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Dossier : 2010-3709(IT)I

ENTRE :

PATRICK M. WALSH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus et motifs du jugement prononcés à l’audience

le 28 juin 2011, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocats de l’intimée :

Me Carol Calabrese

M. Shane Baker (stagiaire en droit)

 

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JUGEMENT

          Les appels relatifs aux nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont rejetés au motif que l’appelant, dans les années en cause, n’exploitait pas une entreprise.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2011.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d’août 2011.

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 341

Date : 20110706

Dossier : 2010-3709(IT)I

ENTRE :

PATRICK M. WALSH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l’audience le 28 juin 2011, à Toronto (Ontario))

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelant a déduit, en 2005 et en 2006, des pertes d’entreprise d’un montant approximatif de 12 900 $ en 2005 et de 13 600 $ en 2006.

 

[2]     Lorsqu’il a établi les nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté ces déductions au motif que l’appelant n’avait pas fourni de reçus appropriés, que les dépenses étaient déraisonnables et qu’il s’agissait de dépenses personnelles.

 

[3]     L’appelant interjette appel de ces nouvelles cotisations; il soutient que les dépenses ont été engagées et ont donné lieu à des pertes dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise et qu’elles étaient déductibles en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. En outre, il a affirmé que les dépenses engagées étaient prouvées de la manière requise et qu’elles étaient raisonnables.

 

[4]     À l’audience, l’intimée a renoncé à son affirmation selon laquelle les dépenses n’étaient pas suffisamment étayées par des reçus. De plus, aucun argument n’a été invoqué au sujet du caractère raisonnable des dépenses. L’unique position sur laquelle l’intimée s’est fondée à l’audience était que les dépenses engagées étaient de nature personnelle et que l’activité commerciale déclarée n’avait pas encore commencé. L’intimée s’est fondée principalement sur l’arrêt Stewart c. Canada[1], que la Cour suprême du Canada avait rendu en 2002.

 

[5]     L’avis d’appel décrit l’activité commerciale en question comme étant la négociation de contrats de change dans le marché au comptant/du détail.

 

[6]     Je ne doute guère que l’appelant avait, de façon générale, le niveau d’instruction nécessaire pour se lancer dans cette activité commerciale à haut risque. Il a des diplômes en économie, en commerce et en comptabilité, et il a également obtenu le titre de comptable agréé, une profession qu’il a exercée durant de nombreuses années. Contraint de mettre fin à cette profession pour des raisons de santé, il s’est mis à la recherche d’une entreprise qu’il pouvait exploiter et qui cadrait avec ses compétences et son état de santé.

 

[7]     Il a cherché plusieurs occasions d’affaires et, en 2004, il a fait l’acquisition d’un logiciel de négociation et d’un nouvel ordinateur capable de soutenir les tâches multiples et simultanées que ce logiciel lui permettait d’exécuter. Le logiciel comptait environ 45 000 abonnés. Il l’avait choisi parce qu’il offrait une formation sur les activités de négociation qu’il souhaitait mener. Il offrait aussi un soutien quotidien en ligne, assorti de comptes de négociation de démonstration qui permettaient d’apprendre le travail et de s’exercer. Il a déclaré qu’en 2005 il n’a probablement pas conclu une seule négociation véritable et, en 2006, il n’a investi que quelques centaines de dollars seulement dans des négociations.

 

[8]     M. Walsh a également déclaré qu’il s’était joint à un groupe de soutien local formé de personnes ayant fait l’acquisition du même logiciel et que, au début, il avait organisé un séminaire à l’intention de ce groupe après une réunion avec l’Agence du revenu du Canada à propos du traitement fiscal de ces activités qui, d’après ce qu’il avait compris, seraient à titre de revenu en tant que projet à risques de nature commerciale. Il a établi des registres et des comptes appropriés et il a produit un état des résultats des activités d’une entreprise avec ses déclarations concernant les années 2005 et 2006, comme, le pensait-il, il était tenu de le faire.

 

[9]     Je dois mentionner que le logiciel comprenait un flux de données donnant accès à des informations sur la négociation de contrats qui n’étaient pas toujours disponibles, jusqu’à ce que, semble-t-il, le Congrès américain rende leur accès obligatoire. Ces informations fournissaient vraisemblablement des données essentielles et opportunes pour mener des négociations ainsi que des activités connexes. En ce sens, le logiciel offrait plus que des activités de formation et de soutien. Cependant, je ne suis pas convaincu que, dans les années en question, M. Walsh faisait autre chose que suivre un programme de formation. Dans son témoignage, il a souligné à maintes reprises que l’essentiel de son activité consistait à prendre connaissance du marché afin de pouvoir l’exploiter ainsi qu’à faire les recherches nécessaires pour trouver des moyens d’exploiter ces débouchés. Il consacrait son attention exclusive à cette tâche et s’orientait vers une combinaison d’analyse classique de facteurs circonstanciels et de mécanismes d’élaboration de graphiques.

 

[10]    Je ne considère pas que M. Walsh, à cet égard, est un rêveur ou un combinard. Dans les années en question, il étudiait sérieusement la manière de prévoir les fluctuations des prix dans les marchés des devises en recourant aux études qu’il avait suivies ainsi qu’à la connaissance qu’il avait de l’interaction entre les pressions exercées sur les taux d’intérêt, les valeurs des devises, l’inflation, le chômage, les balances commerciales et d’autres facteurs du genre. Selon son témoignage, il avait accumulé quelque 12 000 pages d’études et de recherches en économie qui lui ont aujourd’hui permis d’atteindre un objectif de succès d’environ 70 p. 100. En fait, il a déposé en preuve un relevé d’activités de négociation récentes qui faisait état d’une certaine rentabilité. Il a aussi déposé en preuve un document illustrant les aspects analytiques de sa démarche. Pourtant, son témoignage manquait un peu de clarté quant au moment où il a commencé à réellement se concentrer sur un modèle opérationnel qu’il estimait réalisable et à exécuter des activités de négociation selon ce modèle. Cela peut avoir été le cas, par exemple, en 2008, quand ses pertes ont commencé à diminuer.

 

[11]    Bien que, en fin de compte, le montant et le caractère raisonnable de ses dépenses n’aient pas été remis en question, je crois qu’il vaut la peine de signaler qu’il n’y a rien d’excessif dans les éléments déduits. Par exemple, rien n’est déduit pour des éléments tels que les dépenses de bureau à domicile, comprenant la répartition d’un pourcentage des frais de subsistance ou des dépenses d’automobile. Pour être plus précis, les dépenses sont liées à leur source, ce dont je prends note avec satisfaction. Cependant, cela ne change pas mon impression quant au stade auquel il faut conclure que cette activité a eu lieu, en 2005 et en 2006. En fait, une dépense en particulier, faite en 2006, a eu pour but d’assister à un programme comportant trois jours de séminaires intensifs sur la négociation, un programme qu’il a qualifié d’occasion de formation unique et qui illustre un thème sous-jacent qui revient dans tout le témoignage de M. Walsh, à savoir que ce dernier, pendant toute la période visée par l’appel, était en formation.

 

[12]    De plus, je dois maintenant signaler que M. Walsh a reconnu qu’il avait peu de capital à risquer dans cette entreprise à haut risque. Il touche un modeste revenu de pension et d’invalidité et il a essentiellement reconnu qu’il avait passé ces premières années à s’initier à la négociation de contrats dans ce secteur à haut risque et à s’instruire convenablement, par lui-même si l’on veut, dans le cadre d’activités de recherche et d’exercice sérieuses, avant de pouvoir investir concrètement des fonds réels dans cette entreprise. Comme il a été mentionné plus tôt, pendant toute la période de deux ans, soit 2005 et 2006, il n’a engagé que quelques centaines de dollars dans des négociations véritables. Ces opérations étaient, encore, des exercices.

 

[13]    Cela m’amène donc à mon analyse, y compris aux arguments des parties.

 

Analyse

 

[14]    Plaidant en faveur de l’intimée, M. Baker s’est fondé principalement sur l’arrêt que la Cour suprême du Canada avait rendu en 2002 dans l’affaire Stewart pour structurer l’analyse requise.

 

[15]    Il a fait remarquer que, lorsqu’on soupçonne l’existence d’un élément personnel, l’exercice consiste dans un tel cas à déterminer, au moyen de divers facteurs, y compris des facteurs objectifs et subjectifs, les intentions du contribuable.

 

[16]    Ce qui serait un élément personnel, est-il allégué, n’est pas uniquement un passe-temps, mais une activité éducative également, même si elle vise à préparer quelqu’un à exercer une activité commerciale. C’est-à-dire que l’acquisition du savoir-faire requis pour exploiter un type particulier d’entreprise - ce qui était l’intention en l’espèce - constitue une activité de perfectionnement personnel, et non une activité commerciale en soi.

 

[17]    Les facteurs objectifs énumérés au paragraphe 55 de l’arrêt Stewart, qui comportent des éléments tels que l’état des profits et des pertes, ainsi que la capacité de l’entreprise de réaliser un profit, ne sont pas exhaustifs. L’exercice consiste à chercher à découvrir la nature commerciale de l’activité. Les indices de commercialité doivent être suffisants pour qu’il soit justifié de conclure qu’il existe une source de revenus.

 

[18]    En l’espèce, l’examen des facteurs pertinents amène à conclure, tant objectivement que subjectivement, que l’activité menée en 2005 et en 2006 n’était pas une source de revenus. Cette activité n’avait pas encore atteint le niveau de commercialité qui permet de conclure qu’une entreprise avait débuté.

 

[19]    Tout en invoquant plusieurs autres décisions, dont les suivantes de la Cour canadienne de l’impôt : Coome c. Canada[2], Dreaver v. Canada[3] et Gartry v. Canada[4], l’avocate de l’intimée m’a aussi renvoyé à la décision que j’avais rendue en 2005 dans McNeil v. Canada[5], au paragraphe 12, où, dans cette affaire, il était expressément question d’une personne qui s’était occupée d’élaborer des modèles et des stratégies d’investissement de façon à pouvoir exploiter une activité de placement pour le compte de sa famille, une activité qui, avais-je conclu, n’était pas encore une activité commerciale. Dans cette affaire, le contribuable n’avait pas les mêmes antécédents que ceux de l’appelant en l’espèce et n’avait jamais montré qu’il avait créé un modèle de planification stratégique comme M. Walsh semble l’avoir fait, mais la question en litige est la même – les préparatifs menant à la création d’une activité commerciale ne sont pas encore en soi une entreprise. On pourrait également se reporter à des décisions antérieures de la Cour : Sherman McClure et June N. McClure v. The Minister of National Revenue[6] et Cunningham v. Canada[7], où l’on a tiré des conclusions semblables qui soulignent que le fait de s’instruire en prévision du démarrage d’une entreprise est essentiellement une activité personnelle, et non une activité commerciale[8].

 

[20]    L’appelant a fait valoir qu’il avait les antécédents voulus pour poursuivre, avec le degré nécessaire de connaissances spécialisées, l’entreprise de négociation de contrats qu’il mène depuis 2004. Il a reconnu que son travail consistait dans une large mesure à déterminer les stratégies d’entrée sur le marché, compte tenu du peu de capital qu’il pouvait risquer, mais, tout de même, qu’il s’agissait simplement d’étapes préliminaires qui faisaient partie d’une entreprise. C’est-à-dire que, comme il est reconnu dans le Bulletin d’interprétation IT-364, les étapes préliminaires sont un aspect inhérent d’une entreprise. Chaque entreprise doit débuter par une étape préliminaire.

 

[21]    Je me dois néanmoins de donner raison à l’intimée en l’espèce. Subjectivement, M. Walsh a reconnu pendant tout son témoignage qu’au cours des années en cause il se situait à un stade préalable à l’exploitation de l’activité en question. Il ne s’agissait pas d’étapes d’exploitation préliminaires, mais plutôt, manifestement, d’un point de vue subjectif et objectif, d’une étape préalable à l’exploitation. Il faisait des recherches sur les techniques requises pour lancer une entreprise, ainsi que sur les mesures stratégiques qu’il devait prendre pour lancer une entreprise en puisant dans son capital. Il suivait des cours, faisait des négociations de démonstration et s’initiait à une entreprise qu’il pouvait, jugeait-il, encore poursuivre. Je ne puis conclure dans les circonstances que l’entreprise avait déjà commencé dans les années en cause. En conséquence, les appels seront rejetés.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2011.

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour d’août 2011.

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 341

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-3709(IT)I

 

INTITULÉ :                                       PATRICK M. WALSH c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 juillet 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimée :

Me Carol Calabrese

M. Shane Baker (stagiaire en droit)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                            Nom :                   

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] 2002 CSC 46.

[2] 2007 CCI 493.

 

[3] [2008] 4 C.T.C. 2140 (CCI).

 

[4] 94 D.T.C. 1947 (CCI).

 

[5] 2005 D.T.C. 328 (CCI).

 

[6] 88 D.T.C. 1504 (CCI).

 

[7] [1998] 1 C.T.C. 3125 (CCI).

 

[8] Les affaires comme celles-là où il est question d’une expectative raisonnable de profit, et qui sont antérieures à l’arrêt Stewart, y compris une autre que je pourrais mentionner : Price v. Canada, [2001] 4 C.T.C. 2488 (CCI), traitent de dépenses antérieures au démarrage qui, postérieurement à l’arrêt Stewart, ne constitueraient pas encore une source de revenus.

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