Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2008-3450(IT)G

 

ENTRE :

SAM SAAD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 1er juin 2011, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Antonia Paraherakis

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, l'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 2002 de l'appelant est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'août 2011.

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2011.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 376

Date : 20110802

Dossier : 2008-3450(IT)G

 

ENTRE :

SAM SAAD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sheridan

 

[1]              L'appelant, Sam Saad, interjette appel de la nouvelle cotisation dans laquelle le ministre du Revenu national, par suite d'une vérification menée par Revenu Québec, a ajouté 46 000 $ au revenu de l'appelant pour l'année 2002.

 

[2]              L'appelant a comparu en personne et est la seule personne qui a témoigné pour son compte. Pour les raisons exposées ci‑dessous, je ne crois pas que l'appelant soit un témoin particulièrement convaincant ni que les documents qu'il a présentés à l'appui de sa cause soient suffisamment fiables pour justifier une modification de la cotisation du ministre.

 

[3]              Pour sa part, l'intimée a fait témoigner M. Stéphane Sigouin, vérificateur chez Revenu Québec (le « vérificateur du Québec »), et M. Alain Marcoux, vérificateur à l'Agence du revenu du Canada (le « vérificateur fédéral »). Tous les deux ont témoigné de manière franche, complète et crédible au sujet du rôle qu'ils ont joué dans le dossier de l'appelant.

 

[4]              La nouvelle cotisation a été établie par suite d'une vérification menée par Revenu Québec à l'égard de 9115‑5028 Québec inc. (également appelée Karma Distributions[1]). Cette vérification a permis de découvrir que 9115‑5028 Québec inc. avait versé 46 000 $ à l'appelant, ce qui a mené à une vérification de l'année d'imposition 2002 de celui‑ci et, finalement, à l'établissement d'une nouvelle cotisation provinciale sur cette somme. Revenu Québec a ensuite informé l'Agence du revenu du Canada des résultats de sa vérification et une nouvelle cotisation fédérale a été établie à l'égard du paiement de 46 000 $.

 

[5]              Dans son avis d'appel, l'appelant a admis qu'un chèque de 46 000 $ de 9115‑5028 Québec inc. avait été déposé dans son compte personnel le 30 juillet 2002, mais il a nié que ce montant constituait un revenu. Au soutien de sa position, il a fait valoir que le paiement avait été immédiatement transféré à 141075 Canada inc. le 2 août 2002. Toutefois, à l'audience, l'appelant a présenté une autre version des événements qu'il n'avait pas mentionnée dans l'avis d'appel; en résumé, il a soutenu qu'il avait conservé le montant de 46 000 $, lequel constituait une partie d'un prêt dûment autorisé à un actionnaire, qu'il a subséquemment remboursé à la société.

 

[6]              La société de l'appelant, 141075 Canada inc., fabriquait des cartes d'identité et de sécurité. Le seul actionnaire de la société était l'épouse de l'appelant, Lila Pardiak.

 

[7]              En 2001, l'appelant a demandé, en qualité de principal responsable de 141075 Canada inc., un prêt de 50 000 $ à la Banque de développement du Canada (« BDC ») afin d'améliorer l'équipement de l'entreprise. Afin d'obtenir de l'aide dans cette démarche, l'appelant a retenu les services d'un « consultant » connu uniquement sous le nom de « Fadi », dont l'appelant ignorait l'endroit où il se trouvait à la date de l'instruction. Fadi s'est présenté à titre d'« ami » du représentant de la BDC qui s'occupait de la demande de prêt de la société et devait servir d'agent de liaison entre le représentant en question ainsi que l'appelant et le comptable de celui-ci. L'appelant ne pouvait se rappeler le nom du représentant de la BDC ou de son comptable.

 

[8]              Fadi a exigé une commission immédiate de 2 000 $ en échange de ses services, ainsi qu'une commission supplémentaire à verser lors de l'obtention du financement. Selon l'appelant, Fadi lui a mentionné qu'avant que la BDC accepte la demande de prêt, l'appelant devrait démontrer qu'il avait suffisamment de liquidités dans son compte personnel pour garantir l'emprunt d'environ 50 000 $ de la société. De plus, il ne devait pas y avoir de traces du dépôt de l'argent dans le compte personnel de l'appelant par 141075 Canada inc. Afin de surmonter ce problème, Fadi a proposé que 141075 Canada inc. fasse un chèque à l'entreprise de Fadi, soit 9115‑5028 Québec inc./Karma Distributions, la société qui a subséquemment fait l'objet d'une vérification de la part de Revenu Québec. Par la suite, a‑t‑il expliqué, 9115‑5028 Québec inc. rembourserait immédiatement l'appelant, qui déposerait le montant dans son compte personnel. Afin de donner aux opérations en question l'apparence d'opérations ordinaires, Fadi a proposé que le chèque de 141075 Canada inc. payable à 9115‑5028 Québec inc. soit de 50 611 $ plutôt que 50 000 $, de façon que le montant supplémentaire de 611 $ donne à penser que des « impôts » avaient été payés.

 

[9]              Ces mesures ont été prises le 30 juillet 2002[2] et, le même jour, la société 9115‑5028 Québec inc. a émis un chèque de 46 000 $ à l'appelant personnellement[3]. Selon ce qu'il a expliqué, l'appelant a reçu un montant inférieur aux 50 000 $ que 141075 Canada inc. avait prêtés, parce que Fadi avait conservé 4 000 $ à titre de commission; l'appelant n'a pas expliqué pourquoi Fadi avait le droit d'agir ainsi alors que le financement demandé pour 141075 Canada inc. n'avait pas encore été obtenu (et ne le serait d'ailleurs jamais). L'appelant a déclaré au cours de son témoignage qu'un montant de 45 000 $ a ensuite été viré de son compte personnel à un compte portant le numéro 3228860 le 2 août 2002. L'appelant a expliqué qu'il avait conservé un montant de 1 000 $ de la somme de 46 000 $ à titre de frais de gestion, pour ainsi dire.

 

[10]         Lorsqu'il a été interrogé la première fois, en septembre 2004, par le vérificateur du Québec au sujet du paiement de 46 000 $, l'appelant a eu du mal à se rappeler les faits. Il a d'abord nié avoir reçu cet argent et a demandé à voir une copie du chèque annulé de 9115‑5028 Québec inc. Cette demande n'était pas déraisonnable en soi, parce qu'on lui a posé la question environ deux ans après le fait et qu'il arrive souvent que des sociétés à dénomination numérique poursuivent leurs activités sous d'autres raisons sociales. Cependant, après avoir examiné le chèque, l'appelant a de nouveau nié l'avoir reçu. Ce n'est qu'environ deux mois plus tard, lorsque le vérificateur du Québec l'a avisé que les vérifications de Revenu Québec avaient permis de confirmer que le chèque de 9115‑5028 Québec inc. avait été déposé dans le compte personnel de l'appelant, que celui-ci a finalement admis l'avoir reçu.

 

[11]         À l'étape de l'opposition, l'appelant a avisé le vérificateur fédéral que le montant de 46 000 $ avait été immédiatement transféré à 141075 Canada inc.; de plus, il a fourni des relevés bancaires[4] de son compte personnel montrant qu'une somme de 45 000 $ avait été virée le 2 août 2002 dans un autre compte portant le numéro 3228860. Sur la foi de ce renseignement, le ministre a d'abord présumé que le compte portant le numéro 3228860 était celui de 141075 Canada inc. L'appelant a formulé la même allégation dans son avis d'appel et a joint les pages pertinentes des relevés bancaires.

 

[12]         Cependant, à l'audience, le vérificateur fédéral a déclaré que, contrairement à l'impression initiale selon laquelle le compte portant le numéro 3228860 appartenait à 141075 Canada inc., ce compte était en réalité un compte de marge de crédit que l'appelant détenait conjointement avec son épouse, d'après les renseignements que l'Agence du revenu du Canada a subséquemment obtenus de TD Canada Trust en application des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu[5].

 

[13]         Lorsqu'on lui a présenté la preuve du vérificateur fédéral, l'appelant a expliqué, d'abord, qu'il ne croyait pas qu'un compte de marge de crédit fût un compte en soi, laissant ainsi entendre que c'est simplement par inadvertance qu'il avait décrit le compte portant le numéro 3228860 comme un compte appartenant à 141075 Canada inc. Cependant, l'appelant n'a produit aucun autre document montrant un nouveau transfert du montant de 45 000 $ du compte de marge de crédit à 141075 Canada inc.

 

[14]         Par la suite, abandonnant apparemment ce moyen de défense initial, l'appelant a mentionné que le paiement n'avait pas été transféré à 141075 Canada inc. le 2 août 2002; l'appelant a plutôt conservé ce montant comme partie d'un prêt à un actionnaire qui, par coïncidence, avait été approuvé en juillet 2002. L'appelant a ensuite présenté une résolution de l'actionnaire[6] visant à démontrer que, le 1er juillet 2002, 141075 Canada inc. avait autorisé un prêt de 50 000 $ à l'appelant [TRADUCTION] « pour l'achat d'une nouvelle maison ». Ni le prêt ni le document n'avaient été mentionnés au vérificateur du Québec ou au vérificateur fédéral au cours des enquêtes de ceux‑ci. Le prêt n'a pas été mentionné dans l'avis d'appel et la résolution de l'actionnaire n'a pas été communiquée à l'intimée, que ce soit sur la liste de documents de l'appelant ou à un autre moment avant l'instruction. L'appelant a expliqué qu'il avait soudainement trouvé le document tout juste avant l'audience. De l'avis de l'appelant, quelles que soient les raisons initiales pour lesquelles le montant de 46 000 $ est passé de 141075 Canada inc. à 9115‑5028 Québec inc. et a finalement été versé dans son compte personnel, le paiement a finalement été traité à titre de prêt de 141075 Canada inc., comme le prévoyait la résolution de l'actionnaire. L'appelant a remboursé l'argent à 141075 Canada inc. en 2002 (ou, au plus tard, au cours des années suivantes) en faisant des avances de différents montants afin de maintenir à flot l'entreprise, qui éprouvait des ennuis. Étant donné qu'il n'avait aucun autre document pour étayer ses affirmations, lorsqu'il s'est fait demander quel était l'objet de ces avances, l'appelant n'a pu que supposer qu'elles visaient à payer des frais comme le loyer et les salaires.

 

[15]         Il incombe aux contribuables de tenir des livres et registres adéquats aux termes de la Loi. Non seulement les contribuables qui ne le font pas commettent‑ils un manquement à une obligation d'origine légale, mais il devient beaucoup plus difficile de reconstituer et de justifier plusieurs années après le fait des opérations qui sont peut‑être légitimes. Même s'il n'est pas toujours nécessaire que le contribuable étaie son témoignage par des éléments de preuve documentaires pour avoir gain de cause en appel, il est certainement beaucoup plus facile pour lui de prouver le bien‑fondé de ses allégations à l'aide de tels documents, surtout lorsque son témoignage est peu crédible, comme c'est le cas en l'espèce.

 

[16]         Dans la présente affaire, l'appelant a demandé à la Cour non seulement de ne pas tenir compte des vices de procédure qui entachent son appel, mais de le croire sur parole, ce qui n'est pas facile, eu égard aux incohérences de son témoignage et à l'attitude généralement blasée dont il a fait montre en matière d'éthique. Je n'ai été nullement rassurée par la description que l'appelant a donnée du rôle qu'il a joué pour tromper BDC et l'inciter à prêter une somme d'argent considérable à 141075 Canada inc. En remettant au vérificateur fédéral (et, plus tard, en joignant à son avis d'appel) des copies de relevés de son compte personnel montrant un virement du paiement dans un compte non identifié, l'appelant a pensé que personne ne se donnerait la peine de vérifier s'il s'agissait ou non du compte de 141075 Canada inc. Lorsque cette stratégie n'a pas fonctionné, l'appelant a essayé une autre tactique : le prêt à un actionnaire qu'il s'est soudainement rappelé. Même si j'admettais que la résolution de l'actionnaire était un document légitime qui avait été soudainement trouvé la veille de l'instruction, ce document n'explique pas l'omission de l'appelant de mentionner l'existence d'un prêt à quelque moment que ce soit. De plus, même si j'admettais l'existence d'un prêt de cette nature, il n'y a aucun élément de preuve fiable montrant qu'une partie de ce montant ait été remboursée à 141075 Canada inc., de sorte qu'il s'agit d'un revenu pour l'appelant. Dans l'ensemble, la version que l'appelant a donnée des événements n'est tout simplement pas crédible. Dans ces circonstances, il n'y a aucune raison pour la Cour de modifier la nouvelle cotisation établie par le ministre.

 

Pénalités

 

[17]         Des pénalités ont été imposées à l'appelant en application du paragraphe 163(2) de la Loi. Il incombe au ministre de prouver que l'imposition de ces pénalités était justifiée[7]. Le vérificateur fédéral a souligné que le montant non déclaré (46 000 $) correspondait à près du double du revenu déclaré de l'appelant (24 500 $). Il s'est également fondé sur le fait que l'appelant était un homme d'affaires expérimenté et qu'il avait signé sa déclaration de 2002 et en avait ainsi attesté la véracité. L'appelant n'a pas répondu à la position du ministre. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, je suis d'avis que le ministre s'est acquitté du fardeau qui lui incombait et, en conséquence, les pénalités exigées demeurent inchangées.

 

Conclusion

 

[18]         Pour les motifs exposés ci-dessus, l'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre à l'égard de l'année d'imposition 2002 est rejeté et les dépens sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'août 2011.

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2011.

 

 

 

Yves Bellefeuille, révision

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 376

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3450(IT)G

 

INTITULÉ :                                       SAM SAAD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 1er juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Antonia Paraherakis

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                    Nom :

 

                   Cabinet :

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1] Pièce R-1, onglet 14.

 

[2] Pièce R-1, onglet 8.

 

[3] Pièce R-1, onglet 9.

 

[4] Pièce R-1, onglet 11.

 

[5] Pièce R-1, onglet 12.

 

[6] Pièce A-1.

 

[7] Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.