Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2010-696(IT)G

 

ENTRE :

 

VON REALTY LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu les 28 et 29 juin 2011, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Avocates de l’appelante :

Me Louise R. Summerhill et

Me Marni Pernica

 

Avocats de l’intimée :

Me Stan W. McDonald et

Me Lee-Ann Conrod

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition de l’appelante se terminant le 31 janvier 2005 est accueilli, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur la base suivante :

1.       la participation initiale de 6,75 p. 100 de l’appelante dans la coentreprise se rapportait à l’acquisition d’un bien en immobilisation et, en conséquence, une somme correspondant à 20,25 p. 100 du gain (soit 170 984,12 $) doit être considérée comme un gain en capital, tandis que le reste du gain (soit 79,75 p. 100 ou une somme de 673 381,88 $) doit être considéré comme un revenu d’entreprise;

 

2.       des dépens entre parties sont accordés à l’intimée, conformément au Tarif.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2011.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de septembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 345

Date : 20110708

Dossier : 2010-696(IT)G

 

ENTRE :

 

VON REALTY LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]              La question à trancher dans la présente affaire est de savoir si la vente de l’intérêt foncier de l’appelante, qui a donné lieu à un gain de 844 366 $, est imposable à titre de gain en capital ou de revenu d’entreprise pour son année d’imposition 2005.

 

[2]              Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel dans lequel les faits suivants sont confirmés. L’appelante était une société privée et une société canadienne imposable, qui a été constituée en Colombie-Britannique en 1977, dont l’adresse se trouvait à Aurora, en Ontario. M. Patrick Harrison était le seul actionnaire de l’appelante aux dates pertinentes et l’année d’imposition de celle‑ci se terminait le 31 janvier. Le 30 juillet 1996, l’appelante a acheté une participation de 6,75 p. 100 dans une coentreprise existante qui était formée de trois autres parties et dont le seul élément d’actif se limitait à un terrain situé à Kelowna, en Colombie‑Britannique (le « bien »). À la suite de la réorganisation de la coentreprise, qui a eu lieu le 24 février 2001, l’appelante s’est retrouvée avec une participation d’un tiers dans la coentreprise, de même que deux des trois autres parties initiales. Le 23 septembre 2004, au cours de son année d’imposition 2005, l’appelante a vendu son droit sur le bien et réalisé son gain susmentionné, dont le montant n’est pas contesté.

 

[3]              L’appelante a produit sa déclaration de revenus de 2005 en présumant que la vente de son droit sur le bien donnait lieu à un gain en capital et a donc inclus la moitié du gain susmentionné dans son revenu à titre de gain en capital imposable, soit une somme de 422 183 $. Le 2 mai 2005, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a d’abord établi une cotisation à l’encontre de l’appelante en se fondant sur la déclaration de celle-ci; cependant, le 30 janvier 2009, il a établi une nouvelle cotisation dans laquelle il a inclus le plein montant du gain à titre de revenu d’entreprise et refusé de reconnaître le gain en question à titre de gain en capital imposable, estimant que le bien constituait un bien figurant dans un inventaire plutôt qu’un bien en immobilisation. Le 29 avril 2009, l’appelante a produit un avis d’opposition et, le 17 février 2010, le ministre a établi un avis de ratification dans lequel il a confirmé sa nouvelle cotisation, d’où l’appel interjeté devant la Cour.

 

[4]              D’après la preuve non contestée qui a été présentée à l’instruction, M. Patrick Harrison a obtenu son diplôme de kinésiologue vers 1981 et a ensuite déménagé avec son épouse, qui était physiothérapeute, à Kelowna, en Colombie‑Britannique, où celle-ci s’est trouvé du travail. C’est à Kelowna que les Harrison se sont liés d’amitié avec William Von Niessen et l’épouse de celui‑ci; M. Von Niessen était un agent immobilier et promoteur local qui a aidé M. Harrison et son épouse à faire l’acquisition de leur première maison en 1982. Bien que les Harrison soient retournés vivre en Ontario en 1986, ils sont demeurés amis avec les Von Niessen et se sont rencontrés au cours des congés de mars et de Noël; selon le témoignage de M. Harrison, son épouse et lui-même sont retournés en Colombie-Britannique au moins deux fois par année.

 

[5]              Désirant venir en aide aux personnes en fauteuil roulant, M. Harrison a créé une société nommée Special Health Systems Ltd., qui est devenue fabricante et distributrice de fauteuils roulants et de matériel médical et qui a connu passablement de succès. Par l’entremise de leur société de portefeuille 1155805 Ontario Inc., les Harrison ont vendu leur entreprise en 1995 pour la somme d’environ 6,6 millions de dollars, conformément à une entente selon laquelle M. Harrison s’engageait à respecter une clause de non‑concurrence de deux ans et à demeurer à l’emploi de l’acquéreur pendant un an. Lorsque son emploi a pris fin vers septembre 1996, M. Harrison a passé du temps avec ses enfants afin de compenser les longues heures qu’il avait consacrées à la mise en valeur de son entreprise; il a également joué au tennis et suivi des cours de pilotage et de plongée en scaphandre autonome, s’est joint au conseil d’administration d’une organisation à but non lucratif nommée Community Home Assistance for Seniors, ou CHAFE, a aidé un ami à lancer son entreprise en conduisant un camion de livraison pour lui sans être payé et a cherché et acheté un chalet au printemps de 1997. À l’automne de cette même année, les Harrison ont décidé de retirer de l’école leurs deux enfants alors âgés de 11 et 12 ans, afin de les emmener en voyage, en Australie et ailleurs, pendant une période de deux mois. Alors que la famille se trouvait en Australie, Mme Harrison a commencé à s’intéresser aux alpagas et, une fois de retour en Ontario, M. Harrison s’est consacré à la recherche sur les alpagas; il s’est rendu dans l’Ouest canadien afin de visiter des fermes d’alpagas et d’en apprendre davantage sur l’hébergement et l’alimentation de ces animaux, après quoi il est retourné en Ontario pour surveiller la construction de granges et de clôtures sur la ferme de ses beaux‑parents, afin de créer, avec son épouse, une entreprise d’élevage d’alpagas qu’ils ont exploitée de 1998 à 2006. M. Harrison a déclaré qu’au cours de cette période, sa principale occupation résidait dans l’exploitation d’une entreprise agricole et que, sauf lorsqu’il a fait l’acquisition de sa maison et de son chalet, il ne s’est jamais occupé de vente et d’achat de biens immobiliers, exception faite du bien, dont il sera question plus loin; je reconnais que le témoignage de M. Harrison était franc et crédible à cet égard.

 

[6]              En ce qui concerne le bien, il n’est pas contesté qu’il appartenait à l’origine à un dénommé Barry Brocklebank, qui a vendu son droit à une coentreprise formée de lui-même, de R127 Enterprises Ltd. (« R127 »), société appartenant à Gebhard Wager, et de Pegasus Enterprises Ltd. (« Pegasus »), société appartenant à William Von Niessen; ces trois personnes ont signé une entente de coentreprise datée du 17 août 1990, dans laquelle elles ont convenu de mettre en valeur et de vendre les lots (l’« entente de coentreprise »). Les parties susmentionnées détenaient respectivement des participations de 50 p. 100, de 25 p. 100 et de 25 p. 100 dans la coentreprise.

 

[7]              Vers 1996, M. Harrison a appris, après avoir parlé avec son ami, William Von Niessen, que celui-ci avait des problèmes de liquidité avec quelques‑uns de ses projets de mise en valeur, y compris la coentreprise, et M. Von Niessen voulait que M. Harrison lui prête de l’argent. Après quelque temps et des demandes répétées de M. Von Niessen, M. Harrison a consenti à prêter à son ami une somme de 250 000 $ moyennant un rendement de 50 000 $, soit un rendement net de 25 p. 100. Suivant l’avis d’un conseiller juridique, il a été convenu que M. Harrison passerait par une société pour prêter l’argent à l’entreprise de M. Von Niessen, Pegasus, et obtenir une garantie. Étant donné que l’entente de coentreprise interdisait aux membres de celle-ci de grever le bien pour leurs propres emprunts, M. Harrison a acheté une société inactive appartenant à M. Von Niessen, soit l’appelante, pour la somme de 1 $ et a transféré à celle‑ci de l’argent de sa société 1155805 Ontario Inc, qui avait beaucoup de liquidités par suite de la vente précédente de Special Health Systems Ltd., afin de financer le prêt consenti à Pegasus (et, plus tard, d’accorder d’autres prêts ou de faire d’autres investissements dans la coentreprise). Il appert de certains éléments de preuve que M. Harrison a dû produire des déclarations de revenus faisant état d’un solde nul afin de mettre à jour la situation de l’appelante et je reconnais que celle-ci était une société inactive lorsqu’il en a acheté les actions pour la somme de 1 $. Les prêts qui ont été obtenus de 1155805 Ontario Inc. ainsi que les prêts que l’appelante a subséquemment consentis et les investissements qu’elle a faits dans la coentreprise ont également été consignés dans les états financiers de l’appelante. Avec le consentement des autres membres de la coentreprise, Pegasus a conclu avec l’appelante une entente datée du 30 juillet 1996, aux termes de laquelle elle a transféré à celle-ci une participation de 6,75 p. 100 dans la coentreprise, selon des conditions qui comprenaient le droit de Pegasus de racheter la participation pour la somme de 300 000 $ dans un délai d’un an (l’« entente relative à la participation de 6,75 p. 100 ») ainsi que la possibilité pour Pegasus de conserver le droit de vote afférent à la totalité de la participation de 25 p. 100, y compris la participation de 6,75 p. 100 de l’appelante, et d’autres conditions dont la pertinence sera expliquée plus loin et sur lesquelles l’appelante se fonde pour soutenir que cette acquisition du bien visait l’obtention d’une garantie pour le prêt, et non la poursuite des activités de la coentreprise.

 

[8]              Au cours de son témoignage, M. Harrison a déclaré, ce que l’intimée n’a pas contesté, que, dès l’investissement initial susmentionné, c’est M. Von Niessen qui avait dirigé les activités quotidiennes de la coentreprise et que M. Harrison n’avait nullement participé à celles-ci, si ce n’est qu’en restant en contact avec M. Von Niessen une ou deux fois par mois, pas plus qu’il ne l’aurait fait en tant qu’ami, selon le témoignage de M. Von Niessen; c’est au cours de ces conversations que M. Harrison a appris que les choses n’allaient pas bien et que la ville de Kelowna n’était disposée à approuver que 36 des 120 lots demandés par la coentreprise. M. Harrison ne traitait pas avec la ville et, à cette époque, il n’avait même pas encore rencontré M. Brocklebank, qui détenait la participation de 50 p. 100. Il a admis avoir déjà rencontré M. Wager, puisqu’il avait été le voisin des Wager, à Kelowna, avant de s’engager dans la coentreprise.

 

[9]              Apparemment, la situation ne s’améliorait toujours pas pour la coentreprise et M. Brockelebank cherchait activement à vendre sa participation de 50 p. 100 à la ville, ce qui a créé des problèmes pour la coentreprise, à laquelle la ville demandait d’affecter une plus grande partie du bien à l’aménagement d’un parc. M. Brockelebank a également reçu, à l’égard de sa participation, une offre d’une partie qui n’avait même pas communiqué avec les deux autres membres de la coentreprise, qui se sont alors intéressés à la situation et ont commencé à négocier avec M. Brockelebank pour qu’il leur vende sa participation. Étant donné que les autres membres n’avaient pas de fonds qu’ils pouvaient affecter à l’achat de la participation de M. Brockelebank, M. Harrison, qui avait été informé des problèmes, a accepté de financer le prix d’achat de la participation de M. Brockelebank pour une somme de 600 000 $ plus les débours, qui ne devaient pas dépasser 20 000 $.

 

[10]         Conformément à une entente datée du 24 février 2001 et conclue entre R127, Pegasus, l’appelante et les trois mandants de ces sociétés (le « deuxième contrat d’achat »), l’appelante a convenu de financer l’achat de la participation de 50 p. 100 de M. Brocklebank, laquelle devait être remboursée au moyen d’un prêt hypothécaire obtenu par la coentreprise; par la suite, l’appelante devait verser à Pegasus et à R127 un montant total de 295 000 $ afin d’acheter une autre participation dans la coentreprise de façon à devenir membre de celle‑ci à parts égales avec les deux autres. Il appert de la preuve que la coentreprise n’a pas contracté d’emprunt garanti par le bien pour rembourser à l’appelante les fonds que celle-ci avait avancés pour l’achat de la participation de M. Brocklebank, mais que l’appelante a tout de même fait l’acquisition de la participation d’un tiers. Le deuxième contrat d’achat comportait également des conditions obligeant chacun des trois membres à exploiter la coentreprise à titre de partenaires égaux et à utiliser le bien pour répondre aux besoins financiers de la coentreprise, ce que ne prévoyait pas l’entente de coentreprise précédente. De plus, les parties se sont engagées à se rencontrer et à convenir d’une révision de l’entente de coentreprise, ce qui n’a jamais été fait.

 

[11]         Après avoir retenu les services d’un avocat spécialisé en droit municipal pour les aider à traiter avec la ville, et après avoir échoué et éprouvé des difficultés avec M. Wager, qui refusait d’approuver les prêts sollicités par la coentreprise et qui s’est par la suite montré peu enclin à collaborer, Pegasus et l’appelante ont finalement convenu de vendre la totalité de leur participation de deux tiers à R127, la société de M. Wager, pour une somme de 3,7 millions de dollars, d’où la vente de la participation de l’appelante qui a donné lieu au présent appel.

 

La position des parties

 

[12]         L’appelante soutient que la vente de son droit sur le bien devrait donner lieu à un gain en capital, puisqu’il s’agit d’un bien en immobilisation et que sa participation dans la coentreprise n’était pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, de sorte que l’appelante ne s’adonnait pas à la mise en valeur et à la vente de biens. Au soutien de cette position, l’appelante fait principalement valoir qu’elle a acquis une participation dans la coentreprise d’abord afin de l’utiliser en garantie d’un prêt, qu’elle a ensuite augmenté sa participation dans la coentreprise dans le but de protéger son investissement et qu’elle n’a jamais eu l’intention de faire de la mise en valeur de biens par l’entremise de la coentreprise ni n’a poursuivi ce type d’activité, que ce soit avant de s’engager dans celle-ci ou après avoir cessé d’y participer. L’intimée affirme le contraire et soutient que le bien constitue un bien figurant dans un inventaire, de sorte que la vente de celui-ci par l’appelante donne lieu à l’inclusion du total du revenu au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la « Loi ») et que l’appelante avait, comme il se doit, l’intention de s’adonner à la mise en valeur de biens ou, à tout le moins, de vendre le bien pour faire un profit si le projet de mise en valeur ne se concrétisait pas, simplement parce qu’il s’agissait de l’objet déclaré de la coentreprise lorsque l’appelante a accepté d’en devenir membre.

 

Le droit

 

[13]         Les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites ci-dessous :

 

3          Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

 

a)         le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

 

b)         le calcul de l’excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

 

(i)         le total des montants suivants :

 

(A)       ses gains en capital imposables pour l’année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

 

(B)       son gain net imposable pour l’année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

 

(ii)                l’excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l’année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise pour l’année, subies par le contribuable;

[…]

 

(1)      Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

[…]

 

38        Pour l’application de la présente loi :

 

a)         sous réserve des alinéas a.1) à a.3), le gain en capital imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, tiré de la disposition d’un bien, est égal à la moitié du gain en capital qu’il a réalisé pour l’année à la disposition du bien;

 

[…]

 

39(1)    Pour l’application de la présente loi :

 

a)         un gain en capital d’un contribuable, tiré, pour une année d’imposition, de la disposition d’un bien quelconque, est le gain, déterminé conformément à la présente sous-section (jusqu’à concurrence du montant de ce gain qui ne serait pas, compte non tenu du passage « autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien », à l’alinéa 3a), et de l’alinéa 3b), inclus dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition), que ce contribuable a tiré, pour l’année, de la disposition d’un bien lui appartenant, à l’exception :

 

(i)         d’une immobilisation admissible,

 

(i.1)      d’un objet dont la conformité aux critères d’intérêt et d’importance énoncés au paragraphe 29(3) de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels a été établie par la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels et qui a été aliéné dans le délai suivant au profit d’un établissement, ou d’une administration, au Canada alors désigné, en application du paragraphe 32(2) de cette loi, à des fins générales ou à une fin particulière liée à cet objet :

 

              (A)       dans le cas d’un don auquel le paragraphe 118.1(5) s’applique, au cours de la période se terminant 36 mois après le décès du contribuable ou, si le représentant légal du contribuable en fait la demande écrite au ministre au cours de cette période, dans tout délai supplémentaire que le ministre estime raisonnable dans les circonstances,

 

              (B)       dans les autres cas, à n’importe quel moment,

 

(ii)                   d’un avoir minier canadien,

 

(ii.1)       d’un avoir minier étranger,

 

(ii.2)       d’un bien ayant fait l’objet d’une disposition à laquelle les paragraphes 142.4(4) ou (5) ou 142.5(1) s’appliquent,

 

(iii)         d’une police d’assurance, y compris une police d’assurance-vie, sauf la partie d’une police d’assurance-vie à l’égard de laquelle un détenteur de police est réputé, en vertu de l’alinéa 138.1(1)e), posséder une participation dans une fiducie créée à l’égard du fonds réservé,

 

(iv)         d’un avoir forestier,

 

(v)         de la participation d’un bénéficiaire dans une fiducie pour l’environnement admissible;

 

[…]

 

(1)  Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi :

 

[…]

 

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), de l’article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l’alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi.

 

[…]

 

Analyse

 

[14]         Les parties ont plaidé la présente affaire principalement sur la base de la question de savoir si les acquisitions par l’appelante de sa participation dans la coentreprise et de son droit sur le bien constituaient « [d]es projets comportant un risque ou [d]es affaires de caractère commercial » au sens où cette expression est employée dans la définition précitée du mot « entreprise » au paragraphe 248(1) de la Loi. Aucune des parties n’a soutenu que, si les opérations en question n’étaient pas visées par la définition du mot « entreprise », le bien en question ne serait pas automatiquement considéré comme un bien en immobilisation et, en fait, les deux parties se sont fondées sur le jugement qui a été rendu dans Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, dans lequel la Cour suprême du Canada a clairement reconnu la dichotomie dans la Loi entre le traitement des gains en capital et celui des revenus d’entreprise, lequel traitement est traduit également dans les définitions précitées des concepts d’entreprise, de bien figurant dans un inventaire et de gain en capital. Au paragraphe 28 de l’arrêt Friesen, le juge Major, qui s’exprimait au nom de la majorité, a formulé les remarques suivantes :

 

28        […] La Loi définit deux types de biens, qui correspondent respectivement à chacune de ces sources de revenu.  Les biens en immobilisation (définis à l’al. 54b)) engendrent un gain ou une perte en capital lors de leur aliénation.  Les biens figurant dans un inventaire sont des biens dont le coût ou la valeur entre dans le calcul du revenu d’entreprise.  La Loi crée ainsi un système simple qui ne reconnaît que deux catégories générales de biens. […]

 

[15]         Bien que l’expression « les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial » ne soit pas définie dans la Loi, elle a été commentée à maintes reprises par les tribunaux, et la décision clé qui a été rendue dans Happy Valley Farms Ltd. v. Her Majesty the Queen, 86 D.T.C. 6421 (C.F. 1re inst.), dans laquelle ont été adoptés bon nombre des critères énoncés dans la décision précédente Minister of National Revenue v. Taylor, 56 D.T.C. 1125 (C. de l’É.), illustre bien les différents critères que les tribunaux ont appliqués pour trancher la question. Le juge Rouleau a énuméré ces critères au paragraphe 14 de la décision Happy Valley Farms :

 

14        Plusieurs critères, dont un bon nombre sont semblables à ceux qui ont été énoncés par la Cour dans l’arrêt Taylor, ont été utilisés par les tribunaux afin de déterminer si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital. Mentionnons, entre autres choses, les critères suivants :

 

1.         La nature du bien qui est vendu. Presque tous les biens, quels qu’ils soient, peuvent être acquis pour qu’on en fasse le commerce, mais certains genres de biens, comme les produits manufacturés, qui sont en général commercialisés seulement, font rarement l’objet d’un investissement. Il y a plus de chances pour qu’un bien qui ne rapporte à son propriétaire aucun revenu ou qui ne lui procure aucune satisfaction personnelle du simple fait qu’il lui appartient soit acquis afin d’être vendu que le bien qui rapporte pareil revenu ou procure pareille satisfaction.

 

2.         La durée de la possession. En règle générale, les biens destinés à faire l’objet d’un commerce sont convertis en espèces peu de temps après avoir été acquis. Néanmoins, il existe de nombreuses exceptions à cette règle générale.

 

3.         La fréquence ou le nombre d’opérations similaires effectuées par le contribuable. Si des biens d’une catégorie particulière ont été vendus à maintes reprises pendant un certain nombre d’années ou si plusieurs ventes ont eu lieu vers la même époque, on peut présumer qu’il s’agissait d’opérations commerciales.

 

4.         Les améliorations faites sur le bien converti en espèces ou se rapportant à pareil bien. Si le contribuable s’efforce de mettre le bien dans un état qui lui permet de le vendre plus facilement pendant qu’il en est propriétaire, ou s’il fait un effort particulier afin de trouver ou d’attirer des acheteurs (par exemple, en ouvrant un bureau ou en faisant de la publicité), la chose tend à prouver l’existence d’une opération commerciale.

 

5.         Les circonstances qui ont entraîné la vente du bien. Il peut exister certaines explications, comme un cas urgent ou une occasion nécessitant de l’argent en espèces, qui feront qu’il sera impossible de conclure que le bien a initialement été acquis à des fins commerciales.

 

6.         Le motif. Dans tous les cas de ce genre, le motif du contribuable est toujours pertinent. L’intention au moment de l’acquisition d’un bien, déduite à partir des circonstances et de la preuve directe, constitue l’un des éléments les plus importants aux fins de la détermination de la question de savoir si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital.

 

[16]         Les avocates de l’appelante ont fait valoir que, compte tenu de la jurisprudence et du Bulletin d’interprétation IT‑218R, d’autres facteurs devaient être pris en compte et il est indéniable que la décision rendue dans Happy Valley Farms et les décisions subséquentes exigent que chaque cas soit tranché en fonction de sa propre situation et d’un examen de tous les faits pertinents, aucun facteur n’étant nécessairement déterminant à lui seul. Quelques-uns des facteurs qu’elles ont mentionnés peuvent être examinés dans le contexte général des différents critères énoncés dans la décision Happy Valley Farms et d’autres décisions, et ces facteurs pertinents seront commentés ci-dessous. Cependant, il est bien certain que le critère le plus important à examiner réside dans l’intention qu’avait le contribuable lors de l’acquisition de l’élément d’actif en question, comme l’a confirmé le juge Rouleau au paragraphe 15 de la décision Happy Valley Farms :

 

15        Tous les facteurs précités ont été examinés par les tribunaux, mais c’est le dernier facteur, soit le motif ou l’intention, qui a été le plus étudié. Ce facteur, en plus de l’examen du comportement du contribuable dans son ensemble lorsqu’il avait le bien en sa possession, constitue ce qui, en fin de compte, influe sur la conclusion de la Cour.

 

[17]         Même si la principale intention du contribuable consiste à faire l’acquisition d’un bien de placement pour produire un revenu de placement, un gain peut être imposé à titre de revenu selon le critère de l’« intention secondaire ». Au paragraphe 16 de la décision Happy Valley Farms, le juge Rouleau a décrit ce critère ainsi :

 

16        […] Cela a voulu dire, dans certains cas, que même s’il pouvait être établi que le contribuable avait principalement l’intention d’effectuer un investissement, un gain retiré par suite de la vente du bien serait jugé imposable à titre de revenu si la cour croyait qu’au moment de l’acquisition, le contribuable envisageait la possibilité de vendre le bien si pour quelque raison que ce soit, son projet d’investissement ne se matérialisait pas. […]

 

[18]         En fait, la majorité des arguments des parties ont porté sur le facteur de l’intention. Il convient de souligner que, tandis que l’appelante a affirmé que l’intention de Patrick Harrison, le seul actionnaire de l’appelante, traduisait l’intention de la société appelante, l’intimée a plutôt soutenu qu’il fallait examiner, non pas l’intention de M. Harrison, mais celle de la société appelante, laquelle devait être déduite de celle qu’avait la coentreprise à laquelle elle s’était jointe.

 

[19]         Bien que l’intention de la coentreprise soit certainement l’un des facteurs ou l’une des circonstances à examiner en l’espèce, je dois convenir avec les avocates de l’appelante que l’argument de l’intimée n’est tout simplement pas fondé en droit, lorsqu’elle laisse entendre que l’intention des membres de la direction d’une société contribuable ne traduit pas celle de la société. Dans Bosa Bros. Construction Ltd. v. R., 96 D.T.C. 6193 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon, tel était alors son titre, a reformulé les principes relatifs à l’intention pertinente dans le contexte de l’achat de placements immobiliers en adoptant ceux qu’avait énoncés le juge Joyal dans Marsted Holdings Ltd. et al. v. The Queen, 86 D.T.C. 6200 (C.F. 1re inst.), qui avait lui-même cité les remarques suivantes formulées par le juge en chef adjoint Christie, de la Cour canadienne de l’impôt, dans Leonard Reeves Incorporated v. Minister of National Revenue, 85 D.T.C. 419, à la page 421 :

 

[traduction]

 

[…] Si l’appelant est une société, les intentions pertinentes qui doivent lui être attribuées sont celles qu’avait pour cette société la personne physique qui la dirigeait et la contrôlait […]

 

[20]         L’intention du seul président et actionnaire de l’appelante, M. Patrick Harrison, est l’intention pertinente qu’il faut imputer à l’appelante, comme le serait l’intention du conseil d’administration, des actionnaires, des âmes dirigeantes et des autres personnes jugées comme ayant la maîtrise d’une société aux fins de la Loi. Il est évident que ce n’est qu’au moyen des décisions et mesures prises par ces personnes qu’une personne morale peut s’exprimer.

 

[21]         Au moment d’examiner l’intention de l’appelante, la Cour doit tenir compte de la date à utiliser pour cette analyse. Selon le sixième facteur susmentionné que le juge Rouleau a évoqué dans la décision Happy Valley Farms, la date pertinente est celle de l’acquisition de l’élément d’actif. Dans la présente affaire, il y a deux dates d’acquisition, soit le 30 juillet 1996, date à laquelle l’appelante a acquis la participation de 6,75 p. 100 dans la coentreprise, conformément à l’entente relative à la participation de 6,75 p. 100, et le 24 février 2001, soit la date à laquelle l’appelante a acquis une autre participation dans la coentreprise aux termes du deuxième contrat d’achat, de façon à porter sa participation à un tiers. À mon avis, il faut analyser chaque acquisition à l’aide des facteurs pour savoir s’il s’agissait de l’acquisition d’un bien en immobilisation ou d’un bien figurant dans un inventaire aux fins de l’exploitation d’une entreprise, car les intentions peuvent effectivement évoluer entre les acquisitions de droits sur des biens similaires.

 

[22]         Étant donné que la grande majorité des arguments des parties portaient sur l’intention de l’appelante, je me propose d’analyser l’intention que les parties avaient à chaque date d’acquisition susmentionnée et je tiendrai compte d’autres facteurs pour décider, dans le cadre de cette analyse, si l’acquisition constituait un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

 

1.       La participation de 6,75 p. 100

 

[23]         Il est indéniable dans mon esprit que, lorsque l’appelante a fait l’acquisition de son droit initial sur le bien, sa seule intention était de l’utiliser comme garantie d’un prêt. Il appert de la preuve de l’appelante, corroborée par le témoignage de M. Von Niessen, que celui-ci a demandé à M. Harrison de lui prêter de l’argent et a plus tard réitéré ses demandes après avoir d’abord reçu une réponse négative. M. Harrison a consulté un conseiller juridique et il a été décidé que ce prêt à un ami ne serait prudent que si une garantie suffisante était donnée en échange. Étant donné que M. Von Niessen n’était pas en mesure d’accorder une garantie personnelle et qu’il ne pouvait, selon les dispositions de l’entente de coentreprise, grever la participation qu’il détenait dans celle-ci à des fins personnelles sans obtenir le consentement unanime des autres membres, la seule option qui lui restait était de transférer la participation que sa société, Pegasus, détenait dans la coentreprise. Les avocats de M. Harrison ont élaboré un plan prévoyant que celui-ci ferait l’acquisition d’une société de la Colombie‑Britannique pour effectuer l’opération, ce qui a donné lieu à l’acquisition par M. Harrison de la société appelante inactive qui devait être utilisée à cette fin; par la suite, un montant de 250 000 $ a été avancé à Pegasus, qui a alors transféré à l’appelante une participation de 6,75 p. 100 dans la coentreprise.

 

[24]         L’intimée soutient que les documents présentés en preuve constituent les principaux indicateurs des intentions de l’appelante et je conviens que ces documents sont certainement importants. À mon avis, l’entente relative à la participation de 6,75 p. 100 appuie la thèse de l’appelante. Bien que le paragraphe 3 de cette entente énonce que l’appelante et M. Harrison reconnaissent tous les deux avoir lu l’entente de coentreprise et conviennent d’être liés par celle‑ci, laquelle exigence constitue une condition préalable au transfert d’une participation, les autres dispositions de cette même entente montrent clairement que toutes les parties, y compris tous les autres membres de l’entente de coentreprise, souhaitaient que le droit de propriété de l’appelante dans la coentreprise soit de courte durée. L’alinéa 2c) de l’entente accorde à Pegasus le droit de racheter la participation dans un délai d’un an au prix convenu de 300 000 $, soit le montant initial de 250 000 $ qui devait être prêté et le rendement convenu de 50 000 $. L’appelante elle-même, et non Pegasus, avait la possibilité de prolonger d’un an le délai d’exercice de cette option de rachat conformément à l’alinéa 2d) de l’entente, ce qui montre une fois de plus qu’elle avait bien l’intention de tout faire pour ne pas se retrouver avec le bien. Il convient de préciser que, selon le paragraphe 4 de l’entente, les autres membres de la coentreprise consentaient à ce que Pegasus rachète cette participation sans devoir obtenir d’autres approbations, renonçant ainsi au droit de refus dont ils disposaient en vertu de l’entente de coentreprise.

 

[25]         Qui plus est, je conviens avec l’appelante que l’entente visait à la tenir à l’écart de la gestion et à l’exonérer des obligations de la coentreprise, puisque l’alinéa 2a) l’exonère des obligations hypothécaires énoncées dans le contrat de prêt hypothécaire visant le bien et que l’alinéa 2e) permet à Pegasus de conserver ses droits de vote afférents à la participation acquise.

 

[26]         Les conditions de l’entente relative à la participation de 6,75 p. 100 permettent parfaitement de dire que l’opération visait à reproduire un contrat de prêt garanti. Cependant, d’autres facteurs appuient également cette position. Ni l’appelante, qui était une société inactive lorsque M. Harrison en a fait l’acquisition, ni celui-ci n’oeuvraient dans le secteur de la mise en valeur immobilière. Comme l’indiquent les faits résumés plus haut, M. Harrison était un kinésiologue qui, après avoir vendu des fauteuils roulants et du matériel médical, a fait de l’élevage d’alpagas. Ni son passé ni sa formation ne le destinaient à la mise en valeur immobilière et la preuve montre sans l’ombre d’un doute qu’exception faite de ses maisons et de son chalet, il n’avait acheté aucun autre intérêt foncier avant d’acquérir ses participations dans la coentreprise ni ne l’a fait après. Aucune autre opération similaire n’a été effectuée par l’appelante ou par le mandant de celle-ci.

 

[27]         Il est également évident que ni l’appelante non plus que son mandant, M. Harrison, n’ont apporté d’améliorations au bien ou à la coentreprise avant que l’appelante ne fasse l’acquisition de sa deuxième participation. Selon la preuve, M. Harrison communiquait de façon informelle avec M. Von Niessen en tant qu’ami et n’a nullement participé à la gestion de la coentreprise ou aux décisions la concernant. M. Harrison n’avait même pas rencontré le principal membre de la coentreprise, M. Brocklebank, lors de l’acquisition ou quelque temps après, jusqu’à ce qu’il achète une participation plus élevée en raison de la vente de la participation de 50 p. 100 de M. Brocklebank. En fait, M. Harrison vivait en Ontario et avait d’autres intérêts : il passait du temps avec ses enfants, il voyageait, il suivait des cours de pilotage et de plongée en scaphandre autonome et il faisait de l’élevage d’alpagas, plutôt que de se préoccuper de la coentreprise. Tous ces faits montrent qu’il n’avait nullement l’intention d’oeuvrer dans le domaine de l’immobilier.

 

[28]         Quoique je convienne avec l’intimée que le bien, soit un terrain vacant non aménagé de 60 acres, ne pouvait, dans son état, servir à générer un revenu de placement, que personne n’a eu l’intention de le mettre en valeur à cette fin et que l’intention claire de la coentreprise était de l’utiliser pour vendre des terrains destinés à la construction d’immeubles à usage d’habitation, je ne crois pas que ce facteur appuierait de manière concluante la position de l’intimée au sujet de l’acquisition initiale. L’intention de l’appelante l’emporte manifestement sur ce facteur, car, à mon avis, elle n’avait pas l’intention de conserver longtemps la possession du bien, qu’elle considérait uniquement comme un bien donné en garantie du prêt qu’elle avait consenti à Pegasus. Dans Orzeck v. Minister of National Revenue, [1987] 2 C.T.C. 2318, décision que l’intimée a invoquée, le juge Tremblay, de la Cour canadienne de l’impôt, s’est exprimé comme suit au paragraphe 37 :

 

Le principal critère est l’intention originale du contribuable. Tous les autres critères, en effet, ne servent qu’à aider à déterminer l’intention du contribuable.

 

[29]         L’intention de l’appelante n’était pas de participer à la coentreprise, comme le montrent les circonstances entourant le rôle qu’a joué M. Harrison dans l’acquisition initiale. Non seulement celui-ci a-t-il joué un rôle passif, mais il n’est nullement intervenu dans les décisions et la gestion courantes de la coentreprise; de plus, il manquait de connaissances, de formation ou d’expérience dans ce domaine et les conditions de l’entente le mettaient à l’abri de cette responsabilité ou de ces obligations, ce qui appuie le témoignage qu’il a présenté et sa crédibilité. Bien que je convienne avec l’intimée que, dans Regal Heights Ltd. v. Minister of National Revenue, [1960] R.C.S. 902, il a été établi clairement que [traduction] « ce qui s’est vraiment passé importe davantage qu’une intention idéaliste à laquelle il n’est pas donné suite », je ne souscris pas à la position de l’intimée selon laquelle l’appelante s’est jointe sciemment à une coentreprise oeuvrant dans le domaine de l’immobilier afin de réaliser cet objectif. Comme je l’ai mentionné, ce qui s’est vraiment passé, c’est que le droit acquis sur le bien devait servir uniquement de garantie, lequel résultat est capital.

 

[30]         Dans Van Dongen v. R., 90 D.T.C. 6633 (C.F. 1re inst.), décision qu’a invoquée l’appelante, la Section de première instance de la Cour fédérale a refusé au contribuable une réduction de la valeur des biens figurant dans l’inventaire à titre de déduction du revenu, au motif que le contribuable avait acquis les terrains en cause de son fils, afin de protéger un placement dans un prêt qu’il avait consenti au fils, prêt que celui-ci n’a pu rembourser à l’échéance. Le montant du prêt et des intérêts dus dépassait la valeur des terrains acquis et le contribuable avait tenté de radier la différence. La Cour fédérale a refusé cette déduction, au motif que les biens acquis ne constituaient pas des biens figurant dans l’inventaire; au paragraphe 38, le juge Cullen s’est exprimé comme suit :

 

 

38        […] Il appert nettement du témoignage du demandeur et de son fils Casey que le demandeur n’avait nullement l’intention de revendre les propriétés ou de les utiliser par ailleurs d’une façon commerciale. Le demandeur a détenu les propriétés pour garantir un prêt; s’il obtenait le remboursement de son prêt au taux d’intérêt de 10 %, les documents relatifs aux titres de propriété seraient remis au fils ou à un acheteur et Casey conserverait les profits.

 

[31]         Dans la présente affaire, l’entente relative à la participation de 6,75 p. 100 montre la même intention de l’appelante de redonner le titre une fois qu’elle aurait obtenu le remboursement du montant initial de 250 000 $ et du rendement convenu de 50 000 $, soit un total de 300 000 $, ce qui devait se produire dans un délai d’un an ou deux. La preuve de l’appelante et le témoignage de M. Von Niessen appuient ce point de vue, et la conduite de la première, qui s’est abstenue de participer à la coentreprise, de voter ou de payer le prêt hypothécaire en cours de celle-ci, permet de dire que l’appelante n’avait nullement l’intention d’utiliser le droit sur le bien de manière commerciale, et ne l’a pas fait, et que, par conséquent, elle n’a pas participé à un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial relativement à cette première acquisition du bien.

 

2.       Acquisition du reste du droit sur le bien

 

[32]         Le 24 février 2001, l’appelante a acquis un autre droit sur le bien afin d’obtenir une participation d’un tiers dans la coentreprise. Les circonstances décrites plus haut à ce sujet concernent l’achat d’une participation de 50 p. 100 d’une personne qui était déjà membre de la coentreprise, soit M. Brocklebank, afin d’éviter que celui-ci ne vende cette participation à une tierce partie relativement peu connue des autres membres. La participation a été achetée conformément au deuxième contrat d’achat susmentionné.

 

[33]         L’appelante soutient qu’elle devait effectuer cet achat pour protéger son investissement dans la coentreprise et qu’elle n’avait d’autre choix que de faire cet autre investissement, car elle était la seule membre restante de la coentreprise qui avait les moyens financiers d’agir de la sorte; si elle ne l’avait pas fait, son droit sur le bien aurait été mis en péril, puisqu’un nouveau titulaire d’une participation de 50 p. 100, relativement peu connu des autres membres, aurait rendu incertains les plans de la coentreprise existante.

 

[34]         L’appelante invoque les décisions rendues dans Farmer Construction Ltd. v. R., 84 D.T.C. 6331 (C.F. 1re inst.), et R. v. Greenington Group Ltd., 79 D.T.C. 5026 (C.F. 1re inst.), pour faire valoir que l’acquisition d’un bien pour protéger un prêt ou un investissement n’a pas donné lieu à un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Dans Farmer Construction, un entrepreneur impayé a acheté un immeuble à vocation unique qu’il devait construire. La Cour fédérale a conclu dans cette affaire-là que, étant donné qu’il s’agissait d’un bien à vocation unique et qu’il était difficile de le vendre ou de le louer, l’intention du contribuable était de parachever la construction de l’immeuble et d’exploiter celui-ci jusqu’à ce qu’un acheteur se présente et que, étant donné que la possibilité de revendre l’immeuble à cette époque n’était pas réaliste, le contribuable avait acquis l’élément d’actif afin de réduire, voire d’éliminer une perte élevée. Dans Greenington Group, un entrepreneur général qui construisait des immeubles institutionnels et qui avait des fonds excédentaires avait prêté de l’argent à un promoteur à titre de financement provisoire en vue de la construction d’un terrain de golf, d’une piscine et d’un terrain de stationnement sur un bien appartenant à l’emprunteur et avait accepté une garantie hypothécaire sur le bien. Lorsque l’emprunteur avait fait défaut de rembourser le prêt et contesté les actions en forclusion, le contribuable avait pris les mesures nécessaires pour acheter le bien. La Cour fédérale a décidé que le contribuable voulait, non pas réaliser un bénéfice, mais réduire ses pertes et recouvrer les sommes dues sur le prêt ainsi que les intérêts, si possible, et qu’il n’avait aucune raison de penser qu’il pourrait vendre le bien avec bénéfice à ce moment-là. En conséquence, lorsqu’une offre non sollicitée s’était présentée, il avait vendu le bien et avait réalisé un bénéfice imprévu.

 

[35]         Dans les deux affaires susmentionnées, la Cour fédérale a jugé que le contribuable protégeait son investissement initial, qu’il s’agisse de montants impayés au titre d’un contrat, comme dans l’affaire Farmer Construction, ou de prêts impayés, comme dans l’affaire Greenington Group, ce qui va de pair avec l’argument de l’appelante selon lequel elle protégeait son investissement initial. Cependant, la Cour fédérale a également jugé, dans ces deux affaires-là, qu’à la date de l’acquisition, les faits et circonstances donnaient à penser que les deux parties voulaient réduire leurs pertes ou récupérer leur investissement initial, et non réaliser un bénéfice, puisque cette possibilité n’existait pas vraiment. À mon avis, la situation examinée en l’espèce est différente des deux affaires susmentionnées, car j’estime que la preuve permet de dire, comme l’intimée l’a affirmé, que l’intention de l’appelante était de réaliser un bénéfice, et non seulement de protéger son investissement ou de réduire sa perte.

 

[36]         Le deuxième contrat d’achat donne à entendre que l’appelante était devenue de son plein gré partenaire à parts égales dans l’entreprise. Dans le premier paragraphe de ce document, les parties ont convenu de restructurer la coentreprise de façon que les parties possèdent des participations égales d’un tiers et que :

 

[traduction]

 

[…] à compter de ce jour, elles exploitent l’entreprise à titre de partenaires égales, reconnaissant que les décisions qu’elle nécessite doivent être unanimes. À titre de partenaires égaux, les parties conviennent de se partager la responsabilité relative au financement de la mise en valeur du bien en utilisant celui-ci à titre de garantie, contrairement à ce que prévoit l’entente de coentreprise actuelle.

 

[37]         Cette clause montre que l’appelante abandonnait alors son rôle précédent, caractérisé par l’absence de participation à la gestion et aux décisions, et acceptait de jouer un rôle pleinement actif; le témoignage de M. Von Niessen confirme que l’appelante a participé à toutes les décisions et a été mise au courant de toutes les questions touchant la mise en valeur. Contrairement à la situation qui prévalait lors du premier achat d’une participation, le mandant de l’appelante avait tiré quelques leçons de l’expérience et estimait qu’il était en mesure de participer; effectivement, son avis a été sollicité par les autres membres ou recherché automatiquement du fait de la participation d’un tiers qu’il détenait.

 

[38]         Le principal argument de l’appelante réside dans le fait que celle-ci n’avait d’autre choix que de participer, car c’était le seul membre du groupe qui avait les moyens de financer l’achat de la participation de 50 p. 100 de M. Brocklebank afin d’éviter l’arrivée forcée d’un nouveau membre inconnu des autres. Cependant, si l’appelante se trouvait dans cette position et estimait, comme son mandant l’a dit au cours de son témoignage, que le projet appartenait aux autres membres, pourquoi n’a-t-elle pas tout simplement prêté les sommes d’argent à ceux-ci ou à la coentreprise et accepté une hypothèque sur le bien de la coentreprise en garantie du prêt et même du prêt initial? Il me semble que d’autres options s’offraient à elle pour protéger, et même renforcer, sa garantie, mais l’appelante n’a pas expliqué pourquoi aucune autre de ces options n’a été envisagée.

 

[39]         Je ne comprends pas non plus pourquoi, si elle était la seule à avoir des fonds et si l’objet visé était de protéger sa participation, l’appelante n’a pas acquis la totalité de la participation de 50 p. 100 de M. Brocklebank qui, ajoutée à la participation de 6,75 p. 100 qu’elle possédait déjà, lui aurait permis d’exercer un contrôle sur la coentreprise. L’appelante signe plutôt une entente par laquelle les parties conviennent d’obtenir plus tard du financement non seulement pour la rembourser, mais pour couvrir les frais des activités envisagées et les frais courants connexes, ce qui laisse croire qu’elle consentait à ce que le bien serve à financer les besoins courants. Si l’appelante voulait uniquement protéger son investissement, il semble peu logique qu’elle ait avancé un autre montant de plus de 600 000 $, soit plus du double de son investissement initial, sans exiger une garantie solide lorsqu’elle a eu la chance de le faire et qu’elle ait consenti à permettre l’utilisation de l’ensemble du bien à titre de garantie pour financer les besoins ultérieurs de la coentreprise. Le texte suivant figure à l’avant-dernier point du deuxième contrat d’achat :

 

[traduction]

 

Le nouveau financement servira à rembourser le prêt obtenu de Von Realty pour acheter les actions de Brocklebank et à créer un fonds de roulement résiduel en vue des activités ultérieures menant aux approbations nécessaires aux fins de la mise en valeur.

 

[40]         De toute évidence, l’appelante voulait non seulement recouvrer son investissement, mais poursuivre le projet et en tirer profit.

 

[41]         De plus, selon le deuxième contrat d’achat, l’appelante a consenti à verser la somme de 250 500 $ à R127 et de 45 000 $ à Pegasus une fois que toutes les mesures énumérées auraient été prises, y compris la modification de l’entente de coentreprise et l’obtention d’un nouveau financement devant permettre à la coentreprise de rembourser le prêt de plus de 600 000 $ qu’elle lui avait consenti et à créer un fonds de roulement. L’appelante s’est donc engagée à payer un autre montant de 295 500 $ aux autres membres de la coentreprise dans le cadre de l’acquisition de sa participation d’un tiers. Étant donné que l’offre que M. Brocklebank a reçue d’une tierce partie s’élevait à un montant de 550 000 $ plus un pourcentage du bénéfice ultime découlant de la coentreprise et que les parties ont négocié afin d’acheter la participation de M. Brocklebank à un prix net de 600 000 $, il est logique de penser que, si une participation de 50 p. 100 valait 600 000 $ pour une partie indépendante, la coentreprise devait valoir au total environ 1 200 000 $. La seule raison logique pour laquelle une personne accepterait de verser un montant de 295 500 $ en échange d’une participation additionnelle de 26,68 p. 100 dans la coentreprise, ce qui ne représente qu’une diminution de 5 p. 100 d’après une juste valeur de 1 200 000 $ pour l’ensemble de la participation, c’est le fait que l’appelante s’attendait à ce que la coentreprise réalise un bénéfice, ce qui s’est produit lors de la vente ferme du bien, et ce bénéfice fut important. L’absence de mention d’un taux d’intérêt dans le deuxième contrat d’achat à l’égard de la tranche de 620 000 $ du prêt donne également à penser que l’appelante s’attendait à obtenir un rendement sur les bénéfices de la coentreprise plutôt que du prêt.

 

[42]         À mon avis, tous les éléments susmentionnés montrent que l’appelante n’était plus animée de la même intention qu’elle avait en tête lorsqu’elle a d’abord fait l’acquisition d’une participation de 6,75 p. 100 dans le cadre du prêt initial garanti par un droit sur le bien et qu’elle a voulu plutôt investir et devenir partenaire à part entière dans la coentreprise, dont le seul objet était de mettre en valeur et de vendre des terrains vacants à des fins de construction, lesquels terrains n’étaient pas vraiment susceptibles de générer un revenu de placement. Bien que l’entente de coentreprise renvoie à la vente de gravier et de terre arable extraits des terrains, M. Niessen a avoué au cours de son témoignage qu’il ne s’agissait que d’une possibilité et d’une clause standard et qu’il est parfois nécessaire d’acheter du gravier et de la terre plutôt que d’en vendre pour préparer le terrain, de sorte que je n’attribue aucune véritable intention de tirer un revenu de placement du projet. En tout état de cause, aucune vente de cette nature ne pouvait avoir lieu avant que les parties ne défrichent le terrain dans le cadre des activités de mise en valeur, de sorte que les ventes en question n’auraient été qu’accessoires à l’objet principal, qui consistait à tirer un revenu d’entreprise. Comme je l’ai déjà souligné, la nature du bien lui-même donne généralement à penser que celui-ci pouvait uniquement être mis en valeur à profit, car il n’était pas susceptible de générer un revenu de placement et aucun plan n’était prévu à cette fin à son égard.

 

[43]         Il a également été mis en preuve que, après que l’appelante eut acquis sa participation supplémentaire, d’autres améliorations ont été apportées au bien, non seulement lorsque le mandant de l’appelante, M. Harrison, a joué un rôle plus actif, mais également lorsque les membres ont retenu les services d’un avocat spécialisé en droit municipal afin de tenter de répondre aux exigences de la ville de Kelowna à l’égard du projet dans le but de faire avancer celui-ci, quoique ces efforts aient échoué. Ce fait démontre que l’appelante a participé à la coentreprise et souhaitait que le projet se concrétise plutôt qu’encourager une vente rapide pour recouvrer son investissement ou pour minimiser le risque de perte.

 

[44]         Franchement, les autres facteurs qu’ont soulignés les avocates de l’appelante, comme la durée de la possession, soit une période allant jusqu’à huit ans dans le cas de la première acquisition et de trois ans dans le cas de la seconde, et le fait que l’appelante a injecté des liquidités dans la coentreprise plutôt que de financer son investissement et d’en tirer profit, comme le feraient la plupart des promoteurs, ne permettent pas à mon avis de conclure dans un sens ou dans l’autre. Le fait que l’appelante avait les moyens d’effectuer un placement de fonds liquides s’apparentant à une dépense en immobilisations n’est pas plus convaincant dans ces circonstances que le fait que ce n’est que parce que l’appelante avait les moyens financiers d’agir de la sorte qu’elle a été appelée à investir et a obtenu plus tard une position égale au sein de la coentreprise. Quant aux circonstances entourant la vente ferme du bien, bien que les difficultés avec R127 et M. Wager, qui ont finalement incité l’appelante et Pegasus à vendre leurs participations à R127, n’aient peut-être pas été prévues, la preuve montre que les parties ont négocié la vente dans le cadre d’une stratégie consistant à vendre leurs participations ou à acheter les autres et je ne puis accorder aucune importance aux circonstances de la vente pour déterminer la nature du bien.

 


Conclusion

 

[45]         Pour les motifs exposés ci-dessus, j’en arrive à la conclusion que l’achat initial par l’appelante de la participation de 6,75 p. 100 dans la coentreprise visait l’acquisition d’un bien en immobilisation, de sorte que 20,25 p. 100 du gain doit être considéré comme un gain en capital, tandis que le reste du gain doit être considéré comme un revenu d’entreprise; en conséquence, j’ordonne au ministre du Revenu national d’établir une nouvelle cotisation à l’égard du gain sur cette base. L’intimée a droit aux dépens entre parties normaux dans la présente affaire, conformément au Tarif.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2011.

 

 

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de septembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 345

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-696(IT)G

 

INTITULÉ :                                       VON REALTY LIMITED c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :              Les 28 et 29 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 8 juillet 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocates de l’appelante :

Me Louise R. Summerhill et

Me Marni Pernica

Avocats de l’intimée :

Me Stan W. McDonald et

Me Lee-Ann Conrod

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                            Nom :                    Louise R. Summerhill

 

                            Cabinet :                Aird & Berlis LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.