Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dosser : 2010‑3164(EI)

 

ENTRE :

MARTIN BÉRUBÉ,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

9205-0194 QUÉBEC INC. ET MICHEL LEBEL faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L.,

intervenants.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Michel Lebel (2010‑3208(EI)) et de 9205-0194 Québec Inc. (2010‑3207(EI)), le 14 avril 2011, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Ilinca Ghibu

 

 

Avocat des intervenants :

Me Louis Sirois

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel de M. Martin Bérubé est rejeté et la décision du ministre à l’effet que M. Bérubé occupait un emploi assurable auprès de M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., durant les périodes du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2010 au 3 janvier 2010, est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2011.

 

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

 

Dossier : 2010‑3208(EI)

ENTRE :

MICHEL LEBEL,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARTIN BÉRUBÉ,

mis-en-cause.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Martin Bérubé (2010‑3164(EI)) et de 9205-0194 Québec Inc. (2010‑3207(EI)), le 14 avril 2011, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Louis Sirois

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Ilinca Ghibu

 

 

Pour le mis-en-cause :

Le mis-en-cause lui-même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel de M. Michel Lebel est rejeté et la décision du ministre à l’effet que M. Martin Bérubé occupait un emploi assurable auprès de M. Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., durant les périodes du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2010 au 3 janvier 2010, est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2011.

 

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

 

Dossier : 2010‑3207(EI)

ENTRE :

9205-0194 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARTIN BÉRUBÉ,

mis-en-cause.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Martin Bérubé (2010‑3164(EI)) et de Michel Lebel (2010‑3208(EI)), le 14 avril 2011, à

Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Louis Sirois

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Ilinca Ghibu

 

 

Pour le mis-en-cause :

Le mis-en-cause lui-même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel de 9205-0194 Québec Inc. est rejeté et la décision du ministre à l’effet que M. Martin Bérubé occupait un emploi assurable auprès de M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., durant les périodes du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2010 au 3 janvier 2010, est confirmée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2011.

 

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 348

Date : 20110712

Dossier : 2010‑3164(EI)

 

ENTRE :

MARTIN BÉRUBÉ,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

9205-0194 QUÉBEC INC. ET MICHEL LEBEL faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L.,

intervenants,

 

 

 

ET ENTRE :

Dossier : 2010‑3208(EI)

 

MICHEL LEBEL,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARTIN BÉRUBÉ,

mis-en-cause,

 

 

 

ET ENTRE :

Dossier : 2010‑3207(EI)

 

9205-0194 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

MARTIN BÉRUBÉ,

mis-en-cause.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]              Il s’agit d’appels entendus sur preuve commune concernant l’assurabilité de l’emploi de M. Martin Bérubé (« l’appelant ») auprès de l’employeur, Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L. (le « payeur »), pour les périodes du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2010 au 3 janvier 2010.

 

[2]              Par une lettre datée du 15 juillet 2010, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé que l’appelant exerçait un emploi inclus dans les emplois assurables puisqu’il était appelé par une agence de placement, Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., afin de fournir des services aux clients de l’agence, sous la direction et le contrôle de ces clients, tout en étant rémunéré par l’agence.

 

[3]              Pour rendre sa décision à l’égard de M. Bérubé, le ministre s’est appuyé sur les présomptions de faits suivantes énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel :

 

a)           le payeur exploite une entreprise offrant ses services a des chaînes d’alimentation afin de combler leur besoin en personnel dans le domaine de la boucherie;

 

b)          Michel Lebel a acheté Gestion J.P.L. en janvier 2009 et a gardé cette raison sociale, car les clients la connaissent sous ce vocable;

 

c)           Michel Lebel a de plus, en janvier 2009, incorporé une compagnie, soit 9205-0194 Québec inc [sic], dont il est l’unique actionnaire, et qui sert uniquement de transit pour la rémunération des travailleurs qui a été donné par contrat aux services de paie Desjardins;

 

d)          la facturation, les conciliations, la collection et la gérance des travailleurs étaient la responsabilité de Gestion J.P.L.;

 

e)           les clients de Michel Lebel paient Gestion J.P.L., [sic] pour les services reçus et des argents sont transférés [sic] dans le compte de 9205-0194 Quebec inc [sic] afin de payer les travailleurs;

 

f)            le payeur a entre 20 et 25 clients de toutes les bannières Métro [sic], Provigo, etc [sic] répartis dans la ville de Québec;

 

g)           le payeur n’a aucun employé, il utilise des bouchers expérimentés pour répondre aux demande [sic] de ses clients;

 

h)           le payeur a une banque de 20 à 25 bouchers expérimentés;

 

i)             le payeur négocie verbalement des contrats de services avec ses clients et détermine les horaires de travail ainsi que le tarif horaire;

 

j)             après avoir conclu son contrat avec son client, le payeur offre le travail à un de ses bouchers;

 

k)           l’acceptation du travail par le boucher se fait verbalement;

 

l)             une convention écrite entre le payeur et les bouchers existe et décrit les obligations du boucher envers le payeur;

 

m)        l’appelant a signé cette convention le 28 décembre 2008, tel qu’il appert au dossier de l’intimé;

 

n)           durant la période en litige, l’appelant rendait des services aux clients du payeur à la demande du payeur;

 

o)          le payeur offrait la majorité du temps des périodes de travail de 8 heures par jour;

 

p)          l’appelant rendait ses services dans les locaux des clients du payeur et était supervisé par les clients du payeur;

 

q)          l’appelant fournissait ses couteaux, ses gants et ses bottes alors que les clients du payeur fournissaient les gros équipements nécessaires à un boucher;

 

r)            l’appelant devait aviser le payeur en cas d’absence et ce dernier était responsable de le remplacer;

 

s)           l’appelant était payé au taux horaire de 19 $ et il recevait 1 $ de l’heure de plus si le travail était plus loin, comme à Lévis;

 

t)             l’appelant présentait une facture mensuellement au payeur indiquant les heures travaillées pour chacune des semaines;

 

u)           l’appelant était rémunéré chaque semaine par le payeur via 9205-0194 Québec inc [sic] qui agissait comme mandataire du payeur;

 

[4]              L’avocate de l’intimé invoque l’alinéa 5(1)d) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. (1996) ch. 23, telle que modifiée (la « Loi ») ainsi que l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi et l’article 7 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations. Ces dispositions se lisent comme suit :

 

Art. 5. Sens de « emploi assurable ». 1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

[…]

 

d)   un emploi prévu par règlement pris en vertu des paragraphes (4) et (5);

 

[…]

 

Article 6 du Règlement sur l’assurance-emploi

 

Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

[…]

 

g)      l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

 

Article 7 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations

 

L'agence de placement qui procure un emploi assurable à une personne selon une convention portant qu'elle versera la rémunération de cette personne est réputée être l'employeur de celle-ci aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de la personne ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement.

 

[5]              Dans son avis d’intervention, l’intervenant, Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., a allégué que l’appelant est un travailleur autonome et a invoqué les moyens suivants aux paragraphes 8 à 16 :

 

8.           Michel Lebel (Gestion JPL) estime ne pas être l’employeur de l’appelant à titre d’agence de placement, pour l’ensemble des motifs ci-après;

 

9.           Gestion JPL n’est pas une agence de placement car son existence a pour seul but de gérer le manque de personnel de ses clients et non pas de recruter des employés éventuels;

 

10.       Le service de l’entreprise de Gestion JPL est dirigé vers les entreprises et non pas vers d’éventuels employés;

 

11.       Le manque de personnel est comblé par les recherches de Gestion JPL auprès de travailleurs autonomes dans le secteur de la boucherie;

 

12.       Les travailleurs autonomes appelés par Gestion JPL ont le choix d’accepter ou de refuser le contrat pour lequel ils sont appelés;

 

13.       Gestion JPL n’exerce aucune forme de contrôle sur les personnes qu’ils [sic] référent [sic] à ses clients;

 

14.       Les clients de Gestion JPL n’exercent, eux non plus, aucune forme de contrôle sur les personnes engagées comme boucher [sic]  étant tous des travailleurs autonomes;

 

15.       Il n’y a aucun lien de subordination ni de contrôle direct ou indirect permettant de relier le travail effectué par l’appelant comme un contrat de travail tel qu’énoncé aux articles 2085 et suivants du Code civil du Québec (L.Q., 1991, c.64);

 

16.       Ces éléments démontrent que Gestion JPL n’est pas une agence de placement et n’est pas, du même fait, l’employeur de l’appelant qui est un travailleur autonome;

 

[6]              À l’audience, trois personnes ont témoigné, soit M. Michel Lebel, M. Martin Bérubé et M. Michel Fournier en tant que propriétaire d’un marché d’alimentation Tradition à Saint-Agapit et client de Gestion J.P.L.

 

[7]              Il ressort du témoignage de M. Lebel que Gestion J.P.L. dispose d’une banque d’une trentaine de bouchers ayant un minimum de 3 à 5 ans d’expérience et travaillant à leur propre compte. Les semaines de travail sont du dimanche au samedi. Chaque vendredi matin, Gestion J.P.L. détermine l’horaire et le lieu de travail de chaque boucher pour la semaine suivante. Les bouchers qui ne sont pas disponibles la semaine suivante doivent en informer Gestion J.P.L. avant le vendredi matin. Au début, Gestion J.P.L. signait des contrats avec les bouchers mais ce n’est plus le cas maintenant puisque, selon M. Lebel, cela ne donnait rien. Par contre, dans le cas de l’appelant, une convention intitulée « Convention entre les travailleurs autonomes et Gestion J.P.L. » a été conclue le 28 décembre 2008. Le samedi soir, chaque boucher doit soumettre à Gestion J.P.L. son relevé des heures travaillées au cours de la semaine. Ces heures sont payées le jeudi de la semaine suivante au prix de 19 $ l’heure plus 1 $ l’heure pour tenir compte du coût de l’essence utilisée dans le cadre des déplacements hors de la ville de Québec et les taxes (taxe sur les produits et services et taxe de vente du Québec) lorsqu’applicables. Dans le cas de M. Bérubé, les taxes sont applicables. De plus, les bouchers doivent soumettre à Gestion J.P.L. une facture mensuelle pour les heures travaillées au cours de chaque mois.

 

[8]              M. Lebel a de plus confirmé que Gestion J.P.L. avait des ententes verbales avec ses clients pour combler le manque de personnel. Gestion J.P.L. facturait ses clients chaque semaine pour les services des bouchers à un taux majoré de 3,50 $ à 7 $ l’heure par rapport au taux horaire versé aux bouchers. Les clients payaient directement à Gestion J.P.L. le montant des factures dans les 30 à 90 jours suivant  la date des factures. Gestion J.P.L. remettait à 9205-0194 Québec Inc. toutes les sommes perçues de ses clients pour que cette dernière puisse payer les bouchers et payer les frais d’opération et de gestion de Gestion J.P.L.

 

[9]              M. Lebel a indiqué que Gestion J.P.L. n’assumait aucune dépense des bouchers. Les frais de déplacement et les dépenses d’hébergement et de nourriture étaient payés par les clients après négociations avec ces derniers. M. Lebel a de plus confirmé qu’il était le seul actionnaire de la société 9205-0194 Québec Inc.

 

[10]         Lors de son témoignage, M. Bérubé a affirmé qu’il se considérait comme un travailleur autonome. Il décidait des jours, des heures et des endroits où il voulait travailler et il pouvait travailler pour d’autres organisations semblables à celle de Gestion J.P.L. Il déclarait ses revenus comme du revenu d’entreprise et il percevait la taxe sur les produits et services et la taxe de vente du Québec sur les montants de ses factures. Dans l’exécution de ses services, il devait fournir ses gants, ses bottes et ses couteaux. Il fournissait ses services chez les clients et il n’était soumis à aucune supervision ou contrôle de la part de Gestion J.P.L. Il parlait souvent à M. Lebel par téléphone mais il ne le rencontrait à peu près jamais. Selon lui, aucune sanction ne lui était imposée s’il refusait de travailler.

 

[11]         M. Fournier est un client de Gestion J.P.L. depuis 4½ ans et il connaît bien l’appelant pour avoir retenu à plusieurs reprises ses services. Il a reconnu avoir une entente verbale avec Gestion J.P.L. pour la fourniture de services de bouchers; l’entente porte sur l’individu, le nombre de jours et d’heures de travail et sur l’horaire. Il a dit ne pas avoir de discussions avec M. Lebel concernant les tâches à être exécutées par les bouchers. La liste de production est remise au boucher à son arrivée au marché d’alimentation. Sauf pour la rémunération, les bouchers sont traités comme les autres bouchers qui sont des employés. Ils doivent respecter le code de sécurité et les normes d’hygiène du client et suivre l’horaire de travail du client. Sur place, les bouchers sont sous la supervision et le contrôle du gérant des viandes ou du gérant d’épicerie. À son établissement, le syndicat a obtenu que l’employeur paye la cotisation syndicale des bouchers externes. M. Fournier a confirmé qu’il recevait les factures de Gestion J.P.L. le lundi pour la semaine précédente et qu’il les payait le vendredi de la même semaine.

 

[12]         La convention que Gestion J.P.L. a conclu avec l’appelant en date du 28 décembre 2008 porte sur les sujet suivants :

 

-               la tenue vestimentaire au travail du travailleur autonome;

 

-               la déclaration des gains découlant de l’activité du travailleur autonome auprès de Gestion J.P.L.;

 

-               la déclaration du travailleur autonome qu’il est autorisé à travailler au Canada;

 

-               l’application d’une restriction à l’embauche par un client pendant 12 mois. L’autorisation de Gestion J.P.L. est requise et une indemnité de départ équivalant à 40 heures au taux horaire facturé au client doit être versée à Gestion J.P.L. par le travailleur autonome;

 

-               un engagement du travailleur autonome à ne pas demander une avance monétaire ou un prêt auprès des clients;

 

-               un engagement du travailleur autonome à se présenter chez les clients le jour et à l’heure convenus à défaut de quoi il doit aviser Gestion J.P.L. dans les plus brefs délais;

 

-               un engagement du travailleur autonome à respecter le code de sécurité du client;

 

-               un engagement du travailleur autonome à ne pas accepter de l’argent, des titres, des documents négociables ou autres valeurs des clients sans qu’il n’en porte la pleine et unique responsabilité;

 

-               un engagement du travailleur autonome à avertir Gestion J.P.L. dans les plus brefs délais de tout accident ou incident survenu durant les heures de travail;

 

-               aucune dérogation aux obligations n’est tolérée par Gestion J.P.L. pour quelque raison que ce soit.

 

Analyse et conclusion

 

[13]         les arguments invoqués par l’appelant et les intervenants à l’appui des présents appels soulèvent deux questions, soit la question de savoir si M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., était une « agence de placement » et si les modalités selon lesquelles travaillait M. Martin Bérubé correspondaient à celles d’un contrat de louage de services.

 

[14]         Pour que l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi puisse s’appliquer, quatre conditions doivent être remplies. La première condition est que l’emploi doit être exercé par une personne appelée par une agence de placement. M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., prétend qu’il n’est pas une agence de placement.

 

[15]         L’expression « agence de placement » est définie au paragraphe 34(2) du Règlement sur les Régimes de pensions du Canada DORS/78-142, art. 3, en ces termes :

 

Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s’occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

 

[16]         La Loi et le Règlement sur l’assurance-emploi ne définissent pas l’expression « agence de placement » mais les tribunaux ont tendance à appliquer la définition de l’expression « agence de placement » que l’on retrouve au Règlement sur les Régimes de pensions du Canada aux questions relatives à l’assurance-emploi (voir OLTCPI Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2010 CAF 74, para. 27).

 

[17]         Selon la définition du paragraphe 34(2) du Règlement sur les Régimes de pensions du Canada, une agence de placement comprend toute personne s’occupant de fournir les services de personnes moyennant une rémunération. Par conséquent, les activités d’une agence de placement ne se limitent pas qu’au placement de personnes dans des emplois ou à procurer des emplois à des personnes. À mon avis, les activités exercées par M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., correspondent exactement  aux activités d’une agence de placement en ce qui a trait à la fourniture de services de personnes. Aucun service, autre que la fourniture de personnel, n’est fourni par Gestion J.P.L. De plus, selon les informations contenues au registre des entreprises du Québec, Gestion J.P.L. et Michel Lebel ont déclaré comme premier secteur d’activité celui d’un bureau de placement (CAE 7711). La première condition de l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi est donc satisfaite.

 

[18]         La deuxième condition dudit alinéa 6g) est que l’agence place des travailleurs chez des clients. Selon la preuve, cette condition est clairement satisfaite dans le cas présent.

 

[19]         La troisième condition est que ces travailleurs doivent être assujettis à la direction et au contrôle des clients de l’agence. Le témoignage de M. Fournier a été très clair. Les bouchers fournis par Gestion J.P.L. sont traités comme les autres bouchers qui sont des employés sauf en ce qui a trait à leur rémunération. Ils sont soumis au code de sécurité et aux normes d’hygiène du client et ils doivent suivre l’horaire de travail du client. Les bouchers sont sous la supervision et le contrôle du gérant des viandes ou du gérant d’épicerie qui leur remet la liste de production et des tâches à être exécutées. Comme il s’agit de bouchers d’expérience, les clients n’ont pas à leur expliquer comment exécuter leurs tâches. Même s’ils ont terminé leur travail, les bouchers doivent demeurer sur place pour compléter les heures pour lesquelles ils sont rémunérés. À mon avis, cette troisième condition est également satisfaite car les activités d’un boucher qui est placé par une agence dans le but de dispenser ses services à un client de cette agence et sous la direction et le contrôle de ce client ainsi que la nature du travail exécuté sont « semblables » ou « analogues » aux services exécutés aux termes d’un contrat de louage de services (voir la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Silverside Computer Systems Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1997] A.C.F. no 1591 (QL), para. 8 et le libellé de l’alinéa 5(4)c) de la Loi.).

 

[20]         La quatrième et dernière condition est que l’agence de placement verse une rémunération. Cette condition est également satisfaite dans le présent cas car il a été admis que l’agence rémunérait les bouchers et que, par la suite, les honoraires majorés étaient facturés aux clients de l’agence.

 

[21]         Ayant conclu que les conditions d’application de l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi étaient satisfaites, il importe maintenant de considérer si cette disposition peut s’appliquer à des travailleurs autonomes.

 

[22]         Dans l’arrêt Silverside, précité, la Cour d’appel fédérale a examiné la situation d’entrepreneurs indépendants experts en informatique et elle a néanmoins statué qu’ils étaient visés par le paragraphe 34(1) du Règlement sur les Régimes de pensions du Canada et l’alinéa 12g) du Règlement sur l'assurance-chômage, qui est aujourd’hui l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi.

 

[23]         Dans l’arrêt Care Nursing Agency Ltd. c. M.R.N., 2007 CCI 527, le juge Weisman de notre Cour a tiré la conclusion suivante de l’arrêt Silverside, précité, quant à l’application de l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi :

 

15        Par conséquent, certainement pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, il importe peu que les travailleurs soient des entrepreneurs indépendants ou des employés; les deux étant visés par cette disposition.

 

[24]         Dans l’arrêt 1517719 Ontario Ltd. o/a Experience Works c. M.R.N., 2008 CCI 687, le juge Weisman s’est penché à nouveau sur la question de savoir si l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi s’appliquait aux entrepreneurs indépendants. Il a conclu par l’affirmative pour les raisons énoncées aux paragraphes 5 et 14 de ladite décision :

 

5          Mais il existe une jurisprudence bien claire, et l’avocate du ministre y a fait référence, un arrêt de la Cour d’appel fédérale intitulé Sheridan c. M.R.N. et dont la référence est [1985] A.C.F. no 230. En interprétant la disposition antérieure à l’alinéa 6g), soit l’alinéa 12g), et le libellé des deux est identique, la Cour d'appel fédérale a conclu que les infirmières placées par une agence appelante dans des hôpitaux qui étaient ses clients exerçaient un emploi assurable, même si elles n’avaient pas conclu un contrat de louage de services, ni avec l’agence, ni avec l’hôpital.

 

[…]

 

14        En résumé, l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi comporte quatre conditions. Selon le ministre, les quatre sont remplies, c’est-à-dire que les chauffeurs de camion dont l’appelante a retenu les services, même s’ils sont peut-être des entrepreneurs indépendants, tombent sous le coup de la Loi sur l’assurance-emploi en vertu de l’alinéa 6g) du Règlement et, cela étant, pour ce qui est des 54 travailleurs, je conclus qu’il faut rejeter l’appel.

 

[25]         L’article 7 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations stipule que lorsqu’une agence de placement procure un emploi assurable à une personne portant qu'elle versera la rémunération de cette personne, elle est réputée être l'employeur de celle-ci aux fins notamment du versement des cotisations exigibles aux termes de la Loi.

 

[26]         En conséquence, les appels interjetés en vertu de la Loi sont rejetés et les décisions rendues par le ministre, à l’effet que M. Martin Bérubé occupait un emploi assurable auprès de M. Michel Lebel, faisant affaire sous la dénomination sociale Gestion J.P.L., durant les périodes 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2010 au 3 janvier 2010, sont confirmées.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2011.

 

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 


RÉFÉRENCE :                              2011 CCI 348

 

Nos DES DOSSIERS DE LA         2010-3164(EI), 2010-3207(EI),

COUR :                                        2010-3208(EI)

 

INTITULÉS DES CAUSES :         Martin Bérubé c. MRN et

                                                     9205-0194 Québec Inc. et Michel Lebel

                                                     9205-0194 Québec Inc. c. MRN et Martin Bérubé

                                                     Michel Lebel c. MRN et Martin Bérubé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :            Le 14 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :  L’honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :               Le 12 juillet 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour les appelants :

Martin Bérubé et Me Louis Sirois

Avocate de l’intimé :

Me Ilinca Ghibu

Avocat des intervenants :

Me Louis Sirois

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                               Nom :            Me Louis Sirois

                            Cabinet :           Sirois & Tremblay

                                                     Québec (Québec)

 

       Pour les intervenants :

 

                               Nom :            Me Louis Sirois

                            Cabinet :           Sirois & Tremblay

                                                     Québec (Québec)

 

       Pour l’intimé :                         Myles J. Kirvan

                                                     Sous-procureur général du Canada

                                                     Ottawa, Canada

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