était le 20 mai 2006. Lorsque M. Fleurant a constaté que cette date approchait, il a demandé à l’appelant de signer une renonciation à l’application de ladite période. L’appelant et ses représentants ont ainsi eu plus de temps pour trouver les réponses aux questions écrites qu’ils avaient reçues. M. Fleurant a expliqué que s’il n’avait pas obtenu la renonciation de l’appelant, il aurait probablement procédé à une cotisation plus rapidement, sans les réponses qu’il attendait de l’appelant.


 

Les questions en litige

 

[14]         Le pourvoi de l’appelant soulève deux questions principales. Premièrement, si l’appelant a signé une renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre peut-il établir deux avis de nouvelle cotisation malgré l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation prévue au paragraphe 152(4) de la Loi pour l’année d’imposition 2002?

 

[15]         Deuxièmement, si tel est le cas, l’alinéa 6(1)a) et les paragraphes 6(15), 6(15.1) et 80(1) de la Loi s’appliquent-ils de façon à permettre au ministre d’ajouter 5 000 000 $ aux revenus de l’appelant pour son année d’imposition 2002 ?

 

Les prétentions des parties

 

[16]         L’avocat de l’appelant soutient que la nouvelle cotisation établie le 2 juin 2008 n’est pas valide car elle a été établie plus de trois ans après les premières cotisations initiales, soit après la période normale de nouvelle cotisation prévue au paragraphe 152(3.1) de la Loi, et ce, bien que l’appelant ait renoncé à l’application de la période de nouvelle cotisation. Il soutient que cette renonciation vaut uniquement pour l’avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2007 et non pour celui du 2 juin 2008. De plus, il prétend qu’il n’y a pas de remise de dette car l’avantage tiré du prêt n’a pas été accordé en vertu d’une charge ou d’un emploi au sens de l’alinéa 6(1)a). Pour qu’il y ait une remise de dette, il doit y avoir un « montant remis » au sens du paragraphe 6(15.1). Le paragraphe 6(15.1) est clair et non ambigu : il énonce quatre conditions pour qu’il y ait un « montant remis, » et la dette en question doit notamment être une « dette commerciale » au sens du paragraphe 80(1). Par conséquent, il ne peut y avoir de « montant remis ».

 

[17]         L’avocat du ministre prétend que l’appelant, en produisant une renonciation le 28 avril 2006, a renoncé à l’application de la période normale de nouvelle cotisation à l’égard de l’année 2002. Dans ces circonstances, le ministre était fondé à établir de nouvelles cotisations pour l’année en question et il n’était pas limité à une seule nouvelle cotisation. Ainsi, la cotisation établie le 2 juin 2008 est valide. Ensuite, le ministre soutient qu’il y a eu une remise de dette par l’effet de l’alinéa 6(1)a) et du paragraphe 6(15) lorsque la société RCI Environnement inc. a annulé la dette de 5 000 000 $ que l’appelant avait contractée avec elle. L’avocat du ministre renvoie à la version anglaise du paragraphe 6(15.1) qui, selon lui, énonce des hypothèses, et non des conditions. Ainsi, la dette en question ne doit pas nécessairement être une « dette commerciale » qui est d’une « créance commerciale » au sens du paragraphe 80(1) de la Loi.

 

Analyse

 

[18]         Je n’ai aucune difficulté à conclure que l’alinéa 6(1)a) et le paragraphe 6(15) de la Loi peuvent être appliqués ensemble, et ce, sans exiger l’application du paragraphe 6(15.1). Ce dernier est une mesure d’allègement supplémentaire qui est offerte aux contribuables qui satisfont aux conditions qui y sont énoncées. Pour les raisons qui suivent, l’appelant ne remplit pas ces conditions. Il n’y a aucun besoin de procéder à une analyse approfondie, mais au cas où la conclusion qui précède serait incorrecte, je traiterai de la position subsidiaire de l’appelant.

 

[19]         À cet égard, l’appelant soutient que le ministre ne peut pas établir plus d’une cotisation à l’égard d’un contribuable qui a produit une renonciation à la prescription. Comme l’objet d’une renonciation est de donner plus de temps à l’ARC pour effectuer son travail de vérification et éviter une cotisation arbitraire, la renonciation de l’appelant à la période de nouvelle cotisation vaut uniquement pour l’avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2007 et non pour celle du 2 juin 2008. Il invoque la décision de la Cour du Québec Royal Bank of Canada c. Québec (Sous-ministre du Revenu[2]), , où le juge Desmarais a énoncé, aux paragraphes 47 et 48 de son jugement :

 

47 La renonciation est un accommodement entre les parties permettant au fisc de continuer un travail de vérification ou d’autre nature pour en arriver à une cotisation.

 

48 Elle est utile au contribuable pour empêcher une taxation arbitraire qui pourrait être imposée, faute de temps, par le ministre. Il peut ainsi terminer l’étude de la situation en cours.

 

[20]         L’appelant ajoute que le ministre a, en l’occurrence, bénéficié de ce temps supplémentaire pour compléter sa vérification.

 

[21]         Il s’appuie également sur les décisions de la Cour du Québec Strulovitch c. Québec (Sous-ministre du Revenu[3]),  et Banque Nationale du Canada c. Québec (Sous ministre du Revenu[4]), , dans laquelle le juge Tisseur a énoncé, à la page 217  :

 

Faut-il ajouter, comme le soumet la requérante, que le législateur a voulu consacrer un caractère définitif à l’assujettissement d’un contribuable à l’impôt. Dans l’arrêt Thyssen Mining Construction of Canada Ltd. c. La Reine (1975) C.F. 81, 89, la Cour fédérale a jugé que :

 

Dans toute la législation fiscale, il est d’intérêt public de donner un certain caractère définitif à l’assujettissement à l’impôt. À cette fin, les mécanismes d’imposition et d’appel prévoient toujours des délais.

 

On doit donc conclure que le ministre ne peut pas cotiser deux ou trois fois ou même plus, et ceci indéfiniment dans le temps, un contribuable qui a produit une renonciation à la prescription.

 

[22]         Je ne souscris pas à l’argument que le ministre ne peut établir qu’une seule cotisation à l’égard d’un contribuable qui a produit une renonciation à la prescription.

 

[23]         En effet, comme l’a affirmé l’avocat du ministre, la Cour d’appel fédérale a eu à traiter de cette question dans l’affaire Canada c. Agazarian[5]. Voici ce qu’elle écrivait à propos du paragraphe 152(4) de la Loi, aux paragraphes 32 et 33 de sa décision :

 

[32] Un dernier point de comparaison est le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation plus d’une fois. Dans l’ancien texte, ce pouvoir se trouvait dans les mots « selon les circonstances ». Dans le texte actuel, le ministre a le pouvoir d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation « at any time ». Stroud’s Judicial Dictionary (5e édition) (Londres, Sweet and Maxwell Limited, 1986) donne la définition principale suivante de cette expression :

 

 [traduction] (1) Le pouvoir de faire une chose, par exemple de révoquer un usage « en tout temps », ne se limite pas à une seule exécution; les mots « en tout temps » signifient « de temps à autre, aussi souvent que celui qui a conféré le pouvoir le jugera à propos » (Diggest Case 1 Rep. 173)

 

[33] Eu égard au sens ordinaire des mots « at any time », je n’ai guère d’hésitation à conclure que le pouvoir d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation plus d’une fois s’applique non seulement aux nouvelles cotisations qui entrent dans la période normale de nouvelle cotisation, mais également à celles qui sont en dehors de cette période. Le texte de la disposition ne renferme rien pouvant appuyer la conclusion contraire.

 

[Je souligne]

 

[24]         Même s’il était question dans cette affaire du report d’une perte, je suis convaincu que les mêmes principes peuvent être appliqués dans le cas qui nous occupe. Je suis d’avis que le ministre peut établir plusieurs nouvelles cotisations.

 

[25]         La façon d’invalider une renonciation est de la révoquer. Une renonciation demeure valide tant qu’elle n’est pas révoquée. Ce mécanisme est prévu par le paragraphe 152(4.1).

 

[26]         En l’espèce, l’appelant a produit une renonciation avant l’expiration du délai de prescription. Cette renonciation n’a jamais été révoquée. La renonciation était donc valide lorsque le ministre a établi la nouvelle cotisation du 2 juin 2008.

 

[27]         Par ailleurs, selon le sous-alinéa 152(4.01)a)(ii), une nouvelle cotisation est valide seulement si elle se rapporte à l’année d’imposition et à une question précisées dans la renonciation. En l’espèce, la renonciation indique clairement qu’elle se limite à l’année d’imposition 2002 et à la question suivante :

 

Les impacts fiscaux possibles quant à la remise de dette par RCI Environnement Inc. en faveur de M. Lucien Rémillard au montant en capital de 5 000 000 $+ intérêts+ frais accessoires.

 

[28]         Ainsi, la question que l’on doit se poser est : La nouvelle cotisation du 2 juin 2008 se rapporte-t-elle à l’année d’imposition 2002 et à la question précisée dans la renonciation?

 

[29]         L’avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2007 a pour effet d’ajouter des revenus additionnels de 5 000 000 $ aux revenus déclarés par l’appelant pour l’année d’imposition 2002.

 

[30]         L’avis de nouvelle cotisation du 2 juin 2008 vise à reprendre les changements effectués par la nouvelle cotisation du 7 mai 2007 et à ajouter aux revenus de l’appelant pour son année d’imposition 2002 la somme de 1 159 574 $ à titre de revenu étranger accumulé tiré de biens[6]. Cette dernière somme ne fait pas l’objet du présent litige.

 

[31]         L’avis de nouvelle cotisation du 2 juin 2008 ajoute d’autres éléments que l’appelant ne porte pas en appel. Toutefois, comme l’avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2007, l’avis de cotisation du 2 juin 2008 se rapporte à la remise de dette de 5 000 000 $, soit la question précisée dans la renonciation de l’appelant, ce qui le rend valide. Je souscris à l’argument de l’avocat du ministre selon lequel la nouvelle cotisation du 2 juin 2008 est une nouvelle cotisation et non une cotisation supplémentaire, puisqu’elle remplace celle du 7 mai 2007.

 

[32]         Dans l’arrêt TransCanada PipeLines Ltd. c. Canada[7], la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une nouvelle cotisation remplace et annule une cotisation établie antérieurement.

 

[33]         L’avocat de l’appelant soumet qu’il serait absurde qu’une renonciation puisse être valide perpétuellement. En effet, même s’il est vrai qu’une renonciation peut durer pendant toute la vie du contribuable, elle est limitée à une année d’imposition précise et à une question en particulier. En outre, la Loi a prévu une solution pour le contribuable qui ne désire pas renoncer indéfiniment à la période de nouvelle cotisation : c’est le mécanisme de la révocation.

 

[34]         Un autre argument invoqué par l’avocat de l’appelant est que le ministre ne peut établir une nouvelle cotisation quand la cotisation établie antérieurement est contestée, ce qui, fait-il valoir, serait contraire au paragraphe 152(9) de la Loi. Il a également cité les arrêts R. c. Loewen [8] et Anchor Pointe Energy c. La Reine.[9]

 

[35]         Cet argument ne me convainc pas. Comme l’a soulevé l’avocat du ministre, le législateur a prévu au paragraphe 165(7) de la Loi que le contribuable peut, lorsqu’il s’est opposé à une cotisation et a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt relativement à cette cotisation, modifier son avis d’appel pour y ajouter une nouvelle cotisation établie par le ministre.

 

[36]         Le paragraphe 248(1) assimile une nouvelle cotisation à une « cotisation ». Ainsi le législateur a prévu que le ministre pouvait établir de nouvelles cotisations même lorsque le contribuable s’est opposé à une cotisation antérieure et a interjeté appel à son égard.

 

[37]          L’appelant n’a pas subi de préjudice car il n’est pas dans une position plus défavorable que celle dans laquelle il se trouvait après la cotisation de 2007, sauf à l’égard des intérêts qui couraient et auxquels il a consenti lorsqu’il a signé la renonciation.  

 

[38]         Dans Anchor Pointe Energy, la Cour d’appel fédérale n’a pas déclaré que le ministre ne peut pas établir plus d’une cotisation pour une même année d’imposition. Comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans TransCanada Pipelines Ltd.c. Canada, une nouvelle cotisation annule une cotisation antérieure pour la même année.

 

[39]         En conclusion, le ministre a le pouvoir d’établir plusieurs cotisations tant que la renonciation n’est pas révoquée, et l’effet d’une nouvelle cotisation est d’annuler l’ancienne cotisation. L’avis de nouvelle cotisation du 2 juin 2008 est donc valide.

 

[40]         Les parties s’entendent sur le fait que l’appelant a bénéficié d’une remise de dette relativement à un prêt de 5 000 000 $ consenti par RCI alors qu’il était administrateur et employé de cette société pendant l’année d’imposition 2002. Toutefois, elles ne s’entendent pas sur l’interprétation des paragraphes 6(15) et 6(15.1).

 

[41]         Je me permets tout d’abord d’exposer la manière dont l’alinéa 6(1)a) et les paragraphes 6(15), 6(15.1) et 80(1) s’appliquent aux faits de la présente affaire avant d’examiner les arguments invoqués par les parties. Comme les parties n’ont pu trouver aucune décision antérieure au sujet de la question de savoir si une remise de dette constitue un  « montant remis » au sens du paragraphe 6(15.1) de la Loi, il faut donc s’en remettre à une littérale du texte de la loi ainsi qu’aux principes d’interprétation des lois.

 

L’alinéa 6(1)a)

 

[42]         L’alinéa 6(1)a) dispose que la valeur de l’avantage qu’un contribuable a reçu ou dont il a joui au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi doit être incluse dans le calcul du revenu qu’il tire d’une charge ou d’un emploi.

 

Le paragraphe 6(15)

 

[43]         Le paragraphe 6(15) dispose que, pour l’application de l’alinéa 6(1)a), la valeur de l’avantage provenant d’une remise de dette correspond au montant remis sur la dette :

 

6(15) Pour l’application de l’alinéa (1)a) :

 

a) un contribuable est réputé avoir bénéficié d’un avantage lorsqu’une dette émise par un débiteur, y compris le contribuable, est réglée ou éteinte;

 

b) la valeur de l’avantage est réputée correspondre au montant remis sur la dette au moment de son règlement ou de son extinction.

 

[44]         M. Plante a témoigné que l’appelant était un employé de RCI pendant l’année 2002 et qu’un feuillet T4 indiquant un montant de 273 000 $ lui avait été remis. D’ailleurs, il n’est pas contesté que l’appelant a bénéficié d’un prêt de 5 000 000 $ de RCI alors qu’il était un employé de RCI pendant l’année 2002. Pour ces raisons, j’estime que l’alinéa 6(1)a) et le paragraphe 6(15) s’appliquent au cas qui nous occupe.

 

[45]         En ce qui concerne le paragraphe 6(15.1), je commence avec la règle d’interprétation selon le sens ordinaire des mots qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada[10], la Cour suprême du Canada a dit :

 

10 […] L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. […] L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[46]         Le paragraphe 6(15.1) est rédigé comme suit :

 

(15.1) Pour l’application du paragraphe (15), le « montant remis » à un moment donné sur une dette émise par un débiteur s’entend au sens qui serait donné à cette expression par le paragraphe 80(1) si les conditions suivantes étaient réunies :

 

a) la dette est une dette commerciale, au sens du paragraphe 80(1), émise par le débiteur;

 

b) il n’est pas tenu compte d’un montant inclus dans le calcul du revenu en raison du règlement ou de l’extinction de la dette à ce moment;

 

c) il n’est pas tenu compte des alinéas f) et h) de l’élément B de la formule figurant à la définition de « montant remis » au paragraphe 80(1);

 

            d) il n’est pas tenu compte des alinéas 80(2)b) et q).

 

[47]         Le législateur a utilisé l’expression « si les conditions suivantes étaient réunies », ce qui signifie que des conditions et non des hypothèses sont énoncées par le législateur aux alinéas a) à d) du paragraphe 6(15.1). Il s’agit d’une disposition qui, à mon avis, est précise et non équivoque. Pour cette raison, le sens des mots joue un rôle primordial. En suivant le sens ordinaire et grammatical des mots utilisés au paragraphe 6(15.1), l’expression « montant remis » sur une dette s’entend au sens qui serait donné à cette expression par le paragraphe 80(1) si certaines conditions étaient réunies.

 

[48]         Pour conclure sur ce point, il y a lieu de référer également à un autre principe d’interprétation, qui est propre aux lois fiscales, énoncé par la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, précité, au paragraphe 11 :

 

[…]Cependant, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre l’accent sur l’interprétation textuelle. Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent.

 

[Je souligne]

 

[49]         Je suis d’avis que l’interprétation textuelle doit être respectée. Si l’on met l’accent sur l’interprétation textuelle du paragraphe 6(15.1), le renvoi que fait ce paragraphe à la définition du terme « montant remis » au paragraphe 80(1) est tout de même soumis aux conditions posées par le législateur.

 

Le sens commun aux deux versions

 

[50]         Quant à la version anglaise du paragraphe 6(15.1), j’estime qu’elle ne diffère pas de la version française. Elle est rédigée de la façon suivante :

 

(15.1) For the purpose of subsection 6(15), the « forgiven amount » at any time in respect of an obligation issued by a debtor has the meaning that would be assigned by subsection 80(1) if,

 

(a) the obligation were a commercial obligation (within the meaning assigned by subsection 80(1)) issued by the debtor;

 

(b) no amount included in computing income because of the obligation being settled or extinguished at that time were taken into account;

 

(c) the definition “forgiven amount” in subsection 80(1) were read without reference to paragraphs (f) and (h) of the description of B in that definition; and

 

(d) section 80 were read without reference to paragraphs 2(b) and (q) of that section.

[Je souligne]

 

[51]         Ici, le législateur a employé « if » avant l’énumération et « and » à la fin de l’alinéa c). Ainsi, il ressort de ces deux versions que la condition pour que, s’applique à la définition du terme « montant remis » au paragraphe 80(1) n’est satisfaite que si les conditions aux alinéas a) à d) sont réunies.

 

[52]         Le sens qui est commun aux deux versions et qui est compatible avec l’intention du législateur est, à mon avis, le suivant : le paragraphe 6(15.1) prévoit une hypothèse et non une condition à l’application de l’alinéa 6(1)a) et du paragraphe 6(15). En d’autres mots, le paragraphe 80(1) n’ajoute pas de conditions supplémentaires pour qu’existe l’obligation d’inclure la valeur de l’avantage reçu en vertu d’une charge ou d’un emploi dans le calcul du revenu. Il s’ensuit que l’expression « montant remis » sur une dette n’a le sens que lui donne le paragraphe 80(1) que si les quatre conditions énumérées au paragraphe 6(15.1) sont réunies.

 

[53]         En conclusion, si les quatre conditions sont réunies, selon le paragraphe 80(1), le « montant remis » sur une dette correspond essentiellement au moindre du principal de la dette ou du montant pour lequel la dette a été émise, déduction faite de tout montant payé en règlement du principal de la dette et de tout autre rajustement qui tient compte de la mesure dans laquelle la dette avait par ailleurs été prise en compte aux fins de l’impôt sur le revenu. Si les quatre conditions ne sont pas réunies, le contribuable ne peut se prévaloir cette mesure d’allègement prévue au paragraphe 6(15.1).

 

L’intention du législateur

 

[54]         À mon avis, l’interprétation que je retiens est compatible avec l’intention du législateur. J’estime que ce dernier a voulu, en adoptant le paragraphe 6(15.1), prévoir une mesure d’allègement additionnelle pour le contribuable qui satisfait aux conditions qui y sont énumérées.

 

[55]         Contrairement aux prétentions de l’appelant, je ne crois pas qu’il faille obligatoirement qu’il y ait une dette commerciale pour qu’un contribuable inclue la valeur de l’avantage qu’il a reçu en vertu d’une charge ou d’un emploi dans le calcul de son revenu. Le fait que le prêt consenti par RCI ne soit pas une dette commerciale ne change donc rien à la situation, et ce, contrairement aux prétentions de l’appelant.

 

Le mode du verbe utilisé

 

[56]         L’avocat de l’appelant fait valoir que l’emploi d’un verbe au conditionnel indique qu’un élément est hypothétique et que lorsqu’un texte législatif est entaché d’une erreur, il convient au tribunal d’intervenir afin de corriger l’erreur. Il a cité les paragraphes 25 et 26 de Genex Communications inc. c. La Reine[11], que je reproduis ci-dessous :

 

[25] Pour dissiper l’ambiguïté de l’alinéa b), le législateur aurait dû utiliser le verbe « auraient » plutôt que le verbe « avaient » pour indiquer que cet alinéa posait une hypothèse. […]

 

[26] Les alinéas a) et b) de la définition de « créance commerciale » sont rédigés pratiquement de la même façon. Étant donné que le législateur ne s’exprime pas pour rien, il y a tout lieu de croire que le législateur a voulu couvrir à l’alinéa b) une situation différente de celle de l’alinéa a). […]

 

[57]         Bien qu’il soit vrai que l’emploi d’un verbe au conditionnel indique qu’un élément est hypothétique, il est à souligner que la partie du paragraphe 6(15.1) qui précède l’énumération emploie le verbe « être » à deux modes distincts :

 

(15.1) Pour l’application du paragraphe (15), le « montant remis » à un moment donné sur une dette émise par un débiteur s’entend au sens qui serait donné à cette expression par le paragraphe 80(1) si les conditions suivantes étaient réunies  […]

 

[58]         Le premier verbe, « serait », est au conditionnel et il énonce une hypothèse, alors que le deuxième verbe, « étaient », est à l’imparfait et il énonce les conditions d’application de ladite hypothèse. Si les quatre conditions sont réunies, l’hypothèse s’applique. Sinon, l’hypothèse ne s’applique pas. Par conséquent, le paragraphe 6(15.1) ne comporte aucune ambiguïté, et j’estime inutile d’intervenir pour y apporter quelque modification que ce soit puisqu’il n’est entaché d’aucune erreur.

 

Application des paragraphes 6(15.1) et 80(1)

 

[59]         Comme je l’ai mentionné précédemment, le paragraphe 6(15) précise que l’expression « montant remis » sur une dette s’entend au sens qui serait donné à cette expression par le paragraphe 80(1) si quatre conditions étaient réunies.

 

[60]         Le témoignage de M. Plante révèle que l’appelant a utilisé les sommes prêtées par RCI pour effectuer des dons à des proches et pour acheter une résidence et des meubles et qu’il a entièrement remboursé les intérêts du prêt et ne les a pas déduits de ses revenus. Je signale que le ministre n’a pas posé de questions à M. Plante sur ce sujet lors de son contre-interrogatoire devant notre Cour.

 

[61]         D’après le témoignage de M. Plante, lequel j’estime être crédible, ce prêt ne peut être une dette commerciale au sens du paragraphe 80(1). Ainsi, la première condition d’application du paragraphe 6(15.1) n’est pas satisfaite. Par conséquent, l’appelant ne peut se prévaloir de l’allègement prévu au paragraphe 6(15.1).

 

La modification proposée au paragraphe 6(15.1) et les notes explicatives

 

[62]         Par ailleurs, j’estime que nous sommes en présence d’un texte clair, et par conséquent, bien que j’aie examiné la modification proposée au paragraphe 6(15.1) ainsi que les notes explicatives qui y sont rattachées, j’estime inutile d’en tenir compte pour rechercher l’intention du législateur.

 

Les autres arguments soulevés par les parties

 

[63]         Contrairement à ce qu’affirme l’avocat de l’appelant, je peux inférer du fait que l’appelant était absent lors de l’audience qu’il estimait à propos de ne pas donner un témoignage qui serait à l’encontre de sa position. Cependant, ma décision n’est pas basée sur ce fait.

 

[64]         Analogie avec l’imposition des intérêts : Le ministre fait une analogie avec l’imposition des intérêts à un taux prescrit lorsqu’un contribuable reçoit un avantage d’une société sous forme de dette, ce qui est prévu par le paragraphe 6(9) et l’article 80.4. Selon son raisonnement, le paragraphe 6(9) et l’article 80.4 n’exigent pas qu’il y ait une dette commerciale pour qu’un contribuable ait à payer de l’impôt sur la valeur de l’avantage qu’il a reçu d’une société sous forme de dette. De même, pour l’application du paragraphe 6(15), il  ne devrait pas être nécessaire qu’il y ait une dette commerciale pour qu’un contribuable doive inclure la valeur de l’avantage qu’il a reçu en vertu d’une charge ou d’un emploi dans le calcul de son revenu. Cet argument est mal fondé.

 

[65]         Je suis plutôt d’accord avec l’avocat de l’appelant qui, pour sa part, prétend que le libellé du paragraphe 6(9) est complètement différent de celui du paragraphe 6(15). Le paragraphe 6(9) renvoie au paragraphe 80.4. Or, dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 6(15) renvoie au paragraphe 6(15.1) qui, à son tour, renvoie à l’article 80(1). Par ailleurs, le paragraphe 6(9) n’établit pas une liste de conditions, comme le fait le paragraphe 6(15.1). À cet égard, j’accorde très peu d’importance à l’analogie établie par le ministre.

 

[66]         Éviter un résultat absurde : Le ministre fait valoir que selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. Sans hésitation, je suis d’accord avec son argument, et ce, en dépit des efforts de l’appelant d’établir une distinction entre une dette personnelle et une dette commerciale. Je ne crois pas qu’il faille obligatoirement qu’il y ait une dette commerciale pour qu’un contribuable doive inclure la valeur de l’avantage qu’il a reçu en vertu d’une charge ou d’un emploi dans le calcul de son revenu. Conclure le contraire mènerait inévitablement à un résultat absurde, comme l’a remarqué le ministre.

 

[67]         Doctrine : Le ministre a déposé de la doctrine selon laquelle, pour l’application du paragraphe 6(15.1), la valeur de l’avantage reçu par un contribuable doit être incluse dans le calcul de son revenu et il n’y a pas lieu de faire une distinction entre une dette commerciale et une dette personnelle. Dans Canadian Tax Reporter[12],  on retrouve à la page 3429 :

 

[TRADUCTION]

 

Cependant, le libellé des dispositions est large. Tout prêt ayant fait l’objet d’une remise est réputé constituer un avantage en application du paragraphe 6(15) et, si le contribuable a reçu cet avantage ou en a joui au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi, il constitue un avantage imposable en application de l’alinéa 6(1)a).

 

[68]         Je suis d’accord avec cet argument puisqu’il est compatible avec l’intention du législateur qui, selon moi, a voulu inclure la valeur de l’avantage qu’un contribuable reçoit en vertu d’une charge ou d’un emploi dans le calcul de son revenu, et ce, indépendamment du fait que le prêt consenti soit une dette commerciale ou non.

 

[69]         Pour ces raisons, l’appel à l’encontre de la cotisation établie le 2 juin 2008 en vertu de la Loi relativement à l’année d’imposition 2002 est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2011.

 

 

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 327

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-1660(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LUCIEN RÉMILLARD  ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 29 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 29 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Marie-Ève Simard

Me Maurice Trudeau

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Marie-Ève Simard

                                                          Me Maurice Trudeau

 

                 Cabinet :                           Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Pris de la réponse à l'avis d'appel du ministre.

[2]           [1996] J.Q. no 2561

[3]           [2005] R.D.F.Q. 160

[4]           [1992] R.D.F.Q. 213

[5]           2004 CAF 32.

[6]           Voir pièce A-1, onglet 1.

[7]           2001 CAF 314, par. 12.

[8]           2004 CAF 146.

[9]           2007 CAF 188.

[10]          [2005] 2 R.C.S. 601.

[11]          2009 CCI 583.

[12]          Volume 1, Income – Basic Rules Employment Income, paragraphes  6(15) et 6(15.1).

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